Language of document : ECLI:EU:C:2016:723

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME ELEANOR SHARPSTON

présentées le 22 septembre 2016 (1)

Affaire C599/14 P

Conseil de l’Union européenne

contre

Liberation Tigers of Tamil Eelan (« LTTE »)

« Pourvoi – Mesures restrictives visant à empêcher le terrorisme – Maintien de personnes, de groupes et d’entités sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 2580/2001 – Position commune 2001/931/PESC – Article 1er, paragraphe 4 et article 6 – Procédure – Sens de l’expression « autorité compétente » – Incidence d’une décision prise par des autorités de pays tiers – Valeur d’informations disponibles dans le domaine public – Droits de la défense – Obligation de motivation »






1.        Le Conseil de l’Union européenne a formé un pourvoi contre l’arrêt rendu par le Tribunal de l’Union européenne dans les affaires jointes T‑208/11 et T‑508/11 (2) (ci-après l’« arrêt attaqué »), arrêt par lequel il a annulé une série de mesures de mise en œuvre prises par le Conseil dans la mesure où, afin de lutter contre le terrorisme, elles maintenaient les Liberation Tigers of Tamil Eelam (ci‑après les « LTTE ») sur la liste des personnes, des groupes et des entités auxquels ou au bénéfice desquels il est interdit de fournir des services financiers. Le Tribunal a annulé ces mesures pour des raisons liées, notamment, à leur exposé des motifs insuffisant et aux motifs sur lesquels le Conseil s’était fondé pour maintenir les LTTE sur cette liste.

2.        Le Conseil soutient que l’arrêt attaqué est entaché d’erreurs de droit en ce que le Tribunal :

–        a jugé à tort que le Conseil était tenu de démontrer, dans l’exposé des motifs, qu’il avait vérifié que l’activité de l’autorité à l’origine de l’inscription dans l’État tiers était exercée avec suffisamment de garanties ;

–        a apprécié erronément l’utilisation par le Conseil d’informations relevant du domaine public ; et

–        n’a pas conclu que l’ordonnance de proscription du Royaume‑Uni de 2001 constituait une base suffisante pour inscrire les LTTE sur la liste (3).

I –    Le cadre juridique

A –    Position commune 2001/931

3.        Le Conseil a adopté la position commune 2001/931/PESC (4) pour mettre en œuvre la résolution 1373(2001) du Conseil de sécurité des Nations unies (ci‑après le « Conseil de sécurité »). Aux termes de cette résolution, tous les États préviennent et répriment le financement des actes de terrorisme et gèlent sans attendre les fonds et autres avoirs financiers ou ressources économiques, notamment des personnes qui commettent, ou tentent de commettre, des actes de terrorisme, les facilitent ou y participent (5).

4.        L’article 1er, paragraphe 1, dispose que « [l]a présente position commune s’applique, conformément aux dispositions des articles qui suivent, aux personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme et dont la liste figure à l’annexe » (6).

5.        L’article 1er, paragraphe 2, définit les « personnes, groupes et entités impliqués dans des actes de terrorisme » en incluant les « groupes et entités appartenant à ces personnes ou contrôlés directement ou indirectement par elles, et des personnes, groupes et entités agissant au nom, ou sur instruction, de ces personnes, groupes et entités, y compris les fonds provenant de biens qui, soit appartiennent à ces personnes et aux personnes, groupes et entités qui leur sont associés, soit sont contrôlés directement ou indirectement par elles ». L’article 1er, paragraphe 3, définit la notion d’« acte de terrorisme » aux fins de la position commune 2001/931 (7).

6.        L’article 1er, paragraphe 4, dispose que la liste à l’annexe :

« […] est établie sur la base d’informations précises ou d’éléments de dossier qui montrent qu’une décision a été prise par une autorité compétente à l’égard des personnes, groupes et entités visés, qu’il s’agisse de l’ouverture d’enquêtes ou de poursuites pour un acte terroriste, ou la tentative de commettre, ou la participation à, ou la facilitation d’un tel acte, basées sur des preuves ou des indices sérieux et crédibles, ou qu’il s’agisse d’une condamnation pour de tels faits. Les personnes, groupes et entités identifiés par le [Conseil de sécurité] comme liées au terrorisme et à l’encontre desquelles il a ordonné des sanctions peuvent être incluses dans la liste.

Aux fins du présent paragraphe, on entend par “autorité compétente”, une autorité judiciaire, ou, si les autorités judiciaires n’ont aucune compétence dans le domaine couvert par le présent paragraphe, une autorité compétente équivalente dans ce domaine. »

7.        L’article 1er, paragraphe 6, dispose que « [l]es noms des personnes et entités reprises sur la liste figurant à l’annexe feront l’objet d’un réexamen à intervalles réguliers, au moins une fois par semestre, afin de s’assurer que leur maintien sur la liste reste justifié ».

8.        Aux termes respectivement des articles 2 et 3, la Communauté européenne (à l’époque), agissant dans les limites des pouvoirs que lui confère (à l’époque) le Traité instituant la Communauté européenne, « ordonne le gel des fonds et des autres avoirs financiers ou ressources économiques des personnes, groupes et entités dont la liste figure à l’annexe » et « veille à ce que des fonds, avoirs financiers ou ressources économiques ou des services financiers ou autres services connexes ne soient pas, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes, groupes et entités dont la liste figure à l’annexe ».

9.        L’annexe à la position commune 2001/931 comportait la liste initiale des personnes, groupes et entités visés à l’article 1er. Cette liste ne comprenait pas les LTTE.

B –    Règlement no 2580/2001

10.      Les considérants 3 et 4 du règlement (CE) no 2580/2001 du Conseil (8) visent la résolution 1373(2001) du Conseil de sécurité. Le considérant 5 indique que l’action de la Communauté (à l’époque) est nécessaire pour mettre en œuvre les mesures qui relèvent de la politique étrangère et de sécurité commune (« la PESC ») décrites dans la position commune 2001/931. Aux termes du considérant 6, ce règlement est une mesure nécessaire au niveau communautaire (à l’époque) et complémentaire des procédures administratives et judiciaires relatives aux organisations terroristes dans l’Union européenne et les pays tiers.

11.      L’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 2580/2001, définit le « gel des fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques » comme visant à « empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui auraient pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l’utilisation, y compris la gestion de portefeuille ». Aux termes de l’article 1er, paragraphe 4, la définition de l’« acte de terrorisme » aux fins du règlement no 2580/2001 est celle qui figure à l’article 1er, paragraphe 3, de la position commune 2001/931.

12.      L’article 2, paragraphe 3, dispose que le Conseil établit, révise et modifie la liste de personnes, de groupes et d’entités auxquels le règlement no 2580/2001 s’applique (ci-après la « liste visée à l’article 2, paragraphe 3 »), conformément aux dispositions de l’article 1er, paragraphes 4, 5 et 6, de la position commune 2001/931. Il précise en particulier que cette liste mentionne :

« […]

ii)      les personnes morales, groupes ou entités commettant ou tentant de commettre un acte de terrorisme, participant à un tel acte ou facilitant sa réalisation ;

[…] »

13.      Les LTTE ont tout d’abord été inscrits sur la liste de l’annexe à la position commune 2001/931 par la position commune 2006/380/PESC (9). Ils ont été inscrits le même jour sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, par la décision 2006/379/CE du Conseil (10). Les LTTE n’ont pas attaqué cette inscription initiale sur la liste. Ils ont été maintenus sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, à la suite d’un ensemble de décisions et de règlements (dont les règlements attaqués (11)) annulant et remplaçant à chaque fois le précédent. Le premier recours (12) introduit par les LTTE devant le Tribunal tendait à l’annulation du règlement d’exécution (UE) no 83/2011 en ce qu’il visait les LTTE. Ce règlement était à l’époque en vigueur et avait inscrit les LTTE au point 2.17 de la liste visée à l’article 2, paragraphe 3 (13). Le deuxième recours (14) des LTTE tendait à l’annulation du règlement d’exécution (UE) no 687/2011 (annulant notamment le règlement d’exécution no 83/2011) en ce qu’il concernait les LTTE (15).

14.      Les considérants de chacun des règlements attaqués indiquent que le Conseil a fourni à l’ensemble des personnes, groupes et entités (pour lesquels cela a été possible en pratique) un exposé des motifs justifiant leur inscription sur la liste inclus dans le règlement précédent. Ils indiquent que le Conseil a informé les personnes, groupes et entités énumérés dans le règlement précédent qu’il avait décidé de les maintenir sur la liste dans le règlement précédent. De surcroît, ils expliquent que le Conseil a également informé ces personnes, groupes et entités concernés qu’il était possible de lui adresser une demande en vue d’obtenir l’exposé des motifs du Conseil justifiant leur inscription sur la liste (si celui-ci ne leur avait pas déjà été communiqué). D’après ces considérants, le Conseil a procédé à un réexamen complet de la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, en tenant compte des observations qui lui ont été soumises par les personnes concernées.

15.      Le Tribunal a décrit le contenu de l’exposé des motifs du règlement d’exécution no 83/2011 comme suit :

« 167.      Ces motifs débutent par un alinéa dans lequel le Conseil, premièrement, décrit la requérante comme un “groupe terroriste” formé en 1976 et combattant pour un État Tamoul séparé dans le nord et l’est du Sri Lanka, deuxièmement, affirme que la requérante a commis “un certain nombre d’actes de terrorisme incluant des attaques et des actions d’intimidation répétées sur des civils, des attaques fréquentes contre des objectifs gouvernementaux, la disruption des processus politiques, des enlèvements et des assassinats politiques” et, troisièmement, émet l’opinion que, “bien que la récente défaite militaire des LTTE a affaibli significativement leur structure, l’intention probable de cette organisation est de continuer les attaques terroristes au Sri Lanka” (premiers alinéas des motifs des règlements attaqués).

168.      Puis, le Conseil dresse une liste des “activités terroristes” que la requérante a, selon lui, menées, à compter du mois d’août 2005 et jusqu’au mois d’avril 2009 ou – selon les règlements attaqués – au mois de juin 2010 (deuxièmes alinéas des motifs des règlements attaqués).

169.      Le Conseil, après avoir considéré que “ces actes relèvent de l’article 1er, paragraphe 3, points a), b), c), f) et g), de la position commune 2001/931 et ont été commis en vue d’atteindre les buts énoncés à l’article 1[er], paragraphe 3, [sous] i) et iii), de ladite position commune”, et que “[les LTTE] relèvent de l’article 2, paragraphe 3, [sous] ii), du règlement no 2580/2001” (troisièmes et quatrièmes alinéas des motifs des règlements attaqués), évoque des décisions que des autorités britanniques et indiennes auraient adoptées en 1992, en 2001 et en 2004, à l’encontre des LTTE[dont deux décisions du Royaume-Uni. L’une d’elles émane du Secretary of State for the Home Department (ci‑après le « Home Secretary ») du 29 mars 2001 proscrivant les LTTE en tant qu’organisation mêlée au terrorisme au titre de l’UK Terrorism Act 2000 (ci-après l’ « ordonnance de proscription du Royaume-Uni de 2001 »)] (cinquièmes et sixièmes alinéas des motifs des règlements d’exécution no 83/2011 à no  125/2014), ainsi qu’en 2102 (sixième et septième alinéas des motifs du règlement d’exécution no 790/2014).

170.      S’agissant des décisions britanniques et – uniquement dans les motifs du règlement d’exécution no 790/2014 – des décisions indiennes, le Conseil fait référence au fait qu’elles sont réexaminées régulièrement ou sont susceptibles de réexamen ou d’appel.

171.      Le Conseil déduit de ces considérations que “[l]es décisions qui ont été prises à l’égard des [LTTE] l’ont donc été par des autorités compétentes au sens de l’article 1[er], paragraphe 4, de la position commune 2001/931” (septièmes alinéas des motifs des règlements attaqués).

172.      Enfin, le Conseil “constate que les décisions susmentionnées […] sont toujours en vigueur et […] considère que les motifs qui ont justifié l’inscription des [LTTE] sur la liste [de gel des fonds] restent valables” (huitièmes alinéas des motifs des règlements attaqués). Le Conseil en conclut que la requérante doit continuer de figurer sur cette liste (neuvièmes alinéas des motifs des règlements attaqués). »

II – Résumé de la procédure de première instance et de l’arrêt attaqué

16.      Le 11 avril 2011, les LTTE ont saisi le Tribunal d’un recours (inscrit sous le numéro d’affaire T-208/11) attaquant leur inscription sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, dans le règlement d’exécution no 83/2011. Après leur maintien sur la liste de l’annexe au règlement d’exécution no 687/2011, les LTTE ont introduit un nouveau recours (inscrit sous le numéro d’affaire T‑508/11) en annulation de ce règlement pour les mêmes motifs. Après que ce règlement a été annulé et remplacé par le règlement d’exécution (UE) no 1375/2011 (16) et que les LTTE ont été maintenus sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, les LTTE ont sollicité la jonction des affaires T-208/11 et T-508/11. Ils ont demandé d’être autorisés à modifier les conclusions dans les deux recours pour les étendre au règlement d’exécution no 1375/2011. Les affaires ont été jointes par ordonnance du 15 juin 2012. En cours de procédure, quand de nouvelles mesures d’exécution ont été adoptées, les LTTE ont demandé d’ajuster l’étendue de l’annulation sollicitée pour y inclure les règlements d’exécution du Conseil (UE) no 542/2012 (17), no 1169/2012 (18), no 714/2013 (19), no 125/2014 (20) et no 790/2014 (21). Ceux‑ci constituent avec les autres règlements d’exécution les « règlements attaqués ». Le Tribunal a admis ces ajustements.

17.      La Commission européenne et le gouvernement néerlandais sont intervenus dans les deux affaires au soutien des conclusions du Conseil au rejet du recours des LTTE et à leur condamnation aux dépens. Dans l’affaire T-208/11, le gouvernement du Royaume‑Uni est également intervenu au soutien du Conseil.

18.      Les LTTE ont soulevé six moyens concernant les deux affaires ; un autre moyen visait uniquement l’affaire T-508/11. Seuls les troisième à sixième moyens intéressent le présent pourvoi.

19.      Dans leur troisième moyen (absence de décision prise par une autorité compétente), les LTTE ont soutenu que l’exposé des motifs des règlements attaqués concernait des décisions d’autorités britanniques et indiennes qui ne pouvaient pas être assimilées à des décisions prises par une autorité compétente aux fins de la position commune 2001/931. Si le Tribunal devait admettre que les décisions britanniques sont des décisions prises par des autorités compétentes, les LTTE ont soutenu que ces décisions ne sont pas fondées sur des preuves ou des indices sérieux et crédibles ; l’exposé des motifs ne précisait pas non plus les fondements de ces décisions. Si le Tribunal devait décider qu’une décision d’une autorité d’un pays tiers (à savoir l’Inde) est une décision d’une autorité compétente, les LTTE ont soutenu que les décisions indiennes les déclarant illicites n’avaient pas été soumises à un Tribunal indien, ainsi que la loi indienne l’imposait. L’exposé des motifs n’en faisait pas état ni ne montrait que les décisions indiennes sont des décisions prises par une autorité compétente. En tout état de cause, les décisions indiennes ne sont pas fondées sur des preuves ou des indices sérieux et crédibles et l’exposé des motifs ne précise pas non plus les fondements de ces décisions. Les LTTE ont également soutenu que les autorités indiennes n’étaient pas une source fiable d’information, en raison de leur partialité.

20.      Le Tribunal a rejeté le grief que les LTTE ont tiré de la prétendue incompétence des autorités britanniques et indiennes (22). Le Tribunal s’est référé à la jurisprudence confirmant qu’une autorité administrative peut être une autorité compétente et que la circonstance qu’une décision constituait une décision administrative n’était pas déterminante en soi (23). Le Tribunal a indiqué que, même si les décisions émanant des autorités judiciaires étaient privilégiées, l’article 1er, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la position commune 2001/931 « n’exclut nullement la prise en compte de décisions émanant d’autorités administratives, lorsque, d’une part, ces autorités sont effectivement investies, en droit national, de la compétence pour adopter des décisions restrictives à l’encontre de groupements impliqués dans le terrorisme et, d’autre part, lorsque ces autorités, bien que seulement administratives, peuvent néanmoins être considérées comme « équivalentes » aux autorités judiciaires » (24). De surcroît, la jurisprudence a aussi indiqué que la position commune 2001/931 ne requiert pas que la décision s’inscrive dans le cadre d’une procédure pénale ; ces décisions peuvent aussi participer d’une procédure ayant pour objet l’adoption de mesures de type préventif (25). Dans la présente affaire, les décisions britanniques et indiennes participaient d’une procédure nationale tendant à imposer des mesures préventives ou punitives dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

21.      Après avoir décidé que le Home Secretary était une autorité compétente, le Tribunal a jugé qu’une autorité d’un État tiers pouvait être qualifiée d’autorité compétente au sens de la position commune 2001/931 (26). Le Tribunal a estimé que la vérification de l’existence d’une décision d’une autorité nationale répondant à la définition de l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931 est une condition préalable d’autant plus essentielle lorsque les décisions ont été adoptées par des autorités d’un États tiers. Il a relevé que beaucoup d’États tiers ne sont pas liés par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et qu’aucun d’entre eux n’est soumis aux dispositions de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Le Tribunal a dès lors indiqué qu’il incombe donc au Conseil, avant de se fonder sur une décision d’une autorité d’un État tiers, de vérifier avec soin que la réglementation pertinente de cet État assure une protection des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective équivalente à celle garantie au niveau de l’Union. Il ne saurait exister d’éléments de preuve montrant que l’État tiers méconnaîtrait en pratique cette réglementation. Le Tribunal a ajouté que, sans une équivalence entre le niveau de protection assuré par la réglementation de l’État tiers et celui assuré au niveau de l’Union, reconnaître à une autorité nationale d’un État tiers la qualité d’autorité compétente au sens de la position commune 2001/931 impliquerait une différence de traitement entre les personnes concernées par des mesures de gel des fonds de l’Union, selon que les décisions nationales sous-tendant ces mesures émaneraient d’autorités d’États tiers ou d’autorités d’États membres (27).

22.      En l’espèce, le Tribunal a décidé que les motifs des règlements attaqués ne comportent aucun élément de preuve permettant de considérer que le Conseil a fait cette vérification approfondie (28). Le Tribunal a également rejeté l’argument du Conseil voulant qu’une inscription initiale (et non pas un réexamen) eût donné lieu à une motivation plus circonstanciée reflétant une appréciation initiale plus détaillée de la réglementation indienne. Dans ce contexte, le Tribunal a fait droit au troisième moyen en ce qu’il visait les autorités indiennes et l’a rejeté en ce qu’il visait les autorités du Royaume-Uni (29).

23.      Le Tribunal a ensuite examiné les quatrième à sixième moyenspris avec le deuxième moyen. Ces moyens étaient :

–        absence du réexamen requis par l’article 1er, paragraphe 6, de la position commune 2001/931 (quatrième moyen) ;

–        méconnaissance de l’obligation de motiver les actes (cinquième moyen) ;

–        non-respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective (sixième moyen) ; et

–        qualification erronée des LTTE d’organisation terroriste aux fins de l’article 1er, paragraphe 3, de la position commune 2001/931 (deuxième moyen).

24.      Le Tribunal a présenté ces moyens comme s’ils étaient soulevés à l’appui du grief fait au Conseil d’avoir fondé les règlements attaqués sur un ensemble d’actes que le Conseil avait lui-même imputés aux LTTE et non pas sur des décisions d’autorités compétentes. Les deuxième et quatrième moyens concernaient le grief tiré de l’insuffisance des éléments justifiant en fait et en droit d’imputer des actes de terrorisme aux LTTE inscrits dans cette liste. Les cinquième et sixième moyens concernaient le grief tiré des motifs des règlements attaqués trop lacunaires pour permettre aux LTTE d’organiser une défense efficace et aux juridictions de l’Union d’exercer leur contrôle juridique (30).

25.      Le Tribunal a tout d’abord indiqué (31) les principes et la jurisprudence sur lesquels il se fonderait pour considérer les motifs exposés par le Conseil dans les règlements attaqués (32). Il a décidé que le Conseil avait fondé les règlements attaqués non pas sur des appréciations contenues dans des décisions d’autorités compétentes, mais sur des informations qu’il avait lui-même tirées de la presse et d’internet (33). Selon le Tribunal, le Conseil a raisonné comme suit : i) le Conseil a lui-même qualifié les LTTE d’organisation terroriste et leur a imputé un ensemble de faits de violence qu’il a lui-même tirés de la presse et d’internet ; ii) ensuite le Conseil a affirmé que les actes imputés aux LTTE étaient des actes de terrorisme au sens de la position commune 2001/931 et que les LTTE étaient un groupe terroriste ; et iii) enfin, le Conseil a visé des décisions d’autorités britanniques et indiennes antérieures aux actes imputés aux LTTE dans les règlements d’exécution nos  83/2011 à 125/2014 (34).

26.      Le Tribunal a décidé que, dans les motifs des règlements attaqués, le Conseil n’avait pas recensé de décisions nationales de réexamen ni d’autres décisions prises ultérieurement par des autorités compétentes qui auraient effectivement examiné et retenu les actes concrètement visés au début de ces motifs. Le Conseil s’est borné à se référer aux décisions nationales initiales et à affirmer, sans plus, qu’elles étaient toujours en vigueur. Ce n’est qu’en ce qui concerne le règlement d’exécution no 790/2014 que le Conseil a mentionné des décisions nationales ultérieures aux faits concrètement imputés aux LTTE. Mais là encore, le Conseil n’a pas montré que ces décisions ont effectivement examiné et retenu les faits concrets figurant au début de ces motifs (35). Ces raisons ont conduit le Tribunal à distinguer la présente affaire, dans laquelle le Conseil a imputé des faits à sa propre initiative en se fondant sur des informations qu’il avait lui-même tirées de la presse et d’internet, d’autres affaires dans lesquelles les règlements du Conseil étaient fondés sur des décisions émanant d’autorités nationales compétentes (36). Le Tribunal a estimé que le Conseil s’est ainsi arrogé les fonctions d’une autorité compétente. Cependant, il n’est pas habilité par la position commune 2001/931 à exercer ces fonctions et il n’en a pas les moyens (37).

27.      Le Tribunal a considéré que l’approche du Conseil contrevient au système à deux niveaux instauré par la position commune 2001/931. Selon le Tribunal, tout nouvel acte de terrorisme que le Conseil insère dans sa motivation à l’occasion du réexamen doit avoir fait l’objet d’un examen et d’une décision d’une autorité compétente au sens de cette position commune (38).

28.      Le Tribunal a rejeté l’argument du Conseil voulant que l’absence de référence (dans les motifs des règlements attaqués) à des décisions d’autorités compétentes précises ayant concrètement examiné et retenu les faits repris en tête desdits motifs fût imputable aux LTTE, qui auraient pu et dû contester les mesures restrictives prises à leur égard au niveau national. Il l’a rejeté parce que : i) l’obligation de fonder en fait les décisions de gel d’avoirs n’est pas tributaire d’une initiative de la personne ou du groupe concerné ; ii) l’argument a confirmé que le Conseil s’était en réalité référé à des informations qu’il avait tirées de la presse et d’internet ; et iii) l’argument donnait également à penser que les décisions nationales de gel d’avoirs auxquelles s’était référé le Conseil pourraient elles-mêmes, tant qu’aucune contestation n’a été soulevée par la partie concernée au niveau national, ne se fonder sur aucun acte de terrorisme précis (39).

29.      Le Tribunal n’a pas été convaincu par l’argument du Conseil et de la Commission selon lequel l’obligation d’inférer les faits fondant les règlements de gel d’avoirs de décisions d’autorités compétentes pourrait aboutir, en l’absence de telles décisions, à des radiations injustifiées de personnes ou de groupes de la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, compte tenu également de ce que les réexamens pourraient se faire dans les États membres à un rythme différent du rythme semestriel applicable au niveau de l’Union. Cet argument était inconciliable avec la position commune 2001/931 qui requiert que les faits justifiant la décision de l’Union reposent sur des éléments concrètement examinés et retenus dans des décisions d’autorités nationales compétentes.

30.      Dans le système à deux niveaux, c’est aux États membres qu’il appartenait de transmettre régulièrement au Conseil, et à ce dernier de collecter, les décisions d’autorités compétentes adoptées au sein desdits États membres ainsi que les motifs de ces décisions. Si, malgré cette transmission d’informations, le Conseil ne disposait pas de décision d’autorité compétente concernant un fait particulier susceptible de constituer un acte de terrorisme, le Tribunal a estimé qu’il lui incombait, en l’absence de moyens d’investigation propres, de demander l’appréciation d’une autorité nationale compétente sur ce fait, en vue d’une décision de cette autorité. À cette fin, le Conseil peut s’adresser aux 28 États membres de l’Union et plus particulièrement, à ceux qui ont déjà examiné la situation de la personne ou du groupe concerné ainsi qu’à un État tiers remplissant les conditions requises de protection des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Le Tribunal a admis que la décision en cause ne doit pas nécessairement être celle de l’autorité nationale qui réexamine périodiquement l’inscription de la personne ou du groupe concerné sur la liste nationale de gel des fonds. En tout état de cause, le fait que le réexamen périodique se fasse au niveau national à un rythme différent de celui en vigueur au niveau de l’Union ne saurait justifier que l’État membre concerné diffère l’examen, demandé par le Conseil, du fait en cause. Le système à deux niveaux et le principe de coopération loyale veulent que les États membres doivent donner suite sans délai aux demandes du Conseil sollicitant une appréciation et, le cas échéant, une décision d’autorité compétente au sens de la position commune 2001/931, sur un fait susceptible de constituer un acte de terrorisme (40).

31.      Le Tribunal a ajouté que l’absence de tout nouvel acte de terrorisme dans une période de six mois donné n’implique nullement que le Conseil doive retirer la personne ou le groupe concerné de la liste visée à l’article 2, paragraphe 3. Le Conseil peut maintenir la personne en question sur cette liste nonobstant la cessation de l’activité terroriste au sens strict, si les circonstances le justifient (41).

32.      Le Tribunal a fait également valoir que la nécessité de se fonder sur des faits tirés de décisions d’autorités compétentes n’est pas de nature à susciter, à l’inverse, un risque de maintien injustifié d’une personne ou d’un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3. La position commune 2001/931 ne comporte aucune obligation de viser des décisions d’autorités compétentes en vue de ne pas maintenir une personne ou un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3. Une décision de cette nature n’est pas soumise aux mêmes exigences procédurales même si, dans la plupart des cas, elle interviendra au vu de décisions favorables adoptées au niveau national (42).

33.      Le Tribunal a dès lors annulé les règlements attaqués en ce qu’ils visaient les LTTE, au motif que le règlement no 2580/2001 s’applique aux conflits armés (qui n’intéresse pas le présent pourvoi (43)) et que le Conseil a méconnu tant l’article 1er de la position commune 2001/931 que l’obligation de motiver les actes (44).

III – Conclusions et arguments du pourvoi

34.      Le Conseil, soutenu par la Commission (45) et la République française, le royaume des Pays-Bas et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, de se prononcer à titre définitif sur les questions faisant l’objet du présent pourvoi en rejetant les recours et de condamner les LTTE dans les affaires jointes T-208/11 et T-508/11 aux dépens exposés par le Conseil en première instance et dans le présent pourvoi.

35.      À l’audience du 3 mai 2016, toutes les parties ont présenté des observations orales.

36.      Dans le premier moyen de son pourvoi, le Conseil soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que le Conseil était tenu de démontrer, dans l’exposé des motifs notifié aux LTTE, qu’il avait vérifié que l’activité de l’autorité à l’origine de l’inscription dans l’État tiers était entourée de garanties suffisantes. Les arguments principaux du Conseil peuvent être résumés comme suit : l’exposé des motifs doit donner des informations permettant aux LTTE de comprendre la raison de leur inscription et de saisir en particulier le comportement qui a conduit à les inscrire. L’exposé des motifs ne doit concerner aucune autre information et notamment pas des informations sur l’évaluation que le Conseil aurait faite des garanties procédurales entourant la décision de l’autorité compétente d’un État tiers à laquelle il s’est référé. Il s’ensuit également que l’absence d’informations sur cette évaluation dans l’exposé des motifs ne signifie pas que le Conseil ait négligé de faire cette évaluation.

37.      Les LTTE concluent au rejet du premier moyen. Le Tribunal a jugé à juste titre que l’exposé des motifs n’évoquait en rien les droits de la défense ni le droit à une protection juridictionnelle effective. Les LTTE considèrent que la position commune 2001/931 met en place un cadre légal permettant d’exiger du Conseil de vérifier à la fois la législation et la pratique d’un État tiers pour établir si les droits de la défense et la protection juridictionnelle effective y sont respectés au niveau garanti par le droit de l’Union. Les principes généraux du droit de l’Union s’appliquent effectivement à la position commune 2001/931 et aux règlements d’exécution. Il s’ensuit que toute décision prise au titre de l’article 1er, paragraphe 4, doit l’être dans le respect de ces droits. Les particuliers ne doivent pas être réputés connaître les garanties procédurales offertes par des États tiers. De surcroît, toute analyse portée sur des États tiers ne sera présentée dans l’exposé des motifs que si le résultat de l’évaluation du Conseil est positif.

38.      Dans le deuxième moyen de son pourvoi, le Conseil soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que des informations utilisées relevaient du domaine public.

39.      Premièrement, le Tribunal a supposé à tort que le Conseil doit fournir régulièrement de nouveaux motifs justifiant le maintien de mesures restrictives à l’encontre de l’intéressé et que – nonobstant la proscription par le Royaume-Uni et le gel des avoirs par l’UE – il existe un flux continu de décisions émanant d’autorités nationales que le Conseil pourrait et devrait prendre en considération au cours de son réexamen semestriel.

40.      Deuxièmement, le Tribunal a dénié au Conseil la faculté d’utiliser des informations provenant de sources ouvertes pour déterminer si – nonobstant le fait qu’il pouvait maintenir les LTTE sur la liste au regard des décisions existantes d’autorité compétentes – il devait maintenir l’inscription des LTTE.

41.      Troisièmement, bien que le Tribunal ait indiqué que le Conseil aurait dû demander à une autorité compétente d’examiner les articles de presse invoqués, il reste qu’une telle procédure n’a aucun fondement dans la position commune 2001/931, dans l’arrêt Al-Aqsa ni ailleurs. En tout état de cause, la décision du Tribunal rend les choses ingérables.

42.      Quatrièmement, le Tribunal a décidé à tort que son refus d’entériner la référence faite par le Conseil à des sources d’informations ouvertes emporte nécessairement l’annulation des règlements attaqués.

43.      Les LTTE rétorquent que les actes mentionnés dans l’exposé des motifs n’étaient pas tirés de décisions d’autorités compétentes puisque chacun d’eux était postérieur aux décisions nationales. Cela confirme que la décision de garder les LTTE sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, n’a pu être fondée que sur des informations provenant de la presse et d’internet. Le Tribunal n’a pas considéré que le Conseil doit régulièrement donner de nouvelles raisons justifiant de maintenir les mesures restrictives à l’encontre de l’intéressé. Il a simplement déterminé que si le Conseil choisit de donner de nouvelles raisons, ces raisons doivent être tirées de décisions d’autorités compétentes. Le Tribunal a estimé à juste titre qu’en se livrant à une évaluation indépendante sur la base d’informations provenant de la presse et d’internet, le Conseil a cherché en réalité à exercer la fonction d’une autorité compétente.

44.      Dans le troisième moyen de son pourvoi, le Conseil soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne jugeant pas que l’ordonnance de proscription du Royaume-Uni de 2001 pouvait servir de décision dûment visée à l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931. Premièrement, dans l’affaire PMOI (46) le Tribunal a jugé qu’une ordonnance de cette nature est une décision d’une autorité nationale. Deuxièmement, le Tribunal a estimé que le Conseil aurait dû disposer de l’ensemble des éléments sur lesquels s’est fondé le Home Secretary pour proscrire les LTTE.

45.      Les LTTE soutiennent que si aucun des actes de terrorisme qui ont conduit le Home Secretary à proscrire les LTTE n’était connu du Conseil, celui-ci n’aurait pas pu vérifier si l’ordonnance de proscription du Royaume-Uni de 2001 répondait aux conditions requises par l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931. Dans ce cas, le Tribunal n’aurait pas pu vérifier à son tour l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence. Cela voudrait également dire qu’aucune des parties concernées ne serait en mesure d’examiner si une décision au sens de l’article 1er, paragraphe 4, a été prise. De surcroît, l’argument du Conseil voulant qu’il ne soit peut-être pas réaliste d’exiger de partager certaines informations qui sous-tendent une décision nationale est hypothétique. Dans la présente procédure, il n’apparaît pas que les informations (tant est qu’il y en ait) sous-tendant l’ordonnance de proscription du Royaume-Uni de 2001 aient été restreintes.

IV – Appréciation

A –    Observations préalable

46.      Le présent pourvoi invite en substance la Cour à considérer (une nouvelle fois) l’architecture du mécanisme à travers lequel des mesures restrictives de l’Union sont maintenues au titre de la position commune 2001/931 et du règlement no 2580/2001 ainsi que le rôle assigné aux États membres et aux États tiers dans ce dispositif.

47.      Dans ce dispositif, on peut faire une distinction entre : i) l’inscription initiale sur la liste et ii) la décision de maintenir une personne, une entité ou un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3. En ce qui concerne la première catégorie de décisions, la position commune 2001/931 établit la procédure que le Conseil doit appliquer et les pièces sur lesquelles il peut se fonder. Aucune règle de cette nature n’est établie pour la deuxième catégorie de décision. C’est cette deuxième catégorie de décision qui a fait l’objet du recours des LTTE devant le Tribunal et qui est en cause dans le présent pourvoi.

48.      L’article 1er, paragraphe 6, de la position commune 2001/931 prévoit simplement à leur égard un réexamen à intervalles réguliers des noms des personnes et groupes figurant sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, afin de s’assurer que leur maintien sur la liste reste justifié. Les questions qui sont au centre du présent pourvoi sont de savoir comment le Conseil peut établir la réalité de tels motifs et ce que le Conseil doit communiquer aux personnes ou groupes concernés.

49.      Il découle de l’article 1er, paragraphe 6, de la position commune 2001/931 que, en l’absence de motifs de maintenir une personne ou un groupe sur cette liste, le Conseil doit les rayer ou les « omettre » de la liste (47). À cet égard, il est constant que les LTTE n’ont présenté eux-mêmes au Conseil aucune observation ni pièce susceptibles de remettre en cause les raisons de les inscrire sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, et pouvant aboutir à les en omettre. Dans le contexte de différents types de mesures restrictives, la Cour a jugé que si les motifs d’inscription d’une personne sont modifiés dans la décision adoptée dans le cadre de la PESC, afin de tenir compte des observations et des éléments de preuve fournis, cette modification doit également intervenir dans le règlement adopté dans le cadre du TFUE (48).

50.      Aucune partie n’a attaqué le volet de l’arrêt statuant sur le premier moyen tiré par les LTTE, dans les deux affaires, de l’inapplication du règlement no 2580/2001 au conflit opposant les LTTE au gouvernement du Sri Lanka en ce que ce conflit armé (et de ce fait les actes qui y sont perpétrés) relève des seules règles humanitaires internationales. Cette question a cependant été soulevée dans l’affaire C-158/14, A e.a..

51.      Dans ses mémoires et observations, le Conseil insiste lourdement sur le fait que les LTTE ont jamais contesté aucune des décisions nationales sur lesquelles le Conseil s’est fondé ni les règlements du Conseil qui les ont inscrits initialement puis maintenus sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3. Cependant, selon moi, le contrôle d’un règlement du Conseil implique d’examiner si le Conseil a respecté les règles de droit de l’Union applicables, en ce compris les conditions fixées dans la position commune 2001/931 et les droits fondamentaux. Rien dans ces règles ne lie ce contrôle à une contestation préalable par la partie concernée de la décision de l’autorité compétente devant les instances nationales voulues.

52.      À l’audience, le Conseil a été interrogé sur la nécessité d’examiner le premier moyen du pourvoi. Ce moyen est tiré de l’obligation de motiver les actes pour ce qui concerne une décision adoptant des mesures restrictives. Il est vrai que si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (49). Cela veut dire que, en l’espèce, si la Cour devait décider (dans le contexte du deuxième ou du troisième moyen du pourvoi) que le Tribunal a commis une erreur de droit et juger que les règlements attaqués sont dûment fondés sur, notamment, l’ordonnance de proscription du Royaume-Uni de 2001, et motivés à suffisance, il ne serait plus nécessaire d’examiner en outre si l’exposé des motifs de se fonder sur les décisions d’États tiers était suffisant. Cependant, compte tenu de l’importance systémique de la question sous-tendant le premier moyen et de l’intérêt qu’elle peut présenter pour d’autres affaires, j’examinerai le premier moyen indépendamment du bien-fondé des autres moyens du pourvoi.

B –    Premier moyen du pourvoi

53.      Le premier moyen du pourvoi vise l’étendue de l’obligation du Conseil d’exposer les motifs pour lesquels il se fonde sur une décision d’une autorité d’un État tiers pour démontrer qu’il y a toujours des raisons de maintenir une organisation telle que les LTTE sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3. Ce moyen présuppose que le Tribunal ait admis à juste titre que, pourvu que le Conseil, avant de se fonder sur une décision d’une autorité d’un État tiers, ait vérifié avec soin que la réglementation pertinente de cet État assure une protection des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective équivalente à celle garantie au niveau de l’Union, une telle décision peut constituer une décision d’une autorité compétente au sens de l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931. Dans le présent pourvoi, la Cour n’est pas appelée à se prononcer sur les questions de savoir si le Conseil peut même se fonder sur une décision d’une autorité d’un État tiers et, le cas échéant, à quelles conditions.

54.      La position commune 2001/931 ne fixe aucune condition expresse que doit remplir un exposé des motifs. Ces conditions ont un autre fondement. Conformément à l’article 296 TFUE, il appartient dès lors au Conseil d’expliquer dans des motifs exprès et circonstanciés les raisons concrètes de maintenir un groupe, tel que les LTTE, sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3. Cette explication doit fournir des informations suffisantes pour permettre au groupe affecté par l’acte de comprendre les raisons de son maintien sur la liste et aux juges de l’Union d’en contrôler la légalité (50). Cette obligation est une expression élargie du droit fondamental qui y est consacré à l’article 47 de la Charte (51).

55.      L’obligation de motiver les actes est une formalité substantielle. Elle est distincte de celle de la preuve du comportement allégué. Cette dernière relève de la légalité au fond de l’acte et implique de vérifier la réalité des faits mentionnés dans cet acte ainsi que leur qualification justifiant l’application de mesures restrictives à l’encontre de la personne concernée (52).

56.      Lorsque le Conseil impose en particulier une mesure de gel des fonds, il doit indiquer dans l’exposé des motifs de cet acte « […] les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé doit faire l’objet d’une telle mesure » (53). Le Conseil doit aussi indiquer « […] les raisons individuelles, spécifiques et concrètes, pour lesquelles les autorités compétentes considèrent que la personne concernée doit faire l’objet de mesures restrictives […] » (54). La question de savoir si la motivation doit satisfaire à des conditions spécifiques doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents. Cela s’explique par le fait que le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (55).

57.      Il convient dès lors de commencer par examiner le type d’acte en cause et les motifs sur lesquels il peut être fondé.

58.      L’inscription et le maintien d’une personne ou d’un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, suppose d’évaluer le risque qu’elle soit ou puisse être impliquée dans des actes de terrorisme tels que définis à l’article 1er, paragraphe 3, de la position commune 2001/931. L’évaluation initiale doit se faire, aux termes de l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931, « sur la base d’informations précises ou d’éléments de dossier » attestant une décision prise par une autorité compétente à l’égard des personnes, groupes et entités visés. L’énoncé de l’article 1er, paragraphe 4, donne quelques indications sur l’objet de ces décisions. Ce qui importe, c’est qu’une décision ait été prise par une autorité compétente, « qu’il s’agisse », d’une part, de l’ouverture d’enquêtes ou de poursuites pour un acte terroriste, ou la tentative de commettre, ou la participation à, ou la facilitation d’un tel acte, basées sur des preuves ou des indices sérieux et crédibles, ou qu’il s’agisse, d’autre part, d’une condamnation pour un acte terroriste, ou la tentative de commettre, ou la participation à, ou la facilitation d’un tel acte. Celles-ci doivent nécessairement être aussi fondées sur des preuves sérieuses et crédibles (56). En tout état de cause, le Conseil doit s’assurer qu’il y a « des preuves ou des indices sérieux et crédibles » (57). Cela implique que le Conseil ne doit pas forcément disposer de tous les éléments sur lesquels une autorité compétente s’est fondée pour adopter une décision (administrative ou judiciaire), telle l’ordonnance de proscription du Royaume-Uni de 2001 en l’espèce. Il en va ainsi parce que le Conseil ne peut pas examiner de novo le sérieux et la crédibilité de l’élément de preuve ou de l’indice sur lequel se fonde la décision d’une autorité compétente. Toutefois, il peut et doit examiner si la décision est fondée sur une preuve et si l’autorité a jugé cette preuve sérieuse et crédible. Ce que le Conseil ne peut pas faire c’est examiner lui-même la preuve. Au contraire, l’objet de l’examen que le Conseil fait de décisions d’autorités compétentes (d’États membres et d’États tiers) se limite à vérifier si, au regard du droit de l’Union, ces décisions constituent un fondement suffisant pour appliquer des mesures restrictives de l’Union.

59.      Il s’ensuit que, en fonction de la seule teneur de la mesure, l’exposé des motifs d’une décision initiale d’inscrire une personne ou un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, doit indiquer à tout le moins : i) les raisons particulières, spécifiques et concrètes, de considérer qu’il y a un risque qu’une personne ou une entité soit impliquée dans les actes de terrorisme visés à l’article 1er, paragraphe 3, et que des mesures restrictives doivent être adoptées à ce titre (58), et ii) les décisions des autorités compétentes visées à l’article 1er, paragraphe 4, qui ont servi à étayer ces raisons. Les deux éléments participent de la légalité de la mesure. Faute de communiquer ces deux éléments, la personne ou le groupe concerné ne peut pas savoir pour quelle raison de fond elle a été inscrite sur la liste et si le Conseil a respecté les conditions impératives d’inscription ; et la Cour ne peut pas exercer son contrôle. Je ne partage dès lors pas la conception du Conseil qui veut réduire l’exposé des motifs aux informations propres au comportement qui a conduit le Conseil à inscrire les LTTE sur la liste même si le Conseil indique à juste titre que l’obligation de motiver les actes est une exigence distincte de la question de la preuve du comportement allégué (59).

60.      Le premier moyen du pourvoi se réfère au deuxième élément : suffit-il, quand on se fonde sur des décisions d’une autorité compétente d’États tiers, de viser simplement la décision de l’autorité compétente au sens de l’article 1er, paragraphe 4, deuxième alinéa ?

61.      À mon sens, non.

62.      Lorsque le Conseil se fonde sur des décisions d’autorités compétentes d’États membres agissant sur le terrain du droit de l’Union, il est acquis que ces autorités ont l’obligation de respecter les droits fondamentaux applicables dans l’Union européenne. Il s’ensuit que l’étendue et le niveau de protection, en droit de l’Union, sont bien établis et soumis au contrôle de la Cour. Lorsqu’il se fonde sur leurs décisions, le Conseil sera normalement justifié à présumer que ces décisions ont été prises dans le respect des droits fondamentaux applicables et en particulier des droits de la défense et à la protection juridictionnelle effective. Cette présomption n’est cependant pas absolue. Dans son avis 2/13, la Cour a estimé que le principe de la confiance mutuelle entre les États membres impose, notamment en ce qui concerne l’espace de liberté, de sécurité et de justice, à chacun de ces États de considérer, sauf dans des circonstances exceptionnelles, que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union et, tout particulièrement, les droits fondamentaux reconnus par ce droit (60). En d’autres termes, le principe est celui de la confiance mutuelle mais non celui de la confiance mutuelle aveugle quoi qu’il advienne.

63.      La même idée doit prévaloir en l’espèce. C’est-à-dire que, lorsque le Conseil considère que l’un ou l’autre élément de preuve atteste un risque réel que l’autorité compétente n’ait pas adopté une décision dans le respect de ces droits dans une affaire concrètement en cause, il ne peut pas se fonder sur cette décision aux fins d’adopter des mesures restrictives au titre de la position commune 2001/931, sans autre évaluation. Ainsi que je l’ai avancé dans les conclusions que j’ai présentées dans l’affaire France/People’s Mojahedin Organization of Iran, « […] étant donné que la décision de gel des fonds du Conseil doit elle-même respecter ces droits dans l’hypothèse où elle ferait l’objet d’un recours devant le juge de l’Union européenne, il me semble que le Conseil doit s’assurer [du respect de ces droits au niveau de l’Union] avant d’adopter sa décision » (61). Dans d’autres circonstances (plus ordinaires), il peut présumer la conformité aux droits fondamentaux considérés et peut donc se fonder sur cette décision pour inscrire une personne ou un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3.

64.      Il s’ensuit que, à l’égard des décisions d’une autorité compétente d’un État membre, le Conseil peut se contenter d’indiquer dans l’exposé des motifs la décision sur laquelle il s’est fondé et d’expliquer en quoi il s’agit d’une décision d’une autorité compétente au sens de l’article 1er, paragraphe 4, deuxième alinéa, de la position commune 2001/931. Au vu de cet exposé des motifs, la personne ou le groupe concerné apprend ainsi que le Conseil a agi en présumant le respect des droits fondamentaux applicables et en l’absence de circonstances exceptionnelles qui l’auraient empêché de faire jouer cette présomption. Lorsque le Conseil a l’un ou l’autre élément attestant un risque réel que les droits fondamentaux n’ont pas été respectés, il doit montrer qu’il s’est assuré de la conformité aux droits fondamentaux et l’indiquer clairement dans l’exposé des motifs.

65.      Les choses sont différentes lorsque le Conseil décide de se fonder sur une décision d’une autorité compétente d’un État tiers. Ces autorités n’agissent pas sous les mêmes impératifs de protection des droits fondamentaux que les États membres même si les droits fondamentaux peuvent bénéficier dans leur ordre juridique d’une protection au moins équivalente à celle garantie par le droit de l’Union. Le Conseil admet lui-même qu’il doit s’assurer que la décision de l’autorité d’un État tiers a été prise dans un contexte où la protection offerte par les droits fondamentaux atteint un niveau au moins équivalent à celui qu’offre le droit de l’Union (et s’imposant aux décisions de même nature d’autorités d’États membres).

66.      Abstraction faite d’une présomption générale voulant que les États tiers respectent les obligations qui leur incombent en vertu du droit international (qui peuvent inclure des engagements pris en matière de droits de l’homme), rien ne permet de présupposer le niveau de la protection des droits fondamentaux garanti dans un État tiers ni qu’il soit « au moins équivalent » à celui existant dans l’Union. Si les règles de droit international (en ce compris en particulier la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme) liant un État tiers peuvent donner une indication, il convient également de prendre en compte l’ordre juridique interne. Il appartient au Conseil de vérifier si le niveau de protection des droits fondamentaux est au moins équivalent à celui offert par le droit de l’Union et si l’un ou l’autre élément montre que la décision en cause peut ne pas avoir été adoptée dans le respect du niveau de protection pertinent et applicable.

67.      À mon avis, cela veut dire que le Conseil a l’obligation d’examiner : i) les règles de droit interne de cet État tiers qui régissent la décision en cause (en ce compris toutes les règles de droit international incorporées au droit interne) ; ii) l’étendue et le niveau de protection offert par ces règles (en ce compris l’existence de recours administratif ou judiciaire contre la décision, garantissant ainsi le droit fondamental à un recours effectif) et leur équivalence à la protection garantie par le droit de l’Union ; et iii) si l’un ou l’autre élément montre que la décision en cause peut ne pas avoir été adoptée dans le respect du niveau de protection pertinent et applicable. Toutefois, contrairement au Tribunal, je n’aperçois pas de nécessité pour le Conseil de vérifier systématiquement si l’État tiers ne méconnaîtrait pas en pratique ses règles de protection des droits de la défense et celles qui garantissent une protection juridictionnelle effective. Cela n’est ni nécessaire ni suffisant pour déterminer si, dans une affaire donnée, le Conseil est justifié à se fonder sur la décision concrète d’une autorité compétente.

68.      Je ne partage pas davantage la préoccupation du Conseil redoutant des risques d’ingérence dans le système politique d’un État tiers ni son idée que ces risques pourraient être évités si le Conseil était autorisé à faire ses observations sur l’ordre juridique de cet État dans les recours ultérieurs ; il songe en particulier aux mémoires qui sont couverts par l’article 20, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice (62). À mon avis, l’évaluation du Conseil se borne à vérifier l’équivalence entre les lois d’un État tiers et celles de l’Union ainsi que les garanties offertes dans un cas donné. Son objectif n’est pas de vérifier la conformité de l’ordre juridique d’un État tiers à des règles de droit international qui le lient ou à des ordres juridiques internes d’autres États. De surcroît, les considérations qui pourraient conduire le Conseil à se fonder sur les décisions d’une autorité d’un État tiers ne sont portées à la connaissance de la personne ou du groupe concerné que lorsque le Conseil juge qu’il y a équivalence. Si cette évaluation s’avère négative, le Conseil ne peut pas se fonder sur la décision de l’autorité de l’État tiers et aucun élément de l’évaluation du Conseil ne sera porté à la connaissance de la personne ou du groupe concerné ni divulgué dans le domaine public.

69.      C’est pour les mêmes raisons qu’il est vain de penser que l’exposé des motifs ne pourrait être en définitive communiqué que dans un mémoire présenté dans un recours devant le Tribunal. En tout état de cause, l’obligation de motiver les actes a pour pendant le droit de la partie affectée par l’acte d’en connaître les motifs : ce droit ne peut pas être tributaire d’un recours préalable devant les juridictions de l’Union à l’encontre du règlement du Conseil. Ce droit permet à la personne concernée de connaître les éléments essentiels qui président à la mesure qui l’affecte et dès lors de l’attaquer ; et non l’inverse (63).

70.      Lorsque cette évaluation est positive, il incombe au Conseil d’indiquer dans l’exposé des motifs les raisons qu’il a eues de décider que la décision de l’autorité compétente d’un État tiers a été adoptée dans le respect de critères de protection des droits fondamentaux équivalant à ceux applicables, au titre du droit de l’Union, aux décisions prises par les autorités d’États membres. Il ne suffit dès lors pas de se référer simplement à la décision.

71.      Cela ne veut pas dire que le Conseil doive divulguer dans l’exposé des motifs l’intégralité de son analyse et présenter une évaluation exhaustive et générale des droits et pratiques constitutionnelles et pénales d’un État tiers. Il doit plutôt indiquer clairement pourquoi, dans la présente espèce où il y a une décision individuelle d’une autorité compétente, l’ordre juridique de l’État tiers offre un niveau de protection équivalent à tout le moins des droits de la défense et du droit à un recours juridictionnel effectif et il doit préciser les sources légales sur lesquelles il s’est fondé.

72.      Le Conseil semble également distinguer à l’appui du premier moyen de son pourvoi, la décision par laquelle il a initialement inscrit une personne ou un groupe et les décisions ultérieures par lesquelles il les a maintenues sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3. J’aborderai cette distinction plus en détails dans le contexte du deuxième moyen. Pour les raisons qui seront exposées dans cette partie des présentes conclusions (64), je considère que, lorsque le Conseil s’appuie sur une décision d’une autorité compétente d’un État tiers pour décider de maintenir une personne ou un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, il doit donner un exposé des motifs satisfaisant pour se fonder sur cette décision.

73.      Je n’aperçois dès lors aucune erreur dans l’interprétation faite par le Tribunal pour juger que le Conseil n’a livré aucune appréciation des niveaux de protection des droits de la défense et de protection juridictionnelle offerts par la législation indienne et qu’il ne suffit pas de viser uniquement des chapitres de dispositions législatives et d’évoquer simplement le réexamen périodique par le ministre de l’Intérieur de l’Inde. Le fait que je considère que le Tribunal a commis une erreur de droit pour autant qu’il a suggéré l’existence d’ une obligation générale du Conseil d’examiner concrètement et théoriquement l’application qu’un État tiers fait effectivement de ses règles de protection des droits de la défense et du droit à un recours juridictionnel effectif n’entame en rien cette conclusion.

74.      Il convient donc de rejeter le premier moyen du pourvoi pour défaut de fondement.

C –    Deuxième moyen du pourvoi

1.      Introduction

75.      Le deuxième moyen du pourvoi du Conseil se réfère en ordre principal aux motifs pour lesquels le Conseil peut décider de maintenir une personne ou un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, et à l’obligation de les reprendre dans l’exposé des motifs. Ce moyen du pourvoi est fondé en substance sur trois arguments : i) le Tribunal a supposé à tort que le Conseil doit régulièrement renouveler les motifs justifiant de continuer à soumettre l’intéressé à des mesures restrictives ; ii) le Tribunal a jugé à tort que le Conseil ne peut pas se fonder sur des éléments relevant du domaine public qui n’ont pas été intégrés dans une décision d’une autorité compétente ; et iii) le Tribunal a décidé à tort d’annuler la décision attaquée au motif que le Conseil ne pouvait pas se fonder sur des éléments relevant du domaine public.

76.      J’aborderai ces arguments successivement.

2.      Le Conseil doit-il régulièrement renouveler les motifs justifiant de continuer à soumettre l’intéressé à des mesures restrictives ?

77.      J’admets avec le Conseil que, lorsqu’il décide de maintenir une personne ou un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, le Conseil ne doit pas toujours donner de nouvelles raisons (c’est-à-dire de nouveaux faits abordés dans une décision d’une autorité compétente ou dans une nouvelle décision de cette autorité portant sur des faits sur lesquels le Conseil s’est référé antérieurement) de maintenir cette partie sur la liste. Il peut être tenu de le faire parfois mais pas nécessairement toujours.

78.      L’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931 veut que l’inscription procède d’une décision d’une autorité compétente « à l’égard des personnes, groupes et entités visés, qu’il s’agisse de l’ouverture d’enquêtes ou de poursuites pour un acte terroriste, ou la tentative de commettre, ou la participation à, ou la facilitation d’un tel acte, basées sur des preuves ou des indices sérieux et crédibles, ou qu’il s’agisse d’une condamnation pour de tels faits ». Les preuves doivent consister en des informations ou éléments précis.

79.      L’inscription initiale est donc fondée sur des décisions concernant des faits antérieurs. L’idée de se référer à une décision nationale est d’« assurer que la décision du Conseil soit prise sur une base factuelle suffisante permettant à ce dernier de conclure à l’existence d’un danger que, en l’absence de la prise de mesures inhibitives, la personne concernée poursuive son implication dans des activités terroristes » (65). Sa fonction « consiste à établir l’existence de preuves ou d’indices sérieux et crédibles de l’implication de la personne concernée dans des activités terroristes, considérés comme fiables par les autorités nationales » (66). Dans l’inscription initiale, ces décisions servent à évaluer le risque d’actes de terrorisme ou d’implication dans de tels actes à l’avenir (67). Rien ne justifie le gel de fonds alimentant des actes (de terrorisme) lorsque ces actes ne risquent pas (plus) de se produire.

80.      Fort de cette évaluation, il appartient alors au Conseil de décider où placer le niveau de protection contre ce risque et d’apprécier si une personne ou un groupe particulier présente un tel risque (éventuellement même si elles n’ont commis aucun acte de terrorisme depuis un certain temps) (68). Cela justifie alors l’application de mesures préventives. L’évaluation du risque dans un cas concret doit être fondée sur les faits et les informations figurant dans des décisions d’autorités compétentes. Compte tenu du système à deux niveaux qui préside à la position commune 2001/931, ces décisions sont la seule base permettant d’attester les motifs d’inscrire une personne, une entité ou un groupe. Le Conseil doit vérifier si la décision visée par l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931 est suffisamment précise i) pour permettre d’identifier la personne ou le groupe concerné et ii) pour établir un lien éventuel (tel que décrit à l’article 1er, paragraphe 2, de cette position commune) entre la personne ou le groupe concerné et des actes de terrorisme tels que définis en son article 1er, paragraphe 3. Le Conseil doit aussi considérer le temps écoulé entre la décision et les faits sur lesquels elle porte afin de déterminer s’ils établissent un risque actuel (et éventuellement futur) de terrorisme justifiant l’adoption de mesures restrictives.

81.      Il s’ensuit que, si le Conseil a une marge d’appréciation dans l’évaluation du risque de terrorisme, dans la définition du niveau de protection et dans le choix des moyens pour faire face à ce risque, il reste qu’il ne peut inscrire des personnes, groupes et entités sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, que s’il existe des motifs suffisantes d’établir que ces personnes, groupes et entités présentent le lien requis avec des actes ou des activités terroristes. Il exerce donc un pouvoir d’appréciation dans l’examen des décisions d’autorités compétentes et des faits et des éléments de preuve sur lesquels elles sont fondées. Cependant, la position commune 2001/931 ne prévoit pas que le Conseil ait lui‑même des pouvoirs d’investigation ou d’enquête lorsqu’il prend la décision initiale d’inscription (69). En conséquence, le Conseil n’a aucun pouvoir d’appréciation dans le choix de la base sur laquelle il établit les motifs d’inscription. Cette base doit se trouver dans des décisions d’autorités compétentes.

82.      L’article 1er, paragraphe 6, de la position commune 2001/931 prévoit le réexamen à intervalles réguliers (au moins semestriellement) de la liste visée à l’article 2, paragraphe 3. L’objet de ce réexamen est de garantir qu’il y ait toujours des motifs de maintenir une personne ou un groupe sur la liste. Il ne donne aucune autre indication sur la nature de ces motifs ni sur le fondement qu’ils doivent avoir.

83.      À mon avis, les motifs (c’est-à-dire les raisons) d’inscrire une première fois une personne ou un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, et de l’y maintenir doivent être les mêmes : les personnes, entités ou groupes ne peuvent rester sur cette liste que dans la mesure où il subsiste un risque d’actes et d’activités terroristes et d’implication dans ceux-ci. L’idée qui préside au système d’inscription conçu à deux niveaux est la même quelle que soit la durée de l’inscription d’une personne ou d’un groupe sur la liste. En d’autres termes, après son inscription initiale, une personne ou un groupe inscrit ne peut pas être réputée répondre aux motifs d’inscription jusqu’à ce qu’elle demande d’en être rayée en produisant des preuves de faits nouveaux à l’appui de cette demande.

84.      Le Conseil doit s’acquitter plutôt d’une fonction de supervision. Il lui appartient de vérifier, dans le contexte de son réexamen, s’il existe toujours des raisons, tirées de faits et de preuves, de maintenir l’intéressé sur la liste. Dans l’arrêt Al-Aqsa, la Cour a indiqué que la question qui importe lors de l’examen du maintien d’une personne ou d’un groupe sur la liste est celle de savoir si « […] depuis l’inscription du nom de cette personne dans ladite liste ou depuis le réexamen précédent, la situation factuelle a changé de telle manière qu’elle ne permet plus de tirer la même conclusion concernant l’implication de la personne en question dans des activités terroristes » (70). Ce qui importe donc c’est de savoir si de nouveaux faits ou éléments de preuve sont apparus ou si l’évaluation par les autorités nationales compétentes de l’implication de cette partie dans le (financement du terrorisme) a changé (71). La Cour a poursuivi en évoquant dans cet arrêt la question de savoir s’il existait des indices « indiquant que […] la situation factuelle ou l’appréciation de celle-ci par les autorités nationales a[urait] changé en ce qui concerne l’implication de la requérante dans le financement d’activités terroristes » (72).

85.      Dans ces passages, la Cour s’est, selon moi, spécialement attachée à ce qui peut inciter le Conseil à radier une personne ou un groupe de la liste visée à l’article 2, paragraphe 3. Une autorité compétente peut donc décider que, au vu de faits et d’éléments de preuve nouveaux, une personne ou un groupe n’est plus impliqué dans le financement du terrorisme. Ou le Conseil peut découvrir lui‑même des faits qui le conduisent à reconsidérer sa décision antérieure et omettre éventuellement une personne ou un groupe de la liste établie au titre de l’article 2, paragraphe 3.

86.      En l’espèce, la question soulevée par le deuxième moyen du pourvoi est de savoir si le Conseil doit démontrer (et indiquer dans l’exposé des motifs) de nouvelles raisons de maintenir une personne ou un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3. À mon sens, il ne peut y avoir d’une part une règle rigide et intangible n’habilitant le Conseil à maintenir une personne ou un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, que s’il y a des décisions d’autorités compétentes prises ou connues du Conseil après l’inscription initiale ou précédente. D’autre part, la ou les décisions initiales qui a ou qui ont servi de base à l’inscription initiale ne suffira ou ne suffiront pas toujours.

87.      Un certain nombre de facteurs détermineront si une nouvelle décision d’une autorité compétente est requise et doit, de ce fait, être reprise dans l’exposé des motifs.

88.      Lorsque le Conseil adopte une décision au titre de l’article 1er, paragraphe 6, sans se fonder sur une décision nouvelle d’une autorité compétente, il doit avoir pu établir que la décision d’une autorité compétente sur laquelle il s’est fondé auparavant pour adopter la décision initiale ou pour adopter une décision ultérieure de maintenir une personne ou un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, reste une base suffisante pour démontrer qu’il y a des raisons de le faire. En se fondant donc sur les faits et preuves qui ont donné lieu à la décision antérieure ou aux décisions antérieures de l’autorité compétente (même si ces décisions ont été ultérieurement rapportées pour des raisons étrangères aux faits et preuves démontrant l’implication dans des actes ou activités terroristes (73)), le Conseil doit démontrer que les faits et éléments de preuve sur lesquels la décision initiale ou la décision ultérieure ou les décisions ultérieures de l’autorité compétente était fondée ou étaient fondées justifient toujours son appréciation selon laquelle la personne ou le groupe concerné présente un risque de terrorisme et que, en conséquence, des mesures préventives sont justifiées. Pour le dire simplement : le risque et la nécessité de mesures préventives qui en découle doivent toujours exister.

89.      Parce que les décisions d’autorités compétentes portent nécessairement sur des faits qui leur sont antérieurs, il s’ensuit par conséquent que plus long sera l’intervalle entre ces faits et ces décisions, d’une part, et la nouvelle décision de maintenir une personne ou un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, d’autre part, plus grande sera l’obligation pour le Conseil de vérifier avec soin si, au moment de son réexamen, ses conclusions sont toujours valablement fondées sur cette décision et sur les faits qui y ont donné lieu (74). Lorsque la décision de l’autorité compétente a été renouvelée ou étendue, le Conseil doit vérifier sur quelle base elle l’a été. Il s’ensuit que l’analyse du Conseil ne peut pas être parfaitement identique à celle faite lors de l’adoption d’une décision antérieure prise au titre de l’article 1er, paragraphe 6, fondée sur la même décision d’une autorité compétente. À tout le moins est-il nécessaire de prendre en compte l’écoulement du temps. Cela doit aussi se refléter dans l’exposé des motifs.

90.      Lorsque la personne ou le groupe affecté a soumis au Conseil des informations pour réagir à la décision antérieure l’inscrivant sur la liste ou à l’exposé des motifs consacré à la décision ultérieure le maintenant sur la liste, le Conseil doit également tenir compte de ces informations (75) et expliquer dans son exposé des motifs de la nouvelle décision maintenant l’inscription sur la liste pourquoi ces informations ne changent rien à son appréciation.

91.      Lorsqu’une nouvelle décision pertinente d’une autorité compétente est rendue et connue du Conseil, cette institution doit alors vérifier sur quels faits et quels éléments de preuve cette décision s’est fondée et si elle peut servir à démontrer qu’il y a toujours des motifs de maintenir une personne ou un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3. À cet égard, les responsabilités du Conseil (en ce compris ce qui concerne l’exposé des motifs) différeront selon que la décision nationale renouvelle ou étend simplement la décision antérieure de l’autorité compétente sur laquelle le Conseil s’est fondé auparavant ou qu’elle est une décision entièrement nouvelle émanant éventuellement d’une autre autorité compétente d’un État membre (éventuellement différent) qui a visé d’autres faits et preuves.

92.      J’ai déjà expliqué ce que je considère être les conditions auxquelles des personnes ou des groupes peuvent être inscrits sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, sur la base d’une décision d’une autorité compétente d’un État tiers (76). J’adopte la même position en ce qui concerne les décisions prises au titre de l’article 1er, paragraphe 6. Lorsque des décisions d’inscription antérieures étaient déjà fondées sur une ou plusieurs décisions de cette nature d’un État tiers et que le Conseil a démontré que ces conditions étaient remplies, je ne considère pas que le Conseil doive exposer une nouvelle fois tous ces faits et preuves dans l’exposé des motifs lorsqu’il persiste à se fonder sur ces décisions. Il se trouve plutôt que le Conseil doit expliquer i) pourquoi, au moment où il statue sur le maintien ou non d’une personne ou d’un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, ces décisions démontrent encore qu’il y a des raisons de maintenir celui-ci sur la liste et ii) en quoi il est toujours convaincu que ces décisions ont été adoptées dans le respect de niveaux de protection des droits fondamentaux au moins équivalents à ceux appliqués, au titre du droit de l’Union, à des décisions prises par des autorités des États membres. Lorsque le Conseil se fonde sur une nouvelle décision du même État tiers, la mesure dans laquelle le Conseil doit énoncer une nouvelle fois les faits et les éléments de preuve pertinents dépendra des points communs que cette nouvelle décision présente par rapport à la décision antérieure. Toutefois, en tout état de cause, le Conseil doit démontrer que les conditions auxquelles une personne ou un groupe peut être inscrit sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, sur le fondement d’une telle décision, sont toujours remplies.

93.      En l’espèce, il est vrai que le Tribunal a semblé (aux points 175 à 177 de l’arrêt attaqué) exiger du Conseil qu’il produise des décisions nationales plus récentes et qu’il se réfère aux motifs de ces décisions, sans examiner tout d’abord si le Conseil avait démontré qu’il y avait toujours des raisons de maintenir les LTTE sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, sur le fondement des décisions existantes d’autorités compétentes sur lesquelles il s’était fondé auparavant.

94.      Toutefois, lorsqu’on rapproche ces points du point 196 de l’arrêt attaqué, on aperçoit clairement que le Tribunal a également estimé que le Conseil avait simplement cité les décisions initiales d’autorités compétentes et avait indiqué, sans plus, qu’elles étaient toujours en vigueur ; et que, en ce qui concerne les actes qu’il visait concrètement (commis postérieurement à ces décisions), le Conseil ne se fondait pas sur des décisions d’autorités compétentes. Dans ces circonstances, toute décision d’autorités compétentes sur laquelle il se fondait aurait à l’évidence dû être différente et plus récente que les décisions initiales auxquelles le Conseil s’était référé. Le Tribunal a admis que des décisions plus récentes avaient été mentionnées pour le règlement d’exécution no 790/2014, mais il a jugé que le Conseil n’avait pas démontré en quoi ces décisions examinaient et attestaient les faits concrets visés par le Conseil. Au point 204 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a même indiqué plus clairement que le Conseil ne pouvait pas justifier le maintien d’une personne ou d’un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, sur le fondement de nouveaux actes de terrorisme sans qu’ils n’aient fait l’objet d’un examen et d’une décision d’une autorité compétente.

95.      Dans ces circonstances, je considère que le Tribunal a jugé à juste titre que, en l’absence de décision nouvelle ou autre d’une autorité compétente visant l’ensemble des actes de terrorisme évoqués par le Conseil et donnant un fondement satisfaisant pour maintenir qu’il y avait des motifs d’inscrire les LTTE sur la liste, le Conseil ne pouvait pas évoquer un ensemble d’attaques terroristes prétendument perpétrées par cette organisation alors que ces faits n’étaient pas attestés dans des décisions d’autorités compétentes.

3.      Le Conseil peut-il s’appuyer sur des éléments matériels accessibles au public pour décider de maintenir un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3 ?

96.      Il découle des conclusions que je viens de tirer que, pour décider de maintenir les LTTE sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, le Conseil ne pouvait pas se fonder sur une ensemble d’attaques terroristes prétendument perpétrées par les LTTE sans que ces faits soient attestés dans des décisions d’autorités compétentes et que le Conseil ne peut en principe pas (non plus) se fonder sur des informations du domaine public relatant de nouvelles attaques pour démontrer qu’il y a des raisons de maintenir une personne, une entité ou un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3.

97.      Le deuxième argument que le Conseil développe à l’appui du deuxième moyen de son pourvoi pose la question de savoir s’il existe des exceptions à ce principe. Pour décider de maintenir une personne ou un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, le Conseil peut-il néanmoins invoquer des raisons tirées de faits et d’éléments de preuve trouvés ailleurs que dans des décisions d’autorités compétentes ?

98.      À mon avis, il ne le peut pas.

99.      Une caractéristique essentielle du système à deux niveaux qui préside à la position commune 2001/931 est que le Conseil ne peut pas trouver lui-même des faits susceptibles de fonder une décision de soumettre une personne ou un groupe à des mesures préventives de l’Union. Il n’a pas non plus les pouvoirs d’investigation nécessaires à cette fin (77). Au contraire, il ne peut inscrire une personne ou un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, que si le dossier indique qu’une décision a été prise par une autorité judiciaire nationale ou, à certaines conditions, par une autorité administrative nationale. Cette condition s’efforce de garantir qu’une personne ou un groupe ne soit inscrit sur la liste qu’au vu de faits suffisamment solides (78). La prémisse est, d’une part, que des décisions de ces autorités établissent ou réexaminent et confirment après réexamen, conformément à la législation interne, l’existence d’éléments de preuve ou d’indices sérieux et crédibles de l’implication d’une personne ou d’un groupe dans des actes ou activités terroristes. D’autre part, la personne ou le groupe concerné jouit des droits fondamentaux de la défense et de la protection juridictionnelle effective à l’égard de ces décisions.

100. Selon moi, cette idée vaut également pour la décision de maintenir une personne ou un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3. Les raisons de cette décision doivent s’appuyer sur des faits suffisamment solides. Autoriser le Conseil à trouver lui-même des preuves ou des indices d’une implication (passée ou future) dans des actes et des activités terroristes que le Conseil a jugé relever de l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de la position commune 2001/931 induirait une inégalité de traitement entre, d’une part, les personnes ou groupes qui sont maintenus sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, sur le fondement de décisions d’autorités compétentes et, d’autre part, celles maintenues sur cette liste sur le fondement de faits jugés par le Conseil à sa propre initiative (même si le Conseil s’est également appuyé dans une certaine mesure sur des décisions d’autorités compétentes). Cette dernière catégorie d’intéressés jouirait alors de droits plus réduits à un procès équitable et à une protection juridictionnelle effective pour ce qui concerne les faits trouvés par le Conseil. Ils ne pourraient plus que saisir les juridictions de l’Union pour contester les constats en fait posés par le Conseil. Alors que dans le système à deux niveaux, la contestation peut en principe être portée à la fois au niveau national (à l’encontre de la décision de l’autorité compétente) et au niveau de l’Union (à l’encontre de la décision d’inscription du Conseil). Si le Conseil se fonde directement sur des éléments d’information ou des documents de cette nature, cela risquerait donc de priver la personne ou le groupe concerné du droit fondamental de saisir une juridiction nationale pour contrôler la légalité d’une décision qui l’affecte (alors qu’elle en aurait la faculté s’il y avait une décision d’une autorité compétente). Il appartiendrait alors aux seules juridictions de l’Union d’exercer ce contrôle. Il s’ensuit que le Conseil ne peut pas inscrire une personne ou un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, parce qu’il a un article de presse déclarant qu’« elle a fait ceci » ou qu’« elle a dit avoir fait ceci ». Une telle décision ne peut pas répondre aux conditions de la position commune 2001/931. Elle n’est pas plus conciliable avec l’état de droit.

101. On peut objecter que préconiser que le Conseil ne puisse pas se fonder sur des éléments d’information accablants immédiatement disponibles dans le domaine public procède d’une conception excessivement formaliste et rigoureuse. À mon sens cette objection est vaine.

102. On doit rappeler qu’une inscription a des conséquences très graves. Elle entraîne un gel des fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques. Le « gel des fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques » signifie « empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui auraient pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l’utilisation, y compris la gestion de portefeuille » (79). Une personne, entité ou groupe dont le nom figure sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, voit sa vie économique ordinaire suspendue. Il ne semble pas déraisonnable de préconiser, face à de telles conséquences, que les procédures suivies soient rigoureuses et respectent les droits fondamentaux de la défense et à la protection juridictionnelle effective.

103. De surcroît, il est difficile d’imaginer comment « construire » précisément une exception au principe voulant que le Conseil ne puisse pas se fonder sur des informations disponibles dans le domaine public relatant des attaques nouvelles pour démontrer qu’il y a des raisons de maintenir une personne, un groupe ou une entité sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3. Où tracer la ligne ? Un seul élément de preuve « solide » suffit-il ou, s’il faut davantage d’éléments de preuve, combien en faut-il ? Une déclaration faite au nom du groupe par un porte‑parole nommément connu (à supposer toujours qu’il en existe) revendiquant expressément l’initiative d’une attaque a-t-elle la force probante requise ? Pourrait-on reconnaître la même force probante à une déclaration publique faite par un individu prétendant parler au nom du groupe ? Qu’en serait-il d’articles de presse indiquant que l’auteur d’une attaque (qui ne peut plus être interrogé pour y avoir péri) est supposé y avoir été « incité » par le groupe ou « avoir des accointances » avec celui-ci ? Cela rend-t-il le groupe à ce point responsable pour que son nom doive être maintenu sur la liste visée à de l’article 2, paragraphe 3 ?

104. Il est bien entendu inévitable, dans l’ordre normal des choses, que le Conseil veuille obtenir des informations sur l’implication (éventuelle) de personnes ou de groupes dans des actes et des activités terroristes. Ces informations peuvent être de source privée ou publique. Le principe de coopération loyale, qui préside au système à deux niveaux mis en place par la position commune 2001/931, impose au Conseil d’informer les États membres des informations et des éléments de preuve parvenus à sa connaissance et qu’il estime pouvoir intéresser les autorités compétentes. Il est vrai que la position commune 2001/931 n’impose pas, en tant que telle, aux États membres qui reçoivent des informations de cette nature du Conseil, de prendre sans délai les initiatives nécessaires pour qu’une autorité compétente rende une nouvelle décision officielle sur les faits et les personnes visées par les informations que le Conseil leur a communiquées. Cela étant, le même principe de coopération loyale imposerait néanmoins aux États membres, selon moi, de répondre adéquatement à une demande du Conseil d’évaluer les informations communiquées. À l’évidence, lorsqu’il aborde la procédure de réexamen semestriel, le Conseil devrait, le cas échéant, tenir compte d’un délai suffisant pour solliciter et obtenir une réaction de l’État membre ou des États membres en question aux informations qu’il aurait communiquées. Cela semble être un prix acceptable à payer pour garantir le respect des droits fondamentaux de la défense et la protection juridictionnelle effective.

105. Si le Conseil était autorisé à se fonder sur des raisons tirées de faits et d’éléments de preuve trouvés ailleurs que dans des décisions d’autorités compétentes, j’ai également des réserves sur la façon dont les choses se dérouleraient en pratique.

106. Supposons que le Conseil dispose d’éléments provenant d’une source fiable et originale (qu’elle soit publique ou non) prétendant contenir ou avoir enregistré une déclaration de la personne ou du groupe concerné visant à faire connaître son implication (passée ou future) dans des actes ou activités terroristes que le Conseil estime relever de l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de la position commune 2001/931. Le Conseil pourrait tout au plus en conclure à titre préliminaire qu’il possédait des éléments de fait suffisamment solides pour décider qu’il y avait toujours des raisons de maintenir cette personne ou ce groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3 (indépendamment de toute décision pertinente d’autorités compétentes). Le Conseil devrait ensuite faire figurer ces informations et preuves dans l’exposé des motifs communiqué à la partie affectée avant d’adopter ensuite la décision visée à l’article 1er, paragraphe 6, de la position commune 2001/931 (80). Est-il concevable, en pratique, que cette partie reconnaisse expressément les faits (à charge) que le Conseil lui présente ? Cela resterait cependant la seule base sur laquelle le Conseil pourrait valablement i) fonder ces faits en l’absence de décision (antérieure ou nouvelle) d’une autorité compétente ou ii) combiner ces faits à une décision antérieure d’une autorité compétente sur laquelle il s’est déjà fondé. J’avoue envisager avec un certain scepticisme l’idée que la personne ou le groupe concerné ait le moindre intérêt à faire au Conseil une reconnaissance expresse aussi commode.

107. Je ne peux dès lors pas souscrire à une règle facultative qui autoriserait le Conseil à se fonder sur des « faits » de notoriété publique et sur des éléments de preuve les attestant trouvés dans des articles de presse ou sur internet, pour maintenir une personne ou un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3. La nature publique d’un fait et la divulgation de sa preuve ne suffisent pas pour admettre une exception à la règle générale voulant que le Conseil se fonde sur des décisions d’autorités compétentes. Enfin, je souhaiterais souligner que ma position ne vaut que pour les décisions par lesquelles le Conseil maintient une personne ou un groupe sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3. Le Conseil n’est pas entravé par les mêmes contraintes lorsqu’il décide de radier une personne ou un groupe de cette liste.

108. Je rejette donc également le deuxième argument soulevé à l’appui du deuxième moyen du pourvoi.

4.      Le Tribunal a-t-il annulé à juste titre les mesures contestées ?

109. Dans son dernier argument soulevé à l’appui du deuxième moyen, le Conseil soutient en substance que, s’il ne pouvait pas se fonder sur un élément de source publique, les conclusions auraient dû être que les circonstances de fait n’avaient pas changé en sorte qu’il pouvait maintenir les LTTE sur la liste. Si cela est exact, il en découle que le Tribunal n’aurait pas dû annuler les règlements attaqués notamment au motif pris de son refus d’entériner le fondement que le Conseil leur avait donné en visant un élément de source publique.

110. Je ne suis pas d’accord.

111. Premièrement, le Tribunal a annulé les règlements attaqués, en ce qu’ils concernent les LTTE, au motif que le Conseil a méconnu tant l’article 1er de la position commune 2001/931 que l’obligation de motiver les actes.

112. Deuxièmement, je n’accepte pas la logique qui sous-tend l’argument du Conseil selon laquelle si aucun compte ne peut être tenu des actes plus récents relatés dans la presse, les circonstances de fait seraient alors demeurées inchangées en sorte que les LTTE pouvaient dès lors être maintenus sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3. J’ai déjà expliqué pourquoi je considère qu’il n’y a pas lieu ici de présumer des raisons de maintenir une personne ou un groupe inscrit sur la liste jusqu’à ce que les circonstances de fait connaissent un changement qui donne des raisons (positives) de radier cette personne ou ce groupe de la liste. Les circonstances de fait évoluent forcément au fil du temps. Même en l’absence de décision autre ou plus récente d’une autorité compétente (visant d’autres faits), il incombe néanmoins au Conseil de réexaminer si, au vu des faits et des preuves figurant dans la décision sur laquelle il a pris appui auparavant, il subsiste un risque d’implication dans des actes de terrorisme et, de ce fait, une raison de maintenir l’inscription. Cela implique également que, en l’espèce, le Conseil devait expliquer pourquoi l’ordonnance de proscription du Royaume-Uni de 2001 restait un fondement suffisant pour sa décision et que le Tribunal aurait dû examiner cet argument. L’accueil fait par le Tribunal à l’ordonnance de proscription du Royaume-Uni de 2001 fait l’objet du troisième moyen du pourvoi du Conseil.

5.      Conclusion

113. Je rejette dès lors le deuxième moyen du pourvoi du Conseil pour défaut de fondement.

D –    Troisième moyen du pourvoi

114. Dans le troisième moyen de son pourvoi, le Conseil fait grief au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en ne décidant pas que l’inscription des LTTE sur la liste pouvait être fondée sur l’ordonnance de proscription du Royaume-Uni de 2001. Devant le Tribunal, le Conseil a soutenu que cette ordonnance suffisait à elle seule.

115. Le premier argument que le Conseil développe ici est que, dans des affaires antérieures, le Tribunal a déjà admis que cette même ordonnance est une décision d’une autorité compétente au sens de l’article 1er, paragraphe 4, de la position commune 2001/931 (81). Cela est vrai (et ne semble pas avoir été contesté) et, en effet, au point 120 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est expressément fondé sur cette jurisprudence en admettant que cette ordonnance est une décision d’une autorité compétente. Les points 205 et 206 de l’arrêt attaqué, que le Conseil cite à l’appui de son argument, concernent en réalité la position que le Tribunal adopte à l’égard d’actes sur lesquels se fonde le Conseil pour décider de maintenir les LTTE sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, lesquels actes n’ont pas fait l’objet d’une décision d’une autorité compétente.

116. Le deuxième argument du Conseil est que le Tribunal a jugé erronément aux points 206 à 208 de l’arrêt attaqué que le Conseil ne pouvait pas se fonder sur l’ordonnance de proscription du Royaume-Uni de 2001 sans avoir pu examiner les faits et les appréciations sous-tendant cette décision. Selon moi, le Tribunal n’a pas statué en ce sens. Aux points cités, le Tribunal a abordé un argument du Conseil et de la Commission expliquant pourquoi les motifs des règlements attaqués ne se fondent pas sur des décisions concrètes d’autorités compétentes qui auraient examiné et retenu les actes sur lesquels le Conseil s’est fondé au début de l’exposé des motifs (c’est-à-dire, ainsi que le Tribunal l’indique, un ensemble d’actes de violence que le Conseil a tirés de la presse et d’internet et a imputé aux LTTE). Les institutions ont soutenu que les LTTE auraient pu et auraient dû attaquer les mesures restrictives dans l’ordre juridique interne. Le Tribunal a rejeté ces arguments parce que : i) lorsque le Conseil vise des actes de terrorisme en tant qu’éléments de fait à l’appui de sa propre décision, il lui incombe d’indiquer, dans les motifs de sa décision, les décisions d’autorités compétentes nationales ayant concrètement examiné et retenu ces faits de terrorisme (82) ; ii) ces arguments ont confirmé que le Conseil s’était en réalité fondé sur des informations qu’il avait trouvées dans la presse et sur l’internet (83) ; et iii) ces arguments ont laissé penser que les décisions nationales sur lesquelles le Conseil s’est fondé pourraient elles‑mêmes, tant qu’aucune contestation n’a été soulevée par la partie concernée, ne se fonder sur aucun acte de terrorisme précis (84). Contrairement aux allégations du Conseil, rien dans ces points (et certainement pas le point 206) ne donne à penser que le Tribunal ait exigé que le Conseil dispose de tous les éléments sur lesquels s’est fondé le Home Secretary pour proscrire les LTTE.

117. C’est également dans ce contexte qu’il faut comprendre les arguments du Conseil sur l’obligation pour une partie telle que les LTTE d’exercer un recours juridictionnel devant les juridictions nationales. Toutefois, ces arguments n’intéressent pas le troisième moyen du pourvoi du Conseil qui fait en substance grief au Tribunal de n’avoir pas décidé que les règlements attaqués étaient néanmoins valides parce qu’ils étaient fondés sur l’ordonnance de proscription du Royaume-Uni de 2001.

118. Dans le troisième moyen du pourvoi, le Conseil soutient implicitement que, après avoir accueilli le premier moyen des LTTE uniquement en ce qu’il visait les autorités indiennes et dénié au Conseil la faculté de s’appuyer sur des actes qui n’ont pas fait l’objet de décisions d’autorités compétentes, le Tribunal aurait néanmoins dû juger que l’ordonnance de proscription du Royaume-Uni de 2001 constitue un fondement suffisant pour les règlements attaqués. Il s’en serait suivi que les vices entachant les autres motifs ne pouvaient pas justifier l’annulation de ces règlements.

119. Les appréciations que le Tribunal porte sur les décisions d’autorités nationales auxquelles se sont référés les règlements attaqués (à savoir en particulier l’ordonnance de proscription du Royaume-Uni de 2001) tendent en substance à répondre à la question de savoir si les actes que le Conseil a imputés aux LTTE aux points 1 et 2 des motifs des règlements attaqués, jugés par le Tribunal être en fait l’exposé des motifs et avoir eu une incidence déterminante sur l’évaluation du Conseil (85), avaient fait l’objet de ces décisions. Ils ne le pouvaient pas à l’évidence car les décisions étaient antérieures aux actes imputés (86).

120. Alors que le Tribunal a admis que le Conseil a cité, dans les motifs des règlements d’exécution nos 83/2011 à 125/2014, les décisions initiales nationales (en particulier l’ordonnance de proscription du Royaume-Uni de 2001), il a jugé que le Conseil avait indiqué, sans plus de précision, qu’elles étaient toujours en vigueur (87).

121. Le Tribunal n’a tiré aucune conclusion expresse de cet élément de fait. Il s’ensuit que, si le Conseil fait à tort grief au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en estimant que l’ordonnance de proscription du Royaume-Uni de 2001 ne pouvait pas, ou plus, être une décision valable d’une autorité compétente, l’on n’aperçoit moins clairement si le Tribunal a effectivement négligé d’aborder la question (dont il était clairement saisi dans les arguments présentés par les LTTE à l’appui de leurs quatrième, cinquième et sixième moyens pris ensemble avec le deuxième moyen) de savoir si le Conseil avait fondé les règlements attaqués non tant sur des décisions d’autorités compétentes que sur un ensemble d’actes directement attribués aux LTTE par le Conseil (88).

122. Il pourrait être possible de rejeter le troisième moyen du pourvoi au motif que, si le Tribunal a annulé les règlements attaqués, il doit avoir implicitement conclu que, abstraction faite de la décision indienne et des différents actes perpétrés après l’adoption de la décision initiale et que le Conseil a attribués aux LTTE sans se référer à des décisions d’autorités compétentes, l’ordonnance de proscription du Royaume-Uni de 2001 ne pouvait pas fonder à elle seule et à suffisance les règlements attaqués.

123. Cependant, selon moi, cette lecture de l’arrêt attaqué est trop riche. J’admets avec le Conseil que, après avoir jugé que certaines raisons avancées ne pouvaient pas justifier la décision de maintenir les LTTE sur la liste et que celle-ci devait être annulée de ce fait, il appartenait au Tribunal de poursuivre expressément l’examen des autres raisons et de vérifier si l’une d’entre elles ne constituait pas en soi une base suffisante pour soutenir la décision (89). Ce n’est que si ces autres motifs n’étaient pas non plus suffisamment précis et concrets pour fonder l’inscription sur la liste que les règlements attaqués pouvaient être annulés. Le Tribunal a cependant omis de se livrer à ces appréciations. Le raisonnement du Tribunal s’est en substance borné à une décision de fait, à savoir que le Conseil s’est contenté de citer les décisions nationales antérieures en indiquant qu’elles sont toujours en vigueur. Pour cette raison, le troisième moyen devrait être accueilli et l’arrêt du Tribunal annulé.

124. Heureusement, l’état de la procédure dans la présente affaire permet à la Cour de statuer elle-même définitivement sur le litige en application de la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 61 du statut de la Cour de justice. Dans le contexte des cinquième et sixième moyens, les LTTE ont soutenu que l’exposé des motifs des règlements attaqués était lacunaire ; cet exposé ne leur permettait pas de préparer une défense effective ni à la Cour de contrôler ces règlements.

125. J’ai expliqué dans un autre passage des présentes conclusions pourquoi je considère que le Tribunal a conclu à juste titre que le Conseil ne pouvait pas, en décidant de maintenir les LTTE sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, se fonder (dans son exposé des motifs) sur i) des décisions d’autorités d’États tiers sans exposer les motifs de décider que ces décisions avaient été adoptées dans le respect de niveaux de protection des droits fondamentaux équivalents à ceux appliqués, au titre du droit de l’Union, à des décisions prises par des autorités des États membres et ii) différents actes nouveaux qui n’ont pas été examinés et retenus par des décisions d’autorités compétentes. Cela équivaut à se demander s’il suffisait au Conseil d’indiquer, dans les motifs des règlements attaqués, que les décisions initiales d’autorités compétentes, en particulier l’ordonnance de proscription du Royaume‑Uni de 2001, étaient toujours en vigueur ou qu’une décision d’une autorité compétente avait été prise.

126. Pour les raisons que j’ai déjà expliquées (90), je considère que cela ne suffisait pas. Je conclus dès lors que les mesures contestées doivent être annulées pour ce motif. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu pour la Cour d’examiner les autres moyens soulevés par les LTTE en première instance.

V –    Conclusion

127. Eu égard à toutes les considérations qui précèdent, je conclus que la Cour devrait :

–        faire droit au pourvoi du Conseil de l’Union européenne ;

–        annuler l’arrêt que le Tribunal a rendu dans les affaires jointes T‑208/11 et T‑508/11 ;

–        annuler les règlements d’exécution (UE) du Conseil no 83/2011, du 31 janvier 2011, no 687/2011, du 18 juillet 2011, no 375/2011, du 22 décembre 2011, no 542/2012, du 25 juin 2012, no 1169/2012, du 10 décembre 2012, no 714/2013, du 25 juillet 2013, no 125/2014, du 10 février 2014, et no 790/2014, du 22 juillet 2014, mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement (CE) no 2580/2001 concernant des mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et abrogeant les règlements d’exécution (UE) no 610/2010, no 83/2011, no 687/2011, no 1375/2011, no 542/2012, no 1169/2012, no 714/2013 et no 125/2014, en tant que ces actes concernent les Liberation Tigers of Tamil Eelam ;

–        condamner le Conseil, conformément à l’article 138, paragraphe 3, et à l’article 184, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour de justice, à supporter ses propres dépens ainsi que deux tiers des dépens des Liberation Tigers of Tamil Eelam exposés dans le présent pourvoi ;

–        condamner les Liberation Tigers of Tamil Eelam, conformément à l’article 138, paragraphe 3, et à l’article 184, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour de justice, à supporter le reste de leurs propres dépens exposés dans le présent pourvoi ;

–        condamner le Conseil, conformément à l’article 138, paragraphe 1, et à l’article 184, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour de justice, à supporter ses propres dépens ainsi que ceux des Liberation Tigers of Tamil Eelam exposés en première instance ; et

–        condamner les gouvernements français, néerlandais et du Royaume-Uni ainsi que la Commission européenne, conformément à l’article 140, paragraphe 1, et à l’article 184, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour de justice, à supporter leurs propres dépens.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Arrêt du 16 octobre 2014, LTTE/Conseil (T‑208/11 et T‑508/11, EU:T:2014:885).


3      Voir le point 15 ci-dessous.


4      Position commune relative à l’application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, adoptée par le Conseil le 27 décembre 2001 (JO 2001, L 344, p. 93), telle que modifiée. Voir considérant 2.


5      Point 1, sous a) et b), de la résolution 1373(2001) du Conseil de sécurité.


6      Voir le point 6 ci-dessous.


7      On entend par « acte de terrorisme », l’un des actes intentionnels énumérés à l’article 1er, paragraphe 3, de la position commune 2001/931, qui, par sa nature ou son contexte, peut gravement nuire à un pays ou à une organisation internationale, correspondant à la définition d’infraction dans le droit national, lorsqu’il est commis dans le but de : i) gravement intimider une population, ou ii) contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque, ou iii) gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou d’une organisation internationale. Voir également l’affaire C‑158/14, A e.a., dans laquelle je présenterai mes conclusions le 29 septembre 2016.


8      Règlement du 27 décembre 2001 concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (JO 2001, L 344, p. 70), tel que modifié.


9      Position commune du Conseil du 29 mai 2006 mettant à jour la position commune 2001/931 et abrogeant la position commune 2006/231/PESC (JO 2006, L 144, p. 25).


10      Décision du Conseil du 29 mai 2006 mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 2580/2001 et abrogeant la décision 2005/930/CE (JO 2006, L 144, p. 21). Voir article 1er et point 2.17 de la nouvelle liste introduite par ce règlement.


11      Voir le point 16 ci-dessous.


12      À savoir, le recours inscrit sous le numéro d’affaire T‑208/11.


13      Règlement d’exécution du 31 janvier 2011 mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 2580/2001 et abrogeant le règlement d’exécution (UE) no 610/2010 (JO 2011, L 28, p. 14).


14      À savoir, le recours inscrit sous le numéro d’affaire T‑508/11.


15      Règlement d’exécution du Conseil du 18 juillet 2011 mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 2580/2001 et abrogeant les règlements d’exécutions no 610/2010 et no 83/2011 (JO 2011, L 188, p. 2).


16      Règlement du Conseil du 22 décembre 2011 mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 2580/2001 et abrogeant le règlement d’exécution no 687/2011 (JO 2011, L 343, p. 10).


17      Règlement d’exécution du Conseil du 25 juin 2012 mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 2580/2001 et abrogeant le règlement d’exécution no 1375/2011 (JO L 2012, L 165, p. 12).


18      Règlement d’exécution du Conseil du 10 décembre 2012 mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 2580/2001 et abrogeant le règlement d’exécution no 542/2012 (JO L 2012, L 337, p. 2).


19      Règlement d’exécution du Conseil du 25 juillet 2013 mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 2580/2001 et abrogeant le règlement d’exécution no 1169/2012 (JO 2013, L 201, p. 10).


20      Règlement d’exécution du Conseil du 10 février 2014 mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 2580/2001 et abrogeant le règlement d’exécution no 714/2013 (JO 2014, L 40, p. 9).


21      Règlement d’exécution du Conseil du 22 juillet 2014 mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 2580/2001 et abrogeant le règlement d’exécution no 125/2014 (JO 2014, L 217, p. 1).


22      Points 104 et 110 de l’arrêt attaqué.


23      Aux points 105 et 106 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a cité l’arrêt du 15 novembre 2012, Al‑Aqsa/Conseil et Pays‑Bas/Al‑Aqsa [C‑539/10 P et C‑550/10 P, EU:C:2012:711 (ci-après l’« arrêt Al-Aqsa »), points 66 à 77] ; ainsi que ses propres arrêts du 9 septembre 2010, Al‑Aqsa/Conseil (T‑348/07, EU:T:2010:373, point 88) ; ainsi que du 23 octobre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil [T‑256/07, EU:T:2008:461 (ci-après l’« arrêt du Tribunal dans l’affaire PMOI »), points 144 et 145].


24      Point 107 de l’arrêt attaqué.


25      Point 113 de l’arrêt attaqué.


26      Points 126 à 136 de l’arrêt attaqué.


27      Points 131 à 140 de l’arrêt attaqué. Le Tribunal a cité l’arrêt du 30 septembre 2009, Sison/Conseil (T‑341/07, EU:T:2009:372, points 93 et 95).


28      Point 141 de l’arrêt attaqué.


29      Point 152 de l’arrêt attaqué.


30      Point 155 de l’arrêt attaqué.


31      Points 157 à 165 de l’arrêt attaqué.


32      Décrits aux points 167 à 172 de l’arrêt attaqué.


33      Point 186 de l’arrêt attaqué.


34      Points 187 à 195 de l’arrêt attaqué.


35      Point 196 de l’arrêt attaqué.


36      En particulier, les points 199 à 201 de l’arrêt attaqué.


37      Points 197 et 198 de l’arrêt attaqué.


38      Points 203 et 204 de l’arrêt attaqué.


39      Points 204 et 208 de l’arrêt attaqué.


40      Points 209 à 214 de l’arrêt attaqué.


41      Points 215 et 216 de l’arrêt attaqué.


42      Points 217 et 218 de l’arrêt attaqué


43      Voir point 50 ci-dessous.


44      Point 225 de l’arrêt attaqué.


45      La Commission a limité ses observations écrites aux deuxième et troisième moyens. Elle a indiqué partager sans réserve, et sans rien y ajouter, les développements que le Conseil a consacrés au premier moyen.


46      Arrêt du Tribunal dans l’affaire PMOI, point 144.


47      Voir, notamment, arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran (C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 72).


48      Arrêt du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil (C‑440/14 P, EU:C:2016:128, point 55).


49      Arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft [C‑348/12 P, EU:C:2013:776 (ci-après l’« arrêt Kala Naft »), point 72 et jurisprudence citée].


50      Voir, notamment, arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba [C‑417/11 P, EU:C:2012:718 (ci‑après l’« arrêt Conseil/Bamba »), points 49 et 50 et jurisprudence citée]. Sur la finalité du contrôle juridictionnel par la Cour, voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi [C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518 (ci-après l’« arrêt Kadi II »), point 119 et jurisprudence citée].


51      Voir, de manière générale, arrêt Kadi II, point 100 et jurisprudence citée. Voir également arrêt Conseil/Bamba, point 49 et jurisprudence citée.


52      Voir, notamment, arrêt Conseil/Bamba point 60 et jurisprudence citée.


53      Voir, notamment, arrêt Conseil/Bamba, point 52.


54      Voir arrêt Kadi II, point 116 et jurisprudence citée.


55      Voir, notamment, arrêt Conseil/Bamba, point 53 et jurisprudence citée.


56      Voir également les conclusions que j’ai présentées dans l’affaire France/People’s Mojahedin Organization of Iran (C‑27/09 P, EU:C:2011:482, points 198 à 201 et 207).


57      Voir également les conclusions que j’ai présentées dans l’affaire France/People’s Mojahedin Organization of Iran (C‑27/09 P, EU:C:2011:482, point 136).


58      Voir, de manière générale, arrêts Kadi II, point 116 et jurisprudence citée ; Conseil/Bamba, point 52 ; ainsi que Al-Aqsa, point 142).


59      Voir, notamment, arrêt Conseil/Bamba, point 60 et jurisprudence citée.


60      Avis 2/13, du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454, point 191 et jurisprudence citée). Sur la nature de ces circonstances exceptionnelles, voir arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru (C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, points 88 à 104).


61      Voir les conclusions que j’ai présentées dans l’affaire France/People’s Mojahedin Organization of Iran (C‑27/09 P, EU:C:2011:482, point 202).


62      Aux termes de cette disposition : « La procédure écrite comprend la communication aux parties, ainsi qu’aux institutions de l’Union dont les décisions sont en cause, des requêtes, mémoires, défenses et observations et, éventuellement, des répliques, ainsi que de toutes pièces et documents à l’appui ou de leurs copies certifiées conformes. »


63      Voir, notamment, arrêt Kadi II, point 100 et jurisprudence citée.


64      Voir, en particulier, points 86 à 96 ci-dessous.


65      Arrêt Al-Aqsa, point 81. Voir également le point 68.


66      Arrêt Al-Aqsa, point 104.


67      Voir, également, arrêt du Tribunal dans l’affaire PMOI, point 110.


68      Arrêt du Tribunal dans l’affaire PMOI, point 112.Il s’ensuit également que l’absence de décision d’une autorité compétente ne peut pas être justifiée au motif qu’une personne ou un groupe (déjà) inscrit sur la liste visée à l’article 2, paragraphe 3, est moins susceptible de commettre des actes de terrorisme et de faire de ce fait l’objet de décisions d’autorités compétentes.


69      Arrêt Al-Aqsa, point 69.


70      Arrêt Al-Aqsa, point 82.


71      Arrêt Al-Aqsa, point 83.


72      Arrêt Al-Aqsa, point 111 ; voir également le point 90.


73      Tel avait été le cas dans l’affaire Al-Aqsa. Voir arrêt Al-Aqsa, points 83 à 90.


74      À l’égard d’un type différent de sanctions, voir, par analogie, arrêt Kadi II, point 156.


75      Voir également le point 89 des conclusions que j’ai présentées dans l’affaire France/People’s Mojahedin Organization of Iran (C‑27/09 P, EU:C:2011:482, point 89),


76      Voir points 60 à 73 ci-dessus.


77      Arrêt Al-Aqsa, point 69.


78      Arrêt Al-Aqsa, point 68.


79      Article 1er, paragraphe 2, du règlement no 2580/2001.


80      Arrêt Kadi II, point 113 et jurisprudence citée.


81      En particulier, arrêt du Tribunal dans l’affaire PMOI, point 144.


82      Point 206 de l’arrêt attaqué.


83      Point 207 de l’arrêt attaqué.


84      Point 208 de l’arrêt attaqué.


85      Point 202 de l’arrêt attaqué.


86      Point 195 de l’arrêt attaqué.


87      Point 196 de l’arrêt attaqué.


88      Voir point 155 de l’arrêt attaqué.


89      Arrêt Kala Naft, point 72 et jurisprudence citée.


90      Voir les points 77 à 91 ci-dessus.