Language of document : ECLI:EU:T:2015:11

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

6 janvier 2015 (*)

« Recours en annulation – Programme ‘European Creative Industries Alliance’ – Projet ‘C‑I Factor’ visant à mettre en place de nouveaux instruments pour favoriser le financement des industries culturelles et créatives – Note de débit – Acte s’inscrivant dans un cadre purement contractuel dont il est indissociable – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑93/14,

St’art – Fonds d’investissement dans les entreprises culturelles, établie à Mons (Belgique),

Stichting Cultuur – Ondernemen, établie à Amsterdam (Pays-Bas),

Angel Capital Innovations Ltd, établie à Londres (Royaume-Uni),

représentées par Mes L. Dehin et C. Brüls, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par Mme S. Delaude, M. J. Estrada de Sola et Mme S. Lejeune, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la « décision de date inconnue, formalisée le 29 novembre 2013 par la Commission européenne » visant à réclamer la somme de 140 500,01 euros dans le cadre du projet « C‑I Factor SI2.609157‑2/G/ENT/CIP/11/C/N03C011 », à émettre une note de débit à cette fin et à exiger, au besoin, la solidarité des autres membres du consortium,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. G. Berardis, président, O. Czúcz (rapporteur) et A. Popescu, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Les requérantes sont, respectivement, une société anonyme de droit belge (le Fonds d’Investissement dans les entreprises culturelles, ci-après « St’art »), une fondation de droit néerlandais (Cultuur-Ondernemen) et une société à responsabilité limitée de droit anglais (Angel Capital Innovations Ltd).

2        Dans le cadre du programme « European Creative Industries Alliance », les requérantes ont été chargées du projet « C‑I Factor SI2.609157‑2/G/ENT/CIP/11/C/N03C011 » (ci-après le « projet »), visant à mettre en place de nouveaux instruments pour favoriser le financement des industries culturelles et créatives, par le biais d’une convention de subvention dénommée « Grant agreement C‑I Factor » (ci-après la « convention »), attribuée à l’issue d’un appel d’offre et signée le 12 décembre 2011 entre, d’une part, l’Union européenne, représentée par la Direction générale (DG) « Entreprise et Industrie » de la Commission européenne, et, d’autre part, l’European Design Centre BV (ci-après « EDC »), en tant que coordinateur et co-bénéficiaire du projet, et les trois requérantes.

 Dispositions pertinentes de la convention

3        L’article I.1 des conditions spéciales de la convention fixe la durée du projet à, en principe, 36 mois à compter du 1er décembre 2011. Le projet, qui est décrit dans l’annexe I de la convention, est divisé en plusieurs tâches à exécuter par les bénéficiaires, chaque tâche ayant comme leader, respectivement, Angel Capital Innovations, St’art, Cultuur-Ondernemen ou EDC.

4        Les articles I.4 et I.5 des conditions spéciales de la convention fixent le montant de la contribution maximale de l’Union européenne, en pourcentage des coûts totaux éligibles ainsi que les modalités de paiement, qui consistent en un préfinancement versé par la Commission à EDC, qui en garde une partie et en redistribue le reste entre les trois requérantes.

5        L’article I.6 des conditions spéciales de la convention prévoit également la communication de différents rapports et d’autres documents à la Commission, et notamment un rapport intermédiaire de mise en œuvre technique et une déclaration des coûts après chaque période, à savoir après une première période allant du 1er au 12ème mois, après une deuxième période allant du 13ème au 24ème mois et après une troisième période allant du 25ème au 36ème mois, ainsi qu’un rapport final.

6        L’article I.12.4 des conditions spéciales de la convention, concernant la révision du projet à mi-parcours, prévoit que, s’il y a raison de croire que le projet a dévié de son objectif ou n’est pas autrement en mesure d’atteindre ses buts, la Commission, parmi d’autres possibilités, se réserve le droit de mettre un terme à la convention conformément à l’article II.11.3 des conditions générales de cette dernière.

7        L’article II.11.3 des conditions générales de la convention prévoit que la Commission peut décider de mettre un terme à l’accord ou à la participation d’un ou de plusieurs bénéficiaires qui prennent part à l’action, cela sans indemnité de sa part, dans certaines circonstances envisagées par cette disposition, notamment le fait que le bénéficiaire manque à l’accomplissement d’obligations substantielles qui lui incombent en vertu de la convention.

8        L’article II.18.1 des conditions générales de la convention établit que les bénéficiaires sont tenus responsables « irrévocablement, inconditionnellement, conjointement et solidairement » du paiement de toute somme due à la Commission de la part d’un d’entre eux qui n’a pas été payé par ce dernier, dans la limite de la contribution maximale qui peut être accordée aux bénéficiaires, majorée, le cas échéant, des intérêts de retard. L’article I.10 des conditions spéciales de la convention précise, par ailleurs, qu’aucun montant réclamé à un bénéficiaire ne peut dépasser le montant de la contribution qu’il est en droit de recevoir conformément à la convention.

9        Selon l’article I.9, premier alinéa, des conditions spéciales de la convention, l’octroi de la subvention est régi par les dispositions de la convention, les règles de l’Union applicables et, à titre subsidiaire, le droit belge relatif à l’octroi de subventions.

10      Selon l’article I.9, deuxième alinéa, des conditions spéciales de la convention, les bénéficiaires peuvent former un recours contre les décisions de la Commission relatives à l’application des stipulations de la convention et aux modalités de sa mise en œuvre devant le Tribunal et, en cas de pourvoi, devant la Cour.

 Déroulement du projet

11      Le 1er décembre 2011, le projet a débuté et, le 25 mars 2013, le premier rapport de mise en œuvre technique a été soumis, en retard, par EDC à la Commission.

12      Le 13 juin 2013, les requérantes ont écrit à EDC pour lui faire part de leurs préoccupations sérieuses concernant le manque de coordination durant les 18 mois d’exécution du projet et, le 1er juillet 2013, n’ayant pas reçu de réponses satisfaisantes de la part d’EDC, elles ont fait part à la Commission de leurs griefs envers EDC.

13      À partir du mois de juin 2013, la Commission a effectué, conformément à la convention, une révision du projet à mi-parcours. Le rapport de mi-parcours concluait que le projet n’avait pas démontré avoir partiellement ou pouvoir atteindre les objectifs visés et que, partant, il devrait y être mis fin.

14      Le 4 octobre 2013, la Commission a donc envoyé une lettre à EDC, avec copie aux requérantes, pour lui notifier son intention de mettre fin au projet, sur la base du résultat de la révision du projet à mi-parcours, tout en l’invitant à lui faire parvenir ses observations dans les 30 jours et en lui rappelant que, en tant que coordinateur du projet, il lui incomberait de fournir les déclarations de coûts pour la période allant de la date de début du projet à la date de résiliation dudit projet, et ce dans les 60 jours qui suivent cette résiliation. Ladite lettre contenait, en annexe, une copie du rapport de mi-parcours.

15      Le 17 octobre 2013, les requérantes ont écrit à la Commission pour lui faire part de leurs observations sur sa lettre du 4 octobre 2013.

 Résiliation de la convention

16      Le 29 novembre 2013, la Commission a adressé aux requérantes une lettre portant « confirmation » de sa décision de mettre fin au projet. Cette lettre comporte plusieurs volets :

a)      dans le premier paragraphe, la Commission maintient, après avoir examiné le rapport intermédiaire de mise en œuvre technique pour la première période allant du 1er au 12ème mois, tel que modifié, et le rapport intermédiaire de mise en œuvre technique pour la deuxième période allant du 13ème au 24ème mois, soumis le 7 novembre 2013, que le projet n’a pas démontré être en mesure d’atteindre les objectifs prévus et décide, par conséquent, de mettre fin au projet au terme de cette deuxième période, soit le 30 novembre 2013 ;

b)      dans le deuxième paragraphe, la Commission annonce que, en ce qui concerne les coûts éligibles encourus par EDC, les conclusions d’un audit relatif à un autre projet et d’une vérification du travail fait par EDC dans le cadre du projet ont mené à l’établissement d’une note de débit à l’égard d’EDC pour un montant de 140 500,01 euros (ci-après la « note de débit »), somme que la Commission annonce se réserver le droit de réclamer, en fonction de l’issue de la procédure de faillite d’EDC, aux autres bénéficiaires de la convention, comme prévu dans la clause de responsabilité financière de l’article II.18.1 des conditions générales de la convention telle que limitée par l’article I.10 des conditions spéciales de la convention ;

c)      dans le troisième paragraphe, la Commission précise que la détermination des coûts éligibles des requérantes pour les première et deuxième périodes sera effectuée une fois que chaque bénéficiaire aura démontré que les coûts déclarés répondent aux conditions d’éligibilité de l’article II.14 des conditions générales de la convention et sollicite, à cet effet, dans le quatrième paragraphe, la production de documents justificatifs pour le 31 janvier 2014 au plus tard, afin de pouvoir déterminer le montant final à payer aux bénéficiaires ou à récupérer auprès des bénéficiaires.

17      Le 15 janvier 2014, les requérantes ont introduit un recours visant à l’annulation de la décision de la Commission de mettre fin au projet (affaire T‑36/14, St’art e.a./Commission).

 Procédure et conclusions des parties

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 février 2014, les requérantes ont introduit le présent recours, contenant également une demande de jonction de la présente affaire avec l’affaire T‑36/14, St’art/Commission, à laquelle le Tribunal n’a pas donné de suite favorable.

19      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 28 avril 2014, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal. Les requérantes ont déposé leurs observations sur cette exception le 19 juin 2014.

20      Dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, le 21 juillet 2014, le Tribunal (neuvième chambre) a invité les parties à présenter leurs observations sur la nature contractuelle ou non de la convention, ainsi que sur la signification de l’article I.9 de celle-ci, au regard de l’articulation entre l’articles 263 TFUE et l’article 272 TFUE. La Commission a déféré à cette demande dans le délai imparti. Le président de la neuvième chambre a décidé de verser au dossier la réponse des requérantes, en dépit de son dépôt tardif.

21      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable ;

–        annuler la « décision de date inconnue, formalisée le 29 novembre 2013 par la Commission européenne » visant à réclamer la somme de 140 500,01 euros dans le cadre du projet « C‑I Factor SI2.609157‑2/G/ENT/CIP/11/C/N03C011 », à émettre une note de débit à cette fin et à exiger, au besoin, la solidarité des autres membres du consortium.

22      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

23      Aux termes de l’article 113 du règlement de procédure, le Tribunal peut à tout moment, d’office, les parties entendues, examiner les fins de non-recevoir d’ordre public.

24      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de cet article, de statuer sans poursuivre la procédure.

25      En substance, les requérantes contestent deux aspects différents, mentionnés dans la lettre du 29 novembre 2013, à savoir, d’une part, l’établissement d’une note de débit à l’égard d’EDC et, d’autre part, la décision d’invoquer, le cas échéant, leur responsabilité financière (voir point 16 ci-dessus). Elles avancent deux moyens. Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en ce qui concerne le droit à une bonne administration, dont l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions, ainsi que de la violation du principe de légalité. Le second moyen est tiré de l’excès et du détournement de pouvoir, ainsi que de la violation dudit article 41, du principe général « patere legem quam ipse fecisti », du principe du contradictoire, du « principe du raisonnable » et du principe de proportionnalité.

26      La Commission estime que le présent recours doit être déclaré irrecevable en ce que, premièrement, la requête ne respecte pas les dispositions de l’article 44 du règlement de procédure, deuxièmement, le recours vise à l’annulation d’un acte purement préparatoire et, troisièmement, les requérantes ne justifient pas d’un intérêt à agir.

27      Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 263 TFUE, les juridictions de l’Union ne contrôlent que la légalité des actes adoptés par les institutions destinés à produire des effets juridiques obligatoires à l’égard des tiers, en modifiant de façon caractérisée leur situation juridique (ordonnance du 6 octobre 2008, Austrian Relief Program/Commission, T‑235/06, EU:T:2008:411, point 34, et arrêt du 10 avril 2013, GRP Security/Cour des comptes, T‑87/11, EU:T:2013:161, point 29).

28      Comme cela a été constaté par une jurisprudence constante, cette compétence ne concerne que les actes visés par l’article 288 TFUE que ces institutions sont amenées à prendre dans les conditions prévues par le traité FUE, en faisant usage de leurs prérogatives de puissance publique (voir, en ce sens, ordonnance du 10 mai 2004, Musée Grévin/Commission, T‑314/03 et T‑378/03, Rec, EU:T:2004:139, points 62, 63 et 81, et arrêt du 10 avril 2013, GRP Security/Cour des comptes, T‑87/11, EU:T:2013:161, point 29).

29      En revanche, les actes adoptés par les institutions qui s’inscrivent dans un cadre purement contractuel dont ils sont indissociables ne figurent pas, en raison de leur nature même, au nombre des actes visés à l’article 288 TFUE, dont l’annulation peut être demandée en vertu de l’article 263 TFUE (arrêts du 17 juin 2010, CEVA/Commission, T‑428/07 et T‑455/07, Rec, EU:T:2010:240, point 52, et GRP Security/Cour des comptes, point 28 supra, EU:T:2013:161, point 29).

30      Or, bien que la Commission, dans son exception d’irrecevabilité, n’ait pas invoqué une fin de non-recevoir à cet égard, il convient de vérifier, au préalable, si l’acte qui fait l’objet du présent recours est un acte susceptible d’un recours en annulation en vertu de l’article 263 TFUE.

31      Par sa lettre du 29 novembre 2013, la Commission a notamment annoncé aux requérantes, d’une part, qu’elle avait établi une note de débit à l’égard d’EDC et, d’autre part, qu’elle se réservait le droit de réclamer aux requérantes, le cas échéant, la somme en question, en se fondant sur l’article II.18.1 des conditions générales de la convention. Force est donc de constater que la note de débit et l’éventuelle demande de la somme en question aux requérantes s’inscrivent dans le contexte de la convention liant la Commission aux requérantes, en ce qu’elles ont pour objet le recouvrement d’une créance qui trouve son fondement dans les stipulations de la convention.

32      Par ailleurs, aucun élément ne permet de conclure que, en l’espèce, la Commission a agi en faisant usage de ses prérogatives de puissance publique, et d’ailleurs les requérantes ne tentent pas de le démontrer.

33      Par conséquent, le recours ne saurait être déclaré recevable pour autant qu’il est fondé sur l’article 263 TFUE.

34      Il y a également lieu de constater que le recours ne peut être requalifié au titre de l’article 272 TFUE.

35      Il est vrai que, lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation, alors que le litige est, en réalité, de nature contractuelle, le Tribunal peut, dans un souci d’économie de la procédure, requalifier le recours, si les conditions d’une telle requalification sont réunies (voir arrêt GRP Security/Cour des comptes, point 28 supra, EU:T:2013:161, point 31 et jurisprudence citée).

36      Toutefois, dans les circonstances de l’espèce, le Tribunal ne s’estime pas en mesure de requalifier le présent recours.

37      En effet, le recours vise uniquement à remettre en cause la légalité des décisions attaquées. Par les griefs invoqués (voir point 25 ci-dessus), les requérantes n’invoquent aucune violation des règles régissant la relation contractuelle en cause.

38      Au demeurant, le rejet du présent recours en tant que recours en annulation n’a pas pour effet de priver les requérantes du droit à un recours juridictionnel effectif, puisqu’il leur appartient, si elles s’y croient fondées, de défendre de manière plus appropriée leur position dans le cadre d’un recours formé sur une base contractuelle au titre de l’article 272 TFUE.

39      Il y a donc lieu de rejeter le présent recours comme étant irrecevable, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres fins de non-recevoir avancées par la Commission.

 Sur les dépens

40      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      St’art – Fonds d’investissement dans les entreprises culturelles, Stichting Cultuur – Ondernemen et Angel Capital Innovations Ltd supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

Fait à Luxembourg, le 6 janvier 2015.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      G. Berardis


* Langue de procédure : le français.