Language of document : ECLI:EU:T:2011:710

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

2 décembre 2011 (*)

« Référé – Aides d’État – Décision relative aux aides destinées à faciliter la fermeture des mines de charbon non compétitives – Demande de sursis à exécution – Absence d’intérêt à agir – Défaut de concordance avec le recours principal – Indissociabilité – Irrecevabilité – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑176/11 R,

Federación Nacional de Empresarios de Minas de Carbón (Carbunión), établie à Madrid (Espagne), représentée par M. K. Desai, solicitor, Mmes S. Cisnal de Ugarte et M. Peristeraki, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté initialement par M. F. Florindo Gijón et Mme A . Lo Monaco, puis par M. Florindo Gijón et Mme K. Michoel, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, une demande de sursis partiel à l’exécution de la décision 2010/787/UE du Conseil, du 10 décembre 2010, relative aux aides d’État destinées à faciliter la fermeture des mines de charbon qui ne sont pas compétitives (JO L 336, p. 24), et, à titre subsidiaire, une demande de sursis intégral à l’exécution de cette décision,


LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Faits à l’origine du litige

1        La requérante, la Federación Nacional de Empresarios de Minas de Carbón (Carbunión), est la fédération nationale des producteurs de charbon espagnols. Dotée de la personnalité juridique, elle défend les intérêts des exploitants de mines de charbon en Espagne et de leurs associations. Conformément à ses statuts, sa mission consiste, notamment, à représenter ses membres devant toute institution ou juridiction. Actuellement, tous les exploitants de mines de charbon d’Espagne sont membres de la requérante.

2        À l’expiration du traité CECA, le Conseil de l’Union européenne a adopté, en date du 23 juillet 2002, le règlement (CE) n° 1407/2002 concernant les aides d’État à l’industrie houillère (JO L 205, p. 1) qui reconnaissait l’importance stratégique du charbon en tant que source indigène d’énergie ainsi que sa contribution à la sécurité de l’approvisionnement à long terme de l’Union européenne et qui établissait, à cette fin, un régime d’aides d’État spécifique à ce secteur. Les aides accordées par les États membres selon ce règlement se divisaient en trois catégories : des aides à la réduction d’activité, des aides à l’accès à des réserves houillères, à savoir des aides à l’investissement initial et des aides à la production courante, ainsi que des aides à la couverture de charges exceptionnelles.

3        Sous le régime du règlement n° 1407/2002, le secteur minier espagnol, composé de 29 mines produisant de la houille, a fait l’objet d’investissements considérables visant à maintenir l’activité des mines et à améliorer leur efficience. Dans le cadre du plan national espagnol des réserves stratégiques de charbon pour la période de 2006 à 2012, ces mines ont été considérées comme une réserve stratégique. Ledit plan a souligné l’importance stratégique du charbon et la nécessité de continuer à soutenir le secteur minier houiller pour des raisons d’ordre social ou régional et afin de garantir la sécurité de l’approvisionnement en énergie, le charbon constituant la source indigène la plus importante d’énergie primaire. Le secteur minier espagnol a ainsi bénéficié, au titre du règlement n° 1407/2002, d’aides à l’investissement initial et à la production courante qui ont été considérées comme essentielles pour la viabilité de ce secteur.

4        En mai 2009, la Commission des Communautés européennes a lancé une consultation publique sur les conséquences de l’expiration – le 31 décembre 2010 – du règlement n° 1407/2002. Le but de cette consultation, à laquelle la requérante a participé, était de permettre à la Commission de juger s’il était nécessaire de maintenir des règles spécifiques pour le secteur houiller. Ainsi, la Commission a invité les parties prenantes à présenter des observations sur six options, parmi lesquelles figuraient celle de proroger le règlement n° 1407/2002 de dix ans et celle de proposer un règlement du Conseil autorisant les États membres à accorder à la fois des aides au fonctionnement dégressives (couverture des pertes à la production courante), pour autant qu’elles s’accompagnent d’un arrêt des activités selon un plan de fermeture des mines, et des aides destinées à couvrir des frais exceptionnels (charges sociales et environnementales liées à la fermeture des mines de charbon).

5        Alors que la requérante a exprimé sa préférence pour la première option, la Commission a décidé, en juillet 2010, de proposer au Conseil un règlement prévoyant des aides à la fermeture et à la couverture de frais exceptionnels. Selon cette proposition, toute aide au fonctionnement du secteur houiller serait conditionnée par la présentation d’un plan de fermeture des mines travaillant à perte.

6        Faisant suite à cette proposition, le Conseil a adopté la décision 2010/787/UE, du 10 décembre 2010, relative aux aides d’État destinées à faciliter la fermeture des mines de charbon qui ne sont pas compétitives (JO L 336, p. 24 ; ci-après la « décision attaquée »). La décision attaquée, fondée sur l’article 107, paragraphe 3, sous e), TFUE, prévoit que les aides d’État au secteur houiller ne seront autorisées que jusqu’en 2018, et ce seulement si le bénéficiaire de l’aide accepte de mettre définitivement fin à la production et à la vente de charbon et s’il diminue progressivement sa production.

7        L’article 3 de la décision attaquée est rédigé comme suit :

« Aide à la fermeture

1. Les aides à une entreprise qui sont destinées expressément à la couverture des pertes à la production courante des unités de production de charbon ne peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur que si elles satisfont aux conditions suivantes :

a) l’exploitation des unités de production de charbon concernées doit s’inscrire dans un plan de fermeture dont l’échéance est fixée au plus tard au 31 décembre 2018 ;

b) les unités de production de charbon concernées doivent fermer définitivement conformément au plan de fermeture ;

c) l’aide notifiée ne doit pas excéder l’écart entre le coût de production prévisible et la recette prévisible pour un exercice charbonnier. L’aide effectivement versée doit faire l’objet d’une régularisation annuelle sur la base des coûts et des recettes réels […] ;

d) le montant de l’aide […] ne doit pas conduire à des prix […] inférieurs à ceux pratiqués pour les charbons de qualité similaire en provenance de pays tiers ;

e) […]

f) le montant global des aides à la fermeture accordées par un État membre doit suivre une courbe descendante : pour la fin de 2013, la réduction de l’aide octroyée en 2011 ne doit pas être inférieure à 25 %, pour la fin de 2015, elle ne doit pas être inférieure à [40 %, pour la fin de 2016, elle ne doit pas être inférieure à] 60 % et pour la fin de 2017, elle ne doit pas être inférieure à 75 % ;

g) le montant global des aides à la fermeture octroyées à l’industrie houillère par un État membre ne doit pas dépasser […] le volume des aides que cet État membre a octroyées […] pour l’année 2010 ;

h) Les États membres établissent un plan de mesures à prendre visant à atténuer les impacts sur l’environnement de la production du charbon par les unités de production auxquelles l’aide est octroyée […].

2. L’inclusion des dispositions constituant des aides d’État […] dans un plan visé au paragraphe 1, point h), est sans préjudice aux obligations de notification et de suspension imposées aux États membres […] et à la compatibilité de telles dispositions avec le marché intérieur.

3. Si les unités de production de charbon auxquelles une aide est accordée en vertu du paragraphe 1 ne sont pas fermées à la date fixée par le plan de fermeture tel qu’il a été autorisé par la Commission, l’État membre concerné est tenu de récupérer toute l’aide octroyée sur l’entièreté de la période couverte par le plan de fermeture. »

 Procédure et conclusions des parties

8        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mars 2011, la requérante a introduit un recours visant à l’annulation de l’article 3, paragraphe 1, sous a), b) et f), et de l’article 3, paragraphe 3, de la décision attaquée.

9        À l’appui de ce recours, la requérante invoque, notamment, une violation du principe de sécurité juridique en ce que la décision attaquée constitue un changement de position abrupt de la part de l’Union envers le secteur houiller indigène de l’Union et ne prévoit pas de période de transition permettant à la requérante de s’adapter à ce changement important de politique, une violation du principe de proportionnalité en ce que cette décision impose des restrictions excessives au fonctionnement des mines de charbon indigènes en Espagne et un détournement de pouvoir en ce que ladite décision menace le bon fonctionnement du marché de l’énergie dans l’Union, ainsi que la sécurité de l’approvisionnement énergétique dans l’Union, notamment en Espagne. La requérante reproche également au Conseil d’avoir opéré une discrimination à l’encontre des producteurs de charbon indigène au profit, d’une part, des importateurs de charbon dans l’Union et, d’autre part, d’autres formes d’énergie.

10      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 13 octobre 2011, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution, à titre principal, de l’article 3, paragraphe 1, sous a), b) et f), de la décision attaquée ou, à titre subsidiaire, de la décision attaquée tout entière, jusqu’à ce que le Tribunal se soit prononcé sur le recours principal ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

11      Dans ses observations écrites, déposées au greffe du Tribunal le 7 novembre 2011, le Conseil conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé comme non fondée en son chef de conclusions principal et comme irrecevable en son chef de conclusions subsidiaire ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

12      Il ressort d’une lecture combinée de l’article 278 TFUE et de l’article 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions, organes et organismes de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un tel acte ou prescrire des mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 17 décembre 2009, Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, T‑396/09 R, non publiée au Recueil, point 31, et la jurisprudence citée).

13      En outre, l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

14      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73).

15      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande de mesures provisoires, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

 Sur la recevabilité

16      Il ressort du dossier que, par la demande en référé et par le recours sur lequel elle se greffe, la requérante vise à obtenir, en dernière analyse, le maintien d’un régime d’aides spécifique à l’industrie houillère de l’Union, comparable à celui instauré par le règlement n° 1407/2002 et permettant notamment aux États membres d’accorder aux mines de charbon indigènes, actuellement non rentables, des aides au fonctionnement importantes et de longue durée, tout en sachant pertinemment qu’il serait difficile de voir approuver de telles aides en application des règles générales en matière d’aides d’État figurant dans les articles 107 TFUE et 108 TFUE. Admettant expressément qu’elle n’a aucune objection contre la décision attaquée en ce qui concerne ses dispositions autres que l’article 3, paragraphe 1, sous a), b) et f), et l’article 3, paragraphe 3, la requérante tend ainsi à obtenir, en dernière analyse, que le Royaume d’Espagne puisse continuer à octroyer aux mines de charbon espagnoles des aides destinées à la couverture des pertes à la production courante du charbon indigène, sans que le montant global de ces aides doive être dégressif et que les mines bénéficiaires soient tenues de fermer définitivement conformément à un plan de fermeture.

17      Dans ces circonstances, il y a lieu d’examiner d’abord si la requérante dispose d’un intérêt légitime à solliciter, à titre subsidiaire, un sursis à l’exécution de la décision attaquée tout entière. En effet, les conditions de recevabilité de toute demande en référé étant d’ordre public, il appartient au juge des référés de les vérifier d’office in limine litis [ordonnances du président du Tribunal du 18 février 2008, Jurado Hermanos/OHMI (JURADO), T‑410/07 R, non publiée au Recueil, point 25, et du 25 avril 2008, Vakakis/Commission, T‑41/08 R, non publiée au Recueil, point 41].

18      Selon une jurisprudence bien établie, la partie qui demande le sursis à l’exécution de l’acte qu’elle a attaqué par un recours en annulation doit justifier d’un intérêt à l’obtention du sursis sollicité, étant précisé qu’un tel intérêt suppose que ledit sursis soit susceptible, par lui-même, de procurer, par son résultat, un bénéfice direct à la partie demanderesse (voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 7 mai 2002, Aden e.a./Conseil et Commission, T‑306/01 R, Rec. p. II‑2387, point 57, et du 12 mai 2006, Gollnisch/Parlement, T‑42/06 R, non publiée au Recueil, point 28 ; arrêt du Tribunal du 28 septembre 2004, MCI/Commission, T‑310/00, Rec. p. II‑3253, point 44, et la jurisprudence citée).

19      En l’espèce, il est de fait que, en vertu de son article 14, paragraphe 3, le règlement n° 1407/2002 a expiré le 31 décembre 2010. L’expiration de ce règlement – ayant instauré un régime spécifique pour l’octroi d’aides d’État au secteur minier qui correspondait aux prétentions de la requérante à tel point qu’elle en demandait la prorogation (voir points 4 et 5 ci-dessus) – n’est nullement conditionnée par la légalité ou par le caractère exécutable de la décision attaquée. En effet, l’expiration du règlement n° 1407/2002 a précisément été édictée dans le règlement lui-même et non dans la décision attaquée.

20      Il s’ensuit qu’un sursis à l’exécution de la décision attaquée tout entière, loin de faire revivre le régime spécifique instauré par le règlement n° 1407/2002, aurait pour seul effet, d’une part, de suspendre l’exécution du nouveau régime spécifique en la matière, qui permet également aux États membres, certes selon des modalités bien plus strictes que celles du régime précédent, d’accorder des aides à la couverture des pertes à la production courante de charbon indigène, et, d’autre part, l’application immédiate du régime général prévu aux articles 107 TFUE et 108 TFUE. Or, la requérante n’établit pas, ni même n’affirme, que ce régime général permettrait plus aisément que ne le ferait la décision attaquée l’octroi par le Royaume d’Espagne aux mines de charbon espagnoles des aides destinées à couvrir les pertes à la production courante du charbon indigène.

21      Par conséquent, le sursis à l’exécution de la décision attaquée tout entière ne serait d’aucune utilité pratique pour la requérante et les mines de charbon qu’elle représente. Il s’ensuit que la requérante n’a pas démontré qu’elle avait un intérêt légitime à obtenir un tel sursis.

22      Par ailleurs, il convient de rappeler que, par le recours principal, la requérante vise à obtenir l’annulation des seules dispositions de l’article 3, paragraphe 1, sous a), b) et f), et de l’article 3, paragraphe 3, de la décision attaquée, de sorte que la demande de sursis à l’exécution de l’intégralité de cette décision outrepasse formellement l’objet du recours principal. Or, l’article 278 TFUE n’habilite le juge des référés qu’à ordonner le sursis à l’exécution de l’acte attaqué, et l’article 104, paragraphe 1, du règlement de procédure subordonne la recevabilité d’une demande de sursis à exécution à ce que le requérant ait attaqué l’acte en cause dans le cadre d’un recours devant le Tribunal. Dans ces circonstances, la demande visant à obtenir, à titre subsidiaire, le sursis à l’exécution de la décision attaquée tout entière doit être déclarée irrecevable également pour défaut de concordance avec le recours principal, dans la mesure où elle outrepasse l’objet de l’action principale intentée par la requérante (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 8 septembre 2010, Noko Ngele/Commission, T‑15/10 R II, non publiée au Recueil, points 8 et 9).

23      Cette conclusion n’est pas infirmée par la remarque, faite au point 6 de la demande en référé, selon laquelle la requérante « ne s’opposerait pas à l’annulation et, partant, à la suspension de la totalité de la décision attaquée », si le Tribunal estimait que les moyens avancés au soutien du recours principal devaient aboutir à une telle annulation totale. En effet, d’une part, il paraît exclu qu’une extension de l’objet du recours principal puisse valablement être effectuée dans le cadre de la seule procédure de référé se greffant sur la procédure principale. D’autre part, et en tout état de cause, une telle extension d’objet doit en principe être opérée dans le respect du délai de recours principal. Or, en l’espèce, la décision attaquée a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne du 21 décembre 2010, alors que la demande en référé n’a été introduite que le 7 novembre 2011, soit longtemps après l’expiration du délai de recours.

24      C’est donc pour les deux motifs qui viennent d’être exposés que la demande en référé doit être rejetée comme irrecevable en son chef de conclusions subsidiaire.

25      En ce qui concerne le chef de conclusions principal de la demande en référé, le Conseil conteste que la requérante soit recevable à solliciter le sursis à l’exécution du seul article 3, paragraphe 1, sous a), b) et f), de la décision attaquée, motif pris de ce que ces dispositions sont indissociables du reste de ladite décision. Selon le Conseil, les dispositions en cause reflètent l’idée fondamentale de la décision attaquée, à savoir que les aides à la production de charbon non compétitive ne sont plus justifiées que pour atténuer les conséquences sociales et régionales liées à la fermeture des mines de charbon concernées.

26      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’annulation partielle d’un acte juridique n’est possible que pour autant que les éléments dont l’annulation est demandée soient détachables du reste de l’acte (voir, notamment, arrêts de la Cour du 10 décembre 2002, Commission/Conseil, C‑29/99, Rec. p. I‑11221, points 45 et 46; du 21 janvier 2003, Commission/Parlement et Conseil, C‑378/00, Rec. p. I‑937, point 30; du 30 septembre 2003, Allemagne/Commission, C‑239/01, Rec. p. I‑10333, point 33, et du 24 mai 2005, France/Parlement et Conseil, C‑244/03, Rec. p. I‑4021, point 12). Dans ce contexte, la Cour a itérativement jugé qu’il n’est pas satisfait à cette exigence de séparabilité lorsque l’annulation partielle d’un acte aurait pour effet de modifier la substance de celui-ci, en précisant que la question d’une telle modification substantielle constitue un critère objectif et non un critère subjectif lié à la volonté politique de l’autorité qui a adopté l’acte litigieux (arrêt de la Cour du 30 mars 2006, Espagne/Conseil, C‑36/04, Rec., p. I‑2981, points 13 et 14, et la jurisprudence citée).

27      Le raisonnement sous-jacent à cette jurisprudence – à savoir empêcher un requérant de modifier, par la contestation d’éléments isolés d’un acte, la substance même de celui-ci et d’obtenir ainsi de facto, grâce à un recours en annulation, l’application d’un acte substantiellement différent de celui que son auteur avait adopté – conserve toute sa valeur également dans le domaine du référé. En effet, il apparaît pareillement injustifié de permettre à un requérant de dénaturer un acte en obtenant la suspension isolée de dispositions substantielles de ce dernier, alors que ses autres dispositions seraient immédiatement applicables.

28      Il convient donc d’examiner si le sursis à l’exécution des seules dispositions de l’article 3, paragraphe 1, sous a), b) et f), de la décision attaquée, alors que subsisteraient les autres dispositions de cette décision, modifierait objectivement la substance même de celle-ci.

29      Ainsi qu’il ressort déjà de l’intitulé de la décision attaquée, ne sont susceptibles d’être autorisées que les aides d’État destinées à « faciliter la fermeture des mines de charbon qui ne sont pas compétitives ». Aux considérants 2 à 4 de la décision attaquée, le Conseil indique que la politique de l’Union ne justifie plus l’octroi indéfini, en vue d’assurer l’approvisionnement en énergie, des aides à des mines de charbon qui ne sont pas compétitives, de sorte que les catégories d’aide autorisées par le règlement n° 1407/2002 ne devraient pas être maintenues indéfiniment et que lesdites mines peuvent être forcées de fermer.

30      Aux considérants 5 à 7 de la décision attaquée, le Conseil, tout en permettant aux États membres d’adopter des mesures pour atténuer les conséquences sociales et régionales liées à la fermeture des mines non compétitives (réduction progressive des activités dans le cadre d’un plan de fermeture irrévocable et/ou financement de frais exceptionnels), souligne que ce type d’aides devrait être dégressif et strictement limité aux unités de production de charbon qui sont irrévocablement appelées à fermer. Il en conclut que la décision attaquée marque le passage, en ce qui concerne les aides d’État pour le secteur houiller, de l’application de règles spécifiques à l’application des règles générales.

31      Enfin, l’article 2 de la décision attaquée, intitulé « principe » et figurant au chapitre consacré à la « compatibilité de l’aide », dispose que c’est seulement « dans le contexte de la fermeture des mines non compétitives » que les aides à l’industrie houillère peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur, à la condition de satisfaire aux dispositions de la décision attaquée.

32      Il s’avère donc que le Conseil, en adoptant la décision attaquée, a instauré un régime d’autorisation des aides à l’industrie houillère dont la raison d’être diffère substantiellement de celle du règlement n° 1407/2002, en ce que ce nouveau régime limite les aides susceptibles d’être autorisées à celles visant à faciliter la fermeture sans heurt des mines de charbon indigènes qui ne sont pas compétitives.

33      Dans ces circonstances, les conditions d’autorisation établies à l’article 3, paragraphe 1, sous a), b) et f), de la décision attaquée – selon lesquelles les mines de charbon bénéficiaires d’une aide à la fermeture accordée par un État membre doivent fermer définitivement, et ce conformément à un plan de fermeture dont l’échéance est fixée au plus tard au 31 décembre 2018, tandis que le montant global des aides d’État accordées doit être strictement dégressif – ne sauraient être qualifiées d’éléments accessoires et dissociables de la décision attaquée, mais en constituent la substance et le cœur même. Il s’ensuit que ces conditions d’autorisation, indépendamment de leur opportunité ou légalité intrinsèque, sont inséparables du reste de la décision attaquée.

34      Par conséquent, la requérante n’est pas recevable à demander le sursis à l’exécution isolé des seules dispositions de l’article 3, paragraphe 1, sous a), b) et f), de la décision attaquée.

35      Cette solution trouvée au niveau de la recevabilité est d’ailleurs cohérente avec la mise en balance des différents intérêts en présence.

 Sur la balance des intérêts

36      Il est de jurisprudence bien établie que, dans le cadre de la mise en balance des différents intérêts en présence, le juge des référés doit déterminer, notamment, si l’intérêt du requérant à obtenir le sursis à exécution demandé prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de l’acte attaqué, en examinant, plus particulièrement, si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate et, inversement, si le sursis à l’exécution dudit acte serait de nature à faire obstacle à son plein effet, au cas où le recours principal serait rejeté (voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 26 juin 2003, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 R et C‑217/03 R, Rec. p. I‑6887, point 142, et du président du Tribunal du 31 août 2010, Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, T‑299/10 R, non publiée au Recueil, point 64).

37      En l’espèce, l’intérêt que le Conseil poursuit par la décision attaquée, et notamment par les dispositions de son article 3, paragraphe 1, sous a), b) et f), consiste à voir exécuter le nouveau régime relatif aux aides d’État destinées à l’industrie houillère de l’Union, ce régime étant caractérisé par la fermeture, pour la fin de 2018, des mines de charbon non rentables ainsi que par le caractère strictement dégressif du montant global des aides d’État accordées à ces mines, l’octroi des aides n’étant permis qu’aux fins d’atténuer les conséquences sociales et régionales liées à la fermeture des mines concernées. L’adoption de la décision attaquée marque ainsi, à moyen terme, un changement substantiel de la politique en matière d’aides aux mines de charbon non rentables de l’Union, en ce que le régime précédent ayant permis la subvention de telles mines pour assurer l’approvisionnement de l’Union en énergie est abandonné en faveur d’un régime destiné à adapter graduellement le secteur houiller aux règles générales du traité FUE applicables à tous les secteurs économiques. Or, le juge des référés doit tenir compte de l’intérêt public général qui s’attache à l’exécution d’un acte visant à réintégrer dans les règles de concurrence du traité FUE, et notamment dans le régime général d’interdiction des aides d’État prévu à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, un secteur économique qui avait longtemps bénéficié de règles dérogatoires.

38      Par ailleurs, c’est sur proposition de la Commission que le Conseil a opté pour ce changement de politique. La Commission a d’ailleurs, en l’espèce, été admise, par ordonnance du 1er août 2011, à intervenir dans la procédure principale au soutien des conclusions du Conseil. En outre, tant le Parlement européen que le Royaume d’Espagne se sont abstenus d’introduire des recours visant à l’annulation de la décision attaquée. Le gouvernement espagnol s’apprête même, aux dires de la requérante, à mettre en œuvre la décision attaquée en présentant un plan de fermeture graduelle applicable dès 2012 aux mines de charbon espagnoles non rentables.

39      Il s’avère donc que tous les « protagonistes », auxquels les articles 107 TFUE à 109 TFUE confèrent un rôle crucial dans le processus législatif ou décisionnel en matière de contrôle des aides d’État, ont activement soutenu l’adoption de la décision attaquée, ou au moins toléré cette dernière. Cela est particulièrement vrai pour le Royaume d’Espagne qui est l’« interlocuteur privilégié » des instances de l’Union en ce qui concerne la défense des intérêts de l’industrie houillère espagnole en la matière (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 18 mars 2011, Westfälisch-Lippischer Sparkassen- und Giroverband/Commission, T‑457/09 R, non publiée au Recueil, points 71 à 73). Le rôle de la requérante, en revanche, est limité à celui d’une source d’informations pour lesdites instances (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, points 45 et 59, et du Tribunal du 25 juin 1998, British Airways e.a. et British Midland Airways/Commission, T‑371/94 et T‑394/94, Rec. p. II‑2405, points 59 et 60). Il s’ensuit que l’intérêt particulier visant à obtenir la suspension partielle de la décision attaquée que poursuit la requérante en l’espèce ne saurait primer sur l’intérêt public général, diamétralement opposé, consistant à voir exécuter cette décision.

40      S’agissant plus particulièrement du plan de fermeture que le gouvernement espagnol envisagerait de mettre en œuvre dès 2012 et qui introduirait donc un régime encore plus strict que celui prescrit par la décision attaquée, le différend spécifique entre la requérante et son gouvernement national sur cette question relève du droit interne applicable et est dénué de pertinence pour la solution du présent litige. Dans ce contexte, il est loisible à la requérante, si elle s’y estime fondée, de saisir le juge national pour contester ledit plan de fermeture.

41      Enfin, il n’apparaît pas, à première vue, qu’un rejet de la demande en référé placerait la requérante dans une situation irréversible au cas où la décision attaquée serait ultérieurement annulée par le juge du fond. En effet, si cette décision a certains effets immédiats – en ce que, d’une part, l’exploitation des mines de charbon concernées doit s’inscrire dans un plan de fermeture à l’horizon de 2018 [article 3, paragraphe 1, sous a), de la décision attaquée], dont la finalisation par le gouvernement espagnol semble être imminente, et en ce que, d’autre part, le montant global des aides à ces mines par ledit gouvernement ne devra pas dépasser, dès l’année 2011, le volume des aides octroyées et autorisées pour l’année 2010 [article 3, paragraphe 1, sous g), de la décision attaquée] –, il paraît improbable, au stade actuel de la procédure, que ces effets puissent, à eux seuls, menacer de disparition, à court ou moyen terme, la requérante et ses membres.

42      En ce qui concerne la disposition selon laquelle le montant global des aides accordées par un État membre doit être réduit, pour la fin de 2013, de 25 % au moins par rapport à celui de l’aide octroyée en 2011 [article 3, paragraphe 1, sous f), de la décision attaquée], tout indique que le litige principal aura été tranché avant que cette disposition puisse engendrer des effets sérieux sur la situation de la requérante et de ses membres. Dans la mesure où un tel arrêt serait favorable aux prétentions de la requérante, en ce qu’il annulerait également toute référence au plan de fermeture et au caractère dégressif du montant global des aides d’État accordées, il permettrait donc le renversement substantiel de la situation qui aurait été provoquée par une exécution immédiate de la décision attaquée.

43      En conséquence, il y a lieu de constater que la balance des différents intérêts en présence ne penche pas en faveur de la requérante.

44      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si la requérante dispose de la qualité pour agir, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, ou si les autres conditions d’octroi du sursis à exécution sollicité sont remplies.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.


2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 2 décembre 2011.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’anglais.