Language of document : ECLI:EU:T:2015:119

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

25 février 2015 (*)

« Référé – Aides d’État – Secteur financier – Aide accordées dans le cadre de la résolution d’une défaillance bancaire – Décision de ne pas soulever d’objections – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑812/14 R,

BPC Lux 2 Sàrl, établie à Senningerberg (Luxembourg),

BPC UKI LP, établie à George Town, Îles Caïmans, (Royaume-Uni),

Bennett Offshore Restructuring Fund, Inc., établie à George Town,

Bennett Restructuring Fund LP, établie à Wilmington, Delaware (États-Unis),

Queen Street Fund Ltd, établie à George Town,

BTG Pactual Global Emerging Markets and Macro Master Fund LP, établie à George Town,

BTG Pactual Absolute Return II Master Fund LP, établie à George Town,

CSS LLC, établie à Chicago, Illinois (États-Unis),

Beltway Strategic Opportunities Fund LP, établie à George Town,

EJF Debt Opportunities Master Fund LP, établie à George Town,

EJF DO Fund (Cayman) LP, établie à George Town,

TP Lux HoldCo, établie à Luxembourg (Luxembourg),

VR Global Partners LP, établie à George Town,

Absalon II Ltd, établie à Dublin (Irlande),

CenturyLink, Inc. Defined Benefit Master Trust, établie à Denver, Colorado (États-Unis),

City of New York Group Trust, établie à New York, New York (États-Unis),

Dignity Health, établie à San Francisco, Californie (États-Unis),

GoldenTree Asset Management Lux Sàrl, établie à Luxembourg,

GoldenTree High Yield Value Fund Offshore 110 Two Ltd, établie à Dublin,

San Bernardino County Employees Retirement Association, établie à San Bernardino, Californie (États-Unis),

représentées par MM. J. Webber, M. Steenson, solicitors, et Me P. Fajardo, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. L. Flynn et P.J. Loewenthal, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision C (2014) 5682 final de la Commission, du 3 août 2014, de ne pas soulever d’objections à l’égard de l’aide d’État SA.39250 (2014/N), notifiée par le Portugal, visant à la résolution de la Banco Espírito Santo SA,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Au premier semestre 2014, Banco Espírito Santo SA constituait l’un des plus importants groupes bancaires portugais et déclarait, au 30 juin 2014, un actif net de 80,216 milliards d’euros et des dépôts de sa clientèle de 35,932 milliards d’euros. Elle offrait, au niveau européen et international, les prestations d’une banque universelle.

2        À partir du mois de mai 2014, il a été rendu public qu’Espírito Santo International, société mère du principal actionnaire de Banco Espírito Santo, était dans une situation financière préoccupante, susceptible d’avoir un impact négatif sur la solvabilité de cette dernière. Le 30 juillet 2014, Banco Espírito Santo a publié ses résultats pour le premier semestre 2014, révélant des pertes s’élevant à 3,577 milliards d’euros. Compte tenu de l’impact de ces pertes sur ses fonds propres de base de catégorie 1, Banco Espírito Santo ne satisfaisait plus aux exigences réglementaires relatives au ratio de fonds propres de base de catégorie 1, telles que fixées par la banque centrale du Portugal dans le cadre de la mise en œuvre du règlement (UE) nº 575/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) nº 648/2012 (JO L 176, p. 1). De surcroît, Banco Espírito Santo a dû faire face à un problème de liquidités, lié notamment à des retraits significatifs de dépôts de la part de ses clients, ce qui a conduit la banque centrale du Portugal à lui fournir une aide d’urgence sous forme de liquidités [Emergency Liquidity Assistance – ELA], autorisée par la Banque centrale européenne (BCE). Le 1er août 2014, la BCE a décidé de suspendre la Banco Espírito Santo en tant que contrepartie aux opérations de politique monétaire de l’Eurosystème, avec effet au 4 août 2014, l’obligeant par ailleurs à rembourser l’intégralité de son crédit au sein de l’Eurosystème, soit environ 10 milliards d’euros.

3        Les autorités portugaises ont décidé de soumettre Banco Espírito Santo à une procédure de résolution de défaillance bancaire. Celle-ci devait consister en la création d’un établissement de crédit temporaire (la « banque-relais »), auquel seraient transférées les activités saines de la Banco Espírito Santo. Les pertes sur les actifs et les passifs transférés à la banque-relais devaient rester affectées à la Banco Espírito Santo, qui jouerait ainsi le rôle de structure de défaisance, auxquels devaient s’ajouter les actifs et les passifs résiduels autres que la trésorerie, les dépôts des particuliers et les prêts productifs, les financements de banque centrale, les obligations garanties par l’État et les bons du Trésor. Le Fonds de résolution du Portugal a doté la banque-relais d’un capital social initial de 4,899 milliards d’euros pour permettre la mise en œuvre de la procédure de résolution de défaillance bancaire.

4        Le 3 août 2014, le Portugal a notifié à la Commission européenne comme constituant une aide d’État la dotation en capital social de la banque-relais, en même temps que des engagements devant régir la résolution des défaillances de Banco Espírito Santo. En vertu de ces engagements, dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la date d’adoption de la décision de la Commission, la banque-relais est tenue de vendre tous les actifs qui lui ont été transférés. A défaut, le Fonds de résolution sera tenu de vendre l’ensemble des actions de la banque-relais, tous les actifs invendus à la fin de cette période devant être mis en liquidation le mois suivant. La structure de défaisance est interdite de réaliser de nouvelles opérations, est tenue de réduire son bilan et d’être mise en liquidation au plus tard le 31 décembre 2016.

5        Le 3 août 2014, par la décision C (2014) 5682 final, la Commission a décidé de ne pas soulever d’objections à l’égard de l’aide d’État SA.39250 (2014/N), notifiée par le Portugal, visant à la résolution de la Banco Espírito Santo (ci-après « la décision attaquée »). En effet, au vu du processus prévu pour la résolution de la défaillance de Banco Espírito Santo, la Commission a approuvé la mesure notifiée en tant qu’aide pour la résolution ordonnée d’une défaillance bancaire compatible avec le marché intérieur en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE.

6        Les requérants, BPC Lux 2 Sàrl, BPC UKI LP, Bennett Offshore Restructuring Fund, Inc., Bennett Restructuring Fund LP, Queen Street Fund Ltd, BTG Pactual Global Emerging Markets and Macro Master Fund LP, BTG Pactual Absolute Return II Master Fund LP, CSS LLC, Beltway Strategic Opportunities Fund LP, EJF Debt Opportunities Master Fund LP, EJF DO Fund (Cayman) LP, TP Lux HoldCo, VR Global Partners LP, Absalon II Ltd, CenturyLink, Inc. Defined Benefit Master Trust, City of New York Group Trust, Dignity Health, GoldenTree Asset Management Lux Sàrl, GoldenTree High Yield Value Fund Offshore 110 Two Ltd et San Bernardino County Employees Retirement Association, sont des fonds d’investissement, des fonds de pension et une société d’investissement privée. Chacun d’eux est un créancier subordonné de Banco Espírito Santo, détenteur de « Lower Tier 2 Bonds », c’est-à-dire d’obligations de rang inférieur 2.

 Procédure et conclusions des parties

7        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 décembre 2014, les requérants ont introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée.

8        À l’appui de leur recours, ils font valoir deux moyens. Premièrement, la Commission aurait commis une erreur de fait, de droit et de procédure en ayant manifestement omis d’examiner correctement le scénario contrefactuel, c’est-à-dire ce qui serait advenu en l’absence d’aide d’État, en particulier s’il existe des capitaux privés qui permettraient de contribuer à la recapitalisation de Banco Espírito Santo. En agissant de la sorte, la Commission, à l’issue d’une enquête qui n’a duré que le temps d’un dimanche, aurait commis de nombreuses erreurs manifestes de droit en ne vérifiant pas le respect d’exigences essentielles de sa communication concernant l’application, à partir du 1er août 2013, des règles en matière d’aides d’État aux aides accordées aux banques dans le contexte de la crise financière (JO C 216, p. 1), ou en ne motivant pas son appréciation sur ce point. Il en résulterait que des « difficultés sérieuses », au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, sont apparues, qui auraient dû conduire la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen, ce qu’elle se serait irrégulièrement abstenue de faire. Deuxièmement, en n’ouvrant pas la procédure formelle d’examen en violation de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, la Commission aurait privé les requérants de la possibilité de participer à cette procédure en tant que parties intéressées.

9        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 19 décembre 2014, les requérants ont introduit la présente demande en référé, dans laquelle ils concluent, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        ordonner le sursis à l’exécution de la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

10      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 8 janvier 2014, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé comme non fondée ;

–        condamner les requérants aux dépens.

11      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 21 janvier 2015, la Commission a présenté une demande de mesures d’organisation de la procédure visant, en substance, à ce que le président du Tribunal demande aux requérants de s’engager à ce que leurs représentants veillent à ne rendre publique aucune partie de ses observations ni d’autres mémoires écrits dans le cadre de la présente action. À l’appui de sa demande, la Commission a joint une lettre, datée du 20 janvier 2015, que lui ont adressée les représentants des requérants et par laquelle, en substance, ceux-ci demandent à la Commission si elle a informé les autorités portugaises du contenu d’un paragraphe spécifié de ses observations ou si, à défaut, elle considère qu’il s’agit d’une information déjà publique, auquel cas elle ne devrait pas avoir d’objections à ce que les requérants en divulguent publiquement le contenu. Les représentants des requérants demandent à la Commission de leur faire part de leur position avant le 26 janvier 2015. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 22 janvier 2015, les requérants ont présenté leurs observations sur la demande de la Commission. Dans ce cadre, ils s’engagent à ne pas divulguer les observations de la Commission ou toutes autres écritures produites dans le cadre de la présente action, conformément aux règles applicables à la procédure devant le Tribunal, tout en se réservant la possibilité de suggérer aux autorités nationales portugaises qu’elles obtiennent communication des observations de la Commission directement auprès de celle-ci, sans pour autant divulguer eux-mêmes lesdites observations. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 23 janvier 2015, la Commission a déposé de nouvelles observations, par lesquelles elle réitère sa demande de mesures d’organisation de la procédure, au motif que les requérants, dans leurs observations du 22 janvier 2015, se sont réservés cette dernière possibilité.

 En droit

 Sur la demande de mesures d’organisation de la procédure

12      En vertu de l’article 49 de son règlement de procédure, le Tribunal peut, à tout stade de la procédure, décider de toute mesure d’organisation de la procédure visée à l’article 64 dudit règlement. Ce dernier prévoit que les mesures d’organisation de la procédure « visent à assurer, dans les meilleures conditions, la mise en état des affaires, le déroulement des procédures et le règlement des litiges » et ont, en particulier, « pour objet d’assurer le bon déroulement de la procédure écrite ou orale ». Elles peuvent notamment consister, en vertu de l’article 64, paragraphe 3, à poser des questions aux parties ou à convoquer les agents des parties ou les parties en personne à des réunions.

13      En l’espèce, la Commission a demandé à ce que le président du Tribunal demande aux requérants de s’engager à ce que leurs représentants veillent à ne rendre publique aucune partie des observations de la Commission ni d’autres mémoires écrits dans le cadre de la présente action.

14      À cet égard, il résulte des règles qui gouvernent le traitement des affaires devant le Tribunal que les parties bénéficient d’une protection contre l’usage inapproprié des pièces de procédure. En particulier, l’article 5, paragraphe 8 des instructions au greffier du Tribunal prévoit qu’aucune tierce personne, privée ou publique, ne peut accéder au dossier de l’affaire ou aux actes de procédure sans autorisation expresse du Président du Tribunal ou, lorsque l’affaire est encore pendante, du président de la formation de jugement saisie de l’affaire, les parties entendues. Ces règles reflètent un des aspects essentiels du principe général de bonne administration de la justice, en vertu duquel les parties ont le droit de défendre leurs intérêts indépendamment de toute influence extérieure et qui exige qu’une partie qui se voit accorder l’accès aux actes de procédure des autres parties n’utilise ce droit qu’aux fins de la défense de sa propre cause, à l’exclusion de tout autre but (arrêt du 17 juin 1998, Svenska Journalistförbundet/Conseil, T‑174/95, Rec, EU:T:1998:127, points 135 à 137, et ordonnance du 28 avril 1999, Van Parys e.a./Commission, T‑11/99 R, Rec, EU:T:1999:86, point 22). Cela contribue ainsi à garantir, tout au long de la procédure juridictionnelle, que les débats entre les parties ainsi que le délibéré de la juridiction concernée sur l’affaire en instance se déroulent en toute sérénité et d’éviter que ne puisse être exercé, ne fût-ce que dans la perception du public, des pressions extérieures sur l’activité juridictionnelle et de porter préjudice à la sérénité des débats (voir, par analogie, arrêt du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, Rec, EU:C:2010:541, points 92 et 93). C’est pourquoi le Tribunal a considéré que la divulgation de pièces de procédure par une partie à des personnes tierces dans une situation où ces pièces n’étaient pas transmises aux fins de la défense de la cause de cette partie pouvait constituer un abus de procédure (voir, en ce sens, arrêt Svenska Journalistförbundet/Conseil, précité, EU:T:1998:127, point 139).

15      Les requérants, dans leurs observations du 22 janvier 2015 sur la demande de mesures d’organisation de procédure de la Commission, indiquent que, compte tenu de l’opposition de la Commission, ils s’abstiendront de toute divulgation des observations de la Commission ou d’autres mémoires écrits dans le cadre de la présente action, conformément aux règles applicables à la procédure devant le Tribunal. Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire de décider d’une quelconque mesure d’organisation de la procédure visant à rappeler les requérants à leurs obligations.

16      Enfin, la Commission a motivé sa réitération de la demande de mesure d’organisation de la procédure par le fait que les requérants, dans leurs observations du 22 janvier 2015, se sont réservés la possibilité de suggérer à un État membre qu’il obtienne communication des observations de la Commission directement auprès de celle-ci, sans pour autant divulguer lesdites pièces de procédure. Or, le simple fait d’évoquer, de manière hypothétique, l’éventualité d’informer un tiers qu’une pièce de procédure est susceptible de l’intéresser, sans indiquer le contenu de ladite pièce, ne constitue pas, à défaut de tout autre élément de preuve contraire, une atteinte à la bonne administration de la justice perturbant la sérénité des débats devant le Tribunal. À ce stade de la procédure, une mesure d’organisation de la procédure n’apparaît donc pas nécessaire.

 Sur la demande de mesures provisoires

17      En vertu des dispositions combinées des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires. Cependant, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours (ordonnances du 25 juillet 2000, Pays-Bas/Parlement et Conseil, C‑377/98 R, Rec, EU:C:2000:719, point 44, et du 28 juin 2000, Cho Yang Shipping/Commission, T‑191/98 RII, Rec, EU:T:2000:171, point 42), les actes adoptés par les institutions de l’Union européenne bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 15 octobre 2008, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08 R, EU:T:2008:446, point 11).

18      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le juge des référés peut ordonner le sursis à exécution et d’autres mesures provisoires s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient prononcés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal [ordonnance du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec, EU:C:1995:257, point 22]. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec, EU:C:1996:381, point 30].

19      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances Commission/Atlantic Container Line e.a., point 18 supra, EU:C:1995:257, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), EU:C:2007:209, point 25].

20      Eu égard aux éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

21      En l’espèce, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la recevabilité de la demande, notamment au regard de la recevabilité du recours au fond lui-même, il convient d’examiner d’abord si la condition de l’urgence est remplie.

22      Selon une jurisprudence constante, l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire [ordonnances du 10 juin 1988, Sofrimport/Commission, 152/88 R, Rec, EU:C:1988:296, point 26, et du 21 janvier 2014, France/Commission, C‑574/13 P(R), Rec, EU:C:2014:36, point 19]. Cette partie est donc tenue d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au fond sans avoir à subir personnellement un préjudice qui entraînerait des conséquences graves et irréparables pour elle [ordonnances du 8 mai 1991, Belgique/Commission, C‑356/90 R, Rec, EU:C:1991:201, point 23, et du 24 mars 2009, Cheminova e.a./Commission, C‑60/08 P(R), EU:C:2009:181, points 35 et 36].

23      En l’espèce, les requérants soutiennent, en substance, qu’il y a une urgence particulière à suspendre l’application de la décision attaquée, au motif que la mise en œuvre imminente des mesures nationales autorisées par cette décision va porter une atteinte irrémédiable à la pleine efficacité de l’arrêt au fond. Certes, si le Tribunal venait à annuler la décision attaquée, l’aide accordée serait rendue illégale en attendant l’issue du nouvel examen de la mesure par la Commission. Toutefois, en l’absence de suspension de la décision attaquée, quelle que soit l’issue d’un nouvel examen de la mesure par la Commission, cette issue serait privée de son effet utile. Les requérants avancent plusieurs arguments à l’appui de leurs allégations. En premier lieu, une fois la banque-relais vendue, cette opération serait irréversible, quand bien même l’aide serait déclarée incompatible avec le marché intérieur. En deuxième lieu, cela aurait pour conséquence que la situation juridique des requérants, telle qu’elle existait antérieurement à la restructuration de Banco Espírito Santo, y compris leur droit de prendre part à la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, serait « irrémédiablement perdue ». En troisième lieu, cela aurait également pour effet de porter une atteinte irrémédiable à leur situation financière, en tant qu’ils ne disposeraient plus de la possibilité de contribuer à la restructuration de Banco Espírito Santo, en participant à sa recapitalisation. Enfin, en quatrième lieu, l’exécution de la décision nationale autorisée par la Commission entraînerait l’impossibilité matérielle d’une récupération de l’aide auprès de son bénéficiaire et donc l’irréversibilité de cette aide d’État, quand bien même elle serait déclarée illégale.

24      À cet égard, il convient de rappeler, en premier lieu, que, pour apprécier l’urgence des mesures sollicitées, le juge des référés doit prendre en considération les seuls intérêts de la partie requérante et en particulier l’existence d’un risque qu’un préjudice grave et irréparable soit causé à ses intérêts, sans avoir égard à d’autres éléments à caractère général [ordonnance du 13 janvier 2009, Occhetto et Parlement/Donnici, C‑512/07 P(R) et C‑15/08 P(R), Rec, EU:C:2009:3, point 58) ou aux intérêts des tiers (ordonnance du 4 mai 1964, Ley/Commission, 12/64 R, Rec, EU:C:1964:25 ; voir également ordonnance du 25 juillet 2014, Deza/ECHA, T‑189/14 R, EU:T:2014:686, point 71 et jurisprudence citée].

25      Dès lors, l’irréversibilité alléguée de l’opération rendue possible par la décision attaquée, ainsi que l’impossibilité alléguée de récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire en cas d’annulation ultérieure de la décision attaquée, qui porteraient atteinte à l’utilité d’une éventuelle procédure formelle d’examen en cas d’annulation et donc à l’effectivité de la décision dans l’affaire principale, ne sauraient suffire, à elles-seules et indépendamment des intérêts des requérants, à établir l’urgence à suspendre cette décision. En effet, quand bien même il aurait été démontré, quod non, que, en l’absence de suspension de la décision attaquée, l’utilité de la procédure formelle d’examen ou l’effectivité de la décision à intervenir dans l’affaire principale seraient susceptibles d’être affectées, une telle atteinte à l’intérêt général ou aux droits des tiers ne suffirait pas à établir l’urgence, en l’absence de preuve d’un préjudice grave et irréparable subi par les requérants.

26      Par conséquent, ne peuvent être pris en considération que les préjudices personnels invoqués par les requérants.

27      D’une part, il s’agit du préjudice né de l’atteinte à leur situation juridique. À cet égard, les requérants invoquent explicitement l’atteinte à leur droit de participer à la procédure formelle d’examen. Il est allégué, en substance, qu’elle aurait dû être ouverte et que, en l’absence de suspension, la procédure qui sera organisée en cas d’annulation de la décision attaqué n’aura qu’une portée limitée, en raison du caractère irréversible de l’opération et de l’impossibilité de récupérer l’aide au terme de la procédure. D’autre part, il semble devoir être déduit des écritures des requérants que l’atteinte à leur situation juridique résulte également du fait qu’ils ne pourront pas contribuer à une restructuration de Banco Espírito Santo, en participant à sa recapitalisation, et donc qu’ils ne pourront pas faire valoir cet élément à l’appui de leur contestation de la compatibilité de la mesure d’aide. Or, selon les indications des requérants, l’argument selon lequel, au cours de l’examen de la mesure d’aide, la Commission n’aurait pas pris en compte leur volonté de participer à une restructuration de Banco Espírito Santo constitue l’un des moyens principaux à l’appui de leur recours contre la décision attaquée.

28      D’abord, s’agissant de l’atteinte au droit de participer à la procédure formelle d’examen, il a été itérativement jugé qu’il ne suffit pas d’alléguer, de façon abstraite, une atteinte à des droits fondamentaux pour établir que le dommage qui pourrait en découler a nécessairement un caractère irréparable [ordonnances du 15 avril 1998, Camar/Commission et Conseil, C‑43/98 P(R), Rec, EU:C:1998:166, point 47 ; du 10 septembre 2013, Commission/Pilkington Group, C‑278/13 P(R), Rec, EU:C:2013:558, point 40, et du 28 novembre 2013, EMA/InterMune UK e.a., C‑390/13 P(R), Rec, EU:C:2013:795, point 42]. Certes, la violation de certains droits fondamentaux, tels que l’interdiction de la torture et des peines ou des traitements inhumains ou dégradants, consacrée à l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, est susceptible, en raison de la nature même du droit violé, de donner lieu par elle-même à un préjudice grave et irréparable. Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’il appartient toujours à la partie qui sollicite l’adoption d’une mesure provisoire d’exposer et d’établir la probable survenance d’un tel préjudice dans son cas particulier (ordonnances Commission/Pilkington Group, précitée, EU:C:2013:558, point 41, et EMA/InterMune UK e.a., précitée, EU:C:2013:795, point 43).

29      A fortiori, une atteinte à un droit purement procédural, tel que celui reconnu aux parties intéressées par le règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO L 83, p.1), à supposer qu’elle soit démontrée, ne suffit pas à établir l’existence d’un préjudice grave et irréparable. Or, les requérants ne démontrent pas en quoi le fait de ne pas pouvoir participer à la procédure formelle d’examen ferait subir à chacun d’eux un préjudice personnel grave et irréparable. Dès lors, l’argument tiré d’une atteinte à leur droit de participer à cette procédure ne permet pas d’établir l’urgence.

30      Ensuite, les requérants semblent également invoquer un préjudice lié au fait que, en l’absence de suspension de la décision attaquée, le caractère concluant du moyen présenté dans la procédure au fond et tiré de ce que, au cours de l’examen de la mesure d’aide, la Commission n’aurait pas pris en compte leur volonté de participer à une restructuration de Banco Espírito Santo, sera négativement affecté.

31      Cependant, la légalité de la décision attaquée sera appréciée, dans le cadre de la procédure au fond, au regard de la situation telle qu’elle existait au 3 août 2014. En effet, selon une jurisprudence constante, la légalité d’une décision en matière d’aides d’État doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont la Commission pouvait disposer au moment où elle l’a arrêtée (arrêts du 26 septembre 1996, France/Commission, C‑241/94, Rec, EU:C:1996:353, point 33 et du 15 avril 2008, Nuova Agricast, C‑390/06, Rec, EU:C:2008:224, point 54). Dès lors, même si la suspension de la décision attaquée permettait aux requérants de participer à la restructuration de la Banco Espírito Santo, cela ne leur permettrait aucunement d’en faire état à l’appui de leur recours au fond contre la décision attaquée, puisqu’il s’agirait d’éléments postérieurs au 3 août 2014. Cet argument doit donc être rejeté.

32      En réalité, le seul préjudice personnel invoqué par les requérants à l’appui de leur démonstration de l’urgence et présentant un caractère concret est celui né de l’impossibilité, pour eux, de contribuer à la restructuration de Banco Espírito Santo, en participant à sa recapitalisation. En effet, selon les requérants, quelle que soit l’issue de la procédure au fond, en l’absence de suspension, l’opération de résolution des défaillances de Banco Espírito Santo sera exécutée à bref délai et les actifs ayant constitué Banco Espírito Santo irrémédiablement vendus, ce qui les privera de la possibilité de participer à une restructuration. Il peut donc être déduit des écritures des requérants que le préjudice qu’ils invoquent est celui né de la perte d’une chance de participer à une restructuration et d’en tirer profit.

33      Comme indiqué ci-dessus, l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ». Dès lors, une demande en référé doit être suffisamment claire et précise pour permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur la demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. Les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle-ci se fonde doivent ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte même de la demande en référé, celui-ci pouvant simplement être étayé et complété sur des points spécifiques par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées [voir ordonnance du 20 juin 2014, Wilders/Parlement e.a., T‑410/14 R, EU:T:2014:564, point 10 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, ordonnance du 30 avril 2010, Ziegler/Commission, C‑113/09 P(R), EU:C:2010:242, point 13].

34      Comme il a été rappelé au point 22 ci-dessus, c’est à la partie requérante d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au fond sans avoir à subir personnellement un préjudice qui entraînerait des conséquences graves et irréparables pour elle (ordonnances Belgique/Commission, point 22 supra, EU:C:1991:201, point 23, et Cheminova e.a./Commission, point 22 supra, EU:C:2009:181, point 35). La question de l’urgence est une question spécifique qui doit être examinée séparément pour chaque partie requérante [voir, en ce sens ordonnances Cheminova e.a./Commission, point 22 supra, EU:C:2009:181, point 36, et du 15 décembre 2009, Dow AgroSchiences e.a./Commission, C‑391/08 P(R), EU:C:2009:785, point 44].

35      Or, il y a lieu de constater que les requérants n’ont pas avancé le moindre élément établissant qu’ils sont susceptibles de subir un préjudice grave en raison de l’absence d’adoption des mesures provisoires sollicitées. Ils ne fournissent pas la moindre indication en ce qui concerne la nature et l’importance du préjudice qu’ils seraient susceptibles de subir individuellement, ou même collectivement, du fait de l’impossibilité de participer à une restructuration de Banco Espírito Santo. De même, les requérants ne fournissent strictement aucun élément, aucune donnée économique et financière, dont il pourrait être tenu compte pour apprécier le caractère irréparable du préjudice allégué, c’est-à-dire mettant chacun d’eux dans une situation susceptible de mettre en péril son existence même.

36      Dès lors, le préjudice allégué, né de l’impossibilité, pour les requérants, de contribuer à la restructuration de Banco Espírito Santo, ne saurait justifier le sursis à exécution demandé.

37      Enfin, les requérants indiquent, dans leur exposé du contexte factuel et de la procédure, que les dettes de Banco Espírito Santo vis-à-vis des créanciers subordonnés, comme eux, resteront dans le patrimoine de la banque de défaisance et que le marché s’attend à ce que, lors de la liquidation de la banque de défaisance, la valeur des investissements des requérants dans Banco Espírito Santo soit inférieure à 10 % de leur valeur nominale, ce qui implique une perte de plus de 675 millions d’euros sur l’émission des Lower Tier 2 Bonds.

38      À supposer même que ce préjudice puisse être évité par le prononcé des mesures provisoires sollicitées, ce que les requérants ne prétendent d’ailleurs pas, il convient de relever que, en l’absence du moindre élément sur la répartition de la détention de ces Lower Tier 2 Bonds entre les requérants, il n’est, en tout état de cause, pas possible d’apprécier la gravité ou le caractère irréparable du préjudice subi par chacun d’eux.

39      De surcroît, les deux chiffres fournis par les requérants et mentionnés au point 37 ci-dessus, ne sont aucunement étayés et constituent en réalité une allégation dépourvue d’éléments de preuve à son soutien. Il s’agit par ailleurs de deux chiffres isolés, sans élément de contexte sur la situation des requérants, qui ne permettent pas au juge des référés de disposer d’une image fidèle et globale de la situation en cause afin d’apprécier le caractère grave et irréparable du préjudice allégué.

40      Il s’ensuit que les requérants ne démontrent pas qu’ils subiraient un préjudice grave et irréparable si le sursis à exécution demandé n’était pas octroyé.

41      Au vu de tout ce qui précède, la demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit besoin d’examiner si les autres conditions du sursis à exécution sollicité sont remplies.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 25 février 2015.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

M. Jaeger


* Langue de procédure : l’anglais.