Language of document : ECLI:EU:T:2011:590

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (sixième chambre)

12 octobre 2011 (*)

« Recours en annulation – Règlement (UE) n° 1210/2010 – Faculté pour les États membres de refuser le remboursement des pièces en euros impropres à la circulation – Défaut d’affectation directe – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑149/11,

GS Gesellschaft für Umwelt- und Energie-Serviceleistungen mbH, établie à Eigeltingen (Allemagne), représentée par Me J. Schmidt, avocat,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par MM. U. Rösslein et A. Neergaard, en qualité d’agents,

et

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. J. Monteiro et Mme M. Simm, en qualité d’agents,

parties défenderesses,

ayant pour objet une demande d’annulation de l’article 8, paragraphe 2, seconde phrase, du règlement (UE) n° 1210/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 2010, concernant l’authentification des pièces en euros et le traitement des pièces en euros impropres à la circulation (JO L 339, p. 1),

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. E. Moavero Milanesi (rapporteur), président, N. Wahl et S. Soldevila Fragoso, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Faits à l’origine du litige

1        La recommandation 2005/504/CE de la Commission, du 27 mai 2005, concernant l’authentification des pièces en euros et le traitement des pièces en euros impropres à la circulation (JO L 184, p. 60) énonce, ainsi qu’il ressort de son considérant 6, des orientations visant à créer des conditions homogènes pour le traitement des pièces en euros authentiques impropres à la circulation. À cette fin, l’article 7, premier alinéa, de cette recommandation dispose que chaque État membre devrait prévoir, pour les entreprises et les particuliers établis sur son territoire ou en dehors de la zone euro, le remboursement ou, le cas échéant, le remplacement des pièces en euros impropres à la circulation. Le deuxième alinéa dudit article ajoute que les États membres peuvent décider de refuser le remboursement de pièces en euros authentiques délibérément altérées si cela va à l’encontre des pratiques ou des traditions nationales.

2        La requérante, GS Gesellschaft für Umwelt- und Energie-Serviceleistungen mbH, est une entreprise active dans le recyclage des métaux. Elle a mis au point un procédé technique permettant de récupérer, dans les déchets, des métaux non ferreux, notamment des pièces en euros. Environ 75 % des pièces en euros récupérées sont propres à circuler. Les autres pièces récupérées sont abîmées et donc impropres à circuler.

3        Conformément à la recommandation 2005/504, la Deutsche Bundesbank (banque centrale d’Allemagne) remboursait à la requérante les pièces endommagées qu’elle lui remettait, à l’exception de celles particulièrement dégradées.

4        Par lettre du 20 décembre 2010, la Deutsche Bundesbank a fait savoir à la requérante que, à l’avenir, elle continuerait de lui reprendre les pièces en euros impropres à la circulation récupérées lors du recyclage des déchets, mais ne les lui rembourserait plus. Dans cette lettre, la Deutsche Bundesbank s’est référée au règlement (UE) n° 1210/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 2010, concernant l’authentification des pièces en euros et le traitement des pièces en euros impropres à la circulation (JO L 339, p. 1).

5        L’article 8, paragraphe 2, du règlement n° 1210/2010 se lit comme suit :

« Les États membres remboursent ou remplacent les pièces en euros qui sont devenues impropres à la circulation en raison d’une utilisation prolongée ou d’un accident […] Ils peuvent refuser le remboursement des pièces en euros impropres à la circulation qui ont été altérées soit délibérément, soit par un procédé dont on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il ait pour effet de les altérer, sans préjudice du remboursement des pièces collectées à des fins caritatives, comme celles jetées dans les fontaines. »

6        Cette disposition est applicable à compter de la date d’entrée en vigueur du règlement n° 1210/2010, à savoir, conformément à l’article 14 de celui-ci, le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.

 Procédure et conclusions des parties

7        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 mars 2011, la requérante a introduit le présent recours.

8        Par actes séparés déposés au greffe du Tribunal respectivement les 26 mai et 16 juin 2011, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont soulevé chacun une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal. La requérante a présenté ses observations sur ces exceptions le 8 août 2011.

9        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 8, paragraphe 2, seconde phrase, du règlement n° 1210/2010 ;

–        condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

10      Le Parlement et le Conseil concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ;

–        condamner la requérante aux dépens.

11      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 27 juin 2011, le Royaume d’Espagne a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil.

 En droit

12      En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal.

13      En l’espèce, le Tribunal estime qu’il est suffisamment éclairé par les pièces versées au dossier et considère qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

14      Le Parlement et le Conseil font valoir que la requérante n’est ni directement ni individuellement concernée par la disposition attaquée du règlement n° 1210/2010.

15      La requérante admet ne pas être le destinataire du règlement n° 1210/2010, mais prétend être directement et individuellement concernée par l’article 8, paragraphe 2, seconde phrase, de cet acte.

16      Selon l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, « [t]oute personne physique ou morale peut former […] un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution ».

17      Dans la présente affaire, le Tribunal considère qu’il convient d’examiner d’abord si la requérante est directement concernée par l’article 8, paragraphe 2, seconde phrase, du règlement n° 1210/2010.

18      Conformément à une jurisprudence constante fondée sur l’article 230, quatrième alinéa, CE, la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par l’acte faisant l’objet du recours requiert deux critères cumulatifs, à savoir que la mesure contestée, en premier lieu, produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et, en second lieu, qu’elle ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à ses destinataires qui sont chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (arrêts de la Cour du 22 mars 2007, Regione Siciliana/Commission, C‑15/06 P, Rec. p. I‑2591, point 31, et du 10 septembre 2009, Commission/Ente per le Ville Vesuviane et Ente per le Ville Vesuviane/Commission, C‑445/07 P et C‑455/07 P, Rec. p. I‑7993, point 45).

19      Étant donné que la condition de l’affectation directe posée par l’article 263, quatrième alinéa, TFUE n’a pas été modifiée, il convient de constater que cette jurisprudence s’applique également dans le cadre de la présente affaire (ordonnance du Tribunal du 15 juin 2011, Ax/Conseil, T‑259/10, non publiée au Recueil, point 21).

20      En l’espèce, il y a lieu d’observer que la mesure qui produit directement des effets sur la situation de la requérante n’est pas l’article 8, paragraphe 2, seconde phrase, du règlement n° 1210/2010, mais la décision de la Deutsche Bundesbank de mettre fin à sa pratique de lui rembourser les pièces en euros impropres à la circulation qui répondent aux conditions énoncées par cette disposition.

21      En effet, l’article 8, paragraphe 2, du règlement n° 1210/2010, tout en prévoyant que les États membres remboursent les pièces en euros qui sont impropres à la circulation, leur permet de refuser le remboursement desdites pièces qui ont été altérées. La seconde phrase dudit paragraphe n’impose pas aux autorités des États membres de refuser tout remboursement. Il ressort clairement de son libellé que les États membres ont simplement la faculté de refuser le remboursement, mais ils ne sont pas obligés de le faire. Ainsi, cette disposition laisse aux États membres un pouvoir d’appréciation quant au remboursement ou non de pièces en euros qui ont été altérées.

22      Dès lors, l’article 8, paragraphe 2, seconde phrase, du règlement n° 1210/2010 ne produit des effets à l’égard des personnes physiques ou morales qui auraient souhaité se faire rembourser ou remplacer les pièces en euros impropres à la circulation que par le biais des mesures à prendre par les États membres pour mettre en œuvre cette disposition. Par conséquent, un acte d’une autorité d’un État membre est nécessaire pour qu’un effet soit produit sur la situation juridique de ces personnes.

23      À la différence de ce que soutient la requérante, en premier lieu, le simple fait que l’article 8, paragraphe 2, seconde phrase, du règlement n° 1210/2010 élargit, par rapport au régime préconisé par la recommandation 2005/504, les cas dans lesquels les État membres peuvent ne pas rembourser les pièces en euros qui ont été altérées, n’implique pas que cette disposition la concerne directement. En effet, cette circonstance n’a pas d’incidence sur l’existence d’un pouvoir d’appréciation dans le chef des États membres quant à la mise en œuvre de la faculté de refuser le remboursement des pièces en euros qui ont été altérées.

24      En deuxième lieu, il ne découle pas de l’article 288, deuxième alinéa, TFUE, selon lequel les règlements sont directement applicables dans tout État membre, que cette catégorie d’actes de l’Union concerne toujours directement, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, n’importe quelle personne physique ou morale. En effet, il ressort de la jurisprudence que, même lorsqu’un requérant attaque un règlement, il est nécessaire d’apprécier notamment si celui-ci le concerne directement (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 26 juin 1990, Sofrimport/Commission, C‑152/88, Rec. p. I‑2477, point 9, et ordonnance du Tribunal du 9 janvier 2007, Lootus Teine Osaühing/Conseil, T‑127/05, non publiée au Recueil, points 39 à 41). Ainsi, le fait que le présent recours vise une disposition d’un règlement ne remet pas en cause la circonstance que c’est l’acte par lequel la Deutsche Bundesbank a choisi d’utiliser la possibilité, admise par le règlement n° 1210/2010, de ne plus rembourser les pièces en euros qui ont été altérées, qui affecte directement sa situation juridique, et non ledit règlement.

25      En troisième lieu, l’absence d’affectation directe en l’espèce n’est pas démentie par le fait que la Deutsche Bundesbank a communiqué à la requérante que, sur le fondement du règlement n° 1210/2010, elle ne lui rembourserait plus les pièces en euros qui ont été altérées. Bien au contraire, cette communication démontre que la Deutsche Bundesbank disposait d’un pouvoir d’appréciation qu’elle a décidé d’exercer pour faire usage de la possibilité, offerte par le règlement, de ne plus rembourser ces pièces (voir, par analogie, arrêt Commission/Ente per le Ville Vesuviane et Ente per le Ville Vesuviane/Commission, précité, point 56). Par ailleurs, le fait que la Deutsche Bundesbank ait déjà fait son choix, dans un sens défavorable à la requérante, ne permet pas de conclure que le cas d’espèce relève de l’hypothèse, invoquée par la requérante et prévue par la jurisprudence, dans laquelle la possibilité pour les destinataires de ne pas donner suite à l’acte de l’Union est purement théorique, leur volonté de tirer des conséquences conformes à celui-ci ne faisant aucun doute (arrêt de la Cour du 5 mai 1998, Dreyfus/Commission, C‑386/96 P, Rec. p. I‑2309, points 43 et 44, et ordonnance de la Cour du 19 juin 2008, US Steel Košice/Commission, C‑6/08 P, non publiée au Recueil, points 60 et 61). En effet, le règlement n° 1210/2010 n’impose aucunement aux États membres de ne plus rembourser les pièces qui ont été altérées, mais il leur en donne simplement la faculté (voir, en ce sens et par analogie, arrêt Commission/Ente per le Ville Vesuviane et Ente per le Ville Vesuviane/Commission, précité, points 52 et 61, et ordonnance US Steel Košice/Commission, précitée, point 69). Ainsi, si la Deutsche Bundesbank avait décidé de continuer de rembourser les pièces en euros qui ont été altérées, ce choix aurait été conforme au règlement n° 1210/2010, tout comme celui de ne pas le faire.

26      En quatrième lieu, à supposer même que, comme le soutient la requérante, la Deutsche Bundesbank ait pris cette décision pour ne pas avoir à rembourser les pièces en euros qui ont été altérées et retrouvées dans d’autres États membres, dont les banques centrales n’accordent pas de remboursement, ou pour tenir compte des difficultés liées à la situation économique actuelle, il n’en resterait pas moins que le choix de cette autorité ne serait pas une conséquence automatique du règlement n° 1210/2010, mais celle de l’exercice par celle-ci du pouvoir d’appréciation dont elle disposait.

27      Il s’ensuit que l’article 8, paragraphe 2, seconde phrase, du règlement n° 1210/2010 ne concerne pas directement la requérante.

28      Par ailleurs, la condition de l’affectation directe étant une condition de recevabilité commune aux recours dirigés contre les actes dont un requérant n’est pas le destinataire et à ceux dirigés contre les actes réglementaires qui ne comportent pas de mesures d’exécution, il n’est pas nécessaire de statuer sur la question de savoir si le règlement n° 1210/2010 constitue ou non un acte réglementaire au sens de l’article 263, quatrième alinéa, dernière phrase, TFUE, pour conclure que la requérante en l’espèce ne dispose pas de la qualité pour agir (voir, en ce sens, ordonnance Ax/Conseil, précitée, point 25).

29      Puisqu’il ressort des considérations qui précèdent que la requérante, n’étant pas directement concernée par l’article 8, paragraphe 2, seconde phrase, du règlement n° 1210/2010, n’a pas qualité pour agir contre cette disposition, son recours doit être rejeté comme irrecevable.

30      Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de statuer sur la demande d’intervention du Royaume d’Espagne au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil (ordonnance de la Cour du 5 juillet 2001, Conseil national des professions de l’automobile e.a./Commission, C‑341/00 P, Rec. p. I‑5263, points 33 à 37).

 Sur les dépens

31      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Parlement et du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      GS Gesellschaft für Umwelt- und Energie-Serviceleistungen mbH supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Parlement européen et par le Conseil de l’Union européenne.

3)      Il n’y a pas lieu de statuer sur la demande d’intervention du Royaume d’Espagne.

Fait à Luxembourg, le 12 octobre 2011.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      E. Moavero Milanesi


* Langue de procédure : l’allemand.