Language of document : ECLI:EU:T:2010:389

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

13 septembre 2010 (*)

« Aides d’État – Régimes d’aides à la production cinématographique et audiovisuelle – Décision de ne pas soulever d’objections – Recours en annulation – Défaut d’affectation substantielle de la position concurrentielle – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑193/06,

Télévision française 1 SA (TF1), établie à Boulogne-Billancourt (France), représentée par Mes J.‑P. Hordies et C. Smits, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. C. Giolito, T. Scharf et B. Stromsky, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République française, représentée par MM. G. de Bergues et L. Butel, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2006) 832 final de la Commission, du 22 mars 2006, relative aux mesures de soutien au cinéma et à l’audiovisuel en France (aides NN 84/2004 et N 95/2004 – France, Régimes d’aides au cinéma et à l’audiovisuel),

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. M. Vilaras, président, M. Prek et V. M. Ciucă (rapporteur), juges,

greffier : Mme T. Weiler, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 avril 2010,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        L’article 87, paragraphe 1, CE dispose que, « [s]auf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ».

2        L’article 87, paragraphe 3, sous d), CE prévoit que peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun les aides destinées à promouvoir la culture et la conservation du patrimoine, quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges et de la concurrence dans la Communauté dans une mesure contraire à l’intérêt commun.

3        La communication de la Commission du 26 septembre 2001 au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social et au Comité des régions concernant certains aspects juridiques liés aux œuvres cinématographiques et autres œuvres audiovisuelles (JO 2002, C 43, p. 6) précise les critères spécifiques sur la base desquels la Commission évalue les aides d’État à la production cinématographique et audiovisuelle, dans le cadre de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE. La Commission y précise également que, lorsqu’elle évalue les régimes d’aides à la production cinématographique et audiovisuelle, elle doit vérifier qu’ils respectent le « principe de la légalité générale », c’est-à-dire qu’elle doit s’assurer qu’ils ne comportent pas de clauses qui seraient contraires aux dispositions du traité CE dans des domaines autres que les aides d’État (y compris les dispositions relatives à la fiscalité). En 2004, la Commission a étendu la validité de ces critères de compatibilité spécifiques pour les aides à la production cinématographique et audiovisuelle jusqu’au 30 juin 2007 (JO C 123, p. 1).

4        La loi française n° 86-1067, du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication (JORF du 1er octobre 1986, p. 11755), telle que modifiée notamment par la loi n° 2000-719, du 1er août 2000 (JORF du 2 août 2000, p. 11903), fixe les règles applicables aux services de communication audiovisuelle.

5        La réglementation française comporte des mesures de soutien à la production cinématographique et audiovisuelle. Il s’agit, d’une part, de mécanismes de soutien aux producteurs, mis en œuvre par le Centre national de la cinématographie (CNC). Le financement de ces mécanismes est assuré, notamment, par une taxe sur le chiffre d’affaires des éditeurs de services de télévision (ci-après la « Taxe »). Il s’agit, d’autre part, d’obligations faites aux éditeurs de services de télévision d’opérer des investissements dans la production cinématographique et audiovisuelle.

6        Les mécanismes de soutien à la production cinématographique et audiovisuelle par le CNC sont régis par :

–        s’agissant du domaine cinématographique, le décret n° 99-130, du 24 février 1999, relatif au soutien financier de l’industrie cinématographique (JORF du 25 février 1999, p. 2902), tel que modifié,

–        s’agissant du domaine audiovisuel, le décret n° 95-110, du 2 février 1995, relatif au soutien financier de l’État à l’industrie des programmes audiovisuels (JORF du 3 février 1995, p. 1875), complété par le décret n° 98-35, du 14 janvier 1998, relatif au soutien financier de l’État à l’industrie audiovisuelle (JORF du 17 janvier 1998, p. 742), tels que modifiés.

7        La Taxe est régie par l’article 302 bis KB du code général des impôts, inséré par l’article 28, point A, de la loi n° 97-1239, du 29 décembre 1997, de finances rectificative pour 1997 (JORF du 30 décembre 1997, p. 19101), et modifié par la loi n° 2005-1719, du 30 décembre 2005, de finances pour 2006 (JORF du 31 décembre 2005, p. 20597), et par la loi n° 2005-1720, du 30 décembre 2005, de finances rectificative pour 2005 (JORF du 31 décembre 2005, p. 20654).

8        Le mécanisme des obligations d’investissement est régi par :

–        le décret n° 2001-609, du 9 juillet 2001, pris pour l’application du point 3 de l’article 27 et de l’article 71 de la loi n° 86-1067 et relatif à la contribution des éditeurs de services de télévision diffusés en clair par voie hertzienne terrestre en mode analogique au développement de la production d’oeuvres cinématographiques et audiovisuelles (JORF du 11 juillet 2001, p. 11073), tel que modifié,

–        le décret n° 2001-1332, du 28 décembre 2001, pris pour l’application des articles 27, 28 et 71 de la loi n° 86-1067 et relatif à la contribution des éditeurs de services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre en mode analogique dont le financement fait appel à une rémunération de la part des usagers au développement de la production d’oeuvres cinématographiques et audiovisuelles (JORF du 29 décembre 2001, p. 21310), tel que modifié,

–        le décret n° 2001-1333, du 28 décembre 2001, pris pour l’application des articles 27, 70 et 71 de la loi n° 86-1067 et fixant les principes généraux concernant la diffusion des services autres que radiophoniques par voie hertzienne terrestre en mode numérique (JORF du 29 décembre 2001, p. 21315), tel que modifié,

–        le décret n° 2002-140, du 4 février 2002, pris pour l’application des articles 33, 33-1, 33-2 et 71 de la loi n° 86-1067 et fixant le régime applicable aux différentes catégories de services de radiodiffusion sonore et de télévision distribués par câble ou diffusés par satellite (JORF du 6 février 2002, p. 2412), tel que modifié.

9        Ces obligations d’investissement doivent être, pour au moins les deux tiers de celles-ci dans le domaine audiovisuel et pour au moins les trois quarts de celles-ci dans le domaine cinématographique, consacrées à la production indépendante, la notion de production indépendante s’entendant, ainsi que cela a été confirmé lors de l’audience, de l’indépendance du producteur de l’œuvre par rapport à l’éditeur de services de télévision financeur de cette œuvre et étant définie selon des critères relatifs, notamment, à la détention réciproque de capital social ou de droits de vote par le producteur et par l’éditeur de services concernés et à la part de cet éditeur dans l’activité récente dudit producteur.

10      Les mesures de soutien à la production audiovisuelle du CNC doivent également bénéficier aux entreprises de production indépendantes, la notion de producteur indépendant étant définie dans les mêmes termes que dans le domaine des obligations d’investissement.

 Antécédents du litige

11      Le 15 juillet 1992, par la décision relative à l’aide N 7/92 (JO C 203, p. 14), la Commission des Communautés européennes a approuvé, pour une durée illimitée, certaines modalités du régime français de soutien à la production cinématographique et audiovisuelle.

12      Par la décision relative à l’aide N 3/98, du 3 juin 1998, telle que modifiée le 29 juillet 2008 (JO C 279, p. 4), la Commission a approuvé, pour deux ans, certaines modifications apportées au système de soutien automatique à la production cinématographique. Le 7 août 1998, la validité de cette approbation a été prolongée jusqu’au 3 juin 2004.

13      Par courrier du 3 octobre 2001, la requérante, Télévision française 1 SA (TF1), a introduit, auprès de la Commission, deux plaintes concernant certaines modalités du système de soutien français au cinéma et à l’audiovisuel.

14      Par courrier du 16 février 2004, les autorités françaises ont notifié le régime d’aides sélectives aux œuvres cinématographiques présentant un intérêt pour l’outre-mer (N 95/2004). La Commission a demandé des renseignements complémentaires aux autorités françaises, qui y ont répondu. Celles-ci ont également adressé à la Commission une notice de mise en œuvre du régime, qu’elles ont ensuite retirée en janvier 2005.

15      Par courriers des 13 et 27 avril 2004, le CNC a transmis à la Commission des informations relatives aux plaintes de la requérante.

16      Par courrier du 24 mai 2004, les autorités françaises ont notifié l’ensemble des régimes d’aides au cinéma et à l’audiovisuel à la Commission, en lui demandant de prolonger temporairement la validité des régimes couverts par les décisions relatives aux aides N 7/92 et N 3/98, ce qu’elle a refusé. Par courrier du 27 juillet 2004, la Commission a demandé aux autorités françaises de compléter leur notification, ce qu’elles ont fait par plusieurs courriers en 2004 et en 2005. Le 14 décembre 2004, l’ensemble des régimes d’aides notifiés a été enregistré sous la référence NN 84/2004.

17      Par courrier du 22 décembre 2004, la Commission a informé les autorités françaises que, les régimes de soutien notifiés ayant déjà été mis en application, elle les considérait comme illégaux au sens de l’article 88, paragraphe 3, CE.

18      Par courrier du 10 janvier 2006, la requérante a déposé un complément à ses plaintes du 3 octobre 2001.

19      Par la décision C (2006) 832 final, du 22 mars 2006, relative aux mesures de soutien au cinéma et à l’audiovisuel en France (aides NN 84/2004 et N 95/2004 – France, Régimes d’aides au cinéma et à l’audiovisuel) (ci-après la « Décision »), la Commission a décidé de ne pas soulever d’objections à l’égard des mesures en cause à l’issue de la phase préliminaire d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 3, CE.

20      Le 14 décembre 2006, la Décision a fait l’objet d’une publication sommaire au Journal officiel de l’Union européenne (JO C 305, p. 12), comportant un renvoi au site Internet de la Commission permettant l’accès au texte intégral de cette décision.

 Décision

21      Il ressort de la Décision qu’elle visait le régime de soutien à la production cinématographique et audiovisuelle, notamment les mesures de soutien financier accordées par l’intermédiaire du CNC et le mécanisme des obligations d’investissement.

22      S’agissant, en premier lieu, des mesures de soutien à la production cinématographique et audiovisuelle accordées par l’intermédiaire du CNC, la Commission décrit ce dernier comme un établissement public à caractère administratif, doté de la personnalité juridique et de l’autonomie financière, et placé sous l’autorité du ministère de la Culture et de la Communication français (point II, paragraphe 20, de la Décision). Le budget géré par le CNC est divisé en deux sections : la section « Industries audiovisuelles » [comprenant le compte de soutien à l’industrie des programmes audiovisuels (COSIP)] et la section « Industries cinématographiques » (point II, paragraphe 21, de la Décision). La Commission indique ensuite que le budget du CNC est financé par des taxes parafiscales, dont la Taxe (point II, paragraphe 22, de la Décision). La Commission rappelle que, selon l’article 302 bis KB du code général des impôts français, la Taxe est due par les exploitants établis en France de services de télévision reçus en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer qui ont programmé, au cours de l’année précédente, une ou plusieurs œuvres audiovisuelles ou cinématographiques éligibles aux mesures de soutien du CNC et qu’elle est assise, en substance, sur le chiffre d’affaires de ces éditeurs de services de télévision (point II, paragraphes 23 et 24, de la Décision).

23      Concernant les mesures de soutien du CNC à la production cinématographique et audiovisuelle contestées dans le cadre du présent recours, la Commission décrit dans la Décision les mesures de « soutien à la production cinéma de longs métrages » (point II, paragraphes 29 à 95), de « soutien à la promotion à l’étranger des œuvres cinématographiques » (point II, paragraphes 121 à 126), de « soutien aux œuvres cinématographiques de courte durée » (point II, paragraphes 127 à 149) et de « soutien à la production audiovisuelle » (point II, paragraphes 186 à 219), ainsi que leur mode de financement (point II, paragraphes 19 à 24).

24      Après l’analyse desdites mesures dans la Décision, la Commission conclut que certaines de celles-ci constituent des aides d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE et sont compatibles avec le marché commun en vertu de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE, jusqu’à la fin de l’année 2011, tandis que d’autres n’ont pas été qualifiées d’aides d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, par application du règlement (CE) n° 69/2001 de la Commission, du 12 janvier 2001, concernant l’application des articles 87 [CE] et 88 [CE] aux aides de minimis (JO L 10, p. 30) (point III, paragraphes 38 à 124, de la Décision pour le « soutien au cinéma – soutien à la production cinéma de longs métrages », point III, paragraphes 158 à 193, de la Décision pour le « soutien à la promotion à l’étranger des œuvres cinématographiques », point III, paragraphes 194 à 223, de la Décision pour le « soutien aux œuvres cinématographiques de courte durée », point III, paragraphes 257 à 331, de la Décision pour le « soutien à la production audiovisuelle »). S’agissant des mesures déclarées compatibles avec le marché commun en vertu de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE, la Commission parvient à cette conclusion soit en appliquant les critères établis dans la communication de 2001 citée au point 3 ci-dessus, soit en appliquant ces critères par analogie ou comme référence pertinente. Dès lors, la Commission décide de ne pas soulever d’objections à leur égard.

25      S’agissant, en second lieu, des obligations d’investissement (point II, paragraphes 246 à 255, de la Décision), la Commission indique que celles-ci sont imposées, avec certaines différences dans leurs modalités, aux éditeurs de services de télévision diffusés en clair par voie hertzienne terrestre en mode analogique ou numérique, par câble ou par satellite, aux éditeurs de services de télévision payants diffusés par voie hertzienne terrestre en mode analogique et aux éditeurs de services dits « de paiement à la séance » diffusés par voie hertzienne terrestre en mode numérique.

26      La Commission précise que le montant des obligations d’investissement est déterminé par l’application d’un pourcentage au chiffre d’affaires de l’éditeur de services de télévision concerné pour l’année précédente (point II, paragraphe 250, de la Décision). Ledit montant diffère en fonction du mode de diffusion des services de télévision et des caractéristiques de l’éditeur (point II, paragraphes 251 à 254, de la Décision). D’une manière générale, la Commission relève que le pourcentage du chiffre d’affaires qui doit être investi dans la production cinématographique est plus élevé si la programmation du service de télévision est axée sur le cinéma et qu’il l’est moins si cette programmation n’est pas axée principalement sur le cinéma (point II, paragraphe 251, de la Décision).

27      La Commission considère que ces obligations d’investissement n’impliquent pas de ressources d’État et ne constituent donc pas des aides d’État au sens de l’article 87 CE (point III, paragraphes 390 à 398, de la Décision).

28      Au point IV de la Décision, la Commission « regrette que la France ait mis à exécution la plupart des mesures examinées dans la présente décision, en violation de l’article 88, paragraphe 3, [CE] ». La Commission déclare ensuite que les mesures d’aides d’État, contestées dans le cadre du présent recours, qui lui ont été notifiées et qui font l’objet de la Décision, sont compatibles avec le marché commun, jusqu’à la fin de l’année 2011, sur la base de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE. Enfin, il est également précisé dans ce même point ce qui suit :

« La Commission insiste sur le fait que cette durée est accordée en considération de l’engagement offert par les autorités françaises ‘à procéder aux adaptations éventuellement nécessaires pour se conformer aux évolutions des règles en matière d’aides d’État au cinéma et à l’audiovisuel après le 30 juin 2007’. La Commission rappelle aux autorités françaises qu’elles doivent soumettre un rapport annuel sur la mise en oeuvre des mesures notifiées. Ce rapport devra fournir suffisamment de détails pour permettre à la Commission de vérifier si ces mécanismes faussent la concurrence dans une mesure contraire à l’intérêt commun. »

 Procédure et conclusions des parties

29      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 juillet 2006, la requérante a introduit le présent recours.

30      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 4 octobre 2006, la République française a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien de la Commission. Par ordonnance du 14 novembre 2006, le président de la première chambre du Tribunal a admis cette intervention. L’intervenante a déposé son mémoire et les autres parties ont déposé leurs observations sur celui-ci dans les délais impartis.

31      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la cinquième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

32      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 22 avril 2010.

33      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable ;

–        annuler la Décision ;

–        statuer comme de droit sur les dépens.

34      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme manifestement dépourvu de tout fondement en droit ;

–        condamner la requérante aux dépens.

35      La République française conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

36      Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité au sens de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal, la Commission conteste la recevabilité du recours, en invoquant l’absence de qualité pour agir de la requérante.

 Arguments des parties

37      La Commission conteste la recevabilité du recours, en soutenant que la requérante n’est pas individuellement concernée par la Décision. En premier lieu, la requérante mettant en cause le bien-fondé de la Décision, elle devrait établir, selon la jurisprudence, son statut particulier, en démontrant que sa position sur le marché est substantiellement affectée, et pas seulement sa position de concurrente par rapport à l’entreprise bénéficiaire de l’aide.

38      La requérante aurait dû effectuer une analyse de marché pour établir les produits spécifiques ou les marchés géographiques pour lesquels elle serait en concurrence avec les bénéficiaires de l’aide (conclusions de l’avocat général M. Jacobs sous l’arrêt de la Cour du 13 décembre 2005, Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, C‑78/03 P, Rec. p. I‑10737, I‑10741, points 117 et 118). Ainsi, elle aurait dû démontrer qu’elle ne peut bénéficier d’aucune des mesures d’aide visées par la Décision et que ce désavantage affecte substantiellement sa position concurrentielle.

39      Dans la duplique, la Commission relève que la requérante ne cherche pas à établir son intérêt direct et individuel à agir en ce qui concerne les mesures de soutien à la production du CNC. La Commission en déduit que la requérante admet implicitement que son recours n’est recevable qu’en ce qu’il vise les obligations d’investissement. Cela s’expliquerait aisément par le fait que la requérante peut bénéficier des mesures de soutien à la production du CNC. Pour la production cinématographique, la requérante bénéficierait notamment des soutiens automatiques à la production et à la distribution ainsi que des aides à l’édition vidéographique. Pour la production audiovisuelle, la requérante bénéficierait directement du soutien du COSIP, par le biais de ses filiales de production, et elle en bénéficierait indirectement pour les programmes que la chaîne préfinance auprès de producteurs délégués. Selon la Commission, en vertu d’une jurisprudence constante, un recours en annulation n’est recevable que dans la mesure où la partie requérante a un intérêt, né et actuel, à voir annuler l’acte attaqué. Or, tel ne serait pas le cas en l’espèce dans la mesure où, à supposer que le Tribunal accueille le recours de la requérante et annule la Décision, en ce qu’elle porte sur les mesures de soutien déclarées compatibles, la requérante serait empêchée de bénéficier des aides en cause et se trouverait dans une situation moins favorable que celle résultant de la Décision.

40      En deuxième lieu, s’agissant des obligations d’investissement, dans l’hypothèse où la Commission aurait commis une erreur en constatant l’absence de ressources d’État, la requérante aurait dû également démontrer l’affectation substantielle de sa position concurrentielle du fait qu’elle ne bénéficierait pas, même potentiellement, des mesures visées.

41      Premièrement, la Commission rappelle que les obligations d’investissement imposent, avec des différences dans leurs modalités, aux éditeurs de services de télévision de dépenser annuellement certains montants dans le financement de la production cinématographique et audiovisuelle. Ces obligations pesant sur tous les éditeurs de services de télévision, le recours de la requérante ne serait, dès lors, pas recevable en ce qu’il vise la qualification de cette mesure comme n’étant pas une aide. À cet égard, la référence par la requérante à la situation réglementaire en vigueur lors du dépôt de ses plaintes en 2001 serait dépourvue de pertinence pour l’examen de la recevabilité du recours, la légalité d’un acte s’appréciant, selon une jurisprudence établie, en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date de son adoption. En outre, quant à la différence de traitement alléguée par la requérante, fondée sur le fait que seuls certains éditeurs de services de télévision diffusés par voie hertzienne en mode numérique seraient concernés par les obligations d’investissement, ce qui impliquerait une discrimination et implicitement une affectation de sa position concurrentielle, la Commission soutient que cette différence est justifiée par des circonstances objectives liées au chiffre d’affaires. Par ailleurs, les éditeurs de services de télévision bénéficiant d’un traitement différent seraient ceux ne diffusant pas ou peu d’œuvres audiovisuelles et n’étant dès lors pas en concurrence avec des éditeurs de services de télévision tels que la requérante, dont une partie substantielle des programmes est constituée d’œuvres audiovisuelles.

42      Deuxièmement, en réponse à la requérante, la Commission et la République française font valoir que les autorités françaises ont choisi, conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle (JO L 298, p. 23), telle que modifiée, d’adopter des dispositions plus strictes que celles de ladite directive et de calculer le montant des obligations d’investissement en fonction du chiffre d’affaires de l’éditeur de services de télévision. En tout état de cause, en application de la réglementation française, tous les éditeurs de services de télévision français seraient soumis aux obligations d’investissement dans les mêmes proportions. Dès lors, selon la Commission, le fait que les dépenses de la requérante à ce titre excèdent celles de ses concurrents, en raison de sa position sur le marché français de la radiodiffusion télévisuelle et de l’importance de son chiffre d’affaires, ne suffit pas à l’individualiser, ce que la requérante semblerait admettre dans la réplique. En effet, la requérante reconnaissant que la mesure porterait préjudice à un groupe étendu d’opérateurs, la Commission fait valoir que, si de nombreux autres opérateurs se trouvent dans la même situation que la requérante, cela démontre que celle-ci ne se trouve pas dans une situation particulière, contrairement aux exigences de l’arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, Rec. p. 197).

43      Troisièmement, la Commission et la République française contestent l’allégation de la requérante selon laquelle les mesures de soutien du CNC et les obligations d’investissement bénéficient à de grands groupes de communication, au lieu de favoriser la production indépendante. En vertu de la réglementation française, tous les éditeurs de services de télévision devraient consacrer les deux tiers de leurs obligations d’investissement à la production audiovisuelle indépendante, selon les mêmes critères. En pratique, la majorité de ces investissements, sous forme d’achats et de préachats, se ferait auprès de producteurs indépendants de tout groupe de communication audiovisuelle. En tout état de cause, même à supposer que le dispositif français avantage ces groupes de communication, la requérante serait défavorisée de la même manière que les autres éditeurs de services de télévision soumis aux mêmes obligations. Les effets du régime français sur la requérante seraient uniquement liés à sa position concurrentielle, dans la mesure où, étant l’éditeur de services de télévision ayant le chiffre d’affaires le plus important, elle financerait, par le biais des obligations d’investissement dans la production indépendante, d’autres producteurs d’œuvres audiovisuelles dans des proportions plus importantes que ses concurrents, mais toujours en fonction d’un élément objectif, à savoir le chiffre d’affaires.

44      En troisième lieu, au regard du droit à la protection juridictionnelle, la Commission souligne qu’elle doit s’en tenir au droit positif et à la jurisprudence consolidée, telle qu’elle résulte notamment de l’arrêt du Tribunal du 13 septembre 2006, British Aggregates/Commission (T‑210/02, Rec. p. II‑2789) (voir, également, arrêt de la Cour du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677, point 40). Ainsi, en théorie, la requérante pourrait refuser de se conformer au régime contraignant des obligations d’investissement et faire valoir devant le juge national l’incompatibilité de ce régime avec le droit communautaire, à charge pour le juge national, le cas échéant, de saisir à titre préjudiciel la Cour de la question de la validité de la Décision.

45      La République française partage la conclusion de la Commission selon laquelle le recours introduit par la requérante est irrecevable, celle-ci n’étant pas individuellement concernée par la Décision.

46      En premier lieu, comme la Commission, la République française soutient que, conformément à une jurisprudence constante, la requérante contestant le bien-fondé de la Décision, son recours ne sera recevable que si elle démontre que sa position concurrentielle est substantiellement affectée par la mesure en cause. La République française souligne également, en ce qui concerne la référence par la requérante aux conclusions de l’avocat général M. Jacobs sous l’arrêt Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, point 38 supra, qu’il suffit de rappeler que la Cour a confirmé, dans cet arrêt, l’exigence d’une affectation substantielle de la position concurrentielle de la partie requérante. À cet égard, comme la Commission, la République française avance que la requérante ne peut pas invoquer seulement la qualité de partie intéressée au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE et l’existence d’un rapport de concurrence, mais qu’elle doit démontrer l’importance de l’atteinte à sa position sur le marché. Enfin, contrairement aux affirmations de la requérante, la Commission aurait adopté la Décision en réponse à la notification par les autorités françaises, le 24 mai 2004, de l’ensemble des régimes d’aides au cinéma et à l’audiovisuel, et non à la suite de la plainte de la requérante du 3 octobre 2001.

47      En deuxième lieu, la requérante n’aurait pas démontré l’affectation substantielle de sa position concurrentielle par la Décision. Premièrement, en réponse à la requérante, la République française fait valoir, comme la Commission, que les autorités françaises ont choisi de calculer le montant des obligations d’investissement en fonction du chiffre d’affaires de l’éditeur de services de télévision et que le fait que les dépenses de la requérante excèdent celles de ses concurrents, en raison de sa position sur le marché français de la radiodiffusion télévisuelle et de l’importance de son chiffre d’affaires, ne saurait suffire à l’individualiser, ce que la requérante semblerait admettre dans la réplique (voir point 42 ci-dessus).

48      Deuxièmement, s’agissant de l’allégation de la requérante selon laquelle les mesures de soutien du CNC et les obligations d’investissement bénéficieraient à de grands groupes de communication, au lieu de favoriser la production indépendante, la République française ajoute que, s’agissant du tiers de ses obligations d’investissement, la requérante demeure libre, comme les autres éditeurs de services de télévision, d’investir auprès du producteur de son choix, notamment dans ses propres filiales. À titre d’exemple, la République française cite des chiffres pour l’année 2005 concernant les investissements de la requérante dans des productions audiovisuelle et cinématographique.

49      Troisièmement, dans le cadre de ses obligations d’investissement à l’égard de la production indépendante, la requérante pourrait détenir des droits exclusifs sur une période relativement longue, de 42 mois, et non de 18 mois comme elle le prétend. En dehors de ces obligations, les éditeurs de services de télévision conserveraient la maîtrise économique des œuvres qu’ils financent, disposant d’une grande marge de manœuvre tant au stade de la production, par le choix des formes d’intervention pour le financement, qu’au stade de l’exploitation, s’agissant de la durée des droits, des rachats et de l’exploitation sur plusieurs supports.

50      En troisième lieu, la requérante ne serait pas, en tout état de cause, en mesure de démontrer l’affectation substantielle de sa position concurrentielle. Premièrement, s’agissant des obligations d’investissement dans la production audiovisuelle et cinématographique, la requérante y serait assujettie au même titre que l’ensemble des éditeurs de services de télévision français, en fonction de son chiffre d’affaires. Deuxièmement, la République française, comme la Commission, s’interroge sur l’intérêt pour la requérante, bénéficiant des mesures de soutien au cinéma et à l’audiovisuel, d’obtenir l’annulation de la Décision déclarant ces mesures compatibles (voir point 39 ci-dessus).

51      La requérante soutient être directement et individuellement concernée par la Décision. Concernant son intérêt direct à introduire un recours contre la Décision, elle prétend que toute entreprise concurrente de celle bénéficiaire d’une aide dispose d’un intérêt à obtenir l’annulation de la décision de la Commission déclarant cette aide compatible avec le marché commun, une telle annulation conduisant à la réouverture de l’examen de la compatibilité de l’aide. En outre, l’aide en cause aurait déjà été octroyée, de sorte que la Décision permettrait le maintien d’une aide dont la requérante demanderait la suppression depuis 2001. La requérante souligne, dans la réplique, que cet intérêt direct n’est pas contesté par la Commission.

52      Par ailleurs, selon la jurisprudence, l’intérêt individuel de la requérante serait établi dès lors que sa position sur le marché est affectée par les mesures d’aide qui font l’objet de la Décision. En premier lieu, la requérante considère que les deux conditions posées par la Commission, dans le mémoire en défense, vont au-delà de celles établies par la jurisprudence. Tout d’abord, s’agissant de la condition relative à la circonstance qu’elle n’ait pas bénéficié des mesures d’aide visées par la Décision, la requérante prétend qu’elle dispose de la qualité pour agir, étant une partie intéressée au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE et de l’article 1er, sous h), du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1). Ensuite, lorsque la requête est fondée sur des moyens liés au bien-fondé de la Décision, une partie requérante devrait établir sa situation particulière, celle-ci pouvant être déduite de l’affectation de sa position concurrentielle et, le cas échéant, de son intervention dans la procédure préliminaire. Toute autre solution reviendrait à méconnaître le fait qu’une mesure d’aide d’apparence générale peut en réalité ne favoriser que certains opérateurs ou activités déterminés, même si elle peut en théorie bénéficier à tous.

53      En deuxième lieu, la requérante soutient que, en l’espèce, sa position concurrentielle est affectée sur le marché de la radiodiffusion télévisuelle à accès libre et sur le marché de l’acquisition des droits et contenus audiovisuels. En effet, la Décision maintiendrait un système de contributions obligatoires en faveur de la production audiovisuelle, en déclarant soit que les obligations d’investissement ne constituent pas une aide d’État, soit que les mesures de soutien du CNC constituent une aide compatible avec le marché commun. Ces difficultés seraient à l’origine des plaintes de la requérante.

54      Premièrement, les mesures de soutien dénoncées, avalisées dans la Décision, créeraient un désavantage concurrentiel, en limitant la possibilité pour la requérante de développer son activité de production, pour les deux tiers des dépenses liées aux obligations d’investissement, et contribueraient à favoriser les groupes de communication concurrents de la requérante. S’agissant de sa prétendue maîtrise économique des œuvres qu’elle finance, la requérante fait valoir, en réponse à la République française, que le niveau de ses obligations d’investissement est tel qu’il structure de facto l’utilisation de l’ensemble de ses capacités d’investissement.

55      Deuxièmement, ainsi que la requérante l’aurait amplement expliqué dans ses plaintes, le régime français de soutien à l’industrie cinématographique et audiovisuelle aboutirait à ce qu’elle contribue, par le paiement de la Taxe finançant le COSIP et de la subvention octroyée par ce dernier à des producteurs indépendants, à financer ses propres concurrents. En effet, du fait de la définition du « producteur indépendant » par la réglementation française, nombre de ces producteurs seraient contrôlés par les concurrents de la requérante et un nombre significatif d’entre eux seraient détenus par des grands groupes de communication soit ayant une activité de radiodiffusion (câble, satellite, hertzien terrestre en mode numérique, télévision par Internet), soit étant actifs dans la production audiovisuelle, soit cumulant ces deux types d’activités.

56      À cet égard, la requérante conteste les données chiffrées, relatives à l’année 2005, avancées par la République française. Parmi les 26 producteurs qualifiés d’indépendants au regard de la réglementation française, et avec lesquels la requérante aurait contracté au cours de l’année 2005, seuls neuf seraient des producteurs véritablement indépendants de tout éditeur de services de télévision. Parmi les 17 autres, huit seraient des filiales de groupes audiovisuels et neuf des entreprises intégrées dans des groupes industriels leur conférant un poids économique significatif et cumulant, pour la plupart, les qualités de producteur et de distributeur. La requérante relève que ces 17 partenaires commerciaux sont pour la plupart des entreprises importantes et économiquement fortes, qui ne correspondent pas à la définition du « producteur indépendant », établie au considérant 23 de la directive 89/552. La requérante souligne qu’il suffit de constater que, dans le classement des producteurs de fiction en première partie de soirée pour l’année 2005, le premier bénéficiaire de la réglementation française relative aux mesures de soutien à la production et aux obligations d’investissement est, par le biais de cinq filiales, un groupe. Ce même classement révélerait également que, parmi les dix producteurs les plus importants pour l’année 2005, ne figurerait aucun producteur véritablement indépendant au sens de la lettre et de l’esprit de la directive 89/552.

57      Troisièmement, ces grands groupes de communication pourraient bénéficier du régime de soutien, sans avoir dû participer à son financement. Outre le bénéfice du soutien du COSIP par l’intermédiaire de leurs producteurs intégrés, ils pourraient détenir, sur les œuvres produites, des droits de coproduction illimités dans le temps, qu’ils pourraient ensuite revendre, notamment à la requérante. Dès lors, ces grands groupes seraient largement avantagés dans la constitution de catalogues d’œuvres et dans la diffusion des œuvres sur d’autres plates-formes, notamment par voie hertzienne terrestre en mode numérique, par satellite, Internet et téléphonie de la troisième génération. Des groupes, forts de ces catalogues déjà constitués, diffuseraient dorénavant par voie hertzienne terrestre en mode numérique, en concurrence directe avec la requérante.

58      En revanche, les éditeurs de services de télévision ne pourraient pas, en pratique, se constituer de catalogues de droits dans la mesure où ils ne pourraient pas détenir de parts de coproduction sur les œuvres audiovisuelles financées au titre de leurs obligations d’investissement auprès d’entreprises de production indépendantes, celles-ci représentant les deux tiers de leurs dépenses au titre des obligations d’investissement. Ils ne pourraient acquérir que des « parts antenne », à savoir des droits de diffusion sur ces œuvres, limités à un certain nombre de diffusions sur une période réduite.

59      En outre, face à la pression constante de ces groupes de communication concurrents, la requérante et les autres éditeurs de services de télévision se trouveraient commercialement contraints, à l’expiration de leurs droits de diffusion, dont la durée d’exclusivité serait limitée à 18 mois, de racheter les œuvres audiovisuelles qu’ils ont financées. En effet, les séries phares des chaînes françaises continuant à être produites sur des durées dépassant la durée initiale des droits de diffusion des premiers épisodes, le rachat de ces droits serait indispensable afin d’éviter que ces épisodes ne soient diffusés sur des chaînes concurrentes. En réponse à la République française invoquant la grande marge de manœuvre des éditeurs de services de télévision au stade de l’exploitation des œuvres et la durée des droits de diffusion, la requérante affirme que cette durée et le nombre de diffusions permises au cours de celle-ci sont strictement encadrés par la réglementation française.

60      Quatrièmement, dans la réplique, la requérante ajoute que, en vertu de la réglementation française, le montant des obligations d’investissement est calculé à partir du chiffre d’affaires, et non du budget de programmation de la chaîne, comme le prévoit l’article 5 de la directive 89/552. Dès lors, les dépenses de la requérante à ce titre excéderaient largement celles de ses concurrents, notamment France 2, France 3 et M6, au détriment de la liberté d’affectation de son budget et de ses choix en matière de programmation, ce qui contribuerait à l’individualiser par rapport à ses concurrents. La requérante rappelle également que la contribution au développement de la production d’œuvres audiovisuelles ne visait, à la date du dépôt de sa plainte en 2001, que les éditeurs de services de télévision diffusés en clair par voie hertzienne terrestre en mode analogique, à savoir la requérante, les deux chaînes publiques et M6, les autres groupes de communication actifs en France qui n’exploitaient pas de chaînes de ce type échappant à ces obligations. Si la législation a progressivement évolué pour imposer le même type d’obligations aux autres éditeurs de services de télévision, les obligations imposées n’auraient pas été aussi contraignantes et les montant investis pas aussi importants que ceux imposés à la requérante. En tout état de cause, le fait que la Décision pourrait affecter également d’autres opérateurs et qu’elle serait susceptible de causer un préjudice plus étendu constituerait une raison supplémentaire d’admettre la recevabilité du recours.

61      Cinquièmement, s’agissant du bénéfice direct et indirect que la requérante tirerait du régime de soutien à la production audiovisuelle, la requérante conteste les affirmations de la République française. À cet égard, elle prétend ne pas bénéficier indirectement des mesures de soutien du CNC. D’une part, le soutien financier du CNC pour une production donnée profiterait exclusivement au producteur, notamment en créditant son compte ouvert auprès du CNC et en permettant de générer automatiquement de nouvelles aides. En revanche, il ne soulagerait pas le poids des obligations d’investissement de l’éditeur de services de télévision. Dès lors, le soutien financier apporté aux producteurs qui ne sont pas des filiales de la requérante ne lui procurerait pas de bénéfice. D’autre part, l’octroi de ce soutien du CNC, fondé sur l’engagement financier d’un éditeur de services de télévision, tel que la requérante, à hauteur de 25 % au minimum du montant du devis de la production, ne viendrait aucunement diminuer les obligations réglementaires ou alléger les charges de cet éditeur. Par ailleurs, la requérante qualifie de marginal le montant du bénéfice direct reçu, par le truchement de ses filiales, du régime de soutien à la production audiovisuelle. Un tiers seulement des obligations d’investissement pourrait éventuellement être réalisé avec ses filiales de production, dont un petit nombre produirait des œuvres de stock et seules deux auraient bénéficié, en 2005, d’un soutien financier du CNC pour un montant total très inférieur au montant de la Taxe dont la requérante aurait dû s’acquitter la même année.

62      En troisième lieu, la requérante soutient que, selon la jurisprudence, le statut particulier d’une partie requérante, au sens de l’arrêt Plaumann/Commission, point 42 supra, ne découle pas exclusivement de l’affectation substantielle de sa position concurrentielle sur le marché (arrêt du Tribunal du 10 mai 2006, Air One/Commission, T‑395/04, Rec. p. II‑1343, point 32). En outre, elle relève que l’avocat général M. Jacobs, dans ses conclusions sous l’arrêt Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, point 38 supra, aux points 141 et 142, plaide clairement en faveur d’une application du critère de l’intérêt individuel qui ne serait plus exclusivement circonscrit à cette seule affectation. D’autres considérations pourraient être prises en compte, comme le fait que les plaintes de la requérante en 2001 et leur complément en janvier 2006 soient, contrairement aux affirmations de la République française, à l’origine de la Décision. La Commission ne le contesterait pas et la Décision y ferait d’ailleurs référence et y répondrait directement.

63      En quatrième lieu, une interprétation excessivement restrictive de la notion d’intérêt individuel à agir, telle que celle avancée par la Commission, conduirait à priver la requérante de son droit à une protection juridictionnelle effective. En effet, à défaut de disposer d’un recours devant le Tribunal, la requérante se verrait privée de toute possibilité de débattre au fond de la nature d’aide d’État des obligations d’investissement.

 Appréciation du Tribunal

64      Aux termes de l’article 230, quatrième alinéa, CE, toute personne physique ou morale peut former un recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l’apparence d’un règlement ou d’une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement.

65      En l’espèce, la Décision ayant été adressée à la République française, il convient d’examiner si celle-ci concerne la requérante directement et individuellement.

66      Quant à la condition relative à l’affectation individuelle, selon une jurisprudence constante, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire de la décision le serait (arrêts de la Cour Plaumann/Commission, point 42 supra, p. 223 ; du 19 mai 1993, Cook/Commission, C‑198/91, Rec. p. I‑2487, point 20 ; du 15 juin 1993, Matra/Commission, C‑225/91, Rec. p. I‑3203, point 14 ; Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, point 38 supra, point 33, et du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, Rec. p. I‑10505, point 26).

67      Il appartient dès lors au Tribunal de vérifier si, en l’espèce, la requérante peut être considérée comme individuellement concernée par la Décision.

68      Dans la présente affaire, la requérante entend obtenir du Tribunal l’annulation d’une décision adoptée à l’issue de la procédure préliminaire d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 3, CE.

69      À cet égard, il importe de rappeler que, dans le cadre de la procédure de contrôle des aides d’État prévue à l’article 88 CE, doivent être distinguées, d’une part, la phase préliminaire d’examen des aides instituée par le paragraphe 3 de cet article, qui a seulement pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la compatibilité partielle ou totale de l’aide en cause et, d’autre part, la phase d’examen visée au paragraphe 2 de ce même article. Ce n’est que dans le cadre de celle-ci, qui est destinée à permettre à la Commission d’avoir une information complète sur l’ensemble des données de l’affaire, que le traité CE prévoit l’obligation, pour la Commission, de mettre en demeure les intéressés de présenter leurs observations (arrêts Cook/Commission, point 66 supra, point 22 ; Matra/Commission, point 66 supra, point 16 ; Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, point 38 supra, point 34, et du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, point 66 supra, point 27).

70      Lorsque, sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, la Commission constate, par une décision prise sur le fondement du paragraphe 3 de ce même article, qu’une aide est compatible avec le marché commun, les bénéficiaires de ces garanties de procédure ne peuvent en obtenir le respect que s’ils ont la possibilité de contester devant le juge communautaire cette décision. Pour ces motifs, celui-ci déclare recevable un recours visant à l’annulation d’une telle décision, introduit par un intéressé au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE, lorsque l’auteur de ce recours tend, par l’introduction de celui-ci, à faire sauvegarder les droits procéduraux qu’il tire de cette dernière disposition (voir arrêts Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, point 38 supra, point 35, et la jurisprudence citée, et du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, point 66 supra, point 28).

71      La Cour a eu l’occasion de préciser que de tels intéressés au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE sont les personnes, les entreprises ou les associations éventuellement affectées dans leurs intérêts par l’octroi d’une aide, c’est-à-dire en particulier les entreprises concurrentes des bénéficiaires de cette aide et les organisations professionnelles (voir arrêts Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, point 38 supra, point 36, et la jurisprudence citée, et du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, point 66 supra, point 29).

72      En revanche, si le requérant met en cause le bien-fondé de la décision d’appréciation de l’aide en tant que telle, le simple fait qu’il puisse être considéré comme intéressé au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE ne saurait suffire pour admettre la recevabilité du recours. Il doit alors démontrer qu’il a un statut particulier au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt Plaumann/Commission, point 42 supra. Il en serait notamment ainsi lorsque la position du requérant sur le marché serait substantiellement affectée par l’aide faisant l’objet de la décision en cause (arrêts de la Cour Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, point 38 supra, point 37, et du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, point 66 supra, point 30 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission, 169/84, Rec. p. 391, points 22 à 25).

73      En l’espèce, il y a lieu de préciser tout d’abord que la portée générale de la Décision, qui résulte de ce que celle-ci a notamment pour objet d’autoriser des régimes d’aides, qui s’appliquent à une catégorie d’opérateurs définis de manière générale et abstraite, n’est pas de nature à tenir en échec l’application de la jurisprudence précitée (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, point 66 supra, point 31).

74      Par ailleurs, il convient de relever que la requérante a avancé, à l’appui de son recours, trois moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation de l’obligation de motivation. Le deuxième moyen est pris d’une violation de l’article 87, paragraphe 1, CE. Le troisième moyen est fondé sur une violation de l’article 87, paragraphe 3, sous d), CE.

75      Force est de constater qu’aucun de ces moyens d’annulation ne vise à faire constater l’existence de difficultés sérieuses soulevées par les mesures de soutien en cause au regard de leur qualification d’aide d’État ou de leur compatibilité avec le marché commun, difficultés qui auraient placé la Commission dans l’obligation d’ouvrir la procédure formelle. La requérante ne met pas en cause le refus de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen visée à l’article 88, paragraphe 2, CE et elle n’invoque pas la violation des droits procéduraux découlant de cette disposition, mais elle vise exclusivement à obtenir l’annulation de la Décision sur le fond, ainsi qu’elle l’a confirmé lors de l’audience en réponse à une question du Tribunal, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal d’audience.

76      Le présent recours ne visant donc pas à la sauvegarde des droits procéduraux de la requérante, le simple fait que celle-ci puisse être considérée comme intéressée au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE ne saurait suffire pour admettre la recevabilité du recours. Elle doit dès lors démontrer qu’elle a un statut particulier au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt Plaumann/Commission, point 42 supra, notamment parce que sa position sur le marché serait substantiellement affectée par les mesures faisant l’objet de la Décision.

77      À cet égard, il convient de rappeler qu’une entreprise ne saurait se prévaloir uniquement de sa qualité de concurrente par rapport à l’entreprise bénéficiaire de la mesure en cause, mais doit démontrer en outre l’importance de l’atteinte de sa position sur le marché (arrêts de la Cour du 23 mai 2000, Comité d’entreprise de la Société française de production e.a./Commission, C‑106/98 P, Rec. p. I‑3659, points 40 et 41, et du 22 novembre 2007, Espagne/Lenzing, C‑525/04 P, Rec. p. I‑9947, point 33 ; arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Werkgroep Commerciële Jachthavens Zuidelijke Randmeren e.a./Commission, T‑117/04, Rec. p. II‑3861, point 53).

78      En l’espèce, ainsi que la requérante l’a confirmé lors de l’audience en réponse à une question du Tribunal, l’affectation de sa position concurrentielle doit être examinée par rapport aux bénéficiaires des mesures d’aides en cause. Dès lors, les mesures en cause visant au soutien de la production cinématographique et audiovisuelle, il y a lieu de considérer qu’elles bénéficient à des opérateurs ayant une activité de production dans les domaines cinématographique et audiovisuel, ou à tout le moins dans l’un de ces domaines selon les mesures visées. Il est par ailleurs constant que la requérante, qui est un éditeur de services de télévision, est également active dans la production d’œuvres et peut être, à ce titre, également bénéficiaire des mesures de soutien en cause.

79      La requérante identifie, comme opérateurs par rapport auxquels sa position concurrentielle serait affectée, les autres éditeurs de services de télévision et de grands groupes de communication audiovisuelle. De surcroît, la requérante avance que sa position serait affectée sur le marché de la radiodiffusion télévisuelle à accès libre et sur le marché de l’acquisition des droits et contenus audiovisuels.

80      Toutefois, force est de constater que la requérante n’a pas établi de manière concrète et précise en quoi sa position concurrentielle serait affectée de façon substantielle, notamment sur ces deux marchés, par rapport à ces concurrents, éditeurs de services de télévision et grands groupes de communication audiovisuelle, bénéficiaires des mesures en cause.

81      En premier lieu, la requérante n’a pas apporté d’éléments permettant de conclure que sa position concurrentielle est affectée de manière substantielle par rapport aux autres éditeurs de services de télévision, tant en ce qui concerne les obligations d’investissement que les mesures de soutien du CNC contestées.

82      S’agissant, tout d’abord, des obligations d’investissement, force est de constater, premièrement, que la requérante n’avance aucun argument soutenant que les autres éditeurs de services de télévision – lesquels peuvent bénéficier de ces mesures pour leur éventuelle activité de production – sont soumis à des conditions différentes de celles imposées à la requérante pour en bénéficier et qui seraient de nature à engendrer une affectation substantielle de sa position concurrentielle.

83      Deuxièmement, la requérante fait valoir que le montant de ses dépenses au titre des obligations d’investissement excède largement le montant de celles de ses concurrents, notamment France 2, France 3 et M6, au détriment de la liberté d’affectation de son budget et de ses choix en matière de programmation, ce qui contribue à l’individualiser par rapport à ces derniers. Toutefois, ainsi que la requérante l’a confirmé lors de l’audience en réponse à une question du Tribunal, les éditeurs de services de télévision avec lesquels elle se trouve en situation de concurrence étaient, en vertu des mesures faisant l’objet de la Décision, également tenus aux obligations d’investissement. En outre, il y a lieu de relever que le montant de ces obligations est déterminé par l’application d’un pourcentage au chiffre d’affaires de l’éditeur de services de télévision concerné pour l’année précédente (voir point 26 ci-dessus). Par conséquent, le fait que, en vertu de la réglementation française, les concurrents cités par la requérante soient tenus aux obligations d’investissement dans les mêmes proportions que celle-ci, en raison de l’application du même pourcentage à leur chiffre d’affaires, conduit à conclure, à l’instar de la Commission et de la République française, que, si tant est qu’il soit avéré que le montant des dépenses de la requérante excède celui des dépenses desdits concurrents, cette circonstance n’est que la conséquence du fait que son chiffre d’affaires est supérieur au leur. La requérante ne saurait dès lors invoquer ladite circonstance aux fins de démontrer un statut particulier au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt Plaumann/Commission, point 42 supra. De surcroît, la requérante n’a apporté aucun élément démontrant l’affectation substantielle de sa position concurrentielle, à la date d’adoption de la Décision, du fait de l’application d’un pourcentage particulier à d’autres éditeurs de services de télévision.

84      Troisièmement, contrairement aux allégations de la requérante, le fait que le montant des obligations d’investissement soit calculé par référence au chiffre d’affaires de l’éditeur de services de télévision concerné, et non par rapport à son budget de programmation, comme le prévoirait l’article 5 de la directive 89/552, ne permet pas de conclure au caractère particulier du statut de la requérante. En effet, d’une part, la requérante n’a pas démontré en quoi ce mode de calcul la placerait dans une situation différente de celle de ses concurrents, éditeurs de services de télévision, la requérante soulignant d’ailleurs que d’autres éditeurs de tels services pouvaient se trouver dans une situation semblable à la sienne. D’autre part, il n’appartient pas au Tribunal d’examiner, dans le cadre du présent recours, la réglementation française en cause au regard de la directive 89/552.

85      Quatrièmement, s’agissant de l’obligation de consacrer au moins les deux tiers des dépenses au titre des obligations d’investissement dans la production audiovisuelle, ainsi qu’au moins les trois quarts des dépenses au titre des obligations d’investissement dans la production cinématographique, au développement de la production indépendante (voir point 9 ci-dessus), il convient de relever que la définition de la « production indépendante » dans la réglementation française implique notamment que le producteur soit indépendant de l’éditeur de services de télévision commanditaire de l’œuvre concernée (point II, paragraphe 249, de la Décision), ce que les parties ont confirmé lors de l’audience. Partant, même si une telle contrainte peut entraîner, comme la requérante le fait valoir, une limitation dans la possibilité de développer son activité de production, force est de constater qu’elle n’indique pas en quoi sa situation diffère de celle des autres éditeurs de services de télévision avec lesquels elle se trouve en situation de concurrence.

86      Par conséquent, il découle de ce qui précède que la requérante n’a pas démontré que, en ce qui concerne les obligations d’investissement, sa position concurrentielle était affectée de manière substantielle par rapport à celle des autres éditeurs de services de télévision.

87      S’agissant, ensuite, des mesures de soutien du CNC contestées dans le cadre du présent recours, la requérante n’avance aucun argument destiné à démontrer sa situation particulière par rapport aux autres éditeurs de services de télévision. Au demeurant et à titre surabondant, il y a lieu de relever que l’obligation pour un producteur, aux fins de pouvoir bénéficier de ces mesures, de disposer du financement d’un éditeur de services de télévision et la condition corrélative d’indépendance de ce producteur par rapport à l’éditeur de services de télévision fournissant ce financement s’imposent de la même manière à la requérante et aux autres éditeurs de services de télévision, ce que celle-ci ne conteste pas.

88      Quant au financement de ces mesures de soutien du CNC, notamment par le versement de la Taxe par les éditeurs de services de télévision, la requérante a confirmé, lors de l’audience et en réponse à une question du Tribunal, que ses concurrents, éditeurs de services de télévision, sont soumis à la Taxe. Or, force est de constater que celle-ci est assise sur le chiffre d’affaires des éditeurs de services de télévision et que le montant dû est calculé par l’application, à celui-ci, d’un pourcentage. Dès lors, la requérante ne saurait être considérée comme individualisée par rapport aux autres éditeurs de services de télévision avec lesquels elle se trouve dans un rapport de concurrence.

89      Partant, il convient de considérer que la requérante n’a pas démontré que sa position concurrentielle était affectée de manière substantielle à l’égard des autres éditeurs de services de télévision en ce qui concerne les mesures de soutien du CNC contestées.

90      En second lieu, s’agissant de l’allégation de la requérante selon laquelle sa position concurrentielle serait affectée par rapport à de grands groupes de communication audiovisuelle, il convient de relever que la requérante ne définit pas précisément lesdits groupes et qu’elle n’indique pas de manière suffisamment précise dans quel rapport de concurrence elle se situe par rapport à ceux-ci.

91      Or, il y a lieu de rappeler que la position concurrentielle de la requérante doit être examinée par rapport à celle des bénéficiaires des mesures en cause. Il en découle que les grands groupes de communication audiovisuelle que la requérante vise doivent avoir, à tout le moins, des activités dans la production d’œuvres. Par ailleurs, pour autant que ces groupes sont également actifs dans la radiodiffusion télévisuelle, force est de constater que la requérante ne précise aucunement en quoi leur situation diffère alors de celle, examinée aux points 81 à 89 ci-dessus, des éditeurs de services de télévision ayant une activité de production.

92      Dans ces conditions, il convient de considérer que l’évocation par la requérante d’une affectation de sa position concurrentielle par rapport à de grands groupes de communication audiovisuelle n’est pas suffisamment circonstanciée et étayée afin de permettre de constater l’existence d’une affectation individuelle de la requérante. À cet égard, il convient de rappeler qu’il n’appartient pas au Tribunal de procéder par voie de conjectures quant aux raisonnements et aux considérations précises, tant factuelles que juridiques, de nature à sous-tendre les contestations du recours (ordonnance du Tribunal du 19 mai 2008, TF1/Commission, T‑144/04, Rec. p. II‑761, point 57).

93      Eu égard à tout ce qui précède, il convient de conclure que la requérante n’a pas démontré à suffisance de droit l’affectation substantielle de sa position concurrentielle et qu’elle ne saurait être considérée comme étant individuellement concernée par la Décision. Par conséquent, elle n’a pas qualité pour agir.

94      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument de la requérante tiré de ce que, dans 1’hypothèse où le présent recours devrait être déclaré irrecevable, elle ne disposerait d’aucun moyen de contester la Décision. En effet, il suffit de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, les conditions de recevabilité d’un recours en annulation ne sauraient être écartées en raison de l’interprétation que fait la partie requérante du droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi, en ce qui concerne spécifiquement le domaine faisant l’objet du présent recours, la Cour a eu l’occasion de préciser qu’un particulier, qui n’est pas directement et individuellement concerné par une décision de la Commission en matière d’aides d’État et qui, partant, n’est pas éventuellement affecté dans ses intérêts par la mesure étatique faisant l’objet de cette décision, ne saurait se prévaloir du droit à une protection juridictionnelle à l’égard d’une telle décision (voir arrêt de la Cour du 22 novembre 2007, Sniace/Commission, C‑260/05 P, Rec. p. I‑10005, points 64 et 65, et la jurisprudence citée). Or, il ressort des éléments exposés ci-dessus qu’une de ces deux conditions fait précisément défaut en l’espèce, la requérante n’ayant pas établi qu’elle était individuellement concernée par la Décision. Il s’ensuit que la requérante n’est pas fondée à soutenir que le fait de déclarer le présent recours irrecevable porterait atteinte à son droit à une protection juridictionnelle effective.

95      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le présent recours doit être rejeté comme irrecevable.

 Sur les dépens

96      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il convient de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

97      Par ailleurs, aux termes de l’article 87, paragraphe 4, du même règlement, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La République française supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      Télévision française 1 SA (TF1) est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

3)      La République française supportera ses propres dépens.

Vilaras

Prek

Ciucă

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 septembre 2010.

Signatures


* Langue de procédure : le français.