Language of document : ECLI:EU:T:2016:107

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

26 février 2016 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Adhésion de la Croatie à l’Union – Abrogation avant l’adhésion d’une législation nationale prévoyant la création de la profession d’agent public d’exécution – Préjudice subi par les personnes ayant précédemment été nommées agents publics d’exécution – Défaut d’adoption par la Commission de mesures visant au respect des engagements d’adhésion – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers – Article 36 de l’acte d’adhésion »

Dans les affaires jointes T‑546/13, T‑108/14 et T‑109/14,

Ante Šumelj, demeurant à Zagreb (Croatie), et les autres requérants dont les noms figurent en annexe, représentés par Me M. Krmek, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par Mme K. Ćutuk et M. G. Wils ainsi que, dans les affaires T‑546/13 et T‑108/14, par Mme S. Ječmenica, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours en indemnité visant à obtenir réparation du préjudice prétendument subi par les requérants du fait du comportement fautif de la Commission lors de son suivi du respect des engagements d’adhésion par la République de Croatie,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme M. E. Martins Ribeiro, président, MM. S. Gervasoni (rapporteur) et L. Madise, juges,

greffier : Mme S. Bukšek Tomac, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 15 septembre 2015,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        L’article 36 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Croatie et aux adaptations du traité sur l’Union européenne, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2012, L 112, p. 21, ci‑après l’« acte d’adhésion »), annexé au traité entre les États membres de l’Union européenne et la République de Croatie relatif à l’adhésion de la République de Croatie à l’Union européenne (JO 2012, L 112, p. 10, ci‑après le « traité d’adhésion »), stipule :

« 1.      La Commission suit de près tous les engagements pris par la Croatie au cours des négociations d’adhésion, y compris ceux qui doivent être respectés avant ou à la date de l’adhésion. Le suivi assuré par la Commission comprend les éléments suivants : des tableaux de suivi mis à jour régulièrement, le dialogue dans le cadre de l’accord de stabilisation et d’association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et la République de Croatie, d’autre part [...], des missions d’évaluation par les pairs, le programme économique de préadhésion, les notifications budgétaires et, s’il y a lieu, l’envoi de lettres d’avertissement précoce aux autorités croates. À l’automne 2011, la Commission présente un rapport sur les progrès réalisés au Parlement européen et au Conseil. À l’automne 2012, elle présente un rapport de suivi complet au Parlement européen et au Conseil. Tout au long du processus de suivi, la Commission s’appuie également sur les contributions des États membres et tient compte des contributions des organisations internationales et de la société civile, le cas échéant.

Le suivi assuré par la Commission porte en particulier sur les engagements pris par la Croatie dans le domaine du pouvoir judiciaire et des droits fondamentaux (annexe VII), y compris sur la question de savoir si elle continue d’enregistrer de bons résultats en matière de réforme judiciaire et d’efficacité du système judiciaire, de traitement impartial des affaires de crimes de guerre et de lutte contre la corruption.

[...]

En tant que partie intégrante de ses tableaux et rapports de suivi périodiques, la Commission procède, jusqu’à l’adhésion de la Croatie, à des évaluations semestrielles concernant les engagements pris par la Croatie dans ces domaines.

2.      Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, peut prendre toutes les mesures appropriées si des sujets de préoccupation sont mis en évidence au cours du processus de suivi. Ces mesures ne sont maintenues que pendant la durée strictement nécessaire et, en tout état de cause, sont levées par le Conseil, statuant selon la même procédure, lorsque les sujets de préoccupation ont effectivement été réglés. »

2        En vertu de l’annexe VII de l’acte d’adhésion, intitulée « Engagements spécifiques pris par la République de Croatie au cours des négociations d’adhésion (visés à l’article 36, paragraphe 1, deuxième alinéa, de l’acte d’adhésion) » :

« 1.      Continuer à assurer la mise en œuvre effective de sa stratégie de réforme judiciaire et du plan d’action qui l’accompagne.

2.      Continuer à renforcer l’indépendance, la responsabilité, l’impartialité et le professionnalisme du pouvoir judiciaire.

3.      Continuer à améliorer l’efficacité du système judiciaire.

[...]

6.      Continuer à améliorer son bilan en termes de renforcement des mesures de prévention en matière de lutte contre la corruption et les conflits d’intérêts.

[...]

9.      Continuer à améliorer la protection des droits de l’homme.

[...] »

3        L’article 36 de l’acte d’adhésion s’applique, selon l’article 3, paragraphe 5, du traité d’adhésion, dès la date de la signature dudit traité, soit le 9 décembre 2011.

 Antécédents du litige

4        En vue de son adhésion à l’Union européenne, la République de Croatie a signé, le 29 octobre 2001, l’accord de stabilisation et d’association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et la République de Croatie, d’autre part (JO 2005, L 26, p. 3), par lequel elle s’est notamment engagée à respecter les principes démocratiques, les droits de l’homme ainsi que les principes du droit international et de l’État de droit.

5        Après l’émission d’un avis favorable de la Commission européenne sur le respect des critères requis pour l’ouverture des négociations d’adhésion, les négociations relatives au chapitre 23 des négociations d’adhésion, intitulé « Pouvoir judiciaire et droits fondamentaux », ont été ouvertes lors de la conférence intergouvernementale du 30 juin 2010.

6        Dans le prolongement du plan d’action révisé pour la réforme judiciaire du 20 mai 2010 (ci‑après le « plan d’action 2010 »), prévoyant notamment l’institution d’agents publics d’exécution, le Parlement croate a adopté le 23 novembre 2010 l’Ovršni zakon (loi sur l’exécution forcée) (NN 139/10, ci‑après la « loi sur l’exécution forcée ») et la Zakon o javnim ovršiteljima (loi sur les agents publics d’exécution) (NN 139/10, ci‑après la « loi sur les agents publics d’exécution »), qui ont instauré un nouveau régime d’exécution des décisions de justice. En vertu de l’article 122 de la loi sur les agents publics d’exécution, certaines dispositions de cette loi devaient entrer en vigueur le 1er janvier 2012, tandis que d’autres dispositions devaient entrer en vigueur le jour de l’adhésion de la République de Croatie à l’Union. Le Parlement croate a également adopté le 15 décembre 2010 la stratégie de réforme de la justice pour la période 2011‑2015 (ci‑après la « stratégie de réforme judiciaire 2011‑2015 »), précisant que les autorités croates avaient décidé de résoudre le problème de l’inefficacité du système d’exécution des décisions de justice par une réforme radicale du système fondée sur le transfert de l’exécution forcée des tribunaux aux agents publics d’exécution.

7        Les négociations relatives au chapitre 23 ont été clôturées lors de la conférence intergouvernementale du 30 juin 2011, à la suite de la remise à la Commission par les autorités croates de leur rapport du 12 mai 2011 relatif au respect des obligations prévues par ledit chapitre.

8        À la suite de la publication, le 19 août 2011, d’un appel public à candidatures en vue de la nomination d’agents publics d’exécution par le ministère de la Justice croate, M. Ante Šumelj et les autres requérants dont les noms figurent en annexe, ayant réussi le concours en cause, ont été nommés agents publics d’exécution par décisions ministérielles du 24 octobre 2011, ont prêté serment le 12 décembre 2011 et ont obtenu l’autorisation de débuter leur activité.

9        Dans le tableau de suivi des progrès accomplis dans les engagements pris au titre du chapitre 23 pour la période allant du 30 juin au 1er septembre 2011 ainsi que dans ses rapport et avis du 12 octobre 2011, la Commission a notamment indiqué que la République de Croatie progressait dans le respect de ses engagements et que la réforme judiciaire se poursuivait et requérait une attention constante, notamment concernant l’efficacité du système judiciaire.

10      Le 9 décembre 2011, a été signé, entre les États membres de l’Union et la République de Croatie, le traité d’adhésion. Le traité d’adhésion, ratifié en janvier 2012 par la République de Croatie, a été publié le 24 avril 2012 au Journal officiel de l’Union européenne. L’acte d’adhésion, annexé au traité d’adhésion, prévoit en son article 36 le suivi par la Commission des engagements pris par la République de Croatie au cours des négociations d’adhésion (voir points 1 à 3 ci‑dessus).

11      Le 22 décembre 2011, le Parlement croate, lors de sa séance inaugurale faisant suite aux élections législatives du 4 décembre 2011, a décidé de reporter l’application de la loi sur l’exécution forcée et de la loi sur les agents publics d’exécution au 1er juillet 2012.

12      Lors d’une réunion entre le représentant de la délégation de l’Union auprès de la République de Croatie et les autorités croates s’étant tenue le 25 janvier 2012, le ministre de la Justice croate s’est expliqué sur ce report et s’est engagé à consulter la Commission sur les nouvelles initiatives législatives ainsi que sur l’analyse et la vision du système d’exécution. Dans une lettre du 30 janvier 2012 envoyée à certains agents publics d’exécution, le chef de ladite délégation de l’Union a indiqué que, dans le cadre de la mission qui lui avait été confiée de suivre de près les engagements pris par la République de Croatie, la Commission suivait la réforme du système d’exécution des décisions de justice et qu’elle ferait part aux autorités croates, si nécessaire, de son avis dans le cadre de ce suivi.

13      Dans le tableau de suivi pour la période allant du 1er septembre 2011 au 29 février 2012 comme, en substance, dans son rapport du 24 avril 2012, la Commission a souligné que la réforme du système d’exécution des décisions de justice devait être menée à bien en priorité, en tenant compte en particulier du report de l’entrée en vigueur de la loi sur les agents publics d’exécution.

14      Au cours de deux réunions du 9 mars 2012 et par lettre du 16 mai 2012, la Commission a demandé des explications relatives à ce report. Elle a également exprimé son mécontentement du fait de l’absence de consultation des autorités de l’Union avant ledit report et a souligné la nécessité pour les autorités croates de définir dans les plus brefs délais une position claire sur la question du système d’exécution des décisions de justice en tenant compte des exigences d’efficacité.

15      Par courriers des 21 et 22 mai 2012, les autorités croates ont transmis à la Commission des explications relatives à la réforme du système d’exécution des décisions de justice ainsi qu’aux projets de lois correspondants.

16      Lors d’une réunion du 5 juin 2012, la Commission a indiqué aux autorités croates que les modifications de mesures convenues au cours des négociations d’adhésion devaient être justifiées par des motifs sérieux et permettre d’atteindre des résultats équivalents, en demandant la communication d’informations relatives à de tels résultats.

17      Le 21 juin 2012 a été adoptée la loi modifiant la loi sur les agents publics d’exécution, en reportant son entrée en vigueur au 15 octobre 2012.

18      Par lettre du 27 juin 2012 adressée aux autorités croates, la Commission a précisé les critères au regard desquels la réforme du système d’exécution des décisions de justice devait être évaluée, demandé la communication de données statistiques relatives aux procédures d’exécution et proposé l’aide de ses services.

19      Dans le tableau de suivi pour la période allant du 1er mars au 1er septembre 2012, la Commission a réitéré en substance son avis émis dans le tableau de suivi précédent et a indiqué que, compte tenu du respect, dans l’ensemble, de ses engagements par la République de Croatie, cette dernière devrait être en mesure de mettre en œuvre l’acquis de l’Union dès l’adhésion.

20      Par courrier du 16 septembre 2012, l’un des requérants a adressé une plainte à la Commission attirant son attention sur le non‑respect par la République de Croatie de ses engagements d’adhésion et lui reprochant de ne pas agir pour assurer ce respect.

21      Le 25 septembre 2012, à l’occasion d’une rencontre entre la Commission et les autorités croates, ont été abordées les solutions prévues par la nouvelle loi sur l’exécution forcée en cours d’adoption ainsi que la possibilité d’apporter des améliorations supplémentaires.

22      Par loi du 28 septembre 2012, la loi sur les agents publics d’exécution a été abrogée, cette profession étant supprimée à compter du 15 octobre 2012.

23      Dans son rapport du 10 octobre 2012, la Commission a exprimé sa préoccupation face à la hausse du nombre d’affaires liées à l’exécution des décisions de justice non résolues et a indiqué que l’une des actions auxquelles les autorités croates devaient accorder une attention particulière dans les mois à venir était l’adoption de la nouvelle législation en matière d’exécution des décisions de justice, afin de garantir l’application des décisions de justice et de réduire l’arriéré d’affaires ayant trait à l’exécution des jugements.

24      Par courriers des 8 et 19 octobre 2012, la Commission a répondu à plusieurs agents publics d’exécution qu’elle assurerait le suivi de la mise en œuvre de la nouvelle législation en matière d’exécution des décisions de justice, en établissant des rapports et en veillant notamment à la contribution du nouveau système à la réduction de l’arriéré judiciaire.

25      Par lettre du 3 décembre 2012, répondant à la lettre des autorités croates du 10 octobre 2012 l’informant de l’adoption de la nouvelle législation en matière d’exécution des décisions de justice, la Commission a rappelé les critères permettant de mesurer les résultats de cette nouvelle législation et a souligné la nécessité de mesures d’urgence pour que ladite législation produise des résultats concluants avant le 1er juillet 2013.

26      Par décision du 23 janvier 2013, l’Ustavni sud (Cour constitutionnelle, Croatie) a rejeté la demande d’ouverture d’une procédure de contrôle de la constitutionnalité de la loi reportant l’application de la loi sur les agents publics d’exécution. Il a toutefois reconnu l’existence d’une atteinte aux espérances légitimes des agents publics d’exécution nommés de commencer à exercer leur activité le 1er janvier 2012 et a ordonné pour ce motif, à titre de réparation, le versement d’une somme forfaitaire à ces agents, sans préjudice de leur droit de demander réparation en vertu des règles générales du droit des obligations.

27      Dans le tableau de suivi pour la période allant du 1er septembre 2012 au 28 février 2013, la Commission a souligné les progrès accomplis par la République de Croatie, en faisant état de la diminution des affaires civiles non résolues en matière d’exécution des décisions de justice entre septembre et décembre 2012 (diminution comprise entre 4,28 % et 28,85 %).

28      Dans son rapport du 26 mars 2013, la Commission a indiqué que la République de Croatie avait mené à bien l’action prioritaire relative à l’adoption de la nouvelle législation en matière d’exécution de jugements afin de garantir l’application des décisions de justice et de réduire l’arriéré d’affaires ayant trait à l’exécution des jugements.

29      Le 22 avril 2013, le Conseil de l’Union européenne a accueilli avec satisfaction ce rapport de suivi de la Commission, ainsi que les tableaux de suivi qui l’accompagnaient, et a pris note de la conclusion que, d’une manière générale, la République de Croatie respectait ses engagements et satisfaisait aux exigences découlant des négociations d’adhésion. Il a également relevé que l’adhésion de la République de Croatie constituait l’aboutissement d’un processus de négociation mené avec rigueur et d’un suivi attentif des préparatifs de préadhésion.

30      Dans sa réponse du 23 avril 2013 au président de l’association constituée en vue de représenter les agents publics d’exécution, la Commission a souligné qu’elle avait suivi de près la réforme du système d’exécution des jugements et a précisé qu’elle laissait au pays candidat la possibilité de choisir son modèle de système d’exécution, à condition que ce modèle produise les résultats requis et soit conforme aux standards de l’Union ainsi qu’aux meilleures pratiques.

31      Par décision du 23 avril 2013, l’Ustavni sud a rejeté la demande d’ouverture d’une procédure de contrôle de la constitutionnalité de la loi abrogeant la loi sur les agents publics d’exécution. Il a notamment indiqué ne pas examiner les allégations de l’association croate des agents publics d’exécution relatives au non‑respect du traité d’adhésion, au motif que la Commission avait établi, dans son rapport du 26 mars 2013, le respect par la République de Croatie de ses engagements d’adhésion.

32      La République de Croatie est devenue membre de l’Union le 1er juillet 2013.

 Procédure et conclusions des parties

33      Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 20 septembre 2013 (affaire T‑546/13) et le 17 février 2014 (affaires T‑108/14 et T‑109/14), les requérants ont introduit les présents recours.

34      Par ordonnance du 5 mai 2014, le président de la deuxième chambre du Tribunal a joint les affaires T‑546/13, T‑108/14 et T‑109/14 aux fins de la procédure écrite, de l’éventuelle procédure orale et de la décision mettant fin à l’instance.

35      Par ordonnance du 18 juillet 2014, il a joint les trois exceptions d’irrecevabilité soulevées dans ces trois affaires au fond.

36      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les exceptions d’irrecevabilité et condamner la Commission aux dépens afférents à ces exceptions ;

–        constater, par arrêt avant dire droit, que l’Union est responsable des préjudices qu’ils ont subis et suspendre l’instance relative à la fixation du montant desdits préjudices jusqu’au moment où l’arrêt avant dire droit aura acquis autorité de chose jugée ;

–        réserver les dépens et, dans l’hypothèse où le Tribunal ne rendrait pas un arrêt avant dire droit, condamner la Commission aux dépens.

37      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, rejeter les recours comme irrecevables ;

–        à titre subsidiaire, rejeter les recours comme non fondés ;

–        condamner les requérants aux dépens.

38      En réponse à des questions posées par le Tribunal lors de l’audience, la Commission a renoncé à ses exceptions d’irrecevabilité, ce dont il a été pris acte dans le procès‑verbal de l’audience.

 En droit

39      Selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, pour comportement illicite de ses organes, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir le caractère fautif du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (voir arrêts du 19 avril 2012, Artegodan/Commission, C‑221/10 P, Rec, EU:C:2012:216, point 80 et jurisprudence citée, et du 16 mai 2013, Gap granen & producten/Commission, T‑437/10, EU:T:2013:248, point 16 et jurisprudence citée).

40      S’agissant de la condition relative au caractère fautif du comportement reproché aux institutions, il est également de jurisprudence constante que seule une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers permet d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union (voir arrêts du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec, EU:C:2000:361, points 42 et 43 et jurisprudence citée, et du 2 mars 2010, Arcelor/Parlement et Conseil, T‑16/04, Rec, EU:T:2010:54, point 141 et jurisprudence citée).

41      Il convient, à titre liminaire, de préciser que le comportement prétendument illégal reproché en l’espèce à la Commission consiste uniquement en une omission fautive, celle de ne pas avoir pris les mesures qui auraient permis d’empêcher l’abrogation de la loi sur les agents publics d’exécution. En effet, contrairement à ce qu’ont soutenu les requérants lors de l’audience, le fait d’émettre un avis favorable dans le dernier rapport de suivi des préparatifs de l’adhésion de la République de Croatie (voir point 28 ci‑dessus) s’inscrit dans l’ensemble des omissions de la Commission qui auraient prétendument entaché le suivi du processus d’adhésion par cette institution. La Commission n’a pas stoppé ou suspendu ce processus en émettant un avis négatif. L’avis qu’elle a émis dans son rapport susvisé ne peut ainsi être considéré comme une action fautive autonome, et ce d’autant plus que les requérants ont eux‑mêmes souligné dans la réplique qu’ils reprochaient une omission fautive à la Commission.

42      Selon une jurisprudence constante, les omissions des institutions ne sont susceptibles d’engager la responsabilité de l’Union que dans la mesure où lesdites institutions ont violé une obligation légale d’agir résultant d’une disposition du droit de l’Union (arrêts du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, Rec, EU:C:1994:329, point 58, et du 13 novembre 2008, SPM/Conseil et Commission, T‑128/05, EU:T:2008:494, point 128). Il résulte par ailleurs de la jurisprudence que l’exigence de violation d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers s’applique également dans l’hypothèse d’une omission fautive (voir arrêt du 29 janvier 1998, Dubois et Fils/Conseil et Commission, T‑113/96, Rec, EU:T:1998:11, point 60 et jurisprudence citée).

43      En l’espèce, les requérants soutiennent, en substance, que l’obligation d’agir de la Commission découlait de l’article 36 de l’acte d’adhésion. Ils font également mention des articles 13 TUE et 17 TUE ainsi que du principe de protection de la confiance légitime.

 Sur la méconnaissance de l’article 36 de l’acte d’adhésion

44      Il convient de déterminer si la Commission avait l’obligation, dans les circonstances de l’espèce, de constater dans ses tableaux de suivi et rapports le non‑respect par les autorités croates de leurs engagements, du fait du report puis de l’abrogation de la loi sur les agents publics d’exécution, et de leur envoyer des lettres d’avertissement précoce les avertissant de ce non‑respect, conformément à l’article 36, paragraphe 1, de l’acte d’adhésion, ainsi que de proposer les mesures appropriées correspondantes au Conseil, en vertu de l’article 36, paragraphe 2, du même acte.

45      Premièrement, les requérants fondent l’existence d’une telle obligation sur celle qu’auraient eue les autorités croates d’instituer la fonction d’agent public d’exécution, laquelle découlerait du traité d’adhésion.

46      Il n’est pas contesté que revêtent un caractère obligatoire pour les autorités croates les principes posés par le chapitre 23 des négociations d’adhésion, relatif à la mise en place d’un appareil judiciaire indépendant et efficace et au respect des droits fondamentaux. Ces principes ont été repris dans l’annexe VII de l’acte d’adhésion sous la forme de dix engagements spécifiques pris par la République de Croatie. Outre l’engagement relatif à « la mise en œuvre effective de sa stratégie de réforme judiciaire et du plan d’action qui l’accompagne » (engagement no 1), la République de Croatie s’est également engagée à « continuer à renforcer l’indépendance, la responsabilité, l’impartialité et le professionnalisme du pouvoir judiciaire » (engagement no 2), à « continuer à améliorer l’efficacité du système judiciaire » (engagement no 3), à « continuer à améliorer son bilan en termes de renforcement des mesures de prévention en matière de lutte contre la corruption et les conflits d’intérêts » (engagement no 6) et à « continuer à améliorer la protection des droits de l’homme » (engagement no 9) (voir point 2 ci‑dessus). Ainsi, seul le non‑respect de ces engagements aurait pu fonder une obligation d’agir de la Commission en l’espèce.

47      S’agissant de l’engagement no 1, il peut être relevé qu’il ressort de son libellé qu’il ne vise pas une stratégie de réforme judiciaire et un plan d’action déterminés. En effet, comme le relève pertinemment la Commission, cet engagement fait référence de manière générale à la « stratégie de réforme judiciaire » et au « plan d’action » des autorités croates, sans autre précision, alors même que la stratégie et le plan en cause auraient pu être identifiés, en mentionnant ceux en vigueur à la date de la signature du traité d’adhésion, à savoir la stratégie de réforme judiciaire 2011‑2015 et le plan d’action 2010, lesquels prévoyaient tous deux l’institution de la fonction d’agent public d’exécution (voir point 6 ci‑dessus).

48      De telles mentions générales s’expliquent par le fait que la période s’écoulant entre la date de la signature de l’acte d’adhésion et la date d’adhésion effective, et en particulier le suivi des engagements d’adhésion qui est effectué au cours de cette période, est caractérisée par des échanges réguliers entre les autorités de l’Union et celles de l’État adhérent, ainsi qu’en attestent les antécédents du présent litige. Or, ces échanges, tout en ne pouvant être qualifiés d’échanges de négociation au sens strict, dès lors que les négociations étaient par définition clôturées à la date de l’acte d’adhésion stipulant les engagements en cause, se traduisent nécessairement, comme le souligne la Commission, par des ajustements de part et d’autre en fonction des résultats obtenus par l’État adhérent et des appréciations de l’autorité chargée du suivi. Il est ainsi fréquent que, au cours de la période de suivi des engagements d’adhésion, des mesures complémentaires ou correctives soient adoptées par l’État adhérent, notamment en cas de résultats décevants constatés par la Commission.

49      Il en résulte que la stratégie de réforme et le plan d’action cités dans l’annexe VII de l’acte d’adhésion ne renvoyaient pas uniquement à la stratégie de réforme judiciaire 2011‑2015 et au plan d’action 2010, en vigueur à la date de l’acte d’adhésion, et ce d’autant plus que le plan d’action 2010 fixait pour l’essentiel des objectifs à court terme devant être réalisés en 2010, impliquant qu’il devait nécessairement être suivi d’un voire de plusieurs nouveaux plans jusqu’à la date d’adhésion effective. La stratégie de réforme judiciaire 2011‑2015 prévoyait d’ailleurs elle‑même que des mesures de mise en œuvre seraient élaborées dans le cadre de plusieurs plans d’action annuels. De même, la Commission a précisé lors de l’audience, sans être contestée sur ce point par les requérants, que les autorités croates avaient adopté une nouvelle stratégie de réforme judiciaire en décembre 2012 accompagnée du nouveau plan d’action correspondant.

50      Le fait, souligné par les requérants, que la stratégie de réforme judiciaire 2011‑2015 et le plan d’action 2010 sont mentionnés dans plusieurs actes adoptés en marge de l’ouverture et de la clôture des négociations relatives au chapitre 23, dont notamment le rapport des autorités croates du 12 mai 2011 (voir point 7 ci‑dessus), ainsi que dans des rapports et tableaux de suivi de la Commission, ne permet pas d’infirmer cette analyse. En effet, ces références à la stratégie de réforme judiciaire 2011‑2015 et au plan d’action 2010 s’expliquent par le fait qu’il s’agissait de la stratégie de réforme et du plan d’action en vigueur à la date des documents en cause, ainsi qu’en atteste la mention par plusieurs documents ultérieurs de la Commission d’une autre stratégie de réforme et d’un autre plan d’action (voir notamment le tableau de suivi pour la période allant du 1er septembre 2012 au 28 février 2013 mentionnant la stratégie adoptée en décembre 2012 et le plan d’action dont l’adoption était prévue en mars 2013.

51      Il ne ressort donc de l’engagement no 1 aucune obligation pour les autorités croates d’instituer la fonction d’agent public d’exécution.

52      Il ne saurait néanmoins en être déduit que les autorités croates, y compris celles issues d’une nouvelle majorité politique, comme cela était le cas des autorités ayant reporté puis abrogé la loi sur les agents publics d’exécution, avaient toute latitude pour modifier la stratégie de réforme judiciaire 2011‑2015 et le plan d’action 2010. Compte tenu des dispositions de l’acte d’adhésion, en particulier de son article 36 et de son annexe VII, ces autorités étaient dans l’obligation de respecter non seulement l’engagement no 1, mais également l’ensemble des autres engagements prévus par ladite annexe, notamment les engagements no 2, no 3, no 6 et no 9 dont se prévalent les requérants.

53      S’agissant de l’engagement no 3, il y a lieu de relever qu’il porte sur la seule efficacité du système judiciaire et n’impose nullement l’attribution de la compétence d’exécution des décisions de justice à un organe en particulier selon des procédures elles‑mêmes prédéfinies. En effet, comme le souligne à juste titre la Commission, le système d’exécution des décisions de justice dans les États membres n’est pas régi par le droit de l’Union et, dès lors, ne relève pas de l’acquis de l’Union devant être repris par l’État adhérent, ce que ne contestent pas au demeurant les requérants. Les traités comme la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne fixent certes certains principes devant régir la justice rendue dans les États membres, tels que l’impartialité des tribunaux ou la présomption d’innocence, ainsi que certaines règles visant à assurer la coopération judiciaire entre les États membres, au besoin par le rapprochement des législations nationales. La Commission a ainsi eu l’occasion d’intervenir à l’égard des autorités croates, comme l’ont d’ailleurs relevé les requérants en évoquant l’affaire dite « de la Lex Perković », [en raison des problèmes de transposition de certaines dispositions harmonisées en matière de coopération judiciaire. En revanche, aucune disposition du droit primaire ou du droit dérivé ne définit un système harmonisé d’exécution des décisions de justice. Les requérants ont d’ailleurs souligné que de nombreux États membres de l’Union avaient opté pour un système d’exécution des décisions de justice équivalant à celui des agents publics d’exécution, reconnaissant par là même qu’un tel système n’était pas partagé par l’ensemble des États membres.

54      Il ne saurait ainsi être déduit de l’engagement no 3 l’obligation de confier les procédures d’exécution à des agents publics d’exécution. La seule obligation imposée aux autorités croates est celle d’assurer l’efficacité des procédures d’exécution indépendamment des moyens institués pour ce faire.

55      S’agissant de l’engagement no 9 relatif à la protection des droits de l’homme, si les requérants invoquent la violation des droits fondamentaux de l’Union et prétendent même avoir informé la Commission de leur violation par les autorités croates, ils n’avancent aucun élément concret, autre que la méconnaissance du principe de protection de la confiance légitime (pour l’examen de cette allégation, voir points 72 à 77 ci‑après), de nature à établir que la suppression de la profession d’agent public d’exécution porterait atteinte à ces droits.

56      Enfin, s’agissant des engagements no 2 et no 6, relatifs respectivement à l’impartialité ainsi qu’au professionnalisme du pouvoir judiciaire et à la lutte contre la corruption et les conflits d’intérêts, également mentionnés par les requérants, il ne saurait, en l’absence d’explication à cet égard, en être déduit aucune implication évidente quant à la profession d’agent public d’exécution.

57      Il ne résulte par conséquent d’aucun des engagements de l’annexe VII de l’acte d’adhésion dont se prévalent les requérants l’obligation pour la République de Croatie d’instituer la profession d’agent public d’exécution et, partant, pas davantage d’obligation pour la Commission d’avoir recours, sur ce fondement, aux moyens d’action prévus par l’article 36 de l’acte d’adhésion en vue d’empêcher l’abrogation de la loi sur les agents publics d’exécution. Il s’ensuit également qu’il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir, en n’ayant pas eu recours à ces moyens d’action, approuvé la modification des engagements d’adhésion en méconnaissance du traité d’adhésion et de l’article 26 de la convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969, intitulé « Pacta sunt servanda ».

58      Deuxièmement, les requérants fondent l’existence d’une obligation pour la Commission d’agir en l’espèce en vue d’empêcher l’abrogation de la loi sur les agents publics d’exécution sur le fait que le système d’exécution des décisions de justice finalement adopté, après cette abrogation, n’aurait pas présenté les mêmes garanties d’efficacité. Ils prétendent, à cet égard, avoir attiré l’attention de la Commission sur les problèmes posés par le report et l’abrogation de la loi sur les agents publics d’exécution.

59      Tout d’abord, il y a lieu de relever que les requérants présentent au soutien de cette allégation un seul document, à savoir la plainte adressée par l’un des requérants à la Commission par courrier du 16 septembre 2012 (voir point 20 ci‑dessus).

60      Ensuite, il convient de constater que la campagne de dénigrement dont auraient fait l’objet les agents publics d’exécution, mentionnée dans cette plainte et reprise dans la réplique, pour regrettable qu’elle puisse être, n’est pas pertinente aux fins d’apprécier l’efficacité du système d’exécution des décisions de justice en Croatie. En effet, une telle efficacité se mesure essentiellement à l’aune du nombre d’affaires pendantes en matière d’exécution des décisions, de la durée et des coûts des procédures d’exécution ainsi que du taux de recouvrement, comme l’a indiqué la Commission dans ses courriers des 27 juin et 3 décembre 2012 (voir points 18 et 25 ci‑dessus), sans être contestée sur ce point. Or, la campagne de dénigrement des agents publics d’exécution dans les médias est clairement sans rapport avec ces critères d’appréciation.

61      Quant à la prétendue situation de conflit d’intérêts dans laquelle se serait trouvé le ministre de la Justice croate, également évoquée dans la plainte comme dans la réplique, elle ne suffit pas à elle seule à établir l’inefficacité du système d’exécution des décisions de justice en Croatie, à l’aune des critères susvisés. En effet, elle pourrait tout au plus expliquer l’option retenue d’une exécution par les tribunaux avec obligation de représentation des parties, au détriment d’une exécution par les agents publics d’exécution sans ministère d’avocat et, ainsi, suggérer que les coûts des procédures d’exécution seraient supérieurs dans le nouveau système d’exécution à ceux qui résulteraient du système d’exécution fondé sur les agents publics d’exécution, en raison de l’intervention d’avocats. Or, les coûts des procédures d’exécution ne sont que l’un des critères d’appréciation de l’efficacité d’un système d’exécution, et pas nécessairement le critère essentiel dans cette appréciation. La Commission a, en effet, considéré, en élevant la réduction de l’arriéré d’affaires ayant trait à l’exécution des jugements au rang d’action prioritaire devant être menée par les autorités croates dans son rapport du 10 octobre 2012 (voir point 23 ci‑dessus), que le nombre d’affaires pendantes en matière d’exécution des décisions constituait un critère décisif pour apprécier l’efficacité du système d’exécution en Croatie. Les coûts des procédures d’exécution ne sauraient, dès lors, à eux seuls permettre d’établir le non‑respect de l’engagement no 3 de l’annexe VII de l’acte d’adhésion quant à l’efficacité de ces procédures.

62      Enfin, l’allégation dans la plainte, réitérée dans la réplique, selon laquelle le nouveau système d’exécution devant remplacer celui fondé sur les agents publics d’exécution conduirait en substance à l’augmentation du nombre de procédures d’exécution et d’affaires pendantes en matière d’exécution des décisions n’est aucunement étayée.

63      Par conséquent, il ne saurait être déduit des éléments avancés dans la plainte du 16 septembre 2012 le non‑respect de l’engagement no 3 de l’annexe VII de l’acte d’adhésion et ainsi une obligation d’agir de la Commission en vue d’empêcher l’abrogation de la loi sur les agents publics d’exécution. La Commission ne s’est donc pas rendue coupable d’une omission fautive en s’abstenant de faire usage à cette fin des moyens d’action prévus par l’article 36 de l’acte d’adhésion.

64      Il convient d’ajouter, à cet égard, qu’il ne peut davantage être reproché à la Commission d’avoir manqué de diligence dans son suivi du respect par les autorités croates de l’engagement no 3 quant à l’efficacité des procédures d’exécution.

65      En effet, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la Commission ne s’est pas contentée, notamment lors de la réunion du 5 juin 2012 (voir point 16 ci‑dessus), d’exiger des autorités croates que leur nouveau système d’exécution produise des résultats équivalents à ceux qu’aurait atteints le système fondé sur les agents publics d’exécution. D’une part, elle a, tout au long de la procédure d’adhésion, et en particulier à compter du second report de l’entrée en vigueur de la loi sur les agents publics d’exécution, demandé régulièrement aux autorités croates des précisions sur l’état d’avancement de la réforme du système d’exécution des décisions de justice en l’absence d’agents publics d’exécution, notamment par la demande de communication de données statistiques, et a insisté sur la nécessaire obtention de résultats concluants avant la date d’adhésion (voir les lettres du 27 juin et du 3 décembre 2012 ainsi que le rapport du 10 octobre 2012, mentionnés aux points 18, 25 et 23 ci‑dessus). D’autre part, la Commission a obtenu communication de ces données statistiques, relatives en particulier au critère d’efficacité décisif du nombre d’affaires pendantes (voir point 61 ci‑dessus), et les a régulièrement examinées pour constater, dans son rapport du 26 mars 2013, une diminution du nombre d’affaires non résolues en matière d’exécution (voir point 28 ci‑dessus). Il ne saurait, dès lors, être reproché à la Commission de ne pas avoir mené une analyse diligente de l’efficacité du système d’exécution des décisions de justice en Croatie.

66      Il en résulte que ni l’obligation de diligence de la Commission dans son exercice du suivi des engagements d’adhésion au titre de l’article 36 de l’acte d’adhésion, ni l’article 36 de l’acte d’adhésion lui‑même, à supposer que cette stipulation ait pour objet de conférer des droits aux particuliers, n’ont été méconnus en l’espèce.

 Sur la méconnaissance des articles 13 TUE et 17 TUE

67      Selon l’article 13 TUE, l’Union dispose d’un cadre institutionnel, comprenant notamment le Parlement européen, le Conseil et la Commission, visant à promouvoir ses valeurs, poursuivre ses objectifs, servir ses intérêts, ceux de ses citoyens et ceux des États membres, ainsi qu’à assurer la cohérence, l’efficacité et la continuité de ses politiques et de ses actions.

68      Dès lors que les requérants reprochent à la seule Commission de ne pas avoir respecté les obligations qui lui sont imposées par les traités, il y a lieu de considérer que cet article, qui définit le cadre institutionnel de l’Union, n’est pas pertinent en l’espèce, et ce d’autant plus que les requérants ont également invoqué la méconnaissance de l’article 17 TUE, précisément consacré au rôle et aux attributions de la Commission.

69      L’article 17 TUE dispose, en effet, que la Commission promeut l’intérêt général de l’Union et prend les initiatives appropriées à cette fin et qu’elle exerce ses fonctions de coordination, d’exécution et de gestion conformément aux conditions prévues par les traités.

70      Selon la jurisprudence, il découle de l’article 17, paragraphe 1, TUE que la Commission, en tant que gardienne des traités et des accords conclus en vertu de ceux‑ci, est tenue de s’assurer de la correcte application par un État tiers des obligations qu’il a contractées en vertu d’un accord prévu par les traités grâce aux moyens prévus par cet accord (voir ordonnance du 12 juillet 2012, Mugraby/Conseil et Commission, C‑581/11 P, EU:C:2012:466, point 68 et jurisprudence citée).

71      Il s’ensuit que, dans la mesure où l’article 36 de l’acte d’adhésion vise à préciser les obligations de la Commission au titre de l’article 17 TUE dans le contexte de l’adhésion à l’Union de la République de Croatie et où il n’a pas été méconnu en l’espèce (voir point 66 ci‑dessus), l’article 17 TUE ne saurait davantage être considéré comme ayant été méconnu.

 Sur la méconnaissance du principe de protection de la confiance légitime

72      Selon une jurisprudence constante, le principe de protection de la confiance légitime est un principe général du droit de l’Union qui confère des droits aux particuliers (arrêts du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission, C‑104/89 et C‑37/90, Rec, EU:C:1992:217, point 15, et du 6 décembre 2001, Emesa Sugar/Conseil, T‑43/98, Rec, EU:T:2001:279, point 64). La violation de ce principe peut par conséquent engager la responsabilité de l’Union (voir arrêt SPM/Conseil et Commission, point 42 supra, EU:T:2008:494, point 146 et jurisprudence citée).

73      Le droit de réclamer la protection de la confiance légitime s’étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l’administration de l’Union, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître chez lui des espérances fondées (voir arrêts du 13 juillet 1995, O’Dwyer e.a./Conseil, T‑466/93, T‑469/93, T‑473/93, T‑474/93 et T‑477/93, Rec, EU:T:1995:136, point 48 et jurisprudence citée, et du 16 octobre 1996, Efisol/Commission, T‑336/94, Rec, EU:T:1996:148, point 31 et jurisprudence citée). En revanche, une personne ne peut invoquer une violation du principe de protection de la confiance légitime en l’absence d’assurances précises que lui aurait fournies l’administration. Constituent de telles assurances des renseignements précis, inconditionnels, concordants et émanant de sources autorisées et fiables (voir arrêt SPM/Conseil et Commission, point 42 supra, EU:T:2008:494, point 149 et jurisprudence citée).

74      En l’espèce, les requérants ont uniquement fait état, en substance, d’assurances précises que leur auraient fournies les autorités nationales en les nommant agents publics d’exécution. Ainsi qu’ils l’ont souligné, l’Ustavni sud, dans sa décision du 23 janvier 2013, a d’ailleurs reconnu l’existence d’une « atteinte [aux] attentes légitimes [des agents publics d’exécution nommés] fondées sur des actes législatifs valables émanant de l’État et [à] la confiance placée par des particuliers dans les institutions de l’État et le droit qu’elles créent » (voir point 26 ci‑dessus).

75      En revanche, les requérants n’ont invoqué aucun élément démontrant ou permettant de supposer que les institutions de l’Union, dont notamment la Commission, ont fait naître à leur égard des espérances fondées qu’elles veilleraient au maintien de la profession d’agent public d’exécution. La circonstance, au demeurant non étayée, que la Commission aurait participé à l’élaboration de la loi sur les agents publics d’exécution, l’aurait financée, voire en serait à l’origine, ne saurait, à elle seule, constituer une assurance précise donnée par la Commission qu’elle considérerait l’institution d’agents publics d’exécution comme la seule à même de respecter les engagements d’adhésion. Pour que de telles assurances soient établies, ces actes de soutien initial à la loi sur les agents publics d’exécution devraient, compte tenu de l’absence d’obligation pour la République de Croatie de créer la profession d’agent public d’exécution, être complétés par des actes ultérieurs concordants et explicites en ce sens.

76      Or, aucun des éléments avancés par les requérants ne peuvent être ainsi qualifiés. Le rapport du 24 avril 2012 invoqué par les requérants se borne en effet à prendre acte du report de la loi sur les agents publics d’exécution (voir point 13 ci‑dessus), sans à aucun moment critiquer ce report, ni a fortiori exiger la mise en vigueur de la loi en cause. Bien au contraire, la Commission constate même, après avoir pris acte dudit report, la mise en œuvre par les autorités croates de différentes mesures visant à améliorer l’efficacité du système judiciaire ainsi que l’amélioration de l’exécution des décisions de justice. De même, lors de la réunion du 5 juin 2012 évoquée par les requérants lors de l’audience, la Commission s’est bornée à demander aux autorités croates la communication de données relatives au système d’exécution devant remplacer celui fondé sur les agents publics d’exécution, aux fins de vérifier si ce nouveau système obtiendrait des résultats équivalents (voir point 16 ci‑dessus). La loi sur les agents publics d’exécution n’a donc été mentionnée au cours de ladite réunion que comme un moyen parmi d’autres d’atteindre le but d’efficacité du système d’exécution recherché par la Commission et non comme un objectif que la Commission imposerait à la République de Croatie de poursuivre.

77      Les requérants n’ont, dès lors, pas établi que la Commission avait fait naître chez eux une confiance légitime et avait ainsi, par son inaction, méconnu le principe de protection de la confiance légitime.

78      Il résulte de tout ce qui précède qu’il ne peut être reproché à la Commission aucune omission fautive.

79      Il s’ensuit que l’une des trois conditions cumulatives d’engagement de la responsabilité de l’Union n’est pas remplie et que les présents recours doivent partant être rejetés, sans qu’il soit besoin de procéder à l’examen des autres conditions nécessaires à l’engagement de cette responsabilité.

 Sur les dépens

80      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé en leurs conclusions, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les recours sont rejetés.

2)      M. Ante Šumelj et les autres requérants dont les noms figurent en annexe sont condamnés aux dépens.

Martins Ribeiro

Gervasoni

Madise

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 février 2016.

Signatures

Annexe

Dubravka Bašljan, demeurant à Zagreb (Croatie),

Đurđica Crnčević, demeurant à Sv. Ivan Zeline (Croatie),

Miroslav Lovreković, demeurant à Križevaci (Croatie),

parties requérantes dans l’affaire T‑546/13,

Drago Burazer, demeurant à Zagreb,

Nikolina Nežić, demeurant à Zagreb,

Blaženka Bošnjak, demeurant à Sv. Ivan (Croatie),

Bosiljka Grbašić, demeurant à Križevaci,

Tea Tončić, demeurant à Pula (Croatie),

Milica Bjelić, demeurant à Dubrovnik (Croatie),

Marijana Kruhoberec, demeurant à Varaždin (Croatie),

parties requérantes dans l’affaire T‑108/14,

Davor Škugor, demeurant à Sisak (Croatie),

Ivan Gerometa, demeurant à Vrsar (Croatie),

Kristina Samardžić, demeurant à Split (Croatie),

Sandra Cindrić, demeurant à Karlovac (Croatie),

Sunčica Gložinić, demeurant à Varaždin,

Tomislav Polić, demeurant à Kaštel Novi (Croatie),

Vlatka Pižeta, demeurant à Varaždin,

parties requérantes dans l’affaire T‑109/14.


* Langue de procédure : le croate.