Language of document : ECLI:EU:T:2009:30



ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

10 février 2009 (*)

« Aides d’État – Décision de ne pas soulever d’objections – Recours en annulation – Qualité pour agir – Recevabilité – Difficultés sérieuses »

Dans l’affaire T‑388/03,

Deutsche Post AG, établie à Bonn (Allemagne),

DHL International, établie à Diegem (Belgique),

représentées par Mes J. Sedemund et T. Lübbig, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. V. Kreuschitz et M. Niejahr, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C(2003) 2508 fin de la Commission, du 23 juillet 2003, de ne pas soulever d’objections, à la suite de la procédure préliminaire d’examen prévue par l’article 88, paragraphe 3, CE, à l’encontre de plusieurs mesures prises par les autorités belges au profit de La Poste SA, l’entreprise postale publique belge,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCEDES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de Mmes I. Pelikánová, président, K. Jürimäe et M. S. Soldevila Fragoso (rapporteur), juges,

greffier : Mme K. Andová, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 mai 2008,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La Poste SA est l’entreprise publique chargée du service postal universel en Belgique. Avec la libéralisation du marché postal, La Poste a succédé le 1er octobre 1992 à la Régie des Postes, qui relevait directement du ministère des Postes belge. La Poste constitue désormais une entreprise publique autonome détenue à 100 % par l’État belge.

2        Les missions de service public de La Poste, leur tarification, les règles de conduite à l’égard des usagers et les subventions sont déterminées par la loi et détaillées dans un contrat de gestion conclu avec l’État. Quatre contrats ont ainsi été conclus entre l’État et La Poste depuis 1992.

3        Outre sa fonction d’opérateur du service universel postal, La Poste est chargée de nombreuses autres missions d’intérêt public, telles que des activités bancaires de base offertes à tous, la distribution de la presse à tarifs réduits, la distribution d’imprimés électoraux, le paiement des pensions à domicile, la vente de permis de pêche et la perception des amendes administratives. Le contrat de gestion détermine notamment les règles de compensation du coût additionnel net des services d’intérêt économique général (ci‑après les « SIEG »).

4        La Poste réalise 84 % de son chiffre d’affaires dans le secteur des services postaux universels. Le secteur des colis express représente 4 % de son chiffre d’affaires, ce qui correspond à une part de marché de 18 % dans ce secteur.

5        Les requérantes, Deutsche Post AG et sa filiale belge DHL International (ci‑après, prises ensemble, le « groupe Deutsche Post ») opèrent dans le secteur des services postaux et notamment sur le marché des services de colis express. Le groupe Deutsche Post détient 35 à 45 % de parts dans le marché belge des services de colis express.

 Procédure d’examen préliminaire

6        En 1999, l’État belge a décidé du principe d’un apport financier à La Poste, qui était subordonné à l’établissement d’un plan d’entreprise approuvé par ses organes de gestion et coordonné avec un plan social. Ce plan d’entreprise, adopté le 28 juin 2002, qui visait à accroître la productivité de l’entreprise et sa rentabilité, à améliorer la qualité du service offert et à développer des activités nouvelles, impliquait des investissements importants.

7        Le 8 octobre 2002, le gouvernement belge a donné son accord à une augmentation de capital de La Poste portant sur un montant de 297,5 millions d’euros. Cette augmentation de capital devait être effectuée sous forme de souscription à une augmentation de capital et être rémunérée par des actions représentatives du capital, dont les droits seraient identiques à ceux des actions déjà émises.

8        Par lettre du 3 décembre 2002, le Royaume de Belgique a notifié à la Commission un projet d’augmentation du capital de La Poste pour un montant de 297,5 millions d’euros, conformément aux dispositions de l’article 88, paragraphe 3, CE. Trois réunions se sont tenues entre la Commission et les autorités belges le 12 décembre 2002, les 6 février et 3 avril 2003 et plusieurs courriers ont été échangés entre elles.

9        Ayant pris connaissance de l’existence d’une procédure d’examen lors d’une déclaration du ministre des Télécommunications belge en date du 1er juillet 2003 suivie le 14 juillet 2003 d’un article paru dans le quotidien belge Le Soir, les requérantes ont, par télécopie en date du 22 juillet 2003, enregistrée le 23 juillet 2003, saisi la Commission d’une demande d’information sur l’état de la procédure, afin d’y prendre éventuellement part, conformément aux dispositions de l’article 20 du règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1).

10      Le 23 juillet 2003, la Commission a décidé de ne pas soulever d’objections à la suite de la procédure préliminaire d’examen prévue par l’article 88, paragraphe 3, CE [décision C(2003) 2508 fin, ci‑après la « décision attaquée »], la mesure notifiée ne constituant pas une aide d’État.

 Décision attaquée

11      Dans la décision attaquée, la Commission expose l’argumentation des autorités belges concernant leur projet d’augmentation du capital de La Poste. Les autorités belges soutiennent ainsi s’être placées dans une optique d’investisseur privé en économie de marché. L’apport s’inscrit dans un programme de mesures d’accroissement de la productivité de l’entreprise dans le contexte de l’ouverture des marchés postaux et vise à renforcer ses fonds propres, tout en attendant un retour sur investissement. Elles considèrent que les perspectives de croissance de l’entreprise sont réelles dans ses nouvelles activités.

12      Les autorités belges estiment par ailleurs que, depuis 1992, La Poste a dû supporter des coûts de certaines de ses obligations de SIEG (activités postales, activités bancaires pour les personnes ne disposant pas de compte en banque) qui n’étaient que partiellement compensés par les contributions étatiques. Le régime statutaire des quatre cinquièmes des employés de La Poste a également engendré des surcoûts importants (versement des pensions de 1992 à 1997 au lieu de cotisations), ainsi que la mise en œuvre de départs anticipés à la retraite.

13      Dans son appréciation juridique de la mesure notifiée, la Commission est partie du constat que des tâches spécifiques d’intérêt économique général reflétant les missions de service public de La Poste ont été conférées à cette dernière par l’État au travers de chacun des contrats de gestion. Elle a relevé que, conformément à la jurisprudence, si les compensations étatiques dont bénéficiait La Poste n’excédaient pas le coût net additionnel des SIEG qu’elle assurait, de telles mesures ne constituaient pas des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. Néanmoins, dans l’hypothèse où lesdites compensations constitueraient des aides d’État, celles‑ci seraient néanmoins compatibles avec le marché commun, au titre de l’article 86, paragraphe 2, CE.

14      Avant de procéder à l’appréciation de la mesure notifiée, la Commission s’est assurée, dans la décision attaquée, que La Poste n’avait pas bénéficié, depuis sa transformation en entreprise publique autonome, de mesures susceptibles d’être qualifiées d’aides d’État incompatibles avec le marché commun au sens de l’article 87 CE. Dans le cadre de cet examen, elle a identifié six mesures consistant en une exemption du paiement de l’impôt sur les sociétés, l’extournement d’une provision pour retraites d’un montant de 100 millions d’euros en 1997, la possibilité de bénéficier d’une garantie de l’État pour les emprunts contractés, une exemption du précompte immobilier pour les immeubles affectés à un service public, la surcompensation des services financiers d’intérêt général lors du premier contrat de gestion (1992‑1997) et deux augmentations de capital non notifiées effectuées en 1997 pour un montant total de 62 millions d’euros. En outre, la Commission a constaté des sous‑compensations de coût net additionnel de SIEG.

15      La Commission a estimé qu’elle devait, dans un premier temps, porter une appréciation sur ces six mesures, celles‑ci conditionnant la légalité de l’augmentation de capital notifiée.

 Mesure 1 : exemption du paiement de l’impôt sur les sociétés

16      La Commission ayant constaté que La Poste avait dégagé une perte nette cumulée de 238,4 millions d’euros de 1992 à 2002, elle a considéré que, pour cette période, cette mesure ne pouvait être qualifiée d’aide d’État, car elle n’avait entraîné aucun transfert de ressources d’État.

 Mesure 2 : extournement de la provision pour retraites en 1997

17      La Commission a constaté qu’une provision d’un montant de 100 millions d’euros avait été constituée en 1992 lors de la transformation de La Poste en entreprise publique autonome, afin de couvrir une part des prestations de retraites pour les droits acquis des employés de 1972 à 1992. En contrepartie, des immeubles nécessaires au service public et ne pouvant dès lors être aliénés avaient été cédés à La Poste. En 1997, lors de l’alignement du régime des retraites des postiers statutaires sur le régime général, cette provision, qui n’avait jamais fait l’objet d’un prélèvement depuis sa constitution, a été transférée en réserve de plus‑value. La Commission, estimant que l’extournement de la provision n’a procuré aucun avantage à La Poste, a considéré que cette mesure ne constituait pas une aide d’État.

 Mesure 3 : bénéfice de la garantie de l’État pour les emprunts contractés

18      La Commission a constaté que La Poste avait conservé la possibilité, comme la Régie des Postes, de faire appel à la garantie de l’État lorsqu’elle contractait un emprunt et qu’elle devait, si elle utilisait cette possibilité, verser une prime annuelle au Trésor de 0,25 %. La Poste n’ayant jamais fait usage de cette possibilité depuis 1992, la Commission a considéré qu’aucun avantage ne lui avait été accordé et que cette mesure ne constituait pas une aide d’État.

 Mesure 4 : exemption du précompte immobilier pour les immeubles affectés à un service public

19      La Commission a relevé que La Poste était exemptée du paiement de l’impôt sur les biens immobiliers dont elle était propriétaire et qui étaient affectés à un service public. Elle a considéré que cette exemption du précompte immobilier, qui lui conférait a priori un avantage financier, était susceptible de constituer une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

 Mesure 5 : surcompensation des services financiers d’intérêt général lors du premier contrat de gestion (1992‑1997)

20      La Commission a estimé que la comptabilité séparée de la période 1992‑1997 faisait apparaître une surcompensation versée par l’État à La Poste pour les services financiers d’intérêt général et que cette surcompensation constituait potentiellement une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

 Mesure 6 : augmentations de capital non notifiées effectuées en 1997 pour un montant total de 62 millions d’euros

21      La Commission a indiqué que ces deux augmentations de capital, intervenues en mars et en décembre 1997, et destinées à équilibrer une compensation insuffisante des SIEG constituaient potentiellement des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

22      La Commission a ensuite procédé à l’examen des mesures susceptibles de constituer des aides d’État (mesures 4 à 6), au regard des dispositions de l’article 86, paragraphe 2, CE. Après avoir ainsi effectué le solde des surcompensations correspondant à ces trois mesures et des sous‑compensations des SIEG qu’elle avait elle‑même relevées, la Commission a conclu qu’il demeurait une sous‑compensation de coût net additionnel de SIEG et que, ainsi, les trois mesures concernées ne constituaient pas des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

23      De même, la Commission a considéré que, la sous‑compensation de coût net additionnel de SIEG sur la période 1992‑2002 étant supérieure au montant de l’augmentation de capital notifiée, ce dernier ne constituait pas en lui‑même une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, car il ne conférait pas d’avantage à La Poste. La Commission a donc décidé de ne pas soulever d’objections à l’égard de cette mesure.

 Procédure et conclusions des parties

24      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 27 novembre 2003, les requérantes ont introduit le présent recours.

25      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 18 février 2004, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité conformément à l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

26      Le 14 avril 2004, les requérantes ont présenté leurs observations sur cette exception d’irrecevabilité.

27      Par ordonnance du Tribunal du 15 décembre 2004, la demande de statuer sur l’irrecevabilité a été jointe au fond.

28      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

29      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, le rejeter comme non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité

30      L’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission est fondée sur l’absence de qualité pour agir et d’intérêt à agir des requérantes.

 Sur la qualité pour agir

–       Arguments des parties

31      La Commission soutient que le recours ne serait pas recevable, car les requérantes ne seraient pas individuellement concernées au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

32      En premier lieu, la Commission expose, dans des développements présentés antérieurement à l’arrêt de la Cour du 13 décembre 2005, Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum (C‑78/03 P, Rec. p. I‑10737), que la jurisprudence exige, pour admettre la recevabilité d’un recours introduit par un concurrent du bénéficiaire à l’encontre d’une décision de ne pas soulever d’objections adoptée à l’issue de la procédure d’examen préliminaire prévue par l’article 88, paragraphe 3, CE, que la position du requérant sur le marché concerné soit substantiellement affectée par la mesure d’aide (arrêts de la Cour du 19 mai 1993, Cook/Commission, C‑198/91, Rec. p. I‑2487, points 20 à 26, et du 15 juin 1993, Matra/Commission, C‑225/91, Rec. p. I‑3203, point 19).

33      En second lieu, la Commission estime que la décision attaquée, à supposer qu’elle concerne les requérantes à un titre quelconque, ne les concerne pas individuellement au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE et de la jurisprudence issue de l’arrêt de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, Rec. p. 197), en ce sens qu’elles ne sont pas plus concernées par la décision attaquée que toute autre entreprise qui se trouve dans un rapport de concurrence avec le bénéficiaire sur l’un ou l’autre des marchés sur lesquels celui‑ci est présent.

34      La Commission fait valoir que l’affirmation des requérantes selon laquelle elle se réfère, aux paragraphes 27 et 28 de la décision attaquée, au rapport de concurrence directe existant entre une entreprise du groupe Deutsche Post et La Poste est dénuée d’intérêt, étant donné que cette circonstance est évoquée dans la partie descriptive de la décision attaquée et qu’aucun effet juridique ne lui est attribué. Selon la Commission, les aides autorisées n’auraient aucun rapport avec les domaines d’activités cités au paragraphe 27 de la décision attaquée, qui ne revêtent presque aucune importance pour La Poste.

35      Enfin, la Commission a souligné lors de l’audience que, en application de la jurisprudence récente de la Cour (arrêts Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, point 32 supra, et du 29 novembre 2007, Stadtwerke Schwäbisch Hall e.a./Commission, C‑176/06 P, non publié au Recueil), le recours n’est pas recevable dès lors que les requérantes n’ont fait état de la violation de leurs garanties procédurales que de manière très générale et que, dans leurs conclusions, elles demandent l’annulation de la décision attaquée et non pas l’ouverture de la procédure formelle d’examen. Elle estime dès lors que les requérantes auraient dû établir qu’elles étaient substantiellement affectées par la décision attaquée pour que leur recours soit recevable.

36      Les requérantes relèvent, tout d’abord, que la jurisprudence reconnaît aux concurrents du bénéficiaire d’une mesure d’aide le droit d’attaquer la décision de la Commission constatant la compatibilité de cette mesure avec le marché commun à l’issue de la procédure préliminaire d’examen prévue par l’article 88, paragraphe 3, CE (arrêts de la Cour Cook/Commission, point 32 supra, points 20 à 24 ; Matra/Commission, point 32 supra, points 15 à 20, et du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 45). Cette jurisprudence consacrerait la qualité pour agir des entreprises intéressées par la procédure administrative dans l’hypothèse où la Commission clôt la procédure au stade de la procédure d’examen préliminaire sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE, au motif que, à défaut d’une telle qualité pour agir, lesdites entreprises ne pourraient pas obtenir le respect des garanties procédurales rattachées à la procédure formelle d’examen (arrêts Cook/Commission, point 32 supra, point 24, Matra/Commission, point 32 supra, point 17, et Commission/Sytraval et Brink’s France, précité, point 40).

37      Les requérantes rappellent que, dès avant l’adoption de la décision attaquée, elles avaient demandé le 22 juillet 2003 à la Commission d’être considérées comme des parties intéressées au sens de l’article 1er, sous h), et de l’article 20 du règlement nº 659/1999 et que la Commission n’a pas pris leur demande en compte en adoptant la décision attaquée le 23 juillet 2003, les privant ainsi de leurs droits procéduraux.

38      Les requérantes font également observer que les mesures déclarées compatibles avec le marché commun par la décision attaquée faussent la concurrence à leur détriment, puisqu’elles opèrent en qualité de concurrentes directes de La Poste sur le marché belge, surtout dans le secteur de l’acheminement express de colis. À l’appui de cet argument, elles font valoir que le groupe Deutsche Post a réalisé en Belgique un chiffre d’affaires total consolidé de 124,8 millions d’euros au cours de l’exercice commercial précédant l’adoption de la décision attaquée, que, dans la décision attaquée, la Commission renvoie expressément au rapport de concurrence directe existant entre le groupe Deutsche Post et La Poste, qu’elles représentent 35 à 45 % du marché belge dans le secteur de l’expédition expresse de colis et de services de documents [décision de la Commission du 21 octobre 2002, déclarant la compatibilité avec le marché commun d’une concentration (Affaire N IV/M.2908 – Deutsche Post/DHL (II), point 23], alors que La Poste ne posséderait dans le secteur qu’une part de marché de 18 %, et que, sur les marchés postaux libéralisés en Belgique, seul un groupe de tête de quatre entreprises internationales opère, soit DHL/DPAG, UPS, TPG/TNT et FedEx (décision Deutsche Post/DHL, précitée, point 26).

–       Appréciation du Tribunal

39      Conformément à l’article 230, quatrième alinéa, CE, une personne physique ou morale ne peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si ladite décision la concerne directement et individuellement.

40      Selon une jurisprudence constante, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une telle décision le serait (arrêts Plaumann/Commission, point 33 supra, 223, et Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, point 32 supra, point 33).

41      S’agissant d’une décision de la Commission en matière d’aides d’État, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure de contrôle des aides d’État par la Commission prévue à l’article 88 CE, doivent être distinguées, d’une part, la phase préliminaire d’examen des aides instituée par le paragraphe 3 de cet article, qui a seulement pour objet de lui permettre de se former une première opinion sur la compatibilité partielle ou totale de l’aide en cause et, d’autre part, la phase d’examen approfondi visée au paragraphe 2 du même article. Ce n'est que dans le cadre de celle-ci, qui est destinée à permettre à la Commission d’avoir une information complète sur l’ensemble des données de l’affaire, que le traité CE prévoit l’obligation, pour la Commission, de mettre en demeure les intéressés de présenter leurs observations (arrêts Cook/Commission, point 32 supra, point 22 ; Matra/Commission, point 32 supra, point 16 ; Commission/Sytraval et Brink’s France, point 36 supra, point 38, et Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, point 32 supra, point 34).

42      Lorsque, sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, la Commission constate, par une décision prise sur le fondement du paragraphe 3 du même article, qu’une aide est compatible avec le marché commun, les bénéficiaires de ces garanties de procédure ne peuvent en obtenir le respect que s’ils ont la possibilité de contester devant le juge communautaire cette décision (arrêts Cook/Commission, point 32 supra, point 23 ; Matra/Commission, point 32 supra, point 17 ; Commission/Sytraval et Brink’s France, point 36 supra, point 40, et Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, point 32 supra, point 35). Pour ces motifs, est recevable un recours visant à l’annulation d’une telle décision, introduit par un intéressé au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE, lorsque l’auteur de ce recours tend, par l’introduction de celui‑ci, à faire sauvegarder les droits procéduraux qu’il tire de cette dernière disposition (arrêts Cook/Commission, point 32 supra, points 23 à 26, Matra/Commission, point 32 supra, points 17 à 20, et Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, point 32 supra, point 35).

43      Or, les intéressés au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE, qui peuvent ainsi, conformément à l’article 230, quatrième alinéa, CE, introduire des recours en annulation, sont les personnes, entreprises ou associations éventuellement affectées dans leurs intérêts par l’octroi d’une aide, c’est‑à‑dire en particulier les entreprises concurrentes des bénéficiaires de cette aide et les organisations professionnelles (arrêts Commission/Sytraval et Brink’s France, point 36 supra, point 41, et Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, point 32 supra, point 36).

44      En revanche, si le requérant met en cause le bien‑fondé de la décision d’appréciation de l’aide en tant que telle, le simple fait qu’il puisse être considéré comme intéressé au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE ne saurait suffire pour admettre la recevabilité du recours. Il doit alors démontrer qu’il a un statut particulier au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt Plaumann, point 33 supra. Il en serait notamment ainsi au cas où la position sur le marché du requérant serait substantiellement affectée par l’aide faisant l’objet de la décision en cause (arrêt Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, point 32 supra, point 37).

45      En l’espèce, les requérantes invoquent sept moyens à l’appui de leur recours. Le premier moyen est tiré d’une violation des droits de la défense, la Commission n’ayant mis à leur disposition qu’une version non confidentielle de la décision attaquée, dans laquelle la plupart des chiffres ont été occultés, au nom du respect du principe du secret des affaires. Le deuxième moyen est tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article 88, paragraphe 3, CE, la Commission ayant décidé de ne pas procéder à l’ouverture de la procédure prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE, alors même qu’elle aurait éprouvé des difficultés sérieuses dans son appréciation de la compatibilité des aides d’État avec le marché commun. Dans les troisième, quatrième et cinquième moyens, les requérantes soutiennent que l’examen par la Commission des mesures correspondant à l’exonération d’impôt sur les sociétés, à l’extournement d’une provision et à la possibilité de bénéficier d’une garantie de l’État pour les emprunts aurait été insuffisant ou incomplet, et elles contestent l’absence de qualification d’aides d’État de ces mesures. À l’appui de leur sixième moyen, les requérantes mettent en cause la méthode et le contenu du calcul effectué par la Commission du solde des éléments de surcompensations et de sous‑compensations de coût additionnel de SIEG. Enfin, à l’appui de leur septième moyen, les requérantes soutiennent que, contrairement aux principes posés dans l’arrêt de la Cour du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, Rec. p. I‑7747, ci‑après l’« arrêt Altmark »), la Commission n’aurait pas vérifié que les SIEG ont été fournis au moindre coût pour la collectivité.

46      Les requérantes mettant ainsi en cause à la fois le refus de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen et le bien‑fondé de la décision attaquée, il y a lieu d’analyser, en premier lieu, la qualité pour agir des requérantes pour contester le bien‑fondé de la décision attaquée et, en second lieu, la qualité pour agir des requérantes pour obtenir le respect de leurs droits procéduraux, afin de déterminer si elles sont recevables à introduire le présent recours.

47      En premier lieu, les requérantes n’établissent pas que leur position sur le marché puisse être substantiellement affectée par l’aide faisant l’objet de la décision attaquée.

48      En effet, ne constitue pas une affectation substantielle la simple circonstance que la décision en cause est susceptible d’exercer une certaine influence sur les rapports de concurrence existant dans le marché pertinent et que les entreprises concernées se trouvent dans une quelconque relation de concurrence avec le bénéficiaire de cette décision (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 10 décembre 1969, Eridania e.a./Commission, 10/68 et 18/68, Rec. p. 459, point 7). Ainsi, une entreprise ne saurait se prévaloir uniquement de sa qualité de concurrente par rapport à l’entreprise bénéficiaire de la mesure en cause, mais doit démontrer en outre l’importance de l’atteinte à sa position sur le marché (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 23 mai 2000, Comité d’entreprise de la Société française de production e.a./Commission, C‑106/98 P, Rec. p. I‑3659, points 40 et 41).

49      Or, il y a lieu de constater que les requérantes n’ont apporté aucun élément de nature à établir la particularité de leur situation concurrentielle sur le marché postal belge, se bornant à soutenir qu’elles faisaient partie d’un groupe de quelques entreprises présentes sur le marché concerné. Par ailleurs, le simple fait d’être nommément désignées dans la décision attaquée ne suffit pas à établir que les requérantes ont été substantiellement affectées par les mesures dont a bénéficié La Poste et qui ont été autorisées par la décision attaquée, dès lors que, dans les passages concernés, la Commission s’est limitée à indiquer que le marché postal belge était relativement plus ouvert que celui d’autres États membres, La Poste ne détenant que 18 % du marché de l’expédition expresse de colis, le reste étant entre les mains des opérateurs internationaux, et que la marge opérationnelle de La Poste pour le service postal traditionnel essentiellement de courrier était beaucoup plus faible que celle de l’opérateur postal néerlandais TPG ou de Deutsche Post World Net (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 27 mai 2004, Deutsche Post et DHL/Commission, T‑358/02, Rec. p. II‑1565 , points 39 à 41).

50      Enfin, les requérantes ont fait état d’éléments chiffrés relatifs à la part de marché qu’elles détiendraient dans le secteur de l’expédition expresse de colis en Belgique.

51      Ces éléments ne sont cependant, en tant que tels, pas de nature à démontrer que leur position concurrentielle, comparée à celle des autres concurrents de La Poste, était substantiellement affectée par la décision attaquée.

52      En revanche, en leur qualité de concurrentes directes de La Poste sur le marché de l’expédition expresse de colis, les requérantes ont la qualité d’intéressées au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE.

53      En second lieu, il s’agit donc de vérifier si, par leur recours, les requérantes entendent effectivement défendre les droits procéduraux résultant de l’article 88, paragraphe 2, CE.

54      Il convient de rappeler à cet égard que le Tribunal doit interpréter les moyens d’un requérant par leur substance plutôt que par leur qualification (arrêt de la Cour du 15 décembre 1961, Fives Lille Cail e.a./Haute Autorité, 19/60, 21/60, 2/61 et 3/61, Rec. p. 588). Ainsi peut‑il examiner d’autres arguments avancés par un requérant afin de vérifier s’ils apportent aussi des éléments à l’appui d’un moyen, formé par le requérant, soutenant expressément l’existence de doutes qui auraient justifié l’ouverture de la procédure visée à l’article 88, paragraphe 2, CE (arrêts du Tribunal du 13 janvier 2004, Thermenhotel Stoiser Franz e.a./Commission, T‑158/99, Rec. p. II‑1, points 141, 148, 155, 161 et 167, et du 20 septembre 2007, Fachvereinigung Mineralfaserindustrie/Commission, T‑254/05, non publié au Recueil, point 48). Cependant, il n’appartient pas au Tribunal d’interpréter le recours d’un requérant mettant en cause exclusivement le bien‑fondé d’une décision d’appréciation de l’aide en tant que telle comme visant en réalité à sauvegarder les droits procéduraux que le requérant tire de l’article 88, paragraphe 2, CE, lorsque le requérant n’a pas expressément soulevé un moyen poursuivant cette fin. Dans une telle hypothèse, l’interprétation du moyen conduirait à une requalification de l’objet du recours (voir, en ce sens, arrêts Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, point 32 supra, points 44 et 47, et Stadtwerke Schwäbisch Hall e.a./Commission, point 35 supra, point 25). À tout le moins le Tribunal doit‑il se fonder à cette fin sur des éléments présentés par le requérant et qui permettent de conclure que celui‑ci vise en substance la sauvegarde de ses droits procéduraux.

55      Les requérantes soutiennent explicitement, par leur deuxième moyen, que les droits procéduraux qu’elles tiraient de l’article 88, paragraphe 2, CE, ont été violés à l’occasion de l’adoption de la décision attaquée.

56      De plus, il ressort de la requête que les troisième, quatrième, cinquième et septième moyens de la requête fournissent des éléments à l’appui du deuxième moyen, dès lors que les requérantes y soutiennent que, sur certains aspects spécifiques, l’examen de la Commission a été insuffisant et incomplet et que la procédure formelle d’examen aurait dû être ouverte (points 29, 37, 41 et 42 de la requête). De même, le septième moyen, tiré de l’absence de vérification de ce que les SIEG ont été fournis au moindre coût pour la collectivité, constitue un élément qui pourrait permettre d’établir que la procédure formelle d’examen aurait dû être ouverte par la Commission. En conséquence, les requérantes entendent également soutenir, par ces moyens, qui visent à mettre en lumière que les mesures en cause n’avaient pu être examinées de manière appropriée dans le cadre de la procédure d’examen préliminaire, que les droits procéduraux qu’elles tiraient de l’article 88, paragraphe 2, CE ont été violés à l’occasion de l’adoption de la décision attaquée.

57      Il résulte de tout ce qui précède que les requérantes ont qualité pour agir.

 Sur l’intérêt à agir

–       Arguments des parties

58      La Commission soutient que le recours introduit par les requérantes n’est pas recevable, car celles‑ci n’ont aucun intérêt à la solution du litige. La jurisprudence exigerait en effet qu’un requérant démontre toujours qu’il dispose d’un intérêt propre pour agir. La question de l’existence de cet intérêt s’apprécierait en fonction de l’objet du recours.

59      En l’espèce, la Commission considère que, en cas d’annulation de la décision attaquée, les requérantes risquent de voir confirmée sa décision 2002/753/CE, du 19 juin 2002, concernant les mesures prises par la République fédérale d'Allemagne en faveur de Deutsche Post (JO L 247, p. 27), les déclarant incompatibles avec le marché commun.

60      Les requérantes font remarquer que l’objet de leur recours est de préserver leurs intérêts en qualité de concurrentes directes de La Poste, bénéficiaire de l’aide en cause, et que leur recours est totalement indépendant des autres contentieux qu’elles peuvent avoir devant le Tribunal.

–       Appréciation du Tribunal

61      S’agissant d’une décision de la Commission en matière d’aides d’État, il convient de rappeler que ce n’est que dans le cadre de la phase d’examen approfondi prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE, qui est destinée à permettre à la Commission d’avoir une information complète sur l’ensemble des données de l’affaire, que le traité CE prévoit l’obligation, pour la Commission, de mettre en demeure les intéressés de présenter leurs observations (arrêts Cook/Commission, point 32 supra, point 22 ; Matra/Commission, point 32 supra, point 16 ; Commission/Sytraval et Brink’s France, point 36 supra, point 38, et Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, point 32 supra, point 34).

62      En leur qualité d’intéressées au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE, les requérantes ont intérêt à obtenir l’annulation de la décision attaquée, prise au terme de la procédure préliminaire d’examen, dès lors que, en application des dispositions de l’article 88 CE, une telle annulation imposerait à la Commission d’ouvrir la procédure formelle d'examen, et leur permettrait de présenter leurs observations et d’exercer ainsi une influence sur la nouvelle décision de la Commission.

63      En revanche, afin de déterminer si les requérantes disposent d’un intérêt pour agir, il n’appartient pas au Tribunal de comparer les moyens soulevés dans le cadre du présent recours avec les arguments présentés en défense par les requérantes dans un contentieux distinct.

64      Il résulte de ce qui précède que les requérantes ont un intérêt à agir.

65      Le recours est donc recevable et l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission doit, dès lors, être écartée.

 Sur l’objet du contrôle exercé par le Tribunal et sur la recevabilité des moyens du recours

 Sur l’objet du contrôle exercé par le Tribunal

66      S’agissant de l’objet du contrôle devant être effectué par le Tribunal, il y a lieu de préciser qu’un requérant, lorsqu’il tend à faire sauvegarder les droits procéduraux qu’il tire de l’article 88, paragraphe 2, CE, peut invoquer n’importe lequel des motifs énumérés à l’article 230, deuxième alinéa, CE, pour autant qu’ils visent à l’annulation de la décision attaquée et, en définitive, à l’ouverture par la Commission de la procédure visée à l’article 88, paragraphe 2, CE (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 16 mars 2004, Danske Busvognmænd/Commission, T‑157/01, Rec. p. II‑917, point 41). En revanche, il n’appartient pas au Tribunal, à ce stade de la procédure d’examen d’une aide par la Commission, de se prononcer sur l’existence d’une aide ou sur sa compatibilité avec le marché commun (conclusions de l’avocat général M. Mengozzi dans l’affaire British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, non encore publiées au Recueil, point 71).

67      Doivent ainsi être rejetés comme irrecevables les moyens invoqués dans la requête qui tendent à obtenir que le Tribunal se prononce sur l’existence d’une aide ou sur sa compatibilité avec le marché commun. Il en va, en l’espèce, d’une part, du sixième moyen, tiré de la méthode prétendument erronée utilisée par la Commission pour calculer le solde des éléments de surcompensations et de sous‑compensations de coût additionnel des SIEG, et, d’autre part, des troisième, quatrième et cinquième moyens, en ce qu’ils visent à démontrer que la Commission aurait commis une erreur en estimant que les mesures examinées n’étaient pas constitutives d’aides d’État.

68      De même, le premier moyen, tiré d’une violation des droits de la défense, doit être déclaré irrecevable, dès lors que les requérantes n’ont pas établi, ni même allégué, que les données chiffrées occultées dans la version non confidentielle de la décision attaquée leur auraient été nécessaires pour obtenir l’ouverture par la Commission de la procédure visée à l’article 88, paragraphe 2, CE. Il ressort en effet de la requête qu’elles entendaient uniquement se servir de ces données pour vérifier que la Commission n’avait pas commis d’erreur en estimant que les mesures examinées n’étaient pas constitutives d’aides d’État.

69      En revanche, le deuxième moyen, tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article 88, paragraphe 3, CE, et les troisième, quatrième, cinquième et septième moyens, en ce qu’ils tendent à établir que l’examen mené par la Commission pendant la phase d’examen préliminaire a été insuffisant ou incomplet, peuvent être examinés par le Tribunal.

 Sur la recevabilité du moyen tiré du caractère insuffisant de l’examen effectué par la Commission au regard des critères posés par l’arrêt Altmark

70      Dans la mesure où la Commission fait valoir qu’il s’agit d’un moyen nouveau, il convient d’examiner la recevabilité du septième moyen, en ce qu’il tend à établir le caractère insuffisant de l’examen effectué par la Commission au regard des critères posés par l’arrêt Altmark, point 45 supra.

71      À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, « la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure ». En revanche, un moyen qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d’instance et qui présente un lien étroit avec celui‑ci est recevable (arrêt du Tribunal du 9 mars 1999, Hubert/Commission, T‑212/97, RecFP p. I‑A‑41 et II‑185, point 87, et ordonnance du Tribunal du 25 juillet 2000, RJB Mining/Commission, T‑110/98, Rec. p. II‑2971, point 24).

72      En l’espèce, dans leur réplique, sous le titre « Violation des critères consacrés par l’arrêt [Altmark] », les requérantes soutiennent que la Commission a retenu une interprétation inexacte de la notion d’aide d’État et présentent un argumentaire visant à démontrer que la Commission a omis, dans la décision attaquée, d’examiner si les coûts des SIEG compensés par l’État belge étaient équivalents ou inférieurs à ceux d’une entreprise moyenne bien gérée, comme le prévoit l’arrêt Altmark, point 45 supra. Elles cherchent ainsi à faire valoir que l’examen mené par la Commission dans le cadre de la procédure prévue par l’article 88, paragraphe 3, CE n’a pas permis à la Commission de surmonter, au terme de son examen préliminaire, les difficultés liées à l’appréciation du caractère approprié du niveau de la compensation accordée par l’État belge à La Poste.

73      Il y a lieu de constater que ce moyen présente un lien étroit avec le deuxième moyen, tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article 88, paragraphe 3, CE et de la nécessité d’ouvrir la procédure formelle d’examen des aides prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE. En effet, en soutenant que la Commission n’a pas disposé d’informations suffisantes lui permettant de déterminer si les services publics ont été fournis à un coût approprié, les requérantes entendent démontrer que la Commission aurait dû ouvrir la procédure formelle d'examen. Dans ces conditions, ce moyen, constituant implicitement une partie du deuxième moyen de la requête, doit être considéré comme recevable.

 Sur le fond

 Arguments des parties

–       Sur le deuxième moyen, tiré de la nécessité d’ouvrir la procédure prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE

74      Les requérantes estiment que la Commission a méconnu les dispositions de l’article 88, paragraphe 3, CE, en décidant de ne pas procéder à l’ouverture de la procédure prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE. Il ressortirait de la jurisprudence que l’ouverture de la procédure formelle d’examen est indispensable dès que la Commission éprouve des difficultés sérieuses dans son appréciation de la compatibilité d’une aide d’État avec le marché commun et qu’elle n’a pas été en mesure de surmonter toutes les difficultés soulevées par cette appréciation lors du premier examen (arrêt de la Cour du 3 mai 2001, Portugal/Commission, C‑204/97, Rec. p. I-3175, points 33 à 35). En l’espèce, la durée excessive de la procédure préliminaire d’examen, l’ampleur des questions devant être traitées dans le cadre de celle‑ci ainsi que le contenu des documents relatifs à cette procédure produits par la Commission à la demande du Tribunal démontreraient qu’une procédure formelle d’examen devait être ouverte.

75      Les requérantes entendent également se prévaloir du point 35 de l’arrêt Portugal/Commission, point 74 supra, en vertu duquel la Commission serait tenue d’examiner l’ensemble des considérations de fait et de droit portées à sa connaissance par des tiers, et notamment par les entreprises affectées dans leurs intérêts par l’octroi de l’aide.

76      Les requérantes soulignent, enfin, que les demandes de renseignement adressées par la Commission au cours de la procédure préliminaire d’examen ne peuvent servir qu’à compléter la notification et que ce n’est qu’au cours de la procédure formelle d'examen que des informations complètes peuvent être réunies. Or, en l’espèce, tant le volume de documents produits que le champ d’investigation de la Commission auraient été extrêmement importants.

77      La Commission estime qu’il appartient aux requérantes d’établir qu’elle aurait rencontré de graves difficultés dans l’appréciation de la compatibilité avec le marché commun de la mesure notifiée. La Commission considère également que la durée de la procédure préliminaire d’examen n’a pas été excessive et qu’elle s’explique par les nombreuses informations qu’elle a dû rassembler, en accordant, à chaque fois, un délai au gouvernement belge.

–       Sur le troisième moyen, en tant qu’il est tiré du caractère incomplet de l’examen effectué par la Commission sur l’exonération d’impôt sur les sociétés

78      Les requérantes constatent que la Commission a refusé de qualifier cette mesure d’aide d’État pour la seule raison que La Poste a dégagé une perte nette sur la période allant de 1992 à 2002. Or, elles estiment que l’examen d’une mesure pouvant potentiellement constituer une aide d’État doit également être effectué en appréciant ses effets futurs (arrêt de la Cour du 7 juin 1988, Grèce/Commission, 57/86, Rec. p. 2855, point 10).

79      La Commission rappelle que la décision attaquée n’a pas pour objet de procéder à l’examen de l’exonération d’impôt sur les sociétés au regard des règles relatives aux aides d’État, mais uniquement d’établir si cette exonération a conféré à La Poste un avantage qui doit être pris en compte dans le calcul de la compensation entre les coûts nets additionnels et l’ensemble des dépenses publiques.

–       Sur le quatrième moyen, en tant qu’il est tiré du caractère incomplet de l’examen effectué par la Commission sur l’extournement de la provision pour retraites

80      Les requérantes soutiennent que la cession de biens immeubles par l’État belge constitue un avantage économique considérable, même si ces immeubles sont inaliénables, et que ce point n’a pas fait l’objet d’un examen suffisant par la Commission. Elles estiment que La Poste a ainsi acquis des biens immeubles à titre gratuit, la dispensant de frais d’achat ou de location d’immeubles considérables.

81      La Commission estime que La Poste n’a jamais bénéficié d’une subvention effective destinée à l’aider à financer les retraites de ses agents, mais d’une simple opération comptable de provisionnement, ayant pour contrepartie des immeubles inaliénables cédés par l’État. Selon elle, la suppression de la provision pour retraites n’a procuré aucun avantage à La Poste. En revanche, la suppression de l’obligation de supporter les charges des pensions de ses agents à partir de 1997 aurait constitué un avantage, cependant compensé par l’obligation pour La Poste de prendre en charge les cotisations patronales.

–       Sur le cinquième moyen, en tant qu’il est tiré du caractère incomplet de l’examen effectué par la Commission sur la possibilité de bénéficier de la garantie de l’État pour les emprunts contractés

82      Les requérantes estiment que la seule existence de la possibilité pour La Poste de bénéficier d’une garantie de l’État pour ses emprunts lui offre des conditions de financement auxquelles les autres entreprises n’ont pas accès et que la Commission a d’ailleurs suivi un raisonnement similaire dans des affaires relatives aux garanties offertes par la République fédérale d’Allemagne à ses banques publiques ou par la France aux engagements d’Électricité de France. Les requérantes considèrent que la Commission n’établit pas, dans la décision attaquée, en quoi le mécanisme dont bénéficie La Poste serait dénué de caractère automatique. Enfin, elles estiment que la Commission aurait dû procéder à une comparaison du montant de la prime annuelle que La Poste est tenue de verser à l’État avec celui qu’elle aurait dû verser dans des conditions normales de marché.

83      Selon la Commission, cette possibilité de bénéficier de la garantie de l’État ne constitue pas une aide d’État, car La Poste peut renoncer à cette garantie. Elle affirme par ailleurs que la seule possibilité de pouvoir bénéficier d’une garantie ne saurait être assimilée à une garantie effective dans son appréciation de la compatibilité d’une telle mesure avec le marché commun.

–       Sur le septième moyen, en tant qu’il est tiré du caractère insuffisant de l’examen effectué par la Commission au regard des critères posés par l’arrêt Altmark

84      Les requérantes soutiennent dans leur réplique que la Commission a procédé à une interprétation inexacte de l’arrêt Altmark, point 45 supra, dans lequel la Cour aurait précisé que la compensation des coûts de SIEG ne constitue que l’un des critères qui doivent être réunis pour qu’un avantage financier ne constitue pas une aide d’État au sens de l’article 87 CE. Elles soutiennent que la Commission aurait notamment dû vérifier que les services d’intérêt général ont été fournis au moindre coût pour la collectivité (arrêt Altmark, point 45 supra, point 95), ce qui ne semble pas avoir été le cas en l’espèce.

85      La Commission se borne à souligner que ce moyen n’a pas été soulevé par les requérantes dans leur requête et qu’il est, dès lors, irrecevable.

 Appréciation du Tribunal

–       Règles générales relatives à la procédure prévue par l’article 88 CE

86      Il convient tout d’abord de rappeler les règles générales concernant le système de contrôle des aides d’État, institué par le traité, telles qu’elles ont été dégagées par la jurisprudence (arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, point 36 supra, points 33 à 39 ; arrêts du Tribunal du 15 septembre 1998, Gestevisión Telecinco/Commission, T‑95/96, Rec. p. II‑3407, points 49 à 53 ; BP Chemicals/Commission, T‑11/95, Rec. p. II‑3235, points 164 à 166, et du 15 mars 2001, Prayon‑Rupel/Commission, T‑73/98, Rec. p. II‑867, points 39 à 49).

87      Dans le cadre des dispositions de l’article 88, paragraphe 3, CE, la Commission procède à un examen des aides d’État projetées, qui a pour objet de lui permettre de se former une première opinion sur la compatibilité partielle ou totale des aides en cause avec le marché commun. La procédure formelle d’examen prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE vise, elle, à protéger les droits des tiers potentiellement intéressés (voir points 42 et 43 ci‑dessus) et doit en outre permettre à la Commission d’être complètement éclairée sur l’ensemble des données de l’affaire avant de prendre sa décision, notamment en recueillant les observations des tiers intéressés et des États membres (arrêt de la Cour du 20 mars 1984, Allemagne/Commission, 84/82, Rec. p. 1451, point 13). Si son pouvoir est lié quant à la décision d’engager cette procédure, la Commission jouit néanmoins d’une certaine marge d’appréciation dans la recherche et l’examen des circonstances de l’espèce afin de déterminer si celles‑ci soulèvent des difficultés sérieuses. Conformément à la finalité de l’article 88, paragraphe 3, CE et au devoir de bonne administration qui lui incombe, la Commission peut, notamment, engager un dialogue avec l’État notifiant ou des tiers afin de surmonter, au cours de la procédure d’examen préliminaire, des difficultés éventuellement rencontrées (arrêt Prayon‑Rupel/Commission, point 86 supra, point 45).

88      Selon une jurisprudence constante, la procédure de l’article 88, paragraphe 2, CE revêt un caractère indispensable dès lors que la Commission éprouve des difficultés sérieuses pour apprécier si une aide est compatible avec le marché commun (arrêts Allemagne/Commission, point 87 supra, point 13 ; Cook/Commission, point 32 supra, point 29, et Matra/Commission, point 32 supra, point 33 ; voir, également, arrêt du Tribunal du 18 septembre 1995, SIDE/Commission, T‑49/93, Rec. p. II‑2501, point 58).

89      Il appartient à la Commission de déterminer, en fonction des circonstances de fait et de droit propres à l’affaire, si les difficultés rencontrées dans l’examen de la compatibilité de l’aide nécessitent l’ouverture de cette procédure (arrêt Cook/Commission, point 32 supra, point 30). Cette appréciation doit respecter trois exigences.

90      Premièrement, l’article 88 CE circonscrit le pouvoir de la Commission de se prononcer sur la compatibilité d’une aide avec le marché commun au terme de la procédure d’examen préliminaire aux seules mesures ne soulevant pas de difficultés sérieuses, de telle sorte que ce critère revêt un caractère exclusif. Ainsi, la Commission ne saurait refuser d’ouvrir la procédure formelle d’examen en se prévalant d’autres circonstances, telles que l’intérêt de tiers, des considérations d’économie de procédure ou tout autre motif de convenance administrative ou politique (arrêt Prayon‑Rupel/Commission, point 86 supra, point 44).

91      Deuxièmement, lorsqu’elle se heurte à des difficultés sérieuses, la Commission est tenue d’ouvrir la procédure formelle et ne dispose, à cet égard, d’aucun pouvoir discrétionnaire.

92      Troisièmement, la notion de difficultés sérieuses revêt un caractère objectif. L’existence de telles difficultés doit être recherchée tant dans les circonstances d’adoption de l’acte attaqué que dans son contenu, d’une manière objective, en mettant en rapport les motifs de la décision avec les éléments dont la Commission disposait lorsqu’elle s’est prononcée sur la compatibilité des aides litigieuses avec le marché commun (arrêt SIDE/Commission, point 88 supra, point 60). Il en découle que le contrôle de légalité effectué par le Tribunal sur l’existence de difficultés sérieuses, par nature, dépasse la recherche de l’erreur manifeste d’appréciation (voir, en ce sens, arrêts Cook/Commission, point 32 supra, points 31 à 38, et Matra/Commission, point 32 supra, points 34 à 39 ; arrêts SIDE/Commission, point 88 supra, points 60 à 75 ; BP Chemicals/Commission, point 86 supra, points 164 à 200, et Prayon‑Rupel/Commission, point 86 supra, point 47).

93      Les requérantes supportent la charge de la preuve de l’existence de difficultés sérieuses, preuve qu’elles peuvent rapporter à partir d’un faisceau d’indices concordants, relatifs, d’une part, aux circonstances et à la durée de la procédure d’examen préliminaire et, d’autre part, au contenu de la décision attaquée.

94      Selon la jurisprudence, l’écoulement d’un délai excédant notablement ce qu’implique un premier examen dans le cadre des dispositions de l’article 88, paragraphe 3, CE peut, avec d’autres éléments, conduire à reconnaître que la Commission a rencontré des difficultés sérieuses d’appréciation exigeant que soit ouverte la procédure prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE (arrêt Allemagne/Commission, point 87 supra, points 15 et 17 ; arrêts du Tribunal du 10 mai 2000, SIC/Commission, T‑46/97, Rec. p. II‑2125, point 102, et Prayon‑Rupel/Commission, point 86 supra, point 93).

95      Il ressort également de la jurisprudence que le caractère insuffisant ou incomplet de l’examen mené par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire constitue un indice de l’existence de difficultés sérieuses (voir, en ce sens, arrêts Cook/Commission, point 32 supra, point 37, et Portugal/Commission, point 74 supra, points 46 à 49; arrêts SIDE/Commission, point 88 supra, points 61, 67 et 68, et Prayon‑Rupel/Commission, point 86 supra, point 108).

–       Sur les indices de difficultés sérieuses relevant de la durée et des circonstances de la procédure d’examen préliminaire

96      Il appartient tout d’abord au Tribunal d’examiner si la durée et les circonstances de la procédure d’examen préliminaire constituent des indices de l’existence de difficultés sérieuses, en vérifiant si la procédure diligentée par la Commission a notablement excédé ce qu’implique normalement un examen préliminaire opéré dans le cadre des dispositions de l’article 88, paragraphe 3, CE.

97      S’agissant, en premier lieu, de la durée entre la notification du projet d’aides et la décision adoptée par la Commission à l’issue de la procédure d’examen préliminaire, il convient de rappeler que les dispositions de l’article 4, paragraphe 5, du règlement nº 659/1999 prévoient un délai de deux mois pour ladite procédure, qui peut être prorogé par accord mutuel ou lorsque la Commission a besoin d’informations complémentaires.

98      En l’espèce, l’aide a été notifiée par l’État belge à la Commission le 5 décembre 2002, et la décision attaquée a été adoptée le 23 juillet 2003, soit un peu plus de sept mois plus tard. Pendant cette période, trois réunions ont été organisées le 12 décembre 2002, les 6 février et 3 avril 2003 entre la Commission et les autorités belges, et trois demandes de renseignements complémentaires ont été adressées par la Commission au Royaume de Belgique le 23 décembre 2002, les 3 mars et 5 mai 2003. Cette durée de sept mois a manifestement excédé celle que la Commission est, en principe, tenue de respecter pour achever son examen préliminaire.

99      S’agissant, en deuxième lieu, des circonstances dans lesquelles s’est déroulée la procédure, il y a lieu de préciser que, conformément à la finalité de l’article 88, paragraphe 3, CE et au devoir de bonne administration qui lui incombe, la Commission peut, dans le cadre de la procédure d’examen préliminaire, être amenée à demander des informations complémentaires à l’État notifiant (voir, en ce sens, arrêt Matra/Commission, point 32 supra, point 38). Si de tels contacts ne sont pas une preuve de l’existence de difficultés sérieuses, ils peuvent, associés à la durée de l’examen préliminaire, en constituer un indice.

100    Au titre des mesures d’organisation de la procédure, le Tribunal a demandé à la Commission de produire les demandes de renseignements adressées aux autorités belges le 23 décembre 2002, les 3 mars et 5 mai 2003, les réponses fournies par l’État belge les 28 janvier, 3 avril et 13 juin 2003 ainsi que les comptes rendus des réunions organisées avec les autorités belges le 12 décembre 2002, les 6 février et 3 avril 2003.

101    Plusieurs éléments contenus dans les documents produits par la Commission méritent d’être relevés. Tout d’abord, il ressort de ces documents que le champ d’investigation couvert par la Commission lors de la procédure préliminaire d’examen a été très vaste. En effet, les réunions comme les échanges d’informations entre la Commission et les autorités belges ont porté non seulement sur la mesure notifiée, mais également sur des augmentations de capital intervenues en 1997 et non notifiées à la Commission, sur la possibilité de l’existence de subventions croisées entre les activités de service public et les activités concurrentielles et sur le régime fiscal spécifique de La Poste, même si certains de ces éléments ne figurent pas dans la décision attaquée.

102    Par ailleurs, les documents attestent que la Commission a souligné à plusieurs reprises, lors de la procédure d’examen préliminaire, la complexité du dossier, notamment dans le compte rendu de la réunion du 12 décembre 2002 qui précise que « la Commission a indiqué que, compte tenu de la complexité de la situation, notamment passée, de La Poste, et du besoin de sécurité juridique qui pouvait être la sienne, notamment dans le cadre d’une perspective éventuelle de privatisation, une ouverture de procédure s’imposait », ainsi que lors de la réunion du 6 février 2003.

103    Il ressort également de ces documents que la Commission a hésité pendant plusieurs mois sur le choix de la base juridique pour l’adoption de sa décision. Ainsi, dès la première réunion du 12 décembre 2002, la Commission a exposé « qu’un accord de sa part sur l’aide pouvait prendre plusieurs formes différentes, qu’il s’agisse d’une décision considérant les mesures en cause comme ne constituant pas des aides, comme étant une aide destinée à soutenir le service public, ou comme une aide à la restructuration ». Lors de la deuxième réunion du 6 février 2003 et à la suite d’un échange d’informations écrit, la Commission s’interrogeait encore sur l’opportunité de fonder son approche sur une approche de l’investisseur privé en économie de marché, et donc sur l’article 87 CE, ou sur l’article 86 paragraphe 2, CE. Ainsi qu’il ressort du compte rendu de la réunion du 12 décembre 2002, les autorités belges ont fait part de leur nette préférence pour la première solution, souhaitant promouvoir l’idée d’un investissement rentable, alors que la Commission semblait avoir des doutes sur le comportement de La Poste dans le développement de ses activités concurrentielles, comme l’indiquent le compte rendu de la réunion du 6 février 2003 ainsi que les nombreuses demandes réitérées de renseignements de la Commission relatives aux hypothèses d’évolution de l’activité de La Poste.

104    Le compte rendu de la réunion du 6 février 2003 permet en outre de constater que les autorités belges ont insisté sur la nécessité d’obtenir une décision de la Commission dans un délai rapide en raison d’une échéance électorale le 18 mai 2003, qui aurait pu remettre en cause l’augmentation de capital prévue.

105    Enfin, la Commission semble avoir souhaité éviter l’envoi d’une troisième demande de renseignements, le compte rendu de la réunion du 6 février 2003 faisant apparaître que son représentant « essaier[ait], dans la mesure du possible, et en dépit de la complexité du dossier, d’être le plus complet possible dans la seconde liste de questions pour éviter une troisième demande de renseignements ». Elle n’y est cependant pas parvenue, puisqu’elle a envoyé aux autorités belges la troisième et dernière demande de renseignements le 5 mai 2003, laquelle portait sur un nombre non négligeable de points, tels que les hypothèses d’évolution de l’activité de La Poste, ses projections financières, le détail de l’allocation des services publics financiers au service public, la part des investissements attribués aux activités de service universel, le risque associé à la concentration de 85 % des résultats des filiales sur deux activités et la prise en compte de la reprise d’une provision pour préretraites.

106    Il ressort de l’ensemble de ces éléments qu’il y a lieu d’admettre que la procédure menée par la Commission a, en l’espèce, notablement excédé ce qu’implique normalement un premier examen opéré dans le cadre des dispositions de l’article 88, paragraphe 3, CE et, partant, que cette circonstance constitue un indice probant de l’existence de difficultés sérieuses.

107    Il convient dès lors d’examiner si des éléments relatifs au contenu de la décision attaquée peuvent également constituer des indices indiquant que la Commission aurait rencontré des difficultés sérieuses dans l’examen des mesures en cause.

–       Sur le caractère insuffisant de l’examen de l’extournement de la provision pour retraites dans la décision attaquée

108    Il convient de rappeler que La Poste a constitué une provision d’un montant de 100 millions d’euros en 1992 lors de sa transformation en entreprise autonome, afin de couvrir une part des prestations de retraites pour les droits acquis des employés de 1972 à 1992. En contrepartie, des immeubles nécessaires au service public, et ne pouvant dès lors être aliénés, lui ont été cédés par l’État belge. En 1997, lors de l’alignement du régime des retraites des postiers statutaires sur le régime général, cette provision, qui n’avait jamais fait l’objet d’un prélèvement depuis sa constitution, a été transférée en réserve de plus‑value.

109    Il ressort cependant de la décision attaquée et des documents produits par la Commission à la demande du Tribunal que la Commission n’a pas obtenu d’information qui lui aurait permis de se prononcer sur la qualification de la cession par l’État belge d’immeubles au bénéfice de La Poste au regard de l’article 87 CE, alors même que de telles mesures pourraient lui avoir procuré un avantage. En effet, la Commission a pris la décision attaquée sans disposer d’éléments qui auraient notamment pu lui permettre d’évaluer l’avantage procuré par la mise à disposition gratuite d’immeubles. Elle aurait pourtant dû procéder à un examen approfondi des effets de cette mesure avant de se prononcer sur sa qualification d’aide d’État.

110    Dès lors, le fait que la Commission n’ait pas été en mesure, dans le cadre de la procédure préliminaire d’examen, d’effectuer un examen suffisant du transfert d’immeubles par l’État belge au bénéfice de La Poste constitue un indice supplémentaire de l’existence de difficultés sérieuses.

–       Sur le caractère incomplet de l’examen du coût de la fourniture des SIEG dans la décision attaquée

111    À titre préalable, il y a lieu de rappeler que l’argument des requérantes relatif à l’absence d’examen par la Commission du niveau du coût de la fourniture des SIEG est fondé sur les conditions énoncées par la Cour dans l’arrêt Altmark, point 45 supra, dont le prononcé est postérieur à l’adoption de la décision attaquée et dont la Commission ne pouvait, dès lors, pas connaître le contenu au moment de sa prise de décision.

112    Or, force est de constater que la Cour n’a pas limité, dans le temps, la portée des énonciations faites dans l’arrêt Altmark, point 45 supra. En l’absence d’une telle limitation temporelle, ces énonciations résultant d’une interprétation de l’article 87, paragraphe 1, CE sont dès lors pleinement applicables à la situation factuelle et juridique de la présente affaire telle qu’elle se présentait à la Commission lorsqu’elle a adopté la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 février 2008, BUPA e.a./Commission, T‑289/03, non encore publié au Recueil, point 158).

113    À cet égard, il convient de rappeler que l’interprétation que la Cour donne d’une disposition de droit communautaire se limite à éclairer et à préciser la signification et la portée de celle‑ci, telle qu’elle aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur. Il en résulte que la disposition ainsi interprétée peut et doit être appliquée même à des rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt en question et ce n’est qu’à titre exceptionnel que la Cour peut, par application d’un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique communautaire, être amenée à limiter la possibilité pour tout intéressé d’invoquer une disposition qu’elle a interprétée en vue de mettre en cause des relations juridiques établies de bonne foi. Or, une telle limitation ne peut être admise que dans l’arrêt même qui statue sur l’interprétation sollicitée (voir, en ce sens et par analogie, arrêts de la Cour du 15 mars 2005, Bidar, C‑209/03, Rec. p. I‑2119, points 66 et 67, et du 6 mars 2007, Meilicke e.a., C‑292/04, Rec. p. I‑1835, points 34 à 36, et la jurisprudence citée). Le Tribunal estime que ces considérations issues d’une jurisprudence qui vise, en particulier, le devoir d’application du droit communautaire par le juge national s’appliquent mutatis mutandis aux institutions communautaires lorsque celles‑ci sont, à leur tour, appelées à mettre en œuvre les dispositions de droit communautaire faisant l’objet d’une interprétation postérieure de la Cour (arrêt BUPA e.a./Commission, point 112 supra, point 159).

114    En l’espèce, il convient donc d’examiner si la Commission a procédé à un examen lui permettant de déterminer si le niveau de la compensation versée à La Poste avait été fixé sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement dotée de moyens nécessaires afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes qui y sont relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations (voir, en ce sens, arrêt Altmark, point 45 supra, point 93).

115    Or, il ressort tant de la décision attaquée que des échanges de courriers et des comptes rendus des réunions entre la Commission et les autorités belges que la Commission n’a à aucun moment vérifié que les services d’intérêt général fournis par La Poste l’avaient été à un coût qu’aurait supporté une entreprise moyenne bien gérée, conformément au principe posé par l’arrêt Altmark, point 45 supra. La Commission s’est bornée à se fonder sur le caractère négatif du solde de tous les éléments des surcompensations et sous‑compensations de coût additionnel de SIEG pour considérer que les mesures examinées ne constituaient pas des aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

116    Ainsi, sur la base de ces éléments, il y a lieu de conclure que la Commission n’a pas procédé à un examen du coût des services d’intérêt général fournis par La Poste en comparaison avec les coûts qu’aurait supportés une entreprise moyenne, qui aurait pu, le cas échéant, lui permettre de conclure que les mesures examinées ne constituaient pas des aides d’État.

117    Le fait que la Commission n’ait pas été en mesure, dans le cadre de la procédure préliminaire d’examen, d’effectuer un examen complet en ce qui concerne l’appréciation du caractère approprié du niveau de la compensation accordée par l’État belge à La Poste constitue un nouvel indice de l’existence de difficultés sérieuses.

118    Il ressort de l’examen du deuxième moyen ainsi que des quatrième et septième moyens, en ce qu’ils tendent à établir que l’examen mené par la Commission durant la phase préliminaire d’examen a été insuffisant ou incomplet, qu’il existe un ensemble d’indices objectifs et concordants, tirés de la durée excessive de la procédure d’examen préliminaire, des documents qui mettent en évidence l’ampleur et la complexité de l’examen à mener et du contenu partiellement incomplet et insuffisant de la décision attaquée, qui attestent que la Commission a pris la décision attaquée malgré l’existence de difficultés sérieuses. Sans qu’il y ait lieu de statuer sur les troisième et cinquième moyens des requérantes, en ce qu’ils tendent à établir que l’examen de la Commission a pu être incomplet ou insuffisant s’agissant de l’exonération d’impôt sur les sociétés et de la possibilité de bénéficier d’une garantie de l’État pour les emprunts contractés, il convient donc de conclure que l’appréciation de la compatibilité avec le marché commun de la mesure notifiée soulevait des difficultés sérieuses qui auraient dû conduire la Commission à ouvrir la procédure visée à l’article 88, paragraphe 2, CE.

119    La décision attaquée doit dès lors être annulée.

 Sur les dépens

120    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux des requérantes.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision C (2003) 2508 fin de la Commission, du 23 juillet 2003, de ne pas soulever d’objections, à la suite de la procédure préliminaire d’examen prévue par l’article 88, paragraphe 3, CE, à l’encontre de plusieurs mesures prises par les autorités belges au profit de La Poste SA, l’entreprise postale publique belge, est annulée.

2)      La Commission supportera ses propres dépens et ceux exposés par Deutsche Post AG et DHL International.

Pelikánová

Jürimäe

Soldevila Fragoso

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 février 2009.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

Procédure d’examen préliminaire

Décision attaquée

Mesure 1 : exemption du paiement de l’impôt sur les sociétés

Mesure 2 : extournement de la provision pour retraites en 1997

Mesure 3 : bénéfice de la garantie de l’État pour les emprunts contractés

Mesure 4 : exemption du précompte immobilier pour les immeubles affectés à un service public

Mesure 5 : surcompensation des services financiers d’intérêt général lors du premier contrat de gestion (1992‑1997)

Mesure 6 : augmentations de capital non notifiées effectuées en 1997 pour un montant total de 62 millions d’euros

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur la recevabilité

Sur la qualité pour agir

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur l’intérêt à agir

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur l’objet du contrôle exercé par le Tribunal et sur la recevabilité des moyens du recours

Sur l’objet du contrôle exercé par le Tribunal

Sur la recevabilité du moyen tiré du caractère insuffisant de l’examen effectué par la Commission au regard des critères posés par l’arrêt Altmark

Sur le fond

Arguments des parties

– Sur le deuxième moyen, tiré de la nécessité d’ouvrir la procédure prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE

– Sur le troisième moyen, en tant qu’il est tiré du caractère incomplet de l’examen effectué par la Commission sur l’exonération d’impôt sur les sociétés

– Sur le quatrième moyen, en tant qu’il est tiré du caractère incomplet de l’examen effectué par la Commission sur l’extournement de la provision pour retraites

– Sur le cinquième moyen, en tant qu’il est tiré du caractère incomplet de l’examen effectué par la Commission sur la possibilité de bénéficier de la garantie de l’État pour les emprunts contractés

– Sur le septième moyen, en tant qu’il est tiré du caractère insuffisant de l’examen effectué par la Commission au regard des critères posés par l’arrêt Altmark

Appréciation du Tribunal

– Règles générales relatives à la procédure prévue par l’article 88 CE

– Sur les indices de difficultés sérieuses relevant de la durée et des circonstances de la procédure d’examen préliminaire

– Sur le caractère insuffisant de l’examen de l’extournement de la provision pour retraites dans la décision attaquée

– Sur le caractère incomplet de l’examen du coût de la fourniture des SIEG dans la décision attaquée

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’allemand.