Language of document : ECLI:EU:T:2006:26

DOCUMENT DE TRAVAIL


ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

26 janvier 2006 (*)

« Aide d’État – Régime d’exonération fiscale appliqué aux provisions constituées par les centrales nucléaires établies en Allemagne aux fins de l’élimination de leurs déchets radioactifs et de la mise à l’arrêt définitif de leurs installations – Décision constatant l’absence d’aide d’État au terme de la phase préliminaire d’examen – Recours en annulation »

Dans l’affaire T-92/02,

Stadtwerke Schwäbisch Hall GmbH, établie à Schwäbisch Hall (Allemagne),

Stadtwerke Tübingen GmbH, établie à Tübingen (Allemagne),

Stadtwerke Uelzen GmbH, établie à Uelzen (Allemagne),

représentées par Me D. Fouquet, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M.V. Kreuschitz, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par

E.ON Kernkraft GmbH, établie à Hannovre (Allemagne),

RWE Power AG, établie à Essen (Allemagne),

EnBW Energie Baden-Württemberg AG, établie à Karlsruhe (Allemagne),

Hamburgische Electricitäts-Werke AG, établie à Hambourg (Allemagne),

représentées par Mes U. Karpenstein et D. Sellner, avocats,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2001) 3967 finale de la Commission, du 11 décembre 2001, constatant que le régime allemand d’exonération fiscale des provisions constituées par les centrales nucléaires aux fins de l’élimination de leurs déchets radioactifs et de la mise à l’arrêt définitif de leurs installations ne constitue pas une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de MM. H. Legal, président, P. Mengozzi et Mme I. Wiszniewska-Białecka, juges,

greffier : M. I. Natsinas, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 mars 2005,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1       Selon l’article 249, paragraphe 1), première phrase, du Handelsgesetzbuch (code de commerce allemand, ci-après le « HGB »), des provisions pour dettes incertaines et pour risques de pertes résultant d’opérations en cours doivent être constituées. Les provisions sont éligibles au passif du bilan de l’entreprise, entraînant à due concurrence la réduction de l’assiette de l’impôt.

2       Aux termes de l’article 252, paragraphe 1), point 3, du HGB, les actifs et les dettes de l’entreprise doivent faire l’objet d’une évaluation individuelle au jour de la clôture du bilan.

3       Selon l’article 252, paragraphe 1), point 4, du HGB, l’évaluation des actifs et des dettes figurant au bilan annuel doit être effectuée selon le principe de prudence. À cet égard, il doit être tenu compte de tous les risques et pertes prévisibles.

4       Toutefois, en vertu de l’article 253, paragraphe 1), seconde phrase, du HGB, les provisions ne doivent être comptabilisées qu’à concurrence du montant nécessaire évalué selon une appréciation commerciale raisonnable.

5       Aux termes de l’article 5, paragraphe 1), de l’Einkommensteuergesetz (loi relative à l’impôt sur le revenu, ci-après l’« EStG »), l’actif des entreprises assujetties doit être estimé à la date de clôture de l’exercice, conformément aux règles d’évaluation d’une comptabilité commerciale régulière.

6       Selon la jurisprudence du Bundesfinanzhof (Cour fédérale allemande des finances, ci‑après le « BFH »), les provisions ne peuvent être légalement constituées que pour autant qu’elles sont affectées au financement d’obligations dont :

–       la cause économique survient au cours de la période précédant la date de clôture du bilan ;

–       la survenance ultérieure est probable, même si son montant peut demeurer incertain ;

–       la charge doit être sérieusement escomptée par le débiteur.

7       En outre, le BFH subordonne la constitution de provisions pour des obligations de droit public à venir à la condition que celles-ci soient suffisamment concrétisées par la loi elle-même ou par une disposition de l’autorité compétente.

8       Lorsque cette concrétisation est le fait d’une loi, celle-ci doit :

–       fixer une action matérielle bien définie ;

–       prescrire l’exécution de cette action au cours d’une certaine période ;

–       prévoir des sanctions assurant le caractère exécutoire de l’obligation en cause.

9       Les centrales nucléaires établies en Allemagne sont légalement tenues de constituer des provisions pour couvrir les coûts de l’élimination de leurs éléments combustibles irradiés (retraitement et stockage définitif direct) et de leurs déchets radioactifs, d’une part, et de la mise à l’arrêt définitif de leurs installations (frais de déclassement, de confinement et de démantèlement de leurs installations, à l’inclusion du traitement du noyau résiduel), d’autre part.

10     Ces obligations ont été concrétisées par le Gesetz über die friedliche Verwendung der Kernenergie und den Schutz gegen ihre Gefahren – Atomgesetz (loi relative à l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire et à la protection contre les risques corrélatifs, ci-après l’« AtG »), tel que modifié par le Gesetz zur geordneten Beendigung der Kernenergienutzung zur gewerblichen Erzeugung von Elektrizität (loi relative à l’arrêt programmé de l’utilisation de l’énergie nucléaire pour la production industrielle d’électricité), entré en vigueur le 27 avril 2002, à la suite de l’accord du 14 juin 2000 conclu entre le gouvernement fédéral et les entreprises de fourniture d’énergie.

11     L’article 7, paragraphe 1a), de l’AtG dispose que l’autorisation d’exploitation d’une centrale expire lorsque est épuisé le quota de production qui lui est imparti par l’annexe 3 de l’AtG ou le quota résultant de transferts opérés entre centrales conformément à l’article 7, paragraphe 1b).

12     L’article 7, paragraphe 3), de l’AtG soumet à autorisation la fermeture d’une centrale nucléaire, de même que le confinement sécurisé des installations ayant fait l’objet d’une mise à l’arrêt définitif et le démontage des installations ou de parties d’installations.

13     L’article 9a de l’AtG, intitulé « Traitement des résidus radioactifs et élimination des déchets radioactifs », dispose, en son paragraphe 1), que quiconque exploite, ferme ou démantèle une installation utilisant des combustibles nucléaires veille à ce que les résidus radioactifs produits et les parties radioactives d’installations démontées soient traités conformément aux objectifs d’utilisation pacifique et sécurisée de l’énergie nucléaire poursuivis par la loi ou régulièrement éliminés en tant que déchets radioactifs (stockage final direct).

14     L’article 9a, paragraphe 1a), de l’AtG oblige les exploitants de centrales nucléaires à démontrer qu’ils ont adopté les mesures préventives conformes à leurs obligations légales en matière de combustibles nucléaires irradiés existants ou à venir, en ce compris les déchets radioactifs soumis à retrait en cas de retraitement des combustibles nucléaires irradiés.

15     Aux fins de l’élimination régulière des déchets, l’article 9a, paragraphe 1b), de l’AtG exige la preuve de la garantie d’un entreposage sécurisé des combustibles nucléaires irradiés, ainsi que des déchets radioactifs provenant du retraitement des combustibles dans des installations de stockage provisoire, jusqu’à leur dépôt dans un site aménagé aux fins du stockage définitif des déchets radioactifs.

16     Selon l’article 9a, paragraphe 3), de l’AtG, les Länder et la Fédération sont tenus d’aménager, respectivement, des sites affectés au stockage provisoire des déchets radioactifs et des installations de sécurisation et de stockage définitif de ces déchets. À cet effet, ils peuvent recourir à l’intervention de tiers.

17     L’article 21a de l’AtG soumet au prélèvement d’une redevance ou au paiement d’une rémunération l’utilisation de ces sites.

18     Aux termes de l’article 21b, paragraphe 1), de l’AtG, des contributions sont exigées des utilisateurs pour couvrir les frais exposés aux fins de l’établissement des installations de la Fédération. Cette disposition précise, en son paragraphe 2), que les détenteurs d’une autorisation d’exploitation utilisant des substances radioactives ou produisant des rayons ionisants peuvent être tenus à des versements anticipés.

19     Les obligations incombant aux exploitants des centrales nucléaires ont également été concrétisées dans plusieurs règlements [atomrechtliche Verfahrensverordnung (règlement sur les procédures applicables dans le domaine nucléaire), Strahlenschutzverordnung (règlement de radioprotection), atomrechtliche Deckungsvorsorge-Verordnung (règlement de provision de couverture en matière nucléaire), Kostenverordnung zum Atomgesetz (règlement d’application de la loi sur l’énergie nucléaire en matière de coûts), atomrechtliche Sicherheitsbeauftragten- und Meldeverordnung (règlement relatif aux délégués à la sécurité nucléaire et à l’alerte) et Endlagervorausleistungsverordnung (règlement sur les prestations anticipées en matière de stockage définitif)].

20     Les obligations des exploitants de centrales nucléaires ont encore été concrétisées par les Leitfaden zur Stilllegung von Anlagen nach § 7 AtG (lignes directrices relatives au déclassement des centrales nucléaires au sens de l’article 7 de l’AtG, ci-après les « lignes directrices »).

21     Le Steuerentlastungsgesetz 1999/2000/2002 du 24 mars 1999 (loi relative aux allégements fiscaux pour les exercices 1999, 2000 et 2002, ci-après le « StEntlG »), a prévu une suppression partielle des provisions des entreprises assujetties. Cette loi est entrée en vigueur avec effet au 1er janvier 1999.

22     Aux termes de l’article 5, paragraphe 4b), de l’EStG, modifié par le StEntlG, il ne peut plus être constitué de provisions au titre de l’obligation de valorisation sans dommage des déchets radioactifs et de parties radioactives d’installations aménagées ou démontées, à concurrence des coûts liés au traitement ou à la transformation de combustibles nucléaires provenant du retraitement de combustibles nucléaires irradiés et ne constituant pas des déchets radioactifs.

23     Par ailleurs, l’article 6, paragraphe 1), point 3a, sous e), de l’EStG, modifié, impose désormais aux entreprises assujetties l’obligation d’actualiser le montant de leurs provisions sur la base d’un taux d’intérêt de 5,5 %.

24     Enfin, selon l’article 6, paragraphe 1), point 3a, sous d), troisième phrase, de l’EStG, modifié, les provisions affectées au financement des obligations découlant de la mise hors service d’une centrale nucléaire doivent être constituées pro rata temporis par tranches égales à compter de la date de la première exploitation jusqu’à celle à laquelle doivent commencer les opérations de mise hors service. La période initiale de constitution des provisions de 19 ans a été portée à 25 ans, lorsque la date de la mise hors service des installations n’a pas été fixée.

25     L’article 6, paragraphe 1), point 3a, sous e), de l’EStG, modifié, précise, en sa dernière phrase, qu’il convient de retenir cette période de 25 ans aux fins de l’actualisation des provisions à constituer au titre des obligations de mise hors service d’une centrale nucléaire.

26     Par lettre du 19 novembre 1999, les requérantes, trois régies communales allemandes de production et de distribution d’énergie électrique, ont invité la Commission à ouvrir une procédure d’examen des aides d’État au titre des articles 87 CE et 88 CE à l’égard du régime d’exonération fiscale appliqué aux provisions financières constituées par les centrales nucléaires établies en Allemagne, aux fins de l’élimination de leurs déchets radioactifs et de la mise à l’arrêt définitif de leurs installations.

27     Les requérantes ont soutenu que, malgré son application à un ensemble indéterminé d’entreprises et de secteurs économiques, l’exonération fiscale des provisions en cause procurait aux centrales nucléaires des avantages spécifiques en raison de leur grande capacité financière et de la durée inhabituelle de la période de libre jouissance des fonds comprise entre la constitution et l’utilisation des provisions.

28     Il en résulterait une distorsion de concurrence au profit de ces centrales nucléaires, qui disposeraient ainsi d’importantes liquidités leur permettant d’éliminer leurs concurrents du marché communautaire de l’électricité par des réductions de prix substantielles, le lancement de campagnes de publicité, l’achat d’entreprises concurrentes ou l’acquisition d’intérêts.

29     Par lettre du 17 juillet 2000, la Commission a invité le gouvernement allemand à présenter ses observations et à répondre à des questions destinées à compléter l’instruction.

30     Par pli du 12 février 2001, le gouvernement allemand a contesté que le régime fiscal appliqué par l’administration allemande aux provisions des centrales nucléaires soit incompatible avec les critères auxquels le BFH subordonne la constitution de provisions en vue du financement d’obligations de droit public à venir.

31     Il s’est notamment fondé sur le principe de prudence, consacré par l’article 252, paragraphe 1), point 4, du HGB et applicable à toutes les entreprises et à tous les secteurs économiques, selon lequel les charges prévisibles devraient être prises en compte lorsque leur cause est survenue à la date de clôture de l’exercice.

32     À cet égard, les obligations de droit public imposées aux centrales nucléaires au titre de l’élimination de leurs déchets et de la mise à l’arrêt définitif de leurs installations engendreraient des charges financières grevant leurs résultats d’exploitation. Les montants nécessaires à la constitution des provisions correspondantes représenteraient des dépenses venant en déduction des bénéfices d’exploitation. Les capitaux constitués à due concurrence ne pourraient pas être distribués aux détenteurs de parts, mais devraient au contraire demeurer à la disposition des entreprises, sauf à remettre en cause l’exécution des obligations et à en reporter la charge sur les autorités publiques.

33     Par ailleurs, aux termes de l’article 253, paragraphe 1), seconde phrase, du HGB, le montant des provisions devrait correspondre à celui des frais probables à exposer, c’est-à-dire au montant qui, sur la base de critères commerciaux raisonnables, est considéré comme nécessaire à l’exécution des obligations nées au jour de la clôture du bilan. Dès lors que ce montant de provisions doit être déterminé en fonction de la valeur et des prix en vigueur à la date de la clôture de chaque bilan, selon l’article 252, paragraphe 1), point 3, du HGB, il devrait être adapté ou majoré au cours des exercices successifs.

34     Le gouvernement allemand a ajouté que les provisions devaient être constituées par tranches de même montant et réparties sur toute la durée d’exploitation.

35     Enfin, le gouvernement allemand a spécifié que les centrales nucléaires devaient être fermées à une date résultant de la quantité résiduelle d’électricité que chaque centrale est autorisée à produire. Cette quantité serait elle-même fixée en fonction d’une durée moyenne d’exploitation de 32 ans à compter de la mise en service, sous réserve de transferts de quotas de production autorisés entre centrales.

36     Par décision du 11 décembre 2001 (ci-après la « Décision »), notifiée aux requérantes le 21 janvier 2002, la Commission a considéré, au terme de la phase préliminaire de l’examen des aides d’État instituée par l’article 88, paragraphe 3, CE, que la mesure fiscale sous examen n’était pas constitutive d’une telle aide.

 Procédure

37     Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 mars 2002, les requérantes ont introduit contre la Décision le présent recours en annulation.

38     Par ordonnance du 20 novembre 2002, E.ON Kernkraft GmbH, RWE Power AG, EnBW Energie Baden-Württemberg AG et Hamburgische Electricitäts-Werke AG ont été admises à intervenir au présent litige, au soutien des conclusions de la Commission.

39     Sur proposition de la quatrième chambre élargie, le Tribunal, les parties entendues, a renvoyé l’affaire devant la quatrième chambre composée de trois juges, par décision du 20 janvier 2005.

40     Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, il a invité les requérantes et la Commission à répondre à une question écrite avant l’audience. Les parties ont produit leurs réponses dans les délais prescrits.

41     Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 10 mars 2005.

42     À l’issue de celle-ci, le président de la quatrième chambre a maintenu la procédure orale ouverte pour permettre à la requérante de produire le texte d’une décision judiciaire nationale et donner la possibilité aux autres parties de présenter leurs observations.

43     À l’issue de cet échange contradictoire, la procédure orale a été close.

 Conclusions des parties

44     Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       annuler la Décision ;

–       condamner la Commission aux dépens.

45     La Commission, soutenue par les parties intervenantes, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours comme non fondé ;

–       condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

 Sur la portée du contrôle exercé par le Tribunal

46     La procédure de contrôle des aides d’État comprend la phase préliminaire d’examen instituée par l’article 88, paragraphe 3, CE, et la phase formelle d’examen définie par l’article 88, paragraphe 2, CE.

47     Tandis que la phase préliminaire a seulement pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la compatibilité partielle ou totale avec le marché commun de la mesure nationale soumise à son examen, la phase formelle, qui est destinée à permettre à la Commission d’avoir une information complète sur l’ensemble des données de l’affaire, revêt un caractère indispensable dès que la Commission rencontre des difficultés sérieuses dans l’appréciation de cette mesure au regard de l’article 87 CE.

48     Ainsi, la Commission ne peut s’en tenir à la phase préliminaire d’examen de l’article 88, paragraphe 3, CE pour conclure, comme en l’espèce, à l’absence d’aide d’État que si elle est a été effectivement en mesure d’acquérir cette conviction au terme de cette première phase.

49     En revanche, si ce premier examen a conduit la Commission à la conviction contraire, ou même n’a pas permis de surmonter toutes les difficultés soulevées par l’appréciation de la mesure nationale au regard de l’article 87 CE, la Commission a alors le devoir de s’entourer de tous les avis nécessaires et d’ouvrir, à cet effet, la phase formelle du contrôle de l’article 88, paragraphe 2, CE, en invitant les « intéressés », au sens de cette disposition, à lui présenter leurs observations (arrêt de la Cour du 15 juin 1993, Matra/Commission, C‑225/91, Rec. p. I‑3203, points 16 et 33).

50     Dans cette mesure, les intéressés, au nombre desquels figurent les requérantes en leur qualité de concurrentes directes des centrales nucléaires allemandes sur le marché de l’électricité, disposent de la faculté de contester la Décision devant le Tribunal pour autant que l’examen préliminaire au terme duquel la Commission a estimé en l’espèce pouvoir conclure à l’absence d’aide d’État n’ait pas été, en réalité, de nature à permettre à l’institution de surmonter toutes les difficultés soulevées par l’appréciation de la mesure fiscale litigieuse au regard de l’article 87, paragraphe 1, CE.

51     Une telle faculté constitue en effet pour les requérantes, ainsi qu’elles l’ont relevé, le seul moyen d’obtenir le respect des garanties dont elles auraient dû disposer en raison de leur qualité d’intéressées au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE, dans l’hypothèse où la Commission, objectivement confrontée à une difficulté sérieuse, aurait dû ouvrir la procédure formelle d’examen définie par cette disposition, au lieu de conclure à l’absence d’aide d’État dès le terme de la phase préliminaire.

52     S’agissant des circonstances soumises en l’espèce à la Commission, il y a lieu de considérer que l’exonération fiscale des provisions constituées par les entreprises assujetties constitue un avantage économique concédé au moyen de ressources d’État dans la mesure où l’État renonce à prélever un certain montant de recettes fiscales, allégeant ainsi la charge financière grevant normalement le budget des entreprises concernées (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C‑156/98, Rec. p. I‑6857, point 25).

53     Est seulement posée en l’espèce la question de savoir si cet avantage favorise les exploitants de centrales nucléaires par rapport aux autres assujettis et si, par conséquent, la mesure dénoncée remplit le critère de sélectivité inhérent à la notion d’aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

54     Pour établir le caractère sélectif d’une mesure étatique visée à l’article 87, paragraphe 1, CE, il importe de vérifier si elle entraîne ou non des avantages au bénéfice exclusif de certaines entreprises ou de certains secteurs d’activité (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 29 septembre 2000, CETM/Commission, T‑55/99, Rec. p. II‑3207, point 40).

55     En l’occurrence, le Tribunal doit donc se borner à vérifier si la question de la sélectivité de la mesure fiscale litigieuse est constitutive d’une difficulté sérieuse face à laquelle la Commission aurait été tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen de l’article 88, paragraphe 2, CE, au lieu de constater, dès le terme de la phase préliminaire de son contrôle, que la mesure nationale litigieuse ne constituait pas une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 19 mai 1993, Cook/Commission, C‑198/91, Rec. p. I‑2487, point 31, et Matra/Commission, précité, point 34 ; arrêt du Tribunal du 13 janvier 2004, Thermenhotel Stoiser Franz e.a./Commission, T‑158/99, Rec. p. II-1, point 91).

56     Les requérantes soulèvent en effet deux moyens, tirés respectivement de l’insuffisance de l’examen par la Commission du régime fiscal litigieux et de la sélectivité de celui-ci. Il convient d’examiner ensemble ces deux moyens, dès lors que la question de la sélectivité du régime fiscal litigieux, envisagée sous l’angle de l’existence d’une difficulté sérieuse justifiant l’ouverture d’une procédure formelle d’examen, recouvre intégralement celle du caractère suffisant ou non de l’examen conduit par la Commission sur cette question.

 Sur le point de savoir si la question de la sélectivité du régime fiscal litigieux est constitutive d’une difficulté sérieuse

57     Selon les requérantes, le régime d’exonération fiscale litigieux s’analyse, à l’égard des centrales nucléaires, en un avantage sélectif en raison de son caractère dérogatoire par rapport au système fiscal général, de sa mise en œuvre discrétionnaire par l’administration, et de ses effets particuliers dans le secteur économique en cause.

58     C’est donc sous ces trois aspects qu’il y a lieu d’examiner l’argumentation des requérantes.

 Sur la prétendue dérogation au système fiscal général

–       Arguments des parties

59     Les requérantes considèrent que, contrairement aux règles fiscales générales, telles qu’interprétées par le BFH, les obligations incombant aux centrales nucléaires en matière de gestion de leurs déchets et de fermeture définitive de leurs installations sont insuffisamment détaillées quant à leur contenu, leur échéance et leur exigibilité.

60     En premier lieu, les dispositions de l’AtG ne contiendraient que des prescriptions générales au sujet du traitement et de l’élimination des déchets radioactifs. L’AtG n’imposerait pas davantage de modalités suffisamment contraignantes de démantèlement des installations. Les lignes directrices ne seraient pas obligatoires, ne restreindraient pas la marge de manœuvre de l’administration et ne permettraient pas de déterminer les modalités futures de la mise à l’arrêt définitif des installations.

61     En deuxième lieu, la date de l’arrêt définitif des installations nucléaires ne serait pas déterminée avec le degré de précision exigé par les articles 249 et 253 du HGB. La durée d’exploitation normale des centrales fixée à 32 ans ne permettrait pas de déterminer la date de leur fermeture définitive, mais uniquement les quotas individuels de production d’électricité, dont les transferts entre centrales permettraient d’étendre la durée d’exploitation des installations à environ 35 ans.

62     En troisième lieu, les obligations de traitement des déchets et de mise à l’arrêt définitif des centrales nucléaires ne revêtiraient aucun caractère exécutoire. Aucune des infractions énumérées à l’article 46 de l’AtG ne se rapporterait au déclassement ou au démantèlement de centrales nucléaires. En outre, le plafonnement du montant des amendes encourues à 50 000 euros par l’article 46, paragraphe 2), de l’AtG remettrait en cause l’application effective des règles imposées.

63     L’article 326 du Strafgesetzbuch (code pénal allemand, ci-après le « StGB ») ne permettrait pas davantage d’assurer l’exécution des obligations de déclassement des centrales et de traitement des déchets. Le traitement des déchets d’une centrale nucléaire ne rentrerait pas dans le cadre défini par cet article.

64     Enfin, en quatrième lieu, les références spécifiques aux provisions des centrales nucléaires introduites par le StEntlG dans l’EStG contrediraient l’affirmation de la Commission selon laquelle les dispositions applicables n’opéreraient aucune différenciation entraînant un traitement de faveur au profit des centrales nucléaires.

65     La Commission et les parties intervenantes soutiennent, en substance, que la législation allemande mise en cause est conforme à la jurisprudence du BFH, en ce que l’obligation de droit public imposée aux centrales nucléaires d’éliminer leurs déchets radioactifs et de mettre hors service leurs installations est suffisamment précisée quant à sa consistance et à son échéance et que l’inobservation de cette obligation est passible des sanctions prévues à l’article 46 de l’AtG ainsi qu’aux articles 326 et 327 du StGB.

66     Par ailleurs, les requérantes passeraient sous silence le fait que, loin de favoriser les centrales nucléaires, le StEntlG leur impose au contraire des charges supplémentaires.

–       Appréciation du Tribunal

67     L’argumentation des requérantes ne remet pas en cause la réunion des trois conditions générales (voir point 6 ci-dessus) auxquelles le BFH subordonne la constitution des provisions.

68     Les requérantes soutiennent seulement que la consistance, l’échéance et le caractère exécutoire des obligations spécifiques de droit public incombant aux centrales nucléaires aux fins du traitement de leurs déchets radioactifs et de la fermeture de leurs installations (voir point 8 ci-dessus) ne satisfont pas aux critères auxquels le BFH subordonne la constitution des provisions correspondantes.

69     Or, les requérantes n’ont assorti leurs allégations d’aucune argumentation suffisant à emporter la conviction du Tribunal à cet égard.

70     En premier lieu, comme il ressort de l’exposé du cadre juridique du litige, l’AtG oblige en son article 9a les exploitants de centrales nucléaires à veiller au traitement sécurisé ou à l’élimination régulière des résidus radioactifs et des parties radioactives des installations aménagées ou démontées.

71     En vertu de l’article 9a, paragraphe 1a), de l’AtG, les intéressés sont tenus d’établir l’adoption des mesures préventives conformes à leurs obligations légales en matière de combustibles nucléaires irradiés existants ou à venir, en ce compris les déchets radioactifs soumis à retrait en cas de retraitement des combustibles nucléaires irradiés.

72     Aux fins de l’élimination régulière des déchets, l’article 9a, paragraphe 1b), de l’AtG exige la preuve de la garantie d’un entreposage sécurisé des combustibles nucléaires irradiés, ainsi que des déchets radioactifs provenant du retraitement des combustibles, jusqu’à leur dépôt dans un site aménagé aux fins du stockage définitif des déchets radioactifs.

73     Par ailleurs, les exploitants de centrales nucléaires doivent supporter les coûts du confinement ou du démantèlement de leurs installations mises hors service, en vertu des dispositions de l’article 7, paragraphe 3), de l’AtG, lu en combinaison avec l’article 9a de l’AtG.

74     Les requérantes n’ont pas utilement contesté l’interprétation de l’article 9a de l’AtG, donnée par le gouvernement allemand dans sa lettre du 12 février 2001, selon laquelle ce texte postule une obligation de décontamination intégrale des installations dans un délai approprié, ni démontré que les intéressés ne doivent pas supporter la charge financière du confinement ou du démantèlement des installations mises hors service.

75     Les requérantes ont elles-mêmes relevé dans leurs écritures que le règlement sur les procédures applicables dans le domaine nucléaire régit la procédure d’autorisation pour la mise à l’arrêt définitif, la sécurité du confinement et le démantèlement des installations nucléaires, sans préjudice de l’application des normes contenues dans les autres règlements mentionnés au point 19 ci-dessus.

76     En deuxième lieu, le Tribunal ne peut tenir pour établi que la date de la mise à l’arrêt des centrales nucléaires n’est pas déterminée avec le degré de précision exigé par les articles 249 et 253 du HGB.

77     En vertu de l’article 7, paragraphe 1a), de l’AtG, l’autorisation d’exploitation d’une centrale nucléaire expire lorsqu’elle a produit soit la quantité d’électricité qui lui a été impartie par l’annexe 3 de l’AtG, soit la quantité d’électricité résultant des transferts de quotas de production autorisés par l’article 7, paragraphe 1b), de l’AtG.

78     Il s’en déduit que la date de la clôture des installations et, partant, de l’échéance des obligations corrélatives imposées aux exploitants est déterminable selon le critère objectif de l’épuisement de la quantité d’électricité impartie, que l’exploitant est tenu de communiquer aux autorités compétentes.

79     L’argument des requérantes selon lequel les autorisations d’exploitation des centrales nucléaires allemandes seraient accordées pour une durée indéterminée ne saurait donc emporter l’adhésion.

80     En troisième lieu, il ne ressort pas de l’argumentation des requérantes que les obligations imposées aux exploitants de centrales nucléaires en matière de déclassement de leurs installations et d’élimination de leurs déchets ne sont pas assorties de sanctions, indépendamment de la nature pénale ou administrative de celles-ci.

81     L’AtG prévoit, en son article 17, paragraphe 3), le retrait de l’autorisation d’exploitation en cas d’infraction aux dispositions de l’AtG, des règlements adoptés sur son fondement ou des décisions arrêtées par les autorités de surveillance en application de ces textes.

82     Par ailleurs, les requérantes n’ont pas utilement contesté l’affirmation de la Commission selon laquelle l’article 46, paragraphe 1), point 4, de l’AtG sanctionne les contraventions aux textes réglementaires arrêtés en vertu de l’article 12, paragraphe 1), point 9, de l’AtG, aux fins de définir les conditions du traitement sécurisé et de l’élimination régulière des résidus radioactifs et des parties radioactives d’installations démontées, d’imposer la présentation et la mise à jour de données relatives au respect des obligations imposées par l’article 9a de l’AtG et, enfin, de prescrire le traitement des déchets radioactifs avant leur livraison aux centres de collecte des Länder et aux installations fédérales.

83     En outre, l’article 326 du StGB punit d’une peine privative de liberté de cinq ans ou d’une amende quiconque procède sans autorisation au traitement, stockage, dépôt, abandon ou à toute autre forme d’élimination de déchets présentant notamment un degré non négligeable de radioactivité en dehors d’une installation autorisée à cet effet ou en s’écartant substantiellement des procédures prescrites ou autorisées.

84     Enfin, aux termes de l’article 327, paragraphe 1), du StGB, est passible d’une peine d’emprisonnement de cinq ans ou d’une amende toute personne qui, sans l’autorisation requise, possède une installation nucléaire en état de fonctionnement ou mise à l’arrêt, la démantèle totalement ou partiellement ou apporte une modification substantielle à cette installation nucléaire ou à son exploitation.

85     Ces dispositions sont à rapprocher de l’article 7, paragraphe 3), de l’AtG, qui soumet à autorisation la mise hors service d’une installation, le confinement sécurisé de l’installation définitivement mise hors service ou le démantèlement de l’installation ou de ses éléments.

86     La cessation de l’exploitation d’une centrale nucléaire en violation de la procédure prévue et, par conséquent, des obligations imposées par les dispositions pertinentes de l’AtG, peut donc être considérée comme passible des sanctions prévues à l’article 327 du StGB, en ce qu’une telle infraction est de nature à constituer le délit de possession sans autorisation d’une installation nucléaire mise à l’arrêt.

87     Le Tribunal ne peut donc tenir pour non coercitives les obligations incombant aux centrales nucléaires en matière de traitement de leurs déchets radioactifs et de la mise à l’arrêt de leurs installations, dès lors que ces obligations apparaissent susceptibles d’être mises en œuvre par des procédures administratives dont la non-exécution est passible de sanctions.

88     Enfin, en quatrième lieu, les références spécifiques aux provisions des centrales nucléaires introduites dans l’EStG par le StEntlG ne sont pas de nature à révéler un traitement constitutif d’un avantage spécifique consenti aux centrales nucléaires.

89     En effet, le StEntlG impose désormais aux centrales nucléaires, comme à toutes les autres entreprises assujetties, la déduction des intérêts du montant des provisions constituées et les requérantes chiffrent elles-mêmes à 13,5 milliards de marks allemands (DEM) (6 902 440 396 euros) les charges supplémentaires incombant aux centrales nucléaires en raison de ces nouvelles dispositions.

90     De même, l’allongement par le StEntlG de la durée de constitution des provisions de 19 à 25 ans réduit d’autant la valeur attribuée aux provisions d’ores et déjà constituées par les exploitants de centrales nucléaires. L’interdiction nouvelle de la constitution de provisions au titre des coûts de retraitement des combustibles nucléaires et l’actualisation des provisions sur la base d’un taux d’intérêt de 5,5 % entraînent également des charges financières nouvelles pour les exploitants de centrales nucléaires.

91     Il est vrai que le texte du StEntlG comporte certaines mesures visant spécifiquement les provisions des centrales nucléaires. Toutefois, ces mesures ont pour objet, comme la Commission l’a fait observer, sans être contredite sur ce point, de ne pas tenir compte de provisions constituées ou d’en réduire le montant en fonction de nouvelles règles d’évaluation destinées à dégager des actifs imposables aux fins du financement des mesures de relance durable de la demande intérieure et des abattements fiscaux en faveur des travailleurs et des familles, sans que les exploitants de centrales nucléaires supportent l’essentiel de la charge.

92     Les requérantes n’ont pas non plus remis en cause la validité de la précision contenue dans la lettre du gouvernement allemand du 12 février 2001, selon laquelle le StEntlG visait à atteindre une plus grande objectivité dans l’évaluation des bénéfices de l’ensemble des entreprises assujetties et à obliger celles-ci à verser les intérêts produits par les provisions.

93     Il ne peut donc être tenu pour établi que le régime d’exonération fiscale des provisions soit susceptible de comporter au profit des centrales nucléaires une dérogation constitutive de l’avantage sélectif inhérent à la notion d’aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

 Sur la mise en œuvre de la mesure fiscale litigieuse par l’administration

–       Arguments des parties

94     Les requérantes allèguent que l’administration des finances des Länder est presque toujours liée par les appréciations portées par les réviseurs d’entreprises indépendants sur le montant des provisions constituées par les centrales nucléaires. Les requérantes dénoncent à cet égard l’opacité des contrôles, l’incertitude persistante sur le montant des provisions et la subordination quasi hiérarchique de fait des administrations des Länder à ces réviseurs d’entreprises. L’indépendance de ces derniers serait par ailleurs limitée par l’exiguïté du marché procédant du petit nombre de producteurs d’électricité d’origine nucléaire.

95     La Commission, soutenue par les parties intervenantes, reproche essentiellement aux requérantes de ne pas étayer leurs allégations du moindre élément de preuve, tel qu’une analyse comparative du montant réel des provisions à constituer.

–       Appréciation du Tribunal

96     Il convient de relever que, selon l’article 252, paragraphe 1), point 3, du HGB, l’estimation du montant des provisions à constituer par toutes les entreprises assujetties est déterminée en fonction du coût des opérations évalué à la date de la clôture de chaque exercice comptable.

97     Le montant des provisions doit donc en principe être adapté en fonction des niveaux de coûts prévalant à chaque échéance de présentation du bilan annuel.

98     Or, il ne ressort pas de l’argumentation des requérantes que le montant des provisions constituées par les centrales nucléaires sous le contrôle conjoint des réviseurs d’entreprises et de l’administration des Länder soit disproportionné par rapport aux coûts réellement escomptés de l’élimination des déchets radioactifs et de l’exécution des charges induites par le déclassement des installations nucléaires.

99     Il a été opposé aux requérantes, sans contestation de leur part, que les provisions à constituer par les centrales nucléaires sont destinées à couvrir aussi bien les frais de démantèlement que ceux relatifs à la gestion des combustibles et des déchets radioactifs d’exploitation, soit la totalité des coûts liés à la cessation définitive de leur production d’électricité, comprenant ceux de la fermeture en elle-même (frais de démantèlement de la centrale incluant les coûts du confinement) et ceux du stockage définitif des déchets radioactifs.

100   Les parties intervenantes ont indiqué, sans être contredites par les requérantes, que 55 % environ des provisions constituées par les centrales nucléaires sont affectées à la gestion des résidus d’éléments de combustion ainsi que des résidus radioactifs.

101   Les requérantes n’ont pas davantage contesté que l’évolution rapide des normes technologiques relatives à l’élimination des déchets et au déclassement des installations appelait une appréciation souple et un certain degré d’incertitude en matière de coûts et que les dépenses techniques et, par conséquent, le montant des coûts à couvrir par les provisions, même s’il ne peut encore être déterminé avec certitude, est certainement conséquent.

102   Il s’ensuit que le Tribunal ne peut tenir pour acquis que les modalités de mise en œuvre du système fiscal litigieux par l’administration à l’égard des centrales nucléaires soient de nature à constituer au profit de ces dernières l’avantage spécifique inhérent à la notion d’aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

 Sur les effets particuliers de la mesure fiscale litigieuse dans le secteur économique concerné

–       Arguments des parties

103   Les requérantes font valoir que les effets cumulés des modalités d’application du régime d’exonération fiscale aux provisions des centrales nucléaires, qui atteignent des montants considérables, et de la libre disponibilité de ces fonds, contraire au principe de prudence du droit commercial, constituent une violation des règles générales du droit fiscal et s’analysent ainsi en une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

104   L’emploi des provisions ne serait soumis à aucune condition légale quant au risque, au rendement ou à la disponibilité des volumes financiers. Par conséquent, il ne pourrait être exclu que les fonds aient déjà été utilisés en cas de fermeture définitive. Ainsi, dans l’hypothèse d’une mise en liquidation judiciaire d’un exploitant de centrale nucléaire, les sommes provisionnées ne seraient plus disponibles.

105   En maintenant la libre disponibilité d’importantes sommes provisionnées sans analyse de coûts, planification chronologique et répartition des risques précises pour le déclassement ultérieur des centrales nucléaires, la République fédérale d’Allemagne aurait accordé en définitive une garantie de prise en charge par l’État sous forme de blanc-seing, constitutive, en elle-même, d’une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

106   Dès lors qu’une partie très importante des fonds dont disposent les centrales nucléaires pour alimenter les investissements et le rachat d’entreprises concurrentes résulte de l’avantage fiscal accordé aux provisions, il s’en déduirait un lien de causalité entre cet avantage concurrentiel et l’avantage accordé au moyen de fonds publics sous la forme d’une prise en compte des provisions injustifiée et excessive.

107   Selon la Commission, soutenue par les parties intervenantes, ni la libre disponibilité des provisions des centrales nucléaires, ni leur montant, ni, enfin, le risque que leur placement mette en péril leur mobilisation à l’échéance des obligations correspondantes n’engendrent une spécificité au profit des centrales nucléaires de l’avantage fiscal consenti aux entreprises assujetties au titre de l’exonération fiscale des provisions.

–       Appréciation du Tribunal

108   Il résulte de l’exposé des normes pertinentes du droit fiscal allemand que les provisions sont en principe librement disponibles pour toutes les entreprises assujetties, indépendamment de l’objet social de celles-ci et de l’ampleur des montants en cause. Comme il ressort des développements qui précèdent, le montant des provisions constituées par les centrales nucléaires doit être considéré, en l’absence d’une démonstration contraire apportée par les requérantes, comme déterminé par les caractéristiques réelles de ces exploitations et proportionné à l’ampleur des obligations leur incombant à l’échéance de celles-ci, conformément au principe de prudence consacré par l’article 252, paragraphe 1), point 4, du HGB, lequel impose à toutes les entreprises assujetties la couverture financière des charges prévisibles dont la cause est survenue à la date de clôture de l’exercice.

109   La circonstance que les centrales nucléaires sont susceptibles de bénéficier dans une mesure plus importante que d’autres entreprises de l’exonération fiscale en raison du montant potentiellement plus élevé de leurs provisions ne permet donc pas au Tribunal de qualifier cette exonération d’avantage sélectif constitutif d’une aide d’État.

110   De même, le risque que le placement des provisions constituées par les centrales nucléaires mette en péril leur mobilisation à l’échéance des obligations couvertes se pose à l’égard de toutes les entreprises assujetties et de tous les secteurs économiques. Un hypothétique manquement des exploitants de centrales nucléaires à leurs obligations légales à l’échéance de celles-ci ne peut donc être considéré comme l’indice d’un avantage sélectif de la législation fiscale au profit des centrales nucléaires.

111   Enfin, la circonstance que celles-ci disposeraient, en raison du montant considérable des provisions constituées, de la possibilité de recourir à un financement interne peu coûteux pour couvrir leurs investissements et le rachat d’entreprises concurrentes n’est pas de nature à remettre en cause l’absence de sélectivité de la mesure nationale litigieuse.

112   D’une part, toutes les entreprises assujetties peuvent librement disposer de leurs provisions, comme il a été relevé ci-dessus. D’autre part, il n’a pas été démontré que le montant des provisions constituées par les centrales nucléaires soit à considérer comme disproportionné au regard de l’ampleur des dépenses que les centrales nucléaires doivent assumer aux fins du financement de leur obligation de droit public d’éliminer leurs déchets radioactifs et de mettre hors service leurs installations.

113   Dans ces conditions, l’argumentation des requérantes ne permet pas au Tribunal de considérer que le régime d’exonération fiscale des provisions des centrales nucléaires soit, en raison de ses effets particuliers, de nature à constituer au profit de celles-ci l’avantage spécifique inhérent à la notion d’aide d’État.

114   Il en résulte que l’examen de la question de la sélectivité du régime fiscal litigieux n’a pas révélé d’éléments d’appréciation, en présence desquels la Commission aurait été tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen des aides d’État définie par l’article 88, paragraphe 2, CE.

115   Dans ces conditions, le recours doit être rejeté.

 Sur les dépens

116   Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

117   Les requérantes ayant succombé, elles doivent être condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, les dépens exposés par la Commission et par les parties intervenantes, conformément à leurs conclusions en ce sens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Les requérantes supporteront, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission et par les parties intervenantes.


Legal

Mengozzi

Wiszniewska-Białecka






Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 janvier 2006.


Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       H. Legal


* Langue de procédure : l’allemand.