Language of document : ECLI:EU:C:2023:21

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 12 janvier 2023 (1)

Affaire C638/22 PPU

T.C.,

Rzecznik Praw Dziecka,

Prokurator Generalny

en présence de

M.C.,

Prokurator Prokuratury Okręgowej we Wrocławiu

[demande de décision préjudicielle formée par le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie, Pologne)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Matière matrimoniale et de responsabilité parentale – Enlèvement international d’enfant – Convention de La Haye de 1980 – Articles 11 à 13 – Règlement (CE) n° 2201/2003 – Article 11 – Impératif de célérité de la procédure de retour – Suspension de l’exécution d’une décision de retour définitive, accordée de plein droit, sur demande d’une entité publique habilitée, visant à permettre à cette entité de former un pourvoi en cassation et son examen par la juridiction compétente – Incompatibilité avec le droit de l’Union »






I.      Introduction

1.        Les affaires d’enlèvements d’enfants font indéniablement partie des plus sensibles qu’une juridiction puisse avoir à trancher. Elles s’inscrivent, en effet, dans un contexte émotionnel et juridique particulièrement chargé, où se mêlent le ressentiment mutuel des parents, les sentiments qu’ils éprouvent à l’égard de leur(s) enfant(s), et les droits fondamentaux des uns et des autres, centrés autour de l’intérêt supérieur de ce(s) dernier(s).

2.        La procédure établie, à cet égard, par la convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, conclue à La Haye le 25 octobre 1980 (ci-après la « convention de La Haye de 1980 ») et complétée, dans l’Union, par certaines dispositions du règlement (CE) no 2201/2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (2) (ci‑après le « règlement Bruxelles II bis »), qui vise à assurer le retour immédiat de l’enfant dans l’État de sa résidence habituelle, fait déjà l’objet d’une jurisprudence abondante de la Cour et de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »). Cela étant, sa mise en œuvre reste controversée, à tout le moins dans certains États.

3.        La présente demande de décision préjudicielle, formulée par le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie, Pologne), invite la Cour à se pencher sur l’obligation, découlant de ces instruments, pour les États membres de l’Union, de prévoir des procédures rapides pour le traitement des demandes de retour. Cette juridiction cherche, plus précisément, à savoir si, conformément auxdits instruments, un État membre peut prévoir, en la matière, outre deux degrés ordinaires de juridiction, la possibilité d’un pourvoi en cassation, emportant, sur simple demande non motivée par l’une des entités publiques habilitées à former un tel pourvoi, suspension de l’exécution d’une décision de retour définitive. Dans les présentes conclusions, j’expliquerai pourquoi tel ne peut pas être le cas.

II.    Le cadre juridique

A.      La convention de La Haye de 1980

4.        Aux termes de son article 1er, sous a), la convention de La Haye de 1980 a notamment pour objet « d’assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout État contractant ».

5.        L’article 2 de cette convention prévoit que les États contractants à cette convention « prennent toutes mesures appropriées pour assurer, dans les limites de leur territoire, la réalisation des objectifs de la Convention. À cet effet, ils doivent recourir à leurs procédures d’urgence ».

6.        L’article 11 de ladite convention dispose :

« Les autorités judiciaires ou administratives de tout État contractant doivent procéder d’urgence en vue du retour de l’enfant.

Lorsque l’autorité judiciaire ou administrative saisie n’a pas statué dans un délai de six semaines à partir de sa saisine, le demandeur ou l’Autorité centrale de l’État requis, de sa propre initiative ou sur requête de l’Autorité centrale de l’État requérant, peut demander une déclaration sur les raisons de ce retard. [...] »

7.        Aux termes de l’article 12 de cette même convention :

« Lorsqu’un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l’article 3 et qu’une période de moins d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour au moment de l’introduction de la demande devant l’autorité judiciaire ou administrative de l’État contractant où se trouve l’enfant, l’autorité saisie ordonne son retour immédiat.

[...] »

8.        L’article 13 de la convention de La Haye de 1980 dispose :

« Nonobstant les dispositions de l’article précédent, l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant, lorsque la personne, l’institution ou l’organisme qui s’oppose à son retour établit :

[...]

b)      qu’il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable.

[...] »

B.      Le règlement Bruxelles II bis

9.        L’article 11 du règlement Bruxelles II bis, intitulé « Retour de l’enfant », dispose :

« 1.      Lorsqu’une personne [...] ayant le droit de garde demande aux autorités compétentes d’un État membre de rendre une décision sur la base de la [convention de La Haye de 1980] en vue d’obtenir le retour d’un enfant qui a été déplacé ou retenu illicitement dans un État membre autre que l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites, les paragraphes 2 à 8 sont d’application.

[...]

3.      Une juridiction saisie d’une demande de retour d’un enfant visée au paragraphe 1 agit rapidement dans le cadre de la procédure relative à la demande, en utilisant les procédures les plus rapides prévues par le droit national.

Sans préjudice du premier alinéa, la juridiction rend sa décision, sauf si cela s’avère impossible en raison de circonstances exceptionnelles, six semaines au plus tard après sa saisine.

[...] »

C.      Le droit polonais

10.      L’article 5191, paragraphe 21, du Kodeks postępowania cywilnego (code de procédure civile), résultant de l’ustawa o wykonywaniu niektórych czynności organu centralnego w sprawach rodzinnych z zakresu obrotu prawnego na podstawie prawa Unii Europejskiej i umów międzynarodowyc (loi réglementant certaines activités de l’autorité centrale en matière de droit familial sur le fondement du droit de l’Union et des conventions internationales), du 26 janvier 2018 (Dz. U. de 2018, position 416, ci-après la « loi de 2018 »), dispose :

« Un pourvoi en cassation peut également être formé dans les procédures portant sur le retrait d’une personne soumise à l’autorité parentale ou sous tutelle engagées sur le fondement de la convention de La Haye de 1980. »

11.      Aux termes de l’article 5191, paragraphe 2², du code de procédure civile, résultant également de la loi de 2018 :

« Dans les affaires visées au paragraphe 21, le Prokurator Generalny (procureur général), le Rzecznik Praw Dziecka (médiateur des droits des enfants) et le Rzecznik Praw Obywatelskich (médiateur) peuvent également former un pourvoi dans un délai de quatre mois à compter de la date à laquelle la décision est devenue définitive. »

12.      L’ustawa z dnia 7 kwietnia 2022 r. o zmianie ustawy Kodeks postępowania cywilnego (loi du 7 avril 2022 portant modification du code de procédure civile) (Dz. U. de 2022, position 1098, ci-après la « loi de 2022 »), entrée en vigueur le 24 juin 2022, a introduit dans le code de procédure civile l’article 3881, qui dispose :

« 1.      Dans les affaires portant sur le retrait d’une personne soumise à l’autorité parentale ou sous tutelle engagées sur le fondement de la [convention de La Haye de 1980], l’exécution d’une ordonnance concernant le retrait d’une personne soumise à l’autorité parentale ou sous tutelle est suspendue de plein droit lorsqu’une personne visée à l’article 5191, paragraphe 2², en fait la demande auprès [du Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie)], dans un délai ne dépassant pas deux semaines à compter du jour où cette ordonnance est devenue définitive.

2.      La suspension de l’exécution de l’ordonnance, visée au paragraphe 1, prend fin si la personne visée à l’article 5191, paragraphe 2², ne forme pas de pourvoi en cassation dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle cette ordonnance est devenue définitive.

3.      Lorsque la personne visée à l’article 5191, paragraphe 2², forme un pourvoi en cassation dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle l’ordonnance visée au paragraphe 1 est devenue définitive, la suspension de l’exécution de cette ordonnance est prolongée de plein droit jusqu’à l’achèvement de la procédure de cassation.

4.      La personne qui a introduit une demande de suspension de l’exécution de l’ordonnance visée au paragraphe 1 peut la retirer dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle cette ordonnance est devenue définitive, à moins qu’une personne visée à l’article 519¹, paragraphe 2², n’ait formé un pourvoi en cassation.

5.      À la suite du retrait de la demande de suspension de l’exécution de l’ordonnance visée au paragraphe 1, cette décision acquiert force exécutoire. »

III. Le litige au principal et la question préjudicielle

13.      T.C. (ci-après le « père ») et M.C. (ci-après la « mère »), ressortissants polonais, sont parents de deux enfants, à savoir N., née le 8 juin 2011, et M., né le 1er janvier 2017 (ci-après, ensemble, les « enfants »). La famille a résidé en Irlande pendant plusieurs années. Les enfants y sont nés et ont également la nationalité irlandaise. En outre, les parents ont tous deux un emploi stable dans ce pays, la mère étant néanmoins en congé-maladie de longue durée.

14.      Au cours de l’été 2021, la mère est partie, avec l’accord du père, en vacances en Pologne avec les enfants. Au cours du mois de septembre, elle l’a informé qu’elle y resterait de manière permanente. Le père n’a jamais consenti au changement de résidence habituelle des enfants ni, partant, à leur non-retour en Irlande.

15.      Le 18 novembre 2021, le père a saisi le Sąd Okręgowy we Wrocławiu (tribunal régional de Wrocław, Pologne) d’une demande de retour des enfants en Irlande, sur le fondement de la convention de La Haye de 1980. La mère est intervenue à la procédure et a conclu au rejet de cette demande. Le Prokurator Okręgowy we Wrocławiu (procureur régional de Wrocław) est intervenu, pour sa part, au soutien de ladite demande.

16.      Par une ordonnance du 15 juin 2022, le Sąd Okręgowy we Wrocławiu (tribunal régional de Wrocław) a fait droit à la demande du père. Cette juridiction a considéré, en substance, qu’il y avait bien eu, en l’occurrence, « non-retour illicite d’un enfant », au sens de la convention de La Haye de 1980, et que le motif de non-retour prévu à l’article 13, premier alinéa, sous b), de cette convention, n’était pas applicable. En conséquence, elle a ordonné à la mère d’assurer le retour des enfants en Irlande dans un délai de sept jours à compter de la date à laquelle cette ordonnance deviendrait définitive.

17.      Par la suite, la mère a interjeté appel de ladite ordonnance devant le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie). Le père et le procureur régional de Wrocław ont, pour leur part, conclu au rejet de cet appel.

18.      Par une ordonnance du 21 septembre 2022, le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie) a rejeté le recours. En substance, la juridiction d’appel a confirmé l’appréciation de la juridiction de première instance, notamment en ce qui concerne l’inapplicabilité du motif de non-retour prévu à l’article 13, premier alinéa, sous b), de la convention de La Haye de 1980.

19.      L’ordonnance du Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie) est devenue définitive le jour de son prononcé, soit le 21 septembre 2022. L’ordonnance du Sąd Okręgowy we Wrocławiu (tribunal régional de Wrocław) du 15 juin 2022 est également devenue définitive à cette date.

20.      Le 28 septembre 2022, le délai de sept jours imparti à la mère, dans l’ordonnance du 15 juin 2022 du Sąd Okręgowy we Wrocławiu (tribunal régional de Wrocław), pour l’exécution volontaire de l’ordonnance définitive de retour a expiré, sans que celle-ci ait assuré le retour des enfants en Irlande.

21.      Le 29 septembre 2022, en vue de faire procéder à l’exécution forcée de la décision définitive de retour, le père a introduit, auprès du Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie), une demande tendant à ce que cette juridiction ajoute, à cette ordonnance, une mention relative à sa force exécutoire, et qu’elle lui communique une copie de ladite ordonnance, accompagnée de cette mention.

22.      Le 30 septembre 2022, le médiateur des droits des enfants a introduit une demande de suspension de l’exécution des ordonnances des juridictions de première et de deuxième instances en application de l’article 388¹, paragraphe 1, du code de procédure civile. Le 5 octobre 2022, le procureur général a fait de même.

23.      Dans ces conditions, le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 11, paragraphe 3, du [règlement Bruxelles II bis] ainsi que l’article 22, l’article 24, l’article 27, paragraphe 6, et l’article 28, paragraphes 1 et 2 du [règlement Bruxelles II ter], lus conjointement avec l’article 47 de la [charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après “la Charte”)], s’opposent-ils à une disposition de droit national en vertu de laquelle, dans les affaires concernant le retrait d’une personne soumise à l’autorité parentale ou sous tutelle introduites sur le fondement de la [convention de La Haye de 1980], l’exécution d’une ordonnance concernant le retrait d’une personne soumise à l’autorité parentale ou sous tutelle est suspendue lorsque le [procureur général], le [médiateur des droits des enfants] ou le [médiateur] en fait la demande auprès du Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie) dans un délai ne dépassant pas deux semaines à compter du jour où cette ordonnance est devenue définitive ? »

IV.    La procédure devant la Cour

24.      La juridiction de renvoi a demandé que le présent renvoi soit soumis à la procédure préjudicielle d’urgence, prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.

25.      À l’appui de cette demande, cette juridiction fait valoir que, compte tenu du fait que les enfants se trouvent en Pologne déjà depuis plus d’un an, prolonger davantage cette situation instable par des mois supplémentaires de procédure risquerait, d’une part, de nuire sérieusement à la relation de ceux-ci avec le père et, d’autre part, d’affecter leur bien-être, et, notamment, de compliquer leur potentiel retour en Irlande et leur réintégration dans cet État.

26.      À la lumière de ces éléments, la troisième chambre a décidé, le 26 octobre 2022, de faire droit à ladite demande.

27.      Le père, le médiateur des droits des enfants, le procureur général, la mère, le gouvernement polonais ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites devant la Cour. Le père, le procureur général, la mère, les gouvernements polonais, belge, français et néerlandais, ainsi que la Commission ont été représentés lors de l’audience qui s’est tenue le 8 décembre 2022.

V.      Analyse

28.      Il est utile de rappeler, à titre liminaire, que la convention de La Haye de 1980, à laquelle tous les États membres sont parties (3), vise à répondre, sur le plan civil, aux « enlèvements internationaux d’enfants » ou, plus précisément, à leurs « déplacements ou non-retours illicites ». Sont ici visées les situations dans lesquelles un mineur est « déplacé », généralement par l’un de ses parents, de l’État contractant où il réside habituellement vers un autre État contractant, ou bien n’est pas « retourné » dans le premier État, en violation d’un droit de garde attribué en vertu du droit dudit État, notamment lorsque, conformément à ce droit, un tel déplacement ou non-retour aurait dû être – mais n’a pas été – autorisé par l’autre parent (4).

29.      Partant du postulat selon lequel, en règle générale, une telle voie de fait porte gravement atteinte aux intérêts de l’enfant enlevé – qui se trouve ainsi soustrait à l’environnement qui était le sien avant l’enlèvement et, bien souvent, privé de contacts avec son autre parent – et selon lequel, en principe, il est dans son meilleur intérêt de rétablir, dans les plus brefs délais, le « statu quo ante » et la continuité de ses conditions d’existence et de développement (5), cette convention prévoit une procédure spécifique, ayant pour objet d’assurer le retour immédiat de l’enfant dans l’État de sa résidence habituelle.

30.      Lorsqu’une « demande de retour » est présentée sur le fondement de la convention de La Haye de 1980 – en général par le parent délaissé – à une autorité compétente de l’État dans lequel l’enfant a été enlevé (l’État requis), cette convention prévoit, à son article 12, le principe selon lequel cette autorité doit ordonner le « retour immédiat » de ce dernier vers l’État de sa résidence habituelle. Néanmoins, ladite autorité peut, à titre d’exception, ne pas ordonner le retour de l’enfant dans des hypothèses, limitativement énumérées par ladite convention, dans lesquelles le rétablissement du « statu quo ante » ne serait pas dans son intérêt. Tel est le cas, en particulier, conformément à l’article 13, premier alinéa, sous b), de cette même convention, lorsqu’il existe un « risque grave » que ce retour expose l’enfant à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière le place dans une situation intolérable.

31.      Quand un enlèvement d’enfants survient, comme dans l’affaire au principal, à l’intérieur de l’Union, les règles de la convention de La Haye de 1980 sont complétées par les dispositions de l’article 11 du règlement Bruxelles II bis – ou, désormais, pour les demandes de retour introduites après le 1er août 2022, par les articles 22 à 29 du règlement Bruxelles II ter (6). Pour l’essentiel, ces règlements renforcent, dans les relations entre États membres, le principe du retour immédiat de l’enfant, tel que prévu à l’article 12 de ladite convention, notamment en encadrant, plus strictement que le fait cette dernière, l’usage des motifs de non-retour prévues à son article 13.

32.      Ces généralités étant rappelées, comme je l’ai indiqué en introduction des présentes conclusions, la présente affaire porte, spécifiquement, sur les voies de recours prévues en droit polonais pour l’examen des demandes de retour d’enfants et, donc, pour mettre en œuvre la procédure décrite ci-dessus. Il me semble également utile, à ce stade liminaire de mon analyse, d’en détailler brièvement les aspects pertinents.

33.      À cet égard, il ressort de la décision de renvoi et des observations soumises à la Cour qu’une demande de retour présentée aux autorités polonaises sur le fondement de la convention de La Haye de 1980, notamment en cas d’enlèvement entre deux États membres, où les règlements Bruxelles II bis et Bruxelles II ter complètent cette convention, peut donner lieu à deux instances ordinaires.

34.      La demande de retour est, d’abord, examinée par l’un des tribunaux régionaux compétents. Les parties et éventuels intervenants peuvent, ensuite, interjeter appel contre la décision de retour – ou de non-retour – rendue à l’issue de cette première instance. Le cas échéant, l’affaire est alors réexaminée par le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie), qui est exclusivement compétente en la matière (7).

35.      Le jugement d’appel est considéré comme définitif le jour de son prononcé. Le même jour, il devient, normalement, exécutoire dans l’ordre juridique interne. Il en va de même de la décision rendue en première instance, en cas de confirmation. Lorsque le retour de l’enfant est ordonné, il peut donc, en principe, sous réserve de l’accomplissement de certaines formalités (8), être mis en œuvre par les autorités compétentes.

36.      Néanmoins, par l’adoption de la loi de 2018, le législateur polonais a prévu la possibilité – jusqu’alors inexistante – de former un pourvoi en cassation devant le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) contre une décision de retour (9). Ce recours extraordinaire n’est toutefois pas ouvert aux parents de ou des enfant(s) déplacé(s). En effet, seules trois entités publiques – à savoir le procureur général, le médiateur des droits des enfants et le médiateur – sont habilitées à se pourvoir ainsi en cassation, qu’elles soient précédemment intervenues ou non dans la procédure, et ce dans un délai de quatre mois à compter de la date à laquelle la décision de retour en question est devenue définitive (10).

37.      En règle générale, en droit polonais, l’introduction d’un pourvoi en cassation n’a pas d’effet suspensif. Conformément à une disposition générale du code de procédure civile, à savoir l’article 388, paragraphe 1, de ce code, les parties peuvent néanmoins demander à la juridiction d’appel qui a rendu la décision définitive sous pourvoi de suspendre l’exécution de cette décision jusqu’à l’issue de la procédure en cassation, lorsque sa mise œuvre serait de nature à causer un préjudice irréparable à une partie – l’appréciation de cette condition et, ainsi, l’octroi d’une telle suspension étant soumis à l’appréciation de cette juridiction.

38.      Alors que, entre 2018 et 2022, ces règles générales étaient également applicables aux décisions de retour, le législateur polonais a introduit, par la loi de 2022, une disposition spéciale concernant, à compter du 24 juin 2022 (11), spécifiquement cette catégorie de décisions.

39.      En effet, conformément au nouvel article 3881, paragraphe 1, du code de procédure civile, l’exécution d’une décision définitive de retour est suspendue de plein droit lorsque l’une des entités publiques habilitées à former un pourvoi en cassation contre une telle décision introduit une demande en ce sens auprès du Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie), dans un délai de deux semaines à compter du jour où cette décision est devenue définitive (12). Contrairement à ce que prévoit l’article 388 du code de procédure civile, une telle demande ne nécessite aucune motivation ou appréciation par cette juridiction. Lorsque pareille demande est présentée, l’exécution de la décision de retour est suspendue de plein droit pendant un délai de deux mois à compter de la date à laquelle cette décision est devenue définitive. Si l’entité qui a demandé la suspension ne forme pas de pourvoi en cassation dans ce délai, la suspension prend fin (13). En revanche, lorsqu’un tel pourvoi est formé, cette suspension est prolongée jusqu’à l’issue de la procédure de cassation (14).

40.      En application de ces modalités procédurales, dans l’affaire au principal, la demande de retour des enfants présentée par le père a été examinée en première instance puis, sur appel de la mère, par la juridiction de renvoi. Les deux juridictions impliquées ont fait droit à cette demande. Les ordonnances qu’elles ont rendues sont devenues définitives le jour du prononcé de la seconde. Toutefois, le procureur général et le médiateur des droits des enfants ont, sur pétition de la mère, introduit, auprès de la juridiction de renvoi, des demandes visant à la suspension à leur exécution, sur le fondement de l’article 3881, paragraphe 1, du code de procédure civile. Ces deux entités ont, par la suite, formé des pourvois en cassation dans le délai légal. En principe, ces demandes de suspension devraient empêcher, de plein droit, la mise en œuvre de la décision définitive de retour des enfants pendant toute la durée de la procédure devant le Sąd Najwyższy (Cour suprême).

41.      La juridiction de renvoi doute qu’un tel résultat soit compatible avec la convention de La Haye de 1980 et avec les règlements Bruxelles II bis et Bruxelles II ter, ainsi qu’avec le droit à un recours effectif garanti à l’article 47 de la Charte. Je suis du même avis, comme je l’expliquerai en détail dans les paragraphes qui suivent (section B). Avant cela, je me pencherai brièvement sur sa recevabilité (section A).

A.      Sur la recevabilité

42.      Dans leurs observations respectives, le procureur général et la mère excipent de l’irrecevabilité de la question posée par la juridiction de renvoi, arguant de son caractère hypothétique. À cet égard, ils font valoir qu’aucun « litige » ou « procédure » ne serait actuellement pendant devant cette juridiction, dans le cadre de laquelle elle serait appelée à « rendre [un] jugement », au sens de l’article 267 TFUE, susceptible de prendre en considération une éventuelle décision préjudicielle de la Cour (15).

43.      Pour ma part, j’estime, à l’instar du père et de la Commission, que la question posée est bel et bien recevable et que cette exception doit, donc, être rejetée.

44.      À cet égard, j’observerais, en premier lieu, que cette question est liée à une procédure judiciaire de retour qui s’est déroulée, notamment, devant la juridiction de renvoi. Certes, comme le souligne la mère, cette juridiction a formulé ladite question après avoir rendu son ordonnance du 21 septembre 2022 (16), clôturant définitivement cette procédure au fond. Toutefois, les interrogations de ladite juridiction se rapportent non pas au fond de la demande de retour, mais au caractère exécutoire de la décision y faisant droit, sur lequel cette même juridiction doit encore se prononcer, compte tenu, d’une part, de la demande du père visant à ce qu’elle certifie ce caractère exécutoire (17) et, d’autre part, des demandes du procureur général et du médiateur des droits des enfant tendant, à l’inverse, à la suspension de l’exécution.

45.      Or, je rappelle que la Cour interprète de manière large les termes « rendre son jugement », utilisés à l’article 267 TFUE (18). Si la certification judiciaire du caractère exécutoire d’une décision de retour n’intervient nécessairement qu’après que cette décision a été « rendue », il demeure que, comme l’a expliqué le père, en droit polonais, cette formalité est indispensable pour pouvoir en demander, par la suite, la mise à exécution aux autorités compétentes. Cette certification apparaît donc, d’un point de vue fonctionnel, comme la phase ultime de la procédure judiciaire antérieure, nécessaire pour assurer l’efficacité pratique de la décision de retour (19).

46.      J’observerais, en second lieu, que, même si l’on devait considérer la certification du caractère exécutoire de la décision de retour de manière isolée, il ne fait aucun doute que la juridiction de renvoi est appelée, dans ce cadre, à « rendre un jugement » au sens de l’article 267 TFUE. À cet égard, le père a expliqué, lors de l’audience, sans être contredit, que cette certification – pour laquelle cette juridiction est compétente, comme l’ont admis tant la mère que le procureur général lors de l’audience (20) – est, en soi, une procédure judiciaire, prévue par le droit polonais. La « mention » du caractère exécutoire prend la forme d’une ordonnance dédiée, prononcée par ladite juridiction, annexée à l’ordonnance de retour, et enjoignant aux autorités compétentes d’exécuter cette dernière (21). De surcroît, comme le fait valoir le père, chacun concevra aisément – sauf à faire preuve d’un excès de formalisme – que la contradiction évidente entre les demandes présentées, d’une part, par le père et, d’autre part, par le procureur général et le médiateur des droits des enfants, reflète l’existence, entre ces parties, d’un « litige » entourant cette problématique, que la juridiction de renvoi doit « trancher » dans le cadre de cette procédure.

47.      Est sans pertinence, à cet égard, l’argument du procureur général selon lequel ces différentes demandes n’appelleraient aucun examen de la part de la juridiction de renvoi, au motif que, conformément à l’article 3881 du code de procédure civile, la suspension interviendrait de plein droit, en entraînant le rejet automatique de la demande du père. En effet, je rappelle que la question posée par cette juridiction porte, en substance, précisément sur le point de savoir s’il est compatible avec le droit de l’Union qu’une telle suspension puisse être obtenue de plein droit en cas de demande, sans que la nécessité et la proportionnalité de cette mesure donnent lieu à un contrôle juridictionnel. Cet argument relève donc du fond de cette question et ne saurait, pour ce motif, conduire à son irrecevabilité (22).

48.      Dans ce contexte, une réponse de la Cour à ladite question non seulement pourra être prise en compte par la juridiction de renvoi dans la procédure au principal, mais apparaît même, comme le fait valoir le père, « nécessaire » pour que celle-ci puisse trancher le litige entourant le caractère exécutoire de la décision de retour. En effet, à supposer que la Cour réponde que le droit de l’Union s’oppose à une disposition telle que l’article 3881 du code de procédure civile, cette juridiction devra tenir les demandes de suspension comme non avenues et faire droit à la demande du père. Dans l’hypothèse inverse, elle devra constater la suspension de l’exécution de cette décision et rejeter cette dernière demande.

49.      Cela étant précisé, le procureur général fait encore valoir que la question préjudicielle est irrecevable dans la mesure où elle porte sur l’interprétation du règlement Bruxelles II ter, alors que ce règlement n’est pas applicable aux faits de l’affaire au principal.

50.      Certes, seul le règlement Bruxelles II bis est applicable ratione temporis à cette affaire (23) – ce dont, du reste, la juridiction de renvoi est consciente. La Cour ne peut donc pas, compte tenu de la logique inhérente à la procédure préjudicielle, se prononcer directement, dans la présente affaire, sur l’interprétation du règlement Bruxelles II ter. Toutefois, ce problème appelle simplement une reformulation de la question préjudicielle, afin de la circonscrire au premier instrument. Cela étant, dans l’analyse de cette question, le règlement Bruxelles II ter pourra être pris en compte, en tant qu’élément de contexte (24).

B.      Sur le fond

51.      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, d’une part, l’article 11, paragraphe 3, du règlement Bruxelles II bis, lu en combinaison avec les articles 2 et 11 de la convention de La Haye de 1980, ainsi que, d’autre part, les articles 7 et 47 de la Charte s’opposent à une législation nationale, telle que l’article 3881 du code de procédure civile, emportant suspension de plein droit, sur simple demande non motivée de certaines entités publiques habilitées, de l’exécution d’une décision définitive de retour, prononcée à l’issue de deux instances ordinaires, pendant une première période de deux mois visant à permettre à ces entités de former un recours en cassation et, le cas échéant, pendant toute la durée de ce recours.

52.      Comme n’ont pas manqué de le souligner la mère, le procureur général et le gouvernement polonais, la convention de la Haye de 1980 et le règlement Bruxelles II bis n’unifient pas les règles de procédure applicables aux demandes de retour fondées sur cette convention. Ces instruments ne contiennent notamment pas de dispositions relatives aux éventuels recours possibles contre une décision de retour rendue par une juridiction de l’État membre requis, au moment à partir duquel une telle décision devient exécutoire, ou encore à l’effet suspensif d’un tel recours sur l’exécution de cette décision. Toutes ces questions sont laissées au droit procédural de l’État membre requis.

53.      L’établissement de ces règles de procédure relève, ainsi, de la compétence de chaque État membre. Néanmoins, il découle de ces instruments, ainsi que des traités, de la Charte et de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), certaines obligations, détaillées dans les sections qui suivent, que ces États doivent respecter lorsqu’ils exercent cette compétence (25) – laquelle n’est donc pas illimitée, mais, au contraire, encadrée.

54.      Or, à l’instar du père, des gouvernements belge, français et néerlandais, ainsi que de la Commission, j’estime que, en adoptant l’article 3881 du code de procédure civile, le législateur polonais a, précisément, outrepassé les limites de sa compétence. En effet, par cette disposition, ce législateur a privé d’efficacité la procédure de retour (section 1). Ce faisant, il a également limité le droit fondamental au respect de la vie familiale et le droit fondamental à un recours effectif du père (section 2), sans qu’une telle limitation, et les conséquences négatives qu’elle emporte, soit justifiée (section 3).

1.      Sur l’efficacité de la procédure de retour

55.      Comme cela est évoqué plus haut, la procédure de retour, telle que prévue dans la convention de La Haye de 1980 et complétée par le règlement Bruxelles II bis, poursuit, en cas d’enlèvement d’enfant, un objectif simple : garantir le retour « immédiat » (26) – ou, autrement dit, « sans délai » (27) – de celui-ci dans l’État de sa résidence habituelle.

56.      En effet, le temps est, dans ce domaine, un facteur crucial. En règle générale, plus il est mis fin rapidement au trouble généré par le changement d’environnement, moins il sera traumatisant pour l’enfant. À l’inverse, plus l’enfant aura eu le temps de s’intégrer dans son nouveau milieu, plus un retour dans son État d’origine serait difficile pour celui-ci (28). La relation de l’enfant avec le parent délaissé en dépend également. L’intensité de cette relation s’amenuise au fil des mois passés sans contact. S’ajoute à ces considérations le fait que, plus l’enfant concerné est jeune, plus sa structure intellectuelle et psychologique évolue rapidement, et plus le passage du temps est susceptible de l’affecter et de nuire à cette relation (29).

57.      L’objectif du retour « immédiat » ou « sans délai » de l’enfant implique, bien évidemment, un impératif de célérité, souligné dans différentes dispositions de la convention de La Haye de 1980 et du règlement Bruxelles II bis. En particulier, l’article 2, deuxième phrase, de cette convention oblige les autorités des États membres à recourir, pour le traitement d’une demande de retour, à leurs « procédures d’urgence », et son article 11, premier alinéa, leur impose de « procéder d’urgence en vue du retour de l’enfant ». L’article 11, paragraphe 3, premier alinéa, dudit règlement reprend, en substance, les mêmes obligations, en imposant aux juridictions de ces États, lorsqu’elles sont saisies d’une demande de retour, d’« [agir] rapidement dans le cadre de la procédure relative à la demande, en utilisant les procédures les plus rapides prévues par le droit national ».

58.      Cet impératif de célérité trouve, par ailleurs, une expression concrète à l’article 11, second alinéa, de la convention de La Haye de 1980, dont il ressort que les autorités nationales doivent, idéalement (30), statuer sur une demande de retour dans un délai de six semaines à partir de leur saisine. De surcroît, comme le souligne la Commission, le législateur de l’Union a rendu ce délai obligatoire pour les enlèvements d’enfants intra-Union. En effet, conformément à l’article 11, paragraphe 3, second alinéa, du règlement Bruxelles II bis, une juridiction saisie d’une telle demande doit « [rendre] sa décision, sauf si cela s’avère impossible en raison de circonstances exceptionnelles, six semaines au plus tard après sa saisine ».

59.      En outre, s’il est vrai que, comme le font valoir le procureur général et le gouvernement polonais, ces différentes obligations concernent l’adoption d’une décision de retour, et non pas l’exécution d’une telle décision, un même impératif d’efficacité et de célérité s’impose aux autorités nationales à cet égard. En effet, si une décision de retour prononcée avec toute la rapidité requise pouvait ensuite rester lettre morte, ou n’être exécutée que tardivement par ces autorités, les obligations en question seraient privées de tout effet utile (31).

60.      Dans ce contexte, les législateurs des États membres doivent, en vertu de l’article 2 de la convention de La Haye de 1980 (32) et du principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE (33), prévoir un cadre réglementaire propre à assurer la célérité et l’efficacité de la procédure de retour et, ainsi, à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit, en permettant aux autorités requises de traiter les demandes de retour, et d’exécuter les décisions correspondantes, avec toute la rapidité requise.

61.      Or, à l’instar du père, des gouvernements belge, français et néerlandais ainsi que de la Commission, j’estime que, en adoptant l’article 3881 du code de procédure civile, le législateur polonais a fait précisément le contraire.

62.      À cet égard, je rappelle que, en droit polonais, une demande de retour peut donner lieu à deux instances ordinaires, un éventuel appel contre la décision rendue en première instance ayant un effet suspensif. Dans ce contexte, il était, certes, loisible au législateur polonais de prévoir, en outre, la possibilité d’un recours en cassation – une telle possibilité existant d’ailleurs dans d’autres États membres. Néanmoins, en assortissant ce recours extraordinaire d’un mécanisme de suspension de plein droit de l’exécution de la décision définitive attaquée, tel que celui prévu audit article 3881, tout en ne prenant pas de mesures suffisantes pour assurer le caractère expéditif dudit recours, ce législateur a compromis, au niveau systémique (34), la célérité et l’efficacité de la procédure de retour.

63.      En premier lieu, je rappelle que, dès que l’une des entités publiques  habilitées à former un pourvoi en cassation – procureur général, médiateur des droits des enfants ou médiateur – a introduit une demande sur le fondement de ce même article 3881, elle dispose, de plein droit, d’un premier délai suspensif de deux mois, calculé à partir du jour du prononcé de la décision définitive, pour former, si elle le souhaite, un tel pourvoi (35). Si ce délai semble être, comme l’ont fait valoir la mère, le procureur général, le médiateur des droits des enfants et le gouvernement polonais, plus court que celui généralement prévu, en droit polonais, pour former un tel pourvoi – qui, apparemment, est de six mois – sa longueur n’en reste pas moins frappante dans le contexte d’une procédure de retour. À titre indicatif, ledit délai – qui, je le répète, est alloué à l’éventuelle préparation d’un pourvoi – est supérieur aux six semaines normalement imposées aux juridictions pour statuer sur une demande de retour.

64.      De surcroît, je rappelle que, dans l’hypothèse où un pourvoi en cassation est formé dans ce même délai, l’effet suspensif est alors prolongé jusqu’à l’issue de la procédure devant le Sąd Najwyższy (Cour suprême). Or, comme l’a admis le gouvernement polonais lors de l’audience, aucun délai n’est prévu, dans le droit national, pour l’examen d’un tel pourvoi. Ce gouvernement a également indiqué, à cette occasion, que les procédures devant cette juridiction durent, en moyenne, onze mois, soit une durée dépassant très largement le délai de six semaines prévu à l’article 11, second alinéa, de la convention de La Haye de 1980 et à l’article 11, paragraphe 3, du règlement Bruxelles II bis (36). En outre, ladite juridiction ne semble pas disposer, dans ses règles internes, d’outils, tels que la procédure préjudicielle d’urgence utilisée par la Cour dans la présente affaire, l’obligeant à statuer de manière expéditive sur un tel pourvoi (37).

65.      En deuxième lieu, contrairement à ce que laissent entendre la mère, le procureur général et le gouvernement polonais, le mécanisme litigieux est susceptible d’impacter non pas quelques affaires de retour soumises aux juridictions polonaises, mais bon nombre d’entre elles.

66.      À cet égard, si le pourvoi en cassation est limité, en Pologne, aux questions de droit, j’observe néanmoins que cela inclut la prétendue « mauvaise application du droit » (38) par la juridiction d’appel, y compris la mauvaise application des motifs légaux de non-retour, prévus à l’article 13 de la convention de La Haye de 1980. Or, ces motifs étant fréquemment invoqués par le parent ravisseur pour s’opposer au retour de l’enfant et devant, le cas échéant, être examinés par cette juridiction, autant dire que la quasi-totalité des décisions de retour pourrait se prêter à un tel recours. Le procureur général a d’ailleurs indiqué, lors de l’audience, avoir précisément soulevé ce moyen dans son pourvoi dans l’affaire au principal (39).

67.      En outre, le fait, pour le législateur polonais, d’avoir limité le cercle des personnes habilitées à former pareil pourvoi en cassation au procureur général, au médiateur et au médiateur des droits des enfants évite, certes, que des pourvois abusifs soient formés par le parent ravisseur, dans un but purement dilatoire, afin de mettre en échec l’efficacité des dispositions de la convention de La Haye de 1980 et du règlement Bruxelles II bis (40). Toutefois, il demeure que, d’une part, le nombre de ces entités augmente les chances d’introduction d’un tel pourvoi et que, d’autre part, ces dernières pourraient elles-mêmes utiliser, le cas échéant sur pétition du parent en question, de manière abusive cette procédure – aspect sur lequel je reviendrai (41).

68.      Sur ce dernier point, la mère, le procureur général et le gouvernement polonais ont répliqué que, en pratique, le nombre de pourvois en cassation formés par les entités habilitées dans les affaires d’enlèvement international d’enfants serait faible. Cependant, à supposer même que ce soit le cas, il demeure que la seule possibilité d’un tel pourvoi suspensif est de nature à soulever des doutes sérieux quant à la capacité des autorités polonaises, en cas d’enlèvement d’enfant vers cet État membre, à assurer le prompt retour de l’enfant (42).

69.      En troisième lieu, comme le souligne la juridiction de renvoi, la contradiction d’un tel mécanisme de suspension automatique avec l’esprit des règles de la convention de La Haye de 1980 et du règlement Bruxelles II bis est d’autant plus flagrante que ce mécanisme a été prévu uniquement pour les demandes de retour fondées sur cette convention. Ainsi, plutôt que d’avoir prévu, pour le traitement de ces demandes, l’application des « procédures les plus rapides prévues par le droit national », comme l’exige l’article 11, paragraphe 3, premier alinéa, de ce règlement, le législateur polonais semble, au contraire, leur avoir réservé l’une des procédures les plus lentes figurant dans ce droit.

70.      En dernier lieu, un autre aspect, moins discuté devant la Cour, mérite tout de même d’être mentionné. Il ressort de la décision de renvoi que, à l’issue de la procédure en cassation, les entités publiques en question disposent encore, en cas de confirmation de la décision de retour, d’un autre recours contre une telle décision, à savoir l’introduction d’un « pourvoi extraordinaire », prévu à l’article 89 de l’Ustawa z dnia 8 grudnia 2017 r. o Sądzie Najwyższym (loi du 8 décembre 2017 sur la Cour suprême) (43), soumis à l’examen de l’Izba Kontroli Nadzwyczajnej i Spraw Publicznych Sądu Najwyższego (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême). Un tel pourvoi peut être formé dans un délai d’un an à compter de la date du rejet du pourvoi en cassation et, là encore, a un effet suspensif (44).

71.      Certes, comme l’ont fait valoir le procureur général et le gouvernement polonais, l’introduction d’un tel « pourvoi extraordinaire » est encore hypothétique au stade où se trouve l’affaire au principal. Par ailleurs, selon ces derniers, pareil « pourvoi » ne pourrait porter que sur des moyens limités (45), différents de ceux déjà examinés dans le cadre du pourvoi en cassation, et cette voie de recours n’aurait, jusqu’à présent, jamais été utilisée dans les affaires d’enlèvement d’enfants. Cela étant, selon moi, la seule existence de ce recours additionnel confirme, dans une perspective globale du système procédural national, l’impact qu’une disposition telle que l’article 3881 du code de procédure civile est de nature à avoir sur la célérité et l’efficacité de la procédure de retour.

2.      Sur les droits du père au respect de sa vie familiale et à un recours effectif

72.      À mes yeux, une disposition telle que l’article 3881 du code de procédure civile limite, en outre, gravement le droit fondamental d’un parent, comme le père en l’occurrence, au respect de sa vie familiale, ainsi que son droit à un recours effectif, garantis, l’un, à l’article 7 de la Charte et, l’autre, à l’article 47 de cet instrument (46). Je précise que, dès lors que ces droits correspondent à ceux prévus, respectivement, aux articles 8 et 6 de la CEDH, ils doivent être interprétés à la lumière de la jurisprudence pertinente de la Cour EDH (47).

73.      À cet égard, il ressort de cette jurisprudence que le droit, pour un parent, en cas d’enlèvement international d’enfant, d’en demander le retour relève du droit au respect de sa vie familiale. (48). Dans ce cadre, la Cour EDH a itérativement jugé que les États membres ont, en la matière, des obligations positives au titre de l’article 8 de la CEDH, obligations que cette juridiction interprète à la lumière de la convention de La Haye de 1980. Il leur appartient notamment de se doter des moyens adéquats et efficaces, y compris d’un cadre réglementaire adapté, pour faire respecter le droit du parent délaissé au retour de l’enfant. Selon ladite juridiction, l’adéquation de ces moyens se juge à leur rapidité, compte tenu des conséquences que le passage du temps peut avoir dans ce domaine (49).

74.      Ainsi, les États membres ont, d’une part, l’obligation, au titre de l’article 8 de la CEDH, de prévoir un cadre réglementaire garantissant qu’il soit statué sur les demandes de retour dans un « délai raisonnable », toute instance confondue, une « diligence exceptionnelle » étant exigée des autorités nationales en matière d’enlèvement international d’enfant. Cette obligation s’impose à ces autorités également au titre du droit à un procès équitable prévu à l’article 6 de cette convention (50).

75.      Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour EDH que le fait, pour un État membre, de permettre de nombreux appels, pourvois en cassation et autres « pourvois extraordinaires » contre les décisions de retour, le cas échéant avec effet suspensif, constitue, à cet égard, une défaillance systémique, dès lors que ces multiples recours sont de nature à prolonger de manière déraisonnable l’examen de toute demande de retour – voire de friser le déni de justice (51).

76.      D’autre part, les États membres sont également tenus au titre des articles 6 et 8 de la CEDH, en cas de décision définitive de retour, de prendre toutes les mesures adéquates et nécessaires pour en faciliter l’exécution (52). Or, comme le font valoir le père et la Commission, le droit au respect à la vie familiale et le droit au recours effectif du parent délaissé deviendraient, au contraire, illusoires si certaines autorités publiques pouvaient, sans avoir à fournir d’explication, ni même avoir, finalement, à former un pourvoi en cassation, faire suspendre de plein droit l’exécution d’une telle décision, avec pour conséquence qu’elle reste inopérante, au détriment dudit parent, pendant une durée significative (53).

3.      Sur l’absence de justification d’un tel mécanisme

77.      Cela étant, la mère, le procureur général, le médiateur des droits des enfants et le gouvernement polonais avancent qu’un mécanisme tel que celui prévu à l’article 3881 du code de procédure civile a pour objectif de – et serait nécessaire pour – garantir, conformément à l’article 47 de la Charte, une protection juridictionnelle effective à l’enfant, dont l’intérêt supérieur, protégé notamment à l’article 24 de celle-ci, constituerait une considération primordiale pour l’interprétation et l’application de la convention de La Haye de 1980 et du règlement Bruxelles II bis (54).

78.      Tout en reconnaissant que ces derniers instruments ont été élaborés précisément dans l’objectif de répondre à l’intérêt supérieur de l’enfant déplacé et qu’il est, en règle générale, dans son meilleur intérêt de retourner dans les plus brefs délais dans l’État de sa résidence habituelle (55), ces parties et intéressés soulignent que tel n’est pas toujours le cas. En particulier, lorsque le parent ravisseur allègue – comme la mère en l’occurrence – qu’il existe un « risque grave » que le retour expose l’enfant à un danger physique ou psychique, ou le place de toute autre manière dans une situation intolérable, au sens de l’article 13, premier alinéa, sous b), de la convention de La Haye de 1980, ces allégations devraient, puisqu’elles touchent au bien-être et à la dignité de ce dernier, donner lieu à un contrôle juridictionnel approfondi, comme l’exige la Cour EDH, et pouvoir, à cette fin, faire l’objet d’un pourvoi en cassation, le cas échéant au prix de la célérité de la procédure de retour.

79.      Dans ce cadre, la suspension de plein droit de l’exécution de la décision définitive de retour, telle que prévue à l’article 3881 du code de procédure civile, empêchant que l’enfant soit renvoyé de manière forcée dans son État d’origine avant qu’un tel pourvoi soit formé et, le cas échéant, examiné par le Sąd Najwyższy (Cour suprême), serait indispensable pour assurer l’utilité pratique du recours en cassation, ainsi que pour éviter que le « risque grave » allégué se concrétise et que l’enfant subisse, en conséquence, un préjudice irréparable.

80.      À l’instar du père, des gouvernements belge, français et néerlandais ainsi que de la Commission, je ne suis pas de cet avis. Si l’objectif affiché est louable, la mesure litigieuse va, selon moi, au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre et, en outre, n’est pas proportionnée.

81.      Certes, il ressort de la jurisprudence de la Cour EDH que, lorsque des allégations défendables de « risque grave », au sens de l’article 13, premier alinéa, sous b), de la convention de La Haye de 1980, sont avancées dans le cadre d’une procédure de retour, le respect dû à l’intérêt supérieur de l’enfant impose aux autorités judiciaires d’examiner dûment ces allégations, et ce afin de s’assurer, dans chaque cas, que le retour de l’enfant est bien dans son meilleur intérêt ou, à défaut, de mettre en œuvre le motif de non-retour prévu à cette disposition. De telles allégations doivent, ainsi, être « réellement prises en considération » par ces autorités – cet examen pouvant justifier, dans certains cas, un dépassement raisonnable du délai de six semaines qui leur est normalement imposé (56) – et donner lieu, de leur part, à des décisions « spécialement » et « suffisamment » motivées au vu des circonstances de chaque espèce (57).

82.      Néanmoins, on ne saurait en déduire, comme le font les partisans de l’article 3881 du code de procédure civile, que les mêmes allégations de « risque grave » pour l’enfant en cas de retour devraient impérativement pouvoir être réexaminées lors de plusieurs instances. En effet, la protection juridictionnelle de ce dernier contre un tel « risque » est, en principe, déjà assurée, au niveau exigé par le droit de l’Union et par la CEDH, par l’existence d’un recours devant une instance juridictionnelle (58).

83.      L’affaire au principal est, à mes yeux, illustrative à cet égard. Dans cette affaire, la protection juridictionnelle des enfants a déjà été assurée dans le cadre non pas d’une, comme imposé par les articles 24 et 47 de la Charte, mais de deux instances. Bien que les pourvois en cassation formés, sur pétition de la mère, par le procureur général et le médiateur des droits des enfants reposent, semble-t-il, sur la prétendue violation, par les juridictions inférieures, de l’article 13, premier alinéa, sous b), de la convention de La Haye de 1980, j’observe que ces juridictions n’ont pas ordonné le retour des enfants de façon automatique ou mécanique. Elles semblent, au contraire, avoir « réellement pris en considération » les allégations de la mère quant à l’existence d’un « risque grave » pour les enfants en cas de retour. En particulier, il est constant que la juridiction de première instance a conduit, à cet égard, une administration détaillée de la preuve – ce qui peut expliquer les sept mois qu’elle a pris pour statuer – en demandant notamment une expertise, dont elle a utilisé les conclusions pour exclure que le retour exposerait les enfants à un tel « risque »(59). Il est également constant que ces mêmes juridictions ont rendu des décisions présentant, sur ce point, une motivation détaillée et spécifique aux circonstances de l’espèce (60).

84.      Il résulte de ce qui précède, selon moi, que, même à l’égard d’allégations de « risque grave » pour l’enfant en cas de retour, au sens de l’article 13, premier alinéa, sous b), de la convention de La Haye de 1980, le respect dû à l’intérêt supérieur de l’enfant et le droit à une protection juridictionnelle de ce dernier, tels que protégés aux articles 24 et 47 de la Charte, n’imposaient pas au législateur polonais d’instaurer un recours en cassation contre les décisions de retour ni, a fortiori, de doter ce recours d’un effet suspensif de plein droit, sur simple demande non motivée (61). L’article 3881 du code de procédure civil va donc au-delà de ce qui est nécessaire à cet égard.

85.      Il est vrai que des situations exceptionnelles peuvent se présenter dans lesquelles une décision définitive de retour, adoptée à l’issue d’une, voire de deux, instance(s) juridictionnelle(s), exposerait l’enfant concerné, en cas d’exécution, à un danger physique ou psychique (etc.), tel qu’envisagé à l’article 13, premier alinéa, sous b), de la convention de La Haye de 1980. Cela pourrait arriver si un tel danger existait déjà lors de l’examen de la demande de retour, mais qu’il n’avait pas été porté à la connaissance de la ou des juridiction(s) impliquée(s) – par exemple parce que le parent ravisseur ne l’avait pas allégué – ou que, pour une raison inexpliquée, elle(s) avai(en)t ignoré pareille allégation, en violation flagrante des obligations procédurales découlant de la jurisprudence de la Cour EDH. Une telle situation pourrait également résulter d’un changement de circonstances survenu depuis l’adoption de la décision de retour, ayant généré un danger nouveau pour l’enfant (62).

86.      Pour de telles hypothèses, un mécanisme de suspension à l’exécution de la décision de retour, le cas échéant en attendant l’issue d’un recours destiné à obtenir l’effacement de cette décision de l’ordre juridique ou à en constater la caducité, est, à mon sens, indispensable pour protéger l’intérêt supérieur de l’enfant.

87.      Toutefois, le mécanisme prévu à l’article 3881 du code de procédure civile, quand bien même il serait destiné, comme le soutient le gouvernement polonais, à ces hypothèses exceptionnelles, n’est entouré, comme je l’ai déjà évoqué, d’aucune garantie de nature à assurer qu’il est utilisé, en pratique, uniquement dans pareils cas.

88.      Je rappelle, à cet égard, que la suspension à l’exécution d’une décision définitive de retour, sur le fondement de cette disposition, n’est soumise à aucune condition, autre que le dépôt formel d’une demande en ce sens par l’une des entités habilitées à former un pourvoi, et ne nécessite aucune motivation de leur part. Ainsi, ces entités ne sont pas tenues d’apporter le moindre élément tendant à indiquer que l’exécution de cette décision risquerait d’entraîner un danger physique ou psychique pour l’enfant, au sens de l’article 13, premier alinéa, sous b), de la convention de La Haye de 1980 (63). Un tel mécanisme ne permet donc aucun contrôle juridictionnel de nature à empêcher son usage erroné, voire abusif, par lesdites entités (64). Dans l’absolu, comme le fait valoir le père, rien n’empêche les trois entités publiques en question d’introduire automatiquement pareille demande en lien avec toute décision de retour rendue en appel. Ce mécanisme les incite même à le faire. Elles n’ont, en effet, rien à y perdre, alors qu’elles gagnent, à chaque fois, le luxe de pouvoir examiner tranquillement une telle décision.

89.      Un tel mécanisme n’est pas non plus proportionné stricto sensu. En effet, il ne concilie pas, de manière adéquate, les différents droits et intérêts en jeu. Le législateur polonais n’a pas maintenu un « juste équilibre » entre l’objectif de protéger l’enfant contre tout « risque grave » et la célérité et l’efficacité de la procédure de retour (65). Il a excessivement fait pencher la balance en faveur du premier objectif, quitte à inverser, en pratique, le principe (retour) et l’exception (non-retour).

90.      À cet égard, on ne saurait ignorer l’impact déterminant que la suspension d’une décision de retour pendant la durée d’un recours en cassation est susceptible d’avoir sur l’issue de la procédure de retour. En effet, comme je l’ai indiqué au point 56 des présentes conclusions, le temps est un facteur déterminant en la matière. Plus l’enfant s’intègre dans l’État où il a été déplacé, plus un retour dans son État d’origine serait difficile pour lui, et moins ce retour se justifie. Ainsi, quand bien même la décision en pourvoi serait finalement confirmée à l’issue de la procédure de cassation, il est probable qu’elle ne sera pas exécutée, dans l’intérêt supérieur de l’enfant à rester dans ce qui sera devenu, entre temps, son nouveau milieu. Ainsi, sous couvert de stabiliser la situation de ce dernier, comme le soutiennent les partisans de l’article 3881 du code de procédure civile, une suspension sur le fondement de cette disposition pourrait surtout servir à consolider la situation de fait découlant du déplacement ou du non-retour illicite, en renforçant la position du parent ravisseur (66).

91.      Le caractère disproportionné de cet article 3881 est d’autant plus remarquable qu’il existe, en droit polonais, une autre disposition permettant de protéger adéquatement l’enfant contre tout « risque grave » de danger physique ou psychique en cas de retour tout en mettant en balance tous les droits et intérêts en jeu. En effet, l’article 388 du code de procédure civile permet déjà aux entités habilitées à former un pourvoi en cassation contre une décision de retour d’en demander la suspension, lorsque l’exécution de cette décision serait susceptible de causer un préjudice irréparable à l’enfant. De manière cruciale, le contrôle juridictionnel effectué, en la matière, par le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie), garantit qu’une telle suspension puisse être obtenue uniquement lorsque l’intérêt supérieur de ce dernier l’exige véritablement.

92.      Dans ce contexte, l’argument de la mère, du procureur général et du médiateur des droits des enfants, selon lequel le législateur polonais aurait prévu un mécanisme de suspension automatique, sur simple demande des entités concernées, précisément au motif que le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie) rejetait la majorité des demandes de suspension présentées sur le fondement de l’article 388 du code de procédure civile est, à mes yeux, éminemment problématique. En effet, de deux choses l’une : soit le législateur polonais était pleinement conscient du fait que le nouvel article 3881 de ce code permettrait de mettre en échec des décisions de retour qui ne font pas réellement courir de « risque grave » à l’enfant en cas de retour – puisque, sinon, cette juridiction accepterait les demandes de suspension correspondantes – en méconnaissance des obligations imposées à la République de Pologne par le droit international et le droit de l’Union ; soit il a estimé qu’un membre de l’exécutif polonais et deux autorités administratives étaient mieux placés qu’une juridiction polonaise pour évaluer, dans chaque cas, l’existence d’un tel « risque », sans aucun contrôle. En toute hypothèse, un tel argument n’est pas recevable dans un État de droit.

4.      Conclusion intermédiaire

93.      Compte tenu des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre à la question posée en ce sens que, d’une part, l’article 11, paragraphe 3, du règlement Bruxelles II bis, lu en combinaison avec les articles 2 et 11 de la convention de La Haye de 1980, ainsi que, d’autre part, les articles 7 et 47 de la Charte s’opposent à une législation nationale emportant suspension de plein droit, sur simple demande non motivée de certaines entités publiques habilitées, de l’exécution d’une décision définitive de retour, prononcée à l’issue de deux instances ordinaires, pendant une première période de deux mois visant à permettre à ces entités de former un recours en cassation et, le cas échéant, pendant toute la durée de ce recours.

94.      Je précise encore – puisque la juridiction de renvoi interroge expressément la Cour sur ce point – que, à supposer que la Cour suive ma suggestion, cette juridiction devra, dans l’affaire au principal, assurer le plein effet des dispositions pertinentes du droit de l’Union en écartant, de sa propre autorité, l’application de l’article 3881 du code de procédure civile (67).

95.      En guise de post-scriptum, un dernier point doit être abordé. Comme je l’ai indiqué plus haut, depuis le 1er août 2022, le règlement Bruxelles II ter est applicable aux demandes de retour. Ce nouveau règlement a confirmé les solutions prévues dans le règlement Bruxelles II bis (68), tout en prévoyant des dispositions innovantes, visant à renforcer encore l’efficacité et la célérité de la procédure de retour. En particulier, l’article 27, paragraphe 6, du règlement Bruxelles II ter prévoit la possibilité de déclarer une décision de retour exécutoire par provision, nonobstant un éventuel recours, lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant le requiert. En outre, il ressort de son considérant 42 que les États membres « devraient envisager de limiter à un le nombre de recours possibles » contre une telle décision. Le fait que le législateur polonais ait, après l’entrée en vigueur de ce nouveau règlement, mais avant sa date d’entrée en application, adopté une disposition telle que l’article 3881 du code de procédure civile soulève, sous cet angle également, de sérieuses questions en matière de coopération loyale (69).

VI.    Conclusion

96.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre comme suit à la question posée par le Sąd Apelacyjny w Warszawie (cour d’appel de Varsovie, Pologne) :

D’une part, l’article 11, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) nº 1347/2000, lu en combinaison avec les articles 2 et 11 de la convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, conclue à La Haye le 25 octobre 1980, ainsi que, d’autre part, les articles 7 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils s’opposent à une législation nationale emportant suspension de plein droit, sur simple demande non motivée de certaines entités publiques habilitées, de l’exécution d’une décision définitive de retour, prononcée à l’issue de deux instances ordinaires, pendant une première période de deux mois visant à permettre à ces entités de former un recours en cassation et, le cas échéant, pendant toute la durée de ce recours.


1      Langue originale : le français.


2      Règlement du Conseil du 27 novembre 2003, abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000 (JO 2003, L 338, p. 1. Ce règlement a été remplacé par le règlement (UE) 2019/1111 du Conseil, du 25 juin 2019, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, ainsi qu’à l’enlèvement international d’enfants (JO 2019, L 178, p. 1, ci-après le « règlement Bruxelles II ter »). Néanmoins, le règlement Bruxelles II bis est applicable ratione temporis à l’affaire au principal (voir point 50 des présentes conclusions).


3      L’Union européenne elle-même n’est pas partie à cette convention, celle-ci n’autorisant pas l’adhésion d’organisations internationales.


4      Voir définitions analogues de la notion de « déplacement ou non-retour illicites d’un enfant » figurant à l’article 3 de la convention de La Haye de 1980 et à l’article 2, point 11, du règlement Bruxelles II bis. Voir également, en ce sens, article 11, paragraphe 1, de ce règlement.


5      Voir préambule de la convention de La Haye de 1980, considérants 12 et 33 du règlement Bruxelles II bis, ainsi que arrêts du 22 décembre 2010, Aguirre Zarraga (C‑491/10 PPU, EU:C:2010:828, point 44), et du 8 juin 2017, OL (C‑111/17 PPU, EU:C:2017:436, point 61).


6      Selon la jurisprudence de la Cour, la convention de La Haye de 1980 et les règlements Bruxelles II constituent un « ensemble normatif indivisible » [avis 1/13 (Adhésion d'États tiers à la convention de La Haye), du 14 octobre 2014 (EU:C:2014:2303 point 78)] applicable aux procédures de retour des enfants illicitement déplacés au sein de l’Union.


7      Voir article 5182, paragraphe 1, du code de procédure civile.


8      Voir point 45 des présentes conclusions.


9      Voir article 5191, paragraphe 21, du code de procédure civile.


10      Voir article 5191, paragraphe 2², du code de procédure civile.


11      Conformément à l’article 2, paragraphe 1, de la loi de 2022, cette modification législative s’applique immédiatement aux procédures de retour qui avaient été engagées et n’avaient pas encore été clôturées par une ordonnance définitive à cette date. Elle s’applique donc, dans l’affaire au principal, à la procédure introduite par le père en novembre 2021.


12      L’article 3882 du code de procédure civile précise que cette nouvelle base juridique pour une suspension ne remplace pas l’article 388, paragraphe 1, de ce code, mais s’ajoute à cette disposition. Il y a donc deux possibilités de demander la suspension de l’exécution d’une décision de retour, l’une, automatique et sans condition, mais ouverte uniquement aux entités habilitées à former un pourvoi en cassation dans les affaires de retour, et l’autre, soumise à la condition tenant au risque de préjudice irréparable et à l’appréciation de la juridiction, pouvant être demandée également par les parties à la procédure – généralement les parents.


13      Voir article 3881, paragraphe 2, du code de procédure civile.


14      Voir article 3881, paragraphe 3, du code de procédure civile.


15      Voir, pour cette exigence, notamment, arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798, point 84 et jurisprudence citée), ainsi que ordonnance du 5 mars 1986, Greis Unterweger (318/85, EU:C:1986:106, point 4).


16      Voir point 18 des présentes conclusions.


17      Voir point 21 des présentes conclusions.


18      Voir, notamment, arrêt du 21 novembre 2019, Procureur-Generaal bij de Hoge Raad der Nederlanden (C‑678/18, EU:C:2019:998, point 25 ainsi que jurisprudence citée).


19      Voir, mutatis mutandis, arrêts du 16 juin 2016, Pebros Servizi (C‑511/14, EU:C:2016:448, points 27 à 29) ; du 28 février 2019, Gradbeništvo Korana (C‑579/17, EU:C:2019:162, point 39), et du 4 septembre 2019, Salvoni (C‑347/18, EU:C:2019:661, point 30).


20      La procédure visant à la reconnaissance du caractère exécutoire de la procédure, qui relève, dans l’affaire au principal, de la compétence de la juridiction de renvoi, doit être distinguée de la procédure d’exécution (soit les mesures concrètes visant à mettre en œuvre le retour), relevant, semble-t-il, de celle d’une autre juridiction.


21      Voir Pawliczak, J., « Reformed Polish court proceedings for the return of a child under the 1980 Hague Convention in the light of the Brussels IIb Regulation », Journal of Private International Law, vol. 17, nº°3, p. 581. Du reste, l’article 267 TFUE se réfère au « jugement » à rendre par le juge national sans prévoir un régime particulier en fonction de la nature éventuellement déclaratoire de celui-ci [voir arrêt du 16 décembre 1981, Foglia (244/80, EU:C:1981:302, point 33)].


22      Voir, notamment, arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798, point 90).


23      Conformément à son article 100, paragraphe 1, le règlement Bruxelles II ter est applicable, notamment, aux actions judiciaires intentées après le 1er août 2022. En outre, conformément au paragraphe 2 de cet article, le règlement Bruxelles II bis continue de s’appliquer, en particulier, aux décisions rendues à la suite d’action intentées avant cette date et qui relèvent du champ d’application de ce dernier règlement. Or, je rappelle que le père a introduit la demande de retour des enfants le 18 novembre 2021 (voir point 15 des présentes conclusions).


24      Voir point 95 des présentes conclusions.


25      Voir, par analogie, arrêt du 6 octobre 2021, W.Ż. (Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême – Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798, point 75).


26      Voir préambule et article 1er, sous a), de la convention de La Haye de 1980.


27      Voir considérant 17 du règlement Bruxelles II bis.


28      Pour cette raison, l’article 12 de la convention de La Haye de 1980 prévoit que, lorsqu’une période de moins d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour de l’enfant au moment de l'introduction de la demande de retour, l’autorité doit ordonner son retour immédiat. En revanche, au-delà d’un an, le retour ne doit pas être ordonné si l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu.


29      Voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2008, Rinau (C‑195/08 PPU, EU:C:2008:406, point 81).


30      Dans la convention de La Haye de 1980, ce délai n’est pas obligatoire. En effet, la seule conséquence prévue à son article 11, second alinéa, en cas de dépassement, est que le demandeur ou l’Autorité centrale de l’État requis peut demander à l’autorité administrative ou judiciaire en question de s’expliquer sur son retard.


31      Voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2008, Rinau (C‑195/08 PPU, EU:C:2008:406, point 82).


32      Conformément à cette disposition, les États contractants – y compris leurs autorités législatives – doivent prendre « toutes mesures appropriées pour assurer [...] la réalisation des objectifs de la Convention ».


33      Selon une jurisprudence constante de la Cour, le principe de coopération loyale oblige les États membres – là encore, y compris leurs autorités législatives – à prendre toutes les mesures propres à garantir la portée et l’efficacité du droit de l’Union [voir, notamment, arrêt du 19 décembre 2019, Amoena (C‑677/18, EU:C:2019:1142, point 55 ainsi que jurisprudence citée)].


34      Je souligne qu’un tel problème d’ordre systémique est d’autant plus problématique qu’il est de nature à remettre en cause la confiance que les États membres doivent mutuellement s’accorder en ce qui concerne la mise en œuvre de la convention de La Haye de 1980 et du règlement Bruxelles II bis.


35      Je simplifie les choses pour les besoins de l’analyse. En réalité, le délai pour former un pourvoi en cassation est de quatre mois (voir article 5191, paragraphe 2², du code de procédure civile). Néanmoins, lorsqu’une demande de suspension a été présentée, cette suspension cesse de plein droit si un tel pourvoi n’est pas formé endéans deux mois (voir article 3881, paragraphe 2, de ce code).


36      Je tiens à souligner que, bien que ces deux dispositions ne l’indiquent pas expressément, il ne fait aucun doute que, lorsque les États membres prévoient plusieurs instances pour l’examen d’une demande de retour, ce délai de six semaines s’applique à chacune d’elles. En effet, si une juridiction de première instance s’astreignait à rendre une décision dans ce délai, mais que, ensuite, les juridictions d’appel ou de cassation pouvaient « pendre leur temps » pour la réexaminer, lesdites dispositions seraient privées d’effet utile. Voir, à cet égard, Cour EDH, 12 mars 2015, Adžić c. Croatie, CE:ECHR:2015:0312JUD002264314, § 97, et Cour EDH, 14 janvier 2020, Rinau c. Lituanie, CE:ECHR:2020:0114JUD001092609, § 194. Voir, également, HCCH, « Conclusions et Recommandations de la Quatrième réunion de la Commission spéciale sur le fonctionnement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (22-28 mars 2001) », points 3.3 et 3.4, disponible à l’adresse suivante : https://assets.hcch.net/upload/concl28sc4_f.pdf.


37      Le Sąd Najwyższy (Cour suprême) disposerait simplement d’un mécanisme de traitement prioritaire, qui permettrait seulement de faire passer une affaire avant les autres et qui, en outre, serait laissé à la discrétion du juge rapporteur en charge de l’affaire en question – l’application d’un tel traitement aux pourvois dans les affaires de retour n’étant donc pas assurée.


38      Voir article 3983, paragraphe 1, du code de procédure civile.


39      Voir, à cet égard, points 78 et 81 des présentes conclusions.


40      Voir arrêt du 11 juillet 2008, Rinau (C‑195/08 PPU, EU:C:2008:406, point 85).


41      Voir point 88 des présentes conclusions. À cet égard, le gouvernement polonais a indiqué, lors de l’audience, en réponse aux questions de la Cour, qu’il existe un mécanisme de filtrage des pourvois devant le Sąd Najwyższy (Cour suprême). Un examen préalable serait réalisé avant d’admettre un pourvoi, au cours duquel il serait vérifié, notamment, s’il soulève un problème juridique pertinent/important. Cela étant, à supposer même qu’un pourvoi dilatoire ne survive pas à cet examen liminaire, il demeurait que l’addition, premièrement, du délai pour former un pourvoi et, deuxièmement, du délai avant que le filtrage soit effectué et le pourvoi rejeté permettrait déjà de retarder de manière significative le retour de l’enfant.


42      Je renvoie, sur ce point, à mon observation figurant en note 34 des présentes conclusions.


43      Dz. U. de 2021, position 1904, telle que modifiée.


44      Voir article 3883 du code de procédure civile, introduit par la loi de 2022.


45      Cette voie de recours serait prévue, notamment, à l’égard des décisions définitives qui violent les principes ou les droits et libertés de l’homme et du citoyen définis dans la Constitution de la République de Pologne, ou qui violent de manière flagrante le droit, en cas d’impossibilité d’annuler ou de réformer la décision au moyen d’autres recours extraordinaires prévus par le droit national.


46      Je souligne que la Charte est applicable dans une situation telle que celle au principal. En effet, dès lors que l’enlèvement d’enfants implique deux États membres, le règlement Bruxelles II bis est applicable à la demande de retour. Il y a donc « mise en œuvre du droit de l’Union » au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.


47      Conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte.


48      Voir, notamment, Cour EDH, 3 juin 2014, López Guió c. Slovaquie, CE:ECHR:2014:0603JUD001028012, § 82.


49      Voir, notamment, Cour EDH, 7 mars 2013, Raw et autres c. France, CE:ECHR:2013:0307JUD001013111, §§ 78 et 79, ainsi que jurisprudence citée. Voir, également, point 56 des présentes conclusions.


50      Voir, notamment, Cour EDH, 13 janvier 2015, Hoholm c. Slovaquie, CE:ECHR:2015:0113JUD003563213, § 44, et Cour EDH, 14 janvier 2020, Rinau c. Lituanie, CE:ECHR:2020:0114JUD001092609, § 152.


51      Voir, notamment, Cour EDH, 3 juin 2014, López Guió c. Slovaquie, CE:ECHR:2014:0603JUD001028012, §§ 107 à 109 ; Cour EDH, 13 janvier 2015, Hoholm c. Slovaquie, CE:ECHR:2015:0113JUD003563213, §§ 49, 52 et 53. Voir, par analogie, arrêt du 11 juillet 2008, Rinau (C‑195/08 PPU, EU:C:2008:406, point 87). Par ailleurs, je renvoie, là encore, à mon observation figurant en note 34 des présentes conclusions.


52      Voir, notamment, Cour EDH, 7 mars 2013, Raw et autres c. France, CE:ECHR:2013:0307JUD001013111, § 84 ainsi que jurisprudence citée.


53      Voir, mutatis mutandis, arrêt du 19 décembre 2019, Deutsche Umwelthilfe (C‑752/18, EU:C:2019:1114, points 35 à 37, ainsi que jurisprudence citée), et Cour EDH, 6 septembre 2005, Săcăleanu c. Roumanie, CE:ECHR:2005:0906JUD007397001, § 5.


54      Voir, notamment, arrêt du 23 décembre 2009, Detiček (C‑403/09 PPU, EU:C:2009:810, point 34 ainsi que jurisprudence citée).


55      Voir point 29 des présentes conclusions.


56      Voir, notamment, Cour EDH, 14 janvier 2020, Rinau c. Lituanie, CE:ECHR:2020:0114JUD001092609, § 194. Cela étant, comme l’ont fait valoir le gouvernement belge et la Commission, ce délai de six semaines assure, théoriquement, une mise en balance équilibrée entre l’impératif de célérité et la nécessité d’opérer un examen concret des circonstances de chaque affaire, ce qui justifie qu’il soit généralement suivi par les juridictions. Cela étant, l’impossibilité, pour une telle juridiction, dans un cas particulier, de satisfaire aux exigences de la CEDH dans ledit délai relève, selon moi, des « circonstances exceptionnelles » visées à l’article 11, paragraphe 3, second alinéa, du règlement Bruxelles II bis.


57      Voir, notamment, Cour EDH, 26 novembre 2013, X c. Lettonie, CE:ECHR:2013:1126JUD002785309, §§ 106 et 107.


58      Voir, sur le fait que le droit fondamental à un recours effectif n’impose pas, de manière générale, l’existence de plusieurs degrés de juridiction, notamment, arrêt du 26 septembre 2018, Belastingdienst/Toeslagen (Effet suspensif de l’appel) (C‑175/17, EU:C:2018:776, point 34 et jurisprudence citée), et Cour EDH, 5 avril 2018, Zubac c. Croatie, CE:ECHR:2018:0405JUD004016012, § 82.


59      Voir Cour EDH, 26 novembre 2013, X c. Lettonie, CE:ECHR:2013:1126JUD002785309, §§ 112 à 114, ainsi que Cour EDH, 14 janvier 2020, Rinau c. Lituanie, CE:ECHR:2020:0114JUD001092609, §§ 190 à 195.


60      Voir, notamment, Cour EDH, 26 novembre 2013, X c. Lettonie, CE:ECHR:2013:1126JUD002785309, § 107.


61      Voir, par analogie, arrêt du 26 septembre 2018, Belastingdienst/Toeslagen (Effet suspensif de l’appel) (C‑175/17, EU:C:2018:776, point 36 et jurisprudence citée).


62      L’exemple typique à cet égard étant le décès du parent qui devait prendre en charge l’enfant dans l’État membre d’origine, ou encore la survenance d’un conflit armé dans cet État.


63      L’argument du gouvernement polonais selon lequel une motivation n’est pas exigée afin de permettre aux entités de réagir et de déposer une demande de suspension le plus rapidement possible, compte tenu du fait qu’elles n’ont souvent pas connaissance en détail des circonstances des affaires de retour, n’étant pas parties aux procédures de retour, peine à me convaincre. En effet, il est constant que, à tout le moins, le procureur général et le médiateur des droits des enfants peuvent intervenir dans ces procédures, et ce dès la première instance. En outre, cet argument tend précisément à souligner que le mécanisme de l’article 3881 du code de procédure civile peut être utilisé par les entités en question avant même d’avoir pris connaissance des circonstances d’une affaire et, partant, d’avoir examiné si une suspension se justifie.


64      Si, comme l’a fait valoir le gouvernement polonais, les entités en question sont réputées agir dans l’intérêt de la loi et de l’enfant, je rappelle que l’une d’entre elles – le procureur général – fait partie de l’exécutif polonais. À cet égard, le risque que cet exécutif s’immisce dans certaines procédures de recours en cours, particulièrement médiatisées, à d’autres fins que le strict intérêt de la loi, ne saurait être ignoré. Voir, à cet égard, Cour EDH, 14 janvier 2020, Rinau c. Lituanie, CE:ECHR:2020:0114JUD001092609, §§ 195 à 223.


65      Voir, en ce sens, Cour EDH, 13 janvier 2015, Hoholm c. Slovaquie, CE:ECHR:2015:0113JUD003563213, §§ 45 à 47.


66      Voir, par analogie, arrêt du 23 décembre 2009, Detiček (C‑403/09 PPU, EU:C:2009:810, point 49).


67      Voir, notamment, arrêt du 27 novembre 2007, C (C‑435/06, EU:C:2007:714, point 57 ainsi que jurisprudence citée).


68      En particulier, l’article 24 du règlement Bruxelles II ter prévoit toujours un délai de six semaines pour l’examen des demandes de retour, tout en confirmant expressément qu’il s’applique à chaque éventuelle instance.


69      Voir, mutatis mutandis, arrêt du 18 décembre 1997, Inter-Environnement Wallonie (C‑129/96, EU:C:1997:628, point 45).