Language of document : ECLI:EU:T:2024:456

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

10 juillet 2024

 Dessin ou modèle communautaire – Procédure de nullité – Dessin ou modèle communautaire enregistré représentant des piquets de support pour plantes – Dessin ou modèle antérieur – Motif de nullité – Divulgation du dessin ou modèle antérieur – Preuve de la divulgation – Article 7 et article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 6/2002 »

(*) l’affaire T‑210/23,

Azienda Agricola F.lli Buccelletti Srl, établie à Castiglion Fiorentino  (Italie), représentée par Me A. Pagani, avocate,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme M. Capostagno et M. R. Raponi, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Sunservice Srl, établie à Castiglione del Lago (Italie), représentée par Mes E. Verdelli et S. Papalini, avocates,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, R. Mastroianni et T. Tóth (rapporteur), juges,

greffier : Mme R. Ūkelytė, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 20 février 2024,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Azienda Agricola F.lli Buccelletti Srl., demande l’annulation de la décision de la troisième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 20 février 2023 (affaire R 370/2022-3) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 6 novembre 2020, l’intervenante, Sunservice Srl, a présenté à l’EUIPO une demande d’enregistrement, en vertu du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1), du dessin ou modèle communautaire représenté dans les vues suivantes :


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1.1

1.2




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1.3

1.4

1.5


3        Les produits auxquels le dessin ou modèle visé au point 2 ci-dessus est destiné à être appliqué relèvent de la classe 08.08 au sens de l’arrangement de Locarno du 8 octobre 1968 instituant une classification internationale pour les dessins et modèles industriels, tel que modifié, et correspondent à la description suivante : « Échalas ».

4        Le 28 février 2021, la requérante a présenté à l’EUIPO une demande en nullité du dessin ou modèle communautaire visé au point 2 ci-dessus au titre de l’article 52 du règlement no 6/2002.

5        Les motifs invoqués à l’appui de la demande en nullité étaient ceux visés à l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lu conjointement avec les dispositions de l’article 4, paragraphe 1, du même règlement, ainsi qu’avec l’article 5, paragraphe 1, sous b), et l’article 6, paragraphe 1, sous b), dudit règlement.

6        Le modèle sur lequel la requérante a fondé sa demande en nullité (ci-après le « modèle antérieur » est représenté comme suit :

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7        Le 20 janvier 2022, la division d’annulation a rejeté la demande en nullité.

8        Le 7 mars 2022, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation.

9        Par la décision attaquée, la chambre de recours a considéré que la requérante, en se bornant à recourir à des déclarations et à d’autres documents ne démontrant pas, avec une certitude raisonnable, la divulgation, n’avait pas rapporté la preuve d’une divulgation effective et suffisante du dessin ou modèle antérieur avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté. Elle a rejeté le recours contre la décision de la division d’annulation rejetant la demande en nullité, sans examiner si le dessin ou modèle contesté présentait un caractère de nouveauté au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous b), et un caractère individuel au sens de l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002.

 Conclusions des parties

10      La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        réformer la décision attaquée et déclarer la nullité du dessin ou modèle contesté ; 

–        condamner l’intervenante aux dépens, y compris ceux exposés dans le cadre de la procédure devant l’EUIPO.

11      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens en cas de convocation à une audience.

12      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens, y compris ceux exposés dans le cadre de la procédure devant l’EUIPO.

 En droit

 Sur la recevabilité des pièces présentées pour la première fois devant le Tribunal

13      L’EUIPO soulève l’irrecevabilité des documents figurant aux annexes A.22 et A.23 à la requête, ainsi que celle des trois images figurant en page 9 de la requête, qui reproduisent des agrandissements concernant des détails de la photographie jointe en annexe A.9 à la requête. Au soutien de sa demande d’irrecevabilité, l’EUIPO fait valoir que ces documents n’ont pas été produits lors de la procédure intervenue devant lui.

14      Il ressort de la jurisprudence que le recours devant le Tribunal vise au contrôle de la légalité des décisions des chambres de recours de l’EUIPO au sens de l’article 61 du règlement no 6/2002, de sorte que la fonction du Tribunal n’est pas de réexaminer les circonstances de fait à la lumière des documents présentés pour la première fois devant lui [voir arrêt du 18 mars 2010, Grupo Promer Mon Graphic/OHMI – PepsiCo (Représentation d’un support promotionnel circulaire), T‑9/07, EU:T:2010:96, point 24 et jurisprudence citée]. 

15      En l’espèce, il y a lieu de constater que les documents, en date du 21 avril 2023, figurant aux annexes A.22 et A.23 à la requête ont effectivement été produits pour la première fois devant le Tribunal.

16      Dès lors, il y a lieu de les écarter, sans qu’il soit nécessaire d’examiner leur force probante.

17      En revanche il convient de relever que les trois images figurant en page 9 de la requête ne sont que des agrandissements de la photographie jointe en annexe A.9. Or, cette photographie a été produite tant devant la division d’annulation que devant la chambre de recours. Partant, les agrandissements la concernant ne sauraient être regardés comme constituant des pièces produites pour la première fois devant le Tribunal.

18      Par ailleurs, l’intervenante demande, en substance, que l’annexe qu’elle produit en annexe B.5 contenant une expertise technique, en date du 17 juillet 2023, qui démontrerait que le dessin ou modèle contesté n’est pas similaire au dessin ou modèle antérieur dont se prévaut la requérante, soit prise en compte.

19      Or, ce document, postérieur à la décision, est produit pour la première fois devant le Tribunal et, dès lors, ne saurait être pris en compte, en application de la jurisprudence citée au point 14 ci-dessus.

20      La demande de l’intervenante à cet égard doit donc être rejetée.

 Sur la demande d’annulation de la décision attaquée

21      La requérante invoque, en substance deux moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement et le second, d’une violation de l’article 5, paragraphe 1, sous b), et de l’article 6, paragraphe 1, sous b), du même règlement.

22      Par son premier moyen, la requérante fait grief à la chambre de recours d’avoir commis une erreur d’appréciation en considérant, à tort, qu’elle n’avait pas prouvé l’existence de la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur.

23      À cet effet, elle indique, en substance, que c’est à tort que la chambre de recours n’a pas analysé de manière globale l’ensemble des éléments de preuves dont elle se prévalait et d’avoir refusé de tenir compte des déclarations des personnes avec lesquelles elle travaillait, alors même que ces personnes n’étaient pas parties à la procédure et n’avaient aucun intérêt personnel dans le présent litige.

24      L’EUIPO, soutenu par l’intervenante, conteste les arguments de la requérante.

25      Il fait valoir que les éléments de preuves dont se prévaut la requérante ne permettent pas d’identifier les échalas y figurant comme correspondant à ceux auxquels est appliqué le dessin ou modèle antérieur. Il indique que les déclarations et les analyses de preuves ont été réalisées par des personnes liées à la requérante soit par des liens d’affaires, comme c’est le cas de l’attestation du ferronnier figurant en annexe A.13 à la requête, soit par des liens collaboratifs, comme c’est le cas des attestations établies par l’expert en matériel technique, figurant aux annexes A.4, A.7 et A.11, jointes à la requête.

26      S’agissant spécifiquement du document joint à la requête en annexe A. 9, dans lequel figure la photographie d’un camion transportant plusieurs centaines d’échalas, l’EUIPO soutient que cette photographie ne permet pas d’identifier les échalas transportés comme correspondant à ceux auxquels aurait été appliqué le dessin ou modèle antérieur. Il ajoute que ce document ne saurait avoir pour effet de combler les lacunes des autres éléments de preuves, qui ne permettent pas d’établir la divulgation du dessin ou modèle antérieur.

27      Quant aux documents figurant dans les annexes A.9, A.10 et A.20 joints à la requête et qui contiennent, respectivement, la photographie du camion mentionnée au point 26 ci-dessus, la photographie de piquets plantés devant un fossé et un devis émis par la requérante en septembre 2017, l’EUIPO fait valoir que ces documents ne sauraient être pris en compte, soit parce qu’ils n’auraient pas de dates certaines, soit parce qu’ils se réfèrent à des échalas sans lien avec le dessin ou modèle contesté.

28      En outre, l’EUIPO fait valoir que, contrairement à ce qu’allègue la requérante, l’intervenante aurait constamment réaffirmé que les modèles d’échalas faisant l’objet des commandes mentionnées par la requérante et qui démontreraient prétendument la divulgation, ne correspondaient pas au dessin ou modèle antérieur, figurant en annexe A.2 à la requête.

29      L’EUIPO fait enfin valoir que, comme l’a expressément jugé le Tribunal, il doit apprécier la divulgation indépendamment des déclarations des parties, qui ne le lient pas lorsqu’il est appelé à analyser une question de droit et à apprécier des éléments factuels que les parties ont la charge de démontrer par des moyens de preuves adéquats.

30      L’intervenante indique, notamment, qu’elle fabrique des échalas depuis 2010 et qu’elle en a fournis à la requérante jusqu’en 2018. Elle indique qu’en ayant supervisé les activités de la requérante jusqu’en octobre 2020, comme cela résulte des factures jointes en annexe B.4, jointe au mémoire en réponse, elle l’avait autorisée à utiliser les échalas qui faisaient l’objet du dessin ou modèle contesté.

31      L’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, prévoit que, aux fins de l’application de l’article 5, paragraphe 1, sous b), et de l’article 6, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué au public s’il a été publié à la suite de l’enregistrement ou autrement, ou exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement, sauf si ces faits, dans la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union européenne. Toutefois, le dessin ou modèle n’est pas réputé avoir été divulgué au public s’il a seulement été divulgué à un tiers sous des conditions explicites ou implicites de secret.

32      Ni le règlement no 6/2002 ni le règlement (CE) no 2245/2002 de la Commission, du 21 octobre 2002, portant modalités d’application du règlement no 6/2002 (JO 2002, L 341, p. 28), ne spécifient la forme obligatoire des éléments de preuves qui doivent être apportés par le demandeur en nullité pour justifier de la divulgation du dessin ou modèle antérieur avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté. Il s’ensuit que, d’une part, le demandeur en nullité est libre du choix de la preuve qu’il juge utile de présenter à l’EUIPO pour appuyer sa demande en nullité et que, d’autre part, l’EUIPO est tenu d’analyser tous les éléments présentés pour conclure s’ils sont effectivement une preuve de la divulgation du dessin ou modèle antérieur [voir arrêt du 13 juin 2019, Visi/one/EUIPO – EasyFix (Porte-affichette pour véhicules), T‑74/18, EU:T:2019:417, point 21 et jurisprudence citée].

33      Par ailleurs, la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur ne peut pas être démontrée par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une divulgation effective du dessin ou modèle antérieur sur le marché. En outre, les éléments de preuves fournis par le demandeur en nullité doivent être appréciés les uns par rapport aux autres. En effet, si certains de ces éléments peuvent être insuffisants à eux seuls pour démontrer la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur, il n’en demeure pas moins que, lorsqu’ils sont associés ou lus conjointement avec d’autres documents ou informations, ils peuvent contribuer à former la preuve de la divulgation. Enfin, pour apprécier la valeur probante d’un document, il convient de vérifier la vraisemblance et la véracité de l’information qui y est contenue. Il faut tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration et de son destinataire, ainsi que se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable (voir arrêt du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 22 et jurisprudence citée).

34      De plus, il convient de souligner qu’un dessin ou modèle antérieur doit constituer une antériorité « compacte » ou « de toute pièce » et ne saurait être le résultat d’une combinaison [voir, en ce sens, arrêt du 27 avril 2022, Group Nivelles/EUIPO – Easy Sanitary Solutions (Caniveau d’évacuation de douche), T‑327/20, EU:T:2022:263, point 143 et jurisprudence citée].

35      Enfin, un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué une fois que la partie qui fait valoir la divulgation a prouvé les faits constitutifs de cette divulgation. Pour réfuter cette présomption, il incombe, en revanche, à la partie qui conteste la divulgation de démontrer à suffisance de droit que les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que, dans la pratique normale des affaires, ces faits soient connus des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union (voir arrêt du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 23 et jurisprudence citée).

36      Aux fins d’établir la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur, il convient ainsi de procéder à une analyse en deux étapes, consistant à examiner, en premier lieu, si les éléments présentés dans la demande en nullité démontrent, d’une part, des faits constitutifs d’une divulgation d’un dessin ou modèle et, d’autre part, le caractère antérieur de cette divulgation par rapport à la date de dépôt ou de priorité du dessin ou modèle contesté et, en second lieu, dans l’hypothèse où le titulaire du dessin ou modèle contesté aurait allégué le contraire, si lesdits faits pouvaient, dans la pratique normale des affaires, raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union, faute de quoi une divulgation sera considérée comme sans effets et ne sera pas prise en compte (voir arrêt du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 24 et jurisprudence citée).

37      C’est à l’aune de ces éléments qu’il convient de déterminer si la chambre de recours a considéré, de manière erronée, que la requérante n’avait pas prouvé, à suffisance de droit, l’existence de la divulgation du dessin ou modèle antérieur avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté, à savoir le 6 novembre 2020.

38       Il ressort de la décision attaquée que la chambre de recours n’a pas mis en doute le fait que la requérante avait installé pour ses clients, depuis 2017, des échalas mentionnés dans les attestations établies par l’expert en matériel technique et jointes à la requête aux annexes A.4, A.7 et A.11.

39      La chambre de recours a considéré, en substance, que les déclarations écrites sous serment, dont la requérante se prévalait en l’espèce, établies par l’expert en matériel technique et par le ferronnier avec qui la requérante avait des relations contractuelles, devaient être corroborées par d’autres éléments de preuves, dès lors que ces déclarations étaient établies par des personnes qui étaient liées à la requérante. Elle s’est fondée à cet égard sur le point 30 de l’arrêt du 13 juin 2012, Süd-Chemie/OHMI – Byk-Cera (CERATIX) (T‑312/11, non publié, EU:T:2012:296), sur le point 29 de l’arrêt du 18 novembre 2015, Liu/OHMI – DSN Marketing (Étui d’ordinateur portable) (T‑813/14, non publié, EU:T:2015:868), ainsi que sur les points 30 et 56 de l’arrêt du 2 mars 2022, Fabryki Mebli “Forte”/EUIPO – Bog-Fran (Meuble) (T‑1/21, non publié, EU:T:2022:108).

40      S’agissant spécifiquement des attestations établies par l’expert en matériel technique, la chambre de recours a relevé, aux points 45 et 46 de la décision attaquée, que ces attestations semblaient émaner d’une personne liée à la requérante, dès lors que cet expert était chargé de la supervision des travaux d’installation des échalas de la requérante auprès de ses différents clients, « raison pour laquelle il [était] raisonnable de déduire que [l’expert en matériel technique] collabor[ait] professionnellement, à tout le moins, de manière relativement fréquente avec la [requérante]. »

41      Il y a toutefois lieu de relever que les circonstances factuelles présentes dans les trois arrêts mentionnés au point 39 ci-dessus étaient caractérisées par le fait que les déclarations en cause avaient été rédigées soit par le demandeur en nullité du dessin ou modèle, soit par un salarié de celui-ci et, en conséquence, par un subordonné du demandeur en nullité.

42      À cet égard, il convient de relever que, selon la jurisprudence, l’existence d’un lien de subordination doit être appréciée dans chaque cas particulier en fonction de tous les éléments et de toutes les circonstances caractérisant les relations existant entre les parties (arrêt du 10 septembre 2015, Holterman Ferho Exploitatie e.a., C‑47/14, EU:C:2015:574, point 46). De plus, l’existence d’un lien de subordination est caractérisé par le fait qu’un travailleur se trouve placé sous la direction d’une autre personne, laquelle lui impose non seulement les prestations à réaliser, mais surtout la manière de les accomplir et dont il doit respecter les instructions et les règles internes. Afin de déterminer l’existence d’un tel lien de subordination, il convient donc de s’attacher à l’autonomie et à la flexibilité dont dispose le travailleur pour choisir l’horaire, le lieu et les modalités d’exécution des missions qui lui ont été confiées et/ou à la surveillance et au contrôle que l’employeur exerce sur la manière dont le travailleur exécute ses fonctions » [voir arrêts du 3 juillet 1986, Lawrie-Blum (66/85, EU:C:1986:284, point 18), du 13 janvier 2004, Allonby (C‑256/01, EU:C:2004:18, point 72), du 4 décembre 2014, FNV Kunsten Informatie en Media (C‑413/13, EU:C:2014:2411, points 36 et 37), ainsi que du 20 novembre 2018, Sindicatul Familia Constanţa e.a. (C‑147/17, EU:C:2018:926, point 45)].

43      Or, en l’espèce, il y a lieu de relever que, comme cela a été confirmé au cours de l’audience, l’expert en matériel technique est, certes, intervenu sur des chantiers agricoles comme superviseur des travaux effectués par la requérante, à l’occasion de l’exécution de contrats d’entreprise qu’il avait conclus avec elle. Toutefois, il demeure que, dès lors que cet expert était lié à la requérante par un contrat d’entreprise en vertu duquel il était chargé d’évaluer la bonne exécution des travaux et que, notamment, cette mission exclut, par principe, tout lien de subordination avec la requérante, il y a lieu de considérer que cet expert ne saurait être considéré comme subordonné à cette dernière. De plus et en tout état de cause, force est de constater qu’il n’est ni établi, ni même allégué que, aux dates d’établissement des attestations, l’expert en matériel technique était lié à la requérante par un contrat. Il en résulte que la valeur probante des attestations établies par l’expert en matériel technique ne saurait être écartée en raison d’un lien de subordination de cet expert avec la requérante.

44      De plus, il y a lieu de relever que ni l’EUIPO, ni l’intervenante ne contestent la qualité formelle des trois déclarations en cause, lesquelles sont datées, signées et comportent l’expression « in fede », ce qui témoigne du caractère solennel du document établi par l’expert en matériel technique. De même, ni l’EUIPO, ni l’intervenante ne contestent que cet expert a été un témoin direct des faits dont il témoigne.

45      Ces trois déclarations constituent ainsi un témoignage solennel émanant d’un témoin direct des faits, qui atteste que les échalas, qui ont été plantés respectivement en 2017 et en 2019, correspondent bien à ceux qui figurent en annexe A de chacune desdites déclarations. Force est de constater que ces échalas ont une apparence similaire au dessin ou modèle antérieur, dont se prévaut la requérante.

46      De plus, il y a lieu de relever que ces trois déclarations sont corroborées par l’attestation émanant du ferronnier en annexe A.13 à la requête, qui indique que les factures établies entre 2018 et 2020 et se référant aux « échalas avec hélices » font référence aux échalas qui figurent en annexe A de cette déclaration. Force est de constater que ces échalas figurant en annexe A ont également une apparence similaire au dessin ou modèle antérieur, dont se prévaut la requérante.

47      Dès lors, au vu des éléments énoncés aux points 45 et 46 ci-dessus, il y a lieu de considérer que les trois attestations établies par l’expert en matériel technique, corroborées par celle du ferronnier, établissent à suffisance de droit que des échalas, tels que ceux qui figurent en annexe A de chacune de ces attestations et qui sont similaires à ceux dont se prévaut la requérante, ont été utilisés entre 2017 et 2019 sur les trois chantiers supervisés par ledit expert.

48      Par ailleurs, il y a lieu de relever que, contrairement à ce qu’a indiqué la chambre de recours, au point 59 de la décision attaquée, l’examen attentif de la photographie du camion transportant des échalas, jointe à la requête en annexe A.17, met en évidence que les échalas transportés dans ce camion sont composés non seulement des hélices figurant sur les photos en annexe A.2, jointe à la requête, mais aussi d’une terminaison en forme de croix, précédée d’un renfoncement caractéristique du tube, ce qui est caractéristique de la canule en forme de croix qui compose tant le dessin ou modèle contesté que le dessin ou modèle antérieur.

49      Or, il résulte du rapport technique joint en annexe A.17 à la requête que la photographie du camion transportant des échalas a été prise en juin 2017 et que la photographie montrant des échalas plantés devant un fossé a été prise au mois d’avril 2018. Aucun élément du dossier ne permet de mettre en doute l’impartialité du consultant, auteur de ce rapport technique, qui permet ainsi de considérer de façon certaine que la prise de ces photographies remonte à une période antérieure au 6 novembre 2020, date de dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté.

50      Les éléments mentionnés aux points 48 et 49 ci-dessus sont donc de nature à remettre en cause le bien-fondé des constatations formulées au point 60 de la décision attaquée, selon lesquelles il existerait une incohérence entre, d’une part, la date de l’offre faite par la requérante, qui est le 2 décembre 2016 et qui a été acceptée par sa cliente, jointe en annexe A.8 à la requête, et, d’autre part, la date du transport des échalas de juin 2017, ainsi que la photographie des échalas plantés devant un fossé du mois d’avril 2018.

51      En effet, l’existence d’un délai de six mois qui a couru entre l’émission d’une offre et l’exécution de cette offre n’apparaît pas d’une longueur telle qu’il serait de nature à remettre en cause la datation des documents établie par le rapport technique, joint en annexe A.17 à la requête. Quant à la photographie d’avril 2018, il y a lieu de relever qu’elle permet seulement de constater l’existence de l’exécution de la pose de piquets devant un fossé, ce qui, en soi, n’est pas contraire à l’exécution contractuelle, sans qu’aucun autre élément d’explication n’ait été donné à ce sujet par la chambre de recours.

52      La conjonction des éléments mentionnés aux points 40 à 51 ci-dessus est suffisante pour caractériser la divulgation, depuis au moins le mois de juin 2017, du dessin ou modèle antérieur dont se prévaut la requérante.

53      À cet égard, il y a lieu de relever que, compte-tenu de la spécificité du produit qui incorpore le dessin ou modèle contesté et du secteur dans lequel il est utilisé, le fait que ce dessin ou modèle ait pu être divulgué par le biais d’au moins trois chantiers conséquents et que les produits qui l’incorporent aient été transportés au vu et au su du public plus d’un an avant le dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté, est suffisant, en l’espèce, pour considérer qu’un tel dessin ou modèle a fait l’objet d’une divulgation au public, au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

54      Ce constat n’est pas infirmé par l’argument de l’intervenante, selon lequel elle a autorisé la requérante à utiliser les échalas auxquels est appliqué le dessin ou modèle enregistré jusqu’en octobre 2020. En effet, l’intervenante n’allègue pas que cette utilisation avait été autorisée sous condition explicite ou implicite de secret, comme le prévoit l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002. De plus, force est de constater que l’intervenante ne rapporte pas davantage la preuve que les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que, dans la pratique normale des affaires, ces faits soient connus des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union.

55      Il en résulte que c’est à tort que la chambre de recours a considéré que la requérante n’avait pas fourni des preuves concrètes et objectives d’une divulgation effective et suffisante du dessin ou modèle antérieur.

56      Eu égard à ce qui précède et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les demandes de la requérante tendant à l’audition de témoins et à l’inspection des lieux ni d’examiner le second moyen tiré d’une violation de l’article 5, paragraphe 1, sous b) et de l’article 6, paragraphe 1, sous b) du règlement no 6/2002, il convient d’annuler la décision attaquée.

 Sur les demandes de réformation de la décision attaquée et de déclaration de nullité du dessin ou modèle contesté 

57      S’agissant de la demande de la requérante visant à ce que le Tribunal réforme la décision attaquée, il convient de rappeler que, si le pouvoir de réformation reconnu au Tribunal n’a pas pour effet de conférer à celui-ci le pouvoir de substituer sa propre appréciation à celle de la chambre de recours et, pas davantage, de procéder à une appréciation sur laquelle ladite chambre n’a pas encore pris position, il doit être exercé dans les situations où le Tribunal, après avoir contrôlé l’appréciation portée par la chambre de recours, est en mesure de déterminer, sur la base des éléments de fait et de droit tels qu’ils sont établis, la décision que la chambre de recours était tenue de prendre (arrêt du 5 juillet 2011, Edwin/OHMI, C‑263/09 P, EU:C:2011:452, point 72).

58      En l’espèce, il convient de relever que la chambre de recours n’a pas pris position, dans la décision attaquée, sur les caractères individuel et de nouveauté du dessin ou modèle contesté, ce qu’il n’appartient pas au Tribunal d’apprécier dans le cadre de l’examen de la demande de réformation de ladite décision.

59      Il convient en conséquence de rejeter la demande de réformation de la décision attaquée et, partant, la demande de déclaration en nullité du dessin ou modèle contesté. 

 Sur les dépens

60      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

61      En l’espèce, il doit être rappelé que la requérante a uniquement conclu à la condamnation de l’intervenante, et non de l’EUIPO, aux dépens.

62      L’intervenante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux de la requérante, y compris ceux exposés par cette dernière devant la chambre de recours, dans la mesure où, en vertu de l’article 190, paragraphe 2, du règlement de procédure, les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure devant la chambre de recours sont considérés comme dépens récupérables. Il n’en va toutefois pas de même des frais exposés aux fins de la procédure devant la division d’opposition, qui ne seront donc pas mis à la charge de l’intervenante.

63      L’EUIPO ayant succombé en ses conclusions, celui-ci supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la troisième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), du 20 février 2023 (affaire R 370/2022-3) est annulée.

2)      L’EUIPO supportera ses propres dépens.

3)      Sunservice Srl est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Azienda Agricola F.lli Buccelletti Srl dans la procédure devant le Tribunal et devant la chambre de recours.

Spielmann

Mastroianni

Tóth

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 juillet 2024

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.