Language of document : ECLI:EU:T:2015:955

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

11 décembre 2015 (*)

« Feader – Dépenses exclues du financement – Développement rural – Correction financière ponctuelle – Éligibilité de dépenses effectuées pour l’achat de matériel et d’équipements d’occasion – Régime dérogatoire pour les micro-, petites et moyennes entreprises – Article 55, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1974/2006 »

Dans l’affaire T‑124/14,

République de Finlande, représentée par MM. J. Heliskoski et S. Hartikainen, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. P. Aalto, Mme J. Aquilina, M. P. Rossi et Mme T. Sevón, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision d’exécution 2013/763/UE de la Commission, du 12 décembre 2013, écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), section « Garantie », du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO L 338, p. 81), dans la mesure où cette décision écarte du financement de l’Union au titre du Feader certaines dépenses de la République de Finlande, à hauteur d’un montant de 927 827,58 euros, en raison de leur non-conformité aux règles de l’Union,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de M. M. Prek, président, Mme I. Labucka et M. V. Kreuschitz (rapporteur), juges,

greffier : Mme C. Heeren, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 juin 2015,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Du 23 au 27 mai 2011, la Commission européenne a effectué un contrôle sur place en Finlande (enquête RD1/2011/805/FI) concernant la mesure M312 « Création et développement des microentreprises ».

2        Le 9 septembre 2011, la Commission a envoyé aux autorités finlandaises une communication, au sens de l’article 11, paragraphe 1, du règlement (CE) no 885/2006 de la Commission, du 21 juin 2006, portant modalités d’application du règlement (CE) no 1290/2005 du Conseil en ce qui concerne l’agrément des organismes payeurs et autres entités ainsi que l’apurement des comptes du FEAGA et du Feader (JO L 171, p. 90), les informant des résultats du contrôle sur place. Dans cette communication, la Commission a exposé les motifs pour lesquels elle estimait que les autorités finlandaises n’avaient pas respecté, dans le cadre du financement des dépenses de développement rural depuis l’exercice 2007, certaines exigences du droit de l’Union européenne, dont celles découlant de l’article 55, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1974/2006 de la Commission, du 15 décembre 2006, portant modalités d’application du règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO L 368, p. 15), tel que modifié, et a invité lesdites autorités à préciser les conditions dans lesquelles elles jugeaient éligibles les dépenses effectuées pour l’achat d’équipements d’occasion. En outre, la Commission a remis en cause des lacunes dans la vérification du caractère raisonnable des coûts liés à l’achat de certains équipements d’occasion, au sens de l’article 26, paragraphe 2, sous d), du règlement (CE) no 1975/2006 de la Commission, du 7 décembre 2006, portant modalités d’application du règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil en ce qui concerne l’application de procédures de contrôle et de conditionnalité pour les mesures de soutien au développement rural (JO L 368, p. 74).

3        Par lettre du 3 novembre 2011, la République de Finlande a répondu à la Commission qu’elle considérait avoir agi conformément aux règles de l’Union et, notamment, à l’article 55 du règlement no 1974/2006, au motif que cet article autoriserait les États membres à arrêter les conditions dans lesquelles les dépenses effectuées pour l’achat d’équipements d’occasion peuvent être qualifiées d’éligibles. En Finlande, cette possibilité aurait été mise en œuvre par les articles 23 et 35 du décret no 632/2007, qui fixerait en même temps les conditions d’octroi de l’aide.

4        Par lettre du 16 janvier 2012, la Commission a invité les autorités finlandaises à une réunion bilatérale à Bruxelles (Belgique) qui s’est tenue le 2 février 2012. Par lettre du 29 février 2012, la Commission a envoyé aux autorités finlandaises le procès-verbal de cette réunion, au sens de l’article 11, paragraphe 2, du règlement no 885/2006, ainsi qu’une demande de renseignements complémentaires. À l’annexe 1 de cette lettre, la Commission, d’une part, a exposé les raisons pour lesquelles elle estimait que le décret no 632/2007 n’était pas compatible avec les exigences prévues à l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 et, d’autre part, a réitéré sa critique quant à la vérification lacunaire du caractère raisonnable des coûts liés à l’achat de certains équipements d’occasion.

5        Le 27 avril 2012, les autorités finlandaises ont soumis leurs observations sur le procès-verbal de la réunion du 2 février 2012 et leur réponse à la demande de renseignements.

6        Le 13 mai 2013, la Commission a adressé aux autorités finlandaises une communication officielle en date du 6 mai précédent, au sens de l’article 11, paragraphe 2, troisième alinéa, et de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 885/2006, annonçant une correction financière d’un montant total de 927 827,58 euros pour la période allant du 9 septembre 2009 au 15 octobre 2012. La Commission a exposé les motifs pour lesquels elle considérait que les autorités finlandaises, s’agissant des aides à l’achat d’équipements d’occasion, n’avaient pas respecté les exigences de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 et de l’article 26, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1975/2006.

7        Le 19 juin 2013, la République de Finlande a, en vertu de l’article 16 du règlement no 885/2006, saisi l’organe de conciliation d’une demande de conciliation. Par lettre du 5 septembre 2013, ledit organe a fait savoir qu’il ne se prononcerait pas sur cette demande, car le montant visé par la correction financière était inférieur à un million d’euros.

8        Au point 17.1 du rapport de synthèse, du 18 novembre 2013, la Commission a indiqué que, d’une part, s’agissant de l’éligibilité des aides à l’achat d’équipements d’occasion, les pratiques des autorités finlandaises ne remplissaient pas les conditions de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006, la République de Finlande n’ayant pas déterminé et dûment motivé les cas particuliers dans lesquels des équipements d’occasion étaient, à titre exceptionnel, admis à bénéficier d’un financement du Feader. Au contraire, les dispositions pertinentes du décret no 632/2007 prévoiraient une possibilité générale d’investir dans des équipements d’occasion, dont le caractère éligible serait apprécié au cas par cas en fonction du critère non clairement défini de l’option « la plus favorable d’un point de vue économique global ». D’autre part, la Commission a constaté que la vérification des coûts raisonnables liés au financement d’équipements d’occasion était lacunaire et ne correspondait pas aux exigences de l’article 26, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1975/2006. Elle en a conclu qu’une correction financière à hauteur de 100 % devait être appliquée pour ce qui était des aides à l’achat d’équipements d’occasion, correspondant à un montant de 927 827,58 euros. S’agissant de la vérification lacunaire des coûts raisonnables liés au financement d’équipements d’occasion, la Commission a proposé une correction financière à hauteur de 10 %, correspondant à un montant de 14 208,31 euros, qui serait toutefois entièrement consommée par la première correction financière.

9        Le 12 décembre 2013, la Commission a adopté la décision d’exécution 2013/763/UE écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), section « Garantie », du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO L 338, p. 81, ci-après la « décision attaquée »). Cette décision a été notifiée à la République de Finlande, le 13 décembre 2013, sous la référence C (2013) 8743.

10      Dans la décision attaquée, en se référant au « rapport de synthèse [du 18 novembre 2013] » (considérant 6 de la décision attaquée), la Commission a écarté comme inéligibles, pour les exercices financiers allant de 2009 à 2012, des dépenses déclarées par la République de Finlande pour l’achat de matériel et d’équipements d’occasion dans le cadre de la mesure intitulée « Développement rural Feader Axes 1 + 3 – Mesures axées sur les investissements (2007-2013) ». La correction financière d’un montant total de 927 827,58 euros y est qualifiée de « ponctuelle » dans la mesure où elle est justifiée par la « [n]on-conformité avec l’article 55 du règlement […] no 1974/2006 ». Dans la mesure où ladite correction financière repose sur des « [l]acunes dans la vérification du caractère raisonnable des coûts », elle est qualifiée de « forfaitaire » d’un taux de 10 %, correspondant à un montant de 14 208,31 euros, mais n’ayant pas d’« [i]ncidence financière » (voir article 1er lu en combinaison avec l’annexe de la décision attaquée, p. 98 et 99).

 Procédure et conclusions des parties

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 février 2014, la République de Finlande a introduit le présent recours.

12      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.

13      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l’audience du 12 juin 2015.

14      La République de Finlande conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée dans la mesure où la Commission réclame, en ce qui la concerne, un remboursement de financement d’un montant de 927 827,58 euros ;

–        condamner la Commission aux dépens.

15      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner la République de Finlande aux dépens.

 En droit

 Sur l’objet du litige

16      À l’appui de son recours, la République de Finlande invoque, en substance, un moyen unique, tiré d’une violation de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006.

17      À cet égard, il y a lieu de préciser que, dans la réplique, la République de Finlande a confirmé que son recours ne visait que la correction financière ponctuelle appliquée dans la décision attaquée. Cela est corroboré par le moyen d’annulation soulevé dans la requête, qui fait exclusivement référence à l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006, et non à l’article 26, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1975/2006, sur lequel était fondée la correction financière forfaitaire. Dès lors, l’objet du présent litige se limite à la légalité de l’application par la Commission de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 pour fonder ladite correction financière ponctuelle.

18      La République de Finlande estime que la Commission méconnaît le lien entre le premier alinéa, sous b), de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 (ci-après le « premier alinéa ») et le second alinéa de cette même disposition (ci-après le « second alinéa »). Cette disposition conférerait à l’État membre un large pouvoir d’appréciation pour décider de l’éligibilité de certains matériel et équipements d’occasion, le second alinéa ne fixant pas de critères permettant de déterminer si l’aide à l’achat de matériel et d’équipements d’occasion peut être « dûment justifiée ». Ledit règlement n’exigerait pas non plus que l’État membre définisse précisément chaque cas particulier dans lequel l’achat de matériel ou d’équipements d’occasion est éligible. En outre, l’article 71, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil, du 20 septembre 2005, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO L 277, p. 1), prévoirait expressément que les règles d’éligibilité des dépenses sont à fixer sur le plan national. Ainsi, il appartiendrait aux États membres de fixer des critères plus précis pour déterminer les cas dans lesquels il est dûment motivé de soutenir l’achat d’équipements d’occasion. Selon la République de Finlande, les notions de « cas dûment justifiés » et de « conditions d’éligibilité » sont étroitement liées, de sorte qu’il est impossible de les appliquer indépendamment l’une de l’autre. Il suffirait donc que l’État membre définisse les conditions d’éligibilité et que ces conditions soient remplies pour que l’octroi de l’aide à l’achat de matériel ou d’équipements d’occasion soit dûment justifié.

19      La Commission rétorque que le premier alinéa énonce une règle générale selon laquelle les dépenses admissibles pour des investissements financés par le Feader sont limitées à l’achat ou à la location-vente de matériel et d’équipements neufs. En vertu du second alinéa, ce ne serait que par dérogation au premier alinéa et dans des « cas dûment motivés » que l’achat d’équipements d’occasion pourrait être considéré comme une dépense éligible. Pour cette raison, l’État membre serait tenu d’identifier concrètement, à l’aide d’une définition préalable, les rares « cas dûment motivés » dans lesquels une aide peut être octroyée. Seule une telle approche serait conforme, d’une part, à l’objectif de l’aide communautaire à l’investissement agricole, énoncé au considérant 21 du règlement no 1698/2005, qui est de moderniser les exploitations agricoles et d’améliorer leurs performances économiques en améliorant l’utilisation des facteurs de production notamment par l’adoption de nouvelles technologies et par l’innovation, et, d’autre part, aux objectifs de l’aide octroyée par le Feader, tels qu’énoncés au considérant 23 du même règlement, qui sont d’encourager l’amélioration de la transformation et de la commercialisation des produits agricoles et sylvicoles primaires. La limite imposée aux aides aux équipements d’occasion serait également conforme à l’objectif énoncé à l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1698/2005, visant à l’amélioration de la compétitivité de l’agriculture et de la sylviculture par un soutien à la restructuration, au développement et à l’innovation (voir également considérant 46 dudit règlement). Ces objectifs ne pourraient généralement être atteints qu’en réalisant des investissements dans des équipements neufs.

20      L’interprétation de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 défendue par la République de Finlande serait contraire tant à sa structure, qui établit une règle générale et une dérogation, qu’à la « hiérarchie normative » entre cette règle et cette dérogation. Il résulterait de son libellé que l’aide à l’achat d’équipements d’occasion déroge à la règle générale portant sur l’achat d’équipements neufs, qui en tant que tel n’exige pas de justification spécifique. Précisément en raison du caractère dérogatoire de cette aide, les États membres ne pourraient financer l’achat d’équipements d’occasion que dans des « cas dûment motivés », c’est-à-dire en faisant un effort supplémentaire de définition et de motivation. Or, l’interprétation défendue par la République de Finlande élargirait le champ d’application de la dérogation à un point tel qu’elle se transformerait en une règle générale. À cet égard, la République de Finlande ne saurait se prévaloir d’un pouvoir discrétionnaire, le critère des « cas dûment motivés » devant être interprété de manière uniforme dans tous les États membres et ceux-ci étant obligés de se tenir dans les limites clairement définies par le règlement no 1974/2006. L’application de la dérogation prévue à l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 présupposerait ainsi que l’État membre définisse correctement au préalable les « cas dûment motivés », à savoir un nombre limité de cas nettement identifiés. Dans ce contexte, la Commission conteste également l’argument selon lequel les critères des « cas dûment motivés » et des « conditions auxquelles l’achat d’équipements d’occasion peut être considéré comme une dépense admissible » seraient interconnectés et devraient être appliqués conjointement. La Commission en conclut que la réglementation finlandaise omet de définir, conformément à l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006, les « cas dûment motivés » dans lesquels l’aide peut être, par dérogation, octroyée pour l’achat d’équipements d’occasion.

21      Le Tribunal estime nécessaire de concentrer son appréciation sur le bien-fondé de l’interprétation de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 retenue par la Commission dans la décision attaquée, lue conjointement avec le rapport de synthèse. En effet, les parties s’opposent, à titre principal, sur l’interprétation qu’il convient de faire des premier et deuxième alinéas ainsi que sur le rapport qui existe entre eux. Cet article prévoit, notamment, ce qui suit :

« 1. Dans le cas des investissements, les dépenses admissibles sont limitées :

[…]

b)      à l’achat ou à la location-vente de matériel et d’équipements neufs, y compris les logiciels, à concurrence de la valeur marchande des biens […] ;

[…]

Par dérogation au premier alinéa, [sous] b), et uniquement pour les micro-, petites et moyennes entreprises […], les États membres peuvent, dans des cas dûment motivés, établir les conditions auxquelles l’achat d’équipements d’occasion peut être considéré comme une dépense admissible. »

22      Selon la Commission, le premier alinéa énonce une règle générale selon laquelle les « dépenses admissibles » pour des investissements financés par le Feader « sont limitées […] à l’achat ou à la location-vente de matériel et d’équipements neufs ». En vertu du second alinéa, ce n’est que « [p]ar dérogation au premier alinéa », à savoir à ladite règle générale, « et uniquement pour les micro-, petites et moyennes entreprises » que « les États membres peuvent, dans des cas dûment motivés, établir les conditions auxquelles l’achat d’équipements d’occasion peut être considéré comme une dépense admissible ». Aux fins de l’application de cette dérogation, l’État membre concerné serait donc tenu d’identifier concrètement, à l’aide d’une définition préalable, dans sa réglementation interne, les « cas dûment motivés » dans lesquels une aide peut, à titre exceptionnel, être octroyée pour investir dans des équipements d’occasion.

23      En revanche, si la République de Finlande ne conteste pas le caractère dérogatoire en soi du second alinéa par rapport au premier, elle soutient, en substance, que cette dérogation ne doit pas être comprise comme une exception d’interprétation stricte, mais comme un régime spécifique pour les micro-, petites et moyennes entreprises. Les États membres seraient libres de créer, dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation, un tel régime dont ils sont autorisés à définir le contenu en établissant des « conditions » d’admissibilité de dépenses aux fins de l’achat d’équipements d’occasion. Ces conditions seraient « intimement liées » aux « cas dûment motivés » que l’État membre pourrait, à défaut de définition en droit de l’Union, préciser dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation. Il suffirait que la réglementation nationale établisse lesdites « conditions » d’admissibilité et que celles-ci soient remplies, pour que les dépenses effectuées pour l’achat d’équipements d’occasion représentent des « cas dûment motivés ».

24      Pour répondre aux questions d’interprétation ainsi soulevées et pour déterminer la portée exacte des dispositions de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 ainsi que le rapport qui existe entre elles, il y a lieu de procéder, conformément à une jurisprudence constante, à une interprétation littérale, téléologique, contextuelle et historique (voir, en ce sens, arrêts du 20 novembre 2002, Lagardère et Canal+/Commission, T‑251/00, Rec, EU:T:2002:278, points 72 à 83, et du 6 octobre 2005, Sumitomo Chemical et Sumika Fine Chemicals/Commission, T‑22/02 et T‑23/02, Rec, EU:T:2005:349, points 41 à 60).

 Sur l’interprétation littérale de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006

 Sur le caractère dérogatoire du second alinéa

25      Dans le cadre d’une interprétation littérale, il y a lieu d’examiner la nature juridique des premier et second alinéas ainsi que celle du rapport entre eux. Dans ce contexte, il convient de tenir compte du fait que les textes de droit de l’Union sont rédigés en plusieurs langues et que toutes les versions linguistiques font foi ; une interprétation d’une disposition de droit de l’Union implique ainsi une comparaison des versions linguistiques (voir, en ce sens, arrêts du 6 octobre 1982, Cilfit e.a., 283/81, Rec, EU:C:1982:335, point 18, et du 7 novembre 2007, Allemagne/Commission, T‑374/04, Rec, EU:T:2007:332, point 95).

26      Or, ainsi que les parties l’ont reconnu, notamment, à l’audience, une comparaison des différentes versions linguistiques ne permet pas de clarifier davantage la portée de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 et, notamment, la signification du lien spécifique entre le premier et le second alinéas.

27      S’agissant des termes « [p]ar dérogation » visés au second alinéa, ceux-ci peuvent soit signifier la limitation du champ d’application d’une règle générale en édictant une règle distincte pour une ou des hypothèses abstraitement déterminées, formalisée dans les adages specialia generalibus derogant et legi speciali per generalem non derogatur, et, partant, une exception au sens strict, soit faire référence à la décision de l’auteur de la réglementation en cause de ne pas appliquer la règle générale à certaines situations ou à certains destinataires et de les soumettre à un régime distinct et spécifique en dehors de son champ d’application.

28      En effet, il n’est pas contesté entre les parties que le premier alinéa constitue la règle principale ou générale et que le second alinéa prévoit une solution différente pour les micro-, petites et moyennes entreprises, ce qui permet de le qualifier, en tout état de cause, de règle dérogatoire. Or, comme il a été indiqué au point 27 ci-dessus, une telle qualification n’équivaut pas nécessairement à celle d’exception au sens strict, mais peut indiquer l’existence d’un régime spécifique et distinct par rapport au régime établi par la règle principale ou générale. Ainsi, les mots anglais « derogation », italien « deroga » et portugais « derrogação » ne sont pas, dans tous les cas, synonymes d’« exception », d’« eccezione » et d’« exceção ». De même, les termes allemand « abweichend » et néerlandais « [i]n afwijking » signifient « différent » ou « divergent » sans forcément indiquer une exception. Enfin, l’expression espagnole « no obstante » signifie « néanmoins », ce qui peut, mais ne doit pas nécessairement, viser une exception au sens strict.

29      La question de la qualification du second alinéa d’exception au sens strict ou de règle dérogatoire prévoyant la possibilité d’établir un régime distinct et spécifique pour les micro-, petites et moyennes entreprises ne saurait non plus être tranchée du fait que, dans la plupart des versions linguistiques, les mots équivalents aux mots « par dérogation » sont séparés, moyennant la conjonction « et », du second membre de phrase, qui fait référence, en employant l’adverbe « uniquement » (only ; exclusivamente ; unicamente ; alleen), aux micro-, petites et moyennes entreprises. En effet, il n’en résulte pas clairement l’intention du législateur de l’Union soit de consacrer une telle exception au sens strict, soit de prévoir seulement l’autorisation de l’État membre de créer un régime dérogatoire et spécifique pour les micro-, petites et moyennes entreprises, les termes « par dérogation » et « et uniquement », lus dans leur ensemble, pouvant être interprétés dans ces deux sens. Ainsi, la coexistence des deux éléments limitatifs susmentionnés dans la même phrase ne fournit pas d’indication suffisamment claire et précise sur la question de savoir si le second alinéa constitue une exception au sens strict ou une simple règle dérogatoire prévoyant la possibilité d’établir un régime distinct et spécifique pour les micro-, petites et moyennes entreprises.

30      Il en résulte que, en l’espèce, ne s’applique pas nécessairement la jurisprudence, inspirée par le principe de droit romain singularia non sunt extendenda, selon laquelle les règles de l’Union prévoyant des exceptions doivent être interprétées de manière stricte afin de préserver l’effet utile de la règle générale à laquelle elles dérogent (voir, en ce sens, arrêts du 13 décembre 2001, Heininger, C‑481/99, Rec, EU:C:2001:684, point 31 et jurisprudence citée, et du 13 décembre 2012, BLV Wohn- und Gewerbebau, C‑395/11, Rec, EU:C:2012:799, points 40 et 41 et jurisprudence citée), une telle interprétation stricte ne s’imposant pas si le second alinéa doit être qualifié de règle dérogatoire prévoyant la possibilité d’établir un régime distinct et spécifique pour les micro-, petites et moyennes entreprises.

31      Dès lors, une interprétation littérale ne permet pas d’établir si le second alinéa constitue une exception d’interprétation stricte au sens de la jurisprudence visée au point 30 ci-dessus, comme le fait valoir, en substance, la Commission, mais uniquement de constater qu’il prévoit une règle spécifique pour les micro-, petites et moyennes entreprises.

 Sur le lien entre les critères « cas dûment motivés » et « conditions » d’admissibilité

32      S’agissant de la portée exacte du second alinéa, il y a lieu de rappeler que les parties sont en désaccord sur la question de savoir si le second alinéa ne s’applique qu’à des situations exceptionnelles qui, de surcroît, doivent être spécifiquement et préalablement définies par l’État membre dans sa réglementation interne, ou s’il revêt une portée plus large couvrant, en principe, la totalité des situations qui remplissent, selon l’appréciation des autorités nationales compétentes, les « conditions » d’admissibilité prévues dans la réglementation interne, ces conditions représentant donc en soi des « cas dûment motivés », lorsque lesdites autorités décident de les appliquer et motivent leur application en conformité avec les objectifs poursuivis par les règles en cause.

33      À cet égard, il convient de relever, d’abord, que, selon le libellé univoque du second alinéa quelle que soit la version linguistique, les États membres disposent d’un pouvoir d’appréciation dans l’institution et la mise en œuvre d’un régime distinct et spécifique pour les micro-, petites et moyennes entreprises, en ce que, à cet effet, ils « peuvent […] établir les conditions auxquelles l’achat d’équipements d’occasion peut être considéré comme une dépense admissible ». De même, il est constant que le critère de « cas dûment motivés » n’est pas défini en droit de l’Union et que, partant, les États membres disposent également d’un pouvoir d’appréciation – hormis pour l’établissement des « conditions » d’admissibilité – pour ce qui est de la précision de ces cas.

34      Ensuite, il est, certes, vrai que le législateur de l’Union a voulu attribuer une signification propre et distincte aux critères de « cas dûment motivés », d’une part, et de « conditions » d’admissibilité, d’autre part. Or, ce constat ne permet pas à lui seul de justifier l’interprétation que la Commission fait du critère de « cas dûment motivés », à savoir la prétendue nécessité pour l’État membre d’adopter une réglementation de portée générale définissant, au préalable, les cas précis dans lesquels l’achat de matériel ou d’équipements d’occasion peut être considéré comme une dépense admissible. Au contraire, eu égard à la structure du second alinéa, le critère de « cas dûment motivés » est immédiatement lié à l’habilitation et au pouvoir d’appréciation de l’État membre (« peuvent, dans des cas dûment motivés, établir ») pour instituer et mettre en œuvre un régime distinct et spécifique pour les micro-, petites et moyennes entreprises. À cet égard, il est au demeurant indifférent que, notamment, les versions danoises (« I behørigt begrundede tilfælde ») et portugaises (« Em casos devidamente fundamentados ») mentionnent le critère de « cas dûment motivés » tout au début du second alinéa.

35      Eu égard à ce qui précède, le critère de « cas dûment motivés » se limite à qualifier la manière dont l’État membre est censé exercer son pouvoir d’appréciation au titre du second alinéa et, surtout, motiver cet exercice. Autrement dit, à chaque fois que l’État membre estime approprié de faire usage de son habilitation et dudit pouvoir d’appréciation, il est tenu soit, dans le cadre d’une éventuelle décision d’adopter des règles de portée générale, soit, dans le cadre d’une éventuelle décision portant sur un cas individuel d’achat d’équipements d’occasion, d’avancer les motifs pertinents à l’appui de sa décision pour satisfaire audit critère et pour permettre à la Commission un contrôle à cet égard. Force est de constater que cette compréhension est la même au regard de l’ensemble des versions linguistiques du second alinéa et qu’elle suffit pour garantir à la Commission la possibilité d’exercer un contrôle a posteriori adéquat de l’exercice par l’État membre de son pouvoir d’appréciation au titre du second alinéa, conformément aux objectifs des règles pertinentes de l’Union (voir également aux points 40 et 41 ci-après).

36      Enfin, si le législateur de l’Union avait eu l’intention d’établir une règle correspondant à l’interprétation défendue par la Commission, il aurait dû clairement indiquer que l’État membre était tenu d’édicter des règles de portée générale précisant, au préalable, l’ensemble des cas de figure dans lesquels un financement de l’achat de matériel ou d’équipement d’occasion pouvait être considéré comme éligible, ce qui n’est pourtant pas le cas du second alinéa. Or, conformément au principe de sécurité juridique, les justiciables, dont les États membres, ne sauraient pâtir des difficultés d’interprétation dues à une réglementation imprécise qui prévoit des conséquences pécuniaires défavorables à leur égard (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 29 avril 2004, Sudholz, C‑17/01, Rec, EU:C:2004:242, point 34 et jurisprudence citée ; du 7 juin 2005, VEMW e.a., C‑17/03, Rec, EU:C:2005:362, point 80, et du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a., C‑98/14, Rec, EU:C:2015:386, point 77 et jurisprudence citée).

37      Dans ces conditions, dans le cadre d’une interprétation littérale, il y a lieu de rejeter l’argumentation de la Commission selon laquelle, en substance, d’une part, le second alinéa constitue une exception d’interprétation stricte par rapport à la règle générale ou principale édictée au premier alinéa et, d’autre part, l’État membre est censé, en vertu du critère de « cas dûment motivés », de fournir, au préalable, dans une réglementation de portée générale, une motivation précise définissant lesdits cas et justifiant l’application des différentes « conditions » d’admissibilité qui y sont établies pour éviter que la portée des prétendues exceptions vide la règle générale de son contenu et porte atteinte à son effet utile.

 Sur l’interprétation téléologique de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006

38      Dans le cadre d’une interprétation téléologique, il convient de tenir compte de l’objectif général poursuivi par les règlements nos 1698/2005 et 1974/2006, à savoir le « soutien au développement rural ».

39      Les considérants 21 et 23 du règlement no 1698/2005 précisent cet objectif, notamment, de la manière suivante :

« (21) L’aide communautaire à l’investissement agricole a pour objectif de moderniser les exploitations agricoles et d’améliorer leurs performances économiques en améliorant l’utilisation des facteurs de production notamment par l’adoption de nouvelles technologies et par l’innovation, en privilégiant la qualité, la production biologique ainsi que la diversification à l’intérieur et/ou à l’extérieur de l’exploitation, y compris le secteur non alimentaire et les cultures énergétiques […]

(23) Il convient d’encourager l’amélioration de la transformation et de la commercialisation des produits agricoles et sylvicoles primaires en soutenant les investissements qui ont les objectifs suivants : renforcer l’efficacité des secteurs de la transformation et de la commercialisation, promouvoir la transformation de produits agricoles et sylvicoles destinés à l’énergie renouvelable, mettre en œuvre de nouvelles technologies et introduire des innovations, ouvrir de nouveaux débouchés commerciaux pour les produits de l’agriculture et de la sylviculture, mettre l’accent sur la qualité, améliorer la protection de l’environnement, la sécurité sur le lieu de travail, l’hygiène et le bien-être animal, selon les cas. Il convient à cet égard de cibler en règle générale les micro-, petites et moyennes entreprises et autres entreprises en dessous d’une certaine taille, qui sont les mieux placées pour apporter de la valeur ajoutée aux produits locaux, tout en simplifiant, par rapport aux exigences fixées dans le règlement (CE) no 1257/1999, les conditions à remplir pour bénéficier de l’aide à l’investissement. »

40      Ainsi, l’objectif principal du règlement no 1698/2005 est de permettre une modernisation et une amélioration des performances économiques des entreprises, dont notamment les petites et moyennes entreprises (PME), dans le secteur agricole, notamment, en favorisant l’adoption de nouvelles technologies et l’innovation. Toutefois, cette finalité ne requiert pas nécessairement, à titre exclusif, l’investissement dans du matériel ou de l’équipement neuf ou innovateur en ce qui concerne les PME. Certes, le financement d’un tel investissement est susceptible de promouvoir la modernisation et la compétitivité des PME, ce qui présente également un lien avec l’objectif de contribuer à l’amélioration de la qualité de la vie et du travail en milieu rural, à la promotion de la diversification des activités économiques et à la protection de l’environnement au moyen de technologies innovantes. Il n’en demeure pas moins que, dans le cas des PME, qui constituent la majorité des opérateurs actifs dans ce secteur, ciblés au considérant 23 in fine du règlement no 1698/2005, et dont les moyens financiers sont généralement moindres par rapport à ceux dont disposent les grandes entreprises, l’investissement dans de l’équipement neuf n’est pas toujours susceptible de contribuer à atteindre ces objectifs. Ainsi, il peut s’avérer que l’achat de matériel d’occasion d’un niveau technique élevé, mais à un prix réduit, voire d’un niveau technique meilleur par rapport à celui de certains équipements neufs, satisfasse également aux besoins de ces entreprises et contribue même davantage à leur développement technologique et économique au sens de la modernisation envisagée du secteur agricole.

41      Dans cette optique, l’habilitation des États membres de prévoir et de mettre en œuvre un régime distinct et spécifique pour les micro-, petites et moyennes entreprises pour ce qui est de l’achat de matériel d’occasion s’intègre pleinement dans les objectifs des règlements nos 1698/2005 et 1974/2006 et n’exige donc pas, contrairement à ce qu’allègue la Commission, une interprétation restrictive des règles dudit régime au regard desdits objectifs. Il n’en demeure pas moins que le critère de « cas dûment motivés » figurant au second alinéa doit être interprété en conformité avec ces objectifs pour éviter que l’État membre fasse usage de son pouvoir d’appréciation au titre du second alinéa en fonction de considérations étrangères auxdits objectifs et pour permettre à la Commission un contrôle efficace à cet égard.

42      Par conséquent, l’interprétation téléologique n’est pas susceptible de remettre en cause le résultat de l’analyse littérale du second alinéa.

 Sur l’interprétation contextuelle de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006

43      Force est de relever qu’une interprétation contextuelle en dehors du cadre réglementaire posé à l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 n’est pas de nature à soit infirmer, soit confirmer le résultat de l’analyse littérale du second alinéa.

44      À cet égard, il ressort de l’article 71, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1698/2005 que les États membres sont compétents pour fixer « [l]es règles d’éligibilité des dépenses » dans le cadre du soutien du développement rural par le Feader. Si cet article est susceptible d’indiquer que les États membres doivent, en principe, adopter, à cette fin, des règles de portée générale, il n’en résulte pas pour autant que lesdits États disposent d’un pouvoir d’appréciation illimité dans l’établissement desdites règles, ni que celles-ci doivent avoir un certain contenu. Surtout, il incombe aux États membres de respecter les conditions et les limites posées par les règles de l’Union qui sont spécifiquement applicables dans ce contexte, voire constituent la base juridique concrète de l’activité réglementaire en cause. Tel est le cas de l’article 55, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 1974/2006 qui constitue la lex specialis par rapport à l’article 71, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1698/2005, mais laisse néanmoins un pouvoir d’appréciation important aux États membres (voir point 33 ci-dessus). De même, si l’article 5, paragraphe 7, du même règlement, selon lequel « [l]es États membres veillent à la conformité des opérations financées par le Feader avec les dispositions du traité [FUE] », lu en combinaison avec l’article 310, paragraphe 5, TFUE et l’article 317, premier alinéa, TFUE et l’article 4, paragraphe 3, TUE, exige des autorités nationales de coopérer loyalement avec la Commission, dans le respect du principe de bonne gestion financière, pour exécuter le budget de l’Union, ces obligations générales ne sont pas susceptibles d’apporter des précisions utiles aux fins de l’interprétation litigieuse de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006.

45      Ainsi, il ne saurait être déduit de ces règles et principes généraux une lecture plus précise du second alinéa, en particulier des critères de « cas dûment motivés » et de « conditions » d’admissibilité ainsi que de leur lien dans le cadre de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006, qui irait au-delà des résultats des interprétations littérale et téléologique visées aux points 25 à 42 ci-dessus.

46      Partant, ces dispositions n’apportent pas de clarification supplémentaire quant à la compréhension desdits critères.

 Sur l’interprétation de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 au regard des dispositions antérieures et postérieures

47      Dans le cadre de l’interprétation de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 au regard des dispositions antérieures, il y a lieu de se référer aux règles pertinentes applicables avant l’entrée en vigueur des règlements nos 1698/2005 et 1974/2006.

48      À cet égard, étaient en vigueur le règlement (CE) no 1257/1999 du Conseil, du 17 mai 1999, concernant le soutien au développement rural par le FEOGA et modifiant et abrogeant certains règlements (JO L 160, p. 80), et les règlements (CE) nos 445/2002 et 817/2004 de la Commission, du 26 février 2002 et du 29 avril 2004, portant modalités d’application du règlement no 1257/1999 (JO L 74, p. 1 et JO L 153, p. 30). À la différence de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006, l’article 22, premier alinéa, sous b), du règlement no 445/2002 ne contenait pas de règles explicites relatives à l’achat d’équipements d’occasion ou aux PME, mais ne visait que des dépenses éligibles concernant « les machines et équipements nouveaux, y inclus les logiciels informatiques ». Il en était de même de l’article 27 du règlement no 817/2004.

49      En revanche, l’éligibilité de dépenses liées à l’achat de matériel d’occasion était prévue dans le domaine des fonds structurels, à savoir dans la règle no 4 du règlement (CE) no 1685/2000 de la Commission, du 28 juillet 2000, portant modalités d’exécution du règlement (CE) no 1260/1999 du Conseil en ce qui concerne l’éligibilité des dépenses dans le cadre des opérations cofinancées par les fonds structurels (JO L 193, p. 39). Il en allait de même de la règle no 4 du règlement (CE) no 448/2004 de la Commission, du 10 mars 2004, modifiant le règlement (CE) no 1685/2000 portant modalités d’exécution du règlement (CE) no 1260/1999 du Conseil en ce qui concerne l’éligibilité des dépenses dans le cadre des opérations cofinancées par les fonds structurels et abrogeant le règlement (CE) no 1145/2003 (JO L 72, p. 66).

50      Il en résulte que, avant l’entrée en vigueur des règlements nos 1698/2005 et 1974/2006, l’éligibilité des coûts d’équipements d’occasion faisait bien l’objet de la réglementation portant sur les fonds structurels, mais était exclue du champ d’application du règlement no 1257/1999.

51      Par ailleurs, il convient de préciser que les règlements nos 1698/2005 et 1974/2006 ont été remplacés par le règlement (UE) no 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et abrogeant le règlement no 1698/2005 (JO L 347, p. 487), ainsi que par le règlement délégué (UE) no 807/2014 de la Commission, du 11 mars 2014, complétant le règlement (UE) no 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et introduisant des dispositions transitoires (JO L 227, p. 1). Sur le fondement de l’habilitation prévue à l’article 45, paragraphe 6, du règlement no 1305/2013, la Commission a édicté l’article 13, sous b), du règlement délégué no 807/2014 en vertu duquel « les États membres fixent dans leurs programmes de développement rural les conditions dans lesquelles l’achat d’équipements d’occasion peut être considéré comme dépense éligible ». Contrairement à l’article 55, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 1974/2006, ces nouvelles règles ne prévoient donc ni de régime spécifique pour les PME ni le critère de « cas dûment motivés ». En outre, s’agissant des conditions d’éligibilité de l’achat d’équipement d’occasion, elles exigent explicitement l’adoption par les États membres de règles de portée générale dans le cadre de « leurs programmes de développement rural ».

52      Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater qu’il n’est possible de déduire ni de la genèse de la réglementation en cause ni de la réglementation postérieure une conclusion quelconque quant à la portée exacte de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006.

53      Enfin, les règles divergentes relatives aux fonds structurels ne sont pas non plus de nature à avoir une incidence sur cette appréciation, l’article 39 du règlement no 445/2002 précisant que l’article 22 du même règlement constitue une règle spéciale par rapport aux règles – plus générales – contenues dans le règlement no 1685/2000, de sorte que la République de Finlande n’est, en tout état de cause, pas fondée à invoquer ces dernières règles.

 Conclusion sur l’interprétation de l’article 55, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 1974/2006

54      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent et notamment de l’analyse littérale exposée aux points 25 à 37 ci-dessus, il y a lieu de conclure que l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 doit être interprété en ce sens que le second alinéa autorise les États membres, en leur conférant un pouvoir d’appréciation à cet effet, à instituer et à mettre en œuvre un régime dérogatoire et spécifique pour les micro-, petites et moyennes entreprises en précisant les conditions dans lesquelles l’achat d’équipements d’occasion peut être considéré comme une dépense admissible, sans qu’il faille que l’État membre définisse, de manière précise et au préalable, dans une réglementation de portée générale, les cas dans lesquels l’investissement correspond à un « cas dûment motivé ». Il n’en reste pas moins que ce dernier critère exige de l’État membre, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir d’appréciation, soit dans le cadre d’une décision d’édicter des règles de portée générale, soit dans le cadre d’une décision portant sur un cas individuel, de fournir les motifs qui font apparaître que cette décision a été prise conformément aux critères et aux objectifs de la réglementation pertinente interne et de l’Union.

55      Par conséquent, la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit en ce qu’elle procède d’une mauvaise interprétation de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006, et, partant, doit être annulée dans son intégralité sans qu’il soit besoin d’examiner si l’appréciation par la Commission de la conformité de la réglementation finlandaise avec ledit article est également entachée d’erreur. En effet, à cet égard, il suffit de préciser que la Commission se limite à remettre en cause le champ d’application trop large des conditions d’admissibilité de l’achat de matériel ou d’équipements d’occasion ainsi que l’absence de définition concrète et préalable, dans le décret no 632/2007, des « cas dûment motivés », ce qui relève précisément de son interprétation erronée de l’article 55, paragraphe 1, du même règlement.

 Sur les dépens

56      L’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

57      La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la République de Finlande.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision d’exécution 2013/763/UE de la Commission, du 12 décembre 2013, écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), section « Garantie », du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), est annulée dans la mesure où cette décision écarte du financement de l’Union au titre du Feader certaines dépenses de la République de Finlande, à hauteur d’un montant de 927 827,58 euros, en raison de leur non-conformité aux règles de l’Union.

2)      La Commission européenne est condamnée aux dépens.

Prek

Labucka

Kreuschitz

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 décembre 2015.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur l’objet du litige

Sur l’interprétation littérale de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006

Sur le caractère dérogatoire du second alinéa

Sur le lien entre les critères « cas dûment motivés » et « conditions » d’admissibilité

Sur l’interprétation téléologique de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006

Sur l’interprétation contextuelle de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006

Sur l’interprétation de l’article 55, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 au regard des dispositions antérieures et postérieures

Conclusion sur l’interprétation de l’article 55, paragraphe 1, second alinéa, du règlement no 1974/2006

Sur les dépens


* Langue de procédure : le finnois.