Language of document : ECLI:EU:T:2015:78

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

5 février 2015 (*) (1)

« Aide d’État – Taxe irlandaise sur les passagers aériens – Tarif réduit pour les destinations situées au maximum à 300 km de l’aéroport de Dublin – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération – Avantage – Caractère sélectif – Identification des bénéficiaires de l’aide – Article 14 du règlement (CE) n° 659/1999 – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑473/12,

Aer Lingus Ltd, établie à Dublin (Irlande), représentée par Mme K. Bacon, MM. D. Scannell, D. Bailey, barristers, et A. Burnside, solicitor,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. L. Flynn, D. Grespan et T. Maxian Rusche, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Irlande, représentée par Mme E. Creedon, M. A. Joyce et Mme J. Quaney, en qualité d’agents, assistés de MM. E. Regan, SC, et B. Doherty, barrister,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2013/199/UE de la Commission, du 25 juillet 2012, concernant l’aide d’État SA.29064 (11/C, ex 11/NN) – Taux d’imposition différenciés appliqués par l’Irlande au transport aérien (JO 2013, L 119, p. 30),

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, O. Czúcz et A. Popescu, juges,

greffier : M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 4 juin 2014,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Aer Lingus Ltd, est une compagnie aérienne établie en Irlande, ayant des établissements en Irlande (aux aéroports de Dublin, de Cork et de Shannon) et au Royaume-Uni (aux aéroports de Londres Gatwick, de Londres Heathrow et de Belfast). Elle exploite des liaisons internes en Irlande ainsi que des liaisons internationales entre l’Irlande ou le Royaume-Uni et 70 destinations en Irlande, au Royaume-Uni, en Europe continentale et aux États-Unis.

2        L’article 55 du Finance Act (n° 2) 2008 (deuxième loi de finances de 2008, ci-après la « loi de finances ») institue un droit d’accise, appelé Air travel tax (taxe sur le transport aérien, ci-après la « TTA »), à compter du 30 mars 2009, date d’entrée en vigueur de la loi.

3        La loi de finances prévoit que la TTA est perçue directement auprès des exploitants de lignes aériennes, pour tout passager voyageant sur un avion au départ d’un aéroport situé en Irlande (à l’exception des aéroports transportant moins de 10 000 passagers par an, puis, à compter du 3 juin 2009, 50 000 passagers par an), et est exigible au moment où un passager quitte un aéroport à bord d’un avion capable de transporter plus de 20 passagers et non utilisé pour les besoins de l’État ou à des fins militaires. Si, in fine, la taxe est censée être répercutée sur le prix du billet des passagers, ce sont les exploitants de lignes aériennes qui en sont redevables et qui doivent s’en acquitter.

4        Au moment de son introduction, la TTA était perçue sur la base de la distance entre l’aéroport de départ et l’aéroport d’arrivée, au taux de deux euros dans le cas d’un vol au départ d’un aéroport situé en Irlande vers une destination située au maximum à 300 km de l’aéroport de Dublin et de dix euros dans tous les autres cas.

5        Le 21 juillet 2009, la Commission européenne a enregistré deux plaintes séparées, déposées par un concurrent de la requérante, l’une au titre de l’article 20, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO L 83, p. 1), l’autre au titre de l’article 56 TFUE et du règlement (CE) n° 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 24 septembre 2008, établissant des règles communes pour l’exploitation de services aériens dans la Communauté (refonte) (JO L 293, p. 3), concernant plusieurs aspects de la TTA introduite par l’Irlande.

6        Faisant suite à la seconde plainte, la Commission a d’abord ouvert une enquête concernant une possible infraction à l’article 56 TFUE, relatif à la libre prestation de services, et au règlement n° 1008/2008. Une lettre de mise en demeure a été adressée par la Commission aux autorités irlandaises sur ce fondement le 18 mars 2010 (ci-après la « lettre de mise en demeure »). À la suite de la lettre de mise en demeure, les taux d’imposition ont été modifiés, afin qu’un taux unique de trois euros puisse être appliqué pour tous les départs, quelle que soit la distance parcourue, dès le 1er mars 2011. L’enquête de la Commission relative à une violation de l’article 56 TFUE et du règlement n° 1008/2008 a dès lors été clôturée.

7        La première plainte, fondée sur l’application des règles en matière d’aides d’État, dénonçait notamment le fait que le taux d’imposition plus faible (deux euros au lieu de dix euros) favorisait essentiellement les compagnies domestiques telles que Aer Arann, qui effectuaient l’essentiel de leurs vols vers des destinations situées à moins de 300 km de l’aéroport de Dublin. Dans cette même plainte, était également évoqué le fait que le caractère forfaitaire de la taxe serait discriminatoire dans la mesure où une telle taxe représentait une part plus importante du prix pour les compagnies à bas coûts que pour les compagnies aériennes traditionnelles. Enfin, la plainte dénonçait le fait que l’absence d’application de la TTA aux passagers en transit et en correspondance constituait une aide d’État illégale au profit des compagnies aériennes Aer Lingus et Aer Arann, étant donné que ces compagnies comptaient une part relativement élevée de passagers et de vols correspondant à ces catégories.

8        Par lettre du 13 juillet 2011, la Commission a informé l’Irlande de sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE à l’égard du taux national plus bas appliqué dans le cadre de la TTA pour la période comprise entre le 30 mars 2009 et le 1er mars 2011. La Commission a demandé aux autorités irlandaises de transmette une copie de la décision aux bénéficiaires.

9        Par une décision du 13 juillet 2011, dont un résumé est publié au Journal officiel de l’Union européenne du 18 octobre 2011 (JO C 306, p. 10), adoptée à l’issue de la phase préliminaire d’examen, la Commission a notamment constaté que l’absence d’application de la TTA aux passagers en correspondance ou en transit de même que l’utilisation d’une taxe à caractère forfaitaire ne constituaient pas une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. En revanche, elle a considéré que l’application d’un taux national plus bas entre le 30 mars 2009 et le 1er mars 2011 semblait constituer une aide d’État soulevant des questions quant à la compatibilité avec le marché intérieur, dans la mesure où elle favoriserait de manière illicite les vols nationaux par rapport aux vols transfrontaliers. Elle a, par conséquent, ouvert la procédure formelle d’examen concernant cette dernière mesure, invitant les parties intéressées à présenter leurs observations sur la mesure en cause.

10      Les autorités irlandaises ont fait parvenir leurs observations le 15 septembre 2011. La requérante n’a pas fait valoir d’observations à ce stade de la procédure.

11      Le 25 juillet 2012, la Commission a adopté la décision 2013/199/UE concernant l’aide d’État SA.29064 (11/C, ex 11/NN) – Taux d’imposition différenciés appliqués par l’Irlande au transport aérien (JO 2013, L 119, p. 30, ci-après la « décision attaquée »). Cette décision a par ailleurs été notifiée à la requérante par lettre du ministère des Finances irlandais du 23 août 2012 et reçue par celle-ci le 6 septembre 2012.

12      La Commission a conclu à l’article 1er de cette décision que l’aide d’État qui, en application de la loi de finances, revêtait en l’espèce la forme d’un taux d’imposition réduit sur le transport aérien applicable à tous les vols assurés par un avion capable de transporter plus de 20 passagers et non utilisé à des fins militaires ou pour les besoins de l’État, au départ d’un aéroport accueillant plus de 10 000 passagers par an vers une destination située au maximum à 300 km de l’aéroport de Dublin, illégalement appliquée par l’Irlande sur la période allant du 30 mars 2009 au 1er mars 2011 (ci-après la « période concernée »), en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, était incompatible avec le marché intérieur.

13      L’article 4 de cette décision prévoit que l’Irlande récupère auprès des bénéficiaires l’aide incompatible octroyée au titre du régime visé à l’article 1er. Ces bénéficiaires sont identifiés au considérant 70 de la décision attaquée comme étant Ryanair, la requérante, Aer Arann et d’autres transporteurs aériens qui doivent être identifiés par l’Irlande. Il est précisé au même point que le montant de l’aide d’État correspond à la différence entre le taux réduit de la TTA et le taux standard de dix euros, soit huit euros, prélevé sur chaque passager.

 Procédure et conclusions des parties

14      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er novembre 2012, la requérante a introduit le présent recours.

15      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 6 mars 2013, l’Irlande a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Le président de la sixième chambre du Tribunal a admis l’Irlande à intervenir par ordonnance du 17 avril 2013.

16      L’Irlande a déposé son mémoire en intervention le 4 juin 2013. Par lettre du 17 juin 2013, la Commission a communiqué au greffe qu’elle n’avait pas d’observations. La requérante a présenté ses observations sur ledit mémoire le 24 juillet 2013.

17      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la neuvième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

18      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler ou, à titre subsidiaire, annuler partiellement la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

19      La Commission, soutenue par l’Irlande, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

20      La requérante invoque cinq moyens à l’appui du recours, tirés, premièrement, d’une erreur de droit commise par la Commission en tant qu’elle qualifie, dans la décision attaquée, le taux inférieur de deux euros d’aide d’État illégale, deuxièmement, d’une violation des principes de sécurité juridique, d’effectivité et de bonne administration du fait que la décision attaquée ordonne la récupération de l’aide, troisièmement, d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation de la part de la Commission, cette dernière omettant de prendre en compte la répercussion de la TTA sur les passagers dans la qualification d’aide de la mesure et la quantification de l’avantage, quatrièmement, d’une violation de l’article 14 du règlement n° 659/1999 et des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement du fait de l’ordre de récupération dans la décision attaquée et, cinquièmement, d’une violation de l’obligation de motivation.

21      Le Tribunal estime opportun d’examiner d’abord le cinquième moyen, puis le premier moyen, ensuite les troisième et quatrième moyens, pris conjointement, et enfin, si nécessaire, le deuxième moyen.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’un défaut de motivation de la décision attaquée

22      Par le cinquième moyen, la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir suffisamment expliqué dans la décision attaquée, d’une part, en quoi la récupération de l’aide était nécessaire alors qu’il existait un droit acquis, en vertu du droit de l’Union européenne, au remboursement du différentiel de taxation et, d’autre part, en quoi la fixation du montant de l’aide à récupérer à huit euros par passager était appropriée, alors que la TTA était répercutée sur les passagers.

23      La Commission, soutenue par l’Irlande, conteste ces arguments et estime qu’elle n’avait pas à aborder ces questions dans la décision attaquée, dès lors qu’elles n’ont été soulevées ni par un tiers ni par les autorités irlandaises lors de la procédure d’adoption de ladite décision. En tout état de cause, la Commission affirme avoir clairement expliqué les raisons pour lesquelles l’éventuelle répercussion de l’aide sur les passagers n’a pas été prise en considération en ce qui concerne la quantification de l’avantage au considérant 57 de la décision attaquée.

24      Selon une jurisprudence constante, la portée de l’obligation de motivation dépend de la nature de l’acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté. La motivation doit faire apparaître de manière claire et non équivoque le raisonnement de l’institution auteur de l’acte, de façon à permettre, d’une part, au juge de l’Union d’exercer son contrôle de légalité et, d’autre part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de pouvoir défendre leurs droits et de vérifier si la décision est bien fondée. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi au regard de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95P, Rec, EU:C:1998:154, point 63, et du 30 novembre 2011, Sniace/Commission, T‑238/09, EU:T:2011:705, point 37).

25      En particulier, la Commission n’est pas tenue de prendre position sur tous les arguments invoqués devant elle par les parties intéressées. Il lui suffit d’exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision (arrêts du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, Rec, EU:C:2008:375, point 96, et du 3 mars 2010, Freistaat Sachsen e.a./Commission, T‑102/07 et T‑120/07, Rec, EU:T:2010:62, point 180).

26      Il ressort enfin de la jurisprudence que, si une décision de la Commission se plaçant dans la ligne d’une pratique décisionnelle constante peut être motivée d’une manière sommaire, notamment par une référence à cette pratique, lorsqu’elle va sensiblement plus loin que les décisions précédentes, il incombe à la Commission de développer son raisonnement d’une manière explicite (arrêts du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a./Commission, 73/74, Rec, EU:C:1975:160, point 31 ; du 11 décembre 2008, Commission/Département du Loiret, C‑295/07 P, Rec, EU:C:2008:707, point 44, et du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, Rec, EU:C:2011:620, point 155).

27      C’est à la lumière de ces principes qu’il y a lieu d’examiner le moyen tiré de l’insuffisance de motivation de la décision attaquée.

28      En premier lieu, il convient d’examiner l’argument de la requérante selon lequel la Commission n’aurait pas, ou pas suffisamment, motivé la décision attaquée en ce qui concerne l’ordre de récupération de l’aide, sans prendre en compte le prétendu droit au remboursement, en vertu du droit de l’Union, des compagnies aériennes qui se sont acquittées de la TTA au taux supérieur de dix euros pendant la période litigieuse.

29      Il convient de rappeler, à cet égard, que, dès lors que la notion d’aide d’État répond à une situation objective qui s’apprécie à la date à laquelle la Commission prend sa décision, ce sont les appréciations portées à cette date qui doivent être prises en compte pour opérer ce contrôle juridictionnel (arrêt du 27 septembre 2012, France/Commission, T‑139/09, Rec, EU:T:2012:496, point 52).

30      Or, en l’espèce, même si la Commission avait connaissance de la lettre de mise en demeure adressée à l’Irlande, dont le contenu est repris, en substance, au considérant 66 de la décision attaquée, elle n’était nullement obligée d’en tenir compte au stade de la qualification de l’aide et de sa récupération, dès lors que, en application de la jurisprudence mentionnée au point 25 ci-dessus, la Commission a estimé qu’il ne s’agissait pas de faits revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision.

31      À cet égard, la Commission a exposé, au considérant 45 de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles elle a estimé que le taux de dix euros devait être considéré comme le taux de référence aux fins d’établir le caractère sélectif de la mesure. Elle a également expliqué pourquoi, en vertu de l’article 14 du règlement n° 659/1999, elle s’estimait tenue d’ordonner la récupération de l’aide telle qu’établie et quantifiée dans la décision attaquée. Ces considérations sont suffisantes pour permettre, d’une part, au juge de l’Union d’exercer son contrôle de légalité et, d’autre part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de pouvoir défendre leurs droits et de vérifier si la décision est bien fondée, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 24 ci-dessus.

32      Il y a lieu de constater, en outre, que, par cet argument, la requérante conteste en réalité la validité des appréciations effectuées par la Commission en ce qui concerne l’existence de l’aide et la nécessité d’en exiger la récupération, appréciations qui sont mises en cause dans le cadre des premier et deuxième moyens.

33      Or, en vertu d’une jurisprudence constante, l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle, qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (arrêts du 22 mars 2001, France/Commission, C‑17/99, Rec, EU:C:2001:178, point 35, et du 18 janvier 2005, Confédération Nationale du Crédit Mutuel/Commission, T‑93/02, Rec, EU:T:2005:11, point 67).

34      Il y a lieu, dès lors, de rejeter l’argument de la requérante tiré d’un défaut de motivation de la décision attaquée pour avoir omis de prendre en compte le prétendu droit au remboursement des compagnies aériennes des taxes acquittées en vertu de la TTA.

35      En second lieu, s’agissant du prétendu manque de motivation de la décision attaquée en ce qui concerne la fixation du montant de l’aide à récupérer à huit euros par passager, il y a lieu de constater, contrairement à ce qu’avance la requérante, que la Commission a consacré des développements à ce sujet aux considérants 54 et suivants de la décision attaquée. En ce qui concerne plus particulièrement la question de la possibilité ou non pour les compagnies aériennes de répercuter la taxe sur leurs passagers, la Commission a constaté au considérant 57 de la décision attaquée qu’« il n’existait aucun mécanisme garantissant que la taxe était effectivement répercutée » et que « c’est à l’exploitant de la ligne aérienne qu’il revenait de décider si et comment la taxe serait répercutée sur les passagers ».

36      Il y a lieu de considérer, dès lors, que la Commission a suffisamment motivé la décision attaquée à cet égard, indépendamment de la question de savoir si cette motivation est bien fondée ou non, ce qui sera examiné dans le cadre des troisième et quatrième moyens.

37      Partant, il y a lieu de rejeter l’argument de la requérante tiré du défaut de motivation de la décision attaquée en ce qui concerne la possibilité de répercuter la TTA auprès des passagers et de rejeter le cinquième moyen dans son ensemble.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit commise par la Commission dans l’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en tant qu’elle a qualifié le taux inférieur de la TTA d’aide d’État

38      Par son premier moyen, la requérante considère que la Commission a commis une erreur de droit en concluant, dans la décision attaquée, que le taux inférieur de deux euros constituait une aide d’État illégale. Plus précisément, la Commission aurait commis une erreur en qualifiant le taux supérieur de dix euros de taux « normal » de taxation, aux fins de déterminer si le taux inférieur constituait un avantage sélectif. Étant donné que le taux supérieur n’était pas valable au regard de dispositions du droit de l’Union ayant un effet direct, telles que l’article 56 TFUE et l’article 108, paragraphe 3, TFUE, il n’était pas approprié de le considérer comme le taux de référence « normal » à cette fin. Pour les mêmes raisons, la Commission aurait constaté de manière erronée que les compagnies aériennes soumises au taux inférieur ont bénéficié d’un avantage correspondant à huit euros par passager.

39      En premier lieu, la requérante avance qu’il existerait un droit au remboursement des taxes perçues au taux supérieur de dix euros, en vertu de l’article 56 TFUE et du règlement n° 1008/2008, puisque la Commission aurait constaté une violation de ces dispositions dans sa lettre de mise en demeure.

40      Dès lors, selon la requérante, si un avantage quel qu’il soit était obtenu par les compagnies aériennes soumises au taux inférieur, le montant de cet avantage ne serait pas la différence entre le taux de deux euros et celui de dix euros, mais, tout au plus, la facilité de pouvoir bénéficier immédiatement du taux inférieur sans avoir à introduire une action en remboursement devant les juridictions nationales, étant donné que les compagnies aériennes qui se sont acquittées de la TTA au taux supérieur de dix euros auraient un droit acquis, découlant du droit de l’Union, au remboursement de cette taxe.

41      En second lieu, la requérante estime qu’un tel droit au remboursement des taxes acquittées au taux supérieur de dix euros existerait également en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Elle invoque, à cet égard, l’arrêt du 7 septembre 2006, Laboratoires Boiron (C‑526/04, Rec, EU:C:2006:528).

42      La Commission, soutenue par l’Irlande, conteste ces allégations.

43      À titre liminaire, il convient de rappeler que la notion d’aide est une notion objective et que la question de l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE doit être examinée au regard des effets anticoncurrentiels causés par la mesure d’aide en cause, et non au regard d’autres éléments tels que la légalité de la mesure par laquelle l’aide est octroyée (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission, C‑487/06 P, Rec, EU:C:2008:757, point 85 et jurisprudence citée, et du 7 octobre 2010, DHL Aviation et DHL Hub Leipzig/Commission, T‑452/08, EU:T:2010:427, point 40).

44      Pour cette raison, le juge de l’Union doit, en principe et compte tenu tant des éléments concrets du litige qui lui est soumis que du caractère technique ou complexe des appréciations portées par la Commission, exercer un entier contrôle en ce qui concerne la question de savoir si une mesure entre dans le champ d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir arrêt British Aggregates/Commission, point 43 supra, EU:C:2008:757, point 111 et jurisprudence citée).

45      Selon une jurisprudence constante, la notion d’aide est plus générale que celle de subvention. Elle comprend non seulement des prestations positives, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui grèvent normalement le budget d’une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (voir arrêt du 8 novembre 2001, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, C‑143/99, Rec, EU:C:2001:598, point 38 et jurisprudence citée).

46      Aux fins de l’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, il convient uniquement de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, une mesure étatique est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » au sens de cet article par rapport à d’autres entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif poursuivi par la mesure concernée (voir, en ce sens, arrêt Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, point 45 supra, EU:C:2001:598, point 41 et jurisprudence citée).

47      Conformément à la jurisprudence de la Cour, ne remplit pas cette condition de sélectivité une mesure qui, quoique constitutive d’un avantage pour son bénéficiaire, se justifie par la nature ou l’économie générale du système dans lequel elle s’inscrit (voir, en ce sens, arrêt Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, point 45 supra, EU:C:2001:598, point 42 et jurisprudence citée).

48      En l’espèce, la Commission a considéré, au considérant 52 de la décision attaquée, que l’application de la TTA était susceptible d’affecter les revenus des compagnies aériennes qui devaient payer cette taxe, en augmentant les prix des tickets qu’elles étaient capables d’offrir à leurs clients ou en réduisant la marge sur chaque ticket vendu, lorsque les compagnies décidaient de ne pas répercuter la taxe sur leurs clients.

49      De même, la Commission a constaté, au considérant 53 de la décision attaquée, que l’application d’un taux réduit pour un certain type de vols avait une incidence moindre que le taux normal pour les compagnies aériennes qui effectuaient ce type de vols. Ces compagnies aériennes sont soulagées de coûts qu’elles auraient normalement dû supporter et ont, dès lors, un coût réduit à répercuter sur leurs clients ou à supporter elles-mêmes.

50      Par conséquent, la Commission a conclu, au considérant 54 de la décision attaquée, que le taux réduit a procuré un avantage aux compagnies aériennes qui ont effectué des vols auxquels ce taux s’appliquait. Le coût réduit qu’elles devaient répercuter sur leurs clients ou supporter elles-mêmes représentait un avantage financier qu’elles ont pu économiser et a, de ce fait, amélioré leur situation économique vis-à-vis des autres opérateurs concurrents dans le secteur du transport aérien. Selon la Commission, cet avantage correspond à la différence entre le taux normal de dix euros et le taux réduit de deux euros pendant la période concernée.

51      Il n’est pas contesté que deux taux d’imposition différents ont été effectivement appliqués en l’espèce aux vols des compagnies aériennes en Irlande durant la période concernée, de sorte que celles qui ont dû s’acquitter du taux d’imposition inférieur de deux euros par passager ont bénéficié d’un avantage par rapport aux autres compagnies qui ont dû s’acquitter d’un montant de dix euros par passager pendant la même période.

52      La requérante conteste toutefois le caractère sélectif de cet avantage, étant donné que, selon elle, le taux supérieur de dix euros, qui a été qualifié de taux normal de référence par la Commission dans la décision attaquée, serait illégal en vertu du droit de l’Union.

53      Selon la requérante, il existerait, en effet, un droit au remboursement des taxes acquittées au taux supérieur de dix euros devant les juridictions nationales, soit en vertu de l’article 56 TFUE, soit en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Le taux de référence de dix euros utilisé par la Commission pour déterminer le caractère sélectif de la mesure serait, par conséquent, erroné.

54      À titre liminaire, il convient de rappeler que la Commission a considéré que, aux fins d’établir le caractère sélectif de la mesure, il convenait, tout d’abord, de déterminer le système de référence. Au considérant 43 de la décision attaquée, la Commission a défini le système de référence comme étant l’imposition de passagers aériens qui prenaient un avion au départ d’un aéroport situé en Irlande. L’objectif de ce système est défini au même considérant comme étant de percevoir des recettes pour le budget de l’État.

55      Ensuite, aux considérants 44 et 45 de la décision attaquée, la Commission a examiné si la mesure fiscale en cause constituait une dérogation au système de référence ainsi défini. Elle a considéré que, hormis quelques destinations situées dans la partie occidentale du Royaume-Uni, le taux réduit de deux euros n’était appliqué qu’à des destinations nationales correspondant, selon les autorités irlandaises, à environ 10 à 15 % de l’ensemble des vols soumis à la TTA. Ce taux ne saurait, dès lors, être considéré comme le taux d’imposition normal, selon la Commission. Le taux le plus élevé de dix euros devait, partant, être considéré comme étant le taux normal du système de référence, alors que le taux réduit de deux euros, qui était applicable à une catégorie déterminée de vols, constituait une exception audit système de référence.

56      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les arguments de la requérante, qui visent à remettre en cause la détermination, par la Commission, du taux supérieur de dix euros comme taux de référence aux fins d’établir l’existence d’un avantage sélectif en faveur des compagnies aériennes qui ont bénéficié du taux inférieur de deux euros pendant la période concernée.

 Sur l’existence d’un droit au remboursement des taxes acquittées au taux de dix euros par passager en vertu de l’article 56 TFUE

57      Par ce premier grief, la requérante fait valoir qu’un droit au remboursement des taxes acquittées au taux supérieur de dix euros découlerait des dispositions du traité en matière de libre prestation des services, et en particulier de l’article 56 TFUE, qui aurait été violé en l’espèce. Cette violation aurait été établie par la Commission elle-même dans la lettre de mise en demeure. Ce taux ne pourrait pas, dès lors, être utilisé comme taux de référence afin d’établir l’existence d’un avantage sélectif.

58      Il convient de constater à cet égard, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur le caractère définitif ou non du constat effectué par la Commission dans la lettre de mise en demeure, que ce grief repose sur une prémisse erronée, selon laquelle le taux d’imposition supérieur de dix euros serait illégal en vertu de l’article 56 TFUE. En réalité, ainsi que le font valoir à juste titre l’Irlande et la Commission, cette dernière a uniquement constaté dans la lettre de mise en demeure, et ensuite au considérant 66 de la décision attaquée, que les « taux différenciés » de la TTA constituaient une restriction à la libre prestation des services, dès lors que cette différenciation imposait des conditions plus onéreuses à l’exploitation de services aériens intra-Union qu’à celle de services domestiques, et non que le taux plus élevé en tant que tel constituait une telle restriction.

59      À cet égard, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 février 2003, Stylianakis (C‑92/01, Rec, EU:C:2003:72), dont se prévaut la requérante, qui concernait une situation similaire où des taxes frappaient plus lourdement les vols internationaux que les vols internes, ne permet pas de soutenir la conclusion selon laquelle le taux supérieur de dix euros serait illégal. En effet, dans cet arrêt, la Cour a constaté qu’une « différenciation » dans le montant des taxes supportées par les passagers était automatiquement répercutée sur le coût du transport et privilégiait l’accès aux vols intérieurs par rapport à l’accès aux autres vols (arrêt Stylianakis, précité, EU:C:2003:72, point 28), sans préciser toutefois que le taux supérieur était, de ce fait, illégal et qu’il devait faire l’objet d’un remboursement devant les juridictions nationales.

60      Du reste, il existe plusieurs manières de remédier à une discrimination fiscale telle que celle qui a été constatée en l’espèce ou dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Stylianakis, point 59 supra (EU:C:2003:72). L’État membre concerné peut décider de mettre fin à cette discrimination soit en rehaussant le taux inférieur au niveau du taux supérieur, soit, à l’inverse, en abaissant le taux supérieur au niveau du taux inférieur, soit encore en instaurant un nouveau taux unique, ce qu’a d’ailleurs fait l’Irlande en l’espèce, puisqu’elle a instauré un taux de trois euros par passager à partir du 1er mars 2011. Il est donc erroné de prétendre, comme le fait la requérante, que le taux supérieur serait illégal, en tant que tel, dès lors que c’est son application conjointe avec un taux inférieur qui crée une restriction à la libre prestation des services.

61      En outre, il convient de constater, comme le fait valoir l’Irlande à juste titre, qu’un tel droit au remboursement, à supposer qu’il soit établi, n’est pas automatique et dépend d’une série de facteurs tels que les délais de prescription applicables en droit national pour introduire une telle demande et le respect de principes généraux comme l’absence d’enrichissement sans cause.

62      En effet, en vertu de la jurisprudence de la Cour, si une taxe perçue en violation du droit de l’Union doit normalement être remboursée lorsqu’une demande à cet effet est présentée devant les juridictions nationales, tel ne saurait être le cas lorsqu’il est établi par les autorités nationales que la totalité de la charge de la taxe a été supportée par une personne autre que l’assujetti et que le remboursement entraînerait, pour ce dernier, un enrichissement sans cause (voir arrêt du 2 octobre 2003, Weber’s Wine World e.a., C‑147/01, Rec, EU:C:2003:533, point 94 et jurisprudence citée). Or, une telle possibilité ne saurait être écartée d’office en l’espèce, dans la mesure où la TTA était destinée à être répercutée sur les passagers, où des opérateurs comme la requérante affirment avoir répercuté la taxe sur leurs passagers et où cette possibilité a été expressément reconnue par la Commission dans la décision attaquée (voir point 94 ci-après).

63      Dans ces conditions, la Commission n’était pas tenue de prendre en compte les éventuelles procédures de remboursement devant les juridictions nationales afin de pouvoir qualifier la mesure d’aide d’État et, en particulier, afin de considérer que le taux d’imposition supérieur de dix euros était le taux d’imposition normal du système de référence. En effet, dès lors que ce taux a effectivement été appliqué en l’espèce pendant la période concernée, la Commission n’était pas tenue de fonder son analyse sur de telles demandes en remboursement hypothétiques qui, en outre, n’auraient aucune certitude d’aboutir, que ce soit en vertu du droit de l’Union ou du droit national.

64      Partant, le premier grief de la requérante doit être rejeté.

 Sur l’existence d’un droit au remboursement des taxes acquittées au taux de dix euros par passager en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE

65      La requérante formule un second grief, afin de démontrer qu’il existerait un droit au remboursement des taxes acquittées au taux supérieur de dix euros devant les juridictions nationales en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

66      Elle invoque, à cet égard, l’arrêt Laboratoires Boiron, point 41 supra (EU:C:2006:528), duquel découlerait, selon elle, que, lorsque la taxe et l’exonération font toutes deux partie intégrante de la mesure d’aide, le remboursement des taxes indûment perçues n’irait pas à l’encontre de l’objectif consistant à rétablir la position concurrentielle des entreprises concernées, comme le fait valoir la Commission, mais constituerait une mesure particulièrement adéquate pour réduire le nombre d’opérateurs économiques lésés par la mesure réputée constituer une aide.

67      Au vu de cette jurisprudence, il convient de constater qu’un droit au remboursement d’une taxe n’existe, en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, que dans deux hypothèses, à savoir, premièrement, lorsque cette taxe fait partie intégrante de la mesure d’aide, au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt du 21 octobre 2003, van Calster e.a. (C‑261/01 et C‑262/01, Rec, EU:C:2003:571), c’est-à-dire lorsqu’il existe un lien d’affectation contraignant entre la taxe et l’aide, ou, deuxièmement, lorsque le lien entre la taxe et l’aide est encore plus étroit que dans le cas d’une taxe parafiscale, comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Laboratoires Boiron, point 41 supra (EU:C:2006:528), c’est-à-dire lorsque la mesure dont il est allégué qu’elle constitue une aide est la taxe elle-même et non une quelconque exonération dissociable de celle-ci (points 39 et 45 de cet arrêt).

68      Or, en l’espèce, aucune de ces hypothèses ne se présente.

69      En effet, d’une part, un lien d’affectation contraignant au sens de la jurisprudence van Calster e.a., point 67 supra (EU:C:2003:571), fait défaut, ainsi que le fait valoir l’Irlande, dès lors que le produit de la taxe n’est pas directement affecté au financement de l’aide (voir, en ce sens, arrêts du 27 octobre 2005, Distribution Casino France e.a., C‑266/04 à C‑270/04, C‑276/04 et C‑321/04 à C‑325/04, Rec, EU:C:2005:657, point 55, et du 16 octobre 2013, TF1/Commission, T‑275/11, EU:T:2013:535, point 43 et jurisprudence citée). En effet, les compagnies qui se sont acquittées de la TTA au taux de dix euros par passager n’ont pas financé, par ce biais, l’aide obtenue par les compagnies aériennes qui ont dû s’acquitter de la taxe au taux de deux euros par passager au cours de la même période.

70      D’autre part, à la différence de l’aide en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Laboratoires Boiron, point 41 supra (EU:C:2006:528), l’aide consiste dans l’application de taux d’imposition différenciés et non d’une taxe à taux unique qui serait perçue en vue de conférer une aide aux concurrents des entreprises assujetties à cette taxe. Il n’y a pas, dès lors, d’identité entre la taxe et l’aide, au sens de la jurisprudence précitée. Au contraire, dans une situation comme celle qui prévaut en l’espèce, la Cour a jugé que les redevables d’une contribution obligatoire ne sauraient exciper de ce que l’exonération dont bénéficient d’autres personnes constitue une aide d’État pour se soustraire au paiement de ladite contribution (voir arrêt Laboratoires Boiron, point 411 supra, EU:C:2006:528, point 30 et jurisprudence citée).

71      Il convient de souligner, en outre, que le grief de la requérante est intrinsèquement contradictoire dans la mesure où elle cherche à invoquer un prétendu droit au remboursement en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, afin de contester l’existence d’une aide en l’espèce, alors même qu’un tel droit au remboursement devant les juridictions nationales sur la base de cette disposition présuppose qu’il y ait bien une aide, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ce que conteste précisément la requérante.

72      Par ailleurs, si le grief de la requérante était accueilli, aucune aide non notifiée au sens de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ne pourrait plus faire l’objet d’une décision négative de la Commission ordonnant la récupération, dès lors que, en vertu de cette disposition, une telle aide serait illégale en vertu du droit de l’Union et pourrait faire l’objet d’une récupération devant le juge national. À l’évidence, une telle solution irait à l’encontre de l’objectif de l’article 107 TFUE, qui est de faire perdre au bénéficiaire de l’aide l’avantage dont il a bénéficié sur le marché par rapport à ses concurrents et de rétablir la situation antérieure au versement de ladite aide (voir, en ce sens, arrêts du 3 mars 2005, Heiser, C‑172/03, Rec, EU:C:2005:130, points 37 et 38, et DHL Aviation et DHL Hub Leipzig/Commission, point 43 supra, EU:T:2010:427, point 41).

73      S’il est vrai que le libellé du considérant 66 de la décision attaquée peut porter à confusion dans la mesure où la Commission y a constaté que la taxe et l’aide constituaient deux éléments indissociables d’une seule et même mesure fiscale, il convient de préciser que cette constatation a été effectuée dans le cadre de l’examen de la compatibilité de l’aide, en application du principe selon lequel la Commission ne peut déclarer une aide compatible avec le marché intérieur si elle enfreint d’autres dispositions du traité (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 1977, Iannelli & Volpi, 74/76, Rec, EU:C:1977:51, p. 557, point 14), et non dans la partie de la décision attaquée dédiée à l’examen de l’existence d’une aide, et encore moins afin de démontrer qu’un droit au remboursement de la taxe perçue au taux supérieur de dix euros existerait devant les juridictions nationales.

74      Il y a lieu de constater, dès lors, contrairement à ce que fait valoir la requérante, qu’il n’existait aucun droit acquis au remboursement des taxes perçues au taux supérieur de dix euros, en l’espèce, en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, pour les opérateurs qui se sont acquittés de cette taxe pendant la période concernée.

75      Il y a lieu, dès lors, de rejeter également le second grief de la requérante.

76      Il y a lieu de constater, dès lors, au regard de l’ensemble de ces considérations et au vu des éléments mentionnés par la Commission aux considérants 44 et 45 de la décision attaquée tels que rappelés au point 55 ci-dessus, que la Commission n’a commis aucune erreur de droit en qualifiant le taux supérieur de dix euros de taux de référence aux fins d’établir l’existence d’un avantage sélectif dans la décision attaquée et en concluant que l’application de taux différenciés en l’espèce était constitutive d’une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en faveur des compagnies aériennes dont les vols étaient soumis au taux inférieur de deux euros pendant la période concernée.

77      Le premier moyen de la requérante doit donc être rejeté.

 Sur les troisième et quatrième moyens, tirés d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation dans la qualification et la quantification de l’aide, résultant de l’absence de prise en compte de la répercussion de la TTA sur les passagers, et d’une violation de l’article 14 du règlement n° 659/1999 et des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement par l’ordre de récupération de l’aide

78      Par son troisième moyen, la requérante allègue que la Commission a commis une erreur de droit et une erreur manifeste d’appréciation en identifiant les transporteurs aériens soumis au taux inférieur comme étant les bénéficiaires de la prétendue aide d’un montant de huit euros par passager et en ordonnant la récupération de l’aide sur cette base, alors que la Commission a reconnu que la charge de cette taxe aurait pu être répercutée sur les passagers, qui étaient donc les principaux bénéficiaires du taux réduit.

79      Selon la requérante, la Commission aurait dû prendre cet élément en considération dans la qualification et la quantification de l’aide, et aurait dû évaluer l’avantage réellement conservé par les compagnies aériennes qui se sont acquittées de la TTA au taux de deux euros, et qui l’ont, en grande partie, répercutée auprès de leurs passagers. Dans la mesure où une quelconque partie de l’économie de huit euros représentée par la taxe inférieure a été répercutée sur les passagers et non conservée par les compagnies aériennes, la décision de la Commission exigeant la récupération de huit euros par passager aurait pour effet d’obliger les compagnies aériennes soumises à ce taux inférieur de rembourser plus que ce qu’elles ont effectivement reçu et serait, de ce fait, illégale.

80      Par son quatrième moyen, la requérante avance, en outre, que, étant donné qu’il est impossible de récupérer les huit euros par passager a posteriori auprès des passagers qui ont bénéficié du taux inférieur, l’ordre de récupération opère comme une taxe supplémentaire pesant sur les compagnies aériennes concernées et, par conséquent, équivaut à une sanction illégale de ces compagnies plutôt qu’à un retour à la situation antérieure à l’octroi de la prétendue aide. Cela serait disproportionné et constituerait une violation du principe d’égalité de traitement et, par conséquent, une infraction à l’article 14 du règlement nº 659/1999.

81      S’agissant du troisième moyen, la Commission conteste les arguments de la requérante. En premier lieu, elle constate qu’il n’existait aucune obligation de répercuter la taxe sur les passagers en vertu de la législation en cause. Au contraire, chaque compagnie était libre de décider si le coût de la taxe devait être intégralement ou partiellement répercuté sur les passagers. En second lieu, la Commission avance que, même si l’économie de la taxe avait été intégralement répercutée, cela se serait également traduit par un avantage pour les compagnies aériennes concernées, dans la mesure où elles ont pu offrir des prix plus attrayants à leurs clients que si elles avaient été imposées au taux normal de dix euros. Il importe peu, dès lors, de savoir si le bénéficiaire a choisi de répercuter l’avantage sur ses clients et de réaliser ainsi des volumes de ventes plus élevés, ou d’absorber directement l’avantage en facturant un prix plus élevé. La conséquence logique était donc de récupérer l’intégralité du montant de l’aide, c’est-à-dire huit euros par passager, pour les vols soumis au taux inférieur de deux euros.

82      S’agissant du quatrième moyen, la Commission répond que la récupération des aides, dès lors qu’elle vise à rétablir la situation antérieure, ne saurait, en principe, être considérée comme une mesure disproportionnée. Par ailleurs, du fait que la restitution ne vise qu’au rétablissement de la situation antérieure, elle ne saurait en principe être considérée comme une sanction. Il n’y aurait donc aucune violation du principe d’égalité de traitement, dans la mesure où tous les bénéficiaires de l’aide sont tenus de rembourser l’aide illégale et incompatible.

83      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’obligation pour l’État de supprimer une aide considérée par la Commission comme étant incompatible avec le marché intérieur vise au rétablissement de la situation antérieure. Cet objectif est atteint lorsque les bénéficiaires ont restitué la somme versée au titre de l’aide illégale, perdant ainsi l’avantage dont ils avaient bénéficié sur le marché par rapport à leurs concurrents, et lorsque la situation antérieure au versement de l’aide est rétablie (voir arrêt du 17 juin 1999, Belgique/Commission, C‑75/97, Rec, EU:C:1999:311, points 64 et 65 et jurisprudence citée ; arrêt du 13 février 2012, Budapesti Erőmű/Commission, T‑80/06 et T‑182/09, EU:T:2012:65, point 107).

84      Il convient de rappeler également qu’aucune disposition du droit de l’Union n’exige que la Commission, lorsqu’elle ordonne la restitution d’une aide déclarée incompatible avec le marché intérieur, fixe le montant exact de l’aide à restituer. Il suffit, en effet, que la décision de la Commission comporte des indications permettant à son destinataire de déterminer lui-même, sans difficultés excessives, ce montant (arrêts du 12 octobre 2000, Espagne/Commission, C‑480/98, Rec, EU:C:2000:559, point 25, et du 12 mai 2005, Commission/Grèce, C‑415/03, Rec, EU:C:2005:287, point 39). Par ailleurs, le dispositif d’un acte est indissociable de sa motivation et doit être interprété, si besoin est, en tenant compte des motifs qui ont conduit à son adoption (arrêts du 15 mai 1997, TWD/Commission, C‑355/95 P, Rec, EU:C:1997:241, point 21, et du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑298/00 P, Rec, EU:C:2004:240, point 97).

85      Cependant, si la Commission décide d’ordonner la récupération d’un montant déterminé, elle doit, conformément à son obligation d’examen diligent et impartial d’un dossier dans le cadre de l’article 108 TFUE, déterminer, d’une façon aussi précise que les circonstances de l’affaire le permettent, la valeur de l’aide dont l’entreprise a bénéficié (voir arrêt du 29 mars 2007, Scott/Commission, T‑366/00, Rec, EU:T:2007:99, point 95 et jurisprudence citée).

86      En rétablissant la situation antérieure au versement de l’aide, d’une part, la Commission est tenue de s’assurer que l’avantage réel de l’aide est éliminé et ainsi d’ordonner la récupération de la totalité de l’aide. Elle ne saurait, par souci de clémence pour le bénéficiaire, ordonner la récupération d’une somme inférieure à la valeur de l’aide reçue par ce dernier. D’autre part, la Commission n’est pas habilitée, pour marquer sa désapprobation en ce qui concerne la gravité de l’illégalité, à ordonner la récupération d’un montant supérieur à la valeur de l’aide reçue par le bénéficiaire (arrêt Scott/Commission, point 85 supra, EU:T:2007:99, point 95).

87      La requérante ne conteste pas que, même dans l’hypothèse où la TTA aurait été entièrement répercutée sur les passagers, l’application d’une taxe à taux réduit pourrait conférer un avantage à l’entreprise qui a l’obligation de s’acquitter de cette taxe. Elle conteste néanmoins l’étendue de cet avantage, qui a été évalué à huit euros par passager dans la décision attaquée.

88      À cet égard, tout d’abord, il convient de constater que l’article 55 de la loi de finances qualifie la TTA de « droit d’accise » (excise duty), en tant que taxe devant être imposée, perçue et payée pour chaque départ d’un passager à bord d’un avion depuis un aéroport situé en Irlande, ce que l’Irlande a d’ailleurs confirmé lors de l’audience.

89      Or, un droit d’accise est, par définition, une taxe indirecte perçue sur la consommation d’un bien ou d’un service particulier, à la différence des impôts directs tels que les impôts sur le revenu ou sur les bénéfices, qui sont directement supportés par les entreprises.

90      En l’espèce, il n’est pas contesté que les compagnies aériennes étaient tenues, en vertu de la loi de finances, d’appliquer la TTA au taux de deux euros pour tous les vols soumis à ce taux. Il est également constant entre les parties que, en vertu de l’article 23 du règlement n° 1008/2008, les compagnies aériennes étaient tenues d’indiquer le montant de la TTA séparément dans le prix de chaque billet vendu à leurs passagers. En ce sens, la TTA était formellement destinée à être répercutée sur le prix du billet de vol payé par le passager, comme l’indique le considérant 8 de la décision attaquée.

91      Comme le fait valoir la requérante, il y a lieu de distinguer, dès lors, la notion de répercussion formelle ou légale, qui concerne la manière dont la taxe est légalement perçue et appliquée, de la notion de répercussion économique, qui consiste à déterminer dans quelle mesure les compagnies aériennes ont supporté le coût économique de la TTA, en adaptant éventuellement le prix du billet hors taxe en fonction du taux de la TTA effectivement applicable, ou, dans le cas de l’application de la TTA au taux réduit de deux euros, dans quelle mesure elles ont effectivement retenu l’avantage économique résultant de l’application de ce taux réduit.

92      La Commission a expliqué, au considérant 53 de la décision attaquée, que les compagnies qui s’acquittaient de la taxe au taux réduit de deux euros avaient un coût moins élevé à répercuter auprès de leurs clients ou à supporter elles-mêmes. Elle a assimilé ensuite ce coût réduit à des ressources économiques que les compagnies aériennes ont pu économiser et qui ont, de ce fait, amélioré leur situation économique par rapport aux autres compagnies aériennes.

93      Au considérant 57 de la décision attaquée, la Commission a répondu aux arguments des autorités irlandaises, selon lesquelles il n’y aurait aucun avantage en faveur des compagnies aériennes, dès lors que la taxe était essentiellement une taxe à la consommation destinée à être répercutée sur les passagers. La Commission a considéré, en se fondant sur l’arrêt Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, point 45 supra (EU:C:2001:598), que, même dans les cas où il y aurait une obligation légale de répercuter la taxe en question sur les consommateurs, une réduction par rapport au taux normal de taxation serait susceptible de conférer un avantage sélectif aux compagnies aériennes qui doivent s’acquitter de cette taxe au taux réduit.

94      La Commission a reconnu, au même considérant 57 de la décision attaquée, que, dans le cas d’espèce, la charge économique de la taxe (the cost of the tax) pouvait être répercutée sur les passagers, bien qu’il n’existe aucun mécanisme permettant d’assurer que tel était effectivement le cas, et qu’il s’agissait d’un choix laissé à l’appréciation de chaque compagnie aérienne.

95      Or, dans une situation similaire, la Cour a elle-même considéré que, les taxes aéroportuaires affectant directement et de manière mécanique le prix du trajet, une différenciation dans le montant des taxes supportées par les passagers est automatiquement répercutée sur le coût du transport (arrêt Stylianakis, point 59 supra, EU:C:2003:72, point 28).

96      La Commission estime néanmoins que, même dans les cas où la TTA a été répercutée, les compagnies ont également bénéficié d’un avantage, dès lors qu’elles pouvaient offrir des prix plus attractifs à leurs clients, ce qui se serait traduit par un chiffre d’affaires plus élevé.

97      Dès lors, il convient de constater que, dans une situation comme en l’espèce où la TTA était censée être répercutée sur les passagers et où l’avantage économique découlant de l’application du taux réduit a également pu être répercuté sur les passagers, la Commission ne saurait présumer que l’avantage effectivement obtenu et conservé par les compagnies aériennes s’élevait, dans tous les cas, à huit euros par passager.

98      En effet, dans un tel cas, l’avantage effectivement obtenu par les compagnies aériennes ne consiste pas nécessairement dans la différence entre les deux taux, mais bien dans la possibilité d’offrir des prix plus attractifs à leurs clients et donc d’augmenter, de ce fait, leur chiffre d’affaires, comme la Commission l’a elle-même reconnu au considérant 57 de la décision attaquée.

99      Partant, pour les compagnies aériennes telles que la requérante qui se sont acquittées de la TTA au taux inférieur de deux euros, la Commission aurait dû déterminer dans quelle mesure celles-ci avaient effectivement répercuté auprès de leurs passagers le bénéfice économique résultant de l’application de la TTA au taux réduit, afin de pouvoir quantifier avec précision l’avantage dont elles ont réellement bénéficié, à moins qu’elle ne décidât de confier cette tâche aux autorités nationales en fournissant les indications nécessaires à cet égard.

100    Ainsi, ce ne serait que dans l’hypothèse où la requérante aurait systématiquement augmenté le prix de ses billets hors taxe de huit euros par billet, pour les vols soumis à la TTA au taux de deux euros, qu’il eût été possible de considérer que l’avantage économique résultant de l’application des taux différenciés s’élevait à huit euros par passager pour la requérante, dès lors que cet avantage n’a pas pu être, ne fût-ce que partiellement, répercuté sur les passagers.

101    Il convient de constater cependant que la Commission n’a, à aucun endroit dans la décision attaquée, ni dans le cadre du présent contentieux, expliqué en quoi une telle hypothèse serait la situation normale, plutôt que l’hypothèse dans laquelle les compagnies aériennes répercutent l’avantage auprès de leurs passagers, conformément à l’objectif affiché de la TTA, et alors même qu’elle reconnaît, par ailleurs, qu’une telle répercussion était possible (voir point 94 ci-dessus).

102    En outre, la Commission n’a pas suffisamment tenu compte de la situation particulière du marché en l’espèce et de ses contraintes concurrentielles, dans la mesure où toutes les compagnies aériennes effectuant des vols de moins de 300 km (calculés depuis l’aéroport de Dublin) à partir d’un aéroport situé en Irlande étaient soumises à la TTA au taux de deux euros par passager. Ainsi, la Commission n’a pas établi en quoi, dans de telles circonstances, les compagnies aériennes dont les vols étaient soumis à la TTA au taux réduit de deux euros par passager ont bénéficié d’un avantage correspondant à la différence entre les deux taux de la TTA, c’est-à-dire de huit euros par passager.

103    Ce faisant, la Commission a commis une erreur d’appréciation et une erreur de droit.

104    En effet, comme le fait valoir à juste titre la requérante, le recouvrement d’une aide doit être limité aux avantages financiers découlant effectivement de la mise à disposition de l’aide au bénéficiaire et être proportionnel à ceux-ci (voir, en ce sens, arrêt du 22 janvier 2013, Salzgitter/Commission, T‑308/00 RENV, Rec, EU:T:2013:30, point 138).

105    Dès lors, si l’avantage résultant de l’application d’un taux réduit pouvait consister dans l’amélioration de la position concurrentielle des compagnies aériennes, du fait d’avoir pu offrir des prix plus compétitifs, la Commission aurait dû se limiter à ordonner la récupération des montants correspondant effectivement à cet avantage ou, s’il s’avérait impossible de déterminer ces montants avec exactitude dans la décision, à confier cette tâche aux autorités nationales, en fournissant les indications nécessaires à cet effet, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 84 ci-dessus.

106    Selon la Commission, si la thèse de la requérante devait être suivie, cela conduirait à obliger la Commission ou les autorités nationales à évaluer, dans chaque cas concret, les effets de l’aide sur les bénéficiaires en fonction des choix subjectifs effectués par ceux-ci, ce qui irait à l’encontre de la jurisprudence mentionnée au point 43 ci-dessus et de l’arrêt du 15 décembre 2005, Unicredito Italiano (C‑148/04, Rec, EU:C:2005:774).

107    Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la Cour a rappelé, en effet, que la suppression d’une aide illégale par voie de récupération est la conséquence logique de la constatation de son illégalité. Cette récupération en vue du rétablissement de la situation antérieure ne saurait, en principe, être considérée comme une mesure disproportionnée par rapport aux objectifs des dispositions du traité en matière d’aides d’État. Par la restitution, le bénéficiaire perd l’avantage dont il avait bénéficié sur le marché par rapport à ses concurrents et la situation antérieure à l’octroi de l’aide est rétablie (voir arrêt Unicredito Italiano, point 106 supra, EU:C:2005:774, point 113 et jurisprudence citée).

108    La Cour a considéré, dès lors, que les montants à restituer ne sauraient être déterminés en considération d’opérations différentes qui auraient pu être mises en œuvre par les entreprises si elles n’avaient pas opté pour la forme d’opération assortie de l’aide. En effet, ce choix a été effectué en connaissance du risque de récupération d’aides accordées sans respect de la procédure prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Lesdites entreprises auraient pu éviter ce risque en optant immédiatement pour des opérations structurées différemment. De surcroît, le rétablissement de la situation antérieure signifie le retour, autant que possible, à la situation qui aurait prévalu si les opérations en cause avaient été réalisées sans octroi de la réduction d’impôt (voir, en ce sens, arrêt Unicredito Italiano, point 106 supra, EU:C:2005:774, points 114 à 117).

109    Selon la Cour, ce rétablissement n’implique pas une reconstitution différente du passé en fonction d’éléments hypothétiques tels que les choix, souvent multiples, qui auraient pu être faits par les opérateurs intéressés, d’autant que les choix effectivement opérés avec le bénéfice de l’aide peuvent s’avérer irréversibles. Le rétablissement de la situation antérieure permet uniquement la prise en compte, au stade de la récupération de l’aide par les autorités nationales, du traitement fiscal le cas échéant plus favorable que celui de droit commun qui, en l’absence de l’aide illégale et en vertu de règles internes compatibles avec le droit de l’Union, aurait été accordé au titre de l’opération effectivement réalisée (arrêt Unicredito Italiano, point 106 supra, EU:C:2005:774, points 118 à 119).

110    Il convient de relever toutefois que, contrairement à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Unicredito Italiano, point 106 supra (EU:C:2005:774), invoqué par la Commission, les entreprises bénéficiaires, en l’espèce, n’auraient pas pu opter pour une opération différente que celle qui était assortie d’une aide. En effet, elles étaient tenues, en vertu de la législation nationale applicable pendant la période concernée, d’appliquer la TTA au taux de deux euros par passager pour tous les vols de moins de 300 km, calculés à partir de l’aéroport de Dublin, au départ d’un aéroport situé en Irlande. Pour les mêmes raisons, il leur était légalement impossible de percevoir la TTA au taux de dix euros auprès des passagers pour ces vols.

111    Il leur était, certes, possible d’augmenter le prix du billet hors taxe afin d’absorber l’avantage résultant de l’application de la TTA au taux réduit de deux euros. Toutefois, la Commission ne pouvait pas déterminer l’avantage effectivement obtenu par les compagnies aériennes sans tenir compte des circonstances de l’espèce. Or, eu égard au fonctionnement de la TTA et aux contraintes concurrentielles auxquelles les compagnies aériennes étaient exposées pour les vols auxquels la TTA au taux de deux euros était applicable (voir point 102 ci-dessus), la Commission ne pouvait pas présumer que l’avantage économique résultant de l’application du taux réduit de la TTA n’avait aucunement été répercuté sur les passagers.

112    Dès lors, la nécessité, découlant de la jurisprudence mentionnée au point 85 ci-dessus, de quantifier de manière aussi précise que les circonstances le permettent l’avantage dont ont effectivement bénéficié les compagnies aériennes en l’espèce, du fait de l’application du taux réduit de la TTA, n’équivaut pas à reconstituer le passé en fonction d’éléments hypothétiques tels que les choix, souvent multiples, qui auraient pu être faits par les opérateurs intéressés, comme le fait valoir la Commission, mais vise au contraire à assurer que le bénéficiaire perde l’avantage dont il avait bénéficié sur le marché par rapport à ses concurrents, ni plus ni moins, et à rétablir la situation antérieure à l’octroi de l’aide.

113    En outre, l’aide dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Unicredito Italiano, point 106 supra (EU:C:2005:774), consistait en un avantage fiscal sous la forme d’une réduction à 12,5 % du taux d’impôt sur le revenu pour les banques qui entreprenaient une fusion ou une restructuration semblable, pendant cinq périodes d’imposition consécutives, à certaines conditions. Il n’est pas contesté que l’impôt sur le revenu constitue une charge qui est effectivement et exclusivement supportée par les entreprises qui y sont assujetties, contrairement à la TTA en l’espèce qui, en tant que droit d’accise, était uniquement perçue et collectée par les compagnies aériennes, mais qui était, in fine, effectivement payée et, au moins partiellement sinon totalement, supportée par les passagers.

114    Enfin, la Commission n’a pas établi à suffisance de droit, dans sa décision, que la récupération de huit euros par passager était nécessaire afin d’assurer le rétablissement de la situation antérieure, c’est-à-dire le retour, autant que possible, à la situation qui aurait prévalu si les opérations en cause avaient été réalisées sans octroi de la réduction d’impôt ou, en d’autres termes, si les vols assujettis au taux de deux euros par passager avaient été soumis à une taxe de dix euros par passager.

115    En effet, la récupération d’un montant de huit euros par passager auprès des compagnies aériennes ne permettrait pas d’assurer le rétablissement d’une situation qui aurait prévalu si les opérations en cause avaient été réalisées sans l’octroi de l’aide en cause, puisqu’il n’est pas possible, pour les compagnies aériennes, de récupérer rétroactivement auprès de leurs clients les huit euros par passager qui auraient dû être perçus. La récupération d’un montant de huit euros par passager auprès des compagnies n’est pas nécessaire, dès lors, afin d’éliminer la distorsion de concurrence causée par l’avantage concurrentiel procuré par une telle aide (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2011, Residex Capital IV, C‑275/10, Rec, EU:C:2011:814, point 34 et jurisprudence citée). Au contraire, la récupération d’un tel montant risquerait de générer des distorsions de concurrence supplémentaires, comme le fait valoir à juste titre la requérante, puisqu’elle pourrait conduire à récupérer plus auprès des compagnies aériennes que l’avantage dont elles ont réellement bénéficié.

116    La Commission aurait dû, dès lors, tenir compte des particularités de la TTA en tant que droit d’accise destiné à être répercuté auprès des passagers par les compagnies aériennes pour tous les vols soumis au taux de deux euros pendant la période concernée. Dans la mesure où l’avantage économique résultant de l’application de ce taux réduit a pu être, ne fût-ce que partiellement, répercuté sur les passagers, la Commission n’était pas en droit de considérer que l’avantage dont ont bénéficié les compagnies aériennes s’élevait automatiquement, dans tous les cas, à huit euros par passager.

117    À cet égard, la Commission invoque sa pratique décisionnelle constante en matière d’aides fiscales impliquant des droits d’accises, selon laquelle des exonérations de telles charges octroient un avantage aux entreprises chargées de payer la taxe, même si celle-ci a pu être répercutée sur les consommateurs.

118    Il convient de rappeler, toutefois, que c’est dans le seul cadre des dispositions pertinentes du traité ainsi que des mesures prises pour sa mise en œuvre que doit être apprécié le caractère d’aide d’État d’une certaine mesure, et non au regard d’une éventuelle pratique décisionnelle antérieure de la Commission (arrêts du 30 septembre 2003, Freistaat Sachsen e.a./Commission, C‑57/00 P et C‑61/00 P, Rec, EU:C:2003:510, points 52 et 53, et du 15 juin 2005, Regione autonoma della Sardegna/Commission, T‑171/02, Rec, EU:T:2005:219, point 177).

119    En tout état de cause, les décisions invoquées par la Commission, qui figurent également en note de bas de page au considérant 57 de la décision attaquée, ne concernaient pas des taxes qui étaient supportées par les compagnies aériennes, comme l’indique la Commission, mais des taxes sur l’énergie, prévoyant un taux réduit ou des exonérations pour certaines catégories d’entreprises. Dans toutes ces affaires, les taxes n’étaient pas destinées à être répercutées par les entreprises bénéficiaires auprès de leurs clients. En effet, les droits d’accise portaient sur des intrants (en l’occurrence, l’énergie) qu’elles consommaient elles-mêmes, et non sur des produits ou services destinés à être vendus à leurs clients, comme en l’espèce. Enfin, il convient de noter que dans aucune de ces affaires la Commission n’a ordonné la récupération des aides auprès des bénéficiaires, mais qu’elle a, au contraire, déclaré ces aides compatibles avec le marché intérieur sur la base de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.

120    Il convient de noter, en outre, que l’arrêt Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke, point 45 supra (EU:C:2001:598), mentionné par la Commission sous le considérant 57 de la décision attaquée, permet, certes, de soutenir la thèse selon laquelle l’application d’une taxe à taux réduit peut conférer un avantage sélectif aux entreprises soumises à cette taxe, même si elles sont soumises à l’obligation légale de répercuter cette taxe sur leurs clients, mais il n’établit pas que, en cas de pluralité de bénéficiaires, le montant de l’aide doive être imputé dans son intégralité aux entreprises qui répercutent cette taxe auprès de leurs clients.

121    Par ailleurs, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la Cour n’a pas constaté que l’aide devait être récupérée auprès des fournisseurs d’énergie, qui étaient directement chargés de payer la taxe et de la répercuter auprès de leurs clients, comme les compagnies aériennes en l’espèce, mais bien auprès des entreprises clientes de ceux-ci, dont il était prouvé qu’elles avaient pour activité principale la fabrication de biens corporels et qui avaient droit au remboursement des taxes sur l’énergie.

122    La circonstance qu’en l’espèce les clients des compagnies aériennes assujetties à la TTA ne sont pas des entreprises, au sens du droit de l’Union, de sorte qu’aucune aide ne pouvait être récupérée à leur égard, ne saurait remettre en cause l’obligation, pour la Commission, d’identifier avec précision les bénéficiaires d’une aide, c’est-à-dire les entreprises qui ont eu la jouissance effective de celle-ci (arrêt du 3 juillet 2003, Belgique/Commission, C‑457/00, Rec, EU:C:2003:387, point 55), et de limiter le recouvrement de l’aide aux avantages financiers découlant effectivement de la mise à disposition de l’aide auprès de ceux-ci (voir, en ce sens, arrêt Salzgitter/Commission, point 104 supra, EU:T:2013:30, point 138).

123    Il y a lieu de constater, dès lors, que la Commission a commis une erreur d’appréciation et une erreur de droit en fixant le montant de l’aide à récupérer auprès des compagnies aériennes à huit euros par passager, d’une part, et a violé l’article 14 du règlement n° 659/1999 en ordonnant la récupération d’un tel montant auprès de celles-ci, d’autre part.

124    Partant, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur une éventuelle violation des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement invoquée par la requérante, il convient de faire droit aux troisième et quatrième moyens de la requérante et d’annuler la décision attaquée dans la mesure où l’aide à récupérer auprès des compagnies aériennes y est évaluée à huit euros par passager et où l’ordre de récupération est, de ce fait, également entaché d’une illégalité. 

125    À cet égard, il convient de noter que l’article 4 de la décision attaquée prévoit la récupération des aides auprès des bénéficiaires, qui sont identifiés au considérant 70 de la même décision, pour un montant de huit euros par passager, montant qui est également fixé au même considérant.

126    Or, selon une jurisprudence constante, les motifs d’une décision en matière d’aides d’Etat doivent être pris en considération pour l’interprétation de son dispositif (voir arrêt du 20 mars 2014, Rousse Industry/Commission, C‑271/13 P, EU:C:2014:175, point 69 et jurisprudence citée).

127    Il y a lieu, dès lors, d’annuler l’article 4 de la décision attaquée, lu à la lumière du considérant 70 de ladite décision, dans la mesure où celui-ci ordonne la récupération de l’aide, évaluée à huit euros par passager, auprès des compagnies aériennes qui ont effectué des vols assujettis à la TTA au taux inférieur de deux euros pendant la période concernée, et de rejeter le recours pour le surplus.

128    Au vu des considérations qui précèdent, il n’y a pas lieu de statuer sur le deuxième moyen de la requérante, dans la mesure où celui-ci vise également à démontrer que l’ordre de récupération est illégal, ce qui a été établi dans le cadre des troisième et quatrième moyens.

 Sur les dépens

129    Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels.

130    La décision attaquée devant être partiellement annulée, il y a lieu de condamner la Commission à supporter, outre ses propres dépens, la moitié des dépens exposés par la requérante. La requérante supportera la moitié de ses propres dépens. 

131    Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs dépens. Il y a lieu de déclarer, dès lors, que l’Irlande supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      L’article 4 de la décision 2013/199/UE de la Commission, du 25 juillet 2012, concernant l’aide d’État SA.29064 (11/C, ex 11/NN) – Taux d’imposition différenciés appliqués par l’Irlande au transport aérien, est annulé, en ce qu’il ordonne la récupération de l’aide auprès des bénéficiaires, pour un montant qui est fixé à huit euros par passager au considérant 70 de ladite décision.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      La Commission européenne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, la moitié des dépens exposés par Aer Lingus Ltd.

4)      Aer Lingus supportera la moitié de ses propres dépens.

5)      L’Irlande supportera ses propres dépens.

Berardis

Czúcz

Popescu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 février 2015.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur le cinquième moyen, tiré d’un défaut de motivation de la décision attaquée

Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit commise par la Commission dans l’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en tant qu’elle a qualifié le taux inférieur de la TTA d’aide d’État

Sur l’existence d’un droit au remboursement des taxes acquittées au taux de dix euros par passager en vertu de l’article 56 TFUE

Sur l’existence d’un droit au remboursement des taxes acquittées au taux de dix euros par passager en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE

Sur les troisième et quatrième moyens, tirés d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation dans la qualification et la quantification de l’aide, résultant de l’absence de prise en compte de la répercussion de la TTA sur les passagers, et d’une violation de l’article 14 du règlement n° 659/1999 et des principes de proportionnalité et d’égalité de traitement par l’ordre de récupération de l’aide

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.


1 Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.