Language of document : ECLI:EU:T:2011:553

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

30 septembre 2011 (*)

« Référé – Levée de l’immunité d’un membre du Parlement européen – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑346/11 R,

Bruno Gollnisch, demeurant à Limonest (France), représenté par MG. Dubois, avocat,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par MM. R. Passos, D. Moore et Mme K. Zejdová, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision du Parlement européen du 10 mai 2011 portant levée de l’immunité du requérant,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Cadre juridique

1        Aux termes du chapitre III du protocole (nº 7) sur les privilèges et immunités de l’Union européenne (JO 2010, C 83, p. 266, ci-après le « protocole ») :

« Membres du Parlement européen

Article 8

Les membres du Parlement européen ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinions ou votes émis par eux dans l’exercice de leurs fonctions.

Article 9

Pendant la durée des sessions du Parlement européen, les membres de celui-ci bénéficient :

a)      sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur pays,

b)      sur le territoire de tout autre État membre, de l’exemption de toute mesure de détention et de toute poursuite judiciaire.

L’immunité les couvre également lorsqu’ils se rendent au lieu de réunion du Parlement européen ou en reviennent.

L’immunité ne peut être invoquée dans le cas de flagrant délit et ne peut non plus mettre obstacle au droit du Parlement européen de lever l’immunité d’un de ses membres. »

2        L’article 6, intitulé « Levée de l’immunité », du règlement intérieur du Parlement européen est rédigé comme suit :

« 1.      Dans l’exercice de ses pouvoirs relatifs aux privilèges et aux immunités, le Parlement vise avant tout à conserver son intégrité en tant qu’assemblée législative démocratique et à assurer l’indépendance des députés dans l’accomplissement de leurs tâches.

2.      Toute demande adressée au Président par une autorité compétente d’un État membre en vue de lever l’immunité d’un député est communiquée en séance plénière et renvoyée à la commission compétente.

3.      Toute demande adressée au Président par un député […] en vue de défendre l’immunité et les privilèges est communiquée en séance plénière et renvoyée à la commission compétente.

[…] »

3        L’article 7, intitulé « Procédures relatives à l’immunité », du règlement intérieur du Parlement européen dispose :

« 1.      La commission compétente examine sans délai […] les demandes de levée de l’immunité […]

2.      La commission présente une proposition de décision motivée qui recommande l’adoption ou le rejet de la demande de levée de l’immunité [...]

3.      La commission peut demander à l’autorité intéressée de lui fournir toutes informations et précisions qu’elle estime nécessaires pour déterminer s’il convient de lever […] l’immunité. Les députés concernés se voient offrir la possibilité de s’expliquer ; ils peuvent présenter autant de documents et d’éléments d’appréciation écrits qu’ils jugent pertinents […]

[…]

8.      Le rapport de la commission est inscrit d’office en tête de l’ordre du jour de la première séance suivant son dépôt […]

Après examen par le Parlement, il est procédé à un vote séparé sur chacune des propositions contenues dans le rapport […]

9.      Le Président communique immédiatement la décision du Parlement au député concerné et à l’autorité compétente de l’État membre intéressé […] »

 Antécédents du litige et procédure

4        Le requérant, M. Bruno Gollnisch, est député au Parlement européen.

5        En juin 2010, le requérant s’est adressé au président du Parlement pour demander la défense de son immunité parlementaire en raison d’une enquête judiciaire ouverte contre lui, en janvier 2009, au tribunal de grande instance de Lyon (France), à la suite d’une plainte déposée par la ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme. Cette plainte dénonçait une infraction présumée d’incitation à la haine raciale du fait de la publication, en octobre 2008, d’un communiqué de presse du groupe du Front national à la Région Rhône-Alpes, groupe dont le requérant était président.

6        Dans le cadre de ladite enquête judiciaire, un juge d’instruction avait essayé, en vain, de convoquer le requérant afin de l’entendre au sujet des allégations formulées dans la plainte en question. Le requérant s’étant refusé à donner suite tant à un mandat de comparution qu’à un mandat d’amener, en invoquant son immunité en tant que député européen, les autorités judiciaires françaises ont, en novembre 2010, transmis au président du Parlement une demande de levée de l’immunité du requérant, aux fins de poursuivre l’enquête judiciaire.

7        La demande de levée de l’immunité du requérant ainsi que celle visant à en obtenir la défense ayant été renvoyées à la commission des affaires juridiques du Parlement, cette dernière a émis, en avril 2011, deux propositions de décision du Parlement qui recommandent, d’une part, de faire droit à la demande de levée de l’immunité et, d’autre part, de ne pas défendre l’immunité du requérant. En conséquence, lors de sa séance plénière du 10 mai 2011, le Parlement a adopté la décision portant levée de l’immunité du requérant (ci-après la « décision attaquée »). À cette même date, il a adopté la décision de ne pas défendre l’immunité et les privilèges du requérant.

8        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 juillet 2011, le requérant a introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée et à la condamnation du Parlement au versement, d’une part, d’une somme de 8 000 euros en réparation du préjudice moral supposément subi et, d’autre part, d’une somme de 4 000 euros au titre des dépens. À l’appui de son recours, il invoque, en substance, une méconnaissance de l’article 9 du protocole, une atteinte à l’indépendance des députés et une violation de ses droits de la défense.

9        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a introduit la présente demande en référé, dans laquelle il conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal de surseoir à l’exécution de la décision attaquée.

10      Dans ses observations écrites, déposées au greffe du Tribunal le 26 juillet 2011, le Parlement conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

11      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions, organes et organismes de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un tel acte ou prescrire des mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 17 décembre 2009, Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, T‑396/09 R, non publiée au Recueil, point 31, et la jurisprudence citée).

12      En outre, l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

13      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73).

14      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

15      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

16      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires. Cependant, il n’est pas suffisant d’alléguer que l’exécution de l’acte dont le sursis est sollicité est imminente, mais il appartient à cette partie d’apporter la preuve sérieuse qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours principal sans avoir à subir un préjudice de cette nature. Si l’imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue, sa réalisation doit néanmoins être prévisible avec un degré de probabilité suffisant. La partie qui sollicite les mesures provisoires demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du président du Tribunal du 17 décembre 2010, Uspaskich/Parlement, T‑507/10 R, non publiée au Recueil, point 19, et la jurisprudence citée).

17      En l’espèce, le requérant fait d’abord état d’une forte présomption en faveur du bien-fondé de la demande en référé en ce que les principes mêmes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime auraient été bafoués par la décision attaquée. En outre, il invoque, sous la rubrique « urgence », l’existence manifeste d’un fumus persecutionis, en ajoutant que le respect du droit, de l’ordre constitutionnel communautaire, des droits fondamentaux, de l’égalité de traitement, de la protection de la confiance légitime et de la démocratie requièrent l’intervention du Tribunal.

18      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, la violation éventuelle d’une règle de droit par un acte ne saurait suffire à établir, par elle-même, la gravité et le caractère irréparable d’un éventuel préjudice causé par cette violation. Par conséquent, il ne suffit pas pour le requérant d’alléguer une atteinte manifeste à des règles de droit pour établir la réunion des conditions de l’urgence, à savoir le caractère grave et irréparable du préjudice qui pourrait découler de cette atteinte, ledit requérant étant tenu de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un tel préjudice (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 29 juillet 2011, Cemex e.a./Commission, T‑292/11 R, non publiée au Recueil, point 29, et la jurisprudence citée).

19      Il en va de même du fumus persecutionis allégué qui relève, lui aussi, du fond de l’affaire. Cela ressort d’ailleurs de la demande en référé elle-même, en ce que le requérant se réfère, sous la rubrique consacrée à « la légalité interne », au fumus persecutionis en tant que présomption que, à l’origine de l’action pénale, se trouve l’intention de nuire à l’activité politique du député concerné. Or, ainsi qu’il vient d’être rappelé, l’allégation d’une illégalité manifeste de la décision attaquée ne saurait conduire à considérer la condition tenant à l’urgence comme étant établie.

20      Ensuite, le requérant expose, toujours sous la rubrique « urgence », ce qui suit :

« Le temps en l’espèce constitue un élément clef. Ainsi, il est urgent que le juge communautaire ordonne un sursis à l’exécution de la décision de levée de son immunité avant que le requérant ne soit arrêté ou, a fortiori, renvoyé en correctionnelle, car, dans le cas contraire, l’annulation de la décision de levée de l’immunité [du requérant] deviendrait sans objet et un dommage irréparable naîtrait alors pour ce dernier.

[…] l’existence d’une peine accessoire d’inéligibilité emportant perte de l’ensemble de ses mandats électifs par le requérant, perte qui serait dès lors définitive, impose […] la suspension de la décision de levée de l’immunité et des privilèges du requérant. »

21      À cet égard, force est de constater, ainsi que le Parlement l’a relevé à juste titre, que l’enquête judiciaire ouverte contre le requérant en France se trouve à un stade précoce de la procédure, à savoir celui de l’instruction d’une plainte. Par conséquent, la crainte du requérant de se voir infliger, à la fin d’un éventuel procès pénal, « une peine accessoire d’inéligibilité » se rapporte à un événement de nature hypothétique, le requérant bénéficiant actuellement de la présomption d’innocence et rien ne permettant d’établir la probabilité de sa condamnation pénale par la juridiction compétente, plutôt que son acquittement. Or, il est de jurisprudence bien établie qu’un préjudice de nature purement hypothétique, en ce qu’il est fondé sur une probabilité aléatoire d’événements futurs et incertains, ne saurait justifier l’octroi de mesures provisoires (voir ordonnances du président du Tribunal du 26 mars 2010, SNF/ECHA, T‑1/10 R, non publiée au Recueil, point 48, et Uspaskich/Parlement, précitée, point 29, et la jurisprudence citée).

22      Dans la mesure où le requérant invoque le risque d’être arrêté ou renvoyé en correctionnelle, il y a lieu de considérer qu’il se borne à avancer de pures affirmations non étayées, au lieu d’établir avec le degré de probabilité requis qu’une telle arrestation ou un tel renvoi, au stade de l’enquête judiciaire ouverte à son encontre, lui occasionnerait en tant que député européen un préjudice grave et irréparable.

23      Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que les privilèges et immunités reconnus à l’Union européenne par le protocole ne revêtent qu’un caractère fonctionnel, en ce qu’ils visent à éviter qu’une entrave soit apportée au fonctionnement et à l’indépendance de l’Union. Par conséquent, ces privilèges et immunités sont accordés exclusivement dans l’intérêt de l’Union. Il en va nécessairement de même de l’immunité des membres du Parlement : celle-ci a pour objet d’éviter toute entrave au bon fonctionnement de l’institution dont ils sont membres, donc à l’exercice des compétences de cette institution. Il s’ensuit qu’un député européen, confronté à une décision de levée de son immunité, ne saurait utilement invoquer, en tant que préjudice grave et irréparable qui lui serait causé directement par ladite décision, que l’atteinte que cette décision porterait non seulement à son droit d’exercer librement son mandat parlementaire, mais également au bon fonctionnement du Parlement (voir ordonnance Uspaskich/Parlement, précitée, points 25 et 26, et la jurisprudence citée).

24      Or, en l’espèce, le requérant n’a pas allégué, et encore moins démontré, que l’exécution de la décision attaquée dont le sursis est sollicité, en l’exposant à des mesures de poursuite judiciaire en France, affecterait l’accomplissement de ses missions parlementaires. Il n’a, notamment, apporté aucun élément de preuve permettant d’établir que le déroulement actuel ou prévisionnel de l’enquête engagée contre lui en France risquait d’entraver concrètement lesdites missions, telles que sa participation à des sessions ou à des voyages parlementaires ou à la rédaction de rapports, et que les intérêts liés au bon fonctionnement du Parlement s’opposaient à toute entrave portée à l’exercice de son mandat (voir, en ce sens, ordonnance Uspaskich/Parlement, précitée, point 27).

25      Cette appréciation n’est infirmée ni par la lettre du requérant, en date du 26 septembre 2011, faisant état de ce qu’il a, entre-temps, été convoqué par le juge d’instruction pour le 10 octobre prochain, à 15 heures, ni par la convocation elle-même, jointe à cette lettre, dont il ressort, d’une part, que le requérant a été convoqué pour qu’il soit procédé à sa « première comparution » dans le cadre de l’enquête judiciaire engagée à son égard et, d’autre part, que sa mise en examen ne pourrait intervenir, s’il y avait lieu, qu’« à l’issue de [son] audition lors de cette première comparution ». En effet, par la seule présentation de ces documents, qui confirment d’ailleurs la précocité du stade actuel de ladite enquête judiciaire, le requérant n’a nullement établi que l’accomplissement de ses missions parlementaires serait concrètement affecté, s’il donnait suite à ladite convocation (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 16 mars 2007, V/Parlement, T‑345/05 R, non publiée au Recueil, points 86 à 90).

26      Il s’ensuit que le requérant n’est pas parvenu à démontrer que la condition relative à l’urgence était remplie.

27      Au demeurant, il s’est abstenu d’avancer le moindre élément destiné à indiquer que la mise en balance des différents intérêts en présence penchait en sa faveur.

28      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les autres conditions d’octroi du sursis à l’exécution sollicité, notamment celle de l’existence d’un fumus boni juris, sont remplies.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 30 septembre 2011.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


*Langue de procédure : le français