Language of document : ECLI:EU:C:2023:396

ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

11 mai 2023 (*)

« Pourvoi – Règlement de procédure de la Cour – Article 169 – Pourvoi dirigé contre le dispositif de la décision du Tribunal – Marchés publics de services – Procédure d’appel d’offres – Règlement (UE, Euratom) 2018/1046 – Article 170, paragraphe 3 – Point 23 de l’annexe I – Soumissionnaire évincé portant à la connaissance de la Commission européenne des indices relatifs au caractère anormalement bas de l’offre retenue – Portée de l’obligation de motivation incombant au pouvoir adjudicateur »

Dans l’affaire C‑101/22 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 10 février 2022,

Commission européenne, représentée par Mmes L. André et M. Ilkova ainsi que par M. O. Verheecke, en qualité d’agents,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Sopra Steria Benelux, établie à Bruxelles (Belgique),

Unisys Belgium, établie à Bruxelles,

représentées par Mes L. Masson et G. Tilman, avocats,

parties demanderesses en première instance,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. M. Safjan, président de chambre, MM. N. Piçarra et M. Gavalec (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 1er décembre 2021, Sopra Steria Benelux et Unisys Belgium/Commission (T‑546/20, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:846), par lequel celui-ci a annulé sa décision du 2 juillet 2020 portant, d’une part, rejet de l’offre commune soumise, en ce qui concerne le lot A, par Sopra Steria Benelux et Unisys Belgium (ci-après, ensemble, les « sociétés S2U ») dans le cadre de la procédure d’appel d’offres portant la référence TAXUD/2019/OP/0006 et visant des services en vue de la spécification, du développement, de la maintenance et de l’assistance du troisième niveau des plateformes informatiques de la direction générale « Fiscalité et union douanière » et, d’autre part, attribution du marché afférent à ce lot à l’autre consortium ayant soumissionné (ci-après la « décision litigieuse »).

 Le cadre juridique

 Le règlement de procédure de la Cour

2        Intitulé « Conclusions, moyens et arguments du pourvoi », l’article 169 du règlement de procédure dispose :

« 1.      Les conclusions du pourvoi tendent à l’annulation, totale ou partielle, de la décision du Tribunal telle qu’elle figure au dispositif de cette décision.

2.      Les moyens et arguments de droit invoqués identifient avec précision les points de motifs de la décision du Tribunal qui sont contestés. »

3        Intitulé « Conclusions en cas d’accueil du pourvoi », l’article 170 de ce règlement de procédure prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les conclusions du pourvoi tendent, si celui-ci est déclaré fondé, à ce qu’il soit fait droit, en tout ou en partie, aux conclusions présentées en première instance, à l’exclusion de toute conclusion nouvelle. Le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal. »

 Le règlement financier

4        Le règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1) (ci-après le « règlement financier ») dispose, à son article 161, intitulé « Annexe relative à la passation des marchés et à la délégation de pouvoirs » :

« Les règles de passation des marchés sont détaillées dans l’annexe I du présent règlement. Afin de garantir que, lorsqu’elles passent des marchés pour leur propre compte, les institutions de l’Union appliquent des normes identiques à celles imposées aux pouvoirs adjudicateurs soumis aux directives 2014/23/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession (JO 2014, L 94, p. 1)] et 2014/24/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65)], la Commission est habilitée à adopter des actes délégués conformément à l’article 269 du présent règlement pour modifier l’annexe I du présent règlement, en vue de l’aligner sur les modifications apportées à ces directives et d’introduire les adaptations techniques correspondantes. »

5        Intitulé « Décision d’attribution et information des candidats ou des soumissionnaires », l’article 170 de ce règlement prévoit, à ses paragraphes 2 et 3 :

« 2.      Le pouvoir adjudicateur communique à tout candidat ou soumissionnaire les motifs du rejet de sa demande de participation ou de son offre, ainsi que la durée des délais d’attente visés à l’article 175, paragraphe 2, et à l’article 178, paragraphe 1.

[...]

3.      Le pouvoir adjudicateur communique à tout soumissionnaire qui ne se trouve pas dans une situation d’exclusion visée à l’article 136, paragraphe 1, qui n’est pas écarté en application de l’article 141, dont l’offre est conforme aux documents de marché et qui en fait la demande par écrit :

a)      le nom du soumissionnaire, ou des soumissionnaires dans le cas d’un contrat-cadre, à qui le marché est attribué et, sauf dans le cas d’un marché spécifique relevant d’un contrat-cadre avec remise en concurrence, les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue, le prix payé ou la valeur du marché, selon ce qui convient ;

[...]

Toutefois, le pouvoir adjudicateur peut décider de ne pas communiquer certaines informations, lorsque leur divulgation ferait obstacle à l’application des lois, serait contraire à l’intérêt public, porterait préjudice aux intérêts commerciaux légitimes d’opérateurs économiques ou pourrait nuire à une concurrence loyale entre ceux-ci. »

6        Intitulé « Offres anormalement basses », le point 23 de l’annexe I dudit règlement est libellé comme suit :

« 23.1.      Si, pour un marché donné, le prix ou les coûts proposés dans l’offre apparaissent anormalement bas, le pouvoir adjudicateur demande, par écrit, les précisions qu’il juge opportunes sur la composition du prix ou des coûts et donne au soumissionnaire la possibilité de présenter ses observations.

Le pouvoir adjudicateur peut notamment prendre en considération des observations concernant :

a)      l’économie du procédé de fabrication, de la prestation de services ou du procédé de construction ;

b)      les solutions techniques adoptées ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire ;

c)      l’originalité de l’offre du soumissionnaire ;

d)      le respect, par le soumissionnaire, des obligations applicables dans les domaines du droit environnemental, social et du travail ;

e)      le respect, par les sous-traitants, des obligations applicables dans les domaines du droit environnemental, social et du travail ;

f)      l’obtention éventuelle d’une aide d’État par le soumissionnaire, conformément aux règles applicables.

23.2.      Le pouvoir adjudicateur ne rejette l’offre que si les éléments de preuve fournis n’expliquent pas de manière satisfaisante le prix ou les coûts bas proposés.

Le pouvoir adjudicateur rejette l’offre s’il établit que celle-ci est anormalement basse parce qu’elle contrevient aux obligations applicables dans les domaines du droit environnemental, social et du travail.

[...] »

 Les antécédents du litige

7        Les antécédents du litige sont exposés comme suit aux points 1 à 8 de l’arrêt attaqué :

« 1      Le 6 décembre 2019, la Commission européenne a publié au Supplément du Journal officiel de l’Union européenne (JO 2019/S 236-577462) un avis de marché public concernant un appel d’offres portant la référence TAXUD/2019/OP/0006 et visant des services en vue de la spécification, du développement, de la maintenance et de l’assistance du troisième niveau des plateformes informatiques de la direction générale “Fiscalité et union douanière” de la Commission. Ledit marché se composait de deux lots, à savoir le lot A, “Services d’évolution pour la plateforme CCN/CSI”, et le lot B, “Services d’évolution pour les plateformes CCN2(ng), SPEED 2(ng), CDCO/TSOAP et SSV”, et avait pour critère d’attribution le meilleur rapport qualité-prix, la qualité technique et le prix comptant, respectivement, pour 70 % et pour 30 % dans l’évaluation des offres. Pour chacun de ces deux lots, la Commission devait conclure un contrat-cadre pour une durée de 36 mois, renouvelable trois fois pour des périodes successives de 12 mois, avec le soumissionnaire offrant le meilleur rapport qualité-prix, à condition qu’il satisfasse à certains critères minimaux concernant l’éligibilité, la non-exclusion, la capacité et la conformité de l’offre.

2      Le 27 février 2020, [les sociétés S2U] ont soumis une offre commune dans le cadre d’un consortium dirigé par Sopra. La seule autre offre déposée pour le lot A dans les délais était celle du consortium ARHS-IBM, formé par ARHS Developments SA et International Business Machines of Belgium SA.

3      Par courrier du 2 juillet 2020, la Commission a informé [les sociétés S2U] du rejet de leur offre pour le lot A, au motif que celle-ci n’était pas économiquement la plus avantageuse, et de l’attribution du marché à un autre soumissionnaire [...]. Elle a annexé un extrait du rapport d’évaluation de leur offre indiquant les notes qui lui avait été attribuées, accompagnées d’explications, et les a informées que les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue, la valeur du contrat ainsi que le nom de l’attributaire pouvaient leur être transmis sur demande écrite. Les [sociétés S2U] ont adressé une telle demande le jour même.

4      Il ressort de l’extrait du rapport d’évaluation que l’offre [des sociétés S2U] a reçu une note totale de 90,81 points [...]

[...]

5      Par courrier du 3 juillet 2020, la Commission a informé [les sociétés S2U] que le contrat avait été attribué au consortium ARHS-IBM et leur a adressé un extrait du rapport d’évaluation de l’offre de celui-ci indiquant les notes qui lui avaient été attribuées, accompagnées d’explications.

6      Il ressort de cet extrait du rapport d’évaluation que l’offre de l’attributaire a reçu une note totale de 98,53 points [...]

[...]

7      Par courrier du 10 juillet 2020 [(ci-après la “demande du 10 juillet 2020”)], [les sociétés S2U] ont contesté le résultat de la procédure d’appel d’offres et, s’agissant du prix indiqué dans l’offre retenue, elles ont émis des doutes sur le fait qu’un prix bien inférieur à celui qu’elles avaient proposé, qu’elles qualifiaient de raisonnable et conforme aux conditions du marché, pût être viable sans risque de “dumping social”. Ainsi, elles ont invité le pouvoir adjudicateur, notamment, à confirmer qu’il avait vérifié que l’offre de l’attributaire ne présentait aucun risque en ce sens.

8      Par courrier du 20 juillet 2020 [(ci-après la “réponse du 20 juillet 2020”)], la Commission a répondu, notamment, qu’une analyse détaillée sur le plan financier de l’offre retenue avait révélé qu’elle était en conformité avec les conditions du marché des pays à partir desquels les contractants et leurs sous-traitants exécuteraient les services demandés. »

 Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

8        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 septembre 2020, les sociétés S2U ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

9        À l’appui de leur recours, elles ont invoqué deux moyens. Le premier est tiré d’une violation du point 23 de l’annexe I du règlement financier et d’une erreur manifeste d’appréciation ; le second, d’un défaut de motivation de la décision litigieuse concernant l’éventuel caractère anormalement bas de l’offre retenue.

10      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a accueilli le second moyen, qu’il avait décidé d’examiner à titre préalable.

11      Aux points 38 à 54 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a synthétisé les règles relatives à l’obligation de motivation du pouvoir adjudicateur dans les procédures de passation de marchés publics de l’Union, telles qu’elles résultent principalement de l’article 170 du règlement financier et du point 23 de l’annexe I de celui-ci, ainsi que de la jurisprudence y afférente.

12      Il découle, plus particulièrement, des points 47 à 49 de cet arrêt que l’appréciation, par le pouvoir adjudicateur, de l’existence d’offres anormalement basses s’effectue en deux temps. Dans un premier temps, le pouvoir adjudicateur apprécie prima facie, et non pas en se fondant sur une analyse détaillée de la composition de chaque offre, si le prix ou les coûts proposés dans l’offre « apparaissent » anormalement bas. En l’absence d’indices de nature à éveiller le soupçon qu’elle pourrait être anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut poursuivre son évaluation et la procédure d’attribution du marché. En revanche, en présence de tels indices, le pouvoir adjudicateur doit, dans un second temps, vérifier de manière plus détaillée la composition de cette offre afin de s’assurer qu’elle n’est pas anormalement basse. À cette fin, il doit, d’abord, donner au soumissionnaire en cause la possibilité d’exposer les raisons pour lesquelles il estime que son offre n’est pas anormalement basse. Le pouvoir adjudicateur doit, ensuite, apprécier les explications fournies et déterminer si l’offre en question présente un caractère anormalement bas, auquel cas il est dans l’obligation de la rejeter.

13      Aux points 51 à 53 dudit arrêt, le Tribunal a rappelé que l’obligation de motivation qui incombe au pouvoir adjudicateur lorsqu’il considère que l’offre retenue n’apparaît pas anormalement basse a une portée restreinte. En particulier, lorsqu’il retient une offre, il n’est pas tenu d’indiquer explicitement, en réponse à toute demande de motivation qui lui est présentée en application de l’article 170, paragraphe 3, du règlement financier, les raisons pour lesquelles cette offre ne lui est pas apparue anormalement basse. En effet, le fait de retenir une offre témoigne, implicitement mais nécessairement, de l’absence d’indices révélant que l’offre était anormalement basse. Une motivation explicite devrait, en revanche, être portée à la connaissance du soumissionnaire évincé qui en fait la demande expresse, afin de l’informer d’un aspect important des caractéristiques et des avantages relatifs de l’offre retenue, au sens de l’article 170, paragraphe 3, de ce règlement. À cet égard, le Tribunal a estimé, au point 54 du même arrêt, qu’il n’est pas suffisant pour le pouvoir adjudicateur de se borner à constater que l’offre retenue dans le cadre de la procédure d’attribution n’est pas anormalement basse.

14      Au point 55 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que, en l’espèce, la Commission s’est limitée, dans un premier temps, conformément à l’article 170 du règlement financier et au point 31 de l’annexe I de ce règlement, à informer les sociétés S2U que leur offre avait été rejetée, en annexant un extrait du rapport du comité d’évaluation concernant leur offre. Dans un second temps, à la suite d’une demande écrite de ces dernières, la Commission s’est bornée à leur communiquer le nom de l’attributaire, le prix de l’offre retenue, son score financier et son rapport qualité/prix tel qu’exprimé par son score final. Pour le Tribunal, les détails ainsi communiqués ne portaient aucunement sur l’examen du prix de l’offre retenue au regard de l’éventuel caractère anormalement bas de celui-ci.

15      Au point 59 de cet arrêt, le Tribunal a rappelé que c’est en raison de la différence significative entre les prix proposés par les sociétés S2U et par l’attributaire que ce dernier a remporté le marché. C’est dans ce contexte que les sociétés S2U ont demandé à la Commission, ainsi qu’il est rappelé au point 56 dudit arrêt, de confirmer, notamment, qu’elle avait vérifié que, au regard de son prix, l’offre retenue ne comportait ni un risque de « dumping social » ni de risques concernant l’exécution du contrat.

16      Aux points 57 et 66 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que, bien que les sociétés S2U n’aient pas invoqué explicitement la notion d’« offre anormalement basse », elles avaient clairement évoqué les conséquences potentielles inhérentes à la présentation d’une telle offre, à savoir un risque de dumping social et un risque pour la continuité de la fourniture des services.

17      Au point 58 de cet arrêt, le Tribunal a considéré que la Commission s’était bornée à alléguer, dans sa réponse du 20 juillet 2020, qu’une analyse détaillée sur le plan financier de l’offre de l’attributaire avait révélé que celle-ci était en conformité avec les conditions du marché des pays à partir desquels les contractants et leurs sous-traitants exécuteraient les prestations de service demandées.

18      Aux points 60 et 61 dudit arrêt, le Tribunal a estimé qu’un tel constat était insuffisant, eu égard au fait que seules deux offres avaient été soumises pour le lot A et qu’il n’y avait dès lors qu’un seul terme de comparaison permettant d’établir s’il existait un indice que le prix de l’offre retenue pouvait être considéré comme étant anormalement bas. En effet, étant donné que le critère du prix a été déterminant dans le classement des offres et que le prix de l’offre retenue constituait son seul avantage, la Commission aurait dû fournir à tout le moins les informations ayant trait au pourcentage correspondant à la part du marché qui serait exécutée en sous-traitance ainsi qu’aux pays à partir desquels les services en cause seraient exécutés.

19      Si la Commission avait, en outre, communiqué ces informations, ainsi qu’elle l’a fait dans son mémoire en défense et lors de l’audience qui s’est tenue devant le Tribunal, les sociétés S2U auraient pu mieux comprendre les raisons de l’écart de prix entre les deux offres. De telles informations leur auraient également permis de disposer de suffisamment d’éléments pour connaître les raisons pour lesquelles la Commission avait considéré que l’offre retenue n’apparaissait pas anormalement basse et, dès lors, de contester éventuellement le bien-fondé de cette appréciation.

20      Au point 68 dudit arrêt, le Tribunal a estimé qu’il ne saurait être admis qu’un pouvoir adjudicateur se contente d’invoquer le point 23.1 de l’annexe I du règlement financier et se soustraie ainsi à l’obligation, prévue à l’article 170, paragraphe 3, de ce règlement, de communiquer au soumissionnaire évincé qui en fait la demande par écrit les caractéristiques et les avantages de l’offre retenue, notamment les motifs pour lesquels cette offre n’est pas apparue anormalement basse. Selon le Tribunal, la Commission ne pouvait donc pas se limiter à constater qu’elle n’avait pas considéré que l’offre retenue apparaissait anormalement basse, sans préciser aux sociétés S2U, qui en avaient fait la demande expresse, les motifs l’ayant amenée à cette conclusion.

21      Enfin, au point 69 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé tardives les explications fournies par la Commission en cours d’instance, selon lesquelles une grande partie des prestations prévues par l’offre retenue seraient sous-traitées, essentiellement en Grèce et en Roumanie, de sorte que les différences salariales liées aux lieux d’exécution des prestations expliqueraient la différence de prix, substantielle, entre les offres soumises. Le Tribunal a rappelé que ne peuvent être prises en considération que des informations reçues par les sociétés S2U avant l’introduction du recours devant lui, la motivation ne pouvant pas, en principe, être explicitée pour la première fois et a posteriori devant le juge.

22      Eu égard aux considérations qui précèdent, le Tribunal a estimé, aux points 70 et 71 de cet arrêt, que, compte tenu des informations que la Commission leur avait fournies, les sociétés S2U n’avaient pas pu avoir connaissance de toutes les informations relatives à la composition de l’offre de l’attributaire qui ont permis à la Commission de considérer qu’elle n’apparaissait pas anormalement basse. Le Tribunal a donc accueilli le deuxième moyen des sociétés S2U et annulé la décision litigieuse, sans estimer nécessaire d’examiner le premier moyen du recours.

 Les conclusions des parties

23      Dans son pourvoi, la Commission demande à la Cour :

–        d’annuler les points 52 à 57, 60, 61, 66, 68 et 69 de l’arrêt attaqué ;

–        de rejeter la demande en annulation, et

–        de condamner les sociétés S2U à supporter les dépens de la présente procédure devant la Cour et de la procédure devant le Tribunal.

24      Dans son mémoire en réplique, la Commission demande également à la Cour :

–        de déclarer le pourvoi recevable dans son ensemble et

–        d’annuler l’arrêt attaqué.

25      Les sociétés S2U demandent à la Cour :

–        à titre principal, de rejeter totalement le pourvoi et de condamner la Commission aux entiers dépens de la procédure et,

–        à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le pourvoi serait déclaré fondé, de renvoyer le litige devant le Tribunal.

 Sur le pourvoi

 Sur l’exception d’irrecevabilité soulevée par les sociétés  S2U

 Argumentation des parties

26      Les sociétés S2U excipent de l’irrecevabilité du pourvoi en raison de la méconnaissance par la Commission des articles 169 et 170 du règlement de procédure. En effet, la Commission demanderait seulement l’annulation des points 52 à 57, 60, 61, 66, 68 et 69 de l’arrêt attaqué, sans solliciter, par conséquent, l’annulation, totale ou partielle, de la décision telle qu’elle figure au dispositif de cet arrêt, au sens de l’article 169, paragraphe 1, de ce règlement.

27      La Commission ne contesterait pas non plus les points 70 et 71 de l’arrêt attaqué et devrait donc être réputée y avoir souscrit. Or, ceux-ci contiendraient la conclusion du raisonnement qui a conduit, en substance, le Tribunal à constater, d’une part, que les sociétés S2U n’ont pas eu connaissance des informations relatives à la composition de l’offre de l’adjudicataire à partir desquelles la Commission a considéré que cette offre n’apparaissait pas anormalement basse et, d’autre part, que la Commission avait insuffisamment exposé les motifs de nature à justifier cette conclusion, de sorte que la décision litigieuse devait être annulée sans qu’il soit nécessaire d’examiner le premier moyen.

28      Les sociétés S2U concluent également à l’irrecevabilité de la demande nouvelle, formulée par la Commission dans son mémoire en réplique, tendant, d’une part, à voir déclarer recevable le pourvoi dans son ensemble et, d’autre part, à l’annulation de cet arrêt.

29      La Commission conclut au rejet de cette exception d’irrecevabilité.

 Appréciation de la Cour

30      À titre liminaire, il y a lieu de relever, ainsi que la Commission le fait valoir dans son mémoire en réplique, que les sociétés S2U n’avancent aucun argument permettant d’étayer une violation de l’article 170 du règlement de procédure. Il s’ensuit que l’exception d’irrecevabilité ne doit être examinée qu’au regard de l’article 169 de celui-ci.

31      À cet égard, le principe fondamental selon lequel le pourvoi doit être dirigé contre le dispositif de la décision du Tribunal, sans pouvoir se borner à viser la modification de certains motifs de cette décision, découle du paragraphe 1 de cette dernière disposition (voir, en ce sens, arrêts du 15 novembre 2012, Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, C‑539/10 P et C‑550/10 P, EU:C:2012:711, points 43 à 45, ainsi que du 16 juillet 2020, Inclusion Alliance for Europe/Commission, C‑378/16 P, EU:C:2020:575, point 57). Cependant, la Cour a également précisé qu’un formalisme excessif dans l’application de cette règle serait contraire à cette jurisprudence (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, Inclusion Alliance for Europe/Commission, C‑378/16 P, EU:C:2020:575, points 59 et 60).

32      En l’espèce, dans la partie de son pourvoi intitulé « Conclusions », la Commission a seulement demandé à la Cour d’annuler les points 52 à 57, 60, 61, 66, 68 et 69 de l’arrêt attaqué, de rejeter le recours en annulation introduit par les sociétés S2U devant le Tribunal et de condamner les sociétés S2U aux entiers dépens.

33      Il ressort cependant clairement de la page de couverture du pourvoi introduit par la Commission que celle-ci demande formellement l’annulation de l’arrêt attaqué. En outre, bien que cette dernière n’ait pas expressément sollicité l’annulation de cet arrêt au paragraphe conclusif de son pourvoi, elle a, à la fin des développements consacrés à chacun des trois moyens avancés au soutien de son pourvoi, identifié les points de cet arrêt qui lui semblaient entachés d’une erreur de droit et en a explicitement déduit que le point 1 du dispositif dudit arrêt devait également être annulé dans la mesure où les points en question en constituaient le soutien.

34      Dans ces conditions, même si les conclusions stricto sensu du pourvoi ne tendent pas expressément à l’annulation du point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué, elles ne sauraient être regardées autrement que comme tendant, en substance, au même résultat. À cet égard, il est patent, à la lecture des mémoires en réponse et en duplique déposés par les sociétés S2U, que ces dernières ont parfaitement compris le raisonnement développé par la Commission dans son pourvoi et ses implications concernant le point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué.

35      Quant à l’argument tiré de ce que la Commission aurait omis de contester les points 70 et 71 de cet arrêt, il ne saurait prospérer. En effet, ces deux points de motifs n’ont qu’un caractère recognitif et se bornent à tirer les conséquences des points que la Commission a expressément contestés. Dès lors, même s’il eût été préférable que la Commission les remette également en cause, cette omission ne saurait porter à conséquence.

36      Il convient, par conséquent, de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par les sociétés S2U.

 Sur le fond

37      Au soutien de son pourvoi, la Commission soulève trois moyens. Par son premier moyen, elle reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en qualifiant la demande du 10 juillet 2020 de « demande expresse » tendant à obtenir les motifs ayant conduit le pouvoir adjudicateur à ne pas considérer l’offre retenue comme apparaissant anormalement basse. Le deuxième moyen est tiré d’une dénaturation du contenu de la réponse du 20 juillet 2020. Par son troisième moyen, la Commission allègue une méconnaissance de l’étendue de l’obligation de motivation qui pèse sur le pouvoir adjudicateur en vertu de l’article 296 TFUE et de l’article 170, paragraphe 3, du règlement financier.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit commise par le Tribunal en qualifiant la demande du 10 juillet 2020 de « demande expresse » visant à obtenir les motifs pour lesquels le pouvoir adjudicateur n’a pas considéré l’offre retenue comme étant anormalement basse

–       Argumentation des parties

38      Dans le cadre de son premier moyen, la Commission soutient que les points 52 à 57 de l’arrêt attaqué sont entachés d’une contradiction qui a abouti, aux points 66 et 68 de celui-ci, à une qualification juridique erronée des faits par le Tribunal.

39      Il ressortirait en effet de l’arrêt du 4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer (T‑392/15, EU:T:2017:462, point 93), que ce n’est qu’en présence d’une demande expresse d’un soumissionnaire, à savoir, une demande qui invoque explicitement le caractère anormalement bas de l’offre retenue par le pouvoir adjudicateur, que ce dernier doit justifier la raison pour laquelle il considère que l’offre qu’il a retenue ne lui paraît pas anormalement basse.

40      Or, cette exigence d’une demande expresse, qui est soulignée aux points 52 et 63 à 65 de l’arrêt attaqué, ferait défaut en l’espèce puisque le Tribunal a constaté, au point 57 de cet arrêt, que, dans la demande du 10 juillet 2020, « les [sociétés S2U] n’ont pas invoqué explicitement la notion d’offre anormalement basse ».

41      Pour la Commission, le fait qu’un soumissionnaire mentionne « une des conséquences potentielles inhérentes à la présentation d’une offre anormalement basse, à savoir un risque de dumping social [...] et un risque pour la continuité de la fourniture des services » ne saurait être assimilé à une demande expresse ni suffire à faire naître, dans le chef du pouvoir adjudicateur, l’obligation de motiver les raisons pour lesquelles une offre ne lui est pas apparue anormalement basse. Les deux risques invoqués ne seraient en effet ni assimilables ni équivalents au concept d’offre anormalement basse.

42      À cet égard, la notion de « dumping social », qui ne serait pas définie dans le droit de l’Union, ne serait pas mentionnée au point 23.1 de l’annexe I du règlement financier qui énumère les éléments à prendre en considération afin d’apprécier le caractère anormalement bas d’une offre. En outre, bien que les sociétés S2U aient invoqué, dans leur demande du 10 juillet 2020, le risque de continuité concernant la fourniture des services, ce risque n’est pas non plus mentionné à cette disposition. Par ailleurs, les sociétés S2U n’auraient interrogé le pouvoir adjudicateur que sur l’existence d’un risque de dumping social.

43      Le Tribunal obligerait, par conséquent, le pouvoir adjudicateur, même lorsqu’il est saisi d’une demande non explicite, à s’engager dans une interprétation téléologique des questions posées par le soumissionnaire au lieu de s’en tenir à une interprétation littérale de ces questions, ainsi qu’il résulterait de l’arrêt du 26 avril 2018, European Dynamics Luxembourg et Evropaïki Dynamiki/Commission (T‑752/15, non publié, EU:T:2018:233, points 78 à 81). Cette nouvelle interprétation génèrerait, en outre, une insécurité juridique, les pouvoirs adjudicateurs ignorant s’ils doivent assimiler toute demande qui invoque l’une des « conséquences potentielles de l’offre anormalement basse » à une demande expresse visant à connaître les motifs pour lesquels le pouvoir adjudicateur n’avait pas de doute en ce qui concerne le caractère anormalement bas de l’offre retenue.

44      Par ailleurs, la Commission n’a pas acquiescé à la qualification de la demande du 10 juillet 2020 de demande expresse portant sur le caractère anormalement bas d’une offre, telle qu’elle ressort des points 66 et 68 de l’arrêt attaqué.

45      Les sociétés S2U soutiennent que le premier moyen du pourvoi est irrecevable en ce qu’il invite la Cour à porter une appréciation factuelle sur la notion de « demande expresse ». À titre subsidiaire, ce moyen devrait être rejeté comme étant non fondé.

–       Appréciation de la Cour

46      Par son premier moyen, qui est dirigé contre les points 52 à 57, 66 et 68 de l’arrêt attaqué, la Commission reproche, en substance, au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en appréhendant la demande du 10 juillet 2020 comme une demande tendant expressément à obtenir du pouvoir adjudicateur qu’il expose les motifs pour lesquels l’offre retenue ne lui est pas apparue comme ayant un caractère anormalement bas.

47      À cet égard, pour autant que les sociétés S2U soutiennent que le premier moyen est irrecevable au motif qu’il invite la Cour à porter une appréciation factuelle sur la notion de « demande expresse », il convient de rappeler que la qualification juridique d’un fait ou d’un acte, opérée par le Tribunal, est une question de droit qui peut être soulevée dans le cadre d’un pourvoi (arrêts du 19 octobre 1995, Rendo e.a./Commission, C‑19/93 P, EU:C:1995:339, point 26, ainsi que du 12 mai 2022, Klein/Commission, C‑430/20 P, EU:C:2022:377, point 41). Il s’ensuit que la question de savoir si la demande du 10 juillet 2020 constitue une demande « expresse », à savoir une demande visant les raisons pour lesquelles le pouvoir adjudicateur n’a pas considéré l’offre retenue comme étant anormalement basse, au sens de l’article 170, paragraphe 3, sous a), du règlement financier, lu en combinaison avec le point 23 de l’annexe I de ce règlement, est une question de droit qui peut être examinée au stade du pourvoi. Partant, ce moyen est recevable.

48      Quant au fond, il convient de relever que l’article 170, paragraphe 3, sous a), du règlement financier ouvre la faculté à tout soumissionnaire, qui ne se trouve pas dans une situation d’exclusion, qui n’est pas écarté et dont l’offre a été jugée conforme aux documents de marché, de demander par écrit au pouvoir adjudicateur des informations telles que le nom du soumissionnaire à qui le marché a été attribué, ainsi que les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue, le prix payé ou la valeur du marché, selon ce qui convient.

49      Un soumissionnaire évincé peut ainsi user de la faculté ouverte à cette disposition pour inviter le pouvoir adjudicateur à justifier sa décision de ne pas considérer l’offre retenue comme une offre anormalement basse, au sens du point 23 de l’annexe I de ce règlement. Une telle interrogation peut s’avérer utile dans la mesure où, en retenant une offre, le pouvoir adjudicateur est réputé avoir considéré, à tout le moins implicitement, qu’il n’existait pas d’indices révélant qu’elle était anormalement basse.

50      La faculté ainsi ouverte à l’article 170, paragraphe 3, sous a), du règlement financier, lu en combinaison avec le point 23 de l’annexe I de ce règlement, tend à protéger tout soumissionnaire évincé, au dernier stade d’une procédure de passation de marché, de l’arbitraire du pouvoir adjudicateur et à garantir une saine concurrence entre les soumissionnaires (voir, par analogie, arrêt du 27 novembre 2001, Lombardini et Mantovani, C‑285/99 et C‑286/99, EU:C:2001:640, points 44 et 57).

51      C’est donc à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 52 de l’arrêt attaqué, qu’un pouvoir adjudicateur n’est tenu d’indiquer explicitement les raisons pour lesquelles l’offre qu’il a retenue ne lui est pas apparue anormalement basse que si un soumissionnaire évincé en a fait la demande expresse.

52      À cet égard, s’il est préférable qu’un tel soumissionnaire se réfère littéralement à la notion d’« offre anormalement basse », au sens du point 23 de l’annexe I du règlement financier, lorsqu’il entend interroger le pouvoir adjudicateur sur ce point, une référence expresse à cette notion n’apparaît toutefois pas indispensable. En effet, d’une part, une « demande expresse », aux fins de l’article 170, paragraphe 3, sous a), de ce règlement ne saurait être confondue avec la mention explicite de l’expression « offre anormalement basse ». D’autre part, l’article 170, paragraphe 3, sous a), dudit règlement ne faisant pas directement usage de cette expression, mais se référant aux termes généraux de « caractéristiques et [d’]avantages relatifs à l’offre retenue », il suffit que la demande expresse vise avec suffisamment de précision et de clarté de tels caractéristiques et avantages sans nécessairement reprendre la terminologie exacte d’autres dispositions du même règlement.

53      Néanmoins, il est crucial que la demande du soumissionnaire évincé soit formulée de telle manière qu’elle ne laisse planer aucun doute sur son intention d’amener le pouvoir adjudicateur à justifier sa décision de ne pas considérer l’offre retenue comme étant anormalement basse. Tel est le cas lorsque, comme en l’espèce, un soumissionnaire évincé signale au pouvoir adjudicateur deux conséquences potentielles notoirement connues du choix d’une offre anormalement basse, telles que le risque de dumping social et le risque de mise en péril de la continuité des services.

54      Le lien entre de tels risques et la notion d’« offre anormalement basse » ressort clairement du point 23.1, sous a), b), d) et e), de l’annexe I du règlement financier, qui prévoit, à cet égard, que le pouvoir adjudicateur peut, afin de déterminer si une offre n’est pas anormalement basse, notamment prendre en considération l’économie du procédé de fabrication, de la prestation de services ou du procédé de construction ; les solutions techniques adoptées ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire ; ainsi que le respect, par le soumissionnaire ou ses sous-traitants, des obligations applicables dans les domaines du droit environnemental, social et du travail.

55      Dès lors, c’est à bon droit que le Tribunal a considéré, aux points 56 et 57 de l’arrêt attaqué, que les sociétés S2U avaient clairement évoqué les conséquences potentielles inhérentes à la présentation d’une offre anormalement basse. Pour parvenir à une telle conclusion, le Tribunal a relevé que les sociétés S2U avaient fait valoir le prix réaliste et compétitif de leur propre offre, compte tenu des conditions du marché, de leur expérience de cocontractant de la Commission et des risques relatifs à l’exécution du contrat qu’impliquerait une offre dont le prix était considérablement inférieur à celui qu’elles proposaient.

56      En outre, le Tribunal a souligné que les sociétés S2U avaient invité la Commission à confirmer, notamment, qu’elle avait vérifié que, au regard de son prix, l’offre retenue ne comportait pas un risque de « dumping social ». Ce faisant, le Tribunal a estimé, à juste titre, que les sociétés S2U entendaient mettre en exergue que l’offre retenue était susceptible de ne pas respecter la législation des pays dans lesquels les services devaient être exécutés en matière de rémunération du personnel, de contribution au régime de sécurité sociale ainsi que de sécurité et de santé au travail, de telle sorte que cette offre pouvait également présenter un risque pour la continuité de la fourniture des services.

57      Dès lors, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a pu qualifier, aux points 66 et 68 de l’arrêt attaqué, la demande du 10 juillet 2020 de « demande expresse » visant les raisons pour lesquelles le pouvoir adjudicateur n’avait pas considéré l’offre retenue comme étant anormalement basse.

58      Le premier moyen doit donc être rejeté comme étant non fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une méconnaissance de l’étendue de l’obligation de motivation incombant au pouvoir adjudicateur en vertu de l’article 296 TFUE et de l’article 170, paragraphe 3, du règlement financier

–       Argumentation des parties

59      La Commission fait grief au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en méconnaissant l’étendue de l’obligation de motivation qui incombe au pouvoir adjudicateur en vertu de l’article 296 TFUE et de l’article 170, paragraphe 3, du règlement financier.

60      En premier lieu, la Commission soutient que le raisonnement développé par le Tribunal, d’une part, aux points 51 et 52 de cet arrêt et, d’autre part, aux points 53, 54, 60, 61 et 68 de celui-ci, comporte des contradictions en ce qui concerne la portée de l’obligation de motivation et aboutit à méconnaître l’évaluation en deux temps par le pouvoir adjudicateur des offres apparaissant anormalement basses, telle que prévue au point 23 de l’annexe I du règlement financier. En outre, en instituant une obligation de motivation aussi large, le Tribunal outrepasserait les prescriptions de l’article 170, paragraphe 3, de ce règlement, lequel ne mentionne pas le caractère anormalement bas d’une offre comme étant un élément de la motivation.

61      Au point 51 dudit arrêt, le Tribunal confirmerait que, au premier stade de l’analyse, à savoir lorsque le pouvoir adjudicateur a considéré qu’une offre n’apparaissait pas anormalement basse, l’obligation de motivation n’a qu’une portée restreinte. Donner une portée plus complète à l’obligation de motivation, à ce stade de l’analyse qui repose sur une appréciation prima facie, reviendrait à imposer une preuve diabolique au pouvoir adjudicateur.

62      Ce n’est donc qu’en présence d’un doute relatif au caractère anormalement bas de l’offre que le pouvoir adjudicateur serait tenu de consulter le soumissionnaire concerné, afin de disposer de plus d’éléments concernant la composition du prix et des coûts. Lors de ce second stade de l’analyse, le pouvoir adjudicateur ayant pu procéder à une vérification détaillée de l’offre, l’étendue de l’obligation de motivation serait complète, ainsi que le Tribunal l’a jugé dans son arrêt du 4 juillet 2017, European Dynamics Luxembourg e.a./Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer (T‑392/15, EU:T:2017:462, point 91).

63      Pourtant, en contradiction avec la portée restreinte de l’obligation de motivation, soulignée au point 51 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait conclu, à la dernière phrase du point 52 de cet arrêt, que, dans le cas où l’offre n’apparaît pas anormalement basse, les motifs justifiant une telle absence d’apparence doivent être communiqués si une demande expresse est adressée au pouvoir adjudicateur et que ces motifs, ainsi que le raisonnement qui les sous-tend, constituent des caractéristiques et des avantages, au sens de l’article 170, paragraphe 3, du règlement financier. Le raisonnement du Tribunal serait contradictoire puisqu’il implique que la simple demande explicite d’un soumissionnaire évincé, concernant le caractère anormalement bas d’une offre, aboutisse à supprimer toute distinction entre la portée de l’obligation de motivation au premier stade, qui est prétendument restreinte, et au second stade de l’analyse, où les motifs et le raisonnement doivent être fournis.

64      Cette contradiction aurait conduit le Tribunal à conclure, à tort, aux points 60 et 61 de l’arrêt attaqué, à l’insuffisance de la motivation fournie par la Commission et, partant, que cette dernière « aurait dû, afin de répondre adéquatement à la demande des [sociétés S2U], fournir à tout le moins les informations ayant trait au pourcentage correspondant à la part du marché qui serait exécutée en sous-traitance ainsi qu’aux pays à partir desquels les services en cause seraient exécutés ».

65      En second lieu, la Commission  relève que, au point 69 de l’arrêt attaqué, le Tribunal lui reproche de n’avoir fourni aux sociétés S2U qu’en cours d’instance des explications supplémentaires sur la différence de prix substantielle entre les offres. Ce faisant, le Tribunal confondrait l’obligation de motivation dans la phase administrative de la procédure de marché avec l’obligation pour la Commission, en tant que partie défenderesse, de fournir des explications et des informations dans le cadre du contrôle juridictionnel, ce qui alourdirait, par là même, sans aucun fondement légal, l’obligation de motivation pesant sur la Commission.

66      La Cour aurait pourtant déjà jugé, dans l’arrêt du 14 octobre 2020, Close et Cegelec/Parlement (C‑447/19 P, non publié, EU:C:2020:826, points 43 et 44), que, « eu égard aux rôles respectifs des soumissionnaires et des instances de contrôle, il ne saurait être exigé qu’il y ait une parfaite identité entre l’information qu’un pouvoir adjudicateur doit fournir à un soumissionnaire évincé au titre de l’obligation de motivation lui incombant et l’information que ce pouvoir adjudicateur doit fournir aux instances juridictionnelles dans le cadre du contrôle par ces dernières de la légalité de la décision d’attribution d’un marché. Par ailleurs, la circonstance que les documents transmis au Tribunal dans le cadre d’une mesure d’instruction sont, ultérieurement, également transmis à la partie requérante, le cas échéant dans une version non confidentielle, relève du principe du contradictoire et ne signifie pas pour autant que le pouvoir adjudicateur aurait dû fournir ces documents déjà dans le cadre de la motivation au titre des dispositions du droit de l’Union ».

67      Les sociétés S2U font valoir que le troisième moyen n’est pas fondé.

–       Appréciation de la Cour

68      La Cour estime opportun d’examiner le troisième moyen préalablement au deuxième.

69      En premier lieu, il convient d’examiner l’argument de la Commission selon lequel le raisonnement développé par le Tribunal, d’une part, aux points 51 et 52 de l’arrêt attaqué et, d’autre part, aux points 53, 54, 60, 61 et 68 de celui-ci, comporte des contradictions concernant la portée de l’obligation de motivation et aboutit à méconnaître tant l’article 170, paragraphe 3, du règlement financier que le point 23 de l’annexe I de celui-ci.

70      À titre liminaire, il importe de relever que, aux points 51 à 54 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a résumé sa propre jurisprudence relative à l’obligation pour le pouvoir adjudicateur de motiver sa décision de ne pas considérer l’offre retenue comme étant anormalement basse.

71      Ces points doivent toutefois être lus à la lumière des points 47 à 50 de cet arrêt qu’ils ne font que concrétiser et qui ne sont pas contestés par la Commission. Le Tribunal y a souligné que l’appréciation, par le pouvoir adjudicateur, de l’existence d’offres anormalement basses est effectuée en deux temps. Dans un premier temps, le pouvoir adjudicateur apprécie si le prix ou les coûts proposés dans l’offre « apparaissent » anormalement bas. L’usage du verbe « apparaître » au point 23.1 de l’annexe I du règlement financier implique que le pouvoir adjudicateur procède à une appréciation prima facie du caractère anormalement bas d’une offre, et non qu’il se livre, d’office, à une analyse détaillée de la composition de chaque offre afin d’établir qu’elle ne constitue pas une offre anormalement basse.

72      Ainsi, lors de cette première phase, le pouvoir adjudicateur doit seulement déterminer si les offres soumises contiennent un indice qu’elles pourraient être anormalement basses. Tel est notamment le cas lorsque le prix proposé dans une offre est considérablement inférieur à celui des autres offres ou au prix habituel du marché. Si les offres soumises ne contiennent pas un tel indice et n’apparaissent donc pas anormalement basses, le pouvoir adjudicateur peut poursuivre leur évaluation et la procédure d’attribution du marché.

73      Dans un second temps, s’il existe des indices qu’une offre pourrait être anormalement basse, le pouvoir adjudicateur doit procéder à la vérification de la composition de cette offre afin de s’assurer qu’elle ne l’est effectivement pas. À cette fin, il doit permettre au soumissionnaire concerné d’exposer les raisons pour lesquelles il estime que son offre n’est pas anormalement basse.

74      Le pouvoir adjudicateur doit ensuite apprécier les explications fournies et déterminer si l’offre en question présente un caractère anormalement bas, auquel cas il est dans l’obligation de la rejeter. Pour fournir une motivation suffisante du fait que, après une analyse approfondie, l’offre retenue n’est pas anormalement basse, le pouvoir adjudicateur doit exposer le raisonnement au terme duquel, d’une part, il a conclu que, par ses caractéristiques, principalement financières, cette offre respecte notamment la législation du pays dans lequel les services devraient être exécutés en matière de rémunération du personnel, de contribution au régime de sécurité sociale et de respect des normes de sécurité ainsi que de santé au travail, et, d’autre part, il a vérifié que le prix proposé intègre tous les coûts induits par les aspects techniques de ladite offre.

75      Le point 51 de l’arrêt attaqué se rapporte à la première étape du contrôle, telle qu’évoquée au point 48 de cet arrêt. À cet égard, le Tribunal a précisé que, dans la mesure où seul un contrôle prima facie, autrement dit, un contrôle fondé sur les apparences, est requis du pouvoir adjudicateur, ce dernier n’est assujetti qu’à une obligation de motivation de portée restreinte, qui peut même s’accommoder d’une motivation implicite. En effet, ainsi qu’il ressort du point 52 dudit arrêt, le seul fait pour un pouvoir adjudicateur de retenir une offre signifie, implicitement mais nécessairement, selon le Tribunal, qu’il n’existait pas d’indices révélant que celle-ci était anormalement basse.

76      Certes, la dernière phrase de ce point 52 n’est pas dénuée d’ambiguïté. En effet, le Tribunal y affirme, en substance, que le pouvoir adjudicateur doit porter à la connaissance du soumissionnaire évincé qui en fait la demande expresse les motifs pour lesquels l’offre qu’il a retenue ne lui est pas apparue anormalement basse. Or, une telle formulation ne précise pas si ces motifs désignent ceux qui ont incité le pouvoir adjudicateur à considérer l’offre retenue comme n’étant pas anormalement basse prima facie ou, au contraire, à l’issue d’une analyse détaillée.

77      La Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en exigeant, aux points 60, 61 et 68 de l’arrêt attaqué, qu’elle fournisse, dès la première phase de l’analyse, une motivation détaillée au soumissionnaire évincé qui lui avait expressément demandé les raisons pour lesquelles elle n’avait pas considéré que l’offre retenue avait un caractère anormalement bas.

78      Cette interprétation de la dernière phrase du point 52 de l’arrêt attaqué doit toutefois être écartée.

79      S’il est vrai, comme le Tribunal l’a souligné au point 48 de cet arrêt, qu’un pouvoir adjudicateur peut procéder à une simple appréciation prima facie du caractère anormalement bas d’une offre, ce contrôle sommaire n’est qu’à usage interne et ne saurait être opposé à un soumissionnaire évincé étayant ses doutes à l’égard de cette appréciation.

80      Il s’ensuit que, dès lors qu’un soumissionnaire évincé, qui ne se trouve pas dans une situation d’exclusion et qui satisfait aux critères de sélection, demande, par écrit et de manière motivée, au pouvoir adjudicateur d’exposer les raisons pour lesquelles il n’a pas considéré l’offre retenue comme étant anormalement basse, ce dernier est tenu de fournir une réponse détaillée.

81      En effet, le point 23.1 de l’annexe I du règlement financier dispose que, si, pour un marché donné, le prix ou les coûts proposés dans l’offre apparaissent anormalement bas, le pouvoir adjudicateur demande, par écrit, les précisions qu’il juge opportunes sur la composition du prix ou des coûts et donne au soumissionnaire la possibilité de présenter ses observations. Le libellé de cette disposition n’exclut pas que les doutes quant au caractère anormalement bas de l’offre retenue puissent avoir été suscités par un soumissionnaire évincé. La circonstance qu’un tel soumissionnaire fasse état, de manière étayée, de l’existence de doutes concernant le caractère anormalement bas de l’offre retenue a ainsi pour conséquence de faire basculer le pouvoir adjudicateur dans la seconde phase du contrôle.

82      Hormis l’hypothèse dans laquelle les arguments avancés par le soumissionnaire évincé seraient dépourvus de pertinence ou de toute motivation, le pouvoir adjudicateur est donc tenu, d’une part, de procéder à une analyse détaillée de l’offre retenue afin d’établir que celle-ci ne présente effectivement pas un caractère anormalement bas et, d’autre part, d’en communiquer les grandes lignes au soumissionnaire évincé qui l’a expressément interrogé sur ce point.

83      Toute autre interprétation serait de nature à priver le soumissionnaire évincé de son droit à un recours effectif garanti à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Il serait en effet impossible pour un soumissionnaire d’apprécier le bien-fondé de la décision du pouvoir adjudicateur selon laquelle l’offre retenue ne présente pas un caractère anormalement bas, si ce pouvoir adjudicateur pouvait se borner à relever péremptoirement et sans avancer la moindre justification en ce sens que cette offre lui paraissait être en conformité avec les conditions du marché des pays à partir desquels les services en cause doivent être fournis par les contractants et leurs sous-traitants ou encore que le prix de l’offre retenue ne présentait pas un caractère anormalement bas.

84      En l’espèce et comme le Tribunal l’a relevé, au point 60 de l’arrêt attaqué, il en va d’autant plus ainsi que seules deux offres avaient été soumises au pouvoir adjudicateur, que le critère du prix était déterminant dans le classement des offres et que le prix de l’offre retenue était le seul avantage relatif ayant caractérisé cette dernière. En outre, ainsi qu’il ressort du point 56 de cet arrêt, l’expérience des sociétés S2U en tant que cocontractantes de la Commission aurait également dû conduire cette dernière à accorder du crédit aux craintes exprimées par celles-ci que l’offre retenue comporte un risque de « dumping social », ainsi que des risques concernant l’exécution du contrat dans la mesure où le prix proposé par l’attributaire était considérablement inférieur à celui de leur offre.

85      C’est donc à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 68 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait pas pu se contenter de constater que l’offre retenue ne lui était pas apparue anormalement basse, sans préciser aux sociétés S2U, qui en avaient fait la demande expresse, les motifs l’ayant amenée à cette conclusion.

86      En second lieu, la Commission fait grief au Tribunal d’avoir confondu, aux points 60 et 69 de l’arrêt attaqué, l’obligation de motivation qui incombe au pouvoir adjudicateur et la prérogative de ce dernier, en tant que partie défenderesse, de faire valoir ses droits de la défense, tels que consacrés à l’article 47, paragraphe 2, de la Charte.

87      Une telle argumentation est manifestement non fondée.

88      En effet, la circonstance que la Commission a fourni les raisons de la décision litigieuse en cours d’instance ne saurait compenser l’insuffisance de la motivation initiale de cette décision. Or, la motivation ne peut être explicitée pour la première fois et a posteriori devant le juge, sauf circonstances exceptionnelles qui, en l’absence de toute urgence, ne sont pas réunies en l’espèce (voir, en ce sens, arrêts du 26 novembre 1981, Michel/Parlement, 195/80, EU:C:1981:284, point 22 ; du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 463, ainsi que du 11 juin 2020, Commission/Di Bernardo, C‑114/19 P, EU:C:2020:457, point 51).

89      Permettre à l’institution mise en cause de différer son devoir de motiver sa décision de considérer que l’offre retenue n’est pas anormalement basse affecterait le droit à une protection juridictionnelle effective des soumissionnaires évincés, dans la mesure où ceux-ci doivent connaître les motifs d’un acte, non seulement pour défendre leurs droits dans les meilleures conditions possibles, mais aussi afin de pouvoir décider, en pleine connaissance de cause, s’il est utile pour eux de saisir la juridiction compétente (voir, en ce sens, arrêts du 15 octobre 1987, Heylens e.a., 222/86, EU:C:1987:442, point 15, ainsi que du 7 septembre 2021, Klaipėdos regiono atliekų tvarkymo centras, C‑927/19, EU:C:2021:700, point 120).

90      En outre, le Tribunal n’a nullement exigé de la Commission qu’elle veille à assurer une parfaite identité entre l’information qu’elle doit fournir, d’une part, à un soumissionnaire évincé et, d’autre part, au juge de l’Union. Partant, l’argument par analogie tiré de l’arrêt du 14 octobre 2020, Close et Cegelec/Parlement (C‑447/19 P, non publié, EU:C:2020:826, point 43), est dénué de pertinence.

91      Il convient donc de rejeter le troisième moyen dans son intégralité comme étant non fondé.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une dénaturation des faits en appréciant de manière erronée le contenu de la réponse du 20 juillet 2020

–       Argumentation des parties

92      Par son deuxième moyen, la Commission soutient que le Tribunal a dénaturé le contenu de la réponse du 20 juillet 2020, ce qui l’a conduit à considérer à tort qu’elle avait violé l’obligation de motivation qui lui incombait en vertu de l’article 170, paragraphe 3, du règlement financier. Après avoir relevé, à juste titre, au point 8 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait affirmé, dans cette réponse, « qu’une analyse détaillée sur le plan financier de l’offre retenue avait révélé qu’elle était en conformité avec les conditions du marché des pays à partir desquels les contractants et leurs sous-traitants exécuteraient les services demandés », le Tribunal aurait estimé, à tort, aux points 61 et 68 de cet arrêt, que, dans ladite réponse, la Commission s’est contentée de constater ou de justifier par une simple affirmation que le prix de l’offre retenue ne présentait pas un caractère anormalement bas. Ce faisant, elle n’aurait pas précisé aux sociétés S2U, qui en avaient fait la demande expresse, les motifs l’ayant amenée à cette conclusion.

93      La Commission fait valoir que, dans la réponse du 20 juillet 2020, elle n’a pas pris position sur le point de savoir si l’offre retenue présentait ou non un caractère anormalement bas. Elle s’y serait bornée à répondre à la question posée par les sociétés S2U sur le dumping social, en déclarant qu’une analyse détaillée de l’offre financière qu’elle a retenue avait révélé que l’offre gagnante est en ligne avec les conditions de marché des pays à partir desquels les contractants et leurs sous-traitants exécuteront les services demandés.

94      Cette dénaturation du contenu de la réponse du 20 juillet 2020, conjuguée à l’erreur commise dans la qualification de la demande du 10 juillet 2020, aurait conduit le Tribunal à conclure erronément, au point 68 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait manqué à son devoir de motivation.

95      Les sociétés S2U rétorquent que ce moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

–       Appréciation de la Cour

96      Par son deuxième moyen, la Commission soutient, en substance, que, dès lors qu’elle n’avait pas été saisie par les sociétés S2U d’une demande tendant expressément à se voir communiquer les motifs pour lesquels elle avait considéré que l’offre retenue ne présentait pas un caractère anormalement bas, elle s’est bornée à répondre à la demande des sociétés S2U quant à l’existence d’un risque de dumping social. Dès lors, le Tribunal aurait estimé, à tort, que la réponse du 20 juillet 2020 affirmait que le prix de l’offre retenue ne présentait pas un caractère anormalement bas, et aurait ainsi dénaturé le contenu de cette réponse.

97      Or, dans la mesure où il résulte de l’examen du premier moyen que les sociétés S2U ont effectivement saisi la Commission d’une « demande expresse » relative au caractère anormalement bas de l’offre retenue, cette institution devait se plier aux exigences particulières de motivation résultant de l’article 170, paragraphe 3, et du point 23 de l’annexe I du règlement financier. Ainsi, afin de garantir le droit à un recours effectif garanti à l’article 47 de la Charte au soumissionnaire évincé, la Commission, en sa qualité de pouvoir adjudicateur, ne pouvait se limiter à prétendre, en termes péremptoires et sans avancer la moindre justification en ce sens, que l’offre retenue ne présentait pas un risque de dumping social.

98      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le droit à un recours effectif garanti à cet article 47 se suffit à lui-même et qu’il n’a pas besoin d’être précisé par des dispositions du droit de l’Union pour conférer aux particuliers un droit invocable en tant que tel (arrêts du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 78, ainsi que du 14 juillet 2022, EPIC Financial Consulting, C‑274/21 et C‑275/21, EU:C:2022:565, point 83).

99      Dans ces conditions, à supposer même que le Tribunal, en considérant que la réponse du 20 juillet 2020 affirmait simplement que le prix de l’offre retenue ne présentait pas un caractère anormalement bas, ait dénaturé le contenu de cette réponse, une telle dénaturation ne saurait remettre en cause la constatation figurant au point 97 du présent arrêt, selon laquelle la Commission devait respecter les exigences particulières de motivation résultant de l’article 170, paragraphe 3, et du point 23 de l’annexe I du règlement financier, et qu’elle ne pouvait se limiter à affirmer, sans la moindre justification, que l’offre retenue ne présentait pas un risque de dumping social.

100    Il y a donc lieu de rejeter le deuxième moyen comme étant inopérant.

101    Aucun des trois moyens soulevés par la Commission à l’appui de son pourvoi n’ayant été accueilli, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son ensemble.

 Sur les dépens

102    En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

103    Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure du pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. Les sociétés S2U ayant conclu à la condamnation de la Commission et cette dernière ayant succombé en son pourvoi, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      La Commission européenne est condamnée aux dépens.

Safjan

Piçarra

Gavalec

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 mai 2023.

Le greffier

 

Le président de chambre

A. Calot Escobar

 

M. Safjan


*      Langue de procédure : le français.