Language of document : ECLI:EU:T:2010:331

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

24 août 2010 (*)

« Recours en annulation – Concurrence – Rejet d’une plainte – Acte non susceptible de recours par des particuliers – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑386/09,

Grúas Abril Asistencia, SL, établie à Alicante (Espagne), représentée par Me R. L. García García, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. F. Castillo de la Torre et Mme F. Castilla Contreras, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours visant à l’annulation de la lettre de la Commission du 7 août 2009 informant la requérante que les faits pour lesquels elle a porté plainte devant elle ne permettent pas de conclure à une violation des articles 81 CE, 82 CE et 86 CE et qu’aucune suite ne sera donc donnée à sa plainte,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mmes I. Pelikánová, président, K. Jürimäe (rapporteur) et M. S. Soldevila Fragoso, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        La requérante, Grúas Abril Asistencia, SL, est une entreprise de remorquage automobile qui fournit des services d’assistance routière à des véhicules en panne ou accidentés, dans une partie de la province d’Alicante (Espagne), sous la dénomination commerciale « Grúas Abril ».

2        MAPFRE Mutualidad de Seguros y Reaseguros a Prima Fija SA (ci-après « MAPFRE ») est une entreprise qui opère dans le secteur de l’assurance. Elle offre notamment un service d’assistance routière en cas d’accidents ou de pannes, qu’elle sous-traite auprès d’entreprises de remorquage automobile telles que la requérante.

3        La requérante et MAPFRE étaient liées par un contrat conclu le 1er mars 1996 et reconduit le 20 juillet 2001, en vertu duquel la première s’engageait à fournir ses services de remorquage automobile pour la seconde, sur demande de cette dernière.

4        Le 19 mai 2004, la requérante a déposé une plainte auprès du Servicio de Defensa de la Competencia (Service de protection de la concurrence, Espagne). Dans ladite plainte, la requérante fait valoir, en substance, que MAPFRE a violé les articles 1, 6 et 7 de la ley 16/1989, de 17 de julio, de Defensa de la Competencia (loi espagnole sur la protection de la concurrence, ci-après la « LDC ») (BOE n° 170, du 18 juillet 1989, p. 22747). Selon la requérante, les violations desdites dispositions résultent du fait que, d’une part, MAPFRE a résilié abusivement le contrat qui les liait à la suite du refus de la requérante d’apposer sans contrepartie le logo et la dénomination commerciale MAPFRE sur ses véhicules de dépannage. D’autre part, les tarifs fixés par MAPFRE pour les prestations de service d’assistance routière fournies par la requérante seraient inférieurs au coût réel desdites prestations.

5        Par lettre du 25 octobre 2005, le Servicio de Defensa de la Competencia a informé la requérante qu’il ne donnerait pas suite à sa plainte au motif qu’aucune disposition de la LDC invoquée par elle n’avait été violée. La requérante a alors introduit un recours en annulation de cette décision devant le Tribunal de Defensa de la Competencia (Tribunal de la concurrence, Espagne).

6        Par décision du 21 février 2006, le Tribunal de Defensa de la Competencia a rejeté le recours de la requérante (ci-après la « décision du Tribunal de Defensa de la Competencia »). La requérante a introduit un recours devant l’Audiencia Nacional (Audience nationale, Espagne) visant à l’annulation de cette décision.

7        Par jugement du 24 juillet 2008, l’Audiencia Nacional a rejeté le recours de la requérante au motif, en substance, qu’aucune violation des dispositions de la LDC invoquées par la requérante ne pouvait être retenue (ci-après le « jugement de l’Audiencia Nacional »).

8        Par décision du 14 avril 2009, le Tribunal Constitucional (Tribunal constitutionnel, Espagne) a rejeté comme irrecevable le recours que la requérante avait par ailleurs introduit devant cette juridiction au motif que ses droits constitutionnels auraient été violés.

9        Par lettre du 1er juillet 2009, la requérante a adressé une plainte à la Commission des Communautés européennes, relative au prétendu comportement anticoncurrentiel de MAPFRE.

10      Par courrier du 7 août 2009 (ci-après l’ « acte attaqué »), la directrice de la direction « Marchés – Services financiers » de la direction générale (DG) « Concurrence » de la Commission a répondu à la plainte de la requérante, en exposant, en substance, ce qui suit. Premièrement, s’agissant d’une prétendue violation de l’article 86 CE, ledit article ne s’appliquerait pas aux faits de l’espèce dès lors que rien n’indiquerait dans la plainte de la requérante que MAPFRE serait une entreprise publique ou une entreprise bénéficiant de droits spéciaux ou exclusifs. Deuxièmement, s’agissant d’une prétendue violation de l’article 81 CE, il n’existerait aucune indication dans la plainte de la requérante quant à l’existence d’accords entre entreprises d’assurance qui pourrait amener la Commission à ouvrir une enquête. Troisièmement, s’agissant d’une prétendue violation de l’article 82 CE, MAPFRE ne jouirait pas d’une position dominante dans la mesure où, selon les informations fournies par la requérante, celle-ci disposerait d’une part de marché de 20 %. Or, il serait peu probable qu’une entreprise détenant une part de marché inférieure à 40 % soit en position dominante. Partant, il n’existerait aucune indication dans la plainte de la requérante que les articles 81 CE, 82 CE et 86 CE aient été violés en l’espèce. La requérante a été également informée par ce courrier qu’aucune suite ne serait donnée à sa plainte.

 Procédure et conclusions des parties

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 octobre 2009, la requérante a introduit le présent recours.

12      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 22 décembre 2009, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité en vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

13      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 12 février 2010, la requérante a déposé ses observations en réponse à l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission.

14       La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’acte attaqué ;

–        constater que le rejet par les autorités de concurrence et les juridictions espagnoles de sa plainte constitue une violation des articles 81 CE et 82 CE ;

–        ordonner que la Commission prenne les mesures et les garanties nécessaires en vue de faire cesser l’activité illicite de MAPFRE et lui inflige les amendes et les sanctions appropriées, reconnaissant ainsi son droit à être indemnisée en raison des préjudices qu’elle affirme avoir subis ;

–        constater que les pratiques de MAPFRE ayant consisté à lui imposer unilatéralement ses tarifs, à exiger de manière injustifiée la prestation de services dans des conditions qui n’étaient pas stipulées au contrat qui les liait, à la menacer de résilier ledit contrat et à le résilier ensuite, constituent une violation de la LDC et des articles 81 CE et 82 CE ;

–        condamner la Commission aux dépens.

15       La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le présent recours irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

16      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité, l’incompétence ou sur un incident, sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier pour statuer sur la demande présentée par la Commission, sans qu’il y ait lieu d’ouvrir la procédure orale.

17      À l’appui de son exception d’irrecevabilité, la Commission soulève quatre fins de non-recevoir. Par sa première fin de non-recevoir, la Commission estime que la requête n’est pas conforme aux exigences de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure. Par sa deuxième fin de non-recevoir, la Commission considère que l’acte attaqué ne constitue pas un acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation. Par sa troisième fin de non-recevoir, la Commission soutient que le présent recours a pour objet l’annulation de son refus, dans l’acte attaqué, d’engager une procédure en manquement contre le Royaume d’Espagne en vertu de l’article 226 CE. Par sa quatrième fin de non-recevoir, la Commission soulève l’irrecevabilité partielle du recours pour autant que la requérante demande au Tribunal de prendre des mesures déterminées contre MAPFRE.

18      Le Tribunal estime opportun de commencer l’examen de la recevabilité du présent recours par la troisième fin de non-recevoir soulevée par la Commission.

 Sur la troisième fin de non-recevoir, tirée du fait que le présent recours a pour objet une demande d’annulation du refus de la Commission d’engager une procédure en manquement contre le Royaume d’Espagne en vertu de l’article 226 CE

 Arguments des parties

19      La Commission fait observer qu’il ressort de la requête que la requérante demande l’annulation de l’acte attaqué au motif, en substance, que la décision du Tribunal de Defensa de la Competencia et le jugement de l’Audiencia Nacional violent les articles 1, 6 et 7 de la LDC et les articles 81 CE et 82 CE. Dès lors, le présent recours serait irrecevable dans la mesure où il viserait à obtenir l’annulation du refus de la Commission d’engager une procédure en manquement contre le Royaume d’Espagne en vertu de l’article 226 CE. En effet, selon une jurisprudence constante, un tel refus ne serait pas susceptible de faire l’objet d’un recours par des particuliers.

20      La requérante n’avance aucun argument spécifique afin de s’opposer à la troisième fin de non-recevoir soulevée par la Commission.

 Appréciation du Tribunal

21      Par sa troisième fin de non-recevoir, la Commission fait valoir, en substance, que, compte tenu de son objet, le présent recours est irrecevable.

22      En premier lieu, il convient de constater d’abord que, par son premier chef de conclusions, la requérante demande expressément l’annulation de l’acte attaqué. De plus, dans le corps de sa requête, elle indique que son recours est fondé « sur une violation des articles 81 CE et 82 CE ».

23      Toutefois, d’une part, il convient de relever que, à l’appui de son premier chef de conclusions, la requérante se borne à soutenir que « les décisions rendues tant [par le Tribunal de Defensa de la Competencia que par l’Audiencia Nacional] ne sont ni conformes aux règles communautaires ni à la législation espagnole en matière de concurrence lorsqu’ils considèrent que le comportement de [MAPFRE] est adéquat et légal en ce qui concerne les faits dénoncés dans la plainte ». En effet, il importe de constater que l’ensemble des arguments qu’elle avance au soutien de sa demande d’annulation de l’acte attaqué vise à contester la légalité du jugement de l’Audiencia Nacional au regard des articles 1, 6 et 7 de la LDC et des articles 81 CE et 82 CE. Ainsi, s’agissant notamment de la prétendue violation de l’article 7 de la LDC et de l’article 81 CE, elle considère que, « indépendamment du fait que [le jugement de l’Audiencia Nacional] ne soit pas suffisamment motivé et fondé en droit, ce qui le rend arbitraire et incongru, […] il présente une incohérence évidente en acceptant les éléments de fait [établis dans la décision du Tribunal de Defensa de la Competencia] et, dans certains cas, la lettre de [l’article 7 de la LDC] et de l’article 81 CE invoqué tout en rejetant le recours ».

24      D’autre part, la requérante reconnaît expressément, dans la section « résumé » de la requête, que, « en fin de compte, [elle introduit] le présent recours en annulation en vue d’obtenir l’annulation et le retrait de l’[acte attaqué] qui considère que [la décision du Tribunal de Defensa de la Competencia et le jugement de l’Audiencia Nacional] sont conformes au droit ». À cet égard, il importe de relever que, en affirmant que « les autorités de la concurrence et les juridictions espagnoles n’ont pas respecté le mandat conféré en vertu du traité CE et du [règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 CE et 82 CE (JO 2003, L 1, p. 1)], qui garantissent la mise en œuvre effective des règles de concurrence communautaires ainsi que le fonctionnement correct des mécanismes de coopération », la requérante fait valoir, à tout le moins implicitement, que le Tribunal devrait annuler l’acte attaqué en raison du fait que la Commission était tenue, conformément auxdites dispositions, de constater l’illégalité de la décision du Tribunal de Defensa de la Competencia et du jugement de l’Audiencia Nacional.

25      À la lumière des constatations exposées aux points 23 et 24 ci-dessus, il convient donc de constater que, comme la Commission l’affirme sans être contredite par la requérante, cette dernière demande, par son premier chef de conclusions et dans le corps de la requête, l’annulation de l’acte attaqué en raison du fait que la Commission aurait refusé à tort, compte tenu de l’illégalité de la décision du Tribunal de Defensa de la Competencia et du jugement de l’Audiencia Nacional, d’engager une procédure en manquement contre le Royaume d’Espagne au titre de l’article 226 CE.

26      Or, à supposer même que l’acte attaqué puisse être interprété comme un refus de la Commission d’engager une procédure en manquement contre le Royaume d’Espagne au titre de l’article 226 CE, il convient de constater que, selon une jurisprudence constante, un tel refus de la Commission n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours par un particulier. En effet, la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire excluant le droit pour les particuliers d’exiger de l’institution qu’elle prenne position dans un sens déterminé et d’introduire un recours en annulation contre son refus d’agir (voir arrêt de la Cour du 17 mai 1990, Sonito e.a./Commission, C‑87/89, Rec. p. I‑1981, points 6 et 7, et la jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 14 janvier 2004, Makedoniko Metro et Michaniki/Commission, T‑202/02, Rec. p. II‑181, point 46, et la jurisprudence citée).

27      Dès lors, pour autant que la requérante demande au Tribunal, par son premier chef de conclusions et dans le corps de la requête, d’annuler l’acte attaqué en raison du fait que la Commission y aurait refusé à tort d’engager une procédure en manquement au titre de l’article 226 CE, une telle demande est irrecevable. Cette solution n’est, au demeurant, pas remise en cause par l’article 258 TFUE, lequel ne modifie pas la teneur de l’article 226 CE.

28      En deuxième lieu, pour autant que la requérante demande au Tribunal, par son deuxième chef de conclusions, de constater que le Tribunal de Defensa de la Competencia et l’Audiencia Nacional ont violé les articles 81 CE et 82 CE, il y a lieu de relever que cette demande est irrecevable. En effet, conformément à l’article 230 CE, le Tribunal n’est pas compétent pour exercer un contrôle de légalité des décisions adoptées par les autorités nationales de concurrence ou des jugements rendus par les juridictions nationales. Cette solution n’est, au demeurant, pas remise en cause par l’article 263 TFUE, lequel ne confère pas une compétence au Tribunal pour revoir de telles décisions ou jugements.

29      En troisième lieu, pour autant que la requérante demande au Tribunal, par ses troisième et quatrième chefs de conclusions, premièrement, d’ordonner à la Commission de prendre les « mesures et les garanties nécessaires » afin de faire cesser la prétendue activité illicite de MAPFRE et d’imposer à cette dernière les « amendes et les sanctions appropriées », de sorte que son droit à voir son supposé préjudice indemnisé soit reconnu et, deuxièmement, de constater que les faits dénoncés constituent une violation de la LDC et des articles 81 CE et 82 CE, il y a lieu de constater que ces demandes sont également irrecevables. En effet, outre le fait que le Tribunal ne saurait exercer son contrôle de légalité au regard des dispositions nationales de droit de la concurrence invoquées par la requérante, dès lors que ces dernières ne le lient pas, il ressort de la jurisprudence qu’il ne lui appartient pas, dans le cadre de l’exercice dudit contrôle, d’adresser des injonctions aux institutions ou de se substituer à ces dernières (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 12 juin 1997, Tiercé Ladbroke/Commission, T‑504/93, Rec. p. II‑923, point 45, et du 27 janvier 1998, Ladbroke Racing/Commission, T‑67/94, Rec. p. II‑1, points 199 et 200).

30      À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient d’accueillir la troisième fin de non-recevoir soulevée par la Commission.

31      Partant, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres fins de non-recevoir soulevées par la Commission, il y a lieu de rejeter le présent recours comme irrecevable.

 Sur les dépens

32      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Grúas Abril Asistencia, SL, est condamnée aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 24 août 2010.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       I. Pelikánová


* Langue de procédure : l’espagnol.