Language of document : ECLI:EU:T:2007:17

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (première chambre)

25 janvier 2007 (*)

« Recours en annulation − Tarif douanier commun − Demande de remise de droits à l’importation – Acte faisant grief − Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑55/05,

Rijn Schelde Mondia France SA, établie à Rouen Cedex (France), représentée par Me F. Citron, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. X. Lewis et Mme J. Hottiaux, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision de la Commission prétendument contenue dans la lettre du 7 octobre 2004 concernant la demande de remise de droits à l’importation (dossier REM 22/01),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de M. J. D. Cooke, président, Mme I. Labucka et M. M. Prek, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Cadre juridique

1        L’article 239 du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1, ci-après le « code des douanes »), tel que modifié par le règlement (CE) n° 2700/2000 du Parlement européen et du Conseil, du 16 novembre 2000 (JO L 311, p. 17), prévoit la possibilité d’un remboursement ou d’une remise des droits à l’importation ou à l’exportation dans des situations qui résultent de circonstances n’impliquant ni manœuvre ni négligence manifeste de la part de l’intéressé.

2        L’article 239 a été précisé et développé par le règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d’application du code des douanes (JO L 253, p. 1, ci-après le « règlement d’application »), modifié en dernier lieu, en ce qui concerne le cadre juridique pertinent aux fins de la présente affaire, par le règlement (CE) n° 3254/94 de la Commission, du 19 décembre 1994 (JO L 346, p. 1).

3        Conformément à l’article 899 du règlement d’application, lorsque l’autorité douanière, saisie d’une demande de remboursement ou de remise visée à l’article 239 du code des douanes, constate que les motifs invoqués à l’appui de cette demande correspondent à l’une ou l’autre des circonstances visées aux articles 900 à 903 du règlement d’application et que celles-ci n’impliquent ni manoeuvre, ni négligence manifeste de la part de l’intéressé, elle accorde le remboursement ou la remise du montant des droits à l’importation en cause. Lorsqu’elle constate que les motifs à l’appui de cette demande correspondent à l’une ou l’autre des circonstances visées à l’article 904 du règlement d’application, elle n’accorde pas le remboursement ou la remise du montant des droits à l’importation en cause.

4        L’article 900, paragraphe 1, sous o), du règlement d’application prévoit qu’il est procédé au remboursement ou à la remise des droits à l’importation lorsque la dette douanière est née autrement que sur la base de l’article 201 du code des douanes et que l’intéressé peut présenter un certificat d’origine, un certificat de circulation, un document de transit communautaire interne ou tout autre document approprié, attestant que les marchandises importées auraient pu, si elles avaient été déclarées pour la mise en libre pratique, bénéficier du traitement communautaire ou d’un traitement tarifaire préférentiel, à condition que les autres conditions visées à l’article 890 du règlement d’application aient été remplies.

 Antécédents du litige

5        La requérante est spécialisée dans l’importation et l’exportation de produits forestiers ainsi que dans le stockage et la distribution de ce type de produits. À cette fin, elle était titulaire, au moment des faits, d’une autorisation d’exploitation de MADT (magasins et aires de dépôt temporaire) à Rouen et au Havre ainsi que d’une autorisation pour l’utilisation d’un entrepôt franc à Rouen.

6        Le principal client de la requérante, la société A, l’avait chargée des opérations liées au transport, au stockage et au dédouanement de papier originaire d’Indonésie. La requérante a confié les opérations de dédouanement à un autre déclarant en douane : la société MA, qui a établi et signé les déclarations en douane sur la demande de la requérante.

7        Les services des douanes du Havre et de Rouen ont constaté que, au cours de la période 1998-2000, des lots de papier avaient été enlevés de la surveillance douanière sans qu’aucun régime douanier leur ait été au préalable assigné. De plus, le service douanier du Havre a également relevé que des importations réalisées en 1998 avaient fait l’objet de déclarations d’importation de régularisation déposées en mars 2000. À la suite de cette soustraction à la surveillance douanière, une dette douanière est née pour un montant de 6 263 511 francs français (954 866 euros).

 Procédure administrative devant les autorités douanières françaises et la Commission

8        Par lettre du 31 octobre 2000, la requérante a sollicité la remise de cette somme auprès des autorités douanières françaises, visée à l’article 239 du code des douanes et à l’article 900, paragraphe 1, sous o), du règlement d’application.

9        Par courrier du 22 décembre 2000, les autorités françaises ont informé la requérante que sa demande serait transmise au comité du code des douanes en application de l’article 905, paragraphe 2, du règlement d’application.

10      Dans sa lettre du 10 avril 2001, la requérante a sollicité des autorités françaises de reconsidérer leur décision de transmettre le dossier à la Commission et au comité du code des douanes. Elle a indiqué que la décision sur la remise de droits en application de l’article 899 du règlement d’application était exclusive de toute transmission à la Commission.

11      Par lettre du 11 septembre 2001, reçue par la Commission le 14 septembre 2001, les autorités françaises ont demandé à la Commission si la remise des droits à l’importation était justifiée dans le dossier en question, dans le cadre de l’application de l’article 239 du code des douanes et de l’article 905 du règlement d’application. Dans ce courrier, les autorités françaises ont indiqué qu’une situation prévue à l’article 900, paragraphe 1, sous o), du règlement d’application existait et que la requérante n’avait pas été manifestement négligente. La Commission a enregistré la demande sous la référence REM 22/01.

12      Par lettre du 24 janvier 2002, la Commission a demandé aux autorités françaises des éléments d’informations complémentaires portant sur des éléments factuels du dossier et sur l’expérience de la requérante. Ces informations complémentaires ont été transmises à la Commission par lettre des autorités françaises du 12 septembre 2002.

13      Par lettre du 20 novembre 2002 et dans le cadre de l’exercice des droits de la défense prévus à l’article 906 bis du règlement d’application, les services de la Commission ont invité la requérante à leur faire part de ses observations à la suite du constat de la Commission selon lequel la remise des droits à l’importation ne devrait pas être accordée. La Commission a en effet estimé qu’une partie des opérations représentant une dette de 47 586,96 euros n’étaient pas couvertes par des certificats dits « Form A » et, partant, ne relevaient pas de l’article 900, paragraphe 1, sous o), du règlement d’application. La question de la remise devait par conséquent s’analyser au regard de l’article 905 du règlement d’application, pour cette partie de la dette. La Commission a estimé en outre que l’autre partie de la dette, d’un montant de 907 279,14 euros, pouvait relever de l’article 900, paragraphe 1, sous o), du règlement d’application dans la mesure où ces opérations étaient couvertes par des certificats « Form A » valides. Toutefois, la Commission a estimé que la requérante avait agi avec une négligence manifeste. Ainsi, la Commission a considéré qu’il n’existait pas de circonstances de nature à créer une situation particulière au sens de l’article 239 du code des douanes.

14      Le 19 décembre 2002, la requérante a répondu par écrit à la Commission en lui indiquant que, selon elle, « la demande de remise de droit n’avait pas à être transmise à la Commission, conformément à la répartition respective des compétences entre celle-ci et l’autorité des pays membres ».

15      La requérante a indiqué à la Commission, dans sa réponse du 19 décembre 2002, que toutes les opérations couvrant la totalité de la dette douanière étaient couvertes par des certificats « Form A » en cours de validité. Par conséquent, elle estimait que la totalité de la dette douanière pouvait être examinée sous l’angle de l’article 900, paragraphe 1, sous o), du règlement d’application. Ainsi, la requérante considérait que cet examen relevait de la compétence des autorités françaises, selon l’article 899 du règlement d’application.

16      Par sa lettre du 9 janvier 2003 et en réponse aux constatations des autorités françaises selon lesquelles une situation relevant de l’article 900, paragraphe 1, sous o), du règlement d’application existait et la requérante n’avait pas été manifestement négligente, la Commission demandait aux autorités françaises de bien vouloir examiner la possibilité de décider elles-mêmes de l’octroi ou non d’une remise de droits, dans le présent cas, sur la base des dispositions de l’article 900, paragraphe 1, sous o), du règlement d’application. Elle demandait aux autorités françaises de bien vouloir informer la requérante de cette lettre ainsi que de leur réponse et de lui demander d’annexer une déclaration signée indiquant qu’elle avait pris connaissance de cette lettre et mentionnant qu’elle n’avait rien à ajouter ou précisant les informations qu’elle souhaitait ajouter.

17      Par sa lettre du 16 août 2004, la requérante a fait parvenir aux autorités françaises la déclaration en question, datée et signée. Cette déclaration a été envoyée à la Commission par les autorités françaises en annexe de la lettre du 10 septembre 2004.

18      Dans leur lettre du 10 septembre 2004, les autorités françaises ont admis être compétentes pour répondre à la demande de la requérante en application de l’article 239 du code des douanes et de l’article 900, paragraphe 1, sous o), du règlement d’application, sous réserve que la Commission les éclaire sur le caractère manifeste ou non de la négligence constatée.

19      Le 7 octobre 2004, la Commission a envoyé une réponse (ci-après la « lettre attaquée ») à la lettre du 10 septembre 2004 des autorités françaises, dans laquelle elle a indiqué :

« Par votre lettre citée en référence, reçue par la Commission le 16 septembre 2004, vous m’avez informé[e] que l’administration française se reconnaît compétente pour décider si la remise est justifiée dans le dossier REM 22/01, en application des articles 239 du [code des douanes], 899 et 900, paragraphe 1, [sous] o), du règlement [d’application]. Par conséquent, je vous prie de bien vouloir trouver ci-joint le dossier en question pour traitement par vos services.

Par la même lettre vous avez également exprimé le souhait de connaître le point de vue de la Commission sur l’éventuelle négligence de l’intéressé dans cette affaire. Cette question relève bien entendu de votre seule compétence ; toutefois, vous voudrez bien trouver ci-après quelques éléments susceptibles d’aider à l’analyse de cette question.

Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes qu’il convient, pour examiner l’absence de manoeuvre ou de négligence manifeste, de tenir compte notamment de la complexité des dispositions dont l’inexécution a fait naître la dette douanière ainsi que de l’expérience de l’intéressé et de la diligence dont celui-ci a fait preuve.

En ce qui concerne la complexité de la réglementation en cause, il convient de rappeler que la Cour de justice des Communautés européennes considère que l’examen de celle-ci doit s’effectuer au regard des seules dispositions dont l’inexécution a fait naître la dette douanière (cf. par exemple l’arrêt du 11 novembre 1999 précité). En l’espèce, celles-ci ne sauraient être considérées comme complexes. Il convient par ailleurs de préciser que, dans un cas tel que celui de l’espèce, compte tenu des manquements ayant fait naître la dette douanière, la question de la complexité de la réglementation ne paraît pas réellement pertinente.

Sur le 2e point, il ressort du dossier que l’intéressé peut être considéré comme expérimenté.

La question de la diligence de l’intéressé est la plus délicate à traiter. Différents éléments paraissent à cet égard pertinents :

–        c’est la douane elle-même qui, à l’occasion d’un contrôle effectué en 1999, a constaté les erreurs commises par l’intéressé.

–        Il est vrai que l’intéressé lui-même a également contacté les services douaniers au Havre et à Rouen ; toutefois, il ne l’a fait qu’après que des anomalies [avaient] déjà été constatées par les autorités compétentes et suite aux questions formulées par son client qui s’inquiétait de ne plus recevoir de justificatifs de dédouanement.

–        De plus, l’administration française a incité l’intéressé dès le début de l’année 1999 à étudier l’acquisition d’un outil informatique performant, afin d’éviter les erreurs de dédouanement en sortie de dépôt temporaire ou d’entrepôt.

–        En dernier lieu il est à remarquer que l’intéressé avait déjà pris conscience, dès le début de l’année 1999, que l’acquisition d’un outil informatique plus performant que celui en sa possession devenait une nécessité.

Compte tenu de ces éléments, il me semble que l’existence d’une négligence manifeste de l’intéressé devrait être envisagée.

Dans l’attente d’un courrier de votre part me confirmant que les autorités françaises se reconnaissent compétentes pour statuer sur ce dossier, je considère que le délai de neuf mois qui serait imparti à la Commission pour l’adoption d’une décision est suspendu.

Je vous serais obligé de bien vouloir informer l’intéressé de la présente lettre, ainsi que de votre réponse. »

20      Par lettre du 25 novembre 2004, les autorités françaises ont transmis à la requérante la lettre attaquée. Dans leur lettre, elles ont indiqué :

« À la suite des investigations menées pendant l’instruction du dossier, il y était précisé en conclusion que l’administration française admettait être compétente pour répondre à [votre] demande sur le fondement des articles 239 du [code des douanes] et 900, [paragraphe] 1, [sous] o), [du règlement d’application]. Toutefois, un avis de la Commission européenne était sollicité sur le caractère manifeste ou non de la négligence constatée.

Cependant, dès lors que mon administration s’estime compétente pour répondre à [votre] demande, l’avis de la Commission européenne ne saurait la lier. En conséquence, [votre] demande va faire l’objet d’un nouvel examen des services compétents, en tenant compte de l’ensemble des éléments recueillis pendant l’instruction du dossier devant la Commission européenne. »

21      Par lettre du 27 janvier 2005, les autorités françaises ont rejeté la demande de remise de droits au motif de l’existence d’une négligence manifeste.

 Procédure et conclusions des parties

22      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 31 janvier 2005, la requérante a introduit le présent recours.

23      La Commission a, par acte déposé au greffe du Tribunal le 15 avril 2005, soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal. La requérante a déposé ses observations sur cette exception le 1er juin 2005.

24      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable ;

–        annuler la lettre attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

25      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–      rejeter le recours comme irrecevable ;

–      condamner la requérante aux dépens.

 En droit

26      Selon l’article 114 du règlement de procédure, si une partie demande que le Tribunal statue sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond, la suite de la procédure sur l’exception d’irrecevabilité est orale, sauf décision contraire. En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

 Arguments des parties

27      La Commission estime que le recours est irrecevable, car la lettre attaquée n’est pas un acte modifiant la situation juridique de la requérante de manière caractérisée, il s’agit d’un simple avis dépourvu de tout caractère contraignant. De même, la requérante n’indiquerait nullement comment la lettre attaquée affecte ses intérêts et modifie de façon caractérisée sa situation juridique. Par conséquent, la lettre attaquée ne serait pas un acte susceptible d’être attaqué au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE (arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, Rec. p. 2639, point 10).

28      La Commission rappelle que, dans la lettre attaquée, elle a reconnu que les autorités françaises étaient compétentes pour décider si la remise était justifiée dans le dossier REM 22/01, en application de l’article 239 du code des douanes, de l’article 899 et de l’article 900, paragraphe 1, sous o), du règlement d’application. La Commission indique qu’elle s’est dessaisie de l’affaire en envoyant le dossier pour traitement par les services des autorités douanières françaises. Elle estime que la décision que prendront les autorités françaises pourra, le moment venu, faire l’objet d’un recours par la requérante devant la juridiction compétente en France. La Commission souligne que le renvoi du dossier aux autorités françaises donne satisfaction à la requérante sur la question de la compétence pour statuer sur la remise.

29      S’agissant de l’affirmation de la requérante selon laquelle la lettre attaquée influence la décision finale des autorités françaises, la Commission fait observer qu’elle n’a nullement établi que la requérante avait commis une négligence manifeste.

30      En premier lieu, la Commission fait valoir que les autorités françaises elles-mêmes ont exprimé le souhait de connaître son point de vue sur l’éventuelle négligence de la requérante dans l’affaire en cause. C’est donc sur invitation que la Commission s’est proposée, en reconnaissant la compétence des seules autorités françaises, d’apporter quelques éléments susceptibles d’aider à l’analyse de cette question.

31      En deuxième lieu, la Commission indique qu’elle a seulement apporté, dans la lettre attaquée, quelques éléments de réflexion et a laissé le soin à l’administration douanière française de décider si, au vu de sa propre enquête et, éventuellement, en considération de ces quelques éléments de réflexion, la requérante avait ou non fait preuve de négligence manifeste. La recommandation de la Commission ne serait donc nullement contraignante pour les autorités françaises et ne les lierait pas. Ces dernières n’auraient fait que consulter la Commission et demeuraient libres d’adopter la décision qui, selon elles, s’impose dans le cas présent. L’avis de la Commission ne produirait dès lors aucun effet juridique à l’égard des autorités françaises.

32      En troisième lieu, l’argument de la requérante selon lequel l’avis de la Commission aurait négativement influencé les autorités françaises ne constituerait qu’une simple supposition, dépourvue de fondement. Ainsi que les autorités françaises l’ont signalé elles-mêmes dans leur lettre du 25 novembre 2004, l’avis de la Commission sur ce point ne les lierait pas. De plus, le premier courrier des autorités françaises, transmettant la demande de remise de droits à la Commission, ne serait qu’une étape intermédiaire de la procédure et aucunement un acte définitif.

33      En dernier lieu, la Commission entend démontrer le caractère non décisionnel de la lettre attaquée en envisageant les deux suites possibles de la procédure. Dans une première hypothèse, les autorités françaises se déclareraient incompétentes dans le dossier REM 22/01. Dans une telle situation et en vertu de l’article 239 du code des douanes, les services de la Commission reprendraient le dossier en question et continueraient son instruction au niveau communautaire, qui aboutirait à une véritable décision de la Commission (après consultation du groupe d’experts) adressée à la France. Dans une seconde hypothèse, les autorités françaises confirmeraient leur compétence et poursuivraient leur instruction du dossier. Dans ce cas, ce seraient les autorités françaises qui prendraient une décision susceptible de recours devant une juridiction nationale compétente. En l’espèce, la Commission fait observer que les autorités françaises ont confirmé leur compétence dans leur lettre du 25 novembre 2004 et ont repris l’instruction du dossier.

34      La Commission conclut, compte tenu de l’ensemble de ces observations, que le recours doit être considéré comme irrecevable.

35      La requérante estime que la lettre attaquée constitue bien une décision prise par la Commission, par laquelle celle-ci a considéré qu’elle aurait commis des négligences manifestes.

36      La requérante fait valoir que cette décision la concerne directement et individuellement dès lors que la Commission bénéficie de prérogatives éminentes en matière d’exécution du budget des Communautés européennes, que la demande de remise de droits concerne des ressources propres et que les États membres considèrent à ce titre la Commission comme une autorité hiérarchique.

37      Selon la requérante, la lettre attaquée, constituant une appréciation défavorable à son égard ayant pour unique objet d’influencer la décision qui devait être prise par les autorités françaises, lui fait grief.

38      Premièrement, bien qu’ayant considéré, à deux reprises, qu’aucune négligence manifeste ne pouvait être imputable à la requérante, les autorités françaises ont rejeté la demande de remise de droits de la requérante le 27 janvier 2005, au motif de l’existence d’une telle négligence. La lettre attaquée aurait donc bien eu pour effet d’affecter les intérêts de la requérante. Or, la requérante souligne que les autorités françaises avaient indiqué dans leur lettre du 25 novembre 2004 qu’elles allaient procéder à un nouvel examen « en tenant compte de l’ensemble des éléments recueillis pendant l’instruction du dossier devant la Commission européenne ». Selon la requérante, aucune autre pièce ni aucun document n’a été produit au dossier depuis la dernière appréciation favorable des autorités françaises concernant la remise de droits de douane qui lui avait été transmise le 14 novembre 2003. Elle fait valoir qu’il en résulte que le seul élément nouveau qui pouvait conduire les autorités françaises à reconsidérer leur décision est la lettre attaquée.

39      Deuxièmement, la requérante estime que la Commission ne peut soutenir que la lettre attaquée ne constituerait pas une décision, puisqu’elle constitue, à tout le moins, une décision sur la compétence. La requérante fait observer que, même après qu’elle a attiré l’attention de la Commission sur le problème de sa compétence par sa lettre du 19 décembre 2002, celle-ci a persisté à former des demandes de renseignements complémentaires auprès des autorités françaises, augmentant ainsi le délai impératif d’instruction du dossier qui lui était légalement imparti. Le délai de réponse de la Commission ne saurait être justifié par l’argument selon lequel elle ignorait que la requérante avait contesté la compétence de la Commission pour statuer dans ce dossier. Cependant, la requérante considère que le problème juridique de l’incompétence de la Commission ne posait aucune difficulté et, comme toute autorité administrative, elle se devait donc in limine litis d’examiner cette question et de répondre immédiatement sur ce point aux autorités françaises qui lui transmettaient à tort un dossier qu’elles devaient garder. Or, la conséquence d’une décision d’incompétence entraînerait automatiquement pour la requérante le bénéfice de la remise de droits sollicitée à laquelle les autorités françaises avaient estimé qu’il devait être donné « une suite favorable ».

40      Troisièmement, en ce qui concerne l’argument de la Commission selon lequel elle aurait répondu à une invitation des autorités françaises et il ne s’agissait d’apporter que quelques éléments de réflexion, la requérante fait valoir que le code des douanes et ses dispositions d’application ne prévoient en aucune façon que la Commission rende un avis lorsque les autorités nationales sont seules compétentes pour décider de l’octroi d’une remise de droits.

41      La Commission, en se prononçant sur des éléments de fond, n’aurait donc cherché qu’à inciter les autorités françaises à reconsidérer leur appréciation initiale. Sa décision aurait un effet préjudiciable pour la requérante en produisant des effets, désormais avérés par les décisions ultérieures des douanes françaises, qui auraient modifié la situation juridique de la requérante et affecté ses intérêts.

42      La requérante estime donc que la lettre attaquée constitue bien une décision au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt IBM/Commission, précité, et conteste, par conséquent, l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission.

 Appréciation du Tribunal

43      Il convient de rappeler, à titre liminaire, que la procédure administrative en matière douanière pour la remise des droits à l’importation, telle qu’organisée par le règlement d’application, se déroule, en principe, au niveau national. Le redevable doit, en effet, présenter sa demande de remise à l’autorité nationale qui doit prendre une décision conformément aux articles 899 et suivants du règlement d’application, lesquels définissent un certain nombre de situations dans lesquelles la remise peut ou ne peut pas être accordée. Une telle décision peut être soumise au contrôle des juridictions nationales en vertu de l’article 243 du code des douanes, ces dernières pouvant saisir la Cour en vertu de l’article 234 CE (arrêt de la Cour du 26 juin 1990, Deutsche Fernsprecher, C‑64/89, Rec. p. I‑2535, point 13).

44      Toutefois, si l’autorité nationale estime qu’elle n’est pas en mesure de prendre une décision sur la base des dispositions précitées et que la demande de remise est assortie de justifications susceptibles de constituer une situation particulière qui résulte de circonstances n’impliquant ni manoeuvre ni négligence manifeste de la part de l’intéressé, elle transmet le cas à la Commission conformément à l’article 905 du règlement d’application (arrêt de la Cour du 25 février 1999, Trans-Ex-Import, C‑86/97, Rec. p. I‑1041, point 19). Lors de cette seconde étape, qui se déroule exclusivement au niveau communautaire, la Commission, après avoir consulté un groupe d’experts composé de représentants de tous les États membres, prend une décision quant à la justification de la remise. Cette décision peut être soumise au contrôle des juridictions communautaires en vertu de l’article 230, quatrième alinéa, CE.

45      Ainsi, le règlement d’application ne prévoit que des contacts entre le demandeur de la remise et l’autorité nationale, d’une part, et entre l’autorité nationale et la Commission, d’autre part. Aucun contact direct n’est prévu entre le demandeur de la remise et la Commission (arrêt du Tribunal du 9 novembre 1995, France-aviation/Commission, T‑346/94, Rec. p. II‑2841, point 30).

46      La Commission fait valoir, en l’espèce, que le présent recours est irrecevable, car la lettre attaquée ne constitue pas un acte attaquable au sens de l’article 230 CE en ce qu’elle ne modifie pas la situation juridique de la requérante de manière caractérisée.

47      Il est de jurisprudence constante que seules les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts d’un requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci, constituent des actes susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation au sens de l’article 230 CE (arrêt IBM/Commission, précité, point 9, et arrêt du Tribunal du 18 septembre 2001, M6 e.a./Commission, T‑112/99, Rec. p. II‑2459, point 35). Ainsi, sont susceptibles d’un recours en annulation toutes les positions prises par les institutions, quelles qu’en soient la nature ou la forme, qui visent à produire des effets de droit (arrêt de la Cour du 31 mars 1971, Commission/Conseil, 22/70, Rec. p. 263, point 42, et arrêt du Tribunal du 10 avril 2003, Le Pen/Parlement, T‑353/00, Rec. p. II‑1729, point 77).

48      Il y a lieu de rappeler qu’une opinion exprimée par la Commission vis-à-vis d’un État membre, dans une situation où elle n’a pas compétence pour prendre une décision, ne saurait constituer une décision de nature à faire l’objet d’un recours en annulation, dès lors qu’elle n’est pas susceptible de produire des effets de droit et ne vise pas non plus à produire de tels effets. Cette opinion ne lie en aucun cas les autorités nationales dans la mesure où celles-ci restent libres de décider des suites à donner à la demande de remise de droits faite par la requérante (arrêt de la Cour du 27 mars 1980, Sucrimex et Westzucker/Commission, 133/79, Rec. p. 1299, point 16, et ordonnance de la Cour du 17 mai 1989, Italie/Commission, 151/88, Rec. p. 1255, point 22). En outre, le caractère non contraignant d’une prise de position de la Commission ne saurait être mis en question par le fait que l’autorité nationale destinataire de l’acte s’y est conformée, cela n’étant que la conséquence de la coopération entre la Commission et les organismes nationaux chargés d’appliquer la réglementation communautaire (voir ordonnance du Tribunal du 5 septembre 2006, Comunidad autónoma de Madrid et Mintra/Commission, T‑148/05, non publiée au Recueil, point 43, et la jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt Sucrimex et Westzucker/Commission, précité, point 22).

49      Afin de vérifier si la lettre attaquée constitue une mesure attaquable, il convient, tout d’abord, d’établir l’objet de la lettre des autorités douanières françaises du 10 septembre 2004 à laquelle elle répond.

50      Dans cette lettre, les autorités françaises ont admis être compétentes pour répondre à la demande de la requérante en application de l’article 239 du code des douanes et de l’article 900, paragraphe 1, sous o), du règlement d’application, sous réserve que la Commission les éclaire sur le caractère manifeste ou non de la négligence constatée (voir point 18 ci-dessus).

51      En l’espèce, il ressort clairement de la réponse de la Commission contenue dans la lettre attaquée qu’elle partageait l’affirmation des autorités françaises selon laquelle elles étaient compétentes pour répondre à la demande de remise de droits. En effet, la lettre attaquée renvoie le dossier aux autorités françaises « pour traitement par [leurs] services », puisque celles-ci se sont reconnues compétentes « pour décider si la remise est justifiée dans [ce] dossier. » En même temps, à la suite du « souhait exprimé » par lesdites autorités « de connaître le point de vue de la Commission sur l’éventuelle négligence de l’intéressé dans cette affaire », elle fournit « quelques éléments susceptibles d’aider à l’analyse de cette question », tout en rappelant que « cette question relève bien entendu de [leur] seule compétence ». Enfin, la lettre attaquée informe les autorités françaises que, « [d]ans l’attente d’un courrier de [leur] part [lui] confirmant que les autorités françaises se reconnaissent compétentes pour statuer sur ce dossier, [elle] considère que le délai de neuf mois qui serait imparti à la Commission pour l’adoption d’une décision est suspendu ».

52      Il en résulte que la lettre attaquée est une lettre adressée par la Commission aux autorités douanières d’un État membre, dans laquelle elle s’est contentée de fournir, à la demande des autorités douanières françaises, quelques éléments susceptibles d’aider celles-ci dans leur analyse de la question de l’existence d’une éventuelle négligence de l’intéressé tout en leur laissant la prise de décision définitive dans le cadre de l’exercice de leur propres compétences.

53      Bien que le code des douanes et ses dispositions d’application ne prévoient pas que la Commission rende un avis lorsque les autorités nationales sont seules compétentes pour décider de l’octroi d’une remise de droits, rien n’empêche la Commission d’exprimer son opinion en réponse à une demande formulée par les autorités nationales. À cet égard, il y a lieu de rappeler que les autorités françaises elles-mêmes ont affirmé, dans leur lettre du 25 novembre 2004, citée au point 20 ci-dessus, qu’elles s’estimaient compétentes pour répondre à la demande de remise de droits faite par la requérante et elles ont souligné que l’avis de la Commission ne saurait les lier.

54      Par conséquent, les arguments de la requérante selon lesquels la lettre attaquée constituerait, premièrement, une appréciation défavorable ayant pour unique objet d’influencer la décision qui devait être prise par les autorités françaises et, deuxièmement, une décision d’incompétence qui entraînait automatiquement pour la requérante le bénéfice de la remise de droits sollicitée ne sauraient être accueillis.

55      En effet, ni le contenu ni le libellé de la lettre attaquée ne se prêtent à une interprétation selon laquelle la Commission visait à se prononcer de façon déterminante sur la demande de remise de droits. La lettre attaquée est donc un acte dépourvu d’effet juridique obligatoire à l’égard de la requérante et, pour cette raison, ne saurait être considérée comme un acte susceptible d’affecter sa situation juridique. Dès lors, la requérante n’aurait aucun intérêt à solliciter l’annulation de cette lettre.

56      Il résulte de ce qui précède que, la lettre attaquée ne pouvant être qualifiée de décision, la requérante ne peut l’attaquer par la voie d’un recours en annulation. En conséquence, le recours doit être rejeté comme irrecevable.

 Sur les dépens

57      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens exposés par la Commission conformément aux conclusions de celle-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme étant irrecevable.

2)      La requérante supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission.

Fait à Luxembourg, le 25 janvier 2007

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       J. D. Cooke


* Langue de procédure : le français.