Language of document : ECLI:EU:C:2022:569

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

14 juillet 2022 (*)

« Recours en annulation – Droit institutionnel – Organes et organismes de l’Union européenne – Autorité européenne du travail (ELA) – Compétence en matière de fixation du siège – Article 341 TFUE – Champ d’application – Décision adoptée par les représentants des gouvernements des États membres en marge d’une réunion du Conseil – Compétence de la Cour au titre de l’article 263 TFUE – Auteur et nature juridique de l’acte – Absence d’effets contraignants dans l’ordre juridique de l’Union »

Dans l’affaire C‑743/19,

ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduit le 9 octobre 2019,

Parlement européen, représenté par Mme I. Anagnostopoulou, MM. C. Biz et L. Visaggio, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bauer, J. Bauerschmidt et E. Rebasti, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par :

Royaume de Belgique, représenté par M. J.‑C. Halleux, Mmes M. Jacobs, C. Pochet et L. Van den Broeck, en qualité d’agents,

République tchèque, représentée par Mmes L. Březinová, D. Czechová, K. Najmanová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

Royaume de Danemark, représenté par M. M. Jespersen, Mme V. Pasternak Jørgensen, M. J. Nymann-Lindegren et Mme M. Søndahl Wolff, en qualité d’agents,

Irlande, représentée par Mme M. Browne, Mme G. Hodge, M. A. Joyce et Mme J. Quaney, en qualité d’agents, assistés de M. D. Fennelly, BL,

République hellénique, représentée par M. K. Boskovits et Mme E.‑M. Mamouna, en qualité d’agents,

Royaume d’Espagne, représenté par Mmes S. Centeno Huerta et A. Gavela Llopis, en qualité d’agents,

République française, représentée par Mmes A. Daly, A.‑L. Desjonquères, MM. E. Leclerc et T. Stehelin, en qualité d’agents,

Grand-Duché de Luxembourg, représenté par MM. A. Germeaux, C. Schiltz et T. Uri, en qualité d’agents,

Hongrie, représentée par M. M. Z. Fehér et Mme K. Szíjjártó, en qualité d’agents,

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme M. K. Bulterman, MM. J. M. Hoogveld et J. Langer, en qualité d’agents,

République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

République slovaque, représentée par Mmes E. V. Drugda et B. Ricziová, en qualité d’agents,

République de Finlande, représentée par Mme M. Pere, en qualité d’agent,

parties intervenantes,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Arabadjiev, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, E. Regan, S. Rodin, I. Jarukaitis, N. Jääskinen et J. Passer, présidents de chambre, MM. J.‑C. Bonichot, M. Safjan, F. Biltgen, P. G. Xuereb, A. Kumin et N. Wahl (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : Mme R. Şereş, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 juin 2021,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 octobre 2021,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, le Parlement européen demande l’annulation de la décision (UE) 2019/1199 prise d’un commun accord entre les représentants des gouvernements des États membres, le 13 juin 2019, fixant le siège de l’Autorité européenne du travail (JO 2019, L 189, p. 68, ci-après la « décision attaquée »).

 Le cadre juridique

2        Le 12 décembre 1992, les représentants des gouvernements des États membres ont adopté d’un commun accord, sur le fondement de l’article 216 du traité CEE, de l’article 77 du traité CECA et de l’article 189 du traité CEEA, la décision relative à la fixation des sièges des institutions et de certains organismes et services des Communautés européennes (JO 1992, C 341, p. 1, ci‑après la « décision d’Édimbourg »).

3        L’article 1er de la décision d’Édimbourg fixait les sièges respectifs du Parlement européen, du Conseil de l’Union européenne, de la Commission européenne, de la Cour de justice de l’Union européenne, du Comité économique et social européen, de la Cour des comptes européenne et de la Banque européenne d’investissement.

4        Selon l’article 2 de cette décision :

« Le siège d’autres organismes et services créés ou à créer sera décidé d’un commun accord par les représentants des gouvernements des États membres lors d’un prochain Conseil européen, en tenant compte des avantages des dispositions ci‑dessus pour les États membres intéressés, et en donnant une priorité appropriée aux États membres qui, à l’heure actuelle, n’abritent pas le siège d’une institution des Communautés. »

5        L’article 341 TFUE prévoit que « [l]e siège des institutions de l’Union est fixé du commun accord des gouvernements des États membres ».

6        Aux termes du protocole no 6 sur la fixation des sièges des institutions et de certains organes, organismes et services de l’Union européenne (ci-après le « protocole no 6 »), annexé aux traités UE, FUE et CEEA :

« Les représentants des gouvernements des États membres,

Vu l’article 341 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’article 189 du traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique,

Rappelant et confirmant la décision du 8 avril 1965, et sans préjudice des décisions concernant le siège des institutions, organes, organismes et services à venir,

Sont convenus des dispositions ci-après [...] :

Article unique

a)      Le Parlement européen a son siège à Strasbourg [...].

b)      Le Conseil a son siège à Bruxelles. [...]

c)      La Commission a son siège à Bruxelles. [...]

d)      La Cour de justice de l’Union européenne a son siège à Luxembourg.

e)      La Cour des comptes a son siège à Luxembourg.

f)      Le Comité économique et social a son siège à Bruxelles.

g)      Le Comité des régions a son siège à Bruxelles.

h)      La Banque européenne d’investissement a son siège à Luxembourg.

i)      La Banque centrale européenne a son siège à Francfort.

j)      L’Office européen de police (Europol) a son siège à La Haye. »

 Les antécédents du litige

 Le règlement (UE) 2019/1149

7        Le 13 mars 2018, la Commission a adopté la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil instituant une Autorité européenne du travail [COM(2018) 131 final]. L’article 4 de cette proposition était libellé en ces seuls termes : « Le siège de l’Autorité se situe à/en [x] ».

8        À l’issue de négociations interinstitutionnelles qui se sont déroulées au cours des mois de janvier et de février 2019, les représentants du Parlement et du Conseil ont constaté qu’ils ne disposaient pas des éléments nécessaires pour fixer le siège de l’Autorité européenne du travail (ELA) et sont convenus de reporter ce choix à une date ultérieure. Il a ainsi été décidé, d’une part, de supprimer l’article 4 de la proposition de règlement mentionnée au point précédent et, d’autre part, d’indiquer les motifs de cette position dans une déclaration commune, à laquelle se joindrait la Commission, qui serait annexée au règlement une fois celui-ci adopté.

9        Le 20 juin 2019, le règlement (UE) 2019/1149 du Parlement européen et du Conseil instituant l’Autorité européenne du travail, modifiant les règlements (CE) no 883/2004, (UE) no 492/2011 et (UE) 2016/589, et abrogeant la décision (UE) 2016/344 (JO 2019, L 186, p. 21), a été adopté. Ledit règlement, publié au Journal officiel de l’Union européenne le 11 juillet 2019, ne contenait aucune disposition relative à la fixation du siège de l’ELA.

10      Aux termes de la déclaration commune du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2019, L 188, p. 131), adoptée concomitamment au règlement 2019/1149 et publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 12 juillet 2019 :

« Le Parlement européen, le Conseil et la Commission notent que le processus de sélection du siège de l’[ELA] n’est pas encore achevé au moment de l’adoption de son règlement fondateur.

Rappelant leur attachement à une coopération sincère et transparente et évoquant les traités, les trois institutions reconnaissent la valeur des échanges d’informations dès les premières étapes du processus de sélection du siège de l’[ELA].

Grâce à un tel échange précoce d’informations, les trois institutions seraient mieux à même d’exercer les droits que leur confèrent les traités tout au long des procédures concernées.

Le Parlement européen et le Conseil prennent note de l’intention de la Commission de prendre toutes les mesures nécessaires pour que le règlement fondateur prévoie une disposition relative à l’emplacement du siège de l’[ELA], et propre à garantir l’autonomie de son fonctionnement, conformément audit règlement. »

 La décision attaquée

11      Le 13 mars 2019, en marge d’une réunion du Comité des représentants permanents (Coreper), les représentants des gouvernements des États membres ont approuvé d’un commun accord la procédure et les critères permettant de décider du siège de l’ELA.

12      Les règles de sélection retenues précisaient que la décision fixant le siège de l’ELA serait fondée sur des critères analogues à ceux énoncés dans l’approche commune figurant en annexe de la déclaration commune du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, du 19 juillet 2012, sur les agences décentralisées (ci-après la « déclaration commune de 2012 »). Ces critères étaient relatifs, premièrement, à l’équilibre géographique, deuxièmement, à la date à laquelle l’agence concernée peut être établie sur le site après l’entrée en vigueur de son acte fondateur, troisièmement, à l’accessibilité du site d’implantation, quatrièmement, à l’existence d’établissements scolaires adéquats pour les enfants du personnel de l’agence, et, cinquièmement, à un accès adéquat au marché du travail, à la sécurité sociale et aux soins médicaux pour les enfants et les conjoints.

13      Les règles de la procédure de sélection prévoyaient également que toute offre concernant l’accueil d’une telle entité devrait être adressée au secrétaire général du Conseil, avec copie au secrétaire général de la Commission, et qu’elle serait publiée sur le site Internet du Conseil ; que la Commission procéderait à un examen général de toutes les offres et préciserait dans quelle mesure chaque offre répond aux critères retenus ; que le secrétaire général du Conseil transmettrait ensuite cette évaluation aux États membres et la rendrait publique, et qu’une discussion politique entre les représentants des gouvernements des États membres serait par la suite tenue en marge d’une réunion du Coreper. Ces mêmes règles précisaient que la procédure de vote aurait lieu ultérieurement en marge d’une session du Conseil « Emploi, politique sociale, santé et consommateurs » (EPSCO) à Luxembourg ; qu’elle se composerait de tours de scrutin successifs sans tirage au sort, jusqu’à ce qu’une offre recueille la majorité des voix, et que la décision finale, qui tiendrait compte du résultat de la procédure de vote, serait adoptée d’un commun accord entre les représentants des gouvernements des États membres lors de la même session.

14      Le 5 juin 2019, sur le fondement de l’évaluation réalisée par la Commission des quatre offres présentées, à savoir Sofia (Bulgarie), Nicosie (Chypre), Riga (Lettonie) et Bratislava (Slovaquie), les représentants des gouvernements des États membres ont eu un échange de vues sur ces offres en marge d’une réunion du Coreper.

15      Le 13 juin 2019, en marge d’une réunion du Conseil et à l’issue d’un vote visant à départager les quatre États membres ayant proposé d’accueillir l’ELA, les représentants des gouvernements des États membres ont adopté la décision attaquée, qui a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 15 juillet 2019.

16      L’article 1er de cette décision est formulé en ces termes :

« L’[ELA] a son siège à Bratislava. »

 Les conclusions des parties

17      Le Parlement demande à la Cour :

–        d’annuler la décision attaquée et

–        de condamner le Conseil aux dépens.

18      Le Conseil demande à la Cour :

–        de rejeter le recours comme étant irrecevable ou comme étant non fondé ;

–        de condamner le Parlement aux dépens, et,

–        dans l’hypothèse où le recours serait accueilli, de maintenir les effets de la décision attaquée pendant la durée nécessaire à la détermination du nouveau siège de l’ELA.

 La procédure devant la Cour

19      Par décision du président de la Cour du 7 janvier 2020, la République slovaque a été admise à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

20      Par décision du président de la Cour du 3 février 2020, la République hellénique, le Royaume d’Espagne et le Royaume des Pays-Bas ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

21      Par décision du président de la Cour du 4 février 2020, le Royaume de Belgique, la République tchèque, le Royaume du Danemark, l’Irlande, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, la Hongrie, la République de Pologne et la République de Finlande ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

22      Le 20 novembre 2020, le Parlement européen a, en vertu de l’article 16, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, demandé que la Cour siège en grande chambre dans la présente affaire.

 Sur la compétence de la Cour

 Argumentation des parties

23      Le  Conseil, auquel se rallie l’ensemble des gouvernements des États membres intervenants, soutient que le recours du Parlement est manifestement irrecevable.

24      Tout d’abord, la décision attaquée serait imputable non pas au Conseil mais aux États membres. Or, ainsi que le confirme la jurisprudence, ces derniers seraient dépourvus de légitimation passive. Ensuite, cette décision aurait été prise sur le fondement de l’article 341 TFUE, lequel s’appliquerait non seulement à la fixation du siège des institutions de l’Union énumérées à l’article 13 TUE, mais également à la fixation du siège des organes et des organismes de l’Union, de sorte que ladite décision échapperait au contrôle de la Cour au titre de l’article 263 TFUE. Enfin, le Conseil indique que l’adoption de cette même décision par les États membres ne fait nullement obstacle à un contrôle juridictionnel efficace. En tout état de cause, la nécessité d’assurer un tel contrôle ne saurait, selon lui, engendrer la création de voies de recours autres que celles prévues par les traités.

25      Le Parlement estime que le caractère attaquable, au sens de l’article 263 TFUE, de la décision attaquée et, partant, la recevabilité du recours sont avérés.

26      Selon le Parlement, cette décision est de toute évidence un acte juridiquement contraignant de l’Union. Tout d’abord, il importerait de se référer à la dénomination formelle de « décision », qui désigne, en vertu de l’article 288, quatrième alinéa, TFUE, un acte obligatoire dans tous ses éléments. Ensuite, ladite décision serait un acte qui a été adopté en vertu de l’article 341 TFUE, c’est-à-dire d’une disposition des traités qui prévoit l’adoption d’actes contraignants, et qui vise à déterminer où le lieu du siège des agences de l’Union doit être fixé. Enfin, cette même décision aurait été publiée dans la série L du Journal officiel de l’Union européenne, qui est réservée aux actes normatifs.

27      S’agissant de l’auteur effectif de la décision attaquée, le Parlement considère que, en dépit de la référence faite dans le titre de celle-ci au « commun accord des représentants des gouvernements des États membres », il s’agirait du Conseil.

28      À l’appui de cette position, le Parlement fait valoir, premièrement, que les documents relatifs à la procédure de sélection et le projet à l’origine de la décision attaquée portent l’en-tête du « Conseil de l’Union européenne », ce qui laisse à penser que ce dernier en a assumé la paternité. Deuxièmement, le processus ayant précédé l’adoption de cette décision aurait reposé sur les structures administratives ainsi que sur les instances préparatoires du Conseil, en particulier sur le Coreper visé à l’article 240, paragraphe 1, TFUE. Troisièmement, l’implication d’un ministre roumain dans ce processus décisionnel démontrerait que la présidence du Conseil visée à l’article 16, paragraphe 9, TUE a agi en cette qualité dans le cas d’espèce. Quatrièmement, dès lors que l’article 297, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE prévoit que certains actes non législatifs doivent être signés par le président de l’institution qui les a adoptés, le fait que le ministre roumain a signé la décision attaquée établirait que celui-ci a agi dans le cadre de ses fonctions de président en exercice du Conseil.

29      À cet égard, le Parlement rappelle que, en vertu de la jurisprudence, il ne suffit pas qu’un acte soit qualifié de décision des États membres pour échapper au contrôle de légalité de la Cour. Il serait également nécessaire d’établir que l’acte en question, eu égard à son contenu et à l’ensemble des circonstances dans lesquelles il a été adopté, ne constitue pas en réalité une décision du Conseil (arrêt du 30 juin 1993, Parlement/Conseil et Commission, C‑181/91 et C‑248/91, EU:C:1993:271, point 14). Or, ce constat ne pourrait pas se faire sans procéder à l’examen du contenu de l’acte et de ses effets juridiques. Il en irait d’autant plus ainsi que, en l’espèce, la décision attaquée empiète sur le pouvoir conféré au législateur de l’Union par les articles 46 et 48 TFUE.

30      À titre subsidiaire, quand bien même il devrait être considéré que la décision attaquée émane des États membres et non du Conseil, le présent recours n’en resterait pas moins recevable. En effet, il s’agirait toujours d’un acte de l’Union destiné à produire des effets juridiques à l’égard de tiers dans deux domaines relevant de la compétence de l’Union, à savoir la libre circulation des travailleurs et la coordination des systèmes de sécurité sociale des États membres. Il serait dès lors manifeste que la fixation du lieu du siège de l’ELA par la décision attaquée affecte directement une matière déjà réglementée par le législateur de l’Union avec la création de cette autorité et contribue à créer une situation juridique opposable aux tiers.

31      Le Parlement souligne que remettre en cause le caractère attaquable de la décision attaquée au titre de l’article 263 TFUE reviendrait à soustraire à tout contrôle juridictionnel un acte juridiquement contraignant de l’Union adopté en vertu d’une disposition des traités. En effet, il n’existerait aucune autre voie de recours permettant de vérifier si la compétence revendiquée par les États membres en vertu de l’article 341 TFUE existe réellement pour la fixation du siège d’organismes de l’Union, tels que l’ELA, ou si, ainsi que le soutient le Parlement, les États membres ont, en recourant à l’article 341 TFUE, empiété sur le pouvoir conféré au législateur de l’Union par les articles 46 et 48 TFUE.

32      Le Parlement considère que, bien que les actes des États membres ne figurent pas parmi ceux énumérés à l’article 263, premier alinéa, TFUE, la Cour doit se déclarer compétente pour vérifier le respect des compétences attribuées aux institutions par les traités, au sens de l’article 13, paragraphe 2, TUE. Le fait de soustraire la décision attaquée au contrôle de la Cour au motif qu’il s’agit d’un acte des États membres reviendrait à priver celle-ci de la possibilité de vérifier si les pouvoirs du législateur de l’Union ont été respectés et, le cas échéant, de mettre un terme à la violation desdits pouvoirs en annulant cette décision.

33      Une telle solution serait, en outre, en contradiction avec les principes de l’État de droit, selon lesquels ni les États membres ni les institutions de l’Union n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes aux traités (arrêt du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83,  EU:C:1986:166, point 23). À cet égard, le Parlement estime que ces principes constituent le fondement de la compétence générale que l’article 19 TUE confère à la Cour pour assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités (arrêt du 24 juin 2014, Parlement/Conseil, C‑658/11, EU:C:2014:2025, point 70).

34      Dans sa réplique, le Parlement relève que la jurisprudence invoquée par le Conseil se rapporte à des actes adoptés par les États membres hors du cadre défini par les traités. Or, selon le Parlement, la décision attaquée serait un acte juridique de l’Union, adopté sur la base d’une compétence conférée par les traités, à savoir celle découlant de l’article 341 TFUE. En effet, la principale question juridique soulevée par le présent recours concernerait précisément la question de savoir si cette compétence peut être exercée pour fixer le siège de l’ELA.

 Appréciation de la Cour

35      L’Union européenne est une Union de droit dotée, par le traité FUE, d’un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour le contrôle de la légalité des actes des institutions (voir, en ce sens, arrêts du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, EU:C:1986:166, point 23 ; du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 281, ainsi que du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement, C‑650/18, EU:C:2021:426, point 34 et jurisprudence citée).

36      S’agissant du recours en annulation prévu à l’article 263 TFUE, il est ouvert à l’égard de toutes dispositions prises par les institutions, organes et organismes de l’Union, indépendamment de la nature ou de la forme de celles-ci, qui visent à produire des effets de droit obligatoires (voir, en ce sens, arrêts du 31 mars 1971, Commission/Conseil, 22/70, EU:C:1971:32, point 42, ainsi que du 3 juin 2021, Hongrie/Parlement, C‑650/18, EU:C:2021:426, point 37 et jurisprudence citée).

37      Cela étant, dans le cadre du recours en annulation visé à l’article 263 TFUE, le juge de l’Union n’est compétent que pour contrôler la légalité des actes imputables aux institutions, aux organes et aux organismes de l’Union. Il en résulte, notamment, que les actes adoptés par les représentants des gouvernements des États membres agissant non pas en qualité de membres du Conseil ou du Conseil européen mais en qualité de représentants de leur gouvernement et exerçant ainsi collectivement les compétences des États membres ne sont pas soumis au contrôle de légalité exercé par le juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 1993, Parlement/Conseil et Commission, C‑181/91 et C‑248/91, EU:C:1993:271, point 12, ainsi que ordonnance du 16 juin 2021, Sharpston/Conseil et représentants des gouvernements des États membres, C‑685/20 P, EU:C:2021:485, point 46).

38      Toutefois, il ne suffit pas que la décision faisant l’objet d’un recours soit formellement présentée comme étant une décision des États membres pour que cet acte échappe au contrôle de légalité institué à l’article 263 TFUE. Encore faut-il que ledit acte, eu égard à son contenu et à l’ensemble des circonstances dans lesquelles il a été adopté, ne constitue pas en réalité une décision du Conseil (voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 1993, Parlement/Conseil et Commission, C‑181/91 et C‑248/91, EU:C:1993:271, point 14).

39      En l’occurrence, la décision attaquée doit être appréhendée à l’aune du cadre juridique applicable à la fixation du siège des organes et des organismes de l’Union. Or, à cet égard, les parties s’opposent sur le point de savoir si l’article 341 TFUE, aux termes duquel le siège des « institutions » est fixé « du commun accord des gouvernements des États membres », peut valablement être invoqué comme fondement des décisions relatives à la détermination du siège de ces organes et de ces organismes.

40      En effet, d’un côté, le Conseil et les États membres intervenant au soutien des conclusions de celui-ci font valoir que cet article doit être interprété de manière large, comme visant par extension lesdits organes et organismes, de telle sorte que la compétence relative à la fixation du siège d’un tel organe ou organisme incombe aux seuls représentants des gouvernements des États membres statuant d’un commun accord. Il en résulterait que la décision attaquée, en tant qu’acte émanant des États membres et non du Conseil, échappe au contrôle de légalité de la Cour au titre de l’article 263 TFUE.

41      De l’autre côté, le Parlement considère que la décision de fixation du siège d’une agence de l’Union ne relève pas du champ d’application de l’article 341 TFUE, mais entre dans les compétences du législateur de l’Union. Il en déduit que la décision attaquée est nécessairement imputable au Conseil et ne saurait, par conséquent, échapper au contrôle de légalité exercé par la Cour. En tout état de cause, même dans l’hypothèse où il devrait être considéré que cette décision est attribuable aux États membres, le présent recours devrait être déclaré recevable en ce qu’il est dirigé contre l’« auteur effectif » de cette décision.

42      Il importe donc, dans un premier temps, de déterminer si la décision relative à la désignation du siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union doit être prise par les États membres, en vertu de la règle énoncée à l’article 341 TFUE, ou si elle doit l’être par le législateur de l’Union, en vertu de la base juridique matérielle applicable au domaine dans lequel l’organe ou l’organisme en question est appelé à intervenir.

 Sur la compétence en matière de fixation du lieu du siège des organes et des organismes de l’Union

43      Selon une jurisprudence constante de la Cour, lors de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci et des objectifs qu’elle poursuit, mais également de son contexte. La genèse d’une disposition du droit de l’Union peut également revêtir des éléments pertinents pour son interprétation (voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 47 et jurisprudence citée).

44      Ainsi, il convient d’examiner, sur la base de ces méthodes d’interprétation, si l’article 341 TFUE s’applique aux décisions relatives à la fixation du siège des organes et des organismes de l’Union.

45      En premier lieu, en ce qui concerne les termes de l’article 341 TFUE, ceux-ci se réfèrent aux seules « institutions de l’Union ». Or, conformément à l’article 13, paragraphe 1, TUE, la notion d’« institutions » renvoie à une liste précise d’entités qui n’inclut pas les organes et les organismes de l’Union, notamment, les agences de celle-ci.

46      En deuxième lieu, s’agissant du contexte dans lequel l’article 341 TFUE s’inscrit, il y a lieu de souligner, tout d’abord, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 94 de ses conclusions, qu’un certain nombre de dispositions des traités ont été modifiées par le traité de Lisbonne en vue d’y inclure une référence expresse aux « organes et [aux] organismes de l’Union », ce qui a eu pour effet d’opérer explicitement une distinction entre, d’un côté, les institutions de l’Union expressément visées à l’article 13, paragraphe 1, TUE et, de l’autre, les organes et les organismes de l’Union. Ainsi, alors que certaines dispositions du traité FUE visent seulement les institutions de l’Union, d’autres de ses dispositions, telles que les articles 15, 16, 123, 124, 127, 130, 228, 263, 265, 267, 282, 298 et 325, se réfèrent, plus largement, aux institutions, aux organes et aux organismes de l’Union. Tel est en particulier le cas, s’agissant de la compétence de la Cour, des articles 263, 265 et 267 TFUE.

47      Or, force est de constater que le libellé de l’article 341 TFUE, qui ne vise que les « institutions », correspond à celui des dispositions ayant précédé cet article, à savoir l’article 216 du traité CEE (devenu article 216 du traité CE, lui-même devenu article 289 CE).

48      La circonstance, mise en avant par le Conseil, que les dispositions de la septième partie du traité FUE, dans laquelle s’insère l’article 341 TFUE, intitulée « Dispositions générales et finales », mentionnent les « institutions » ne saurait donc être interprétée, alors même que, ainsi qu’il résulte du point 46 du présent arrêt, le traité UE opère une distinction nette entre les institutions de l’Union, d’une part, et les organes et les organismes de celle-ci, d’autre part, comme une manifestation de l’intention des auteurs des traités de conférer à la notion d’« institutions » une compréhension extensive, en ce sens que cette dernière engloberait non seulement les entités énumérées à l’article 13, paragraphe 1, TUE, mais également les organes et les organismes de l’Union institués par les traités, ou en vertu de ceux-ci, et destinés à contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union. Il en va d’autant plus ainsi que le traité UE et le traité FUE constituent une base constitutionnelle unitaire pour l’Union en vertu de l’article 1er, troisième alinéa, TUE et de l’article 1er, paragraphe 2, TFUE, si bien que la définition de la notion d’« institutions » figurant à l’article 13, paragraphe 1, TUE et la distinction entre ces institutions, d’une part, et les organes et les organismes de l’Union, d’autre part, doivent valoir de manière transversale et uniforme dans les deux traités.

49      Ne saurait non plus être déterminante l’interprétation large donnée par la Cour à la notion d’« institutions », au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, lequel énonce que, « [e]n matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions ».

50      En effet, si la Cour a jugé que la notion d’« institutions », au sens de cette dernière disposition, englobe non seulement les institutions de l’Union énumérées à l’article 13, paragraphe 1, TUE, mais aussi l’ensemble des organes et des organismes de l’Union institués par les traités, ou en vertu de ceux-ci, et destinés à contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union (arrêt du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a., C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028, point 80 et jurisprudence citée), elle s’est explicitement fondée, pour dégager cette jurisprudence, sur la circonstance, d’une part, que les organes et les organismes de l’Union institués par les traités ou en vertu de ceux-ci sont destinés à contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union et, d’autre part, qu’il serait contraire à l’intention des auteurs des traités que, lorsqu’elle agit par l’intermédiaire d’un organe ou d’un organisme, l’Union puisse échapper aux conséquences des dispositions des traités régissant la responsabilité non contractuelle de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 2 décembre 1992, SGEEM et Etroy/BEI, C‑370/89, EU:C:1992:482, points 13 à 16).

51      Ainsi, l’interprétation large donnée par la Cour à la notion « d’institutions », aux fins de l’application de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, répond au besoin, justifié par les principes généraux communs aux droits des États membres visés expressément à cette disposition, d’éviter que l’Union puisse se soustraire à l’application du régime de responsabilité non contractuelle relevant de l’article 268 TFUE, lu conjointement avec l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, et au contrôle juridictionnel de la Cour qui en découle, lorsqu’elle agit par l’intermédiaire d’un organe ou d’un organisme de l’Union distinct des institutions énumérées à l’article 13, paragraphe 1, TUE (voir, par analogie, arrêt du 2 décembre 1992, SGEEM et Etroy/BEI, C‑370/89, EU:C:1992:482, points 14 et 16). Il doit d’autant plus en aller ainsi que, comme M. l’avocat général l’a indiqué au point 100 de ses conclusions, la notion d’« agents » visée à l’article 340, deuxième alinéa, TFUE englobe d’un point de vue fonctionnel l’ensemble du personnel travaillant pour l’Union, que ce soit dans les institutions ou dans les organes et les organismes de cette dernière.

52      En conséquence, l’interprétation donnée à la notion d’« institutions » au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, qui régit l’étendue de la responsabilité extracontractuelle de l’Union, ne saurait utilement être invoquée aux fins de définir par analogie le champ d’application de l’article 341 TFUE, relatif à l’étendue des compétences réservées aux États membres en vertu des traités.

53      Le Conseil ne saurait non plus utilement se prévaloir de la notion d’« institutions » figurant à l’article 342 TFUE, aux termes duquel « [l]e régime linguistique des institutions de l’Union est fixé, sans préjudice des dispositions prévues par le statut de la Cour de justice de l’Union européenne, par le Conseil statuant à l’unanimité par voie de règlements ». En effet, ainsi que l’a indiqué M. l’avocat général au point 98 de ses conclusions, la notion d’« institutions », au sens de ce dernier article, ne doit pas nécessairement être interprétée comme incluant les organes et les organismes de l’Union, dans la mesure où le régime linguistique d’un organe ou d’un organisme de l’Union peut être différent de celui en vigueur dans les institutions de celle-ci.

54      Quant au protocole no 6, si, ainsi que le fait valoir le Conseil, celui-ci fixe non seulement le siège des institutions de l’Union, mais aussi celui de certains organes et organismes de l’Union, dont Europol, et se réfère à l’article 341 TFUE, il ne prévoit pas pour autant que les sièges des organes et des organismes de l’Union doivent être déterminés collectivement par les États membres en vertu du principe énoncé à cet article. À cet égard, il importe de faire observer que ces organes et organismes de l’Union ont pour caractéristique commune d’avoir été créés par les États membres, alors que tel n’est pas le cas d’une agence de l’Union telle que l’ELA, qui a été créée, sur la base des traités fondateurs, par le législateur de l’Union. Ainsi, il ne saurait être inféré de ce protocole une volonté des États membres d’appliquer, directement ou par analogie, le principe énoncé à cet article à la fixation du siège de l’ensemble des organes et des organismes de l’Union.

55      Comme l’a relevé M. l’avocat général au point 112 de ses conclusions, l’adoption d’un protocole spécifique témoigne, au contraire, du fait que les États membres ont considéré que leur décision collective quant à la fixation du siège de certains organes et organismes de l’Union limitativement énumérés devait spécifiquement être inscrite dans le droit primaire afin de produire des effets juridiques dans le droit de l’Union.

56      Quant au renvoi explicite, dans le protocole no 6, à l’article 341 TFUE, il s’explique par le fait que ce protocole vise, au premier chef, les institutions mentionnées à l’article 13, paragraphe 1, TUE.

57      En outre, il est vrai, ainsi qu’il ressort de l’article 2 de la décision d’Édimbourg, que les représentants des gouvernements des États membres ont exprimé le souhait de se réserver les décisions relatives aux sièges des organes et des organismes de l’Union de la même manière qu’ils sont expressément et clairement habilités par l’article 341 TFUE à établir le siège des institutions de l’Union. Par ailleurs, à l’occasion de la conférence intergouvernementale qui a conduit à l’adoption du traité d’Amsterdam, le texte de la décision d’Édimbourg a été repris en tant que protocole annexé aux traités UE, CE, CECA et CEEA, devenu aujourd’hui le protocole no 6, annexé aux traités UE, FUE et CEEA.

58      Néanmoins, d’une part, l’article unique de ce dernier protocole ne fixe, dans des termes comparables à ceux de l’article 1er de la décision d’Édimbourg, le siège que d’institutions, d’organes ou d’organismes de l’Union créés par les États membres. D’autre part, bien que la Cour ait reconnu une valeur juridique contraignante à cette décision dans l’arrêt du 1er octobre 1997, France/Parlement (C‑345/95, EU:C:1997:450), auquel elle s’est référée dans d’autres arrêts ultérieurs [voir, en ce sens, arrêts du 13 décembre 2012, France/Parlement, C‑237/11 et C‑238/11, EU:C:2012:796, points 36 à 42, et du 2 octobre 2018, France/Parlement (Exercice du pouvoir budgétaire), C‑73/17, EU:C:2018:787, point 33], l’article 2 de ladite décision ne saurait conduire à retenir une interprétation de l’article 341 TFUE qui irait à l’encontre de son libellé clair.

59      Le Conseil se prévaut également, en tant qu’élément de contexte, de la pratique institutionnelle antérieure relative à la fixation du siège des organes et des organismes de l’Union et soutient que cette pratique bénéficie d’une « reconnaissance institutionnelle » par la déclaration commune de 2012 et l’approche commune qui y est annexée.

60      Toutefois, il ressort des éléments d’information qui ont été portés à la connaissance de la Cour dans le cadre de la présente affaire que la pratique alléguée est loin d’être généralisée. En effet, les procédures suivies en vue de la désignation du siège des organes et des organismes de l’Union soit ont été menées par les seuls États membres, soit ont impliqué, à des degrés variables et sur des fondements divers, les institutions de l’Union en leur qualité ou non d’acteurs de la procédure législative.

61      À supposer néanmoins qu’il soit possible, ainsi que le soutient le Conseil, d’identifier une pratique antérieure établie et cohérente, en vertu de laquelle les sièges des organes et des organismes de l’Union auraient systématiquement été fixés sur la base d’un choix politique opéré par les seuls représentants des gouvernements des États membres, l’interprétation de l’article 341 TFUE que le Conseil préconise sur la base de cette pratique ne saurait bénéficier d’une quelconque « reconnaissance institutionnelle » par la déclaration commune de 2012 et l’approche commune qui y est annexée. En effet, cette déclaration ne revêt, comme le souligne son cinquième alinéa, aucun caractère juridiquement contraignant et ne comporte, au demeurant, aucune reconnaissance d’une quelconque réserve de compétence des États membres en ce qui concerne la détermination du siège des organes et des organismes de l’Union.

62      En tout état de cause, une telle pratique, qui irait à l’encontre des règles du traité FUE et, en particulier, de l’article 341 TFUE, en étendant, en dépit de son libellé clair, le champ d’application de cet article à la fixation du siège des organes et des organismes de l’Union, ne saurait créer un précédent liant les institutions (voir, en ce sens, arrêt du 6 mai 2008, Parlement/Conseil, C‑133/06, EU:C:2008:257, point 60 et jurisprudence citée).

63      En troisième et dernier lieu, s’agissant de l’objectif de l’article 341 TFUE, celui-ci consiste à préserver les pouvoirs décisionnels des États membres dans la détermination du siège des seules institutions de l’Union. Contrairement à la position défendue par le Conseil lors de l’audience, une interprétation de cet article en ce sens qu’il ne s’applique pas aux organes et aux organismes de l’Union ne saurait avoir pour effet de le priver de tout effet utile, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 138 de ses conclusions. S’il est vrai que le siège des institutions de l’Union est déjà fixé par le droit primaire, en l’occurrence par le protocole no 6, l’article 341 TFUE n’en conserve pas moins une pertinence pour toute décision future éventuelle modifiant le siège d’une institution existante ou fixant le siège d’une nouvelle institution.

64      Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que, à la différence des institutions de l’Union, dont la création et les fonctions sont, du fait de leur importance constitutionnelle, prévues par les traités eux-mêmes, les organes et les organismes de l’Union, tels que l’ELA, dont l’objet est dédié à la réalisation des objectifs d’une politique donnée de l’Union, ne sont, en règle générale, pas créés par les traités. Dans ces conditions, leur création, à défaut de découler du droit primaire, doit résulter d’un acte de droit dérivé adopté sur le fondement des dispositions matérielles mettant en œuvre la politique de l’Union dans laquelle l’organe ou l’organisme concerné intervient et conformément aux procédures prévues par ces dispositions.

65      En l’absence d’autres précisions à cet égard dans les traités, il appartient, de même, au législateur de l’Union, conformément aux procédures prévues par les dispositions des traités matériellement pertinentes, de fixer le siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union qu’il a lui-même institué par un acte de droit dérivé pris sur le fondement de ces dispositions, à l’instar de la compétence qu’il détient, en vertu desdites dispositions, pour définir les compétences, l’organisation et le mode de fonctionnement de cet organe ou de cet organisme.

66      La décision relative à la fixation du siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union, tel qu’une agence de l’Union, est ainsi, contrairement à ce qu’avance le Conseil, consubstantielle à la décision relative à sa création.

67      Certes, la fixation du lieu du siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union peut tenir compte de considérations d’ordre politique, telles que la nécessité, dans l’implantation des organes ou des organismes de l’Union, de garantir un certain équilibre géographique ou de favoriser les États membres qui n’abritent pas encore le siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union.

68      Toutefois, le caractère politique de la décision fixant le lieu du siège d’un tel organe ou organisme de l’Union n’est pas en soi de nature à justifier que cette décision échappe à la compétence du législateur de l’Union, lequel est, en effet, régulièrement amené à opérer des choix politiques dans l’exercice des compétences de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2016, Allemagne/Parlement et Conseil, C‑113/14, EU:C:2016:635, point 55).

69      Par ailleurs, une telle décision doit principalement permettre de garantir la réalisation des missions confiées à l’organe ou à l’organisme de l’Union concerné en vue de la réalisation des objectifs d’une politique donnée.

70      Ne peut davantage prospérer la thèse selon laquelle le fait de lier la fixation du siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union à la base matérielle sur laquelle repose la création de celui-ci est susceptible d’aboutir, selon la base juridique pertinente, à soumettre cette fixation à un vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil, et non à une décision prise d’un commun accord des représentants des gouvernements des États membres, tout en faisant de ladite fixation un élément de compromis dans le cadre du débat législatif.

71      En effet, ainsi qu’il a été rappelé au point 68 du présent arrêt, le fait que la décision de fixation du lieu du siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union puisse revêtir une dimension politique importante, en ce qu’elle doit répondre notamment à des considérations relatives à l’équilibre géographique, n’empêche pas que cette décision puisse être prise par le législateur de l’Union conformément aux procédures prévues par les dispositions des traités matériellement pertinentes, cette dimension politique pouvant constituer, à cet égard, un élément dont le législateur de l’Union peut tenir compte dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation. Il importe, par ailleurs, de souligner que, le processus législatif de l’Union étant guidé, en vertu des dispositions combinées de l’article 1er, deuxième alinéa, et de l’article 10, paragraphe 3, TUE, par le principe de transparence à l’égard des citoyens, le recours à ce processus est de nature à renforcer l’assise démocratique d’une décision relative à la désignation du lieu du siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union, tel que l’ELA.

72      En outre, et plus fondamentalement, la circonstance qu’une décision, telle que celle portant sur la fixation du lieu du siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union, présente une sensibilité politique ne saurait conduire à la modification des compétences conférées par les traités aux institutions de l’Union ni à soustraire l’exercice de ces compétences aux procédures législatives prévues par les traités. La détermination de la portée d’une disposition des traités régissant une compétence matérielle de l’Union ne saurait ainsi dépendre de considérations liées au caractère politiquement sensible de la matière concernée ou au souci d’assurer l’efficacité d’une action.

73      Il résulte de l’ensemble de ces considérations, et notamment du libellé de l’article 341 TFUE, que cette disposition ne saurait être interprétée comme gouvernant la désignation du lieu du siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union tel que l’ELA.

74      Dans ces conditions, la compétence pour décider de la fixation du lieu du siège de cette agence appartient non pas aux États membres mais au législateur de l’Union, auquel il incombe d’agir à cette fin conformément aux procédures prévues par les dispositions des traités matériellement pertinentes, en l’occurrence les articles 46 et 48 TFUE, lesquels prévoient le recours à la procédure législative ordinaire.

75      C’est à la lumière de cette conclusion qu’il y a lieu de se prononcer, dans un second temps, sur la compétence de la Cour pour statuer sur le présent recours.

 Sur l’auteur de la décision attaquée et la compétence de la Cour au titre de l’article 263 TFUE

–       Sur l’auteur de la décision attaquée

76      Il convient, en premier lieu, de vérifier si la décision attaquée, qui a été prise en marge d’une réunion du Conseil par la conférence des représentants des gouvernements des États membres, est imputable à ces derniers.

77      S’agissant du contenu de la décision attaquée, il découle du libellé de celle-ci que cette décision constitue un acte des chefs d’État ou de gouvernement de 27 États membres adopté en marge d’une réunion du Conseil à l’issue d’une procédure intergouvernementale. En témoigne la référence explicite, dans le titre et au début du préambule de cette décision, aux « représentants des gouvernements des États membres ».

78      À cet égard, il convient de relever que la décision attaquée a été adoptée sur le fondement explicite de l’article 341 TFUE, les auteurs de cette décision ayant considéré que la mention faite aux « institutions », figurant dans cet article, devait être interprétée de manière extensive, c’est-à-dire comme visant non seulement les institutions précisément énumérées à l’article 13, paragraphe 1, TUE, mais également les organes et les organismes de l’Union.

79      En outre, il y a lieu de constater que les travaux préparatoires de la décision attaquée ont été menés à l’occasion de réunions des représentants des gouvernements des États membres qui se sont tenues en marge des réunions du Coreper du 13 mars 2019 et du 5 juin 2019.

80      Quant aux circonstances ayant entouré l’adoption de la décision attaquée, ni le fait que la procédure de sélection menée au niveau intergouvernemental en vue de la désignation du lieu du siège de l’ELA s’est déroulée dans les locaux du Conseil et avec l’assistance des services du secrétariat général du Conseil, ni le fait que les offres déposées dans le cadre de cette procédure de sélection ont été évaluées par la Commission, ni la circonstance que la décision attaquée a été signée par le représentant de l’État membre assurant, à la date de l’adoption de cette décision, la présidence du Conseil en application de l’article 16, paragraphe 9, TUE, en l’occurrence par le ministre de la Justice roumain, ne sont de nature à infirmer la conclusion selon laquelle ladite décision est imputable aux États membres, et non au Conseil.

81      En effet, d’une part, l’adoption d’un acte dans les locaux ou avec l’assistance d’une institution de l’Union ne confère pas en elle-même compétence à la Cour pour apprécier la légalité de cet acte (voir, par analogie, arrêt du 22 mars 1990, Le Pen, C‑201/89, EU:C:1990:133, points 11 et 16). D’autre part, la participation d’institutions de l’Union à l’élaboration d’une décision des représentants des gouvernements des États membres prise en marge d’une réunion du Conseil ne saurait déterminer la nature juridique et l’auteur de l’acte qui en découle.

82      Ainsi, la décision attaquée ne saurait, ni par son contenu ni par les circonstances dans lesquelles elle a été adoptée, être qualifiée d’acte du Conseil. Cette décision constitue au contraire un acte pris collectivement et d’un commun accord par les représentants des gouvernements des États membres.

–       Sur la compétence de la Cour au titre de l’article 263 TFUE

83      En second lieu, il convient de rappeler que le critère pertinent retenu par la Cour pour exclure la compétence des juridictions de l’Union pour connaître d’un recours juridictionnel dirigé contre des actes adoptés par les représentants des gouvernements des États membres est uniquement celui relatif à leur auteur, indépendamment de leurs effets juridiques obligatoires (ordonnance du 16 juin 2021, Sharpston/Conseil et représentants des gouvernements des États membres, C‑685/20 P, EU:C:2021:485, point 47).

84      L’argumentation du Parlement selon laquelle il conviendrait en l’espèce de retenir une conception large des auteurs des actes auxquels l’article 263 TFUE se réfère, à savoir les institutions, les organes et les organismes de l’Union, afin de considérer que la décision attaquée a été adoptée par une institution, un organe ou un organisme de l’Union au sens de cet article, ou, à tout le moins, d’assimiler le présent recours à un recours formé contre une décision du Conseil, ne saurait, dès lors, être retenue sans contrevenir au libellé clair de cet article (voir, en ce sens, ordonnance du 16 juin 2021, Sharpston/Conseil et représentants des gouvernements des États membres, C‑685/20 P, EU:C:2021:485, point 48).

85      Une telle interprétation se heurterait également à la volonté des auteurs des traités, que reflète l’article 263 TFUE, dont le champ d’application se limite aux seuls actes du droit de l’Union pris par les institutions, les organes et les organismes de l’Union, de soustraire les actes des États membres au contrôle des juges de l’Union.

86      Étendre la notion d’actes attaquables en vertu de l’article 263 TFUE aux actes adoptés, même d’un commun accord, par les États membres reviendrait, en définitive, à admettre un contrôle direct du juge de l’Union sur les actes des États membres et, ainsi, à contourner les voies de droit spécifiquement prévues en cas de manquement aux obligations qui leur incombent en vertu des traités.

87      Ces voies de droit reposent en effet sur une prise en compte des rôles respectifs des institutions, des organes et des organismes de l’Union, d’une part, et des États membres, d’autre part, dans l’ordre juridique de l’Union. À cet égard, il importe de rappeler que, conformément au principe énoncé à l’article 13, paragraphe 2, TUE, chaque institution, à l’instar de la Cour, agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées dans les traités, conformément aux procédures, aux conditions et aux fins prévues par ceux-ci.

88      En l’occurrence, si la décision attaquée s’analyse comme un acte adopté par les seuls États membres, échappant ainsi au contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE, elle ne saurait pour autant être assimilée à une décision prise en vertu de l’article 341 TFUE, dès lors que, ainsi qu’il ressort des considérations figurant aux points 43 à 73 du présent arrêt, cet article doit être interprété comme visant exclusivement la détermination du siège des institutions mentionnées à l’article 13, paragraphe 1, TUE, et non la détermination du siège des organes et des organismes de l’Union.

89      Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 166 de ses conclusions, une décision, telle la décision attaquée, qui a été prise par les États membres dans un domaine où les traités ne prévoient pas l’action de ceux-ci est privée de tout effet juridique obligatoire dans le droit de l’Union. La circonstance qu’une ou plusieurs institutions de l’Union ait joué un certain rôle dans le cadre de la procédure ayant abouti à l’adoption de cette décision ne modifie pas la nature de celle-ci, laquelle ne relève pas de l’ordre juridique de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, point 54).

90      Dans ce contexte, il incombe au législateur de l’Union, pour des raisons tant de sécurité juridique que de protection juridictionnelle effective, d’adopter, conformément aux procédures prévues par les dispositions des traités matériellement pertinentes, un acte de l’Union entérinant ou, au contraire, s’écartant de la décision politique adoptée par les États membres, étant précisé que seul cet acte du législateur de l’Union est de nature à produire des effets juridiques contraignants dans le cadre du droit de l’Union et que, dans un contexte tel que celui de l’espèce, ledit acte doit nécessairement précéder toute mesure de mise en œuvre concrète de l’implantation du siège de l’agence concernée.

91      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la décision attaquée constitue non pas un acte du Conseil mais un acte de nature politique dépourvu d’effets juridiques contraignants pris par les États membres collectivement, de sorte qu’elle ne saurait faire l’objet d’un recours en annulation en vertu de l’article 263 TFUE.

92      Partant, il y a lieu de rejeter le présent recours comme étant dirigé contre un acte dont la Cour n’est pas compétente pour contrôler la légalité sur le fondement de l’article 263 TFUE.

 Sur les dépens

93      En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens.

94      Conformément à l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, la Cour peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

95      Dans le cas d’espèce, caractérisé par le fait que les circonstances ayant entouré l’adoption de la décision attaquée se singularisent par une pratique et des interprétations divergentes sur la question de la compétence décisionnelle en matière de fixation du siège des organes et des organismes de l’Union, il apparaît justifié de décider que chacune des parties principales, à savoir le Parlement et le Conseil, supportera ses propres dépens.

96      Conformément à l’article 140, paragraphe 1, dudit règlement, le Royaume de Belgique, la République tchèque, le Royaume de Danemark, l’Irlande, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, la Hongrie, le Royaume des Pays-Bas, la République de Pologne, la République slovaque et la République de Finlande supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne supportent leurs propres dépens.

3)      Le Royaume de Belgique, la République tchèque, le Royaume de Danemark, l’Irlande, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, la Hongrie, le Royaume des Pays-Bas, la République de Pologne, la République slovaque et la République de Finlande supportent leurs propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.