Language of document : ECLI:EU:T:2007:269

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

12 septembre 2007 (*)

« Concurrence – Abus de position dominante – Marché du courrier rapide international – Décision de rejet de la plainte – Annulation de la décision de rejet de la plainte par la juridiction communautaire – Réexamen et nouveau rejet de la plainte – Entreprise publique »

Dans l’affaire T‑60/05,

Union française de l’express (UFEX), établie à Roissy-en-France (France),

DHL Express (France) SAS, anciennement DHL International SA, établie à Roissy-en-France,

Federal express international (France) SNC, établie à Gennevilliers (France),

CRIE SA, établie à Asnières (France),

représentées par Mes É. Morgan de Rivery et J. Derenne, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par M. A. Bouquet et Mme O. Beynet, puis par MM. Bouquet et V. Di Bucci, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Chronopost SA, établie à Issy-les-Moulineaux (France), représentée par Me D. Berlin, avocat,

et par

La Poste, établie à Paris (France), représentée par MH. Lehman, avocat,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision SG-Greffe (2004) D/205294 de la Commission, du 19 novembre 2004, rejetant la plainte introduite par les requérantes contre la poste française et le gouvernement français, concernant le marché français du courrier rapide international,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. J. Pirrung, président, N. J. Forwood et Mme I. Pelikánová, juges,

greffier : Mme K. Pocheć, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 avril 2007,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1.     Parties au litige

1        Les requérantes sont les destinataires d’une décision de la Commission du 19 novembre 2004, rejetant leur plainte concernant le marché français du courrier rapide international.

2        L’Union française de l’express (ci-après l’« UFEX »), dénommée, jusqu’en 1997, Syndicat français de l’express international (ci-après le « SFEI »), est un syndicat professionnel de droit français regroupant la quasi-totalité des sociétés offrant des services de courrier express, dont les trois autres requérantes.

3        La poste française (ci-après « La Poste ») a confié, à partir de la fin de l’année 1985 et du début de l’année 1986, la gestion de son service de courrier express, exploité jusqu’alors sous la dénomination Postadex, à la Société française de messagerie internationale (ci-après la « SFMI »). Le capital de cette société était réparti entre Sofipost (66 %), société financière détenue à 100 % par La Poste, et TAT Express (34 %), filiale de la compagnie aérienne Transport aérien transrégional.

4        En 1992, la structure de l’activité de courrier express réalisée par la SFMI a été modifiée. Sofipost et Transport aérien transrégional ont créé une nouvelle société, Chronopost SA, dont elles détenaient toujours, respectivement, 66 % et 34 % des actions. Chronopost a pris en charge l’activité nationale de la SFMI, qui a conservé la partie internationale. Chronopost a géré, via un mandat, l’activité de courrier express international pour le compte de son mandant. Depuis 1997, Sofipost (devenue en 2001 Geopost) contrôle 100 % de Chronopost.

5        La SFMI a fait apport de ses activités de courrier express international à Global Delivery Express Worldwide France, filiale française de l’opérateur Global Delivery Express Worldwide (ci-après « GDEW »). GDEW est une entreprise commune qui regroupe la société australienne TNT, La Poste, et les postes allemande, canadienne, néerlandaise et suédoise. Cette concentration a été autorisée par la Commission dans la décision du 2 décembre 1991 déclarant la compatibilité avec le marché commun d’une concentration (IV/M.102 – TNT/Canada Post, DBP Postdienst, La Poste, PTT Post et Sweden Post) (JO C 322, p. 19, ci-après la décision « GD NET ») sur la base du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO 1990, L 257, p. 13). GDEW a absorbé la SFMI par voie de fusion le 28 juillet 1994 et celle-ci a donc disparu juridiquement à cette époque. En 1996, La Poste est sortie de GDEW.

6        Dans la suite du présent arrêt, la dénomination SFMI-Chronopost est utilisée pour désigner la filiale de La Poste active dans le secteur du courrier express international.

2.     Plainte du 21 décembre 1990

7        Dans sa plainte du 21 décembre 1990, le SFEI avançait que l’État français subventionnait illégalement la SFMI-Chronopost dans le domaine du service de courrier express international. Lors d’une réunion informelle qui s’est tenue entre les représentants du SFEI et la Commission le 18 mars 1991, la question d’une éventuelle violation de l’article 82 CE par La Poste, en tant qu’entreprise, de l’article 86 CE par l’État français, et de l’article 3, sous g), CE ainsi que des articles 10 CE et 82 CE, par l’État français, a été évoquée.

8        Au regard de l’article 82 CE, le SFEI dénonçait les modalités de l’assistance logistique et commerciale que La Poste aurait fournie à sa filiale. L’abus aurait consisté, pour La Poste, à faire bénéficier sa filiale de son infrastructure, à des conditions anormalement avantageuses, afin d’étendre la position dominante qu’elle détenait sur le marché du service postal de base au marché connexe du service de courrier rapide international. Cette pratique abusive se serait traduite par des subventions croisées au profit de la SFMI-Chronopost.

9        Au regard de l’article 86 CE, d’une part, et de l’article 3, sous g), CE, ainsi que des articles 10 CE et 82 CE, d’autre part, le SFEI soutenait que les agissements illicites de La Poste en matière d’assistance à sa filiale trouvaient leur origine dans une série d’instructions et de directives émanant de l’État français.

3.     Lettre de la Commission du 10 mars 1992

10      Par lettre du 10 mars 1992, la Commission a fait savoir au SFEI qu’elle n’envisageait pas de poursuivre son enquête au titre de l’article 82 CE. Le SFEI ainsi que trois de ses membres, à savoir DHL International [devenue DHL Express (France) SAS, ci-après « DHL »], Service Crie (ci-après « CRIE ») et May Courier, ont formé un recours en annulation contre la décision prise par la Commission dans cette lettre. Par ordonnance du 30 novembre 1992, SFEI e.a./Commission (T‑36/92, Rec. p. II‑2479), le Tribunal a rejeté le recours comme irrecevable.

11      Par arrêt du 16 juin 1994, SFEI e.a./Commission (C‑39/93 P, Rec. p. I‑2681), la Cour a annulé cette ordonnance et renvoyé l’affaire devant le Tribunal. Par lettre du 4 août 1994, la Commission a retiré la décision litigieuse et a informé les plaignantes que l’examen de leur plainte continuait.

4.     Décision de rejet de la plainte du 30 décembre 1994

12      Par décision du 30 décembre 1994, la Commission a rejeté la plainte concernant les aspects regardant l’article 82 CE pour défaut d’intérêt communautaire, au motif qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments prouvant que de prétendues infractions persistaient. Le SFEI, DHL, CRIE et May Courier ont introduit un recours en annulation, qui a été rejeté par le Tribunal dans l’arrêt du 15 janvier 1997, SFEI e.a./Commission (T‑77/95, Rec. p. II‑1).

13      Sur pourvoi, la Cour a annulé cet arrêt et renvoyé l’affaire devant le Tribunal (arrêt du 4 mars 1999, UFEX e.a./Commission, C‑119/97 P, Rec. p. I‑1341).

14      Après le renvoi de l’affaire par la Cour, le Tribunal a annulé la décision de rejet de la plainte (arrêt du Tribunal du 25 mai 2000, UFEX e.a./Commission, T‑77/95, Rec. p. II‑2167). À la suite de cet arrêt, la Commission a rouvert l’examen de la plainte.

5.     Procédures nationales

15      En parallèle à leur action devant la Commission, les requérantes ont, en 1990 et en 1996, introduit devant le conseil de la concurrence français des plaintes contre La Poste, Sofipost, la SFMI-Chronopost et Transport aérien transrégional dans lesquelles elles dénonçaient un abus de position dominante, en infraction aux dispositions du droit français de la concurrence, entre 1986 et 1996. Le conseil de la concurrence français a suspendu l’instruction des affaires en attendant les résultats de l’instruction de la plainte par la Commission. En 2005, les requérantes ont retiré leurs plaintes.

16      En 1993, le SFEI et certains de ses membres ont formé devant le tribunal de commerce de Paris une action en dommages et intérêts, notamment contre La Poste, Sofipost, la SFMI-Chronopost et GDEW France, sur le fondement de la responsabilité délictuelle (concurrence déloyale) du fait d’une violation de l’article 82 CE et de l’acceptation du bénéfice d’aides accordées en violation de l’article 88, paragraphe 3, CE. En 1999, le tribunal de commerce a rejeté le recours en ce qui concernait les éléments d’aide d’État de l’affaire. S’agissant des éléments liés à l’abus de position dominante, il a, en 2000, sursis à statuer dans l’attente de la décision de la Commission.

6.     Décision attaquée

17      Par la décision SG-Greffe (2004) D/205294, du 19 novembre 2004, rejetant la plainte introduite par les requérantes contre La Poste et le gouvernement français, concernant le marché français du courrier rapide international (ci-après la « décision attaquée »), la Commission a, de nouveau, rejeté la plainte pour défaut d’intérêt communautaire. Cette décision concerne uniquement les éléments du dossier qui relèvent des articles 82 CE, 86 CE, 3 CE et 10 CE.

18      Dans cette décision, la Commission a, premièrement, établi que le comportement mis en cause avait cessé (points 48 à 63 de la décision attaquée) et, deuxièmement, que le prétendu comportement anticoncurrentiel passé de La Poste n’exerçait pas d’effets persistants (points 64 à 121 de la décision attaquée). Troisièmement, la Commission a vérifié s’il existait un intérêt communautaire suffisant pour poursuivre l’instruction de la plainte. La Commission expose que, dans une situation dans laquelle le comportement mis en cause a cessé en 1991 et n’a pas d’effets persistants sur le marché, elle n’est tenue d’apprécier ni la gravité de la prétendue infraction ni sa durée, dans le cadre de son analyse de l’intérêt communautaire. Elle explique qu’elle analyse néanmoins, dans un souci de bonne administration, les arguments des plaignantes à cet égard.

19      La Commission a conclu à l’absence d’intérêt communautaire et a rejeté la plainte pour ce motif.

7.     Décision concernant le volet traitant des aides d’État de la plainte

20      S’agissant du volet traitant des aides d’État, la Commission a, par décision 98/365/CE, du 1er octobre 1997, concernant les aides que la France aurait accordées à SFMI-Chronopost (JO 1998, L 164, p. 37, ci-après la « décision de 1997 »), constaté que les mesures visées par la plainte ne constituaient pas des aides d’État en faveur de la SFMI-Chronopost.

21      À la suite du recours en annulation introduit par les requérantes, le Tribunal a, par arrêt du 14 décembre 2000, UFEX e.a./Commission (T‑613/97, Rec. p. II‑4055), partiellement annulé cette décision.

22      Chronopost, La Poste et la République française ont formé des pourvois contre cet arrêt. Par arrêt du 3 juillet 2003, Chronopost e.a./UFEX e.a. (C‑83/01 P, C‑93/01 P et C‑94/01 P, Rec. p. I‑6993), la Cour a annulé l’arrêt et renvoyé l’affaire devant le Tribunal.

23      Par arrêt du 7 juin 2006, UFEX e.a./Commission (T‑613/97, Rec. p. II‑1531), rendu après renvoi de l’affaire, le Tribunal a annulé la décision de 1997 en ce que la Commission y constatait que ni l’assistance logistique et commerciale fournie par La Poste à sa filiale, la SFMI-Chronopost, ni le transfert de Postadex ne constituaient des aides d’État en faveur de la SFMI-Chronopost. Le Tribunal a jugé que le transfert du service Postadex à la SFMI-Chronopost constituait une aide d’État étant donné qu’aucune contrepartie n’avait été fournie à La Poste par la SFMI-Chronopost (point 167 de l’arrêt). En outre, le Tribunal a considéré que la motivation de la décision de 1997, laquelle se limitait à une explication très générale de la méthode d’appréciation des coûts suivie par la Commission et du résultat final obtenu, ne répondait pas aux exigences de l’article 253 CE dans la mesure où elle concernait la fourniture de l’assistance logistique et commerciale (points 98 et 101 de l’arrêt).

24      Chronopost et La Poste ont introduit des pourvois contre cet arrêt (affaires jointes C‑341/06 P et C‑342/06 P, en cours).

 Procédure et conclusions des parties

25      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 février 2005, les requérantes ont introduit le présent recours.

26      Par mémoires déposés au greffe du Tribunal le 3 juin 2005, Chronopost et La Poste ont demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Ces demandes ont été acceptées par ordonnance du président de la deuxième chambre du 21 juillet 2005.

27      Par ordonnance du 21 mars 2006, le président de la deuxième chambre a statué sur des demandes de traitement confidentiel, à l’égard des intervenantes, en ce qui concerne certaines informations figurant dans les écritures et les annexes des parties.

28      Chronopost et La Poste ont déposé des mémoires en intervention. Les requérantes ont présenté des observations sur ces mémoires dans le délai imparti.

29      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal, a invité les parties à répondre par écrit à des questions. À l’exception de La Poste, elles ont déféré à cette demande dans le délai imparti.

30      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 26 avril 2007. Après l’audience, par lettre du 19 juillet 2007, CRIE, qui se trouve en liquidation, s’est désistée de son recours. Il y a donc lieu de radier CRIE de la liste des parties requérantes, si bien que, dans la suite du présent arrêt, le terme « requérantes » désignera exclusivement l’UFEX, DHL et Federal express international (France) SNC (ci-après « FedEx »). En revanche, le terme « plaignantes » désignera l’UFEX, DHL, FedEx et CRIE.

31      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

32      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

33      Chronopost conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        faire droit aux écritures de la Commission, en particulier :

–        déclarer irrecevable la partie du recours qui concerne l’article 3, sous g), CE, et les articles 10 CE, 82 CE et 86 CE pris ensemble et/ou

–        rejeter l’intégralité du recours des requérantes comme non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

34      La Poste conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable en raison, d’une part, de l’absence de plainte formalisée devant la Commission, et, d’autre part, de l’atteinte aux droits fondamentaux de La Poste garantis à l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH ») ;

–        subsidiairement, rejeter le recours ;

–        dans tous les cas, condamner les requérantes aux dépens qu’elle a exposés.

 Sur la recevabilité

1.     Arguments des parties

35      La Poste invoque deux fins de non-recevoir, la première étant tirée d’une absence de plainte déposée par l’UFEX et la seconde d’une violation de ses droits fondamentaux.

36      Dans le cadre de la première fin de non-recevoir, La Poste fait valoir qu’il résulte clairement du libellé de la plainte du 21 décembre 1990 qu’il s’agit d’une plainte déposée en matière d’aides d’État, et non d’une plainte concernant un abus de position dominante. Les requérantes ne seraient donc pas recevables à contester le rejet d’une plainte qui n’existe pas. Selon La Poste, il ne saurait être admis qu’une réunion informelle, ayant donné lieu à des échanges de vues, puisse constituer une plainte au sens de l’article 3 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204).

37      Au titre de la seconde fin de non-recevoir, La Poste rappelle que, selon l’article 6 de la CEDH, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable et tout accusé a le droit d’être informé, dans le plus court délai, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui.

38      La Poste se serait trouvée sous le coup d’une accusation au sens de l’article 6 de la CEDH dès lors que la Commission avait enquêté sur un abus de position dominante qui lui était reproché. Elle considère qu’un arrêt annulant la décision de la Commission, qui entraînerait une reprise de la procédure, constituerait une violation de ses droits fondamentaux. La Poste ne serait pas en mesure de rechercher les éléments nécessaires à sa défense relevant des années 80 et 90.

39      La Commission ne conteste pas la recevabilité du recours, sauf en ce qui concerne son troisième moyen (voir points 188 et suivants ci-après).

40      Les requérantes considèrent, de façon générale, que les fins de non-recevoir invoquées par La Poste sont irrecevables, l’intervenante n’ayant pas le droit de soulever des moyens ou des exceptions non soulevés par la partie principale.

41      En ce qui concerne la première fin de non-recevoir, les requérantes estiment que l’existence d’une plainte en matière d’abus de position dominante ne saurait être sérieusement contestée.

42      S’agissant de la seconde fin de non-recevoir, les requérantes font valoir que, en réalité, La Poste n’invoque pas une fin de non-recevoir, mais un moyen de fond qu’elle n’aurait pas qualité à invoquer.

2.     Appréciation du Tribunal

 Observations liminaires

43      Il convient d’examiner, à titre liminaire, si les fins de non-recevoir soulevées par La Poste sont recevables.

44      Selon l’article 40, dernier alinéa, du statut de la Cour, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de son article 53, les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d’autre objet que le soutien des conclusions des parties. En outre, aux termes de l’article 116, paragraphe 3, du règlement de procédure, la partie intervenante accepte le litige dans l’état dans lequel il se trouve lors de son intervention. Selon une jurisprudence constante, la partie intervenante n’est, dès lors, pas recevable à soulever une exception d’irrecevabilité qui n’est pas invoquée par la partie au soutien des conclusions de laquelle elle a été admise à intervenir. Le Tribunal n’est pas tenu d’examiner des moyens invoqués à cet égard (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C‑313/90, Rec. p. I‑1125, point 22, et du Tribunal du 26 janvier 2005, Piau/Commission, T‑193/02, Rec. p. II‑209, point 36).

45      Or, dans ses conclusions, la Commission n’a pas soulevé de fin de non-recevoir. Dès lors, La Poste n’a pas qualité pour soulever de telles fins de non-recevoir.

46      Toutefois, en vertu de l’article 113 du règlement de procédure, le Tribunal peut, à tout moment, examiner d’office les fins de non-recevoir d’ordre public, y compris celles invoquées par les parties intervenantes (arrêts du Tribunal du 24 octobre 1997, EISA/Commission, T‑239/94, Rec. p. II‑1839, point 26, et Piau/Commission, point 44 supra, point 37).

47      En l’occurrence, les fins de non-recevoir invoquées par La Poste soulèvent des questions d’ordre public, en ce qu’elles concernent la recevabilité du recours (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 avril 2004, Italie/Commission, C‑298/00 P, Rec. p. I‑4087, point 35). En l’espèce, il convient de les examiner d’office.

 Sur la première fin de non-recevoir, tirée d’une absence de plainte de l’UFEX

48      S’agissant de la première fin de non-recevoir, il y a lieu de relever qu’il résulte du point 1 de la décision attaquée que la Commission estime avoir été saisie d’une plainte concernant des allégations d’infraction, notamment à l’article 82 CE. Dans de telles circonstances, la question de savoir si la plainte déposée le 21 décembre 1990 visait dès l’origine une prétendue infraction à l’article 82 CE est sans pertinence (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 1994, SFEI e.a./Commission, point 11 supra, point 23).

49      L’argument de La Poste selon lequel le SFEI et l’UFEX auraient dû adresser une plainte formelle à la Commission ne peut être retenu. Les plaignantes ont clairement exprimé leur souhait que la plainte soit examinée au regard de l’article 82 CE. Par exemple, après que la Commission avait adressé au SFEI, le 28 octobre 1994, une lettre l’informant de son intention de ne pas donner une suite favorable à la plainte concernant les aspects relatifs à l’article 82 CE, le SFEI a fait parvenir à la Commission ses observations, par lettre du 28 novembre 1994, dans lesquelles il a maintenu sa position en ce qui concerne l’abus de position dominante (points 2 et 3 de la décision de rejet du 30 décembre 1994, citée au point 8 de l’arrêt du 25 mai 2000, UFEX e.a./Commission, point 14 supra). Il s’ensuit que la Commission a valablement été saisie d’une plainte fondée sur l’article 82 CE.

 Sur la seconde fin de non-recevoir, tirée de la violation des droits fondamentaux de La Poste

50      À titre liminaire, il convient de constater que ce moyen, tel qu’il est présenté par La Poste, ne constitue pas, en réalité, une exception d’irrecevabilité, ainsi que les requérantes le font valoir à bon droit. En effet, l’intérêt des tiers à ne pas voir un acte annulé, au motif qu’il en résulterait pour eux un inconvénient ou la perte d’un avantage, voire une atteinte à leurs droits, ne relève pas des conditions de recevabilité du recours en annulation, telles qu’énoncées à l’article 230 CE ainsi que dans le statut de la Cour et interprétées par la jurisprudence. Si un tel intérêt peut, le cas échéant, être pris en considération lors de l’examen de l’affaire au fond, par exemple, en vertu du principe de sécurité juridique, il ne saurait, en tant que tel, être invoqué au soutien d’une fin de non-recevoir.

51      En tout état de cause, l’argument de La Poste, selon lequel un arrêt annulant la décision attaquée constituerait en soi une violation de ses droits fondamentaux, ne saurait être retenu. En effet, ainsi qu’il ressort du point 57 ci-après, la violation alléguée ne procéderait pas de l’arrêt d’annulation lui-même, mais du comportement futur et hypothétique de la Commission lors de la reprise de la procédure d’examen de la plainte. Une telle considération, au demeurant purement spéculative, ne saurait empêcher le Tribunal d’exercer la mission qui lui incombe au titre de l’article 220 CE, à savoir assurer le respect du droit et, plus particulièrement en l’espèce, de contrôler la légalité de la décision attaquée, dans les conditions prévues à l’article 230 CE.

52      Cependant, il y a lieu de relever que La Poste a précisé lors de l’audience, en réponse à une question du Tribunal, que cette fin de non-recevoir se référait, pour partie, à l’absence d’intérêt à agir des requérantes. Sous cet aspect, la question de la durée de la procédure constitue effectivement une question de recevabilité. Si cette durée était susceptible d’empêcher la Commission d’adopter à l’avenir une décision constatant une infraction, il conviendrait de s’interroger sur l’intérêt des requérantes à voir annuler la décision attaquée.

53      Selon une jurisprudence constante, un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où le requérant a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques (voir arrêt de la Cour du 24 juin 1986, AKZO Chemie/Commission, 53/85, Rec. p. 1965, point 21 ; arrêts du Tribunal du 14 septembre 1995, Antillean Rice Mills e.a./Commission, T‑480/93 et T‑483/93, Rec. p. II‑2305, point 59, et la jurisprudence citée, et du 20 juin 2001, Euroalliages/Commission, T‑188/99, Rec. p. II‑1757, point 26), ou, selon une autre formule, que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (arrêts de la Cour du 13 juillet 2000, Parlement/Richard, C‑174/99 P, Rec. p. I‑6189, point 33, et du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677, point 21 ; arrêt du Tribunal du 28 septembre 2004, MCI/Commission, T‑310/00, Rec. p. II‑3253, point 44).

54      Étant donné que les requérantes sont destinataires d’une décision rejetant leur plainte, leur intérêt à agir ne peut être nié que dans des circonstances exceptionnelles. C’est uniquement dans l’hypothèse où l’on pourrait exclure avec certitude que la Commission est en mesure d’adopter une décision constatant une infraction imputable aux parties intervenantes, qu’il serait possible de nier l’intérêt à agir des requérantes.

55      Il convient donc d’examiner s’il est possible d’exclure, à ce stade, que la Commission soit en mesure d’adopter une telle décision. Tout d’abord, il y a lieu de souligner que l’observation du délai raisonnable dans la conduite des procédures administratives en matière de politique de la concurrence constitue un principe général de droit communautaire dont la juridiction communautaire assure le respect (arrêt de la Cour du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C‑105/04 P, Rec. p. I‑8725, point 35). Dans ce cadre, il y a lieu d’examiner si la durée excessive de la totalité de la procédure administrative, y compris la phase antérieure à la communication des griefs, est susceptible d’affecter les possibilités futures de défense des entreprises visées par l’enquête (voir, en ce sens, arrêt Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, précité, point 51).

56      Afin de démontrer une violation des droits de la défense, y compris en raison de la durée excessive de la phase d’instruction, il incombe à une partie d’établir que ses possibilités de réfuter les griefs de la Commission sont effectivement limitées pour des raisons découlant du fait que la première phase de la procédure administrative a pris un temps déraisonnablement long (voir, en ce sens, arrêt Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, point 55 supra, point 56).

57      En l’espèce, La Poste n’a pas établi qu’une éventuelle décision constatant une infraction porterait nécessairement atteinte à ses droits de la défense. À cet égard, il y a lieu de souligner qu’il incombe à la Commission, si elle souhaite adopter une décision constatant une infraction, de prouver les faits qui caractérisent cette infraction. À ce jour, il est impossible de savoir exactement quels sont les griefs qui pourraient être retenus par la Commission dans une éventuelle communication des griefs, et quels sont les éléments de preuve sur lesquels elle pourrait se fonder. Or, il n’est pas possible d’établir de façon hypothétique que La Poste ne serait pas en mesure de se défendre contre d’éventuelles accusations. Si la procédure devait se poursuivre, il ne serait pas exclu que La Poste puisse faire valoir, à un stade ultérieur, son incapacité à se défendre utilement contre un grief précis qui lui serait adressé par la Commission ou contre un moyen de preuve précis, en raison de la durée excessive de la procédure. À cet égard, il convient de souligner que des allégations abstraites et imprécises, telles que l’affirmation de La Poste selon laquelle elle ne pouvait « évidemment [pas] rechercher les éléments nécessaires à sa défense relevant des années 80 et 90 », ne sont pas de nature à établir la réalité d’une violation des droits de la défense, laquelle doit être examinée en fonction des circonstances spécifiques à chaque cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêt Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, point 55 supra, points 56 à 59).

58      En ce qui concerne l’argument de La Poste tiré du fait que se trouver sous le coup d’un examen permanent lui cause des préjudices importants, à savoir la mobilisation de ses services à une tache improductive, des dépenses inutiles et l’accès de ses concurrents à de nombreuses informations commerciales, il suffit de constater qu’il n’est pas de nature à établir une violation de ses droits de la défense. Ces circonstances ne peuvent donc empêcher la Commission d’adopter, à l’avenir, une décision constatant une infraction.

59      Il résulte de tout ce qui précède que le recours est recevable.

 Sur le fond

1.     Sur le premier moyen, tiré de la violation des règles de droit relatives à l’appréciation de l’intérêt communautaire à poursuivre l’examen de la plainte

60      Ce moyen s’articule en quatre branches, tirées, respectivement, d’une lecture erronée de l’arrêt du 25 mai 2000, UFEX e.a./Commission, point 14 supra, d’une appréciation erronée de certains éléments participant nécessairement à la définition de l’intérêt communautaire, d’une appréciation erronée du rôle de la Commission par rapport à celui des juridictions nationales dans l’examen de l’existence d’un intérêt communautaire et d’une violation des principes de bonne foi et de coopération loyale entre les institutions communautaires.

 Sur la première branche, tirée d’une lecture manifestement erronée de l’arrêt du Tribunal du 25 mai 2000 tirant les conséquences de l’arrêt de la Cour du 4 mars 1999 rendu sur pourvoi

 Arguments des parties

61      Les requérantes estiment que l’arrêt du 25 mai 2000, UFEX e.a./Commission, point 14 supra, impose à la Commission d’analyser trois conditions cumulatives dans l’ordre indiqué – à savoir la gravité des infractions alléguées, leur durée et l’éventuelle persistance de leurs effets – en vue d’apprécier l’existence d’un intérêt communautaire à poursuivre la procédure dans une affaire donnée.

62      Selon les requérantes, l’intégralité du raisonnement de la Commission est fondée sur le point 22 de la décision attaquée, dans lequel la Commission indique que « [l]’arrêt de la Cour montre clairement que lorsque des effets anticoncurrentiels persistent – mais seulement si c’est le cas (d’où le terme ‘le cas échéant’) – la Commission doit considérer la gravité des infractions alléguées. » Ce faisant, la Commission aurait méconnu ses obligations dans le cadre de l’examen d’une plainte.

63      La Commission conteste les arguments des requérantes. Elle fait valoir que, dans la décision attaquée, elle n’entendait pas affirmer qu’elle n’était pas obligée de considérer la gravité et la durée de l’infraction, telles qu’elles étaient alléguées par les plaignantes, mais qu’elle n’avait pas l’obligation de mener toute une enquête pour les établir et les déterminer avec précision. En l’espèce, la Commission aurait bien tenu compte de la gravité et de la durée de l’infraction alléguée.

 Appréciation du Tribunal

64      En premier lieu, il convient de rappeler, de façon générale, les obligations de la Commission lorsqu’elle est saisie d’une plainte.

65      À cet égard, il ressort d’une jurisprudence bien établie (voir arrêt du Tribunal du 14 février 2001, SEP/Commission, T‑115/99, Rec. p. II‑691, points 31 à 33, et la jurisprudence citée), que la Commission, lorsqu’elle décide d’accorder des degrés de priorité différents aux plaintes dont elle est saisie, peut non seulement arrêter l’ordre dans lequel les plaintes seront examinées, mais également rejeter une plainte pour défaut d’intérêt communautaire suffisant à poursuivre l’examen de l’affaire. Le pouvoir discrétionnaire dont dispose la Commission à cet effet n’est cependant pas sans limites. D’une part, elle est astreinte à une obligation de motivation lorsqu’elle refuse de poursuivre l’examen d’une plainte. D’autre part, elle ne peut se fonder sur le seul fait que des pratiques prétendues contraires au traité ont cessé pour décider de classer sans suite pour défaut d’intérêt communautaire une plainte dénonçant ces pratiques, sans avoir vérifié que des effets anticoncurrentiels ne persistaient pas et que, le cas échéant, la gravité des atteintes alléguées à la concurrence ou la persistance de leurs effets n’était pas de nature à conférer à cette plainte un intérêt communautaire.

66      Dans la décision attaquée, la Commission soutient que, si une infraction est terminée depuis longtemps et s’il n’y a pas d’effets persistants, elle est habilitée à rejeter la plainte pour défaut d’intérêt communautaire, sans tenir compte de la durée et de la gravité de l’infraction. Cela résulte du point 22 de la décision attaquée (point 62 supra), ainsi que du point 123 de cette même décision, dans lequel la Commission expose ce qui suit :

« [L]a Commission considère que le comportement mis en cause a cessé en 1991 et n’a pas d’effets persistants sur le marché. Dans une telle situation, la Commission n’est [...] tenue d’apprécier ni la gravité de la prétendue infraction, ni sa durée, dans son analyse de l’intérêt communautaire. Cependant, dans un souci de bonne administration, les arguments des plaignant[e]s à ce sujet sont analysés dans ce qui suit. »

67      Au regard des termes explicites de ces déclarations, il y a lieu de rejeter l’argument de la Commission selon lequel elle n’entendait pas affirmer qu’elle n’était pas obligée de considérer la gravité et la durée de l’infraction, telles qu’elles étaient alléguées par les plaignantes, mais seulement qu’elle n’avait pas l’obligation de mener toute une enquête pour les établir et les déterminer avec précision. Dans la décision attaquée, la Commission a clairement soutenu ne pas être obligée de tenir compte de la gravité et de la durée de l’infraction, lorsqu’elle constate qu’une infraction est terminée et qu’il n’y a pas d’effets persistants. Ce n’est que « dans un souci de bonne administration » qu’elle a analysé les arguments des plaignantes concernant la gravité et la durée de l’infraction.

68      Il convient donc d’examiner si cette interprétation correspond aux obligations de la Commission, définies, notamment, dans l’arrêt du 4 mars 1999, UFEX e.a./Commission, point 13 supra.

69      Dans cet arrêt, la Cour a tenu le raisonnement suivant. La Commission est tenue d’apprécier dans chaque espèce la gravité des atteintes alléguées à la concurrence et la persistance de leurs effets. Cette obligation implique, notamment, qu’elle tienne compte de la durée et de l’importance des infractions dénoncées ainsi que de leur incidence sur la situation de la concurrence dans la Communauté (point 93 de cet arrêt). La Commission ne peut se fonder sur le seul fait que des pratiques prétendues contraires au traité ont cessé pour décider de classer sans suite pour défaut d’intérêt communautaire une plainte dénonçant ces pratiques, sans avoir vérifié que des effets anticoncurrentiels ne persistaient pas et que, « le cas échéant », la gravité des atteintes alléguées à la concurrence ou la persistance de leurs effets n’étaient pas de nature à conférer à cette plainte un intérêt communautaire (point 95 du même arrêt). La Cour a considéré que le Tribunal, en jugeant, sans s’assurer qu’il avait été vérifié que les effets anticoncurrentiels ne persistaient pas et, le cas échéant, n’étaient pas de nature à conférer à la plainte un intérêt communautaire, que l’instruction d’une plainte relative à des infractions révolues ne correspondait pas à la fonction attribuée à la Commission par le traité, mais servait essentiellement à faciliter aux plaignantes la démonstration d’une faute afin d’obtenir des dommages et intérêts devant les juridictions nationales, avait retenu une conception erronée de la mission de la Commission dans le domaine de la concurrence (point 96 du même arrêt).

70      L’argumentation de la Commission exposée au point 22 de la décision attaquée se fonde sur l’emploi du terme « le cas échéant » au point 95 de l’arrêt de la Cour. Toutefois, ce point doit être lu à la lumière du point 93 qui implique que la Commission doit tenir compte à la fois de la durée, de la gravité et des effets persistants de l’infraction alléguée. Le point 95 de cet arrêt doit être lu comme suit : si des effets anticoncurrentiels persistent (« le cas échéant »), la Commission est tenue de vérifier si soit la gravité des infractions alléguées, soit la persistance de leurs effets confère à la plainte un intérêt communautaire. Il découle du point 96 de l’arrêt que la seule persistance des effets anticoncurrentiels peut être suffisante à conférer à la plainte un intérêt communautaire. Si, en revanche, des effets anticoncurrentiels ne subsistent pas, la Commission n’est évidemment pas tenue d’apprécier si leur persistance confère à la plainte un intérêt communautaire. Pourtant, cela ne permet pas de conclure a contrario que la Commission n’est pas tenue de vérifier si la gravité des infractions alléguées confère à la plainte un intérêt communautaire. Dans un tel cas, la Commission reste obligée de tenir compte de la durée et de la gravité des infractions alléguées (arrêt du 4 mars 1999, UFEX e.a./Commission, point 13 supra, point 93).

71      Dans l’arrêt du 25 mai 2000, UFEX e.a./Commission, point 14 supra, le Tribunal confirme que la Commission ne peut pas se contenter de vérifier s’il existe des effets persistants, mais qu’elle doit également tenir compte de la gravité et de la durée des infractions alléguées. Ainsi, selon le point 44 de cet arrêt, la Commission « [est] tenue d’apprécier, sur la base de tous les éléments de fait et de droit recueillis, la gravité et la durée des infractions alléguées ainsi que l’éventuelle persistance de leurs effets ».

72      L’argument de la Commission exposé aux points 24 et 25 de la décision attaquée, selon lequel une autre interprétation que celle donnée dans la décision attaquée aurait pour conséquence d’exiger de la Commission une analyse sur le fond de chaque plainte, puisqu’une appréciation de la durée et de la gravité d’un abus nécessiterait a fortiori une instruction et la détermination de l’existence ou de l’absence d’une infraction, ne saurait être retenu. En effet, il est possible que la Commission tienne compte de la gravité et de la durée de l’infraction alléguée, telle que dénoncée dans la plainte, dans l’appréciation de l’intérêt communautaire à poursuivre la plainte, sans déterminer l’existence et les caractéristiques précises (relatives à la gravité et à la durée) de l’infraction.

73      Toutefois, il y a lieu de rejeter l’argument des requérantes selon lequel la Commission est tenue d’apprécier la gravité, la durée et la persistance des effets de l’infraction alléguée dans un ordre déterminé.

74      À cet égard, il convient de souligner que, selon la jurisprudence, l’évaluation de l’intérêt communautaire présenté par une plainte est fonction des circonstances de chaque espèce, et qu’il ne convient ni de limiter le nombre des critères d’appréciation auxquels la Commission peut se référer ni, à l’inverse, de lui imposer le recours exclusif à certains critères (arrêt du 4 mars 1999, UFEX e.a./Commission, point 13 supra, point 79). Il s’ensuit que la Commission n’est pas obligée d’examiner certains critères spécifiques dans un ordre déterminé. Les motifs adoptés par la Cour et par le Tribunal dans l’affaire UFEX e.a./Commission concernent une situation dans laquelle la Commission s’était fondée sur le seul fait que les pratiques alléguées avaient cessé pour décider de classer sans suite une plainte dénonçant ces pratiques, pour défaut d’intérêt communautaire. Selon cette jurisprudence, si la Commission souhaite fonder son raisonnement sur le fait que le comportement a cessé, elle est tenue de vérifier si des effets anticoncurrentiels persistent et de tenir compte de la gravité et de la durée de l’infraction dans l’appréciation de l’intérêt communautaire à poursuivre la plainte. Cependant, cela ne renverse pas la jurisprudence selon laquelle la Commission peut décider de classer sans suite une plainte pour défaut d’intérêt communautaire sur un autre fondement que celui de la cessation du comportement fautif. Il résulte de l’ordonnance de la Cour du 13 décembre 2000, SGA/Commission (C‑39/00 P, Rec. p. I‑11201, point 64), que la jurisprudence définie dans l’arrêt du 4 mars 1999, UFEX e.a./Commission, point 13 supra, est seulement applicable dans les cas où la Commission se fonde sur la cessation des pratiques prétendument contraires au traité.

75      Il est loisible à la Commission d’examiner, en premier lieu, si le comportement mis en cause continue, en deuxième lieu, si des effets anticoncurrentiels persistent et, en troisième lieu, s’il existe un intérêt communautaire à poursuivre l’examen de la plainte. Toutefois, la Commission est tenue, dans le cadre de l’examen de l’intérêt communautaire, de tenir compte de la gravité et de la durée de l’infraction alléguée. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, cette approche ne saurait être qualifiée d’illogique. Rien n’empêche la Commission de suivre les étapes de raisonnement indiquées dans la décision, si elle tient compte, dans le cadre de la dernière étape, de la gravité et de la durée des infractions alléguées.

76      Il résulte de ce qui précède que la Commission a interprété, dans la décision attaquée, ses obligations de manière erronée, en affirmant qu’elle n’était pas tenue de considérer la gravité et la durée des infractions alléguées.

77      Cela ne signifie pas nécessairement que la décision attaquée doive être annulée. Selon la jurisprudence, une erreur dont est entachée une décision de la Commission ne saurait suffire à justifier l’annulation de cette décision, si, dans les circonstances particulières du cas d’espèce, elle n’avait pu avoir une influence déterminante quant au résultat (voir arrêt du Tribunal du 14 mai 2002, Graphischer Maschinenbau/Commission, T‑126/99, Rec. p. II‑2427, point 49, et la jurisprudence citée).

78      Il s’ensuit que l’argument des requérantes tiré de l’erreur de la Commission, consistant à avoir considéré qu’elle n’était pas obligée de tenir compte de la gravité et de la durée des infractions alléguées, serait inopérant si cette erreur n’a pu avoir une influence déterminante quant au résultat. En l’espèce, la Commission a examiné les arguments des plaignantes liés à la gravité et à la durée des infractions « dans un souci de bonne administration ». S’il en résulte qu’elle a considéré que, même en tenant compte des caractéristiques des infractions, il n’y avait pas d’intérêt communautaire suffisant à poursuivre l’examen de la plainte, et si la Commission n’a pas commis d’erreur dans le cadre de cette argumentation, l’erreur de la Commission n’a pas pu avoir d’influence sur le dispositif de la décision.

79      Il y a donc lieu d’examiner, dans le cadre de l’examen de la deuxième branche du premier moyen, si l’appréciation par la Commission de la gravité et de la durée des infractions alléguées est entachée d’erreur.

 Sur la deuxième branche, tirée d’une appréciation manifestement erronée de certains éléments participant nécessairement à la définition de l’intérêt communautaire

80      Les requérantes font valoir que la Commission n’a pas apprécié de façon correcte la gravité des infractions alléguées, leur durée et la persistance de leurs effets anticoncurrentiels.

 Résumé de la décision attaquée

81      Dans la mesure où elle est pertinente pour la solution du présent litige, la décision attaquée contient les observations suivantes. La Commission estime que les infractions alléguées ont cessé en 1991, en faisant référence, à cet égard, à la décision GD NET (voir point 5 ci-dessus). La Commission expose que, après 1991, il n’y avait plus d’incitation à l’octroi de subventions croisées. À cet égard, elle relève que, en vertu des contrats GDEW, lorsque la SFMI-Chronopost a fusionné avec les activités de courrier express de TNT et les opérateurs postaux allemand, néerlandais, suédois et canadien, La Poste ne détenait qu’une participation de 12,5 % dans GDEW, constituée, en France, par la SFMI-Chronopost. La Commission estime que, en raison de la mise en commun des bénéfices de GDEW et de leur répartition entre tous ses actionnaires, aucun des opérateurs postaux n’aurait été amené à faire bénéficier unilatéralement GDEW de subventions croisées (point 51 de la décision attaquée).

82      Elle souligne également que, à partir de mars 1995, La Poste était tenue de respecter l’engagement, annexé à la décision GD NET, de fournir des services d’infrastructure en sous-traitance à des tiers à des conditions analogues à celles auxquelles elle fournissait des services équivalents à la SFMI-Chronopost (point 58 de la décision attaquée).

83      La Commission relève qu’elle a vérifié en 2002 auprès des plaignantes si elles avaient demandé à La Poste de leur fournir des services sous-traités du type de ceux qu’elle fournissait à la SFMI-Chronopost, et qu’il ressortait des réponses qu’aucun opérateur ne s’était montré désireux de le faire (point 61 de la décision attaquée). Elle souligne que FedEx a conclu des contrats entrés en vigueur en 2002 avec la société holding de Chronopost concernant certains services d’infrastructure (point 63 de la décision attaquée).

84      Ensuite, la Commission relève que le prétendu comportement anticoncurrentiel passé n’exerce pas d’effets persistants.

85      À cet égard, la Commission a fourni le tableau suivant concernant l’évolution de la part en valeur du marché français du courrier express international :

    

En %

 

1986

1990

1996

2001

SFMI/Chronopost

4

24 à 32

22

25

DHL

42

22 à 28

28

35

FedEx

7 à 16

10 à 17

11

10

UPS

2

3 à 6

9

7

TNT/GDEW

4 à 7

4 à 13

10

11

Jet Services

6

4 à 5

 

11


86      La Commission souligne que la part de marché de la SFMI-Chronopost était de 25 % en 2001, soit trois points de pourcentage de moins qu’en 1990, par rapport à la moyenne de la fourchette allant de 24 à 32 %. La faiblesse de cet écart montrerait combien la part de marché de la SFMI-Chronopost est peu dépendante de l’abus prétendu. Il s’ensuit, selon la Commission, que la part de marché de la SFMI-Chronopost obéit à d’autres facteurs déterminants (point 73 de la décision attaquée).

87      La Commission ajoute qu’il y a eu peu de sorties du marché depuis 1991 et que seulement deux très petits fournisseurs se sont retirés du marché français du courrier international : CRIE et Extracom (point 79 de la décision attaquée). Quant à la société CRIE, la Commission relève que les raisons qu’elle a données pour expliquer ce départ, en réponse à une demande de renseignements de sa part, n’étaient liées ni à l’absence d’accès au réseau de La Poste, ni à un abus de position dominante de celle-ci (point 80 de la décision attaquée). Elle souligne qu’elle ne dispose pas d’éléments démontrant un lien de causalité entre le comportement mis en cause et la sortie d’un quelconque opérateur du marché concerné (point 85 de la décision attaquée).

88      La Commission relève également que les clients français sont extrêmement sensibles au prix lorsqu’ils choisissent leur fournisseur de service de courrier express, que les clients désireux de changer de fournisseur ne rencontrent pas d’obstacles, et que, d’ailleurs, ils le font fréquemment (points 86 à 100 de la décision attaquée).

89      À l’égard de l’argument des plaignantes selon lequel la disponibilité d’un réseau national est essentielle pour agir sur le segment ad hoc (celui de la clientèle occasionnelle), la Commission répond que, si la disponibilité du réseau de La Poste était essentielle, la concurrence aurait forcément dû se développer sur la base d’accords commerciaux depuis le mois de mars 1995 (point 104 de la décision attaquée). La part de marché importante et croissante de DHL dans le segment ad hoc serait la preuve que l’accès exclusif de la SFMI-Chronopost au réseau postal local omniprésent de La Poste jusqu’en 1995 n’a pas faussé la concurrence de manière significative et durable sur ce segment (point 105 de la décision attaquée). La Commission évoque également l’importance croissante des téléventes et des ventes par Internet (points 113 et 114 de la décision attaquée).

90      Ensuite, la Commission expose qu’il n’existe pas d’effets persistants en matière de prix. Elle souligne que les plaignantes ont affirmé que la SFMI-Chronopost avait aligné ses prix sur ceux de ses concurrents vers 1991 et que ces prix étaient redevenus abusifs par la suite, en tout cas, vers l’année 2000 et en 2002 (point 116 de la décision attaquée). À l’égard de l’argument des plaignantes selon lequel ces prix constituaient des effets persistants des subventions croisées, la Commission soutient qu’il n’est pas établi que les prix pratiqués par la SFMI-Chronopost à partir de l’année 2000 aient un quelconque lien avec les subventions croisées dont la SFMI-Chronopost aurait prétendument bénéficié (point 118 de la décision attaquée). En tout état de cause, il semblerait invraisemblable qu’une entreprise mette en œuvre, pendant plus d’une décennie, une politique de prix abusivement bas (point 119 de la décision attaquée).

91      Dans la partie de la décision attaquée consacrée à l’examen de la question de savoir si l’intérêt communautaire est suffisant pour poursuivre l’examen de la plainte, la Commission relève que le fait que le prétendu abus ait duré cinq ans ne confère pas un intérêt communautaire à l’affaire lorsque cet abus a cessé treize ans auparavant et lorsqu’il ne présente pas d’effets persistants (point 124 de la décision attaquée).

92      Concernant la gravité du prétendu abus, la Commission conteste, aux points 125 à 126 de la décision attaquée, l’argumentation des plaignantes selon laquelle il résulte des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices ») que le prétendu abus serait « très grave », du fait que La Poste serait en situation de monopole. Elle soutient, à cet égard, que les lignes directrices ont été élaborées dans le but de fournir une meilleure transparence en ce qui concerne la politique de la Commission dans la fixation des amendes, mais qu’elles ne concernent pas la possibilité pour la Commission de rejeter une plainte pour défaut d’intérêt communautaire.

93      La Commission relève également que le marché en cause n’est pas devenu substantiellement plus concentré qu’il ne l’était en 1986, en comparant le degré de concentration, calculé selon l’indice Herfindahl-Hirschmann, de l’année 1986 avec celui des années 2000 et 2001 (points 131 et 132 de la décision attaquée).

 Arguments des parties

–       Gravité des infractions alléguées

94      Les requérantes estiment que le marché concerné par les infractions alléguées a une dimension communautaire évidente et soulignent que la plainte émanait de la quasi-totalité des opérateurs concernés. L’infraction alléguée, à savoir des subventions croisées financées par les ressources du monopole postal, aurait été maintes fois reconnue par la Commission comme revêtant un caractère de gravité certaine. Par conséquent, la Commission aurait dû conclure, dans la décision attaquée, à la nature particulièrement grave de l’infraction alléguée.

95      La Commission indique qu’elle a répondu, dans la décision attaquée, aux arguments des requérantes sur ce point. Elle fait valoir que, même à supposer que l’infraction alléguée soit particulièrement grave, ce constat n’aurait pas changé son appréciation quant à l’absence d’intérêt communautaire à poursuivre l’infraction alléguée au regard, notamment, de sa cessation et de l’absence d’effets persistants de cette infraction.

–       Durée des infractions alléguées

96      Les requérantes soutiennent que les éléments du dossier ne pouvaient qu’amener la Commission à qualifier les infractions alléguées d’infractions de longue durée.

97      Elles font valoir que l’infraction n’a pas cessé et que la SFMI-Chronopost a continué à bénéficier de prix de la part de La Poste qui ne reflétaient pas les coûts complets. Cela lui aurait permis de choisir, selon les circonstances, l’arme la plus efficace à l’encontre de ses concurrents, consistant soit à pratiquer des prix prédateurs, soit à aligner ses prix sur ceux des concurrents et à dégager des bénéfices très importants. L’octroi par La Poste de subventions illicites du monopole légal vers l’activité en concurrence serait constitutif, en lui-même, d’un abus de position dominante. En outre, la Commission n’aurait tiré aucune conséquence de certains éléments très précis fournis par les requérantes, en particulier des exemples de prix prédateurs ou anormalement bas pratiqués par la SFMI-Chronopost en 1994 et en 1999.

98      La Commission conteste ces arguments. Elle estime qu’il n’est pas établi que la sous-facturation de prestations de la part d’une entreprise en position dominante à sa filiale active sur un autre marché où elle n’est pas en position dominante constitue, en tant que telle, un abus de position dominante au sens de l’article 82 CE. Les effets d’un comportement abusif devraient, en principe, être perceptibles sur le marché, ce qui ne serait pas le cas s’agissant de l’obtention de marges d’exploitation élevées et de la distribution fréquente de dividendes élevés.

–       Persistance des effets anticoncurrentiels des infractions alléguées

99      Les requérantes estiment que c’est grâce aux infractions alléguées que la SFMI-Chronopost a pu acquérir une position de leader sur le marché concerné en moins de quatre ans. Elles font valoir que la Commission a commis une erreur en se contentant, dans la décision attaquée, de vérifier la persistance d’effets accessoires aux infractions alléguées (l’évolution des parts de marché, les sorties du marché, la sensibilité de la demande au prix, l’absence d’obstacles au changement de fournisseur, la nécessité de disposer d’un réseau local dense et l’absence d’effets persistants en matière de prix) sans se préoccuper de l’effet principal, de nature structurelle, de ces infractions, consistant à avoir placé la SFMI-Chronopost dans une position de leader sur le marché et à l’y avoir maintenue.

100    Dans la réplique, les requérantes se réfèrent à un rapport établi en août 2003 par le professeur Encaoua (ci-après le « rapport Encaoua »), qui démontrerait, notamment, que la structure du marché était devenue plus concentrée, qu’il y avait eu des sorties significatives du marché et qu’il existait des coûts liés au changement d’opérateur.

101    La Commission conteste les arguments avancés par les requérantes.

 Appréciation du Tribunal

102    Il convient d’examiner, en premier lieu, si la Commission a commis une erreur en évaluant la durée des infractions alléguées et en concluant qu’il n’existait pas d’effets persistants.

–       Durée des infractions alléguées

103    Le raisonnement de la Commission selon lequel les subventions croisées alléguées avaient cessé en 1991 est notamment fondé sur l’absence d’incitation à l’octroi de subventions croisées à partir de cette date. Cette analyse est fondée sur le fait que La Poste ne détenait qu’une participation de 12,5 % dans GDEW (constituée, en France, par la SFMI-Chronopost), et que, en raison de la mise en commun des bénéfices de GDEW et de leur répartition entre tous ses actionnaires, aucun des opérateurs postaux n’aurait été amené à faire bénéficier unilatéralement GDEW de subventions croisées. Force est de constater que les requérantes ne contestent ni le pourcentage de participation de La Poste, ni la mise en commun des bénéfices, et qu’elles ne font donc pas valoir que la Commission se serait fondée sur des faits matériellement inexacts dans le cadre de cette analyse.

104    En effet, il n’y avait plus de justification économique pour que La Poste fasse bénéficier GDEW de subventions croisées, puisque les autres actionnaires de GDEW auraient profité des bénéfices en résultant à hauteur de 87,5 %. Dans le cadre d’un examen de l’intérêt communautaire à poursuivre une plainte, la Commission a pu en conclure, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que les subventions croisées alléguées ont cessé en 1991 (ou, plus précisément, un peu plus tard lorsque l’opération de concentration autorisée par la décision GD NET a été réalisée). À cet égard, l’argument des requérantes, selon lequel la Commission n’a jamais vérifié si les engagements pris à l’occasion de la décision GD NET avaient été respectés, doit être rejeté. L’absence de justification économique existe indépendamment de la question de savoir si La Poste a respecté les obligations qu’elle avait prises à l’occasion de la décision GD NET. Dans ce cadre, il y a également lieu de rejeter comme inopérant l’argument des requérantes selon lequel La Poste ne disposait pas d’une comptabilité analytique au moins jusqu’en 2001. En effet, l’absence d’incitation à l’octroi de subventions croisées existe indépendamment de l’existence ou non d’une comptabilité analytique.

105    Dans ce contexte, l’argument des requérantes, tiré du fait que le Tribunal a, dans l’arrêt du 7 juin 2006, UFEX e.a./Commission, point 23 supra, partiellement annulé la décision de 1997 concernant le volet relatif aux aides d’État de la plainte pour défaut de motivation ne saurait être retenu. En effet, cette décision est fondée sur un autre raisonnement, en particulier sur un calcul du coût de l’assistance logistique et sur une comparaison avec la rémunération versée par la SFMI-Chronopost pour les années 1986 à 1995. La Commission n’était pas obligée d’effectuer un tel calcul dans le cadre de l’examen de l’intérêt communautaire à poursuivre la plainte au titre d’un prétendu abus de position dominante.

106    Dans ce cadre, il convient de souligner que la Commission possède une compétence exclusive en ce qui concerne la constatation de l’incompatibilité éventuelle d’une aide avec le marché commun. S’agissant des aides d’État, la Commission est obligée, au terme de la phase préliminaire d’examen, soit de décider que la mesure étatique en cause ne constitue pas une « aide » au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, soit de décider que la mesure, bien que constituant une aide, est compatible avec le marché commun, soit de décider d’ouvrir la procédure visée à l’article 88, paragraphe 2, CE (arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, Gestevisión Telecinco/Commission, T‑95/96, Rec. p. II‑3407, points 54 et 55).

107    En revanche, s’agissant d’une plainte dénonçant un abus de position dominante, qui ne relève pas de la compétence exclusive de la Commission, celle-ci dispose d’un pouvoir discrétionnaire afin de déterminer des priorités et elle n’est pas obligée de prendre position sur l’existence ou non d’une infraction. Si la Commission a établi que, à partir d’un certain moment, il n’y avait plus de justification économique à poursuivre un certain comportement, elle peut, en principe, estimer que l’infraction alléguée a cessé, s’il n’y a pas d’indications contraires suffisantes. Dans le cadre de l’examen de l’intérêt communautaire, qui est destiné à lui permettre d’établir des priorités, elle n’est pas obligée de consacrer des ressources à effectuer un calcul analogue à celui qu’elle a effectué concernant le volet relatif aux aides d’État. Le fait que la plainte en cause concerne à la fois des aides d’État et un abus de position dominante n’empêche pas la Commission d’instruire les deux aspects de la plainte séparément. Le fait que la Commission a ouvert une procédure en matière d’aides d’État et qu’elle a mené une enquête plus approfondie à cet égard n’exclut pas la possibilité pour elle de rejeter le volet relatif à l’abus de position dominante de la plainte pour défaut d’intérêt communautaire selon les critères applicables à cette partie de la plainte.

108    Les requérantes font valoir qu’elles ont attiré l’attention de la Commission sur un taux de rendement interne de la SFMI-Chronopost très élevé et sur une distribution de dividendes anormalement importants, en se référant à un rapport établi par une société de conseil en mai 1996, qu’elles ont versé aux débats. À cet égard, il suffit de constater que les tableaux concernant le taux de rendement interne et les dividendes versés aux actionnaires concernent les périodes allant, respectivement, de 1986 jusqu’en 1992 et de 1986 jusqu’en 1991. Les chiffres concernant la période antérieure ou immédiatement postérieure à l’adoption de la décision GD NET ne sont pas susceptibles de remettre en cause le constat selon lequel La Poste n’était plus incitée à accorder des subventions croisées à la suite de la réalisation de la concentration autorisée par cette décision.

109    En tout état de cause, il convient de souligner que la Commission s’est fondée, à juste titre, sur le fait que La Poste était tenue, depuis le mois de mars 1995, de respecter son engagement de fournir aux tiers des services d’infrastructure en sous-traitance à des conditions analogues à celles auxquelles elle fournissait des services équivalents à la SFMI-Chronopost. Elle a pu en conclure que les subventions croisées avaient cessé au plus tard à cette date. En effet, aucune raison économique ne justifie qu’une entreprise en position dominante sous-facture l’accès à son réseau à sa filiale active sur un marché ouvert à la concurrence, si elle doit accorder les mêmes conditions d’accès aux concurrents.

110    À cet égard, les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir vérifié si La Poste a respecté ses obligations. Or, il ressort de la décision attaquée que la Commission a vérifié auprès des plaignantes si elles avaient demandé à La Poste de leur fournir des services sous-traités du type de ceux qu’elle fournissait à la SFMI-Chronopost, et qu’il résultait des réponses reçues qu’aucun opérateur ne s’était montré désireux de le faire. Dans ces conditions, les mesures d’instruction prises par la Commission doivent être considérées comme suffisantes. Si La Poste s’est engagée à fournir un accès non discriminatoire à son réseau, et si aucune entreprise ne le lui a demandé, la question de savoir si La Poste a respecté cette obligation ne se pose pas, puisqu’elle n’a pas eu la possibilité de la violer.

111    De plus, ainsi que la Commission l’a constaté dans la décision attaquée, FedEx a conclu divers contrats entrés en vigueur en 2002 avec la société holding de Chronopost. Les requérantes ne soutiennent pas que les conditions accordées à FedEx sont discriminatoires par rapport à celles accordées à la SFMI-Chronopost.

112    En ce qui concerne la politique de prix poursuivie par la SFMI-Chronopost, les requérantes reprochent à la Commission de n’avoir tiré aucune conséquence des exemples de prix prédateurs ou anormalement bas pratiqués par la SFMI-Chronopost pour les années 1994 et 1999. À cet égard, il convient de souligner que les requérantes n’ont pas fait valoir, dans le cadre du présent litige, que la SFMI-Chronopost aurait eu une position dominante sur le marché français du courrier express international. Les prix pratiqués par la SFMI-Chronopost sur ce marché ne peuvent donc pas constituer un abus de position dominante, s’il n’y a aucun lien avec des subventions croisées en provenance du secteur où La Poste détient un monopole. Les requérantes ne soulèvent d’ailleurs aucun moyen tiré de ce que la Commission a omis, dans la décision attaquée, de vérifier si les prix pratiqués par la SFMI-Chronopost constituaient une infraction à l’article 82 CE, indépendamment de la question de savoir s’il existait des subventions croisées. De plus, l’exemple que les requérantes citent dans le cadre du présent litige pour l’année 1994 concerne le prix d’un colis expédié de la Belgique vers le Danemark, la Grèce, l’Espagne, l’Irlande, le Portugal ou la Suisse et, par conséquent, ne concerne pas le marché français du courrier express international.

113    En outre, il convient de souligner que la Commission relève, au point 116 de la décision attaquée, que, selon l’affirmation des plaignantes, la SFMI-Chronopost a aligné ses prix sur ceux de ses concurrents vers l’année 1991. Dans ce cadre, il convient de rejeter l’argument des requérantes, selon lequel l’octroi par La Poste de subventions croisées illicites du monopole légal vers l’activité en concurrence est constitutif, en lui-même, d’un abus de position dominante.

114    Il convient de relever que le seul fait qu’un droit exclusif soit octroyé à une entreprise afin de garantir la prestation par celle-ci d’un service d’intérêt économique général ne s’oppose pas à ce que cette entreprise tire des profits des activités qui lui sont réservées ni ne fait obstacle à ce qu’elle étende ses activités dans des domaines non réservés (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, UPS Europe/Commission, T‑175/99, Rec. p. II‑1915, point 51).

115    L’acquisition d’une participation dans une entreprise (et, par analogie, l’octroi de subventions croisées) peut susciter des problèmes au regard des règles communautaires de concurrence dans le cas où les fonds utilisés par l’entreprise possédant un monopole résultent de prix excessifs ou discriminatoires, ou d’autres pratiques abusives, sur le marché réservé (arrêt UPS Europe/Commission, point 114 supra, point 55). En l’espèce, les requérantes ne font pas valoir que de telles pratiques ont existé dans le secteur réservé.

116    Il ne découle pas de la jurisprudence que l’octroi de subventions croisées constitue, en tant que tel, un abus de position dominante, indépendamment des politiques suivies dans le secteur réservé et dans le secteur ouvert à la concurrence. Si La Poste sous-facturait la prestation de ses services à la SFMI-Chronopost, ce comportement ne constituerait pas nécessairement une entrave pour les concurrents, notamment si, comme le soutiennent les requérantes, la SFMI-Chronopost a utilisé ces subventions pour dégager des bénéfices très importants ou pour verser des dividendes élevés. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le fait d’aligner ses prix sur ceux de ses concurrents et de dégager des bénéfices très importants ne constitue pas une « arme » utilisable à l’encontre des concurrents, puisque le fait qu’une entreprise dégage de tels bénéfices n’a pas d’influence sur le choix du fournisseur par le client. La Commission a donc pu estimer que l’infraction alléguée avait cessé lorsque la SFMI-Chronopost avait aligné, selon les propres dires des plaignantes, ses prix sur ceux pratiqués par ses concurrents. Les requérantes n’affirment pas que les prix des concurrents étaient exceptionnellement bas.

117    En ce qui concerne l’exemple de prix fourni pour l’année 1994, il convient de rappeler que celui-ci ne concerne pas le marché en cause. S’agissant des exemples de prix fournis pour l’année 1999, il convient de souligner qu’ils datent d’une période postérieure de plusieurs années à l’adoption de la décision GD NET et à l’entrée en vigueur de l’obligation pour La Poste d’accorder l’accès à son réseau à des conditions non discriminatoires. Il n’est pas établi qu’il y a un lien entre ces exemples de prix et les subventions croisées éventuellement reçues des années auparavant. En outre, la Commission a souligné, à juste titre, au point 119 de la décision attaquée, qu’il semble invraisemblable qu’une entreprise s’engage pendant plus d’une décennie dans une politique de prix abusivement bas. En effet, une telle pratique doit être suivie d’une manière conséquente pour pouvoir atteindre l’objectif d’évincer des concurrents. Les requérantes n’ont pas soutenu que la SFMI-Chronopost avait recommencé, après avoir aligné ses prix sur ceux de ses concurrents, à offrir systématiquement des prix abusivement bas.

118    Au vu de tout ce qui précède, la Commission a légitimement pu estimer que l’infraction alléguée était terminée vers l’année 1991.

119    La Commission a considéré, dans la décision attaquée, que le fait que le prétendu abus ait duré cinq ans ne lui conférait aucun intérêt communautaire dès lors qu’il avait cessé treize ans auparavant et qu’il ne présentait pas d’effets persistants. Dans ce contexte, les requérantes n’ont ni démontré que la Commission s’était fondée sur des faits matériellement inexacts ni qu’elle avait commis une erreur manifeste d’appréciation.

120    Même si une infraction de cinq ans devait être qualifiée de longue durée, cela ne signifierait pas que la Commission ne puisse pas nier l’intérêt communautaire à poursuivre la plainte. Il suffit que la Commission tienne compte de la durée de l’infraction alléguée dans l’appréciation de l’intérêt communautaire. Le fait, évoqué par les requérantes, que la Commission a, dans une autre affaire, traité un dossier concernant une infraction d’une durée d’un peu plus de deux ans ne signifie pas que la Commission est obligée de poursuivre, dans tous les autres cas, des infractions d’une durée plus longue, chaque affaire devant être appréciée au vu des circonstances concrètes de l’espèce.

121    À titre surabondant, il convient de relever que, même si la Commission avait seulement établi la cessation de l’infraction à partir du mois de mars 1995, cela ne signifierait pas qu’elle ait commis une erreur dans l’appréciation de l’intérêt communautaire, justifiant l’annulation de la décision attaquée. Au point 124 de la décision attaquée, la Commission relève que le fait que le prétendu abus ait duré cinq ans ne confère pas à l’affaire un intérêt communautaire lorsque cet abus a cessé treize ans auparavant et lorsqu’il ne présente pas d’effets persistants. Cette argumentation est fondée, en substance, sur le fait que l’infraction alléguée, même si elle a été de longue durée, s’est terminée il y a de nombreuses années et n’a pas d’effets persistants, ce qui serait aussi valable si l’infraction s’était seulement terminée en mars 1995.

122    Le seul fait que la Commission a adopté la décision attaquée de nombreuses années après le dépôt de la plainte ne l’empêchait pas d’apprécier l’existence de l’intérêt communautaire selon la situation qui existait au moment de l’adoption de la décision attaquée. À cet égard, il convient de souligner qu’il était loisible à la Commission de défendre sa décision de rejet du 30 décembre 1994 devant les juridictions communautaires, et que cette décision a été annulée seulement le 25 mai 2000, lorsque le Tribunal a rendu son arrêt dans l’affaire T-77/95 après le renvoi de l’affaire devant lui. Il convient de rappeler que la Commission était en droit d’estimer, dans la décision attaquée, que l’infraction avait cessé vers 1991, longtemps avant l’annulation de sa décision de rejet de 1994. Les paramètres de l’analyse de l’intérêt communautaire n’ont donc pas été modifiés de façon significative entre le 25 mai 2000 (date d’annulation de la décision de rejet du 30 décembre 1994) et le 19 novembre 2004 (date d’adoption de la décision attaquée).

–       Persistance des effets des infractions alléguées

123    À titre liminaire, il convient de relever que les requérantes ont invoqué de nouveaux arguments au stade du mémoire en réplique, tirés du fait que la Commission a mal apprécié certains éléments dans le cadre de l’examen de la persistance des effets des infractions alléguées et qu’elles ont produit le rapport Encaoua seulement à ce stade. Ces nouveaux arguments s’insèrent dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen, dans laquelle les requérantes font valoir que la Commission a estimé à tort que les infractions alléguées n’avaient pas d’effets persistants. Partant, ils ne constituent pas un moyen nouveau au sens de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, mais l’amplification d’un moyen qui doit être considérée comme recevable (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 26 avril 2007, Alcon/OHMI, C‑412/05 P, non encore publié au Recueil, point 40). Étant donné que la présentation de ces nouveaux arguments est recevable, le rapport Encaoua, dans la mesure où il vient au soutien de ces nouveaux arguments, doit être pris en considération, même si les requérantes n’ont pas expressément justifié, comme prévu à l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure, le retard apporté à la présentation de cette offre de preuve. En effet, si un nouvel argument est recevable, la partie ne peut pas être empêchée de produire des moyens de preuve à l’appui de cet argument.

124    Dans le cadre de l’examen de l’existence d’effets persistants, la Commission a établi que seulement deux très petits opérateurs sont sortis du marché. À cet égard, les requérantes font valoir, en se référant au rapport Encaoua, qu’il y a eu des sorties significatives du marché. Il convient de souligner que ce rapport traite en détail uniquement les cas de FedEx et de CRIE. Force est de constater que la Commission a analysé la sortie de ces deux sociétés dans la décision attaquée. Dans le cas de FedEx, elle a relevé que cette société, bien qu’elle se soit retirée du marché du courrier express intraeuropéen, a pu rapidement y entrer à nouveau en 1996. Dans ces conditions, la Commission a pu estimer que la sortie partielle et temporaire de FedEx ne pouvait pas être considérée comme constitutive d’un effet persistant de l’infraction alléguée.

125    Quant à CRIE, le rapport Encaoua affirme que la sortie de cette entreprise est liée aux prix prédateurs pratiqués par la SFMI-Chronopost. Or, force est de constater que la Commission a répondu à cet argument, au point 81 de la décision attaquée, en faisant expressément référence au rapport Encaoua, et en relevant que CRIE, en réponse à une demande de renseignements de la Commission, avait évoqué d’autres raisons pour expliquer son départ du marché. La Commission a pu valablement se fonder sur les informations qu’elle avait reçues en réponse à sa demande de renseignements, étant donné que des renseignements inexacts sont passibles d’amendes et que, de plus, il n’apparaissait pas que CRIE avait un quelconque intérêt à fournir à cet égard des informations inexactes à la Commission. En outre, il convient de souligner que, dans le cadre d’un recours en annulation, le Tribunal contrôle la légalité de la décision attaquée, et qu’il n’est pas compétent pour réexaminer la plainte. Si les requérantes estiment que les développements consacrés par la Commission à l’examen des sorties du marché sont erronés, il leur appartient d’identifier une erreur de droit ou de fait que la Commission aurait commise. Dans ce cadre, il ne suffit pas de se référer à des développements figurant dans le rapport Encaoua, que la Commission a examinés dans la décision attaquée, sans expliquer en quoi son argumentation serait entachée d’erreur.

126    S’agissant de l’argument des requérantes selon lequel la Commission n’a pas suffisamment pris en compte les extrêmes difficultés pour des entreprises aussi puissantes qu’UPS de pénétrer et de se maintenir sur le marché du courrier express international en France, force est de constater que la Commission a relevé, au point 84 de la décision attaquée, qu’UPS avait réorganisé ses activités françaises en 1996 pour se consacrer davantage au marché international, mais n’était pas sortie du marché français du courrier express international. En effet, le tableau des parts de marché (voir point 85 ci-dessus) réalisé à partir des estimations fournies par les plaignantes, montre que la part de marché d’UPS sur ce marché a même augmenté entre 1986 et 1996. Dans ces conditions, l’affirmation non étayée des requérantes, relative aux prétendues difficultés pour UPS de se maintenir sur ce marché, doit être rejetée.

127    En ce qui concerne la sensibilité de la demande au prix, la Commission a cité, aux points 87 et 88 de la décision attaquée, des études fournies par FedEx et par DHL selon lesquelles le prix constituait le facteur le plus important lors du choix d’un fournisseur. Elle a pu en déduire que les clients français étaient extrêmement sensibles au prix lorsqu’ils choisissaient leur fournisseur de courrier express. S’agissant de la distinction entre l’élasticité du prix de la demande et l’intensité de la concurrence par les prix, effectuée dans le rapport Encaoua, il suffit de constater que la Commission a répondu à cet argument, au point 90 de la décision attaquée, et que les requérantes n’ont pas avancé d’argument établissant qu’une erreur de droit ou de fait avait été commise dans cette argumentation. Concernant le système de ristournes non transparentes au sein de la SFMI-Chronopost, évoqué dans le rapport Encaoua, il n’apparaît pas clairement quel effet ce manque de transparence aurait pu avoir sur la sensibilité de la demande au prix. En tout état de cause, la Commission souligne, à juste titre, au point 91 de la décision attaquée, que, dans un marché relativement concentré, le fait que les fournisseurs ne connaissent pas les tarifs de leurs concurrents est une garantie que les tarifs ne se stabilisent pas à un niveau supraconcurrentiel.

128    Les requérantes font également valoir qu’il existerait des coûts liés au changement d’opérateur et que la Commission n’aurait pas pris en compte l’impact du système de ristournes de la SFMI-Chronopost, l’existence de contrats commerciaux avec des clients réguliers et l’absence de transferts notables de clients, tels qu’évoqués dans le rapport Encaoua. S’agissant de la prétendue absence de transferts notables de clients, il convient de relever que la Commission a établi, au point 96 de la décision attaquée, que, sur les trois années allant de 1999 jusqu’en 2001, les clients gagnés et perdus par FedEx représentaient en moyenne 22 % de son chiffre d’affaires annuel. La Commission a pu en déduire qu’il y avait une forte rotation des clients et les requérantes n’ont pas fourni d’exemples susceptibles de démontrer le contraire.

129    En ce qui concerne les efforts de fidélisation des clients, il convient de souligner que la Commission a répondu aux arguments des plaignantes aux points 99 et 100 de la décision attaquée, et qu’elle a notamment constaté que les plaignantes n’avaient pas apporté d’éléments de preuve sur les prétendus coûts liés au changement d’opérateur et qu’elles n’avaient même pas fourni de détails sur leurs propres efforts de fidélisation. En effet, même si le rapport Encaoua fait valoir que, en dehors du segment ad hoc, il existe des contrats à durée « plus ou moins longue » qui peuvent inclure des clauses prévoyant le paiement par le client d’une pénalité en cas de changement d’opérateur, cette affirmation reste théorique dans la mesure où le rapport évoque seulement une possibilité, sans affirmer que la SFMI-Chronopost a effectivement conclu des contrats de longue durée ou prévu le paiement d’une pénalité décourageant ses clients de changer de fournisseur. Le fait qu’un fournisseur accorde des ristournes aux clients importants ne signifie pas qu’il y a un obstacle à changer de fournisseur si un autre fournisseur offrait un meilleur prix, éventuellement en accordant, lui aussi, des ristournes. Les requérantes n’ont pas fait valoir que l’octroi de ristournes était lié à la conclusion d’un contrat de longue durée.

130    S’agissant de l’argument des requérantes tiré de l’avantage que la SFMI-Chronopost a tiré du fait qu’elle profitait de l’accès exclusif au réseau de La Poste jusqu’au mois de mars 1995, il convient d’observer que la Commission a consacré les points 101 à 114 de la décision attaquée à l’examen de la nécessité de disposer d’un réseau local dense et qu’elle a, dans ce cadre, répondu à l’argument des plaignantes selon lequel cet accès exclusif avait créé des barrières à l’entrée sur le segment ad hoc. Les requérantes n’identifient pas une erreur que la Commission aurait commise dans cette partie de la décision attaquée. En outre, la Commission a souligné à juste titre, au point 102 de cette dernière, que les plaignantes ne remettaient pas en cause l’accès de la SFMI-Chronopost au réseau de La Poste, mais la prétendue sous-facturation de cet accès. Dans la mesure où l’accès exclusif jusqu’au mois de mars 1995 n’est pas, en tant que tel, remis en question, une éventuelle conséquence de cet accès ne peut pas constituer un effet persistant de l’infraction alléguée. En ce qui concerne la prétendue sous-facturation de cet accès, il convient de rappeler que la Commission a légitimement pu estimer, dans le cadre de cette procédure, que les subventions croisées alléguées avaient cessé vers 1991.

131    Dans ce cadre, il y a également lieu de rejeter l’affirmation générale des requérantes selon laquelle la Commission n’a pas examiné l’ensemble des éléments de fait ou de droit qui ont été portés à sa connaissance. Il résulte de ce qui précède que la Commission a consacré, dans la décision attaquée, des développements à l’examen des arguments des plaignantes et des documents fournis par celles-ci. Dans ces conditions, il appartient aux requérantes d’indiquer de façon précise les éléments de droit et de fait que la Commission aurait omis de prendre en considération, contrairement à ses obligations.

132    Dans la mesure où les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir pris en compte l’effet principal de l’abus de position dominante – à savoir celui d’avoir placé la SFMI-Chronopost dans une position de leader sur le marché et de l’y avoir maintenue – la Commission a relevé, dans la décision attaquée, que l’écart des parts de marché de la SFMI-Chronopost entre celle de 1990 et celle de 2001 était seulement d’environ trois points de pourcentage et que cela montrait que cette part de marché ne pouvait être que peu dépendante de l’abus prétendu. En outre, elle a fait valoir, au point 66 de la décision attaquée, que si la demande pour les services d’entreprises individuelles était très sensible au prix et que les clients pouvaient facilement changer de fournisseur, ce qu’ils faisaient régulièrement, il ne pouvait être conclu que le prétendu comportement anticoncurrentiel, révolu depuis très longtemps, pouvait continuer à exercer des effets sur le marché. À cet égard, il convient de souligner que, à supposer que la croissance rapide de la SFMI-Chronopost pendant la période de 1986 à 1990 était liée à l’infraction alléguée, cela ne signifierait pas nécessairement que la part de marché de la SFMI-Chronopost à la date d’adoption de la décision attaquée soit liée à ce développement intervenu pendant la période de démarrage.

133    Dans les circonstances de l’espèce, où la Commission a établi que les clients étaient très sensibles aux prix, qu’il n’y avait pas d’obstacles au changement de fournisseur, que seuls deux très petits opérateurs étaient sortis du marché et qu’aucun lien de causalité entre ces sorties et le prétendu abus n’était démontré, la Commission a pu considérer, sans commettre une erreur manifeste d’appréciation, que la part de marché de la SFMI-Chronopost existant lors de l’adoption de la décision attaquée ne constituait pas un effet persistant de l’infraction alléguée. Ayant établi ces caractéristiques du marché, la Commission a pu estimer que la structure du marché existant lors de l’adoption de la décision attaquée résultait des conditions concurrentielles en vigueur à cette époque et non des éventuelles subventions croisées accordées de nombreuses années auparavant. Les requérantes n’ont pas fait valoir que, après 1991, la SFMI-Chronopost avait supprimé toute concurrence par les prix en s’alignant systématiquement sur les prix les plus bas pratiqués par ses concurrents.

134    La Commission a pu se fonder également sur le fait que l’écart des parts de marché de la SFMI-Chronopost entre celle de 1990 et celle de 2001 était faible, afin d’étayer que la part de marché de la SFMI-Chronopost lors de l’adoption de la décision attaquée obéissait à d’autres facteurs déterminants que celui des subventions croisées prétendument accordées auparavant. S’agissant de l’argument des requérantes selon lequel la Commission a ignoré le fait que le marché du courrier express représentait un marché croissant dans les années 90, celles-ci n’ont pas clairement précisé la conséquence que la Commission aurait dû en tirer. Si le marché était croissant et qu’il a donc changé, il semble même moins probable que la structure du marché à l’époque de l’adoption de la décision attaquée soit liée à l’infraction alléguée commise auparavant.

135    Il convient de souligner que, même si l’on estimait que la Commission avait seulement établi la cessation des subventions croisées à partir de 1995, cela ne remettrait pas en cause son argumentation sur ce point. Le tableau présentant les parts de marché montre que celle de la SFMI-Chronopost a baissé entre 1990 et 1996 et qu’elle a regagné trois points de pourcentage entre 1996 et 2001. À supposer que l’infraction ait cessé en 1995, la SFMI-Chronopost aurait perdu des parts de marché pendant une période qui coïnciderait avec le prétendu abus (1990 à 1996) et aurait gagné des parts de marché après cette période (entre 1996 et 2001). Dans de telles circonstances et au vu des caractéristiques du marché, la Commission a pu estimer que la part de marché de la SFMI-Chronopost à la date d’adoption de la décision attaquée ne s’expliquait pas par l’infraction alléguée commise dans le passé et qu’il n’existait donc pas d’effets persistants.

136    En outre, il convient de souligner que les effets persistants d’une infraction alléguée ne sont pas toujours de nature à conférer un intérêt communautaire à l’examen de la plainte. En effet, au point 96 de l’arrêt du 4 mars 1999, UFEX e.a./Commission, point 13 supra, la Cour a reproché au Tribunal de ne pas s’être assuré qu’il avait été vérifié que les effets anticoncurrentiels ne persistaient pas et, le cas échéant, n’étaient pas de nature à conférer à la plainte un intérêt communautaire. Aux points 131 et 132 de la décision attaquée, dans la partie consacrée à l’examen de l’existence d’un intérêt communautaire à poursuivre l’examen de la plainte, la Commission a relevé que le marché n’était pas devenu substantiellement plus concentré en 2001 qu’il ne l’était en 1986 et que l’indice Herfindahl-Hirschmann était resté presque inchangé.

137    Ce constat n’est pas infirmé par l’argument des requérantes, selon lequel la Commission aurait dû s’attendre à une baisse substantielle de la concentration à la suite de l’entrée sur le marché de la SFMI-Chronopost avec une part de marché massive. Les requérantes soutiennent que, si la concentration du marché n’a pas baissé à la suite de l’entrée de la SFMI-Chronopost, c’est que cette dernière a été plus que compensée par la sortie de nombreux opérateurs. À cet égard, il convient de souligner que le fait que l’indice Herfindahl-Hirschmann soit resté stable montre que la situation globale du marché n’est pas devenue moins concurrentielle, et ce malgré la sortie du marché de deux petits opérateurs. Cela permet d’en tirer la conclusion que l’entrée de la SFMI-Chronopost sur le marché n’a pas eu d’effet négatif sur la situation globale de celui-ci, outre le fait qu’aucun lien de causalité entre la sortie de ces opérateurs et le comportement de la SFMI-Chronopost n’est établi. En outre, ainsi que la Commission le relève à bon droit, au point 133 de la décision attaquée, les plaignantes n’ont pas démontré en quoi un marché avec deux grands opérateurs était moins concurrentiel qu’un marché avec un seul opérateur prédominant, comme c’était le cas en France avant l’entrée de la SFMI-Chronopost.

138    Ainsi, même à supposer qu’un lien entre la part de marché de la SFMI-Chronopost lors de l’adoption de la décision attaquée et l’infraction alléguée soit établi, la Commission a pu estimer que cet effet persistant n’était pas de nature à conférer un intérêt communautaire à l’examen de la plainte, au regard de la situation globale sur le marché qui n’était pas devenue moins concurrentielle.

–       Gravité de l’infraction alléguée

139    Les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir qualifié, dans la décision attaquée, la gravité de l’infraction alléguée selon les critères définis dans les lignes directrices.

140    À cet égard, il convient de rappeler que la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire dans l’établissement des priorités à l’égard des plaintes dont elle est saisie. Dès lors que, dans une décision rejetant une plainte pour défaut d’intérêt communautaire, la Commission établit que l’infraction a cessé, qu’il n’existe pas d’effets persistants et qu’elle démontre qu’elle a pris en considération la durée et la gravité des infractions, telles que dénoncées dans la plainte, elle peut rejeter cette dernière même si les infractions sont de longue durée et d’une gravité élevée, à condition qu’elle ne se fonde pas sur des faits matériellement inexacts et ne commette pas d’erreur manifeste d’appréciation.

141    L’obligation de prendre en considération la gravité de l’infraction afin d’apprécier l’intérêt communautaire ne contraint pas la Commission à qualifier la gravité selon les critères « abstraits » contenus dans les lignes directrices.

142    En l’espèce, la Commission a suffisamment pris en compte la gravité de l’infraction alléguée. En effet, elle a considéré, au point 137 de la décision attaquée, que « [d]ans la mesure où il n’y a[vait] pas de preuve que l’infraction a[vait] effectivement abouti à l’éviction de concurrents actuels ou potentiels, il [était] difficile de dire qu’elle a[vait] été d’une gravité exceptionnelle justifiant l’examen approfondi d’une infraction potentielle qui [eût] cessé depuis longtemps et qui n’[eût] pas d’effets persistants sur le marché ». Il s’ensuit que la Commission a pris en compte la gravité « concrète » de l’abus allégué au sens de son impact sur le marché. Le constat, selon lequel il n’y avait pas de preuve que l’infraction avait abouti à l’éviction de concurrents, ne concerne pas uniquement les effets persistants, mais également les effets à l’époque du prétendu abus. Même si la Commission a seulement indiqué, au point 79 de la décision attaquée, qu’il y avait peu de sorties du marché « depuis 1991 », force est de constater que les requérantes n’ont pas fait valoir que la Commission aurait omis de prendre en considération des sorties du marché qui auraient eu lieu entre 1986 et 1991. De plus, en réponse à une question du Tribunal posée lors de l’audience, relative aux sorties éventuelles entre 1986 et 1991, les parties n’ont pas indiqué que d’autres sociétés que celles examinées par la Commission dans la partie de la décision attaquée consacrée à l’examen des sorties du marché avaient quitté celui-ci.

143    La Commission a, dans le cadre de son argumentation l’amenant à conclure qu’il n’existait pas d’effets persistants et pas d’intérêt communautaire à poursuivre l’examen de la plainte, pris en compte les caractéristiques de l’infraction alléguée. Les requérantes n’ont ni démontré que la Commission s’était fondée sur des faits matériellement inexacts, ni qu’elle avait méconnu la gravité de l’abus allégué.

144    Quant à l’argument des requérantes selon lequel la Commission a complètement ignoré que la plainte émanait de la quasi-totalité des opérateurs concernés, il convient de souligner que la Commission a relevé, au point 128 de la décision attaquée, que le nombre des plaignants n’avait jamais été un critère d’appréciation de l’intérêt communautaire et qu’une situation de concurrence non faussée était déjà assurée. La référence faite par les requérantes à l’arrêt du 25 mai 2000, UFEX e.a./Commission, point 14 supra, n’est pas pertinente. En effet, au point 52 de cet arrêt, le Tribunal a relevé que la mission de la Commission était d’assurer, à la suite de la plainte introduite par un organisme représentant la quasi-totalité des opérateurs privés français actifs sur le marché en cause, une situation de concurrence non faussée. Cela ne permet pas de conclure que le nombre de plaignants est un élément susceptible de conférer un intérêt communautaire à la poursuite d’une plainte. Il y a lieu de constater que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation lorsqu’elle a contesté cet argument dans la décision attaquée.

145    L’argument des requérantes tiré de la dimension communautaire du marché concerné (voir point 94 ci-dessus) sera examiné et rejeté dans le cadre de l’examen de la troisième branche du deuxième moyen (voir point 158 ci-après).

146    Il s’ensuit que la deuxième branche du premier moyen doit être rejetée.

147    Étant donné que l’appréciation de la Commission portant sur la durée et sur la gravité des infractions alléguées n’est pas entachée d’erreur, il y a lieu de rejeter également la première branche du premier moyen. L’erreur de la Commission consistant à avoir considéré qu’elle n’était pas obligée de tenir compte de la gravité et de la durée des infractions alléguées n’a pu avoir d’influence sur le dispositif de la décision et ne peut donc amener le Tribunal à annuler la décision attaquée.

 Sur la troisième branche, tirée d’une appréciation manifestement et délibérément erronée du rôle de la Commission par rapport à celui des juridictions nationales dans l’examen de l’existence d’un intérêt communautaire

 Résumé de la décision attaquée

148    La Commission rappelle, au point 153 de la décision attaquée, que, selon la jurisprudence du Tribunal, le fait qu’un juge national ou une autorité nationale de la concurrence est déjà saisi de la question de la conformité d’une entente ou d’une pratique avec les articles 81 CE et 82 CE est un élément qui peut être pris en compte par la Commission pour évaluer l’intérêt communautaire de l’affaire (arrêt du Tribunal du 24 janvier 1995, Tremblay e.a./Commission, T‑5/93, Rec. p. II‑185, point 62).

149    La Commission considère que le centre de gravité des infractions alléguées se situe en France, puisque leurs effets auraient été effectivement limités à ce territoire (point 156 de la décision attaquée). Ensuite, elle souligne que les plaignantes ont la possibilité de faire valoir leurs droits auprès des tribunaux et de l’autorité française de la concurrence. Elle estime qu’il est plus approprié que l’affaire soit traitée au niveau national (point 159 de la décision attaquée).

 Arguments des parties

150    Les requérantes soutiennent que la Commission a considéré à tort que le centre de gravité des infractions alléguées se situait en France et que leurs effets étaient limités à ce territoire. Elles font valoir que la Commission n’a pu ignorer la position très claire du conseil de la concurrence français qui s’estimait mal placé pour traiter du sujet et en déduisait que la Commission, saisie de cette affaire, devait en poursuivre l’instruction. Le conseil de la concurrence aurait toujours montré, en sursoyant à statuer de manière répétée depuis 1990, qu’il estimait que cette affaire était, par essence, d’intérêt communautaire. Par ailleurs, le tribunal de commerce de Paris aurait indiqué, en sursoyant à statuer sur l’aspect relatif à l’abus de position dominante de la plainte, qu’il estimait également que la Commission était mieux placée pour traiter du sujet.

151    La Commission souligne que la plainte concerne le marché français du courrier express international et que le marché géographique d’un tel produit devrait être considéré comme national.

 Appréciation du Tribunal

152    À titre liminaire, il convient de souligner qu’il est constant entre les parties que la plainte ne relève pas des compétences exclusives de la Commission. Lorsque celle-ci et les autorités nationales jouissent d’une compétence partagée, elle n’est pas obligée de mener une instruction ou de prendre une décision définitive quant à l’existence ou non de l’infraction alléguée (voir arrêt du 25 mai 2000, UFEX e.a./Commission, point 14 supra, point 38, et la jurisprudence citée).

153    Dans ce cadre, la question de savoir si le conseil de la concurrence français s’est estimé mal placé pour examiner la plainte n’est pas pertinente. Il a, comme la Commission, la compétence de traiter la plainte concernant les infractions alléguées, et les tribunaux français sont compétents pour accorder des dommages et intérêts en cas de violation de l’article 82 CE. Il y a lieu de rejeter l’argument des requérantes selon lequel elles se retrouvent dans une situation assimilable à celle dans laquelle la Commission aurait une compétence exclusive. Il appartient aux requérantes, si elles ne sont pas satisfaites de la façon dont leurs droits ont été pris en compte par les autorités de concurrence ou les juridictions nationales, de faire les démarches nécessaires auprès de celles-ci ou d’examiner les voies de recours nationales qui leur sont offertes. Une attitude subjective des autorités ou des juridictions nationales selon laquelle la Commission serait mieux placée pour traiter du sujet, même à la supposer établie, n’est pas de nature à obliger la Commission à poursuivre l’examen de la plainte comme si elle relevait de sa compétence exclusive.

154    S’agissant de la référence faite par les requérantes aux points 12 et 13 de la communication de la Commission sur la coopération entre la Commission et les juridictions nationales pour l’application des articles 81 et 82 du traité CE (JO 2004, C 101, p. 54), il convient de souligner que ces points visent à éviter qu’une juridiction nationale adopte une décision qui va à l’encontre d’une décision de la Commission. Si une juridiction nationale suspend sa procédure afin d’éviter une éventuelle contradiction entre sa décision et celle qui sera prise par la Commission, et que, par la suite, celle-ci décide de rejeter la plainte pour défaut d’intérêt communautaire, la procédure nationale sera rouverte, ainsi que le souligne la Commission, à juste titre, au point 160 de la décision attaquée, cette réouverture ayant lieu au plus tard à la date à laquelle le rejet sera définitif.

155    Dans ce cadre, il y a lieu de rejeter l’interprétation de cette communication donnée par les requérantes selon laquelle la Commission serait obligée de donner priorité à une affaire lorsque une juridiction nationale a sursis à statuer sur celle-ci. La phrase pertinente au point 12 de cette communication se lit comme suit : « La Commission s’efforcera pour sa part de donner la priorité aux affaires dans lesquelles elle a décidé d’ouvrir une procédure en vertu de l’article 2, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 773/2004 de la Commission et qui font l’objet d’une procédure nationale en suspens pour ce motif, notamment lorsque l’issue d’un litige au civil en dépend ». Il suffit de constater que les requérantes n’ont pas soutenu que la Commission avait décidé d’ouvrir une procédure au sens de l’article 2 du règlement (CE) n° 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles 81 et 82 du traité CE (JO L 123, p. 18). Il découle des paragraphes 3 et 4 de cet article que ni l’exercice des pouvoirs d’enquête ni le rejet d’une plainte ne nécessitent l’ouverture d’une procédure.

156    Les requérantes tentent, de plus, de tirer argument du fait que la Commission a collaboré avec le conseil de la concurrence français et qu’elle a consulté les dossiers de celui-ci. Une telle collaboration n’est cependant pas de nature à créer une compétence exclusive de la Commission ni à anticiper la décision de celle-ci sur l’existence d’un intérêt communautaire de l’affaire.

157    S’agissant de l’argument des requérantes selon lequel la Commission a estimé à tort que le centre de gravité des infractions alléguées se situait en France et que leurs effets avaient été effectivement limités à ce territoire, force est de constater que la Commission ne fonde pas son raisonnement quant à l’intérêt communautaire exclusivement sur le critère du centre de gravité ou sur le fait que des juridictions françaises ont été saisies de l’affaire. La Commission a, d’abord, établi que les infractions alléguées avaient cessé et qu’il n’existait pas d’effets persistants pour, ensuite, examiner plusieurs éléments dans le cadre de l’appréciation de l’intérêt communautaire à poursuivre la plainte. L’affirmation de la Commission selon laquelle les effets des infractions alléguées auraient effectivement été limités au territoire français n’est pas essentielle à son raisonnement. La Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en prenant en compte, dans le cadre de l’appréciation de l’intérêt communautaire, le fait que les infractions alléguées se faisaient surtout sentir en France et que les plaignantes avaient la possibilité de faire valoir leurs droits devant les juridictions françaises. Il n’est donc pas nécessaire de trancher la question de savoir si, en l’espèce, les effets étaient véritablement « limités » au territoire français.

158    Dans ce cadre, il y a également lieu de rejeter l’argument des requérantes tiré de la dimension communautaire du marché concerné (voir point 94 ci-dessus). Dans la mesure où il existe une compétence concurrente de la Commission et des autorités nationales de concurrence, la dimension communautaire d’un marché n’est pas de nature à obliger la Commission à conclure à un certain degré de gravité de l’infraction ou à l’existence d’un intérêt communautaire dans une affaire donnée.

159    Il convient donc de rejeter la troisième branche du premier moyen.

 Sur la quatrième branche, tirée de ce que la Commission, en renvoyant, au point 167 de la décision attaquée, au volet de l’affaire relatif aux aides d’État pour justifier son rejet tiré d’un prétendu défaut d’intérêt communautaire, viole les principes de bonne foi et de coopération loyale entre les institutions communautaires (article 10 CE)

 Résumé de la décision attaquée

160    Dans la mesure où elle est pertinente pour la quatrième branche du premier moyen et pour le deuxième moyen, la décision attaquée contient les observations suivantes.

161    La Commission traite, aux points 162 à 168 de la décision attaquée, la question de l’ampleur de l’instruction requise et de la probabilité de constater l’existence de l’infraction. Dans ce cadre, elle fait valoir que, pour établir un abus de position dominante en l’espèce, elle serait tenue de vérifier si les tarifs facturés par La Poste pour les services d’infrastructure fournis en sous-traitance à la SFMI-Chronopost étaient au moins égaux aux coûts incrémentaux de la fourniture de ces services (c’est-à-dire les coûts qui sont exclusivement attachés à la prestation d’un service spécifique et qui cessent d’exister une fois que ledit service cesse d’être fourni), et que cette vérification imposerait d’apprécier le coût incrémental pour La Poste de chaque élément de service d’infrastructure qu’elle a fourni à la SFMI-Chronopost pendant la durée de la prétendue infraction. Compte tenu de l’absence de comptabilité analytique détaillée de La Poste couvrant ses activités durant la période allant de 1986 jusqu’en 1991, il serait, selon la Commission, « extrêmement difficile de [le] faire avec un degré de précision à suffisance de droit » (point 164 de la décision attaquée).

162    En réponse à l’argument des plaignantes, selon lequel la Cour des comptes française a analysé et redressé les comptes de La Poste entre 1991 et 2002, la Commission soutient qu’« [i]l est pourtant exclu qu’un redressement similaire, sans doute pertinent et suffisant pour exercer la mission de surveillance des deniers publics qui échoit à ladite [C]our, puisse permettre à la Commission d’apporter [l]es preuves d’une infraction à l’article 82 à suffisance de droit » (point 165 de la décision attaquée).

163    Au point 167 de la décision attaquée, la Commission expose ce qui suit :

« [L]a Commission doit de toute façon analyser l’existence ou non de subventions croisées de la part de La Poste à sa filiale Chronopost, dans l’affaire [relative aux] aides d’État (actuellement sur renvoi devant le [Tribunal]). Dans ces circonstances, une analyse au regard de l’article 82 impliquerait une répétition de travail de la part de la Commission. » Elle estime qu’une évaluation des subventions croisées dans le cadre des règles relatives aux aides d’État serait plus appropriée parce qu’elle pourrait couvrir toutes les pratiques dénoncées, y compris les avantages fiscaux et douaniers dont la SFMI-Chronopost aurait pu bénéficier.

 Arguments des parties

164    Les requérantes font valoir que la Commission fonde son rejet de la plainte pour défaut d’intérêt communautaire sur le fait qu’elle devra examiner, en tout état de cause, la question de l’existence ou non de subventions croisées dans le cadre de l’aspect de la plainte relatif aux aides d’État. Telle serait la seule interprétation possible du point 167 de la décision attaquée. En effet, si la Commission avait voulu prétendre qu’elle ne devait examiner cette question que si le Tribunal annulait la décision de 1997 au titre des articles 87 CE et 88 CE, l’argument serait dépourvu de toute pertinence pour justifier un rejet de plainte pour défaut d’intérêt communautaire. Les requérantes considèrent que, par cette argumentation, la Commission se départit de la position qu’elle a défendue devant le Tribunal dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 14 décembre 2000, UFEX e.a./Commission, point 21 supra, et du 7 juin 2006, UFEX e.a./Commission, point 23 supra.

165    L’argumentation de la Commission exposée au point 167 de la décision attaquée constituerait, dès lors, une violation manifeste du principe de bonne foi et la manifestation d’une coopération déloyale avec le Tribunal et, partant, une violation de l’article 10 CE, interprété par la jurisprudence comme s’appliquant également aux relations interinstitutionnelles.

166    Le raisonnement de la Commission, qui reviendrait à fonder une décision de rejet sur un événement futur et hypothétique (l’annulation par le Tribunal de la décision portant sur le volet relatif aux aides d’État attaquée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 7 juin 2006, UFEX e.a./Commission, point 23 supra), ne pourrait être validé juridiquement.

167    La Commission conteste les arguments des requérantes.

 Appréciation du Tribunal

168    À titre liminaire, il convient de relever que l’argumentation des requérantes contient une contradiction. D’un côté, elles affirment que la Commission a considéré, au point 167 de la décision attaquée, qu’elle devait examiner de toute façon la question des subventions croisées dans le cadre du volet relatif aux aides d’État, et pas uniquement si le Tribunal annulait la décision de 1997 concernant ce volet. D’un autre côté, elles affirment que la Commission a fondé la décision attaquée sur un événement futur et hypothétique, à savoir l’annulation par le Tribunal de la décision de 1997.

169    En tout état de cause, l’argument de la Commission dans la décision attaquée, selon lequel elle « [devait] de toute façon analyser l’existence ou non de subventions croisées de la part de La Poste à sa filiale Chronopost, dans l’affaire [relative aux] aides d’État (actuellement sur renvoi devant le [Tribunal]) », ne peut pas signifier que la Commission allait continuer son enquête dans le volet de l’affaire relatif aux aides d’État, et ce même si le Tribunal allait confirmer la décision constatant l’absence d’aides d’État. Cette phrase signifie uniquement, comme le souligne la Commission, à juste titre, que la question de l’existence de subventions croisées relevait du volet de la plainte relatif aux aides d’État et devait donc être traitée dans ce cadre.

170    La Commission a pu choisir de traiter la question de l’existence de subventions croisées uniquement dans le volet de la plainte relatif aux aides d’État. Elle a, d’abord, établi, dans la décision attaquée, que l’infraction était terminée et qu’il n’y avait pas d’effets persistants, pour, ensuite, analyser plusieurs éléments dans le cadre de l’examen de l’existence d’un intérêt communautaire. Elle a conclu qu’il n’y avait pas d’intérêt communautaire à poursuivre l’examen de la plainte, et ce même si les infractions alléguées avaient réellement été commises.

171    La Commission, qui n’était pas obligée d’établir si l’infraction avait eu lieu ou non, pouvait se référer au fait que la question de l’existence des subventions croisées serait traitée dans le cadre du volet relatif aux aides d’État. Elle n’était tenue ni de suspendre l’examen du volet relatif à l’abus de position dominante jusqu’au prononcé d’un arrêt définitif concernant celui relatif aux aides d’État, ni de répéter l’argumentation de la décision de 1997 concernant ce dernier volet dans la décision attaquée relative au volet portant sur l’abus de position dominante. Une telle répétition aurait en effet signifié un doublement du travail, puisque les mêmes questions auraient été traitées dans deux affaires parallèles, si la décision portant rejet de la plainte pour abus de position dominante était attaquée.

172    Enfin, la question de savoir s’il existait ou non des subventions croisées n’est pas déterminante dans le raisonnement que tient la Commission dans la décision attaquée, puisqu’elle a nié l’intérêt communautaire sur le fondement d’autres raisons. La référence au fait que l’existence ou non de subventions croisées serait analysée dans le cadre du volet relatif aux aides d’État ne peut être considérée comme une violation des principes de bonne foi ou de coopération loyale entre les institutions communautaires. Ainsi que la Commission le souligne, à bon droit, il ne s’agit pas non plus d’un argument sur lequel la Commission a fondé son raisonnement.

173    Il s’ensuit que la quatrième branche du premier moyen doit être rejetée, ainsi que le premier moyen dans sa totalité.

2.     Sur le deuxième moyen, tiré d’une contradiction de motifs portant sur deux éléments essentiels de la décision attaquée

 Arguments des parties

174    Les requérantes considèrent que la décision attaquée repose sur une absence de motivation et une contradiction des motifs qui affectent un élément essentiel de son raisonnement.

175    Elles font valoir un manque de motivation de l’allégation de la Commission, contenue au point 165 de la décision attaquée, selon laquelle il est exclu qu’un redressement des comptes semblable à celui effectué par la Cour des comptes française puisse permettre à la Commission d’apporter à suffisance de droit les preuves d’une infraction à l’article 82 CE. La Commission n’aurait fourni aucune explication quant à la prétendue différence entre les calculs qu’elle aurait dû faire et ceux effectivement réalisés par la Cour des comptes française.

176    En outre, les requérantes estiment qu’il y a une double contradiction dans la décision attaquée. D’une part, la Commission reconnaîtrait au point 167 de la décision attaquée (voir point 163 ci-dessus), contrairement à ce qu’elle dit au point 164 de cette même décision (point 161 ci-dessus), qu’elle est parfaitement en mesure de vérifier le niveau de couverture des coûts de La Poste. D’autre part, la Commission affirmerait, au point 167 de la décision attaquée, contrairement à ce qu’elle dit au point 164 de cette même décision, que la raison pour laquelle elle n’a pas vérifié le niveau de couverture des coûts de La Poste au regard de l’article 82 CE n’était pas qu’elle ne pouvait pas le faire, mais plutôt que cela aurait représenté une répétition du travail de la Commission, dès lors qu’elle affirmait devoir le faire pour le volet de la plainte relatif aux aides d’État. Les requérantes estiment qu’il y a là une contradiction équivalente à une absence de motivation.

177    La Commission conteste les arguments des requérantes.

 Appréciation du Tribunal

178    Selon une jurisprudence constante, pour apprécier l’intérêt communautaire à poursuivre l’examen d’une affaire, la Commission doit tenir compte des circonstances du cas d’espèce et, notamment, des éléments de fait et de droit qui lui sont présentés dans la plainte dont elle est saisie. Il lui appartient, notamment, de mettre en balance l’importance de l’infraction alléguée pour le fonctionnement du marché commun, la probabilité de pouvoir établir son existence et l’étendue des mesures d’investigation nécessaires, en vue de remplir, dans les meilleures conditions, sa mission de surveillance du respect des articles 81 CE et 82 CE (arrêts du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T‑24/90, Rec. p. II‑2223, point 86 ; Tremblay e.a./Commission, point 148 supra, point 62, et du 21 janvier 1999, Riviera Auto Service e.a./Commission, T‑185/96, T‑189/96 et T‑190/96, Rec. p. II‑93, point 46).

179    Dès lors, la difficulté de pouvoir établir à suffisance de droit l’existence d’une infraction, pour adopter une décision constatant cette infraction, est un élément qui peut être pris en compte dans le cadre de l’appréciation de l’intérêt communautaire.

180    En l’espèce, les requérantes ne contestent pas les constatations, opérées aux points 164 et 165 de la décision attaquée, selon lesquels les comptes de la SFMI-Chronopost auraient dû être redressés dans leur intégralité à partir de l’année 1986 afin d’établir le niveau de couverture des coûts, et que La Poste n’avait pas de comptabilité analytique détaillée couvrant ses activités durant la période allant de 1986 jusqu’en 1991 (même si les requérantes font valoir que l’absence de comptabilité analytique a persisté au moins jusqu’en 2001).

181    L’argument de la Commission, selon lequel un redressement tel que celui effectué par la Cour des comptes française ne pourrait pas permettre à la Commission d’apporter à suffisance de droit les preuves d’une infraction à l’article 82 CE, est suffisamment motivé, en ce que la Commission se réfère à la différence entre la mission confiée à la Cour des comptes, qui consiste à surveiller l’utilisation des deniers publics, et celle confiée à la Commission lorsqu’elle examine l’existence d’une telle infraction. En effet, la raison pour laquelle la Cour des comptes aurait dû apprécier le coût incrémental de chaque service d’infrastructure que La Poste avait fourni à la SFMI-Chronopost pour exercer sa mission de surveillance de l’utilisation des deniers publics n’apparaît pas clairement.

182    Les requérantes ont seulement produit le sommaire et une page du rapport de la Cour des comptes française. Le fait qu’elles indiquent l’adresse d’un site Internet sur lequel le rapport est publié ne peut pas être considéré comme équivalent à la production du rapport complet. En tout état de cause, les requérantes n’ont pas précisé de quelles autres parties de ce rapport il pouvait résulter qu’un redressement des comptes tel qu’effectué par la Cour des comptes était suffisant pour démontrer une infraction à l’article 82 CE. Il résulte de la page versée au dossier que la Cour des comptes a calculé, par des moyens de comptabilité analytique, que les résultats de l’activité colis gérée par l’opérateur interne étaient négatifs pour la période allant de 1998 jusqu’en 2002. Toutefois, elle n’a pas présenté les détails du calcul effectué. Dans ces circonstances, la Commission pouvait, à juste titre, présumer que des calculs similaires ne seraient pas suffisants pour établir une infraction à l’article 82 CE. En outre, la Cour des comptes précise que les résultats de l’activité colis n’étaient connus que depuis une période récente, puisque cette activité n’avait été distinguée du courrier dans les comptes qu’à partir de 1998. Pourtant, la Commission aurait dû redresser les comptes pour la période allant de 1986 jusqu’en 1991, c’est-à-dire pour une période pendant laquelle La Poste ne disposait pas d’une comptabilité analytique détaillée. Même si, comme le soutiennent les requérantes, un redressement semblable à celui effectué par la Cour des comptes avait été suffisant pour établir une infraction à l’article 82 CE, il n’était pas exagéré de dire qu’il aurait constitué une tâche « extrêmement difficile » à réaliser pour la période allant de 1986 jusqu’en 1991 (point 164 de la décision attaquée).

183    La Commission a pu choisir, au lieu de suspendre l’affaire jusqu’à ce que les juridictions communautaires aient rendu l’arrêt définitif concernant le volet relatif aux aides d’État, de rejeter la plainte concernant le volet relatif à l’abus de position dominante pour défaut d’intérêt communautaire, en invoquant la difficulté à établir l’existence de subventions croisées comme un élément parmi d’autres. En outre, comme le souligne la Commission, il ne s’agit pas ici d’un élément essentiel de son argumentation.

184    En ce qui concerne la prétendue contradiction alléguée par les requérantes, il suffit de constater que les termes « extrêmement difficile » ne signifient pas « impossible », comme le souligne, à juste titre, la Commission. Il n’y a donc pas de contradiction entre les points 164 et 167 de la décision attaquée.

185    Partant, le deuxième moyen doit être rejeté.

3.     Sur le troisième moyen, tiré de diverses erreurs de droit quant au rejet de la partie de la plainte fondée sur les articles 86 CE, 82 CE, l’article 3, sous g), CE et sur l’article 10 CE

 Arguments des parties

186    Les requérantes font valoir que, dans la plainte, elles dénonçaient, outre des comportements imputés à La Poste au titre de l’article 82 CE, les mesures étatiques prises par l’État français, visant à favoriser les agissements illicites. Des mesures étatiques telles que des procédures douanières privilégiées ainsi que des avantages fiscaux constitueraient des mesures visant à favoriser l’extension de la position dominante de La Poste du marché du service postal de base vers le marché du courrier express au travers d’avantages accordés à la SFMI-Chronopost.

187    À cet égard, la Commission aurait violé l’article 6 du règlement (CE) nº 2842/98 de la Commission, du 22 décembre 1998, relatif à l’audition dans certaines procédures fondées sur les articles [81] et [82] du traité (JO L 354, p. 18), en se fondant, au point 46 de la décision attaquée, sur des motifs sur lesquels les plaignantes n’auraient pas été entendues. En outre, elle aurait violé les règles relatives à l’application combinée des articles 86 CE, de l’article 3, sous g), CE et des articles 10 CE et 82 CE, en soutenant, au point 46 de la décision attaquée, que les mesures concernées ne sauraient relever de l’application combinée des articles 86 CE et 82 CE, puisqu’elles relèvent, selon la Commission, de l’exercice de la « puissance publique » de l’État membre en cause. Enfin, la décision attaquée violerait les règles de droit relatives à l’appréciation de l’intérêt communautaire quant au rejet d’une plainte fondée sur les articles 86 CE, 82 CE, l’article 3, sous g), CE et sur l’article 10 CE, et, à titre subsidiaire, ne serait pas motivée sur ce point.

188    La Commission soutient que ce moyen est irrecevable, en se référant à l’arrêt de la Cour du 22 février 2005, Commission/max.mobil (C‑141/02 P, Rec. p. I‑1283, ci-après l’« arrêt max.mobil »).

 Appréciation du Tribunal

189    Selon la jurisprudence de la Cour, il découle du libellé du paragraphe 3 de l’article 86 CE et de l’économie de l’ensemble des dispositions de cet article que la Commission n’est pas tenue d’engager une action au sens de ces dispositions, les particuliers ne pouvant exiger de cette institution qu’elle prenne position dans un sens déterminé. Une décision de refus de la Commission de donner suite à une plainte l’invitant à agir au titre de l’article 86, paragraphe 3, CE, ne constitue donc pas un acte attaquable susceptible d’un recours en annulation (arrêt max.mobil, point 188 supra, points 69 et 70, et ordonnance de la Cour du 23 février 2006, Piau/Commission, C‑171/05 P, non publiée au Recueil, point 53).

190    Les arguments des requérantes liés aux prétendues différences procédurales entre le cas d’espèce et l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt max.mobil ne sont pas pertinents.

191    En ce qui concerne l’argument selon lequel les requérantes ont présenté l’ensemble de leur plainte en application de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17, et selon lequel la Commission l’a traité comme tel, il convient de souligner qu’un plaignant, présentant une plainte sur une base juridique qui n’est pas pertinente, ne saurait bénéficier, de ce fait, de la possibilité d’introduire un recours contre le refus de la Commission de poursuivre l’examen d’une plainte dirigée contre un État. Le règlement n° 17 n’est pas applicable à l’article 86 CE (arrêt max.mobil, point 188 supra, point 71). Il en va de même du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO 2003, L 1, p. 1), entré en vigueur le 1er mai 2004. Même si la Commission a traité la plainte, dans son intégralité, comme une plainte relevant de l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 17, cela n’était pas susceptible de modifier le cadre juridique. En tout état de cause, une éventuelle erreur de la Commission portant sur la base juridique applicable ne serait pas de nature à conférer à un plaignant le droit de saisir le juge communautaire d’un recours contre le rejet d’une plainte invitant la Commission à agir au titre de l’article 86, paragraphe 3, CE.

192    Les requérantes font également valoir qu’elles n’ont pas saisi la Commission d’une plainte sur le seul fondement d’une violation de l’article 86 CE par la République française, mais que la plainte était dirigée contre La Poste pour une violation autonome de l’article 82 CE, et contre la République française pour une violation des règles relatives à l’application combinée des articles 86 CE, 82 CE, de l’article 3, sous g), CE et de l’article 10 CE. À cet égard, il convient de souligner que la plainte à l’origine de l’affaire max.mobil n’était pas non plus fondée sur la seule violation de l’article 86 CE, mais sur une violation des dispositions combinées de l’article 82 CE et de l’article 86, paragraphe 1, CE (arrêt max.mobil, point 188 supra, point 4). En effet, il ressort du libellé de l’article 86, paragraphe 1, CE que cette disposition doit toujours être lue en combinaison avec une autre disposition du traité. En ce qui concerne la citation de l’article 10 CE lu en combinaison avec l’article 3, sous g), CE, la Commission a souligné, à juste titre, au point 170 de la décision attaquée, que l’article 86 CE constituait une lex specialis. La seule citation de ces dispositions, définissant les obligations des États membres d’une façon générale, n’est pas de nature à conférer à un plaignant un droit de recours contre les décisions relevant du champ d’application de l’article 86 CE.

193    Enfin, le fait que les plaignantes ont combiné une plainte dirigée contre un État membre avec une plainte dirigée contre une entreprise ne peut pas non plus leur conférer le droit d’attaquer la partie de la décision qui concerne la plainte dirigée contre l’État membre. La Commission n’étant pas tenue d’engager une action au sens de l’article 86 CE, il est évident que les particuliers ne peuvent pas l’obliger à agir de la sorte en combinant une plainte dirigée contre un État membre avec une plainte dirigée contre une entreprise.

194    Les requérantes font également valoir que la Commission n’a jamais contesté s’inscrire pleinement dans le contexte du règlement n° 2842/98 puis du règlement n° 773/2004. Elles soulignent que la Commission a déclaré, dans la décision attaquée, qu’elle n’entendait pas poursuivre une investigation plus approfondie de la plainte au regard de l’article 86 CE, de l’article 3, sous g), CE et de l’article 10 CE pour les mêmes raisons qu’il n’y avait pas d’intérêt communautaire à poursuivre une investigation plus approfondie au titre de l’article 82 CE. À cet égard, il suffit de constater que ces règlements, tout comme les règlements n° 17 et n° 1/2003, ne sont pas applicables à l’article 86 CE, et qu’ils ne le deviennent pas du seul fait que la Commission a éventuellement considéré devoir les appliquer (avant le prononcé de l’arrêt max.mobil, point 188 supra). En outre, le fait que la Commission a évoqué les raisons pour lesquelles elle n’entendait pas donner suite à la plainte n’est pas de nature à modifier la qualification juridique de cette partie de la décision, qui constitue un acte non attaquable. De même, la circonstance que la Commission n’a pas fait de distinction entre les différents aspects de la décision attaquée en indiquant aux plaignantes l’existence de leur droit au recours ne modifie pas la nature juridique de l’acte.

195    L’argument des requérantes selon lequel la situation procédurale en l’espèce est comparable à celle à l’origine de l’arrêt de la Cour du 19 octobre 1995, Rendo e.a./Commission (C‑19/93 P, Rec. p. I‑3319), doit être rejeté. À cet égard, force est de constater que, dans cette affaire, la plainte était uniquement dirigée contre des entreprises, et non contre un État membre, et que l’article 86 CE ne constituait pas le fondement de la plainte. C’est seulement dans le cadre de l’examen de cette plainte que la Commission avait examiné la question de savoir si l’article 86, paragraphe 2, CE s’opposait à l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE. La situation procédurale était donc différente de celle de la présente affaire.

196    Il s’ensuit que le troisième moyen doit être rejeté comme irrecevable.

197    Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté.

 Sur les dépens

198    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, aux termes de l’article 87, paragraphe 3, premier alinéa, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens, pour des motifs exceptionnels.

199    En l’espèce, le recours doit être rejeté et la Commission ainsi que les parties intervenantes ont conclu à la condamnation des requérantes aux dépens. Toutefois, il convient de tenir compte du fait que la Commission a interprété ses obligations de manière erronée dans la décision attaquée en soutenant qu’elle n’était pas tenue d’apprécier la gravité et la durée des infractions alléguées (voir point 76 ci-dessus). Même si cette erreur n’a pu avoir d’influence sur le dispositif de la décision et ne peut donc amener le Tribunal à annuler la décision attaquée (voir point 147 ci-dessus), elle était néanmoins de nature à inciter les requérantes à contester la décision devant le Tribunal. Pour cette raison, le Tribunal estime qu’il est fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce, en décidant que la Commission doit supporter ses propres dépens.

200    Toutefois, aux termes de l’article 87, paragraphe 5, premier alinéa, première phrase, du règlement de procédure, une partie qui se désiste est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens par l’autre partie dans ses observations sur le désistement. En l’espèce, CRIE s’étant désistée de son recours, la Commission a conclu à ce que ses dépens soient supportées par CRIE. Selon la deuxième phrase de cet article, à la demande d’une partie qui se désiste, les dépens sont supportés par l’autre partie, si cela apparaît justifié en vertu de l’attitude de cette dernière. Cependant, en l’espèce, cette deuxième phrase n’est pas applicable, CRIE n’ayant pas conclu sur les dépens dans la lettre de désistement. Il convient donc de condamner CRIE à un quart des dépens supportés par la Commission.

201    En ce qui concerne les dépens exposés par les parties intervenantes, il convient de constater qu’elles n’ont pas conclu sur les dépens à la suite du désistement de CRIE. Selon l’article 87, paragraphe 5, troisième alinéa, du règlement de procédure, chaque partie supporte ses propres dépens à défaut de conclusions sur les dépens. Il y a donc lieu de décider que Chronopost et La Poste supporteront un quart de leurs propres dépens. Par ailleurs, le Tribunal estime qu’il y a lieu de condamner les parties requérantes à trois quarts des dépens exposés par les parties intervenantes, conformément aux conclusions de celles-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      CRIE SA est radiée de la liste des parties requérantes.

2)      Le recours est rejeté.

3)      L’Union française de l’express (UFEX), DHL Express (France) SAS et Federal express international (France) SNC supporteront, outre leurs propres dépens, trois quarts des dépens de Chronopost SA et de La Poste. Chronopost et La Poste supporteront un quart de leurs propres dépens. CRIE supportera, outre ses propres dépens, un quart des dépens de la Commission. La Commission supportera trois quarts de ses propres dépens.


Pirrung

Forwood

Pelikánová

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 septembre 2007.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       J. Pirrung


Table des matières


Antécédents du litige

1.  Parties au litige

2.  Plainte du 21 décembre 1990

3.  Lettre de la Commission du 10 mars 1992

4.  Décision de rejet de la plainte du 30 décembre 1994

5.  Procédures nationales

6.  Décision attaquée

7.  Décision concernant le volet traitant des aides d’État de la plainte

Procédure et conclusions des parties

Sur la recevabilité

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

Observations liminaires

Sur la première fin de non-recevoir, tirée d’une absence de plainte de l’UFEX

Sur la seconde fin de non-recevoir, tirée de la violation des droits fondamentaux de La Poste

Sur le fond

1.  Sur le premier moyen, tiré de la violation des règles de droit relatives à l’appréciation de l’intérêt communautaire à poursuivre l’examen de la plainte

Sur la première branche, tirée d’une lecture manifestement erronée de l’arrêt du Tribunal du 25 mai 2000 tirant les conséquences de l’arrêt de la Cour du 4 mars 1999 rendu sur pourvoi

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur la deuxième branche, tirée d’une appréciation manifestement erronée de certains éléments participant nécessairement à la définition de l’intérêt communautaire

Résumé de la décision attaquée

Arguments des parties

–  Gravité des infractions alléguées

–  Durée des infractions alléguées

–  Persistance des effets anticoncurrentiels des infractions alléguées

Appréciation du Tribunal

–  Durée des infractions alléguées

–  Persistance des effets des infractions alléguées

–  Gravité de l’infraction alléguée

Sur la troisième branche, tirée d’une appréciation manifestement et délibérément erronée du rôle de la Commission par rapport à celui des juridictions nationales dans l’examen de l’existence d’un intérêt communautaire

Résumé de la décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur la quatrième branche, tirée de ce que la Commission, en renvoyant, au point 167 de la décision attaquée, au volet de l’affaire relatif aux aides d’État pour justifier son rejet tiré d’un prétendu défaut d’intérêt communautaire, viole les principes de bonne foi et de coopération loyale entre les institutions communautaires (article 10 CE)

Résumé de la décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

2.  Sur le deuxième moyen, tiré d’une contradiction de motifs portant sur deux éléments essentiels de la décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

3.  Sur le troisième moyen, tiré de diverses erreurs de droit quant au rejet de la partie de la plainte fondée sur les articles 86 CE, 82 CE, l’article 3, sous g), CE et sur l’article 10 CE

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur les dépens


* Langue de procédure : le français.