Language of document : ECLI:EU:C:2022:847

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 27 octobre 2022 (1)

Affaire C522/21

MS

contre

Saatgut-Treuhandverwaltungs GmbH

[demande de décision préjudicielle formée par le Pfälzisches Oberlandesgericht Zweibrücken (tribunal régional supérieur palatin de Zweibrücken, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Protection des obtentions végétales – Règlement (CE) nº 2100/94 – Dérogation prévue à l’article 14, paragraphe 3 – Article 94, paragraphe 2 – Contrefaçon – Droit à réparation – Règlement (CE) nº 1768/95 – Article 18, paragraphe 2 – Réparation du dommage – Montant forfaitaire calculé sur la base du quadruple de la redevance de licence – Compétence de la Commission – Appréciation de la validité »






I.      Introduction

1.        Le présent renvoi préjudiciel s’inscrit dans le cadre d’un litige opposant un groupement de titulaires de la protection d’une obtention végétale à un agriculteur au sujet du calcul du montant du préjudice subi à la suite de la mise en culture illicite par ce dernier de l’une des variétés protégées.

2.        La juridiction de renvoi sollicite l’appréciation de la validité de l’article 18, paragraphe 2, du règlement (CE) nº 1768/95 (2) (ci-après la « disposition litigieuse »), qui fixe un montant forfaitaire minimal de dommages et intérêts, au regard de l’article 94, paragraphe 2, première phrase, du règlement (CE) nº 2100/94 (3).

3.        Dans la mesure où les doutes de cette juridiction découlent de l’interprétation que la Cour a donnée de cette disposition du règlement nº 2100/94, la présente affaire donne la possibilité à la Cour de revenir une nouvelle fois sur l’interprétation de ladite disposition.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      Le règlement nº 2100/94

4.        L’article 13 du règlement nº 2100/94, intitulé « Droits du titulaire d’une protection communautaire des obtentions végétales et limitations », dispose, à ses paragraphes 1 à 3 :

« 1.      La protection communautaire des obtentions végétales a pour effet de réserver à son ou ses titulaires, ci-après dénommés “titulaire”, le droit d’accomplir les actes indiqués au paragraphe 2.

2.      Sans préjudice des articles 15 et 16, l’autorisation du titulaire est requise pour les actes suivants en ce qui concerne les constituants variétaux ou le matériel de récolte de la variété protégée, ci-après dénommés “matériel” :

a)      production ou reproduction (multiplication) ;

[...]

Le titulaire peut subordonner son autorisation à des conditions et à des limitations.

3.      Le paragraphe 2 s’applique au matériel de récolte uniquement si celui-ci a été obtenu par l’utilisation non autorisée de constituants variétaux de la variété protégée et sauf si le titulaire a raisonnablement pu exercer son droit en relation avec lesdits composants variétaux. »

5.        L’article 14 de ce règlement, intitulé « Dérogation à la protection communautaire des obtentions végétales », se lit comme suit :

« 1.      Nonobstant l’article 13, paragraphe 2, et afin de sauvegarder la production agricole, les agriculteurs sont autorisés à utiliser, à des fins de multiplication en plein air dans leur propre exploitation, le produit de la récolte obtenu par la mise en culture, dans leur propre exploitation, de matériel de multiplication d’une variété bénéficiant d’une protection communautaire des obtentions végétales autre qu’une variété hybride ou synthétique.

2.      Le paragraphe 1 s’applique uniquement aux espèces de plantes agricoles suivantes.

[...]

b)      Céréales :

[...]

Hordeum vulgare L. – Orge

[...]

3.      Les conditions permettant de donner effet à la dérogation prévue au paragraphe 1 et de sauvegarder les intérêts légitimes de l’obtenteur et de l’agriculteur sont fixées, avant l’entrée en vigueur du présent règlement, dans le règlement d’application visé à l’article 114, sur la base des critères suivants :

–        il n’y a aucune restriction quantitative au niveau de l’exploitation de l’agriculteur dans la mesure nécessaire aux besoins de l’exploitation,

–        le produit de la récolte peut être préparé en vue de la mise en culture, par l’agriculteur lui-même ou par prestation de services, sans préjudice de certaines restrictions que les États membres peuvent établir sur le plan de l’organisation de la préparation dudit produit de la récolte, notamment en vue de garantir que le produit soumis à préparation est identique à celui qui résulte de la préparation,

–        les petits agriculteurs ne sont pas tenus de payer une rémunération au titulaire ; par “petits agriculteurs” on entend :

[...]

–        les autres agriculteurs sont tenus de payer au titulaire une rémunération équitable, qui doit être sensiblement inférieure au montant perçu pour la production sous licence de matériel de multiplication de la même variété dans la même région [ci-après la “production sous licence”] ; le niveau effectif de cette rémunération équitable peut être sujet à des variations dans le temps, compte tenu de la mesure dans laquelle il sera fait usage de la dérogation prévue au paragraphe 1 pour la variété concernée,

–        la responsabilité du contrôle de l’application du présent article ou des dispositions adoptées au titre du présent article incombe exclusivement aux titulaires ; dans l’organisation de ce contrôle, ils ne peuvent pas avoir recours aux services d’organismes officiels,

–        toute information pertinente est fournie sur demande aux titulaires par les agriculteurs et les prestataires d’opérations de triage à façon ; toute information pertinente peut également être fournie par les organismes officiels impliqués dans le contrôle de la production agricole, si cette information a été obtenue dans l’exercice normal de leurs tâches, sans charges ni coûts supplémentaires. Ces dispositions n’affectent en rien, pour ce qui est des données à caractère personnel, la législation communautaire et nationale ayant trait à la protection des personnes en ce qui concerne le traitement et la libre circulation des données à caractère personnel. »

6.        L’article 94 dudit règlement, intitulé « Contrefaçon », prévoit :

« 1.      Toute personne qui :

a)      accomplit, sans y avoir été autorisée, un des actes visés à l’article 13, paragraphe 2, à l’égard d’une variété faisant l’objet d’une protection communautaire des obtentions végétales

[...]

peut faire l’objet d’une action, intentée par le titulaire, en cessation de la contrefaçon ou en versement d’une rémunération équitable ou à ce double titre.

2.      Toute personne qui agit de propos délibéré ou par négligence est en outre tenue de réparer le préjudice subi par le titulaire. En cas de faute légère, le droit à réparation du titulaire peut être diminué en conséquence, sans être toutefois inférieur à l’avantage acquis par l’auteur de la contrefaçon du fait de cette contrefaçon. »

2.      Le règlement nº 1768/95

7.        Le règlement nº 1768/95 a été adopté sur le fondement de l’article 114 du règlement nº 2100/94.

8.        L’article 18 de ce premier règlement, intitulé « Actions particulières de droit civil », dispose, à son paragraphe 2 :

« Si, à plusieurs reprises et intentionnellement, une telle personne n’a pas rempli son obligation au titre de l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, du règlement [nº 2100/94], en ce qui concerne une ou plusieurs variétés du même titulaire, la réparation du dommage subi par le titulaire, au sens de l’article 94, paragraphe 2, du règlement [nº 2100/94] représentera au moins un montant forfaitaire qui sera calculé sur la base du quadruple du montant moyen perçu pour la production sous licence [...], sans préjudice de la compensation de tout autre dommage plus important. »

III. Les faits à l’origine du litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour

9.        La société Saatgut‑Treuhandverwaltungs GmbH (ci-après « STV ») est une association de titulaires de la protection d’une obtention végétale, qui a été chargée par ses membres de défendre leurs droits et, en particulier, de faire valoir en son nom propre les droits à information ainsi que les droits à paiement.

10.      MS, le requérant au principal, est un agriculteur qui a été poursuivi, en première instance, par STV, pour obtenir, notamment, des informations sur la mise en culture illicite de la variété d’orge d’hiver « KWS Meridian », protégée en vertu du droit de l’Union, à laquelle ce dernier a procédé au cours des quatre campagnes de commercialisation 2012/2013 à 2015/2016.

11.      Le requérant au principal a fourni pour la première fois, au cours de l’instance l’opposant à STV, les chiffres relatifs aux opérations de triage de cette semence relatifs à ces quatre campagnes, qui étaient, respectivement, de 24,5, 26, 34 et 45,4 quintaux.

12.      À la suite du jugement rendu en première instance, le requérant au principal a versé, a posteriori, le montant moyen perçu pour la production sous licence dû pour la campagne de commercialisation 2015/2016 correspondant à la rémunération équitable, en vertu de l’article 94, paragraphe 1, du règlement nº 2100/94 (4).

13.      STV a demandé le versement de dommages-intérêts supplémentaires, à concurrence du quadruple du montant moyen perçu pour la production sous licence, pour les campagnes de commercialisation 2013/2014, 2014/2015 et 2015/2016 (5), au titre de la réparation prévue à l’article 94, paragraphe 2, du règlement nº 2100/94, lu en combinaison avec la disposition litigieuse, en déduisant le montant de la redevance de licence « simple » pour la production de matériel de reproduction de la variété protégée, versée a posteriori par le requérant au principal.

14.      Le requérant au principal a contesté le droit de STV à un tel versement. À cet égard, il a soutenu que le préjudice que le comportement non autorisé a causé à STV avait été réparé par le versement de la redevance de licence « simple », au lieu du montant dû au titre de la mise en culture, conformément à l’article 5, paragraphe 5, du règlement nº 1768/95. Il a également fait valoir que l’imposition de dommages‑intérêts punitifs généraux et supplémentaires n’était pas conforme à la jurisprudence de la Cour.

15.      Par jugement du 4 décembre 2020, le Landgericht Kaiserslautern (tribunal régional de Kaiserslautern, Allemagne) a, en substance, fait droit (6) à la demande de STV, en se référant aux « termes clairs » de la disposition litigieuse.

16.      Le requérant au principal a interjeté appel de ce jugement devant le Pfälzisches Oberlandesgericht Zweibrücken (tribunal régional supérieur palatin de Zweibrücken, Allemagne). Selon lui, la disposition litigieuse n’est pas conforme à l’article 94, paragraphe 2, du règlement nº 2100/94 et doit être invalidée. En effet, cette seconde disposition ne saurait être comprise comme autorisant l’allocation au titulaire de dommages‑intérêts punitifs forfaitaires, en l’occurrence le quadruple du montant de la redevance de licence, mais en ce sens que les dommages‑intérêts devraient correspondre le plus rigoureusement possible au préjudice effectivement subi par le titulaire et né avec certitude de l’empiètement sur son droit.

17.      STV soutient que la disposition litigieuse n’enfreint pas les prescriptions de l’article 94, paragraphe 2, du règlement nº 2100/94 et est conforme à la jurisprudence de la Cour. Compte tenu de l’empiètement intentionnel et répété des droits que lui confère sa qualité de titulaire, la fixation d’une indemnisation minimale forfaitaire à concurrence du quadruple de la redevance de licence « simple » constituerait, selon elle, une réparation juste et raisonnable.

18.      La juridiction de renvoi estime que sa décision dépend exclusivement de la validité de la disposition litigieuse. Elle observe que cette disposition, par laquelle la Commission européenne a fixé une indemnisation minimale forfaitaire à hauteur du quadruple de la redevance de licence, pourrait enfreindre l’article 94, paragraphe 2, première phrase, du règlement nº 2100/94 et encourir l’annulation à ce titre.

19.      La juridiction de renvoi relève que l’article 94, paragraphe 1, du règlement nº 2100/94 vise à compenser l’avantage tiré par le contrefacteur, à savoir l’agriculteur ne bénéficiant pas de la dérogation à la protection de l’Union des obtentions végétales, au sens de l’article 14 de ce règlement, en prévoyant une rémunération équitable, qui correspond à un montant à concurrence de la redevance de licence  « simple ». Dans ce contexte, l’article 94, paragraphe 2, première phrase, dudit règlement pourrait devoir être interprété en ce sens que le titulaire ne saurait avoir droit à la réparation d’un préjudice supplémentaire, en cas de violation de propos délibéré ou par négligence, qu’à la condition de démontrer concrètement un tel préjudice.

20.      Selon la juridiction de renvoi, la jurisprudence de la Cour donne à penser qu’une généralisation de principe d’une indemnisation minimale n’est pas conforme à l’article 94, paragraphe 2, première phrase, du règlement nº 2100/94 (7). Elle rappelle qu’un règlement d’application adopté en vertu d’une habilitation contenue dans un règlement de base ne saurait déroger aux dispositions de ce dernier dont il est dérivé et encourt l’annulation en cas de contradiction (8).

21.      C’est dans ce contexte que le Pfälzisches Oberlandesgericht Zweibrücken (tribunal régional supérieur palatin de Zweibrücken) a, par décision du 18 août 2021, parvenue au greffe de la Cour le 24 août 2021, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« [La disposition litigieuse], dans la mesure où, d’après les conditions qui y sont citées, une réparation minimale à concurrence du quadruple de la redevance de licence peut être réclamée, [est-elle] compatible avec le [règlement nº 2100/94] et, en particulier, son article 94, paragraphe 2, première phrase ? »

22.      Des observations écrites ont été déposées par les parties au principal et la Commission. Ces mêmes parties ainsi que la Commission ont également été entendues en leurs observations orales lors de l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le 14 juillet 2022.

IV.    Analyse

23.      Préalablement à l’examen de la validité de la disposition litigieuse, il y a lieu de vérifier la recevabilité de la question préjudicielle.

A.      Sur la recevabilité

24.      La Commission, avant d’aborder l’analyse au fond, indique dans ses observations, sans toutefois soutenir ouvertement que la demande de décision préjudicielle est irrecevable, que les circonstances entourant la procédure au principal, telles qu’elles ressortent de la décision de renvoi, ne sont guère claires. Elle indique nourrir des doutes quant à la question de savoir si, en l’espèce, les conditions énoncées à l’article 14, paragraphe 1, du règlement nº 2100/94, notamment celle tenant à l’utilisation du produit de la récolte d’une variété protégée afin de sauvegarder la production agricole, à des fins de multiplication, en plein air, dans sa propre exploitation, étaient réunies au cours des campagnes de commercialisation 2013/2014 à 2015/2016, lorsque le requérant au principal a cultivé la variété protégée en cause. La Commission indique que si tel n’est pas le cas, la question préjudicielle en appréciation de validité de la disposition litigieuse ne serait pas décisive pour la solution du litige. Elle souligne néanmoins que cette question ne peut être appréciée que par la juridiction de renvoi, à laquelle il appartient d’établir tous les faits pertinents.

25.      En premier lieu, je dois rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante que la juridiction de renvoi étant seule compétente pour constater et apprécier les faits du litige dont elle est saisie, la Cour doit en principe limiter son examen aux éléments d’appréciation que la juridiction de renvoi a décidé de lui soumettre et s’en tenir ainsi à la situation que cette juridiction considère comme établie et ne peut être liée par des hypothèses émises par l’une des parties au principal (9).

26.      En second lieu, je rappelle également qu’il est établi que les demandes de décision préjudicielle portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence (10). Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (11).

27.      Or, tel n’est pas le cas en l’espèce.

28.      En effet, je relève, en premier lieu, que, s’il est certes vrai que la juridiction de renvoi n’a pas indiqué les raisons pour lesquelles l’article 14, paragraphes 1 et 3, du règlement nº 2100/94 est applicable au litige au principal, ni le requérant au principal ni STV ne contestent toutefois que cette disposition et, en principe, la disposition litigieuse, s’appliquent en l’espèce.

29.      Je remarque, en second lieu, qu’on peut déduire de la formulation de la question préjudicielle que la juridiction de renvoi éprouve des doutes non pas sur la vocation de la disposition litigieuse à s’appliquer, mais uniquement sur sa conformité au règlement nº 2100/94 et, en particulier, à son article 94, paragraphe 2, première phrase.

30.      Je note, à cet égard, que STV précise qu’il n’est pas contesté que le requérant au principal a réutilisé sur sa propre exploitation du matériel de multiplication de la variété d’orge d’hiver « KWS Meridian », qu’il a lui‑même produite, sans avoir rempli les conditions requises pour la mise en culture, notamment lors des campagnes de commercialisation 2013/2014 à 2015/2016.

31.      J’estime dès lors que la recevabilité de la présente demande préjudicielle ne suscite pas de doute.

B.      Sur le fond

32.      Afin de proposer une réponse à la question préjudicielle posée par la juridiction de renvoi, en premier lieu, je clarifierai l’articulation entre le principe selon lequel l’autorisation du titulaire de la protection de l’Union d’une obtention végétale est requise, en ce qui concerne les constituants variétaux ou le matériel de récolte de la variété protégée, notamment, pour la production ou la reproduction (multiplication), et la dérogation  à cette autorisation, et, en second lieu, à la lumière de cette articulation, je procéderai au contrôle de validité de la disposition litigieuse proprement dit.

1.      Considérations générales sur l’articulation entre l’autorisation du titulaire de la protection de l’Union d’une obtention végétale et la dérogation à cette autorisation

33.      Je relève que, en vertu de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 2100/94, l’autorisation du titulaire de la protection de l’Union d’une obtention végétale est requise, en ce qui concerne les constituants variétaux ou le matériel de récolte de la variété protégée, notamment, pour la production ou la reproduction (multiplication) (12).

34.      En l’absence d’une telle autorisation, l’article 94, paragraphe 1, sous a), du règlement nº 2100/94 prévoit la possibilité, pour le titulaire, d’introduire notamment une action en versement d’une rémunération équitable à l’encontre de la personne ayant accompli, sans y avoir été autorisée, une telle production ou reproduction (multiplication). De plus, si cette dernière s’est passée de l’autorisation requise de propos délibéré ou par négligence, le titulaire bénéficie également d’un droit à réparation du préjudice subi, conformément à l’article 94, paragraphe 2, de ce règlement (13).

35.      Cependant, afin de sauvegarder la production agricole, l’article 14, paragraphe 1, du règlement nº 2100/94 prévoit une dérogation  à la protection de l’Union des obtentions végétales, appelée communément le « privilège des agriculteurs » (14). Cette disposition autorise les agriculteurs à utiliser, à des fins de multiplication en plein air dans leur propre exploitation, le produit de la récolte obtenu par la mise en culture, dans leur propre exploitation, de matériel de multiplication d’une variété protégée comprise dans la liste des espèces de plantes agricoles énumérées à l’article 14, paragraphe 2, de ce règlement dont, comme en l’occurrence, la céréale « Hordeum vulgare L. – Orge ».

36.      Afin de clarifier l’articulation entre le principe de l’autorisation du titulaire et les conditions de la dérogation à ce principe, je me pencherai, d’une part, sur les conditions que doit remplir l’agriculteur afin de pouvoir bénéficier de la dérogation prévue à l’article 14, paragraphe 3, du règlement nº 2100/94, notamment sur celle concernant le paiement de la « rémunération équitable », et sur ce qui la distingue de la « rémunération équitable » prévue à l’article 94, paragraphe 1, de ce règlement. D’autre part, je détaillerai les modalités d’application des conditions permettant de donner effet à la dérogation prévue à l’article 14, paragraphe 1, du règlement nº 2100/94, instituées par le règlement nº 1768/95.

a)      Sur les conditions prévues à l’article 14, paragraphe 3, du règlement nº 2100/94

37.      La dérogation à la protection de l’Union des obtentions végétales est soumise aux conditions prévues à l’article 14, paragraphe 3, du règlement nº 2100/94 (15). Le privilège des agriculteurs ne s’applique donc pas si l’agriculteur ne respecte pas ces conditions. Celles-ci « sont fixées [...] dans le règlement [nº 1768/95] visé à l’article 114 » du règlement nº 2100/94, sur la base d’une série de critères énoncés à l’article 14, paragraphe 3, de ce règlement, qui permettent, d’une part, de donner effet à ladite dérogation et, d’autre part, de sauvegarder les intérêts légitimes de l’obtenteur et de l’agriculteur (16).

38.      Parmi ces critères figure, à l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, du règlement nº 2100/94, l’obligation des agriculteurs de payer au titulaire une  rémunération équitable qui, aux termes de cette disposition, « doit être sensiblement inférieure au montant perçu pour la production sous licence ».

39.      À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé que l’agriculteur qui ne verse pas au titulaire cette rémunération équitable, lorsqu’il utilise le produit de la récolte obtenu par la mise en culture du matériel de multiplication d’une variété protégée (17), ne saurait invoquer l’article 14, paragraphe 1, du règlement nº 2100/94 et, partant, doit être considéré comme accomplissant, sans y avoir été autorisé, un des actes visés à l’article 13, paragraphe 2, de ce règlement (18). Cela implique qu’il ne peut pas bénéficier du privilège des agriculteurs et doit, pour le dire simplement, « retourner à la case départ ». Autrement dit, si, lors de la mise en culture, les critères énoncés à l’article 14, paragraphe 3, dudit règlement ne sont pas respectés, la dérogation ne s’applique pas et la mise en culture constitue une atteinte aux droits conférés au titulaire par l’article 13, paragraphe 2, du même règlement.

40.      Le cas échéant, l’agriculteur est sujet à l’application de l’article 94 du règlement nº 2100/94 (19). Il peut dès lors devoir répondre d’une action, intentée par le titulaire, en cessation de la contrefaçon ou en versement d’une rémunération équitable ou à ce double titre. S’il agit de propos délibéré ou par négligence, l’agriculteur est en outre tenu de réparer le préjudice subi par le titulaire (20).

41.      Il me semble opportun de relever ici la différence entre la notion de « rémunération équitable » figurant à l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, du règlement nº 2100/94 et celle figurant à l’article 94, paragraphe 1, de ce règlement. En effet, la Cour a déjà souligné que, malgré la similitude des termes employés dans ces deux dispositions, celles-ci ne recouvrent pas la même notion (21). Ainsi, tandis que la notion de « rémunération équitable » visée à l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, du règlement nº 2100/94, lue conjointement avec l’article 5, paragraphe 5, du règlement nº 1768/95, a pour objectif d’établir un équilibre entre les intérêts légitimes réciproques des agriculteurs et des titulaires des obtentions végétales, celle visée à l’article 94, paragraphe 1, de ce règlement, dont le libellé ne fait pas de distinction en fonction de la qualité de l’auteur de la contrefaçon, vise spécifiquement le versement d’une rémunération équitable dans le contexte d’une action en contrefaçon (22).

42.      Il en résulte, selon la Cour, que la redevance pour mise en culture autorisée, au sens de l’article 14 du règlement nº 2100/94, ne saurait être retenue comme base de calcul de la rémunération équitable prévue à l’article 94, paragraphe 1, de ce règlement (23). En effet, toute autre interprétation ne serait pas en mesure de garantir l’objectif dudit règlement, ni son effet utile (24). Je reviendrai plus tard sur cet élément qui a toute son importance dans l’examen de la question préjudicielle (25).

b)      Sur les modalités d’application des conditions permettant de donner effet au privilège des agriculteurs : le règlement nº 1768/95

43.      Je rappelle que le règlement visé à l’article 114 du règlement nº 2100/94 est le règlement nº 1768/95 (26). Conformément à son article 1er, le règlement nº 1768/95 institue les modalités d’application des conditions permettant de donner effet à la dérogation prévue à l’article 14, paragraphe 1, du règlement nº 2100/94 (27).

44.      Le règlement nº 1768/95 prévoit notamment, d’une part, les règles permettant de déterminer le niveau de la rémunération équitable (article 5 de ce règlement) (28) et, d’autre part, le moment où naît l’obligation individuelle de la payer au titulaire, en vertu de l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, du règlement nº 2100/94, à savoir lorsque l’agriculteur utilise effectivement le produit de la récolte à des fins de multiplication en plein air (article 6 du règlement nº 1768/95).

45.      Le règlement nº 1768/95 prévoit également, à son article 18, les actions particulières de droit civil en cas de non-respect des conditions du privilège des agriculteurs.

46.      La disposition litigieuse dispose ainsi que, en cas de violation répétée et intentionnelle de l’obligation de payer la rémunération équitable, prévue à l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, du règlement nº 2100/94, en ce qui concerne une ou plusieurs variétés du même titulaire, la réparation du dommage subi par le titulaire, au sens de l’article 94, paragraphe 2, de ce règlement représentera au moins un montant forfaitaire qui sera calculé sur la base du quadruple du montant moyen perçu pour la production sous licence, sans préjudice de la compensation de tout autre dommage plus important.

47.      C’est donc cette disposition qui fait l’objet de la question en appréciation de validité posée par la juridiction de renvoi et que j’examinerai à la lumière de ces considérations générales.

2.      Le contrôle de validité

48.      Par sa question unique, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la disposition litigieuse est invalide au regard de l’article 94, paragraphe 2, première phrase, du règlement nº 2100/94, dans la mesure où elle prévoit, en cas de violation répétée et intentionnelle de l’obligation de payer la « rémunération équitable », au titre de l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, de ce règlement, une réparation minimale du dommage subi par le titulaire à concurrence du quadruple du montant moyen perçu pour la production sous licence.

49.      Dans le cadre de ce contrôle, j’indiquerai, tout d’abord, les raisons pour lesquelles il y a lieu d’écarter les arguments du requérant au principal relatifs à l’absence de compétence de la Commission pour adopter la disposition litigieuse. Ensuite, j’analyserai, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, le contenu normatif de l’article 94, paragraphe 2, du règlement nº 2100/94, au regard duquel la juridiction de renvoi a posé la question en appréciation de la validité de la disposition litigieuse. Enfin, j’en tirerai les enseignements utiles pour y répondre.

a)      Sur la compétence de la Commission pour adopter la disposition litigieuse

50.      Le requérant au principal soutient que la Commission n’était pas compétente pour adopter la disposition litigieuse et, partant, pour déterminer la rémunération équitable à verser en vertu de l’article 94 du règlement nº 2100/94.

51.      Je ne partage pas cette approche.

52.      Je rappelle que l’appréciation de la validité d’une disposition de droit de l’Union par la Cour doit se situer dans le cadre de la question préjudicielle qui lui est posée (29).

53.      En l’occurrence, la question concerne la conformité de la disposition litigieuse eu égard, en particulier, à l’article 94, paragraphe 2, première phrase, du règlement nº 2100/94. Par conséquent, en contestant la compétence de la Commission pour adopter la disposition litigieuse, le requérant au principal entend élargir la question posée par la juridiction de renvoi (30).

54.      Il est du reste évident que le contrôle de la validité de la disposition litigieuse auquel la juridiction de renvoi demande à la Cour de procéder doit être effectué en tenant compte de la nature et de l’objet de cet acte, dont la base juridique est, comme je l’ai indiqué au point 7 des présentes conclusions, l’article 14, paragraphe 3, du règlement nº 2100/94 (31). À cet égard, l’article 114 du règlement nº 2100/94, lu conjointement avec l’article 14, paragraphe 3, de celui-ci, habilite la Commission à établir les modalités d’application de la dérogation prévue à cette disposition (32).

55.      Il s’ensuit que la Commission est habilitée à adopter, sur le fondement de ces dispositions, un règlement d’application, tel que le règlement nº 1768/95, en vue de fixer les conditions permettant de donner effet à la dérogation prévue à l’article 14, paragraphe 1, du règlement nº 2100/94 et de sauvegarder les intérêts légitimes de l’obtenteur et de l’agriculteur. À cet égard, s’agissant de l’objet et de la motivation du règlement nº 1768/95, il ressort des deuxième, troisième, dixième et onzième considérants de celui-ci que ce règlement vise à fixer de telles conditions ainsi qu’à spécifier, d’une part, le lien entre le droit du titulaire et les droits découlant des dispositions de l’article 14 du règlement nº 2100/94 et, d’autre part, le lien entre l’autorisation accordée à l’agriculteur et l’exploitation de cette autorisation.

56.      Par ailleurs, dans la mesure où le règlement nº 1768/95 vise à préciser les critères énoncés à l’article 14, paragraphe 3, du règlement nº 2100/94, qui permettent de donner effet à la dérogation en cause et de sauvegarder les intérêts légitimes de l’obtenteur et de l’agriculteur, il convient encore de déterminer si, comme le demande la juridiction de renvoi, la Commission, en prévoyant, dans la disposition litigieuse, une réparation minimale du dommage subi par le titulaire à concurrence du quadruple du montant moyen perçu pour la production sous licence, a méconnu la teneur des dispositions de l’article 94, paragraphe 2, du règlement nº 2100/94, tel qu’interprété par la Cour.

57.      Pour ce faire, il me semble nécessaire de rappeler brièvement la jurisprudence pertinente relative à l’article 94 du règlement nº 2100/94.

b)      Sur la jurisprudence relative à l’article 94 du règlement nº 2100/94 : l’arrêt Hansson

58.      L’arrêt Hansson (33) me semble constituer un précédent sur lequel la Cour pourra utilement s’appuyer pour répondre à la question préjudicielle. Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la juridiction de renvoi souhaitait, en substance, connaître les principes présidant à la fixation et au calcul du montant des indemnités et des réparations dues en vertu de l’article 94 du règlement nº 2100/94.

1)      La nature des réparations

59.      S’agissant de la nature des réparations dues en vertu de l’article 94 du règlement nº 2100/94, la Cour a relevé, en premier lieu, qu’il ressort du libellé de l’article 94, paragraphe 2, de ce règlement que cette disposition vise exclusivement la réparation du préjudice subi  par le titulaire d’une protection de l’Union d’une obtention végétale en raison d’un acte de contrefaçon de cette obtention (34).

60.      En effet, d’une part, la Cour a indiqué que l’article 94, paragraphe 1, du règlement nº 2100/94 a pour objet de compenser financièrement l’avantage qu’en tire l’auteur de la contrefaçon, cet avantage correspondant au montant équivalent à la redevance dont il ne s’est pas acquitté (35). À cet égard, la Cour a précisé que cette disposition ne prévoit pas la réparation des préjudices autres que ceux liés au défaut du paiement de la rémunération équitable au sens de ladite disposition (36). D’autre part, la Cour a relevé que l’article 94, paragraphe 2, de ce règlement concerne le préjudice que le contrefacteur « est en outre » tenu de réparer au profit du titulaire en cas de contrefaçon commise « de propos délibéré ou par négligence » (37).

61.      Selon la Cour, il en résulte que l’article 94 du règlement nº 2100/94 fonde un droit au dédommagement au profit du titulaire du droit à la protection de l’Union d’une obtention végétale « qui est, non seulement intégral, mais qui repose, en outre, sur une base objective, à savoir qu’il couvre uniquement le préjudice résultant, dans son chef, de l’acte de contrefaçon » (38). Dès lors, elle a affirmé, en suivant les conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe (39), que cette disposition ne peut être interprétée comme pouvant servir de base légale, au profit de ce titulaire, à la condamnation du contrefacteur à des dommages-intérêts de nature punitive, fixés de façon forfaitaire. Elle a ajouté que, au contraire, l’étendue de la réparation due en vertu de ladite disposition doit refléter précisément, dans la mesure du possible, les préjudices réels et certains subis par le titulaire de l’obtention végétale du fait de la contrefaçon (40).

62.      La Cour a déclaré, en second lieu, en se référant aux considérants 17 et 26 de la directive 2004/48/CE (41), ainsi qu’à l’article 13, paragraphe 1, de celle-ci (42), qu’une telle interprétation est conforme aux objectifs de cette directive, qui consacre un standard minimal concernant le respect des droits de propriété intellectuelle en général (43).

2)      Les modalités de fixation des indemnités : l’étendue de la réparation

63.      S’agissant de l’étendue de la réparation, au sens de l’article 94, paragraphe 2, du règlement nº 2100/94, la Cour a relevé qu’il appartient au titulaire de la variété contrefaite d’apporter les éléments démontrant que son préjudice excède les éléments couverts par la rémunération équitable prévue à l’article 94, paragraphe 1, de ce règlement (44). La Cour a, à ce titre, défini l’étendue de cette réparation en soulignant que le montant de la redevance usuelle due pour la production sous licence ne saurait per se servir de fondement à l’évaluation de ce préjudice. En effet, une telle redevance permet le calcul de la rémunération équitable prévue à l’article 94, paragraphe 1, dudit règlement et ne présente pas nécessairement de lien avec le préjudice qui demeure non réparé et dont la réparation est prévue à l’article 94, paragraphe 2, du même règlement (45).

64.      À cet égard, la Cour a rappelé, d’une part, que les circonstances qui ont justifié une majoration de la redevance usuelle due pour la production sous licence pour le calcul de la rémunération équitable ne sauraient être répercutées une seconde fois au titre de la réparation prévue à l’article 94, paragraphe 2, du règlement n° 2100/94 (46). Elle a jugé, d’autre part, qu’il appartient au juge saisi d’apprécier dans quelle mesure les préjudices invoqués par le titulaire de la variété contrefaite peuvent être prouvés avec précision ou s’il y a lieu de procéder à la fixation d’un montant forfaitaire, reflétant au mieux la réalité de ces préjudices (47).

c)      Sur la mise en cause de la validité de la disposition litigieuse,  eu égard à l’article 94, paragraphe 2, du règlement nº 2100/94, tel qu’interprété par la Cour

65.      La juridiction de renvoi se demande, en substance, si, sur le plan du préjudice, une généralisation de principe du montant minimal forfaitaire à hauteur du quadruple de la redevance de licence, prévue à la disposition litigieuse, est conforme à l’article 94, paragraphe 2, du règlement nº 2100/94, tel qu’interprété par la Cour.

1)      Les arguments soulevés par le requérant au principal, STV et la Commission

66.      Le requérant au principal soutient que la disposition litigieuse, à tout le moins la seconde partie de celle-ci, est nulle et peut aisément être annulée ou écartée, tout en maintenant le reste du règlement nº 1768/95. Il ajoute que la première partie de cette disposition limite l’obligation de réparation du préjudice, prévue à l’article 94, paragraphe 2, du règlement nº 2100/94, en cas de contrefaçon d’« une ou plusieurs variétés du même titulaire ». Une telle restriction de la portée et du champ d’application de cette disposition ne figure pas dans les termes de ladite disposition et ne découle pas de sa teneur, de sorte que la première partie serait également illégale et devrait être annulée.

67.      STV soutient que la disposition litigieuse a été valablement adoptée par la Commission, dans le respect des objectifs et des lignes directrices du règlement nº 2100/94, et ne saurait être déclarée invalide. Il serait également constant que le requérant au principal a agi, intentionnellement, sans autorisation du titulaire d’une protection de l’Union d’une obtention végétale. Les conditions énoncées à l’article 94, paragraphe 2, et à l’article 14, paragraphe 3, du règlement nº 2100/94, lus en combinaison avec la disposition litigieuse, seraient, dès lors, incontestablement réunies.

68.      La Commission, quant à elle, soutient que la disposition litigieuse est conforme aux prescriptions du règlement nº 2100/94 dans la mesure où, dans les conditions énoncées dans cette disposition, une réparation minimale à concurrence du quadruple de la redevance de licence peut être réclamée.

69.      Plus précisément, dans ses observations écrites, la Commission justifie l’application du montant forfaitaire minimal, prévu dans la disposition litigieuse, au motif que, lorsque la mise en culture d’une variété protégée n’est pas couverte par le privilège des agriculteurs, c’est-à-dire en cas de réensemencement illégal, le fait de ne pas verser la rémunération équitable, inférieure à la redevance de licence habituelle, constituerait un « usage abusif » de ce privilège, qui conférerait non seulement un droit au paiement de cette redevance au titre de l’article 94, paragraphe 1, du règlement nº 2100/94, mais également un droit à la réparation du préjudice subi, au sens de l’article 94, paragraphe 2, de ce règlement. Selon la Commission, cette réparation devrait alors, lorsque l’abus est répété et intentionnel, être imposée, selon le montant minimal fixé dans la disposition litigieuse (48).

70.      Selon la Commission, dès lors que l’article 14 du règlement nº 2100/94, relatif au privilège des agriculteurs, régit l’équilibre complexe des intérêts entre les titulaires des obtentions végétales et les agriculteurs, il serait approprié que le manquement d’un agriculteur, qui bénéficie de ce privilège mais omet de manière répétée et intentionnelle de respecter l’obligation de verser une rémunération équitable, inférieure à la redevance habituelle (article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, de ce règlement), soit sanctionné plus sévèrement qu’un « simple » cas d’acte soumis à autorisation accompli, de propos délibéré ou par négligence, sans autorisation (article 94, paragraphe 2, dudit règlement) (49). En effet, le montant forfaitaire minimal litigieux correspondrait à une approche standard des préjudices minimaux généralement subis par les titulaires des variétés protégées.

71.      À cet égard, la Commission a évoqué, lors de l’audience, l’arrêt Stowarzyszenie Oławska Telewizja Kablowa (50), dans lequel la Cour a jugé que l’article 13 de la directive 2004/48 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale selon laquelle le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle lésé peut demander à la personne qui a porté atteinte à ce droit soit la réparation du dommage qu’il a subi, en tenant compte de tous les aspects appropriés du cas d’espèce, soit, sans que ce titulaire doive démontrer le préjudice effectif, le paiement d’une somme correspondant au double de la rémunération appropriée qui aurait été due au titre d’une autorisation d’utilisation de l’œuvre concernée.

72.      En outre, la Commission a fait valoir, lors de l’audience, que la complexité de l’objectif visant à garantir l’équilibre entre les intérêts des titulaires de la protection de la variété végétale protégée et ceux des agriculteurs tient, notamment, au fait que le réensemencement illégal a lieu dans l’exploitation de l’agriculteur, ce qui complique le contrôle par les titulaires de l’utilisation des variétés protégées. Dans ces conditions, elle a soutenu que les mesures doivent être suffisamment incitatives pour éviter, notamment, de favoriser les agriculteurs qui éludent l’obligation de payer la rémunération équitable qui leur incombe à l’égard du titulaire, en vertu de l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, du règlement nº 2100/94, par rapport à ceux qui remplissent cette obligation. Et cela d’autant plus que, selon elle, en vertu de l’article 14, paragraphe 3, cinquième tiret, de ce règlement, les titulaires sont les seuls responsables du contrôle et de la surveillance de l’utilisation des variétés protégées dans le cadre de la mise en culture autorisée et sont, dès lors, tributaires de la bonne foi et de la coopération des agriculteurs concernés.

2)      Appréciation

73.      En premier lieu, il convient d’écarter les arguments relatifs à la pertinence du montant forfaitaire minimal en cause, et ce pour les raisons suivantes.

74.      Je rappelle que la disposition litigieuse prévoit que la réparation du dommage subi par le titulaire, au sens de l’article 94, paragraphe 2, du règlement nº 2100/94, représentera au moins un montant forfaitaire qui sera calculé sur la base du quadruple du montant moyen perçu pour la production sous licence, sans préjudice de la compensation de tout autre dommage plus important.

75.      En effet, lorsque l’agriculteur respecte les conditions énoncées à l’article 14, paragraphe 3, du règlement nº 2100/94 et, notamment, verse la rémunération équitable pour une campagne de commercialisation, il paye, en substance, 50 % de la redevance due pour la production sous licence (51), tandis que, lorsqu’il ne les respecte pas (52) et si la disposition litigieuse est appliquée (53), il paye, en substance, un minimum forfaitaire s’élevant à 400 % de la redevance due pour cette production sous licence, soit quatre fois 100 % du montant moyen perçu, c’est-à-dire un montant équivalent, en substance, à huit fois la rémunération équitable exigée au titre de l’article 14, paragraphe 3, du règlement nº 2100/94, et ce pour chaque campagne de commercialisation en cause (54).

76.      Il est certes vrai que ce minimum forfaitaire peut être justifié « techniquement », selon la logique de la Commission (55), par le fait que la redevance due pour la mise en culture autorisée, lorsque l’agriculteur bénéficie de la dérogation prévue à l’article 14, paragraphe 1, du règlement nº 2100/94, ne peut pas être utilisée comme base de calcul de la rémunération équitable, prévue à l’article 94, paragraphe 1, de ce règlement (56) et que, partant, l’agriculteur est tenu, en cas de réensemencement illégal, de payer 100 % de la redevance due pour la production sous licence au titre de la rémunération équitable prévue à cette disposition.

77.      Toutefois, la teneur de l’article 94, paragraphe 2, du règlement nº 2100/94 et les enseignements tirés de l’arrêt Hansson me conduisent à considérer qu’un tel minimum forfaitaire n’est pas conforme au texte de cette disposition.

78.      Premièrement, la Cour a relevé, dans l’arrêt Hansson, que l’article 94, paragraphe 2, du règlement nº 2100/94 vise à réparer le préjudice subi par le titulaire de l’obtention végétale victime d’une contrefaçon (57) et a caractérisé cette réparation comme étant une réparation « objective et intégrale de ce préjudice ». Elle a indiqué que, aux fins d’obtenir une telle réparation, le titulaire de la variété contrefaite doit apporter la preuve démontrant que « son préjudice excède les éléments couverts par la rémunération équitable prévue [à l’article 94, paragraphe 1, de ce règlement] » (58).

79.      Deuxièmement, il ressort de l’arrêt Hansson (59) que c’est à la juridiction saisie qu’il appartient d’apprécier si les préjudices invoqués par le titulaire victime de la contrefaçon peuvent être prouvés « avec précision » ou s’il est nécessaire de « procéder à la fixation d’un montant forfaitaire ». Ainsi, si la Cour admet, dans cet arrêt, la possibilité, pour le juge saisi, de fixer forfaitairement le dédommagement, au titre de l’article 94, paragraphe 2, du règlement nº 2100/94, il est clair, à mon sens, que cette décision revient à ce dernier  et, en tout état de cause, que ce dédommagement « doit refléter précisément, dans la mesure du possible, les préjudices réels et certains subis par le titulaire de l’obtention végétale du fait de la contrefaçon » (60). Par conséquent, selon la Cour, l’article 94 de ce règlement doit être interprété en ce sens que « le droit à réparation qu’il reconnaît au titulaire d’une variété végétale protégée contrefaite s’étend à l’ensemble du préjudice subi par celui-ci, sans que cet article puisse servir de fondement à l’imposition d’un supplément forfaitaire pour contrefaçon » (61).

80.      En revanche, ainsi que l’a indiqué la Commission elle-même en réponse à une question posée par la Cour, lorsque la disposition litigieuse est appliquée, le titulaire victime de la contrefaçon doit prouver non pas l’étendue exacte du préjudice subi mais seulement l’atteinte, répétée et intentionnelle, à ses droits. Cependant, ainsi que je l’ai exposé, ce titulaire doit prouver que son préjudice excède ce qui est couvert par la rémunération équitable, l’appréciation de l’étendue exacte du préjudice subi ou l’éventuelle fixation du montant forfaitaire appartenant à la juridiction saisie (62).

81.      Partant, il ne serait pas conforme à l’article 94, paragraphe 2, du règlement nº 2100/94, tel qu’interprété par la Cour, d’une part, d’utiliser le montant de la redevance usuelle due pour la production sous licence, soit 100 % de cette redevance, comme fondement pour évaluer le préjudice subi par le titulaire de l’obtention végétale, en multipliant par quatre ce montant, tel qu’il ressort de la disposition litigieuse, dès lors qu’une telle redevance vise le calcul de la rémunération équitable, prévue à l’article 94, paragraphe 1, de ce règlement, sans présenter nécessairement de lien avec le préjudice subi par le titulaire, dont la réparation est prévue à l’article 94, paragraphe 2, dudit règlement (63).

82.      D’autre part, je rappelle que, dans l’arrêt Hansson, la Cour a écarté la possibilité que l’article 94 du règlement nº 2100/94 puisse être interprété comme « pouvant servir de base légale, au profit de ce titulaire, à la condamnation du contrefacteur à des dommages-intérêts [de nature punitive], fixés de façon forfaitaire » (64). À cet égard, elle a ajouté que l’étendue de la réparation due en vertu de cette disposition doit refléter « précisément, dans la mesure du possible, les préjudices réels et certains subis par le titulaire de l’obtention végétale du fait de la contrefaçon » (65).

83.      Dès lors, il serait également contraire à l’article 94, paragraphe 2, du règlement nº 2100/94, tel qu’interprété par la Cour, d’établir un postulat, présidant à la disposition litigieuse, voulant que le montant du dédommagement du titulaire soit au moins le quadruple du montant moyen perçu pour la production sous licence. Contrairement à ce que soutient la Commission, un tel postulat aboutirait à accorder des dommages-intérêts de nature punitive dans la mesure où cette première disposition vise à réparer « le préjudice subi par le titulaire » et uniquement le préjudice subi. À cet égard, j’estime que la Commission ne saurait être suivie quand elle prétend, ainsi qu’elle l’a fait lors de l’audience, que cette disposition correspond à une approche standard typique du préjudice minimal généralement subi par les titulaires (66).

84.      En deuxième lieu, je déduis de l’utilisation de l’adverbe « au moins », employé dans la disposition litigieuse, que le juge, dans son appréciation des préjudices invoqués par le titulaire de la variété contrefaite, et au cas où il fixerait un montant forfaitaire, est tenu de calculer la réparation du dommage subi en se fondant sur le postulat, établi par la Commission dans le règlement nº 1768/95, voulant que le dédommagement soit, au minimum, le quadruple de la redevance de licence (67). Par ailleurs, en réponse à une question posée par la Cour sur ce point, la Commission a reconnu que, même si le préjudice réel pouvait être facilement établi et s’avérait être inférieur au montant forfaitaire minimal fixé dans la disposition litigieuse, le juge saisi pourrait, en cas de violation, répétée et intentionnelle, des obligations qui incombent au titre de la disposition litigieuse, majorer ce montant mais en aucun cas le diminuer, compte tenu du libellé de cette disposition.

85.      Cela impliquerait que, même si le préjudice invoqué par le titulaire victime de la contrefaçon peut être prouvé « avec précision », la juridiction saisie devrait procéder à la « fixation d’un montant forfaitaire » alors qu’une telle fixation forfaitaire n’est pas nécessaire. En outre, dans le cas où ce préjudice ne pourrait pas être prouvé avec précision, si la juridiction décidait de fixer un montant forfaitaire, celui-ci ne saurait être inférieur au montant forfaitaire minimal prévu dans la disposition litigieuse (68). Il est évident qu’une telle limitation de la marge d’appréciation de la juridiction saisie serait contraire non seulement à l’article 94, paragraphe 2, première phrase, du règlement nº 2100/94, tel qu’interprété par la Cour (69), mais également au principe de proportionnalité. Bien que, de lege ferenda, la Commission puisse prévoir un minimum forfaitaire en ce qui concerne la redevance de licence, la disposition qui le prévoirait devrait permettre au défendeur de contester ce minimum forfaitaire, qui ne devrait pas s’imposer impérativement à la juridiction saisie.

86.      En troisième et dernier lieu, je considère que les arguments fondés sur l’arrêt Stowarzyszenie Oławska Telewizja Kablowa (70) ne sont pas pertinents au regard de l’examen de la question de validité en cause en l’espèce. En effet, il me semble que les données de l’affaire au principal se distinguent nettement de celles de l’affaire qui a donné lieu à cet arrêt.

87.      D’une part, dans la mesure où la directive 2004/48 laisse une certaine marge d’appréciation aux États membres dans sa transposition et concerne non seulement les droits de propriété intellectuelle des obtentions végétales mais également tous les droits de propriété intellectuelle, y compris les droits de propriété industrielle (71), les atteintes et violations éventuelles de ces droits peuvent être diverses et nombreuses. Partant, comme l’a souligné l’avocat général Saugmandsgaard Øe (72), même si cette directive peut, le cas échéant, constituer un élément de contexte pertinent à prendre en compte aux fins d’interprétation du règlement nº 2100/94, il importe cependant d’éviter de créer, sous couvert d’une interprétation contextuelle de ce règlement, des droits directement applicables qui ne sont pas consacrés par ce dernier en les puisant dans ladite directive.

88.      D’autre part, et plus important encore, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Stowarzyszenie Oławska Telewizja Kablowa (73) portait sur l’interprétation de la directive 2004/48, tandis que, en l’espèce, la Cour est appelée à examiner une question d’appréciation de la validité d’une disposition du règlement nº 1768/95, à savoir la disposition litigieuse, qui est une mesure d’application et doit à ce titre être conforme au règlement nº 2100/94 et, notamment, à l’article 94, paragraphe 2, de celui-ci.

89.      Il s’ensuit que l’article 94, paragraphe 2, du règlement nº 2100/94 ne permet pas la fixation du montant forfaitaire minimal prévu dans la disposition litigieuse. En effet, la teneur de la disposition litigieuse va au-delà de celle de l’article 94, paragraphe 2, de ce règlement. De plus, ainsi que cela ressort des points précédents, les arguments soulevés par STV et la Commission ne sont pas de nature à infirmer l’interprétation que la Cour a donnée de cette dernière disposition dans l’arrêt Hansson.

90.      Dans ces conditions, j’estime que la généralisation de principe du montant minimal forfaitaire de l’indemnisation à hauteur du quadruple de la redevance de licence, prévue dans la disposition litigieuse, n’est pas conforme à l’article 94, paragraphe 2, du règlement nº 2100/94, tel qu’interprété par la Cour, et ce même si, comme le soutiennent STV et la Commission, la disposition litigieuse s’applique uniquement en cas de violation répétée et intentionnelle de l’obligation de payer la rémunération équitable, prévue à l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, de ce règlement.

91.      Partant, lors de l’adoption de la disposition litigieuse, la Commission a dépassé les limites de sa compétence, eu égard, en particulier, à l’article 94, paragraphe 2, du règlement nº 2100/94.

V.      Conclusion

92.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle posée par le Pfälzisches Oberlandesgericht Zweibrücken (tribunal régional supérieur palatin de Zweibrücken, Allemagne) :

L’article 18, paragraphe 2, du règlement (CE) nº 1768/95 de la Commission, du 24 juillet 1995, établissant les modalités d’application de la dérogation prévue à l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 2100/94 du Conseil instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales est invalide, au regard de l’article 94, paragraphe 2, première phrase, du règlement (CE) nº 2100/94 du Conseil, du 27 juillet 1994, instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales, dans la mesure où cette disposition prévoit, en cas de violation répétée et intentionnelle de l’obligation de payer la rémunération équitable, au titre de l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, du règlement nº 2100/94, une réparation minimale du dommage subi par le titulaire à concurrence du quadruple du montant moyen perçu pour la production sous licence de matériel de multiplication de la même variété dans la même région.


1      Langue originale : le français.


2      Règlement de la Commission du 24 juillet 1995 établissant les modalités d’application de la dérogation prévue à l’article 14, paragraphe 3, du règlement nº 2100/94 du Conseil instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales (JO 1995, L 173, p. 14).


3      Règlement du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales (JO 1994, L 227, p. 1).


4      Il ressort de la décision de renvoi que, la redevance de licence ordinaire habituelle étant de 11,95 euros par quintal, le requérant au principal a versé à STV la somme de 537,75 euros (11,95 euros × 45 quintaux).


5      À savoir, pour ces deux premières campagnes de commercialisation, respectivement, les sommes de 932,10 euros et de 1 218,90 euros, qui correspondent au quadruple de la redevance de licence « générale », déduction faite de la redevance de licence « simple » versée a posteriori à hauteur de 310,70 euros (11,95 euros × 26 quintaux) et de 406,30 euros (11,95 euros × 34 quintaux)], soit un montant total de 2 151 euros et, pour la troisième campagne, un montant de 1 613,25 euros, qui correspond au quadruple de la redevance de licence « générale », déduction faite de la redevance de licence « simple ».


6      À l’exception d’un montant de 0,25 euro.


7      Arrêts du 5 juillet 2012, Geistbeck (C‑509/10, ci-après l’« arrêt Geistbeck », EU:C:2012:416, point 39), et du 9 juin 2016, Hansson (C‑481/14, ci-après l’« arrêt Hansson », EU:C:2016:419, points 32 à 34).


8      Voir arrêt du 2 mars 1999, Espagne/Commission (C‑179/97, EU:C:1999:109).


9      Arrêt du 2 avril 2020, Coty Germany (C‑567/18, EU:C:2020:267, point 22 et jurisprudence citée).


10      Dans le cadre d’une question de validité, voir également, en ce sens, arrêt du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (C‑305/05, EU:C:2007:383, point 18).


11      Arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a. (C‑621/18, EU:C:2018:999, point 27 et jurisprudence citée).


12      Voir, notamment, arrêt du 25 juin 2015, Saatgut-Treuhandverwaltung (C‑242/14, EU:C:2015:422, point 20 et jurisprudence citée).


13      À cet égard, la Cour a déjà indiqué le caractère objectif de cette disposition, en précisant que la comparaison de son libellé avec celui de l’article 94, paragraphe 1, dudit règlement fait apparaître que « tout élément subjectif fait défaut au paragraphe 1 », voir arrêt du 20 octobre 2011, Greenstar-Kanzi Europe (C‑140/10, EU:C:2011:677, point 48).


14      Le dix-septième considérant du règlement nº 2100/94 énonce que « l’exercice des droits conférés par la protection communautaire des obtentions végétales doit être soumis à des restrictions prévues dans des dispositions adoptées dans l’intérêt public ». Selon le dix-huitième considérant de ce règlement, « cela comporte la sauvegarde de la production agricole ; [...] dans ce but, l’agriculteur doit être autorisé à utiliser, selon certaines modalités, le produit de sa récolte à des fins de propagation ».


15      Voir, notamment, arrêt du 25 juin 2015, Saatgut-Treuhandverwaltung (C‑242/14, EU:C:2015:422, point 20 et jurisprudence citée).


16      Ces critères concernent, notamment, l’absence de restriction quantitative du privilège des agriculteurs (article 14, paragraphe 3, premier tiret) ; la possibilité de préparation, par l’agriculteur lui-même, du produit de la récolte en vue de la mise en culture (article 14, paragraphe 3, deuxième tiret) ; l’exclusion des « petits agriculteurs » de l’obligation à charge des agriculteurs de payer au titulaire une  rémunération équitable  (article 14, paragraphe 3, troisième tiret) ;  la responsabilité exclusive des titulaires du contrôle de l’application dudit privilège (article 14, paragraphe 3, cinquième tiret), ou encore les obligations d’informations des agriculteurs à l’égard du titulaire (article 14, paragraphe 3, sixième tiret).


17      Il s’agit donc d’une mise en culture illicite ou, en d’autres termes, d’un réensemencement illégal.


18      Voir, en ce sens, arrêts du 10 avril 2003, Schulin (C‑305/00, EU:C:2003:218, point 71) ; Geistbeck (point 23), et du 25 juin 2015, Saatgut-Treuhandverwaltung (C‑242/14, EU:C:2015:422, point 22).


19      Voir points 33 et suiv. des présentes conclusions.


20      Voir, en ce sens, arrêts du 10 avril 2003, Schulin (C‑305/00, EU:C:2003:218, point 71) ; Geistbeck (points 23 et 25), et du 25 juin 2015, Saatgut-Treuhandverwaltung (C‑242/14, EU:C:2015:422, point 22).


21      Arrêt Geistbeck (point 28). L’utilisation des mêmes termes, notamment dans la version en langue française, est, à cet égard, trompeuse. En effet, « il n’en va pas de même dans d’autres versions linguistiques, notamment les versions en langues allemande et anglaise ».


22      Arrêt Geistbeck (points 30 et 31).


23      Voir, en ce sens, arrêt Geistbeck (point 32). Prenons un exemple imaginaire : si la redevance pour mise en culture autorisée est de 10 euros, alors la « rémunération équitable » à payer par l’agriculteur, au titre de l’article 14, paragraphe 1, du règlement nº 2100/94, serait de 5 euros. En revanche, dans ce même cas, si les conditions de l’article 14, paragraphe 3, de ce règlement ne sont pas respectées, cet agriculteur ne pourrait pas bénéficier de son « privilège » et il devrait verser la « rémunération équitable », au titre de l’article 94, paragraphe 1, de ce règlement, qui serait alors de 10 euros.


24      Voir conclusions de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire Geistbeck (C‑509/10, EU:C:2012:187, point 58).


25      Voir points 81 et 82 des présentes conclusions.


26      Voir point 37 des présentes conclusions.


27      Voir point 35 des présentes conclusions.


28      Le règlement (CE) nº 2605/98 de la Commission, du 3 décembre 1998, modifiant le règlement nº 1768/95 (JO 1998, L 328, p. 6) a ajouté, notamment, le paragraphe 5 à l’article 5 du règlement nº 1768/95. Aux termes de ce paragraphe 5 : « Lorsque, dans le cas du paragraphe 2, un accord du type visé au paragraphe 4 n’est pas applicable, la rémunération à verser est de 50 % des montants dus pour la production sous licence de matériel de multiplication, comme indiqué au paragraphe 2 ».


29      Arrêt du 28 octobre 1982, Dorca Marina e.a. (50/82 à 58/82, EU:C:1982:378, point 13).


30      Il ressort clairement des considérations générales que je viens de formuler en ce qui concerne l’articulation entre le principe de l’autorisation du titulaire et le privilège des agriculteurs que les arguments du requérant au principal à cet égard ne sont pas fondés. Voir points 33 et suiv. des présentes conclusions.


31      Voir, par analogie, arrêt du 20 mai 2021, Renesola UK (C‑209/20, EU:C:2021:400, points 31 et suiv.)


32      Voir, à cet égard, points 37 à 46 des présentes conclusions.


33      Pour rappel, le litige ayant donné lieu à cet arrêt opposait M. Hansson, titulaire d’un droit à la protection de l’Union d’une obtention végétale portant sur une variété particulière de marguerites, à la société Jungpflanzen, qui avait cultivé et distribué pendant sept années cette variété florale sous une dénomination différente, au sujet de la réparation du préjudice que ce premier avait subi du fait de la distribution non autorisée de la variété concernée.


34      Arrêt Hansson (point 30).


35      Arrêt Hansson (point 31). Ce montant s’élève, en substance, à 100 % des droits fixés dans les licences de production de semences certifiées. Dans l’exemple donné à la note en bas de page 23 des présentes conclusions, il s’agirait du paiement d’un montant de 10 euros.


36      Ainsi que je l’ai déjà exposé au point 41 des présentes conclusions, il faut distinguer entre cette notion de « rémunération équitable » et celle au titre de l’article 14, paragraphe 3, du règlement nº 2100/94. Voir, à cet égard, également, point 42 des présentes conclusions.


37      Arrêt Hansson (points 31 et 32).


38      Arrêt Hansson (point 33). Mise en italique par mes soins. Voir, également, conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire Hansson (C‑481/14, EU:C:2016:73, point 30), et de l’avocat général Jääskinen dans l’affaire Geistbeck (C‑509/10, EU:C:2012:187, point 40).


39      Voir ses conclusions dans l’affaire Hansson (C‑481/14, EU:C:2016:73, point 34) : « Le recours aux termes “réparer le préjudice subi” me semble, en effet, exclure toute interprétation selon laquelle ladite disposition poursuivrait une visée dite “punitive”, consistant à octroyer au titulaire une indemnité excédant le montant nécessaire pour compenser le préjudice qu’il a subi. »


40      Arrêt Hansson (points 34 et 35). Dans ses conclusions dans cette affaire (C‑481/14, EU:C:2016:73, point 35), l’avocat général Saugmandsgaard Øe a précisé que « [d]’autres dispositions du règlement nº 2100/94 permettent, en revanche, l’imposition au contrevenant d’obligations se superposant à la réparation de ce préjudice. L’objectif de punition peut, ainsi, être atteint au moyen de sanctions à caractère pénal, lesquelles relèvent, conformément à l’article 107 de ce règlement, du droit interne des États membres en l’absence d’harmonisation au niveau de l’Union européenne ». Mise en italique par mes soins.


41      Directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO 2004, L 157, p. 45, et rectificatif JO 2004, L 195, p. 16). Le considérant 17 de cette directive énonce que « [l]es mesures, procédures et réparations prévues par la présente directive devraient être déterminées dans chaque cas de manière à tenir dûment compte des caractéristiques spécifiques de ce cas, notamment des caractéristiques spécifiques de chaque droit de propriété intellectuelle et, lorsqu’il y a lieu, du caractère intentionnel ou non intentionnel de l’atteinte commise ». Le considérant 26 de ladite directive énonce que, « [e]n vue de réparer le préjudice subi du fait d’une atteinte commise par un contrevenant qui s’est livré à une activité portant une telle atteinte en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir, le montant des dommages-intérêts octroyés au titulaire du droit devrait prendre en considération tous les aspects appropriés, tels que le manque à gagner subi par le titulaire du droit ou les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant et, le cas échéant, tout préjudice moral causé au titulaire du droit. Le montant des dommages-intérêts pourrait également être calculé, par exemple dans les cas où il est difficile de déterminer le montant du préjudice véritablement subi, à partir d’éléments tels que les redevances ou les droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question. Le but est non pas d’introduire une obligation de prévoir des dommages-intérêts punitifs, mais de permettre un dédommagement fondé sur une base objective tout en tenant compte des frais encourus par le titulaire du droit tels que les frais de recherche et d’identification ».


42      S’agissant de cette directive, je rappelle que, en réponse à une question préjudicielle portant sur l’interprétation de son article 13, intitulé « Dommages-intérêts », la Cour a considéré que ladite directive s’applique, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de celle-ci, sans préjudice des moyens prévus ou pouvant être prévus, notamment, dans la législation nationale, pour autant que ces moyens soient plus favorables aux titulaires de droits. Voir arrêt du 25 janvier 2017, Stowarzyszenie Oławska Telewizja Kablowa (C‑367/15, EU:C:2017:36, point 22). Je reviendrai sur cet arrêt aux points 86 à 88 des présentes conclusions. L’article 13, paragraphe 1, de la directive 2004/48 dispose : « Les États membres veillent à ce que, à la demande de la partie lésée, les autorités judiciaires compétentes ordonnent au contrevenant qui s’est livré à une activité contrefaisante en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir de verser au titulaire du droit des dommages-intérêts adaptés au préjudice que celui-ci a réellement subi du fait de l’atteinte. Lorsqu’elles fixent les dommages-intérêts, les autorités judiciaires : a) prennent en considération tous les aspects appropriés tels que les conséquences économiques négatives, notamment le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant et, dans des cas appropriés, des éléments autres que des facteurs économiques, comme le préjudice moral causé au titulaire du droit du fait de l’atteinte, ou b) à titre d’alternative, peuvent décider, dans des cas appropriés, de fixer un montant forfaitaire de dommages-intérêts, sur la base d’éléments tels que, au moins, le montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question. »


43      Arrêt Hansson (points 36 à 40).


44      Arrêt Hansson (points 33 à 43 et 56).


45      Arrêt Hansson (point 57).


46      Arrêt Hansson (point 58).


47      Voir arrêt Hansson (point 59).


48      La Commission a fait valoir, lors de l’audience, qu’un tel montant forfaitaire minimal de dommages et intérêts permettrait également à l’agriculteur de calculer le montant de la réparation dû en cas de manquement répété et intentionnel de sa part, contribuant ainsi à la sécurité juridique tant de l’agriculteur que du titulaire de la variété protégée.


49      Pour sa part, STV fait valoir que la disposition litigieuse « sert à rétablir l’équilibre » entre les intérêts des titulaires des obtentions végétales et ceux des agriculteurs en prenant en considération les désavantages des premiers par rapport au privilège de mise en culture des seconds. Toutefois, il me semble important de rappeler que c’est la rémunération équitable, visée à l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, du règlement nº 2100/94, qui a pour objectif d’établir un tel équilibre. La disposition litigieuse, quant à elle, prévoit la réparation du dommage subi par le titulaire au sens de l’article 94, paragraphe 2, du règlement nº 2100/94 si, à plusieurs reprises et intentionnellement, l’agriculteur concerné n’a pas rempli son obligation au titre de l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, du règlement nº 2100/94.


50      Arrêt du 25 janvier 2017 (C‑367/15, EU:C:2017:36, points 23, 25, 26 et 31). Voir, pour un avis contraire, conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire Stowarzyszenie Oławska Telewizja Kablowa (C‑367/15, EU:C:2016:900). Voir, également, note en bas de page 42 des présentes conclusions. Pour rappel, dans cet arrêt, la Cour a précisé que, si le remboursement d’un préjudice calculé sur le fondement du double de la redevance hypothétique dépasse si clairement et considérablement le préjudice réellement subi de telle sorte qu’une demande en ce sens pourrait constituer un abus de droit, il ressortait, toutefois, des observations formulées par le gouvernement concerné lors de l’audience que, selon la réglementation applicable au principal, le juge national, dans une telle hypothèse, ne serait pas lié par la demande du titulaire du droit lésé.


51      C’est-à-dire 50 % des droits fixés dans les licences de production de semences certifiées.


52      Arrêt Hansson (point 57).


53      C’est-à-dire si, « à plusieurs reprises et intentionnellement, une telle personne n’a pas rempli son obligation au titre de l’article 14, paragraphe 3, quatrième tiret, du règlement [nº 2100/94] ».


54      Il y a lieu de relever que, en réponse à une question posée par la Cour lors de l’audience, la Commission a indiqué que la raison ayant motivé l’introduction, dans la disposition litigieuse, d’un tel minimum forfaitaire ne ressort pas des documents préparatoires de ce règlement.


55      Voir points 39 à 42 des présentes conclusions.


56      Voir, en ce sens, arrêt Geistbeck (point 32).


57      Arrêts Hansson (point 46) et Geistbeck (point 36).


58      Arrêt Hansson (points 33 à 43 et 56). Mise en italique par mes soins.


59      Point 59.


60      Arrêt Hansson (point 35). Mise en italique par mes soins.


61      Ni spécifiquement à la restitution des gains et des avantages tirés par le contrefacteur. Arrêt Hansson (point 43).


62      Voir, à cet égard, points 63 et 64 des présentes conclusions. Il y a lieu de relever que la Commission a observé, lors de l’audience, que lorsque l’obtenteur peut prouver l’étendue exacte du préjudice subi, la disposition litigieuse ne permet pas au juge saisi de réduire le montant forfaitaire prévu dans cette disposition.


63      Voir, en ce sens, arrêt Hansson (point 57).


64      Arrêt Hansson (point 34). Ainsi que l’a rappelé l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans ses conclusions dans l’affaire Hansson (C‑481/14, EU:C:2016:73, point 35, note en bas de page 9), la Commission avait proposé, en 2013, de modifier le règlement n° 2100/94 de façon à obliger les États membres à adopter des sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives (proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la production et à la mise à disposition sur le marché de matériel de reproduction des végétaux, du 6 mai 2013 [COM(2013) 262 final, p. 98]). Cette proposition avait été rejetée par une résolution législative du Parlement européen du 11 mars 2014 (T7‑0185/2014), puis retirée par la Commission (JO 2015, C 80, p. 20).


65      Arrêt Hansson (point 35).


66      Voir, à cet égard, point 70 des présentes conclusions.


67      À cet égard, je rappelle que l’article 94, paragraphe 2, deuxième phrase, du règlement nº 2100/94 prévoit que, en cas de faute légère, le droit à réparation du titulaire peut être diminué en conséquence, sans être toutefois inférieur à l’avantage acquis par l’auteur de la contrefaçon du fait de cette contrefaçon. A contrario, on pourrait déduire de cette disposition qu’il faudrait une disposition spécifique dans ce règlement pour permettre l’adoption d’une disposition, telle que la disposition litigieuse, prévoyant une augmentation de ce droit à réparation au-delà du préjudice subi.


68      Voir note en bas de page 67 des présentes conclusions. Je rappelle, notamment, que l’article 94, paragraphe 2, seconde phrase, du règlement nº 2100/94 prévoit la possibilité de diminuer le montant du droit à réparation du préjudice subi par le titulaire en cas de faute légère, sans que ce montant soit toutefois inférieur à l’avantage acquis par l’auteur de la contrefaçon du fait de cette contrefaçon.


69      Arrêt Hansson (point 59).


70      Arrêt du 25 janvier 2017 (C‑367/15, EU:C:2017:36).


71      Voir, à cet égard, article 1er de la directive 2004/48.


72      Voir ses conclusions dans l’affaire Hansson (C‑481/14, EU:C:2016:73, point 52).


73      Arrêt du 25 janvier 2017 (C‑367/15, EU:C:2017:36).