Language of document : ECLI:EU:T:2005:331

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

21 septembre 2005 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives à l’encontre de personnes et d’entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban – Compétence de la Communauté – Gel des fonds – Droits fondamentaux – Jus cogens – Contrôle juridictionnel – Recours en annulation »

Dans l’affaire T-306/01,

Ahmed Ali Yusuf, demeurant à Spånga (Suède),

Al Barakaat International Foundation, établie à Spånga,

représentés par Mes L. Silbersky et T. Olsson, avocats,

parties requérantes,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. M. Vitsentzatos, Mmes I. Rådestad, E. Karlsson et M. M. Bishop, en qualité d’agents,

et

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. A. Van Solinge, J. Enegren et C. Brown, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties défenderesses,

soutenus par

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté initialement par M. J. Collins, puis par Mme R. Caudwell, en qualité d’agents, cette dernière assistée de Mme S. Moore, barrister, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

ayant pour objet, initialement, une demande d’annulation, d’une part, du règlement (CE) n° 467/2001 du Conseil, du 6 mars 2001, interdisant l’exportation de certaines marchandises et de certains services vers l’Afghanistan, renforçant l’interdiction des vols et étendant le gel des fonds et autres ressources financières décidés à l’encontre des Taliban d’Afghanistan, et abrogeant le règlement (CE) n° 337/2000 (JO L 67, p. 1), et, d’autre part, du règlement (CE) n° 2199/2001 de la Commission, du 12 novembre 2001, modifiant, pour la quatrième fois, le règlement n° 467/2001 (JO L 295, p. 16), puis, une demande d’annulation du règlement (CE) n° 881/2002 du Conseil, du 27 mai 2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban et abrogeant le règlement n° 467/2001 (JO L 139, p. 9),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),

composé de MM. N. J. Forwood, président, J. Pirrung, P. Mengozzi, A. W. H. Meij et M. Vilaras, juges,

greffier : M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 octobre 2003,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1       Aux termes de l’article 24, paragraphe 1, de la charte des Nations unies, signée à San Francisco (États-Unis) le 26 juin 1945, les membres de l’Organisation des Nations unies (ONU) « confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu’en s’acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil de sécurité agit en leur nom ».

2       Aux termes de l’article 25 de la charte des Nations unies, « [l]es membres de l’[ONU] conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente charte ».

3       En vertu de l’article 48, paragraphe 2, de la charte des Nations unies, les décisions du Conseil de sécurité pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales « sont exécutées par les membres des Nations unies directement et grâce à leur action dans les organismes internationaux appropriés dont ils font partie ».

4       Selon l’article 103 de la charte des Nations unies, « [e]n cas de conflit entre les obligations des membres des Nations unies en vertu de la présente charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront ».

5       Aux termes de l’article 11, paragraphe 1, UE :

« L’Union définit et met en œuvre une politique étrangère et de sécurité commune couvrant tous les domaines de la politique étrangère et de sécurité, dont les objectifs sont :

–       la sauvegarde des valeurs communes, des intérêts fondamentaux, de l’indépendance et de l’intégrité de l’Union, conformément aux principes de la charte des Nations unies ;

–       le renforcement de la sécurité de l’Union sous toutes ses formes ;

–       le maintien de la paix et de la sécurité internationales, conformément aux principes de la charte des Nations unies […] »

6       Aux termes de l’article 301 CE :

« Lorsqu’une position commune ou une action commune adoptées en vertu des dispositions du traité sur l’Union européenne relatives à la politique étrangère et de sécurité commune prévoient une action de la Communauté visant à interrompre ou à réduire, en tout ou en partie, les relations économiques avec un ou plusieurs pays tiers, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, prend les mesures urgentes nécessaires. »

7       L’article 60, paragraphe 1, CE dispose :

« Si, dans les cas envisagés à l’article 301, une action de la Communauté est jugée nécessaire, le Conseil, conformément à la procédure prévue à l’article 301, peut prendre, à l’égard des pays tiers concernés, les mesures urgentes et nécessaires en ce qui concerne les mouvements de capitaux et les paiements. »

8       Aux termes de l’article 307, premier alinéa, CE :

« Les droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement au 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents, antérieurement à la date de leur adhésion, entre un ou plusieurs États membres, d’une part, et un ou plusieurs États tiers, d’autre part, ne sont pas affectés par les dispositions du présent traité. »

9       Enfin, l’article 308 CE dispose :

« Si une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l’un des objets de la Communauté, sans que le présent traité ait prévu les pouvoirs d’action requis à cet effet, le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, prend les dispositions appropriées. »

 Antécédents du litige

10     Le 15 octobre 1999, le Conseil de sécurité des Nations unies (ci-après le « Conseil de sécurité ») a adopté la résolution 1267 (1999), par laquelle il a, notamment, condamné le fait que des terroristes continuent d’être accueillis et entraînés et que des actes de terrorisme soient préparés en territoire afghan, réaffirmé sa conviction que la répression du terrorisme international est essentielle pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales et déploré que les Taliban continuent de donner refuge à Usama bin Laden (Oussama ben Laden dans la plupart des versions françaises des documents adoptés par les institutions communautaires) et de lui permettre, ainsi qu’à ses associés, de diriger un réseau de camps d’entraînement de terroristes à partir du territoire tenu par eux et de se servir de l’Afghanistan comme base pour mener des opérations terroristes internationales. Au paragraphe 2 de cette résolution, le Conseil de sécurité a exigé que les Taliban remettent sans plus tarder le nommé Oussama ben Laden aux autorités compétentes. Afin d’assurer le respect de cette obligation, le paragraphe 4, sous b), de la résolution 1267 (1999) dispose que tous les États devront, notamment, « [g]eler les fonds et autres ressources financières, tirés notamment de biens appartenant aux Taliban ou contrôlés directement ou indirectement par eux, ou appartenant à, ou contrôlés par, toute entreprise appartenant aux Taliban ou contrôlée par les Taliban, tels qu’identifiés par le comité créé en application du paragraphe 6 ci-après, et veiller à ce que ni les fonds ou autres ressources financières en question ni tous autres fonds ou ressources financières ainsi identifiés ne soient mis à la disposition ou utilisés au bénéfice des Taliban ou de toute entreprise leur appartenant ou contrôlée directement ou indirectement par les Taliban, que ce soit par leurs nationaux ou par toute autre personne se trouvant sur leur territoire, à moins que le comité n’ait donné une autorisation contraire, au cas par cas, pour des motifs humanitaires ».

11     Au paragraphe 6 de la résolution 1267 (1999), le Conseil de sécurité a décidé de créer, conformément à l’article 28 de son règlement intérieur provisoire, un comité du Conseil de sécurité composé de tous ses membres (ci-après le « comité des sanctions »), chargé notamment de veiller à la mise en œuvre, par les États, des mesures imposées par le paragraphe 4, d’identifier les fonds ou autres ressources financières visés audit paragraphe 4 et d’examiner les demandes de dérogation aux mesures imposées par ce même paragraphe 4.

12     Considérant qu’une action de la Communauté était nécessaire afin de mettre en œuvre cette résolution, le Conseil a adopté, le 15 novembre 1999, la position commune 1999/727/PESC, relative aux mesures restrictives à l’encontre des Taliban (JO L 294, p. 1). L’article 2 de cette position commune prescrit le gel des fonds et autres ressources financières détenus à l’étranger par les Taliban, dans les conditions définies dans la résolution 1267 (1999) du Conseil de sécurité.

13     Le 14 février 2000, le Conseil a adopté, sur la base des articles 60 CE et 301 CE, le règlement (CE) n° 337/2000, concernant l’interdiction des vols et le gel des fonds et autres ressources financières décidés à l’encontre des Taliban d’Afghanistan (JO L 43, p. 1).

14     Le 19 décembre 2000, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1333 (2000) exigeant, notamment, que les Taliban se conforment à la résolution 1267 (1999), en particulier en cessant d’offrir refuge et entraînement aux terroristes internationaux et à leurs organisations et en remettant Oussama ben Laden aux autorités compétentes pour qu’il soit traduit en justice. Le Conseil de sécurité a décidé, en particulier, de renforcer l’interdiction des vols et le gel des fonds imposés conformément à la résolution 1267 (1999). C’est ainsi que le paragraphe 8, sous c), de la résolution 1333 (2000) dispose que tous les États devront, notamment, « [g]eler sans retard les fonds et autres actifs financiers d’Oussama ben Laden et des individus et entités qui lui sont associés, tels qu’identifiés par le [comité des sanctions], y compris l’organisation Al‑Qaida, et les fonds tirés de biens appartenant à Oussama ben Laden et aux individus et entités qui lui sont associés ou contrôlés directement ou indirectement par eux, et veiller à ce que ni les fonds et autres ressources financières en question, ni tous autres fonds ou ressources financières ne soient mis à la disposition ou utilisés directement ou indirectement au bénéfice d’Oussama ben Laden, de ses associés ou de toute autre entité leur appartenant ou contrôlée directement ou indirectement par eux, y compris l’organisation Al‑Qaida, que ce soit par leurs nationaux ou par toute autre personne se trouvant sur leur territoire ».

15     Dans cette même disposition, le Conseil de sécurité a chargé le comité des sanctions de tenir, sur la base des informations communiquées par les États et les organisations régionales, une liste à jour des individus et entités que ledit comité a identifiés comme associés à Oussama ben Laden, y compris l’organisation Al‑Qaida.

16     Au paragraphe 23 de la résolution 1333 (2000), le Conseil de sécurité a décidé que les mesures imposées, notamment, au titre du paragraphe 8, seraient appliquées pendant douze mois et qu’à la fin de cette période il déterminerait si elles devaient être prorogées pendant une nouvelle période dans les mêmes conditions.

17     Considérant qu’une action de la Communauté était nécessaire afin de mettre en œuvre cette résolution, le Conseil a adopté, le 26 février 2001, la position commune 2001/154/PESC, concernant des mesures restrictives supplémentaires à l’encontre des Taliban et modifiant la position commune 96/746/PESC (JO L 57, p. 1). L’article 4 de cette position commune dispose :

« Les fonds et autres actifs financiers d’Oussama ben Laden et des personnes et entités associées à celui-ci, telles que les a identifiées le [comité des sanctions], seront gelés, et aucuns fonds ou autres ressources financières ne seront mis à la disposition d’Oussama ben Laden, ni des personnes et entités associées à celui-ci, telles que les a identifiées le [comité des sanctions], conformément aux dispositions de la [résolution 1333 (2000)]. »

18     Le 6 mars 2001, le Conseil a adopté, sur la base des articles 60 CE et 301 CE, le règlement (CE) n° 467/2001, interdisant l’exportation de certaines marchandises et de certains services vers l’Afghanistan, renforçant l’interdiction des vols et étendant le gel des fonds et autres ressources financières décidés à l’encontre des Taliban d’Afghanistan, et abrogeant le règlement n° 337/2000 (JO L 67, p. 1).

19     Aux termes du considérant 3 de ce règlement, les mesures prévues par la résolution 1333 (2000) « sont couvertes par le traité et, notamment en vue d’éviter toute distorsion de la concurrence, une législation communautaire est donc nécessaire afin de mettre en œuvre les décisions concernées du Conseil de sécurité pour ce qui est du territoire de la Communauté ».

20     L’article 1er du règlement n° 467/2001 définit ce qu’il y a lieu d’entendre par « fonds » et par « gel des fonds ».

21     Aux termes de l’article 2 du règlement n° 467/2001 :

« 1.      Tous les fonds et autres ressources financières appartenant à toute personne physique ou morale, toute entité ou tout organisme désigné par le [comité des sanctions] et énumérés à l’annexe I sont gelés.

2.      Les fonds ou autres ressources financières ne doivent pas être mis, directement ou indirectement, à la disposition ni utilisés au bénéfice des personnes, des entités ou des organismes désignés par le comité des sanctions contre les Taliban et énumérés à l’annexe I.

3.      Les paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas aux fonds et ressources financières faisant l’objet d’une dérogation accordée par le comité des sanctions contre les Taliban. Ces dérogations peuvent être obtenues par l’intermédiaire des autorités compétentes des États membres énumérées à l’annexe II. »

22     L’annexe I du règlement n° 467/2001 contient la liste des personnes, des entités et des organismes visés par le gel des fonds imposé par l’article 2. Aux termes de l’article 10, paragraphe 1, du règlement n° 467/2001, la Commission est habilitée à modifier ou à compléter ladite annexe I sur la base des décisions du Conseil de sécurité ou du comité des sanctions.

23     Le 8 mars 2001, le comité des sanctions a publié une première liste consolidée des personnes et entités devant être soumises au gel des fonds en vertu des résolutions 1267 (1999) et 1333 (2000) du Conseil de sécurité. Cette liste a été modifiée et complétée à diverses reprises depuis lors. La Commission a, dès lors, adopté divers règlements au titre de l’article 10 du règlement n° 467/2001, par lesquels elle a modifié ou complété l’annexe I dudit règlement.

24     Le 9 novembre 2001, le comité des sanctions a publié un nouvel addendum à sa liste du 8 mars 2001, comprenant notamment les noms de l’entité et des trois personnes suivantes :

–       « Barakaat International Foundation, Box 4036, Spånga, Stockholm, Sweden ; Rinkebytorget 1, 04 Spånga, Sweden » ;

–       « Aden, Abdirisak ; Akaftingebacken 8, 16367 Spånga, Sweden ; DOB 01 June 1968 » ;

–       « Ali, Abdi Abdulaziz, Drabantvagen 21, 17750 Spånga, Sweden ; DOB 01 January 1955 » ;

–       « Ali, Yusaf Ahmed, Hallbybybacken 15, 70 Spånga, Sweden ; DOB : 20 November 1974 ».

25     Par le règlement (CE) n° 2199/2001 de la Commission, du 12 novembre 2001, modifiant, pour la quatrième fois, le règlement n° 467/2001 (JO L 295, p. 16), les noms de l’entité et des trois personnes physiques en question ont été ajoutés, avec d’autres, à l’annexe I dudit règlement.

26     Le 16 janvier 2002, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1390 (2002), qui fixe les mesures à imposer à l’égard d’Oussama ben Laden, des membres de l’organisation Al‑Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés. Cette résolution prévoit en substance, en ses paragraphes 1 et 2, le maintien des mesures, notamment le gel des fonds, imposées par le paragraphe 4, sous b), de la résolution 1267 (1999) et par le paragraphe 8, sous c), de la résolution 1333 (2000). Conformément au paragraphe 3 de la résolution 1390 (2002), ces mesures seront réexaminées par le Conseil de sécurité douze mois après leur adoption, délai au terme duquel soit il les maintiendra, soit il décidera de les améliorer.

27     Considérant qu’une action de la Communauté était nécessaire afin de mettre en œuvre cette résolution, le Conseil a adopté, le 27 mai 2002, la position commune 2002/402/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre d’Oussama ben Laden, des membres de l’organisation Al‑Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés, et abrogeant les positions communes 96/746, 1999/727, 2001/154 et 2001/771/PESC (JO L 139, p. 4). L’article 3 de cette position commune prescrit, notamment, la poursuite du gel des fonds et des autres avoirs financiers ou ressources économiques des personnes, groupes, entreprises et entités visés dans la liste établie par le comité des sanctions conformément aux résolutions 1267 (1999) et 1333 (2000) du Conseil de sécurité.

28     Le 27 mai 2002, le Conseil a adopté, sur la base des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE, le règlement (CE) n° 881/2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, et abrogeant le règlement n° 467/2001 (JO L 139, p. 9).

29     Aux termes du considérant 4 de ce règlement, les mesures prévues, notamment, par la résolution 1390 (2002) du Conseil de sécurité « sont couvertes par le traité et pour éviter notamment une distorsion de concurrence, il y a lieu d’arrêter une législation communautaire afin de mettre en œuvre, sur le territoire de la Communauté, les décisions pertinentes du Conseil de sécurité ».

30     L’article 1er du règlement n° 881/2002 définit les « fonds » et le « gel des fonds » en des termes identiques, en substance, à ceux de l’article 1er du règlement n° 467/2001.

31     Aux termes de l’article 2 du règlement n° 881/2002 :

« 1.      Tous les fonds et ressources économiques appartenant à, en possession de ou détenus par une personne physique ou morale, un groupe ou une entité désignés par le comité des sanctions et énumérés à l’annexe I sont gelés.

2.      [Aucuns] fonds ne [doivent] être mis, directement ou indirectement, à la disposition [ou] utilisé[s] au bénéfice des personnes physiques ou morales, des groupes ou des entités désignés par le comité des sanctions et énumérés à l’annexe I.

3.      Aucune ressource économique ne doit […] être mise, directement ou indirectement, à la disposition [ou] utilisée au bénéfice des personnes physiques ou morales, des groupes ou des entités désignés par le comité des sanctions et énumérés à l’annexe I, de manière à leur permettre d’obtenir des fonds, des biens ou des services. »

32     L’annexe I du règlement n° 881/2002 contient la liste des personnes, entités et groupes visés par le gel des fonds imposé par l’article 2. Cette liste comprend notamment les noms de l’entité et des trois personnes suivantes :

–       « Fondation internationale Barakaat ; boîte postale 4036, Spånga, Stockholm, Suède ; Rinkebytorget 1, 04, Spånga, Suède » ;

–       « Aden, Adirisak ; Skaftingebacken 8, 16367 Spånga, Suède, né le 1.6.1968 » ;

–       « Ali, Abdi Abdulaziz, Drabantvagen 21, 17750 Spånga, Suède, né le 1.1.1955 » ;

–       « Ali, Yusaf Ahmed, Hallbybybacken 15, 70 Spånga, Suède, né le 20.11.1974 ».

33     Le 26 août 2002, le comité des sanctions a décidé de radier les dénommés « Abdi Abdulaziz Ali » et « Abdirisak Aden » de la liste des personnes, groupes et entités auxquels doit s’appliquer le gel des fonds et autres ressources économiques.

34     En conséquence, la Commission a adopté, le 4 septembre 2002, le règlement (CE) n° 1580/2002, modifiant pour la deuxième fois le règlement n° 881/2002 (JO L 237, p. 3).

35     Aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 1580/2002, les personnes suivantes, entre autres, sont supprimées de la liste de l’annexe I du règlement n° 881/2002 :

–       « Ali, Abdi Abdulaziz, Drabantvägen 21, 17750 Spånga, Suède, né le 1er janvier 1955 » ;

–       « Aden, Adirisak, Skäftingebacken 8, 16367 Spånga, Suède, né le 1er juin 1968 ».

36     Le 20 décembre 2002, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1452 (2002), destinée à faciliter le respect des obligations en matière de lutte antiterroriste. Le paragraphe 1 de cette résolution prévoit un certain nombre de dérogations et d’exceptions au gel des fonds et des ressources économiques imposé par les résolutions 1267 (1999), 1333 (2000) et 1390 (2002), qui pourront être accordées pour des motifs humanitaires par les États, sous réserve de l’approbation du comité des sanctions.

37     Le 17 janvier 2003, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1455 (2003), qui vise à améliorer la mise en œuvre des mesures imposées au paragraphe 4, sous b), de la résolution 1267 (1999), au paragraphe 8, sous c), de la résolution 1333 (2000) et aux paragraphes 1 et 2 de la résolution 1390 (2002). Conformément au paragraphe 2 de la résolution 1455 (2003), ces mesures seront de nouveau améliorées dans douze mois ou plus tôt s’il y a lieu.

38     Considérant qu’une action de la Communauté était nécessaire afin de mettre en œuvre la résolution 1452 (2002) du Conseil de sécurité, le Conseil a adopté, le 27 février 2003, la position commune 2003/140/PESC, concernant des exceptions aux mesures restrictives imposées par la position commune 2002/402 (JO L 53, p. 62). L’article 1er de cette position commune prévoit que, lorsqu’elle mettra en œuvre les mesures visées à l’article 3 de la position commune 2002/402, la Communauté européenne tiendra compte des exceptions autorisées par la résolution 1452 (2002) du Conseil de sécurité.

39     Le 27 mars 2003, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 561/2003, modifiant, en ce qui concerne les exceptions au gel des fonds et des ressources économiques, le règlement n° 881/2002 (JO L 82, p. 1). Au considérant 4 de ce règlement, le Conseil indique que, compte tenu de la résolution 1452 (2002) du Conseil de sécurité, il est nécessaire d’ajuster les mesures imposées par la Communauté.

40     Aux termes de l’article 1er du règlement n° 561/2003 :

« L’article suivant est inséré dans le règlement […] n° 881/2002 :

Article 2 bis

1.      L’article 2 ne s’applique pas aux fonds ou aux ressources économiques lorsque :

a)      l’une quelconque des autorités compétentes des États membres, recensées dans l’annexe II, a établi, à la demande d’une personne physique ou morale intéressée, que ces fonds ou ces ressources économiques sont :

i)      nécessaires à des dépenses de base, y compris celles qui sont consacrées à des vivres, des loyers ou des remboursements de prêts hypothécaires, des médicaments et des frais médicaux, des impôts, des primes d’assurance et des services collectifs ;

ii)      destinés exclusivement au paiement d’honoraires professionnels raisonnables et au remboursement de dépenses correspondant à des services juridiques ;

iii)      destinés exclusivement au paiement de charges ou frais correspondant à la garde ou à la gestion de fonds ou ressources économiques gelés, ou

iv)      nécessaires pour des dépenses extraordinaires, et

b)      cela a été notifié au comité des sanctions, et

c)      i)     dans le cas de l’utilisation des fonds établie en vertu des points a) i), ii) et iii), le comité des sanctions n’a pas émis, dans les quarante-huit heures suivant la notification, d’objection à cette utilisation, ou

ii)      dans le cas de l’utilisation des fonds établie en vertu du point a) iv), le comité des sanctions a approuvé cette utilisation.

2.      Toute personne souhaitant bénéficier des dispositions visées au paragraphe 1 adresse sa demande à l’autorité compétente pertinente de l’État membre recensée dans l’annexe II.

L’autorité compétente indiquée à l’annexe II est tenue de notifier, par écrit, à la personne qui a présenté la demande ainsi qu’à tout(e) autre personne, entité ou organisme reconnu(e) comme étant directement concerné(e) si la demande a été accordée.

L’autorité compétente informe également les autres États membres de l’octroi ou non de la dérogation demandée.

3.      Les fonds libérés et transférés au sein de la Communauté afin de faire face à des dépenses ou ayant été admis au titre du présent article ne sont pas soumis à d’autres mesures restrictives en application de l’article 2.

[…]’ »

41     Le 19 mai 2003, la Commission a adopté le règlement (CE) n° 866/2003, modifiant pour la dix-huitième fois le règlement n° 881/2002 (JO L 124, p. 19). Aux termes de l’article 1er et du paragraphe 1 de l’annexe de ce règlement, l’annexe I du règlement n° 881/2002 est modifiée en ce sens que la mention « Ali, Yusaf Ahmed, Hallbybybacken 15, 70 Spånga, Suède, né le 20.11.1974 » sous la rubrique « Personnes physiques » est remplacée par le texte suivant :

« Ali Ahmed YUSAF (alias Ali Galoul), Krälingegränd 33, S-16362 Spånga, Suède ; né le 20 novembre 1974, à Garbaharey, Somalie ; nationalité : suédoise ; passeport suédois n° 1041635 ; numéro d’identification nationale : 741120-1093. »

 Procédure et conclusions des parties

42     Par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 décembre 2001, enregistrée sous le numéro T‑306/01, MM. Abdirisak Aden, Abdulaziz Ali et Ahmed Yusuf, ainsi que Al Barakaat International Foundation (ci-après « Al Barakaat »), ont introduit, contre le Conseil et la Commission, un recours au titre de l’article 230 CE, dans lequel ils concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       annuler le règlement n° 2199/2001 ;

–       annuler le règlement n° 467/2001 et, subsidiairement, le déclarer inapplicable en vertu de l’article 241 CE ;

–       statuer sur les dépens, dont le quantum sera précisé ultérieurement.

43     Dans le même acte, les requérants ont demandé, au titre de l’article 243 CE, à ce qu’il soit sursis à l’exécution du règlement n° 2199/2001.

44     Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 10 décembre 2001, les requérants ont demandé à ce qu’il soit statué selon une procédure accélérée, conformément à l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal. Les parties défenderesses entendues, le Tribunal (première chambre) a rejeté cette demande par décision du 22 janvier 2002, en raison de la nature complexe et délicate des questions de droit que soulève l’affaire.

45     Par lettre du greffe du Tribunal du 24 janvier 2002, les requérants ont été informés qu’il ne pouvait pas être statué sur la demande de sursis à l’exécution du règlement n° 2199/2001, dès lors que celle-ci n’avait pas été présentée par acte séparé, conformément aux dispositions du règlement de procédure. Il a toutefois été relevé, dans cette même lettre, que la présentation ultérieure d’une demande de mesures provisoires était toujours possible dans le respect des dispositions dudit règlement.

46     Dans leurs mémoires en défense déposés au greffe du Tribunal le 19 février 2002, le Conseil et la Commission concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours ;

–       condamner les requérants aux dépens.

47     Par acte déposé au greffe du Tribunal le 8 mars 2002, les requérants ont introduit une demande en référé visant à ce qu’il soit sursis à l’exécution des règlements n° 467/2001 et n° 2199/2001, en ce qu’ils les concernent, jusqu’à ce qu’il soit statué au principal.

48     Le président du Tribunal a entendu les parties le 22 mars 2002 en la présence du Royaume de Suède, représenté à l’audition.

49     Par ordonnance du 7 mai 2002 (Aden e.a./Conseil et Commission, T‑306/01 R, Rec. p. II‑2387), le président du Tribunal a rejeté la demande en référé au motif que la condition relative à l’urgence n’était pas remplie, tout en réservant les dépens.

50     Par lettre du greffe du Tribunal du 27 juin 2002, les parties ont été invitées à présenter leurs observations sur les conséquences de l’abrogation du règlement n° 467/2001 et de son remplacement par le règlement n° 881/2002.

51     Dans leurs observations, déposées au greffe du Tribunal le 29 juillet 2002, les requérants déclarent adapter leurs conclusions, moyens et arguments en ce sens qu’ils tendent désormais à l’annulation du règlement n° 881/2002 (ci-après le « règlement attaqué »), adopté au vu de la résolution 1390 (2002) du Conseil de sécurité qui maintient les sanctions décidées contre eux. Ils font observer que le recours initial dirigé contre le règlement n° 467/2001 doit être considéré comme étant devenu sans objet, du fait de son abrogation par le règlement attaqué.

52     Dans ses observations, déposées au greffe du Tribunal le 12 juillet 2002, le Conseil reconnaît que les requérants sont en droit d’étendre ou d’adapter les conclusions initiales de leur recours, de manière à ce qu’elles visent désormais à l’annulation du règlement attaqué.

53     Dans ses observations, déposées au greffe du Tribunal le 10 juillet 2002, la Commission, eu égard à la circonstance que les effets juridiques du règlement n° 2199/2001 se poursuivent dans le règlement attaqué, déclare ne pas voir d’objection à ce que les requérants modifient leurs conclusions afin qu’elles visent ce dernier règlement.

54     Par ailleurs, la Commission prie le Tribunal de constater, conformément à l’article 113 de son règlement de procédure, que le recours est devenu sans objet en tant qu’il est dirigé contre le règlement n° 2199/2001 et qu’il n’y a plus lieu de statuer en ce qui la concerne.

55     En outre, la Commission demande, en vertu de l’article 115, paragraphe 1, et de l’article 116, paragraphe 6, du règlement de procédure, à se voir conférer le statut de partie intervenante au soutien des conclusions du Conseil. Elle déclare toutefois maintenir sa demande de condamnation des requérants aux dépens exposés par elle au cours de la période pendant laquelle ceux-ci ont contesté le règlement n° 2199/2001.

56     Par ordonnance du président de la première chambre du Tribunal du 12 juillet 2002, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a été admis à intervenir au soutien des conclusions des parties défenderesses.

57     Par lettre du greffe du Tribunal du 11 septembre 2002, les requérants ont été invités à présenter leurs observations sur les conséquences éventuelles à tirer, pour ce qui concerne la poursuite du recours, de l’adoption du règlement n° 1580/2002.

58     La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée à partir de la nouvelle année judiciaire, commençant le 1er octobre 2002, le juge rapporteur a été affecté à la deuxième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

59     Dans leurs observations sur les conséquences de l’adoption du règlement n° 1580/2002, déposées au greffe du Tribunal le 11 novembre 2002, les requérants exposent, d’une part, que leur recours n’est plus dirigé contre la Commission et, d’autre part, que MM. Abdirisak Aden et Abdulaziz Ali n’ont plus aucun intérêt particulier et individuel à poursuivre leur recours, sauf pour ce qui concerne la charge des dépens.

60     Par décision du 20 novembre 2002, le greffier du Tribunal a refusé de verser au dossier les commentaires exprimés par les requérants, dans ces mêmes observations, sur les dupliques du Conseil et de la Commission, au motif que de tels commentaires ne sont pas prévus par le règlement de procédure.

61     Dans son mémoire en intervention, déposé au greffe du Tribunal le 27 février 2003, le Royaume-Uni conclut à ce qu’il plaise au Tribunal rejeter le recours.

62     Par lettre du greffe du Tribunal du 13 juin 2003, M. Yusuf a été invité à présenter ses observations sur les conséquences, pour la suite de la procédure, de l’adoption du règlement n° 866/2003.

63     Dans ses observations, déposées au greffe du Tribunal le 7 juillet 2003, M. Yusuf a indiqué, en substance, que les modifications introduites par le règlement n° 866/2003 étaient purement rédactionnelles et qu’elles ne devaient avoir aucune incidence sur la suite de la procédure.

64     Les parties entendues, le Tribunal a renvoyé l’affaire, conformément à l’article 51 de son règlement de procédure, devant une chambre composée de cinq juges.

65     Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a posé par écrit une question au Conseil et à la Commission, qui y ont répondu dans le délai imparti.

66     Par ordonnance du président de la deuxième chambre élargie du Tribunal du 18 septembre 2003, la présente affaire et l’affaire T‑315/01, Kadi/Conseil et Commission, ont été jointes aux fins de la procédure orale, conformément à l’article 50 du règlement de procédure.

67     Par lettre du 8 octobre 2003, la Commission a prié le Tribunal de verser au dossier « les directives régissant la conduite des travaux du [comité des sanctions] », telles qu’adoptées par ce comité le 7 novembre 2002 et amendées le 10 avril 2003. Il a été fait droit à cette demande par décision du président de la deuxième chambre élargie du Tribunal du 9 octobre 2003.

68     MM. Aden et Ali ayant informé le Tribunal, conformément à l’article 99 du règlement de procédure, qu’ils se désistaient de leur recours et qu’ils avaient conclu un accord avec les parties défenderesses sur les dépens, le président de la deuxième chambre élargie du Tribunal a, par ordonnance du 9 octobre 2003, ordonné la radiation du nom de ces deux requérants du registre dans l’affaire T‑306/01 et statué conformément à l’accord des parties sur les dépens.

69     Par actes séparés déposés au greffe du Tribunal le 13 octobre 2003, M. Yusuf et Al Barakaat ont introduit une demande d’assistance judiciaire. Ces demandes ont été rejetées par deux ordonnances du président de la deuxième chambre élargie du Tribunal du 3 mai 2004.

70     Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 14 octobre 2003.

 Sur les conséquences procédurales de l’adoption du règlement attaqué

71     Les parties principales au litige s’accordent à reconnaître que les requérants sont en droit d’adapter leurs conclusions et moyens de façon à viser à l’annulation du règlement attaqué, qui abroge et remplace le règlement n° 467/2001, tel que modifié par le règlement n° 2199/2001. Dans leurs observations déposées au greffe du Tribunal le 29 juillet 2002, les requérants ont effectivement déclaré adapter en ce sens les conclusions, moyens et arguments de leur recours.

72     À cet égard, il convient de rappeler que, lorsqu’une décision est, en cours de procédure, remplacée par une décision ayant le même objet, celle-ci doit être considérée comme un élément nouveau permettant au requérant d’adapter ses conclusions et moyens. Il serait, en effet, contraire à une bonne administration de la justice et à une exigence d’économie de procédure d’obliger le requérant à introduire un nouveau recours. Il serait, en outre, injuste que l’institution en cause puisse, pour faire face aux critiques contenues dans une requête présentée au juge communautaire contre une décision, adapter la décision attaquée ou lui en substituer une autre et se prévaloir, en cours d’instance, de cette modification ou de cette substitution pour priver l’autre partie de la possibilité d’étendre ses conclusions et ses moyens initiaux à la décision ultérieure ou de présenter des conclusions et moyens supplémentaires contre celle-ci (arrêts de la Cour du 3 mars 1982, Alpha Steel/Commission, 14/81, Rec. p. 749, point 8 ; du 29 septembre 1987, Fabrique de fer de Charleroi et Dillinger Hüttenwerke/Commission, 351/85 et 360/85, Rec. p. 3639, point 11, et du 14 juillet 1988, Stahlwerke Peine-Salzgitter/Commission, 103/85, Rec. p. 4131, points 11 et 12 ; arrêt du Tribunal du 3 février 2000, CCRE/Commission, T‑46/98 et T‑151/98, Rec. p. II‑167, point 33).

73     Cette jurisprudence est transposable à l’hypothèse dans laquelle un règlement qui concerne directement et individuellement un particulier est remplacé, en cours de procédure, par un règlement ayant le même objet.

74     Cette hypothèse correspondant en tous points à celle de l’espèce, il y a lieu de faire droit à la demande des requérants, de considérer que leur recours tend à l’annulation du règlement attaqué, pour autant qu’il les concerne, et de permettre aux parties de reformuler leurs conclusions, moyens et arguments à la lumière de cet élément nouveau.

75     Par ailleurs, les requérants font valoir que leur demande d’annulation du règlement n° 467/2001 doit être considérée comme étant devenue sans objet, du fait de l’abrogation de ce règlement par le règlement attaqué (voir point 51 ci‑dessus). Dans ces conditions, il n’y a plus lieu de statuer sur cette demande ni, dès lors, sur la demande d’annulation du règlement n° 2199/2001, celle-ci étant également devenue sans objet.

76     Il découle de ce qui précède qu’il n’y a plus lieu de statuer sur le recours en tant qu’il est dirigé contre la Commission. Dans les circonstances de l’espèce, toutefois, le principe de bonne administration de la justice et l’exigence d’économie de procédure sur lesquels s’appuie la jurisprudence citée au point 72 ci-dessus justifient également qu’il soit tenu compte des conclusions, moyens de défense et arguments de la Commission, reformulés comme il est dit au point 74 ci-dessus, sans qu’il soit besoin d’admettre à nouveau formellement cette institution à la procédure au titre de l’article 115, paragraphe 1, et de l’article 116, paragraphe 6, du règlement de procédure, en tant que partie intervenante au soutien des conclusions du Conseil.

77     Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que le présent recours est désormais dirigé contre le seul Conseil, soutenu par la Commission et par le Royaume-Uni, et qu’il a pour unique objet une demande d’annulation du règlement attaqué, pour autant que celui-ci concerne M. Yusuf et Al Barakaat.

 Sur le fond

78     Au soutien de leurs conclusions, les requérants invoquent trois moyens d’annulation tirés, le premier, de l’incompétence du Conseil pour adopter le règlement attaqué, le second, de la violation de l’article 249 CE et, le troisième, de la violation de leurs droits fondamentaux.

1.     Sur le premier moyen, tiré de l’incompétence du Conseil pour adopter le règlement attaqué

79     Ce moyen se subdivise en trois branches.

 Sur la première branche

 Arguments des parties

80     Dans leur recours initialement dirigé contre le règlement n° 467/2001, les requérants faisaient valoir que les articles 60 CE et 301 CE, sur la base desquels ce règlement avait été adopté, autorisent uniquement le Conseil à prendre des mesures à l’égard de pays tiers et non, comme il l’aurait fait en l’espèce, à l’encontre de ressortissants d’un État membre résidant dans cet État membre.

81     À cet égard, les requérants réfutaient l’allégation selon laquelle ils auraient été sanctionnés du fait de leur association avec le régime des Taliban d’Afghanistan. Les sanctions prises contre eux n’étaient, selon eux, nullement motivées par l’existence d’un lien avec ce régime, mais par la volonté du Conseil de sécurité de lutter contre le terrorisme international, considéré comme une menace pour la paix et la sécurité internationales. Les requérants soulignaient ainsi que la liste visée au paragraphe 8, sous c), de la résolution 1333 (2000) du Conseil de sécurité, dans laquelle ils avaient été inclus par décision du comité des sanctions du 9 novembre 2001 (voir point 24 ci-dessus), visait Oussama ben Laden et les individus et entités qui lui sont associés, plutôt que les Taliban.

82     Les sanctions adoptées par les institutions communautaires devant correspondre en tous points à celles adoptées par le Conseil de sécurité, les requérants concluaient que le règlement n° 467/2001 n’était pas davantage dirigé contre un pays tiers, mais contre des individus, dans l’objectif de lutter contre le terrorisme international. De telles mesures ne relevaient pas, selon eux, de la compétence de la Communauté, à la différence des mesures d’embargo commercial contre l’Irak examinées par le Tribunal dans l’arrêt du 28 avril 1998, Dorsch Consult/Conseil et Commission (T‑184/95, Rec. p. II‑667).

83     Les requérants soutenaient également qu’une interprétation des articles 60 CE et 301 CE qui revient à traiter des ressortissants communautaires comme des pays tiers est contraire au principe de légalité tel qu’il est exprimé aux articles 5 CE et 7 CE, ainsi qu’au principe selon lequel la législation communautaire doit être certaine et son application prévisible pour les justiciables (arrêt de la Cour du 15 décembre 1987, Danemark/Commission, 348/85, Rec. p. 5225).

84     Dans leurs observations sur les conséquences de l’abrogation du règlement n° 467/2001 et de son remplacement par le règlement attaqué, adopté sur la base des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE, les requérants ajoutent que l’article 308 CE, pris isolément ou avec les articles 60 CE et 301 CE, ne confère pas davantage au Conseil le pouvoir d’édicter des sanctions, directes ou indirectes, à l’encontre de ressortissants de l’Union. En effet, un tel pouvoir ne pourrait pas être considéré comme implicite ou nécessaire pour réaliser l’un des objets de la Communauté, au sens de l’article 308 CE. En particulier, le gel des avoirs des requérants serait sans aucun rapport avec l’objectif d’« éviter notamment une distorsion de concurrence », visé au considérant 4 du règlement attaqué.

85     Dans leurs mémoires en défense et en intervention, d’une part, les institutions et le Royaume‑Uni ont soutenu que rien, dans le libellé des articles 60 CE et 301 CE, ne permet d’exclure l’adoption de sanctions économiques à l’égard d’individus ou d’organisations établis dans la Communauté, dès lors que de telles mesures visent à interrompre ou à réduire, en tout ou en partie, les relations économiques avec un ou plusieurs pays tiers. Il conviendrait de reconnaître, en effet, que les citoyens des États membres peuvent, individuellement ou collectivement, fournir des fonds et des ressources à des pays tiers, ou à des factions à l’intérieur de ceux-ci, de sorte que les mesures visant à contrôler les ressources économiques de ces citoyens auront pour effet d’interrompre ou de réduire les relations économiques avec ces pays tiers. Les juridictions communautaires auraient d’ailleurs implicitement reconnu la légalité de cette pratique [ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 2 août 2000, « Invest » Import und Export et Invest Commerce/Commission, T‑189/00 R, Rec. p. II‑2993, point 34, confirmée sur pourvoi par ordonnance du président de la Cour du 13 novembre 2000, « Invest » Import und Export et Invest Commerce/Commission, C‑317/00 P(R), Rec. p. I‑9541, points 26 et 27].

86     D’autre part, ces parties ont réfuté la thèse des requérants selon laquelle il n’existait pas de lien entre les mesures prévues par le règlement n° 467/2001 et l’Afghanistan, en soulignant les liens qui existaient à l’époque entre Oussama ben Laden, Al-Qaida et le régime des Taliban.

87     Dans sa duplique ainsi que dans ses observations sur les conséquences de l’abrogation du règlement n° 467/2001 et de son remplacement par le règlement attaqué, le Conseil a toutefois relevé que ce dernier règlement s’appliquait aux terroristes et aux groupes terroristes en général, sans plus établir de lien avec un pays ou un territoire particuliers. En cela, il aurait reflété la différence entre la résolution 1333 (2000) du Conseil de sécurité, qui visait les Taliban et les individus et entités qui leur sont associés, et la résolution 1390 (2002), qui, du fait de la disparition de l’« Émirat islamique d’Afghanistan », ne lie plus les sanctions qu’elle prévoit à un pays ou à un territoire spécifique, mais vise elle aussi les groupes et les individus terroristes d’une manière générale.

88     Dans le premier cas, le Conseil aurait estimé que le règlement n° 467/2001 relevait bien des articles 60 CE et 301 CE, puisqu’il existait un lien évident avec l’Afghanistan. Un tel lien n’existant plus dans le cadre du règlement attaqué, le Conseil aurait considéré qu’il y avait lieu de compléter sa base juridique en y ajoutant l’article 308 CE. Le Conseil faisait valoir que cette modification de la base juridique du nouveau règlement rendait inopérante la première branche du premier moyen.

89     Invité, par une question écrite du Tribunal, à prendre position, à la lumière de l’avis 2/94 de la Cour, du 28 mars 1996 (Rec. p. I‑1759, points 29 et 30), sur la thèse des requérants exposée au point 84 ci-dessus et, plus particulièrement, à indiquer quels sont les objets de la Communauté fixés par le traité CE qu’il se propose d’atteindre par la voie des dispositions prévues par le règlement attaqué, le Conseil a répondu, en substance, que ces dispositions poursuivent un objectif de coercition économique et financière qui constitue, d’après lui, un objet du traité CE.

90     À cet égard, le Conseil fait valoir que les objectifs de la Communauté ne sont pas seulement ceux définis à l’article 3 CE, mais qu’ils peuvent aussi découler de dispositions plus spécifiques.

91     Depuis la révision résultant du traité de Maastricht, les articles 60 CE et 301 CE définiraient les tâches et actions de la Communauté en matière de sanctions économiques et financières et offriraient une base légale pour un transfert exprès de compétences à la Communauté en vue de leur accomplissement. Ces compétences seraient expressément liées et, en fait, subordonnées à l’adoption d’un acte au titre des dispositions du traité UE relatives à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Or, l’un des objectifs de la PESC serait, aux termes de l’article 11, paragraphe 1, troisième tiret, UE, « le maintien de la paix et le renforcement de la sécurité internationale, conformément aux principes de la charte des Nations unies ».

92     Il conviendrait donc d’admettre que la coercition économique et financière pour des raisons politiques, a fortiori dans le cadre de la mise en œuvre d’une décision contraignante du Conseil de sécurité, constitue un objectif exprès et légitime du traité CE, même si cet objectif est marginal, rattaché de manière indirecte aux objectifs principaux de ce traité, notamment ceux relatifs à la libre circulation des capitaux [article 3, paragraphe 1, sous c), CE] et à l’établissement d’un régime de concurrence non faussée [article 3, paragraphe 1, sous g), CE], et lié au traité UE.

93     En l’espèce, l’article 308 CE aurait été inclus, en tant que base juridique du règlement attaqué, afin de compléter la base fournie par les articles 60 CE et 301 CE, de façon à permettre l’adoption de mesures non seulement à l’égard de pays tiers, mais aussi à l’encontre d’individus et d’entités non étatiques n’ayant pas nécessairement de liens avec le gouvernement ou le régime de ces pays, dans un cas où le traité CE ne prévoit pas les pouvoirs d’action requis à cet effet.

94     En procédant de la sorte, la Communauté aurait été en mesure de s’adapter à l’évolution de la pratique internationale, qui consiste désormais à prendre des « sanctions intelligentes », dirigées contre des individus qui constituent une menace pour la sécurité internationale, plutôt que contre des populations innocentes.

95     Le Conseil soutient que les conditions dans lesquelles il a eu recours, en l’espèce, à l’article 308 CE ne sont pas différentes de celles dans lesquelles cette disposition a été utilisée, dans le passé, pour réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l’un des objets du traité CE, sans que ledit traité ait prévu les pouvoirs d’action requis à cet effet. Il invoque, en ce sens :

–       dans le domaine de la politique sociale, les diverses directives qui, sur la base de l’article 235 du traité CE (devenu article 308 CE), complétée parfois par l’article 100 du traité CE (devenu article 94 CE), ont étendu le principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins, tel que prévu par l’article 119 du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE), pour l’ériger en un principe général d’égalité de traitement dans tous les domaines où pouvaient subsister des discriminations potentielles et pour en faire bénéficier les travailleurs indépendants, y compris dans le secteur agricole, et, notamment, la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40) ; la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (JO 1979, L 6, p. 24) ; la directive 86/378/CEE du Conseil, du 24 juillet 1986, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale (JO L 225, p. 40), et la directive 86/613/CEE du Conseil, du 11 décembre 1986, sur l’application du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes exerçant une activité indépendante, y compris une activité agricole, ainsi que sur la protection de la maternité (JO L 359, p. 56) ;

–       dans le domaine de la libre circulation des personnes, les divers actes qui, sur la base de l’article 235 du traité CE et de l’article 51 du traité CE (devenu, après modification, article 42 CE), ont étendu aux travailleurs indépendants, aux membres de leur famille et aux étudiants les droits reconnus aux travailleurs salariés qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, et, notamment, le règlement (CEE) n° 1390/81 du Conseil, du 12 mai 1981, étendant aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille le règlement (CEE) n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (JO L 143, p. 1) ;

–       plus récemment, le règlement (CE) n° 1035/97 du Conseil, du 2 juin 1997, portant création d’un Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (JO L 151, p. 1), adopté sur la base de l’article 213 du traité CE (devenu article 284 CE) et de l’article 235 du traité CE.

96     La Cour elle-même aurait reconnu la légalité de cette pratique (arrêt du 5 décembre 1989, Delbar, C‑114/88, Rec. p. 4067).

97     Bien plus, le législateur communautaire aurait déjà eu recours, dans le passé, à la base légale de l’article 235 du traité CE dans le domaine des sanctions. À cet égard, le Conseil expose que, avant l’introduction dans le traité CE des articles 301 CE et 60 CE, divers règlements du Conseil imposant des sanctions commerciales ont été basés sur l’article 113 du traité CE (devenu, après modification, article 133 CE) [voir, par exemple, le règlement (CEE) n° 596/82 du Conseil, du 15 mars 1982, modifiant le régime d’importation de certains produits originaires d’Union soviétique (JO L 72, p. 15) ; le règlement (CEE) n° 877/82 du Conseil, du 16 avril 1982, suspendant l’importation de tout produit originaire d’Argentine (JO L 102, p. 1), et le règlement (CEE) n° 3302/86 du Conseil, du 27 octobre 1986, portant suspension des importations de pièces d’or en provenance de la République d’Afrique du Sud (JO L 305, p. 11)]. Toutefois, lorsque ces mesures allaient au-delà du champ d’application de la politique commerciale commune ou qu’elles concernaient des personnes physiques ou morales établies dans la Communauté, elles auraient aussi été basées sur l’article 235 du traité CE. Tel aurait été le cas, en particulier, du règlement (CEE) n° 3541/92 du Conseil, du 7 décembre 1992, interdisant de faire droit aux demandes irakiennes relatives aux contrats et opérations dont l’exécution a été affectée par la résolution 661 (1990) du Conseil de sécurité des Nations unies et par les résolutions connexes (JO L 361, p. 1), dont l’article 2 disposerait qu’« [i]l est interdit de faire droit ou de prendre toute disposition tendant à faire droit à une demande présentée par […] toute personne physique ou morale agissant directement ou indirectement pour le compte ou au profit d’une ou de plusieurs personnes physiques ou morales en Irak ».

98     En réponse à la même question écrite du Tribunal, la Commission a fait valoir que la mise en œuvre des sanctions imposées par le Conseil de sécurité pouvait relever en tout ou en partie du champ d’application du traité CE, que ce soit au titre de la politique commerciale commune ou bien au titre du marché intérieur.

99     En l’espèce, la Commission soutient, en renvoyant au considérant 4 du règlement attaqué, que les mesures en cause étaient nécessaires pour garantir une application et une interprétation uniformes des restrictions aux mouvements de capitaux mises en œuvre conformément aux résolutions en cause du Conseil de sécurité, de manière à préserver la libre circulation des capitaux dans la Communauté et à éviter des distorsions de concurrence.

100   Par ailleurs, la Commission estime que la défense de la sécurité internationale, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’Union, doit être considérée comme s’inscrivant dans le cadre général des dispositions du traité CE. À cet égard, la Commission renvoie, d’une part, aux articles 3 UE et 11 UE et, d’autre part, au préambule du traité CE, dans lequel les parties contractantes auraient confirmé « la solidarité qui lie l’Europe et les pays d’outre-mer, […] conformément aux principes de la charte des Nations unies » et se seraient déclarées résolues à « affermir […] les sauvegardes de la paix et de la liberté ». La Commission en déduit un « objectif général fixé à la Communauté de défendre la paix et la sécurité », dont procéderaient spécifiquement les articles 60 CE et 301 CE, en même temps qu’ils seraient des manifestations spécifiques de la compétence communautaire dans la régulation des mouvements de capitaux internes et externes.

101   Les dispositions du titre III, chapitre 4, du traité CE relatives aux mouvements de capitaux ne conférant aucun pouvoir particulier à la Communauté, l’article 308 CE aurait été retenu, en l’espèce, comme base juridique complémentaire pour garantir que la Communauté puisse imposer les restrictions en cause, notamment à l’égard des particuliers, conformément à la position commune adoptée par le Conseil.

102   À l’audience, le Royaume-Uni a décrit l’objectif communautaire visé par l’adoption du règlement attaqué comme étant l’application uniforme à l’intérieur de la Communauté d’obligations relatives à des restrictions aux mouvements de capitaux, imposées aux États membres par le Conseil de sécurité.

103   Le Royaume-Uni souligne que la création d’un marché intérieur dans le domaine des mouvements de capitaux est l’un des objectifs de la Communauté énoncés à l’article 3 CE. Il considère que l’application uniforme de toutes restrictions à la libre circulation des capitaux sur le marché constitue un aspect essentiel de la création d’un marché intérieur.

104   Si, en revanche, la mise en œuvre des résolutions en cause du Conseil de sécurité n’avait pas fait l’objet de mesures adoptées au niveau communautaire, cela aurait créé, selon le Royaume-Uni, un risque de divergences dans l’application du gel des avoirs entre États membres. Si les États membres avaient mis en œuvre ces résolutions individuellement, des différences d’interprétation quant à la portée des obligations qui leur incombent seraient inévitablement apparues et auraient créé des disparités dans le domaine de la libre circulation des capitaux entre les États membres, ce qui aurait entraîné un risque de distorsion de la concurrence.

105   En outre, le Royaume-Uni soutient que des mesures visant à geler les fonds des particuliers dans le but d’interrompre les relations économiques avec des organisations terroristes internationales, plutôt qu’avec des pays tiers, ne peuvent pas être considérées comme élargissant le « domaine des compétences de la Communauté au-delà du cadre général résultant de l’ensemble des dispositions du traité », selon les termes de l’avis 2/94, point 89 supra. Conformément au cadre du traité, la Communauté serait compétente pour adopter des mesures visant à réglementer les mouvements de capitaux, et ce en prenant des mesures contre les particuliers. Partant, s’il est vrai que les mesures destinées à réglementer les mouvements de capitaux de particuliers dans le but d’interrompre les relations économiques avec des organisations terroristes internationales relèvent d’un domaine pour lequel le traité CE n’a pas conféré de pouvoirs spécifiques aux institutions et s’il est également vrai que ces mesures exigent le recours à l’article 308 CE, celles-ci ne sauraient être considérées comme allant au-delà du cadre général du traité.

106   Le Royaume-Uni soutient que le recours à l’article 308 CE dans les circonstances de l’espèce n’est pas différent de l’utilisation qui a été faite de cette disposition dans des situations, notamment dans le domaine de la politique sociale, où cet article a servi à atteindre d’autres objectifs de la Communauté lorsque le traité ne fournissait pas de base juridique précise (voir point 95 ci-dessus).

 Appréciation du Tribunal

107   Le règlement n° 467/2001 et le règlement attaqué ont été adoptés sur des bases légales partiellement différentes : les articles 60 CE et 301 CE pour le premier, les articles 60 CE, 301 CE et 308 CE pour le second. Bien que les arguments initiaux des requérants tirés du manque de base légale du règlement n° 467/2001 soient devenus sans objet du fait de son abrogation par le règlement attaqué, le Tribunal estime approprié d’exposer tout d’abord les motifs pour lesquels il les juge, en tout état de cause, non fondés, dès lors que ces motifs constituent l’une des prémisses de son raisonnement appliqué à l’examen de la base légale du règlement attaqué.

–       Sur la base légale du règlement n° 467/2001

108   Le règlement n° 467/2001 a été adopté sur la base des articles 60 CE et 301 CE, dispositions qui habilitent le Conseil à prendre les mesures urgentes nécessaires, notamment en ce qui concerne les mouvements de capitaux et les paiements, lorsqu’une position commune ou une action commune adoptées en vertu des dispositions du traité UE relatives à la PESC prévoient une action de la Communauté visant à interrompre ou à réduire, en tout ou en partie, les relations économiques avec un ou plusieurs pays tiers.

109   Or, ainsi qu’il ressort de son préambule, le règlement n° 467/2001 orchestrait l’action de la Communauté prévue par la position commune 2001/154, qui avait été adoptée dans le cadre de la PESC et qui marquait la volonté de l’Union et de ses États membres de recourir à un instrument communautaire afin de mettre en œuvre dans la Communauté certains aspects des sanctions prises par le Conseil de sécurité à l’encontre des Taliban d’Afghanistan.

110   Les requérants soutenaient toutefois, premièrement, que les mesures en cause en l’espèce frappaient des particuliers, de surcroît ressortissants d’un État membre, alors que les articles 60 CE et 301 CE autorisent uniquement le Conseil à prendre des mesures à l’égard de pays tiers ; deuxièmement, que les mesures en cause ne visaient pas à interrompre ou à réduire les relations économiques avec un pays tiers, mais à lutter contre le terrorisme international et, plus particulièrement, contre Oussama ben Laden et, troisièmement, que lesdites mesures étaient en tout état de cause disproportionnées par rapport à l’objectif visé par les articles 60 CE et 301 CE.

111   Aucun de ces arguments n’aurait pu prospérer.

112   S’agissant, premièrement, du type de mesures que le Conseil est habilité à prendre au titre des articles 60 CE et 301 CE, le Tribunal considère que rien, dans le libellé de ces dispositions, ne permet d’exclure l’adoption de mesures restrictives frappant directement des individus ou des organisations, que ceux-ci soient ou non établis dans la Communauté, pour autant que de telles mesures visent effectivement à interrompre ou à réduire, en tout ou en partie, les relations économiques avec un ou plusieurs pays tiers.

113   Ainsi que l’a souligné à juste titre le Conseil, les mesures en cause en l’espèce relevaient de ce qu’il est convenu d’appeler les « sanctions intelligentes » (smart sanctions), apparues dans la pratique de l’ONU au cours des années 90. De telles sanctions substituent aux mesures classiques d’embargo commercial général dirigées contre un pays des mesures plus ciblées et sélectives, telles que les sanctions économiques ou financières, les interdictions de voyager, les embargos sur les armes ou sur des produits spécifiques, de manière à réduire les souffrances endurées par la population civile du pays concerné, tout en imposant de véritables sanctions au régime visé et à ses dirigeants.

114   La pratique des institutions communautaires a évolué dans le même sens, le Conseil ayant successivement considéré que les articles 60 CE et 301 CE lui permettaient de prendre des mesures restrictives à l’encontre d’entités ou de personnes contrôlant physiquement une partie du territoire d’un pays tiers [voir, par exemple, le règlement (CE) nº 1705/98 du Conseil, du 28 juillet 1998, concernant l’interruption de certaines relations économiques avec l’Angola afin d’inciter l’« União Nacional para a Independência Total de Angola » (UNITA) à remplir ses obligations dans le processus de paix, et abrogeant le règlement (CE) nº 2229/97 (JO L 215, p. 1)] et contre des entités ou personnes contrôlant effectivement l’appareil gouvernemental d’un pays tiers ainsi qu’à l’encontre des personnes et entités associées à ces dernières et qui leur apportent un soutien économique [voir, par exemple, le règlement (CE) n° 1294/1999 du Conseil, du 15 juin 1999, relatif à un gel des capitaux et à une interdiction des investissements en relation avec la République fédérale de Yougoslavie (RFY) et abrogeant les règlements (CE) n° 1295/98 et (CE) n° 1607/98 (JO L 153, p. 63), et le règlement (CE) nº 2488/2000 du Conseil, du 10 novembre 2000, maintenant un gel des capitaux concernant M. Milosevic et les personnes de son entourage et abrogeant les règlements nº 1294/1999 et (CE) nº 607/2000 ainsi que l’article 2 du règlement (CE) nº 926/98 (JO L 287, p. 19)]. Cette évolution est pleinement compatible avec les mesures prévues aux articles 60 CE et 301 CE.

115   En effet, de même que les sanctions économiques ou financières peuvent légitimement frapper de manière spécifique les dirigeants d’un pays tiers, plutôt que ce pays en tant que tel, elles doivent également pouvoir viser, en quelque endroit qu’ils se trouvent, les individus et entités qui sont associés à ces dirigeants ou contrôlés directement ou indirectement par eux. Ainsi que l’a relevé à juste titre la Commission, les articles 60 CE et 301 CE ne fourniraient pas un moyen efficace de faire pression sur des dirigeants détenant une influence sur la politique d’un pays tiers si la Communauté ne pouvait, sur leur base, adopter des mesures à l’encontre de particuliers qui, bien que n’étant pas domiciliés dans le pays tiers en question, sont suffisamment liés au régime contre lequel les sanctions sont dirigées. Par ailleurs, comme l’a souligné le Conseil, le fait que certains des particuliers ainsi visés se trouvent être des ressortissants d’un État membre est sans pertinence, car, pour être effectives dans un contexte de libre circulation des capitaux, des sanctions financières ne peuvent se limiter aux seuls ressortissants du pays tiers concerné.

116   Cette interprétation, non contraire à la lettre des articles 60 CE et 301 CE, est justifiée tant par des considérations d’efficacité que par des préoccupations d’ordre humanitaire.

117   S’agissant, deuxièmement, de l’objectif poursuivi par le règlement n° 467/2001, le Conseil a fait valoir, en renvoyant aux résolutions 1267 (1999) et 1333 (2000) du Conseil de sécurité, à la position commune 2001/154, ainsi qu’aux considérants 1 et 2 de ce règlement et à son intitulé même, que les mesures en cause étaient essentiellement dirigées contre le régime des Taliban qui, à l’époque, contrôlait effectivement 80 % du territoire afghan et se désignait lui‑même sous le nom d’« Émirat islamique d’Afghanistan » et, accessoirement, contre des personnes et entités qui, par le biais de transactions économiques ou financières, aidaient ledit régime à fournir refuge et entraînement à des terroristes internationaux et à leurs organisations, agissant ainsi en fait comme des agents de ce régime ou lui étant étroitement liées.

118   Pour autant que les requérants faisaient grief au règlement n° 467/2001 d’avoir visé Oussama ben Laden, et non le régime des Taliban, le Conseil a ajouté qu’Oussama ben Laden était en réalité le chef et l’« éminence grise » du régime des Taliban et qu’il disposait de la réalité du pouvoir en Afghanistan. Ses titres temporels et religieux de « Sheikh » (chef) et d’« Emir » (prince, leader, conducteur), et le rang qu’il occupait aux côtés des autres dignitaires religieux Taliban, auraient laissé peu de doutes à cet égard. Par ailleurs, avant même le 11 septembre 2001, Oussama ben Laden aurait prêté un serment d’allégeance (Bay’a) établissant un lien religieux formel entre lui et la direction théocratique talibane. Il aurait donc été dans une situation comparable à celle de M. Milosevic et des membres du gouvernement yougoslave du temps des sanctions économiques et financières prises par le Conseil contre la République fédérale de Yougoslavie (voir point 114 ci-dessus). Quant à Al-Qaida, le Conseil a relevé qu’il était de notoriété publique qu’elle disposait de nombreux camps d’entraînement militaire en Afghanistan et que des milliers de ses membres avaient combattu aux côtés des Taliban entre octobre 2001 et janvier 2002, pendant l’intervention de la coalition internationale.

119   Il n’y a pas lieu de remettre en cause le bien-fondé de ces considérations sur lesquelles existe, au sein de la communauté internationale, un large consensus reflété, notamment, par les diverses résolutions adoptées à l’unanimité par le Conseil de sécurité et qui n’ont pas été spécifiquement réfutées ni même contestées par les requérants.

120   Plus particulièrement, les sanctions en cause en l’espèce avaient pour but principal d’empêcher le régime des Taliban d’obtenir un soutien financier de quelque origine que ce soit, ainsi qu’il ressort du paragraphe 4, sous b), de la résolution 1267 (1999). Elles auraient pu être contournées si les particuliers dont il était considéré qu’ils soutenaient ce régime n’avaient pas été visés par elles. Quant aux rapports entre l’ancien régime des Taliban et Oussama ben Laden, le Conseil de sécurité a estimé que ce dernier, pendant la période en cause, bénéficiait d’une aide à ce point déterminante de la part de ce régime qu’il pouvait être considéré comme en faisant partie. C’est ainsi que, au dixième considérant de la résolution 1333 (2000), le Conseil de sécurité a déploré que les Taliban continuent de donner refuge à Oussama ben Laden et de lui permettre, ainsi qu’à ses associés, de diriger un réseau de camps d’entraînement à partir du territoire tenu par eux et de se servir de l’Afghanistan comme base pour mener des opérations terroristes internationales. Par ailleurs, au septième considérant de sa résolution 1333 (2000), le Conseil de sécurité a réaffirmé sa conviction que la répression du terrorisme international était essentielle pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales.

121   Ainsi, contrairement à ce que soutenaient les requérants, les mesures en cause visaient bien à interrompre ou à réduire les relations économiques avec un pays tiers, dans le cadre de la lutte menée par la communauté internationale contre le terrorisme international et, plus particulièrement, contre Oussama ben Laden et le réseau Al-Qaida.

122   S’agissant, troisièmement, de la proportionnalité des mesures en question, celle-ci doit être appréciée à la lumière de la finalité du règlement n° 467/2001. Ainsi qu’il a été exposé ci‑dessus, l’imposition de sanctions « intelligentes » vise, précisément, à exercer une pression efficace sur les dirigeants du pays concerné, tout en limitant autant que possible l’impact des mesures en cause sur la population de ce pays, notamment par la restriction de leur champ d’application personnel à un certain nombre d’individus nommément désignés. Or, en l’espèce, le règlement n° 467/2001 tendait à accroître la pression exercée sur le régime des Taliban, notamment en gelant les fonds et autres actifs financiers d’Oussama ben Laden et des individus et entités qui lui sont associés, tels qu’identifiés par le comité des sanctions. De telles mesures sont conformes au principe de proportionnalité, qui exige que des sanctions n’excèdent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation de l’objectif poursuivi par la réglementation communautaire les instaurant.

123   Le fait que les mesures en cause visaient également des transactions n’ayant aucun élément transfrontalier n’est, en revanche, pas pertinent. Si l’objectif légitime de ces mesures était de tarir les sources de financement des Taliban et du terrorisme international opérant au départ de l’Afghanistan, elles devaient nécessairement viser tant les transactions internationales que les transactions purement internes, dès lors que celles-ci étaient tout aussi susceptibles que celles-là d’alimenter un tel financement, compte tenu notamment de la libre circulation des personnes et des capitaux et de l’opacité des circuits financiers internationaux.

124   Il découle de ce qui précède que, contrairement à ce que soutenaient les requérants, le Conseil était bien compétent pour adopter le règlement n° 467/2001 sur le fondement des articles 60 CE et 301 CE.

–       Sur la base légale du règlement attaqué

125   À la différence du règlement n° 467/2001, le règlement attaqué a pour base légale non seulement les articles 60 CE et 301 CE, mais également l’article 308 CE. En cela, il reflète l’évolution de la situation internationale dans le cadre de laquelle les sanctions décrétées par le Conseil de sécurité, et mises en œuvre par la Communauté, se sont successivement inscrites.

126   Adoptée dans le cadre des actions entreprises aux fins de la répression du terrorisme international, considérée comme essentielle pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales (voir son septième considérant), la résolution 1333 (2000) du Conseil de sécurité n’en visait pas moins spécifiquement le régime des Taliban qui, à l’époque, contrôlait la plus grande partie du territoire afghan et donnait refuge et assistance à Oussama ben Laden ainsi qu’à ses associés.

127   Ainsi qu’il a déjà été exposé ci-dessus, c’est précisément ce lien expressément établi avec le territoire et le régime dirigeant d’un pays tiers qui a permis au Conseil de fonder le règlement n° 467/2001 sur les articles 60 CE et 301 CE.

128   En revanche, la résolution 1390 (2002) du Conseil de sécurité a été adoptée, le 16 janvier 2002, après l’effondrement de ce régime, consécutif à l’intervention armée de la coalition internationale en Afghanistan, déclenchée en octobre 2001. En conséquence, et bien qu’elle vise encore expressément les Taliban, elle n’est plus dirigée contre leur régime déchu, mais bien plutôt directement contre Oussama ben Laden, le réseau Al-Qaida ainsi que les personnes et entités qui leur sont associées.

129   L’absence de tout lien entre les sanctions à prendre au titre de cette résolution et le territoire ou le régime dirigeant d’un pays tiers, déjà relevée au point 2 de l’exposé des motifs de la proposition de règlement du Conseil présentée par la Commission le 6 mars 2002, qui est à l’origine du règlement attaqué [document COM (2002) 117 final], a été expressément admise par le Conseil aux points 4 et 5 de sa duplique.

130   À défaut d’un tel lien, le Conseil et la Commission ont considéré que les articles 60 CE et 301 CE ne constituaient pas, à eux seuls, une base juridique suffisante pour permettre l’adoption du règlement attaqué. Ces considérations doivent être approuvées.

131   En effet, l’article 60, paragraphe 1, CE dispose que le Conseil, conformément à la procédure prévue à l’article 301 CE, peut prendre, « à l’égard des pays tiers concernés », les mesures urgentes nécessaires en ce qui concerne les mouvements de capitaux et les paiements. L’article 301 CE prévoit expressément la possibilité d’une action de la Communauté visant à interrompre ou à réduire, en tout ou en partie, les relations économiques « avec un ou plusieurs pays tiers ».

132   Par ailleurs, le fait que ces dispositions autorisent l’adoption de « sanctions intelligentes » à l’encontre d’individus ou d’entités qui sont associés aux dirigeants d’un pays tiers ou contrôlés directement ou indirectement par eux (voir points 115 et 116 ci-dessus) ne permet pas de considérer que de tels individus ou entités puissent encore être visés lorsque le régime dirigeant du pays tiers en cause a disparu. Dans de telles circonstances, en effet, il n’existe plus de lien suffisant entre ces individus ou entités et un pays tiers.

133   Il en résulte que, en tout état de cause, les articles 60 CE et 301 CE ne constituaient pas, à eux seuls, une base juridique suffisante pour fonder le règlement attaqué.

134   Par ailleurs, contrairement à la position exprimée par la Commission dans la proposition de règlement du Conseil qui est à l’origine du règlement attaqué (voir point 129 ci-dessus), le Conseil a considéré que l’article 308 CE ne constituait pas non plus, à lui seul, une base juridique adéquate pour permettre l’adoption dudit règlement. Ces considérations doivent également être approuvées.

135   À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence (arrêt de la Cour du 26 mars 1987, Commission/Conseil, 45/86, Rec. p. 1493, point 13), il résulte des termes mêmes de l’article 308 CE que le recours à cet article comme base juridique d’un acte n’est justifié que si aucune autre disposition du traité ne confère aux institutions communautaires la compétence nécessaire pour arrêter cet acte. Dans une telle situation, l’article 308 CE permet aux institutions d’agir en vue de réaliser l’un des objets de la Communauté, nonobstant l’absence d’une disposition leur conférant la compétence nécessaire pour ce faire.

136   S’agissant de la première condition d’applicabilité de l’article 308 CE, il est constant qu’aucune disposition du traité CE ne prévoit l’adoption de mesures, du type de celles prévues par le règlement attaqué, visant à la lutte contre le terrorisme international et, plus particulièrement, à l’imposition de sanctions économiques et financières, telles que le gel des fonds, à l’encontre d’individus et d’entités soupçonnés de contribuer à son financement, sans établir un quelconque lien avec le territoire ou le régime dirigeant d’un pays tiers. Cette première condition est donc remplie en l’espèce.

137   S’agissant de la seconde condition d’applicabilité de l’article 308 CE, conformément à la jurisprudence citée au point 135 ci-dessus, il faut, pour qu’elle soit remplie, que la lutte contre le terrorisme international et, plus particulièrement, l’imposition de sanctions économiques et financières, telles que le gel des fonds, à l’encontre d’individus et d’entités soupçonnés de contribuer à son financement puissent être rattachées à l’un des objets assignés par le traité à la Communauté.

138   En l’occurrence, le préambule du règlement attaqué est particulièrement laconique sur cette question. Tout au plus, le Conseil a-t-il affirmé, au considérant 4 de ce règlement, que les mesures requises au titre de la résolution 1390 (2002) et de la position commune 2002/402 étaient « couvertes par le traité » et qu’il y avait lieu d’arrêter une législation communautaire « pour éviter notamment une distorsion de concurrence ».

139   S’agissant de la pétition de principe selon laquelle les mesures en cause sont « couvertes par le traité », force est au contraire de constater d’emblée qu’aucun des objectifs du traité tels qu’ils sont explicitement énoncés aux articles 2 CE et 3 CE ne paraît susceptible d’être réalisé par les mesures en cause.

140   En particulier, à la différence des mesures prévues à l’encontre de certaines personnes physiques ou morales établies dans la Communauté par le règlement n° 3541/92, invoqué par le Conseil au soutien de sa thèse (voir point 97 ci‑dessus), les mesures prévues par le règlement attaqué ne pourraient pas s’autoriser de l’objectif visant à l’établissement d’une politique commerciale commune [article 3, paragraphe 1, sous b), CE], dans le cadre duquel il a été jugé que la Communauté avait le pouvoir d’adopter des mesures d’embargo commercial au titre de l’article 133 CE, dès lors que les relations commerciales de la Communauté avec un pays tiers ne sont pas en cause en l’espèce.

141   Quant à l’objectif visant à l’établissement d’un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur [article 3, paragraphe 1, sous g), CE], l’affirmation d’un risque de distorsion de la concurrence, que d’après son préambule le règlement attaqué aurait eu pour objet de prévenir, n’emporte pas la conviction.

142   Les règles de concurrence du traité CE s’adressent aux entreprises et aux États membres lorsqu’ils rompent l’égalité concurrentielle entre les entreprises (voir, s’agissant de l’article 87 CE, arrêt de la Cour du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173/73, Rec. p. 709, point 26, et, s’agissant de l’article 81 CE, arrêt de la Cour du 12 juillet 1984, Hydrotherm, 170/83, Rec. p. 2999, point 11).

143   Or, en l’espèce, d’une part, il n’est pas prétendu que les individus ou entités visés par le règlement attaqué le sont en tant qu’entreprises au sens des règles de concurrence du traité CE.

144   D’autre part, il n’est avancé aucune explication qui permettrait de comprendre en quoi la concurrence entre les entreprises pourrait être affectée par la mise en œuvre, au niveau de la Communauté ou de ses États membres, des mesures restrictives spécifiques prescrites à l’encontre de certaines personnes et entités par la résolution 1390 (2002) du Conseil de sécurité.

145   Les considérations qui précèdent ne sont pas remises en cause par le lien établi par la Commission et par le Royaume-Uni, dans leurs écritures, entre l’objectif visé à l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE et l’objectif visant à l’établissement d’un marché intérieur caractérisé, notamment, par l’abolition, entre les États membres, des obstacles à la libre circulation des capitaux [article 3, paragraphe 1, sous c), CE] (voir, notamment, points 99 et 102 à 104 ci-dessus).

146   À cet égard, il convient de relever que la Communauté n’a aucune compétence explicite pour imposer des restrictions aux mouvements de capitaux et aux paiements. En revanche, l’article 58 CE admet que les États membres prennent des mesures ayant un tel effet dans la mesure où cela est et demeure justifié pour atteindre les objectifs prévus par cet article et, notamment, pour des motifs liés à l’ordre public ou à la sécurité publique (voir, par analogie avec l’article 30 CE, arrêt de la Cour du 4 octobre 1991, Richardt, C‑367/89, Rec. p. I‑4621, point 19, et la jurisprudence citée). La notion de sécurité publique englobant tant la sécurité intérieure que la sécurité extérieure de l’État, les États membres seraient donc en principe en droit d’adopter, au titre de l’article 58, paragraphe 1, sous b), CE, des mesures du type de celles prévues par le règlement attaqué. Pour autant que ces mesures soient conformes à l’article 58, paragraphe 3, CE et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé, elles seraient compatibles avec le régime de libre circulation des capitaux et des paiements et avec le régime de libre concurrence instaurés par le traité CE.

147   Il convient d’ajouter que, si la simple constatation d’un risque de disparités entre les réglementations nationales ainsi que du risque abstrait d’entraves à la libre circulation des capitaux ou de distorsions de concurrence susceptibles d’en découler était suffisante pour justifier le choix de l’article 308 CE, en relation avec l’article 3, paragraphe 1, sous c) et g), CE, comme base juridique d’un règlement, non seulement les dispositions du chapitre 3 du titre VI du traité CE, relatives au rapprochement des législations, seraient privées d’effet utile, mais le contrôle juridictionnel du respect de la base juridique pourrait être privé de toute efficacité. Le juge communautaire serait alors empêché d’exercer la fonction, qui lui incombe en vertu de l’article 220 CE, d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application du traité (voir, en ce sens, à propos de l’article 100 A du traité CE, devenu, après modification, article 95 CE, arrêt de la Cour du 5 octobre 2000, Allemagne/Parlement et Conseil, C‑376/98, Rec. p. I‑8419, points 84, 85 et 106 à 108, et la jurisprudence citée).

148   En tout état de cause, les éléments d’appréciation soumis au Tribunal ne permettent pas de considérer que le règlement attaqué contribue effectivement à prévenir un risque d’entraves à la libre circulation des capitaux ou de distorsions sensibles de la concurrence.

149   Le Tribunal estime, en particulier, que, contrairement à ce que soutiennent la Commission et le Royaume-Uni, la mise en œuvre des résolutions en cause du Conseil de sécurité par les États membres, plutôt que par la Communauté, ne serait pas susceptible d’entraîner un risque plausible et sérieux de divergences dans l’application du gel des fonds entre les États membres. D’une part, en effet, ces résolutions contiennent des définitions et des prescriptions claires, précises et détaillées, qui ne laissent pratiquement aucune place à l’interprétation. D’autre part, l’importance des mesures qu’elles appellent, en vue de leur mise en œuvre, ne paraît pas telle qu’il y ait lieu de craindre un tel risque.

150   Dans ces circonstances, les mesures en cause en l’espèce ne peuvent s’autoriser de l’objectif visé à l’article 3, paragraphe 1, sous c) et g), CE.

151   En outre, les divers exemples de recours à la base juridique complémentaire de l’article 308 CE invoqués par le Conseil (voir points 95 et 97 ci-dessus) s’avèrent non pertinents en l’espèce. D’une part, en effet, il ne ressort pas de ces exemples que les conditions d’application de l’article 308 CE, en particulier celle tenant à la réalisation d’un objet de la Communauté, n’étaient pas réunies dans les cas d’espèce concernés. D’autre part, les actes juridiques en cause dans ces exemples n’ont fait l’objet d’aucune contestation à cet égard devant la Cour, notamment dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Delbar, point 96 supra. En toute hypothèse, selon une jurisprudence constante, une simple pratique du Conseil n’est pas susceptible de déroger à des règles du traité et ne peut, par conséquent, créer un précédent liant les institutions de la Communauté quant au choix de la base juridique correcte (arrêt de la Cour du 23 février 1988, Royaume‑Uni/Conseil, 68/86, Rec. p. 855, point 24, et avis de la Cour 1/94, du 15 novembre 1994, Rec. p. I-5267, point 52).

152   Il découle de l’ensemble de ce qui précède que la lutte contre le terrorisme international, et, plus particulièrement, l’imposition de sanctions économiques et financières, telles que le gel des fonds, à l’encontre d’individus et d’entités soupçonnés de contribuer à son financement, ne peut être rattachée à aucun des objets explicitement assignés à la Communauté par les articles 2 CE et 3 CE.

153   Outre les objectifs du traité explicitement énoncés aux articles 2 CE et 3 CE, la Commission a également invoqué, dans ses écrits, un objet de la Communauté d’ordre plus général, qui aurait justifié en l’espèce le recours à la base juridique de l’article 308 CE. Ainsi, la Commission déduit du préambule du traité CE un « objectif général fixé à la Communauté de défendre la paix et la sécurité » internationales (voir point 100 ci-dessus). Cette thèse ne saurait être retenue.

154   Contrairement à ce que soutient la Commission, en effet, il ne ressort nullement du préambule du traité CE que celui-ci poursuit un objectif plus vaste de défense de la paix et de la sécurité internationales. Si ledit traité a incontestablement pour but premier de mettre fin aux conflits du passé entre les peuples européens, par l’établissement d’une « union sans cesse plus étroite » entre eux, c’est sans référence aucune à la mise en œuvre d’une politique étrangère et de sécurité commune. Celle-ci relève exclusivement des objectifs du traité UE qui, comme le souligne son préambule, vise à franchir une « nouvelle étape dans le processus d’intégration européenne engagé par la création des Communautés européennes ».

155   S’il est certes permis d’affirmer que cet objectif de l’Union doit inspirer l’action de la Communauté dans le domaine de ses compétences propres, telle la politique commerciale commune, il ne suffit pas, en revanche, à fonder l’adoption de mesures au titre de l’article 308 CE, surtout dans des domaines où les compétences communautaires sont marginales et limitativement énumérées par le traité.

156   Enfin, il n’apparaît pas possible d’interpréter l’article 308 CE comme autorisant de façon générale les institutions à se fonder sur cette disposition en vue de réaliser l’un des objectifs du traité UE. En particulier, le Tribunal considère que la coexistence de l’Union et de la Communauté en tant qu’ordres juridiques intégrés mais distincts, ainsi que l’architecture constitutionnelle des piliers, voulues par les auteurs des traités actuellement en vigueur, n’autorisent ni les institutions ni les États membres à se fonder sur la « clause de flexibilité » de l’article 308 CE en vue de pallier l’absence d’une compétence de la Communauté nécessaire à la réalisation d’un objectif de l’Union. En décider autrement reviendrait, en dernier ressort, à rendre cette disposition susceptible d’être appliquée à l’ensemble des mesures relevant de la PESC et de la coopération policière et judiciaire en matière pénale (JAI), de sorte que la Communauté pourrait toujours agir pour atteindre les objectifs de ces politiques. Un tel résultat priverait de nombreuses dispositions du traité UE de leur champ d’application et serait incohérent avec la mise en place d’instruments propres à la PESC (stratégies communes, actions communes, positions communes) et à la JAI (positions communes, décisions, décisions-cadres).

157   Force est donc de conclure que, pas plus que les articles 60 CE et 301 CE pris isolément, l’article 308 CE ne constitue, à lui seul, une base juridique suffisante pour fonder le règlement attaqué.

158   Tant dans les considérants du règlement attaqué que dans ses écrits, le Conseil a toutefois fait valoir que l’article 308 CE, utilisé conjointement avec les articles 60 CE et 301 CE, lui donne le pouvoir d’adopter un règlement communautaire qui vise à la lutte contre le financement du terrorisme international, entreprise par l’Union et par ses États membres au titre de la PESC, et qui impose à cette fin des sanctions économiques et financières à l’encontre de particuliers, sans établir un quelconque lien avec le territoire ou avec le régime dirigeant d’un pays tiers. Ces considérations méritent d’être approuvées.

159   Dans ce contexte, en effet, il y a lieu de tenir compte de la passerelle spécifiquement établie, lors de la révision résultant du traité de Maastricht, entre les actions de la Communauté portant sanctions économiques au titre des articles 60 CE et 301 CE et les objectifs du traité UE en matière de relations extérieures.

160   Force est effectivement de constater que les articles 60 CE et 301 CE sont des dispositions tout à fait particulières du traité CE, en ce qu’elles envisagent expressément qu’une action de la Communauté puisse s’avérer nécessaire en vue de réaliser non pas l’un des objets de la Communauté, tels qu’ils sont fixés par le traité CE, mais un des objectifs spécifiquement assignés à l’Union par l’article 2 UE, à savoir la mise en œuvre d’une politique étrangère et de sécurité commune.

161   Dans le cadre des articles 60 CE et 301 CE, l’action de la Communauté est donc en réalité une action de l’Union mise en œuvre sur le fondement du pilier communautaire après adoption par le Conseil d’une position commune ou d’une action commune au titre de la PESC.

162   Il convient de relever, à cet égard, que, aux termes de l’article 3 UE, l’Union dispose d’un cadre institutionnel unique qui assure la cohérence et la continuité des actions en vue d’atteindre ses objectifs, tout en respectant et en développant l’acquis communautaire. L’Union veille, en particulier, à la cohérence de l’ensemble de son action extérieure dans le cadre de ses politiques en matière de relations extérieures, de sécurité, d’économie et de développement. Le Conseil et la Commission ont la responsabilité d’assurer cette cohérence et coopèrent à cet effet. Ils assurent, chacun selon ses compétences, la mise en œuvre de ces politiques.

163   Or, tout comme les pouvoirs d’action prévus par le traité CE peuvent s’avérer insuffisants pour permettre aux institutions d’agir en vue de réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l’un des objets de la Communauté, de même les pouvoirs de sanctions économiques et financières prévus par les articles 60 CE et 301 CE, à savoir l’interruption ou la réduction des relations économiques avec un ou plusieurs pays tiers, notamment en ce qui concerne les mouvements de capitaux et les paiements, peuvent s’avérer insuffisants pour permettre aux institutions de réaliser l’objectif de la PESC, relevant du traité UE, en vue duquel ces dispositions ont été spécifiquement insérées dans le traité CE.

164   Il convient donc d’admettre que, dans le contexte particulier envisagé par les articles 60 CE et 301 CE, le recours à la base juridique complémentaire de l’article 308 CE se justifie, au nom de l’exigence de cohérence énoncée à l’article 3 UE, lorsque ces dispositions ne confèrent pas aux institutions communautaires la compétence nécessaire, en matière de sanctions économiques et financières, pour agir en vue de réaliser l’objectif poursuivi par l’Union et ses États membres au titre de la PESC.

165   Il se peut, ainsi, qu’une position commune ou une action commune adoptées au titre de la PESC requièrent de la Communauté des mesures de sanctions économiques et financières allant au-delà de celles, explicitement prévues par les articles 60 CE et 301 CE, qui consistent en l’interruption ou en la réduction des relations économiques avec un ou plusieurs pays tiers, notamment en ce qui concerne les mouvements de capitaux et les paiements.

166   Dans une telle hypothèse, le recours à la base juridique cumulée des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE permet de réaliser, en matière de sanctions économiques et financières, l’objectif poursuivi dans le cadre de la PESC par l’Union et par ses États membres, tel qu’il est exprimé dans une position commune ou une action commune, nonobstant l’absence d’attribution expresse à la Communauté des pouvoirs de sanctions économiques et financières visant des individus ou entités ne présentant aucun lien suffisant avec un pays tiers déterminé.

167   En l’occurrence, la lutte contre le terrorisme international et son financement relève incontestablement des objectifs de l’Union au titre de la PESC, tels qu’ils sont définis à l’article 11 UE, même lorsqu’elle ne vise pas spécifiquement les pays tiers ou leurs dirigeants.

168   Il est constant, par ailleurs, que la position commune 2002/402 a été adoptée par le Conseil, à l’unanimité, dans le cadre de cette lutte et qu’elle prescrit l’imposition par la Communauté de sanctions économiques et financières à l’encontre de particuliers soupçonnés de contribuer au financement du terrorisme international, sans plus établir un quelconque lien avec le territoire ou le régime dirigeant d’un pays tiers.

169   Dans ce contexte, le recours à l’article 308 CE, afin de compléter les pouvoirs de sanctions économiques et financières conférés à la Communauté par les articles 60 CE et 301 CE, est justifié par la considération que, dans le monde actuel, les États ne peuvent plus être considérés comme la seule source des menaces à la paix et à la sécurité internationales. Pas plus que la communauté internationale, l’Union et son pilier communautaire ne sauraient être empêchés de s’adapter à ces nouvelles menaces par l’imposition de sanctions économiques et financières non seulement à l’encontre des pays tiers, mais également à l’encontre des personnes, groupes, entreprises ou entités associés développant une activité terroriste internationale ou portant autrement atteinte à la paix et à la sécurité internationales.

170   C’est dès lors à bon droit que les institutions et le Royaume-Uni soutiennent que le Conseil était compétent pour adopter le règlement attaqué, qui met en œuvre dans la Communauté les sanctions économiques et financières prévues par la position commune 2002/402, sur le fondement combiné des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE.

171   La première branche du premier moyen doit, par conséquent, être rejetée.

 Sur la deuxième branche

 Arguments des parties

172   Dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen, les requérants font valoir que l’habilitation donnée à la Commission, d’abord au titre de l’article 10, paragraphe 1, du règlement n° 467/2001, puis au titre de l’article 7, paragraphe 1, du règlement attaqué, a une portée beaucoup plus étendue que celle d’une simple compétence d’exécution d’un règlement du Conseil et qu’elle enfreint, dès lors, l’article 202 CE. Selon eux, en effet, une décision de la Commission d’inscrire une personne à l’annexe I du règlement attaqué revient, de fait, à modifier son article 2.

173   Le Conseil et la Commission soutiennent que la délégation de compétences d’exécution conférée en l’espèce à la Commission est conforme à l’article 202 CE.

 Appréciation du Tribunal

174   La deuxième branche du premier moyen est devenue inopérante à la suite de l’abrogation du règlement n° 467/2001 et de son remplacement par le règlement attaqué. En effet, s’il est vrai que les requérants avaient été initialement inclus dans l’annexe I du règlement n° 467/2001 par le règlement n° 2199/2001 de la Commission, adopté sur habilitation du Conseil au titre de l’article 10, paragraphe 1, du premier de ces règlements, leur inclusion dans l’annexe I du règlement attaqué est désormais le fait de ce règlement lui-même, tel qu’il a été adopté par le Conseil sans nouvelle intervention de la Commission.

175   Quant aux modifications introduites par le règlement n° 866/2003 (point 41 ci‑dessus), elles sont purement rédactionnelles, ainsi que M. Yusuf l’a reconnu (point 63 ci-dessus), et elles doivent donc être considérées comme relevant de l’exercice d’une simple compétence d’exécution, dont la délégation à la Commission est conforme à l’article 202 CE.

176   Il s’ensuit que la deuxième branche du moyen doit être rejetée.

 Sur la troisième branche

 Arguments des parties

177   Dans le cadre de la troisième branche du premier moyen, les requérants font valoir qu’il n’entrait pas dans les compétences du Conseil de déléguer à un organe extérieur à la Communauté – en l’occurrence, le comité des sanctions – un pouvoir de décision en matière de droits civils et économiques des États membres et de leurs ressortissants.

178   Le Royaume-Uni rétorque qu’il n’y a, en l’espèce, aucune délégation de compétences communautaires aux organes des Nations unies. Bien au contraire, les institutions auraient exclusivement agi en vue d’assurer le respect, par les États membres de la Communauté, de leurs obligations au titre de la charte des Nations unies, lesquelles l’emportent sur toute autre obligation, conformément à l’article 103 de cette charte.

 Appréciation du Tribunal

179   Les décisions prises en l’espèce par le comité des sanctions à l’encontre des requérants l’ont été sur délégation du Conseil de sécurité, en utilisant les informations recueillies sous sa propre responsabilité. Par ailleurs, les résolutions en cause du Conseil de sécurité ne constituent pas l’exercice de pouvoirs délégués par la Communauté, mais l’exercice que le Conseil de sécurité fait de ses propres pouvoirs en vertu de la charte des Nations unies. La circonstance que les institutions communautaires, à la suite de l’adoption de la position commune 2002/402, se sont estimées tenues de se conformer à ces décisions et résolutions, dans l’exercice de leurs compétences propres, est, à cet égard, sans pertinence.

180   La troisième branche du moyen apparaît ainsi fondée sur une prémisse erronée et doit, dès lors, être rejetée.

2.     Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 249 CE

 Arguments des parties

181   Les requérants soutiennent que, dans la mesure où le règlement attaqué porte directement atteinte aux droits des particuliers et prescrit l’application de sanctions individuelles, il n’a pas de portée générale et contrevient donc à l’article 249 CE. La condition relative à la portée générale, prévue par cette disposition, s’opposerait en effet à ce que des cas particuliers soient réglés, comme en l’espèce, par la voie d’un règlement. Cette condition découlerait du principe général d’égalité devant la loi et serait une condition sine qua non pour que le droit communautaire n’entre pas en conflit avec les lois constitutionnelles des États membres ou avec les principes généraux relatifs aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales. La manière de procéder consistant à édicter une norme par le biais d’une liste serait également contraire aux principes de légalité et de sécurité juridique.

182   Dans leur réplique, les requérants soulignent que les individus et entités visés par le règlement attaqué ne sont pas issus d’un quelconque cercle de personnes désignées de manière abstraite, mais correspondent nom pour nom aux personnes figurant sur la liste du comité des sanctions. Il n’existerait pas non plus de situation déterminée objectivement, décrite par des conditions formulées de manière générale, qui pourrait expliquer la raison pour laquelle les noms des requérants figurent précisément à l’annexe I du règlement attaqué. Dans ces conditions, l’acte attaqué ne devrait pas être analysé comme un règlement, mais comme un faisceau de décisions individuelles, au sens de l’arrêt de la Cour du 13 mai 1971, International Fruit e.a./Commission (41/70 à 44/70, Rec. p. 411).

183   Les institutions et le Royaume-Uni font valoir que le règlement attaqué a bien une portée générale.

 Appréciation du Tribunal

184   Aux termes de l’article 249, deuxième alinéa, CE, le règlement a une portée générale et est directement applicable dans tout État membre, alors qu’une décision n’est obligatoire que pour les destinataires qu’elle désigne.

185   Selon une jurisprudence constante, le critère de distinction entre le règlement et la décision doit être recherché dans la portée générale ou non de l’acte en question. Les traits essentiels de la décision résultent de la limitation des destinataires auxquels elle s’adresse, alors que le règlement, de caractère essentiellement normatif, est applicable à des situations envisagées objectivement, en comportant des effets juridiques à l’égard de catégories de personnes envisagées de manière générale et abstraite. Par ailleurs, la nature réglementaire d’un acte n’est pas remise en cause par la possibilité de déterminer avec plus ou moins de précision le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels il s’applique à un moment donné, tant qu’il est constant que cette application s’effectue en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte, en relation avec la finalité de ce dernier (arrêts de la Cour du 14 décembre 1962, Fédération nationale de la boucherie en gros e.a./Conseil, 19/62 à 22/62, Rec. p. 943, point 2 ; du 11 juillet 1968, Zuckerfabrik Watenstedt/Conseil, 6/68, Rec. p. 595, 604 ; du 30 septembre 1982, Roquette Frères/Conseil, 242/81, Rec. p. 3213, points 6 et 7 ; du 29 juin 1993, Gibraltar/Conseil, C‑298/89, Rec. p. I‑3605, point 17, et du 31 mai 2001, Sadam Zuccherifici e.a./Conseil, C‑41/99 P, Rec. p. I‑4239, point 24 ; ordonnance de la Cour du 24 avril 1996, CNPAAP/Conseil, C‑87/95 P, Rec. p. I‑2003, point 33 ; ordonnance du Tribunal du 6 mai 2003, DOW AgroSciences/Parlement et Conseil, T‑45/02, Rec. p. II‑1973, point 31).

186   En l’espèce, le règlement attaqué a incontestablement une portée générale, puisqu’il interdit à quiconque de mettre des fonds ou des ressources économiques à la disposition de certaines personnes. La circonstance que ces personnes sont nommément désignées à l’annexe I de ce règlement, de sorte qu’elles apparaissent comme étant directement et individuellement concernées par celui-ci, au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, n’affecte en rien la généralité de cette interdiction qui vaut erga omnes, ainsi qu’il ressort en particulier de l’article 11, aux termes duquel le règlement attaqué s’applique :

–       sur le territoire de la Communauté, y compris son espace aérien,

–       à bord de tout aéronef ou de tout navire relevant de la juridiction d’un État membre,

–       à tout ressortissant d’un État membre, quel que soit l’endroit où il se trouve,

–       à toute personne morale, toute entité ou tout groupe qui est établi ou constitué selon la législation d’un État membre,

–       et à toute personne morale, tout groupe ou toute entité qui entretient des relations commerciales dans la Communauté.

187   L’argumentation des requérants procède en réalité d’une confusion entre le concept de destinataire d’un acte et celui d’objet de cet acte. L’article 249 CE n’envisage que le premier de ces concepts, en ce qu’il dispose que le règlement a une portée générale, alors que la décision n’est obligatoire que pour les destinataires qu’elle désigne. En revanche, l’objet est un critère non pertinent pour la qualification d’un acte de réglementaire ou de décisionnel.

188   Ainsi, un acte ayant pour objet le gel des fonds des auteurs d’actes terroristes, envisagés en tant que catégorie générale et abstraite, serait une décision s’il avait pour destinataires une ou plusieurs personnes nommément désignées. Inversement, un acte ayant pour objet le gel des fonds d’une ou de plusieurs personnes nommément désignées est bien un règlement s’il s’adresse de manière générale et abstraite à l’ensemble des personnes susceptibles de détenir matériellement les fonds en question. Tel est précisément le cas en l’espèce.

189   Le deuxième moyen doit, dès lors, être rejeté.

3.     Sur le troisième moyen, tiré de la violation des droits fondamentaux des requérants

 Arguments des parties

190   Les requérants, qui renvoient tant à l’article 6, paragraphe 2, UE qu’à la jurisprudence de la Cour (arrêts du 12 novembre 1969, Stauder, 29/69, Rec. p. 419 ; du 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft, 11/70, Rec. p. 1125, et du 14 mai 1974, Nold/Commission, 4/73, Rec. p. 491, point 13), soutiennent que le règlement attaqué viole leurs droits fondamentaux, notamment leur droit à disposer de leurs biens et les droits de la défense, tels qu’ils sont garantis par l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), en ce que ce règlement leur impose de lourdes sanctions, de caractère à la fois civil et pénal, sans qu’ils aient été préalablement entendus ou mis en mesure de se défendre et sans que ledit acte ait été soumis à un quelconque contrôle juridictionnel.

191   S’agissant plus particulièrement de la violation alléguée des droits de la défense, les requérants soulignent qu’ils n’ont pas été informés des raisons des sanctions qui leur sont infligées, qu’ils n’ont pas obtenu communication des moyens de preuve et circonstances qui leur sont opposés et qu’ils n’ont pas davantage eu l’occasion de s’expliquer (arrêts de la Cour du 23 octobre 1974, Transocean Marine Paint/Commission, 17/74, Rec. p. 1063 ; du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 14 ; du 10 juillet 1986, Belgique/Commission, 40/85, Rec. p. 2321, et du 27 juin 1991, Al-Jubail Fertilizer et Saudi Arabian Fertilizer/Conseil, C‑49/88, Rec. p. I‑3187). Leur inscription sur la liste de l’annexe I du règlement attaqué serait exclusivement motivée par le fait qu’ils ont été inscrits sur la liste établie par le comité des sanctions, sur la base des informations communiquées par les États et les organisations internationales ou régionales. Ni le Conseil ni la Commission n’auraient examiné les motifs pour lesquels ledit comité les a inscrits sur cette liste. L’origine des informations reçues par ce comité serait particulièrement obscure et les raisons pour lesquelles certains particuliers y sont inscrits, sans avoir été préalablement entendus, ne seraient pas mentionnées. Ainsi, la procédure ayant conduit à l’inscription des requérants sur la liste de l’annexe I du règlement attaqué serait frappée dans son ensemble du sceau de la confidentialité. De tels manquements à leur égard ne pourraient pas être réparés a posteriori (arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission, C‑51/92 P, Rec. p. I‑4235).

192   S’agissant plus particulièrement de la violation alléguée du droit à un contrôle juridictionnel, les requérants relèvent que, dans l’arrêt du 27 novembre 2001, Commission/Autriche (C‑424/99, Rec. p. I‑9285, point 45), la Cour a jugé que, selon une jurisprudence constante, l’exigence d’un tel contrôle constitue un principe général du droit communautaire, qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a trouvé sa consécration dans les articles 6 et 13 de la CEDH. Ce droit impliquerait l’existence de recours efficaces devant une instance juridique satisfaisant à certaines conditions telles que l’indépendance et la neutralité.

193   En l’occurrence, ni la Commission ni le Conseil ne satisferaient à ces conditions.

194   Il en irait de même du Conseil de sécurité et de son comité des sanctions, qui seraient des organes politiques devant lesquels seuls les États sont autorisés à se présenter. En l’occurrence, le comité des sanctions aurait fait savoir au gouvernement suédois qu’il n’était pas possible de procéder à un examen au fond de la demande des requérants tendant à leur retrait de la liste établie par ce comité. Cette demande aurait toutefois été communiquée aux quinze membres du comité des sanctions en tant que proposition de décision. Trois membres seulement de ce comité, à savoir les États-Unis, le Royaume-Uni et la Russie, se seraient opposés à cette demande. Toutefois, en raison de la règle de l’unanimité qui préside aux travaux du comité des sanctions, les noms des requérants auraient été maintenus sur la liste en cause.

195   Quant au contrôle exercé par le Tribunal dans le cadre du présent recours, les requérants objectent qu’un recours en annulation, qui ne vise que la légalité du règlement attaqué en tant que telle, ne permet pas un examen au fond de la légalité des sanctions au regard des droits fondamentaux dont la violation est invoquée. En outre, compte tenu de la technique législative utilisée, consistant en l’élaboration de listes de personnes et entités visées par ces sanctions, un tel examen au fond serait dénué de sens, puisque limité à la question de savoir si les noms figurant sur ces listes correspondent à ceux figurant sur les listes du comité des sanctions.

196   Les requérants relèvent néanmoins certaines erreurs ou irrégularités dont serait entaché le règlement attaqué. Ainsi, l’entité « Barakaat International, Hallbybacken 15, 70 Spånga, Suède », mentionnée à l’annexe I de ce règlement, sous la rubrique « Personnes morales, groupes et entités », serait la même entité que la requérante Al Barakaat, visée à la même rubrique. Les requérants expliquent qu’Al Barakaat a transféré son siège social. Par ailleurs, en tant que telle, l’adresse indiquée serait erronée.

197   De même, l’entité « Somali Network AB, Hallbybacken 15, 70 Spånga, Suède », mentionnée à la même rubrique de l’annexe I du règlement attaqué, précédemment détenue par trois des requérants initiaux, MM. Aden, Ali et Yusuf, et dont l’activité était la vente de cartes téléphoniques, aurait cessé ses activités à la fin de l’an 2000 et aurait été cédée en été 2001, et sa dénomination sociale changée en « Trä & Inredningsmontage i Kärrtorp » le 4 octobre 2001. Les nouveaux actionnaires n’auraient aucun lien avec les requérants et sembleraient exercer leurs activités dans le secteur du bâtiment. Le comité des sanctions ayant néanmoins inscrit cette entité sur sa liste le 9 novembre 2001, il serait manifeste que sa documentation était lacunaire et qu’il n’y avait pas de contrôle au cas par cas.

198   Les requérants ajoutent que, de sa propre initiative, Al Barakaat a remis ses documents comptables au service de la police suédoise chargé de la lutte contre le terrorisme, la SÄPO. Après analyse, la SÄPO aurait retourné ces documents aux requérants en leur faisant savoir qu’ils étaient en ordre, ce qui démontrerait que les sanctions prises contre Al Barakaat sont injustifiées.

199   À titre d’offres de preuve, le premier requérant, M. Yusuf, demande à être entendu par le Tribunal. Il demande également l’audition de Sir Jeremy Greenstock, président du comité des sanctions à l’époque de l’adoption des sanctions contre lui.

200   Dans leur réplique, les requérants contestent par ailleurs l’argument selon lequel le Conseil serait tenu de mettre en œuvre les sanctions prises par le Conseil de sécurité au motif que celles-ci s’imposeraient aux États membres de la Communauté en vertu de la charte des Nations unies.

201   Selon les requérants, il n’existe aucun engagement absolu en vertu de l’article 25 de la charte des Nations unies et la disposition de l’article 103 de cette charte n’est contraignante qu’en droit international public et n’implique en aucun cas que les membres des Nations unies doivent méconnaître leurs propres lois.

202   Les résolutions du Conseil de sécurité ne seraient pas d’application directe dans les États membres de l’ONU, mais devraient être transposées dans leur droit interne, en conformité avec leurs dispositions constitutionnelles et les principes fondamentaux du droit. Si ces dispositions s’opposent à une telle transposition, elles devraient d’abord être modifiées pour la rendre possible.

203   Ainsi, en Suède, un projet de loi destiné à mettre en œuvre la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité, du 28 septembre 2001, qui prévoit notamment le gel des avoirs de personnes et entités qui commettent ou tentent de commettre des actes de terrorisme, les facilitent ou y participent, aurait été retiré par le gouvernement après que le Lagrådet (Conseil de législation) eut fait remarquer que toute décision de gel des avoirs doit être prise par le ministère public et pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel.

204   En outre, il résulterait de l’article 24, paragraphe 2, de la charte des Nations unies qu’il appartient toujours au Conseil de sécurité d’agir en conformité avec les objectifs et les principes des Nations unies. Une condition à l’engagement des membres de l’ONU en vertu de l’article 25 de la charte serait que les compétences du Conseil de sécurité pour adopter des décisions contraignantes découlent d’autres dispositions de cette charte. La charte des Nations unies s’adressant exclusivement à des États et ne créant ni droits ni obligations dans le chef des particuliers, il serait permis de se demander si les États membres de l’ONU sont liés par les décisions du Conseil de sécurité imposant des sanctions contre Oussama ben Laden et les personnes qui lui sont associées. On pourrait même se demander si ces décisions ne sont pas contraires à l’objectif explicite des Nations unies de promouvoir les droits de l’homme et les libertés fondamentales pour tous, conformément à l’article 1er, paragraphe 3, de la charte des Nations unies.

205   À titre principal, le Conseil soutient que les circonstances dans lesquelles le règlement attaqué a été adopté excluent tout comportement illicite de sa part.

206   À cet égard, le Conseil et la Commission, qui renvoient notamment à l’article 24, paragraphe 1, et aux articles 25, 41, 48 et 103 de la charte des Nations unies, font valoir, premièrement, que, à l’instar des États membres de l’ONU, la Communauté est tenue, en vertu du droit international, de mettre en œuvre, dans ses domaines de compétence, les résolutions du Conseil de sécurité, en particulier celles prises dans le cadre du chapitre VII de la charte des Nations unies ; deuxièmement, que la compétence des institutions communautaires en la matière est liée et que ces institutions ne disposent d’aucun pouvoir discrétionnaire autonome ni d’aucune marge d’appréciation ; troisièmement, qu’elles ne peuvent dès lors ni modifier le contenu de ces résolutions ni mettre en place des mécanismes susceptibles de donner lieu à une modification de leur contenu et, quatrièmement, que tout autre accord international ou règle de droit interne susceptibles de faire obstacle à cette mise en œuvre doivent être écartés.

207   Le Conseil et la Commission relèvent ainsi que le Conseil de sécurité, agissant au nom des membres de l’ONU, exerce la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Ils soulignent que les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de cette charte sont d’application universelle et contraignantes dans leur totalité et sans réserve pour les membres des Nations unies, qui doivent leur reconnaître la primauté sur tout autre engagement international. L’article 103 de la charte des Nations unies permettrait ainsi d’écarter toute autre disposition du droit international conventionnel ou coutumier en vue d’appliquer les résolutions du Conseil de sécurité, créant par là même un « effet de licéité ».

208   Selon les institutions, les droits nationaux ne peuvent pas davantage faire obstacle aux mesures d’exécution adoptées en application de la charte des Nations unies. Si un membre de l’ONU avait la possibilité de modifier le contenu des résolutions du Conseil de sécurité, l’uniformité de leur application, qui est indispensable pour en garantir l’efficacité, ne pourrait pas être maintenue.

209   La Commission ajoute que, conformément à l’article 27 de la convention de Vienne sur le droit des traités, conclue à Vienne le 23 mai 1969, un État ne peut invoquer les dispositions de son droit interne pour justifier la non-exécution d’un traité. Si une norme juridique nationale est en contradiction avec une obligation de droit international, il incomberait à l’État concerné soit d’interpréter ladite norme dans l’esprit du traité, soit de modifier sa législation nationale de manière à rendre celle-ci compatible avec l’obligation de droit international.

210   Bien que la Communauté elle-même ne soit pas membre de l’ONU, elle serait tenue d’agir, dans ses domaines de compétence, de manière à remplir les obligations qui incombent à ses États membres du fait de leur appartenance aux Nations unies. À cet égard, la Commission relève que les compétences de la Communauté doivent être exercées dans le respect du droit international (arrêts de la Cour du 24 novembre 1992, Poulsen et Diva Navigation, C‑286/90, Rec. p. I‑6019, point 9, et du 16 juin 1998, Racke, C‑162/96, Rec. p. I‑3655, point 45). Le Conseil et la Commission invoquent également l’arrêt Dorsch Consult/Conseil et Commission, point 82 supra. Bien que cet arrêt ait concerné l’institution d’un embargo commercial, mesure de politique commerciale commune qui relève, en vertu de l’article 133 CE, de la compétence exclusive de la Communauté, le Conseil et la Commission estiment que le principe qu’il pose vaut également en ce qui concerne les restrictions aux mouvements de capitaux et aux paiements adoptées en vertu des articles 60 CE et 301 CE, compte tenu de l’évolution des compétences de la Communauté en matière de sanctions à l’égard des pays tiers.

211   Le Conseil généralise cette proposition en faisant valoir que, lorsque la Communauté agit pour exécuter des obligations qui incombent à ses États membres du fait de leur appartenance à l’ONU, que ce soit parce que ces derniers lui ont transféré les compétences nécessaires ou parce qu’ils estiment que son intervention est opportune sur le plan politique, il y a lieu de considérer à toutes fins pratiques qu’elle est dans la même position que les membres de l’ONU, compte tenu de l’article 48, paragraphe 2, de la charte des Nations unies.

212   Il s’ensuit, selon le Conseil, que, quand la Communauté prend des mesures à des fins correspondant au souhait de ses États membres d’exécuter leurs obligations au titre de la charte des Nations unies, elle bénéficie forcément de la protection accordée par cette charte et, en particulier, de l’« effet de licéité ».

213   Le Conseil souligne, en outre, que, lorsque la Communauté agit dans ce cadre, sa compétence est liée par les décisions de politique étrangère et de sécurité commune qui mettent en œuvre les résolutions du Conseil de sécurité, en particulier celles prises au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, qui doivent être introduites dans l’ordre juridique communautaire.

214   En l’espèce, le règlement attaqué aurait été arrêté en vue de mettre en œuvre, dans l’ordre juridique communautaire, les résolutions 1267 (1999), 1333 (2000) et 1390 (2002) du Conseil de sécurité, par la transposition automatique de toute liste de personnes ou d’entités qui serait établie par le comité des sanctions conformément aux procédures applicables, sans exercice d’un quelconque pouvoir discrétionnaire autonome, ainsi que cela ressortirait clairement tant du préambule du règlement attaqué que de son article 7, paragraphe 1.

215   De l’avis du Conseil et de la Commission, de telles circonstances excluent a priori toute illégalité de la part des institutions. Une fois que la Communauté avait décidé d’agir en vertu de la position commune 2002/402, elle n’avait pas la possibilité, sans violer ses propres obligations internationales, les engagements internationaux de ses États membres et le devoir de coopération loyale entre les États membres et la Communauté, énoncé à l’article 10 CE, d’exclure certaines personnes de la liste ou de les informer au préalable ou, à défaut, de prévoir des moyens de recours permettant de contrôler si les mesures en cause étaient justifiées.

216   Il en irait ainsi, selon le Conseil, même si le règlement attaqué devait être considéré comme portant atteinte aux droits fondamentaux des requérants. Le Conseil estime, en effet, que l’« effet de licéité » vaut également à l’égard des droits fondamentaux qui, comme le prévoient les instruments juridiques internationaux, peuvent être suspendus temporairement en cas d’urgence.

217   Les requérants ayant mis en doute, dans leur réplique, la conformité des résolutions en cause du Conseil de sécurité à l’article 1er, paragraphe 3, de la charte des Nations unies, le Conseil répond qu’il y a lieu de supposer que, dans le cadre des pouvoirs spéciaux qui lui sont reconnus par le chapitre VII de cette charte, le Conseil de sécurité a mis en balance les droits fondamentaux des victimes des sanctions avec ceux des victimes du terrorisme, et notamment le droit de celles-ci à la vie.

218   Par ailleurs, le Conseil et la Commission considèrent comme sans lien avec la présente affaire les développements consacrés par les requérants au processus législatif relatif à la mise en œuvre de la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité en Suède, qui se situerait dans un contexte radicalement différent de celui de la mise en œuvre de la résolution 1390 (2002). Lors de la mise en œuvre de la résolution 1373 (2001), les États membres et la Communauté auraient en effet disposé d’une large marge discrétionnaire d’appréciation.

219   En tout état de cause, le Conseil et la Commission estiment que la compétence du Tribunal, dans la présente espèce, devrait être limitée à l’examen de la question de savoir si les institutions ont commis une erreur manifeste en exécutant les obligations énoncées dans la résolution 1390 (2002) du Conseil de sécurité. Tout exercice de compétence allant au-delà, qui équivaudrait à un contrôle judiciaire indirect et sélectif des mesures contraignantes arrêtées par le Conseil de sécurité dans le cadre de son rôle de maintien de la paix et de la sécurité internationales, risquerait de saper l’un des fondements de l’ordre mondial instauré en 1945, causerait des perturbations majeures dans les relations internationales de la Communauté et de ses États membres, serait contestable au regard de l’article 10 CE et entrerait en conflit avec l’obligation qu’a la Communauté de respecter le droit international, dont font partie les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies. Les institutions et le Royaume-Uni estiment que des mesures de cette nature ne peuvent pas être contestées au niveau national ou communautaire, mais uniquement devant le Conseil de sécurité lui-même, par l’intermédiaire du gouvernement de l’État dont les requérants sont ressortissants ou sur le territoire duquel ils résident (ordonnance « Invest » Import und Export et Invest Commerce/Commission, point 85 supra, point 40).

220   À titre subsidiaire, pour le cas où le Tribunal déciderait de procéder à un examen complet du bien-fondé des différents arguments invoqués par les requérants, le Conseil et la Commission font valoir que le règlement attaqué ne porte pas atteinte aux droits et libertés fondamentaux dont la violation est alléguée.

221   Premièrement, les mesures mises en œuvre par le règlement attaqué ne porteraient pas atteinte au droit des requérants de jouir de leur propriété, dès lors que ce droit ne jouit pas d’une protection absolue et que son exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général.

222   Deuxièmement, le règlement attaqué ne porterait pas non plus atteinte aux droits de la défense.

223   Troisièmement, s’agissant du droit à un recours juridictionnel effectif, les institutions et le Royaume-Uni relèvent que les requérants ont été en mesure de faire connaître leur avis au Conseil de sécurité et qu’ils ont pu saisir le Tribunal du présent recours au titre de l’article 230 CE, dans le cadre duquel ils peuvent invoquer, notamment, l’incompétence des institutions communautaires pour adopter le règlement attaqué ainsi que l’illégalité de l’atteinte portée à leurs droits de propriété.

224   Selon le Conseil, le différend entre les parties porte non pas sur l’existence même d’un droit à un recours juridictionnel effectif, mais sur l’étendue du contrôle juridictionnel qui apparaît justifiée ou appropriée en l’espèce.

225   À cet égard, le Conseil admet que, lorsque la Communauté décide de sa propre initiative de prendre des mesures unilatérales de coercition économique et financière, le contrôle juridictionnel doit s’étendre à l’examen des preuves retenues contre les personnes sanctionnées. En revanche, selon le Conseil et le Royaume-Uni, lorsque la Communauté agit sans exercer aucun pouvoir discrétionnaire, sur la base d’une décision prise par l’organe auquel la communauté internationale a conféré des pouvoirs considérables en vue de préserver la paix et la sécurité internationales, un contrôle juridictionnel complet risquerait de saper le système de l’ONU tel qu’il a été établi en 1945, pourrait porter gravement atteinte aux relations internationales de la Communauté et des États membres et entrerait en contradiction avec l’obligation qu’a la Communauté de respecter le droit international. Le Conseil estime que, dans le cas d’espèce, le contrôle juridictionnel du juge communautaire ne peut aller au-delà de celui reconnu dans les États membres en ce qui concerne la réception, dans l’ordre juridique interne, de décisions prises par des organes de la communauté internationale agissant dans le but de préserver la paix et la sécurité internationales. À cet égard, le Conseil fait observer que, dans plusieurs États membres, les actes d’application des résolutions du Conseil de sécurité sont qualifiés d’« actes de gouvernement » et échappent totalement à la compétence du juge. Dans d’autres États membres, l’étendue du contrôle juridictionnel serait très limitée.

 Appréciation du Tribunal

 Observations liminaires

226   Le Tribunal ne saurait se prononcer utilement sur le moyen tiré de la violation alléguée des droits fondamentaux des requérants que pour autant que celui-ci relève de son contrôle juridictionnel et qu’il soit susceptible, à le supposer fondé, d’entraîner l’annulation du règlement attaqué.

227   Or, en l’espèce, les institutions et le Royaume-Uni soutiennent, en substance, qu’aucune de ces deux conditions n’est remplie, en raison de la primauté des obligations de la Communauté et de ses États membres en vertu de la charte des Nations unies sur toute autre obligation de droit international, communautaire ou national. L’examen des arguments de ces parties apparaît ainsi comme un préalable à toute discussion des arguments des requérants.

228   À cet égard, le Tribunal estime opportun d’examiner, en premier lieu, l’articulation entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique national ou communautaire, ainsi que la mesure dans laquelle les compétences de la Communauté et de ses États membres sont liées par des résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.

229   Cet examen détermine, en effet, celui de l’étendue du contrôle de légalité, notamment au regard des droits fondamentaux, qu’il incombe au Tribunal d’exercer sur des actes communautaires donnant effet à de telles résolutions, auquel il sera donc procédé en deuxième lieu.

230   En troisième lieu, enfin, dans la mesure où il aura constaté qu’elle relève bien de son contrôle juridictionnel et qu’elle est susceptible d’entraîner l’annulation du règlement attaqué, le Tribunal se prononcera sur la violation alléguée des droits fondamentaux des requérants.

 Sur l’articulation entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique national ou communautaire

231   Force est de constater que, du point de vue du droit international, les obligations des États membres de l’ONU au titre de la charte des Nations unies l’emportent incontestablement sur toute autre obligation de droit interne ou de droit international conventionnel, y compris, pour ceux d’entre eux qui sont membres du Conseil de l’Europe, sur leurs obligations au titre de la CEDH et, pour ceux d’entre eux qui sont également membres de la Communauté, sur leurs obligations au titre du traité CE.

232   S’agissant, en premier lieu, des rapports entre la charte des Nations unies et le droit interne des États membres de l’ONU, cette règle de primauté découle des principes du droit international coutumier. Aux termes de l’article 27 de la convention de Vienne sur le droit des traités, qui codifie ces principes (et dont l’article 5 dispose qu’elle s’applique « à tout traité qui est l’acte constitutif d’une organisation internationale et à tout traité adopté au sein d’une organisation internationale »), une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité.

233   S’agissant, en second lieu, des rapports entre la charte des Nations unies et le droit international conventionnel, cette règle de primauté est expressément consacrée par l’article 103 de ladite charte, aux termes duquel, « [e]n cas de conflit entre les obligations des membres des Nations unies en vertu de la présente charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront ». Conformément à l’article 30 de la convention de Vienne sur le droit des traités, et contrairement aux règles normalement applicables en cas de traités successifs, elle vaut tant à l’égard des traités antérieurs qu’à l’égard des traités postérieurs à la charte des Nations unies. Selon la Cour internationale de justice, tous les accords régionaux, bilatéraux et même multilatéraux, que les parties peuvent avoir conclus, sont toujours subordonnés aux dispositions de l’article 103 de la charte des Nations unies [arrêt du 26 novembre 1984, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États‑Unis d’Amérique), Rec. 1984, p. 392, point 107].

234   Cette primauté s’étend aux décisions contenues dans une résolution du Conseil de sécurité, conformément à l’article 25 de la charte des Nations unies, aux termes duquel les membres de l’ONU sont tenus d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité. Selon la Cour internationale de justice, conformément à l’article 103 de la charte, les obligations des parties à cet égard prévalent sur leurs obligations en vertu de tout autre accord international [ordonnance du 14 avril 1992 (mesures provisoires), Questions d’interprétation et d’application de la Convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe lybienne c. États-Unis d’Amérique), Rec. 1992, p. 16, point 42, et ordonnance du 14 avril 1992 (mesures provisoires), Questions d’interprétation et d’application de la Convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe lybienne c. Royaume-Uni), Rec. 1992, p. 113, point 39].

235   S’agissant plus particulièrement des rapports entre les obligations des États membres de la Communauté en vertu de la charte des Nations unies et leurs obligations en vertu du droit communautaire, il convient d’ajouter que, aux termes du premier alinéa de l’article 307 CE, « [l]es droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement au 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents, antérieurement à la date de leur adhésion, entre un ou plusieurs États membres, d’une part, et un ou plusieurs États tiers, d’autre part, ne sont pas affectés par les dispositions du présent traité ».

236   Selon une jurisprudence constante de la Cour, cette disposition a pour objet de préciser, conformément aux principes du droit international, que l’application du traité CE n’affecte pas l’engagement de l’État membre concerné de respecter les droits des États tiers résultant d’une convention antérieure et d’observer ses obligations correspondantes (arrêt de la Cour du 28 mars 1995, Evans Medical et Macfarlan Smith, C‑324/93, Rec. p. I‑563, point 27 ; voir aussi arrêts de la Cour du 27 février 1962, Commission/Italie, 10/61, Rec. p. 1 ; du 2 août 1993, Levy, C‑158/91, Rec. p. I‑4287, et du 14 janvier 1997, Centro-Com, C‑124/95, Rec. p. I‑81, point 56).

237   Or, cinq des six États signataires du traité instituant la Communauté économique européenne, signé à Rome le 25 mars 1957, étaient déjà membres de l’ONU à la date du 1er janvier 1958. Quant à la République fédérale d’Allemagne, s’il est vrai qu’elle n’a été formellement admise comme membre de l’ONU que le 18 septembre 1973, son engagement de respecter les obligations résultant de la charte des Nations unies est lui aussi antérieur à la date du 1er janvier 1958, ainsi qu’il ressort notamment de l’acte final de la conférence qui s’est tenue à Londres du 28 septembre au 3 octobre 1954 (conférence dite « des neuf puissances ») et des accords de Paris du 23 octobre 1954. Par ailleurs, tous les États ayant ultérieurement adhéré à la Communauté étaient membres de l’ONU antérieurement à leur adhésion.

238   Bien plus, l’article 224 du traité instituant la Communauté économique européenne (devenu article 297 CE) a été spécifiquement inséré dans ce traité afin de respecter la règle de primauté définie ci-dessus. Aux termes de cette disposition, « [l]es États membres se consultent en vue de prendre en commun les dispositions nécessaires pour éviter que le fonctionnement du marché commun ne soit affecté par les mesures qu’un État membre peut être appelé à prendre [...] pour faire face aux engagements contractés par lui en vue du maintien de la paix et de la sécurité internationale ».

239   Les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies ont ainsi un effet obligatoire pour tous les États membres de la Communauté qui doivent donc, en cette qualité, prendre toute mesure nécessaire pour assurer leur mise en œuvre (conclusions de l’avocat général M. Jacobs sous l’arrêt de la Cour du 30 juillet 1996, Bosphorus, C‑84/95, Rec. p. I‑3953, I‑3956, point 2, et sous l’arrêt de la Cour du 27 février 1997, Ebony Maritime et Loten Navigation, C‑177/95, Rec. p. I‑1111, I‑1115, point 27).

240   Il découle également de ce qui précède que, tant en application des règles du droit international général qu’en application des dispositions spécifiques du traité, les États membres ont la faculté, et même l’obligation, de laisser inappliquée toute disposition de droit communautaire, fût-elle une disposition de droit primaire ou un principe général de ce droit, qui ferait obstacle à la bonne exécution de leurs obligations en vertu de la charte des Nations unies.

241   Ainsi, dans l’arrêt Centro-Com, point 236 supra, la Cour a spécifiquement jugé que des mesures nationales contraires à l’article 113 du traité CE pouvaient être justifiées au regard de l’article 234 du traité CE (devenu, après modification, article 307 CE) si elles apparaissaient nécessaires pour assurer l’exécution par l’État membre concerné de ses obligations en vertu de la charte des Nations unies et d’une résolution du Conseil de sécurité.

242   En revanche, il découle de la jurisprudence (voir arrêt Dorsch Consult/Conseil et Commission, point 82 supra, point 74) que, à la différence de ses États membres, la Communauté en tant que telle n’est pas directement liée par la charte des Nations unies et qu’elle n’est dès lors pas tenue, en vertu d’une obligation du droit international public général, d’accepter et d’appliquer les résolutions du Conseil de sécurité, conformément à l’article 25 de ladite charte. La raison en est que la Communauté n’est ni membre de l’ONU, ni destinataire des résolutions du Conseil de sécurité, ni le successeur aux droits et obligations de ses États membres au sens du droit international public.

243   Cela étant, la Communauté doit être considérée comme liée par les obligations résultant de la charte des Nations unies, de la même façon que le sont ses États membres, en vertu même du traité l’instituant.

244   À cet égard, il est constant que, au moment de conclure le traité instituant la Communauté économique européenne, les États membres étaient liés par leurs engagements au titre de la charte des Nations unies.

245   Ils n’ont pu, par l’effet d’un acte passé entre eux, transférer à la Communauté plus de pouvoirs qu’ils n’en avaient ni se dégager par là des obligations existant à l’égard de pays tiers au titre de ladite charte (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 12 décembre 1972, International Fruit Company e.a., 21/72 à 24/72, Rec. p. 1219, ci-après l’« arrêt International Fruit », point 11).

246   Au contraire, leur volonté de respecter leurs engagements au titre de cette charte résulte des dispositions du traité instituant la Communauté économique européenne lui-même et a été manifestée notamment par son article 224 et son article 234, premier alinéa (voir, par analogie, arrêt International Fruit, points 12 et 13, et conclusions de l’avocat général M. Mayras sous cet arrêt, Rec. p. 1231 à 1237).

247   Bien que cette dernière disposition ne fasse état que des obligations des États membres, elle implique l’obligation des institutions de la Communauté de ne pas entraver l’exécution des engagements des États membres au titre de ladite charte (arrêt de la Cour du 14 octobre 1980, Burgoa, 812/79, Rec. p. 2787, point 9).

248   Il convient également de souligner que, dans la mesure où les compétences nécessaires à la mise en œuvre d’engagements des États membres au titre de la charte des Nations unies ont fait l’objet d’un transfert à la Communauté, les États membres se sont obligés, en droit international public, à ce que la Communauté elle-même les exerce à cette fin.

249   Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler, d’une part, que, aux termes de l’article 48, paragraphe 2, de la charte des Nations unies, les décisions du Conseil de sécurité sont exécutées par les membres des Nations unies « directement et grâce à leur action dans les organismes internationaux appropriés dont ils font partie », et, d’autre part, que, selon la jurisprudence (arrêts Poulsen et Diva Navigation, point 210 supra, point 9, et Racke, point 210 supra, point 45 ; voir, également, arrêt de la Cour du 4 décembre 1974, Van Duyn, 41/74, Rec. p. 1337, point 22), les compétences de la Communauté doivent être exercées dans le respect du droit international et, par conséquent, le droit communautaire doit être interprété, et son champ d’application circonscrit, à la lumière des règles pertinentes du droit international.

250   Les États membres, en conférant ces compétences à la Communauté, ont donc marqué leur volonté de la lier par les obligations contractées par eux en vertu de la charte des Nations unies (voir, par analogie, arrêt International Fruit, point 15).

251   Depuis l’entrée en vigueur du traité instituant la Communauté économique européenne, le transfert de compétences, intervenu dans les rapports entre les États membres et la Communauté, a été concrétisé de différentes manières dans le cadre de la mise en œuvre de leurs engagements au titre de la charte des Nations unies (voir, par analogie, arrêt International Fruit, point 16).

252   C’est ainsi, notamment, que l’article 228 A du traité CE (devenu article 301 CE) a été inséré dans le traité, par le traité sur l’Union européenne, afin de donner un fondement spécifique aux sanctions économiques que la Communauté, seule compétente en matière de politique commerciale commune, peut être amenée à prendre à l’égard de pays tiers pour des raisons politiques définies par ses États membres dans le cadre de la PESC, le plus souvent en application d’une résolution du Conseil de sécurité leur imposant l’adoption de telles sanctions.

253   Il apparaît dès lors que, dans toute la mesure où, en vertu du traité CE, la Communauté a assumé des compétences précédemment exercées par les États membres dans le domaine d’application de la charte des Nations unies, les dispositions de cette charte ont pour effet de lier la Communauté [voir, par analogie, pour ce qui concerne la question de savoir si la Communauté est liée par l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) de 1947, arrêt International Fruit, point 18 ; voir également, en ce qu’il reconnaît que la Communauté exerce une compétence liée lorsqu’elle met en œuvre une mesure d’embargo commercial décrétée par une résolution du Conseil de sécurité, arrêt Dorsch Consult/Conseil et Commission, point 82 supra, point 74].

254   Au terme de ce raisonnement, il y a lieu de considérer, d’une part, que la Communauté ne peut violer les obligations incombant à ses États membres en vertu de la charte des Nations unies ni entraver leur exécution et, d’autre part, qu’elle est tenue, en vertu même du traité par lequel elle a été instituée, d’adopter, dans l’exercice de ses compétences, toutes les dispositions nécessaires pour permettre à ses États membres de se conformer à ces obligations.

255   Or, en l’espèce, le Conseil a constaté, dans la position commune 2002/402, adoptée en application des dispositions du titre V du traité UE, qu’une action de la Communauté, dans les limites des pouvoirs que lui confère le traité CE, était nécessaire afin de mettre en œuvre certaines mesures restrictives à l’encontre d’Oussama ben Laden, des membres de l’organisation Al-Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés, conformément aux résolutions 1267 (1999), 1333 (2000) et 1390 (2002) du Conseil de sécurité.

256   La Communauté a mis en œuvre ces mesures par l’adoption du règlement attaqué. Ainsi qu’il a déjà été jugé au point 170 ci-dessus, elle était compétente pour adopter cet acte sur la base des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE.

257   Il convient, dès lors, de reconnaître le bien-fondé des arguments avancés par les institutions, tels qu’ils sont résumés au point 206 ci-dessus, sous cette réserve que ce n’est pas en vertu du droit international général, comme ces parties le soutiennent, mais en vertu du traité CE lui-même, que la Communauté était tenue de donner effet aux résolutions en question du Conseil de sécurité, dans le domaine de ses compétences.

258   En revanche, les arguments des requérants fondés, d’une part, sur l’autonomie de l’ordre juridique communautaire par rapport à l’ordre juridique issu des Nations unies et, d’autre part, sur la nécessité d’une transposition des résolutions du Conseil de sécurité dans le droit interne des États membres, conformément aux dispositions constitutionnelles et aux principes fondamentaux de ce droit, doivent être écartés.

259   Quant à l’argument tiré par les requérants du défaut de conformité des résolutions en cause du Conseil de sécurité aux dispositions de la charte des Nations unies elle-même, il n’est pas dissociable de leurs arguments relatifs, d’une part, au contrôle juridictionnel qu’il incomberait au Tribunal d’exercer sur des actes communautaires donnant effet à de telles résolutions et, d’autre part, à la violation alléguée des droits fondamentaux des intéressés. Il sera, dès lors, examiné avec ces autres arguments.

 Sur l’étendue du contrôle de légalité qu’il incombe au Tribunal d’exercer

260   Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que la Communauté européenne est une communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité et que ce dernier a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour le contrôle de la légalité des actes des institutions (arrêts de la Cour du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, Rec. p. 1339, point 23 ; du 22 octobre 1987, Foto‑Frost, 314/85, Rec. p. 4199, point 16, et du 23 mars 1993, Weber/Parlement, C‑314/91, Rec. p. I‑1093, point 8 ; arrêt du Tribunal du 2 octobre 2001, Martinez e.a./Parlement, T‑222/99, T‑327/99 et T‑329/99, Rec. p. II‑2823, point 48 ; voir également avis 1/91 de la Cour du 14 décembre 1991, Rec. p. I-6079, point 21).

261   Comme la Cour l’a itérativement jugé (arrêt du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 18 ; voir également arrêts du 3 décembre 1992, Oleifici Borelli/Commission, C‑97/91, Rec. p. I‑6313, point 14 ; du 11 janvier 2001, Kofisa Italia, C‑1/99, Rec. p. I‑207, point 46 ; Commission/Autriche, point 192 supra, point 45, et du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677, point 39), « [l]e contrôle juridictionnel […] est l’expression d’un principe général de droit qui se trouve à la base des traditions constitutionnelles communes aux États membres [… et qui] a également été consacré par les articles 6 et 13 de la [CEDH] ».

262   En l’espèce, ce principe trouve son expression dans le droit que confère aux requérants l’article 230, quatrième alinéa, CE de soumettre au contrôle du Tribunal la légalité du règlement attaqué, pour autant qu’il les concerne directement et individuellement, et d’invoquer au soutien de leur recours tout moyen tiré de l’incompétence, de la violation des formes substantielles, de la violation du traité CE ou de toute règle de droit relative à son application, ou d’un détournement de pouvoir.

263   La question qui se pose en l’espèce est toutefois celle de savoir s’il existe des limites structurelles, imposées par le droit international général ou par le traité CE lui-même, au contrôle juridictionnel qu’il revient au Tribunal d’exercer à l’égard de ce règlement.

264   Il y a en effet lieu de rappeler que le règlement attaqué, adopté au vu de la position commune 2002/402, constitue la mise en œuvre, au niveau de la Communauté, de l’obligation qui pèse sur ses États membres, en tant que membres de l’ONU, de donner effet, le cas échéant par le moyen d’un acte communautaire, aux sanctions à l’encontre d’Oussama ben Laden, du réseau Al‑Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés, qui ont été décidées et ensuite renforcées par plusieurs résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies. Les considérants de ce règlement font expressément référence aux résolutions 1267 (1999), 1333 (2000) et 1390 (2002).

265   Dans ce contexte, ainsi que l’ont fait valoir à juste titre les institutions, celles-ci ont agi au titre d’une compétence liée, de sorte qu’elles ne disposaient d’aucune marge d’appréciation autonome. En particulier, elles ne pouvaient ni modifier directement le contenu des résolutions en question ni mettre en place un mécanisme susceptible de donner lieu à une telle modification.

266   Tout contrôle de la légalité interne du règlement attaqué, notamment au regard des dispositions ou principes généraux du droit communautaire relatifs à la protection des droits fondamentaux, impliquerait donc que le Tribunal examine, de façon incidente, la légalité desdites résolutions. Dans l’hypothèse sous examen, en effet, la source de l’illégalité invoquée par les requérants devrait être recherchée non pas dans l’adoption du règlement attaqué, mais dans les résolutions du Conseil de sécurité qui ont décrété les sanctions (voir, par analogie, arrêt Dorsch Consult/Conseil et Commission, point 82 supra, point 74).

267   En particulier, si le Tribunal devait annuler le règlement attaqué, conformément aux conclusions des requérants, bien que celui-ci paraisse imposé par le droit international, au motif que cet acte viole les droits fondamentaux des requérants tels qu’ils sont protégés par l’ordre juridique communautaire, une telle annulation impliquerait, indirectement, que les résolutions en cause du Conseil de sécurité elles-mêmes violent lesdits droits fondamentaux. En d’autres termes, les requérants demandent au Tribunal de déclarer implicitement que la norme du droit international en cause porte atteinte aux droits fondamentaux de l’individu, tels qu’ils sont protégés par l’ordre juridique communautaire.

268   Les institutions et le Royaume-Uni invitent le Tribunal à décliner par principe toute compétence pour procéder à un tel contrôle indirect de la légalité de ces résolutions qui, en tant que règles de droit international liant les États membres de la Communauté, s’imposeraient à lui comme à toutes les institutions de la Communauté. Ces parties estiment, en substance, que le contrôle du Tribunal devrait se limiter, d’une part, à la vérification du respect des règles de forme, de procédure et de compétence qui s’imposaient, en l’espèce, aux institutions communautaires et, d’autre part, à la vérification de l’adéquation et de la proportionnalité des mesures communautaires en cause par rapport aux résolutions du Conseil de sécurité qu’elles mettent en œuvre.

269   Force est de reconnaître qu’une telle limitation de compétence s’impose en tant que corollaire des principes dégagés ci-dessus, dans le cadre de l’examen de l’articulation des rapports entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique communautaire.

270   Ainsi qu’il a déjà été exposé, les résolutions en cause du Conseil de sécurité ont été adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies. Dans ce contexte, la détermination de ce qui constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales, ainsi que des mesures nécessaires pour les maintenir ou les rétablir, relève de la responsabilité exclusive du Conseil de sécurité et échappe, comme telle, à la compétence des autorités et juridictions nationales ou communautaires, sous la seule réserve du droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, visé à l’article 51 de ladite charte.

271   Dès lors que, agissant au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, le Conseil de sécurité, par le biais de son comité des sanctions, décide que les fonds de certains individus ou entités doivent être gelés, sa décision s’impose à tous les membres des Nations unies, conformément à l’article 48 de la charte.

272   Au regard des considérations énoncées aux points 243 à 254 ci-dessus, l’affirmation d’une compétence du Tribunal pour contrôler de manière incidente la légalité d’une telle décision à l’aune du standard de protection des droits fondamentaux tels qu’ils sont reconnus dans l’ordre juridique communautaire ne saurait dès lors se justifier ni sur la base du droit international ni sur la base du droit communautaire.

273   D’une part, une telle compétence serait incompatible avec les engagements des États membres au titre de la charte des Nations unies, en particulier ses articles 25, 48 et 103, de même qu’avec l’article 27 de la convention de Vienne sur le droit des traités.

274   D’autre part, une telle compétence serait contraire tant aux dispositions du traité CE, en particulier aux articles 5 CE, 10 CE, 297 CE et à l’article 307, premier alinéa, CE, qu’à celles du traité UE, en particulier à l’article 5 UE, aux termes duquel le juge communautaire exerce ses attributions dans les conditions et aux fins prévues par les dispositions des traités CE et UE. Elle serait, de surcroît, incompatible avec le principe selon lequel les compétences de la Communauté, et, partant, celles du Tribunal, doivent être exercées dans le respect du droit international (arrêts Poulsen et Diva Navigation, point 210 supra, point 9, et Racke, point 210 supra, point 45).

275   Il convient d’ajouter que, eu égard notamment à l’article 307 CE et à l’article 103 de la charte des Nations unies, l’invocation d’atteintes portées soit aux droits fondamentaux tels qu’ils sont protégés par l’ordre juridique communautaire, soit aux principes de cet ordre juridique ne saurait affecter la validité d’une résolution du Conseil de sécurité ou son effet sur le territoire de la Communauté (voir, par analogie, arrêts de la Cour Internationale Handelsgesellschaft, point 190 supra, point 3 ; du 8 octobre 1986, Keller, 234/85, Rec. p. 2897, point 7, et du 17 octobre 1989, Dow Chemical Ibérica e.a./Commission, 97/87 à 99/87, Rec. p. 3165, point 38).

276   Force est donc de considérer que les résolutions en cause du Conseil de sécurité échappent en principe au contrôle juridictionnel du Tribunal et que celui-ci n’est pas autorisé à remettre en cause, fût-ce de manière incidente, leur légalité au regard du droit communautaire. Au contraire, le Tribunal est tenu, dans toute la mesure du possible, d’interpréter et d’appliquer ce droit d’une manière qui soit compatible avec les obligations des États membres au titre de la charte des Nations unies.

277   Le Tribunal est néanmoins habilité à contrôler, de manière incidente, la légalité des résolutions en cause du Conseil de sécurité au regard du jus cogens, entendu comme un ordre public international qui s’impose à tous les sujets du droit international, y compris les instances de l’ONU, et auquel il est impossible de déroger.

278   Il convient de relever, à cet égard, que la convention de Vienne sur le droit des traités, qui codifie le droit international coutumier (et dont l’article 5 dispose qu’elle s’applique « à tout traité qui est l’acte constitutif d’une organisation internationale et à tout traité adopté au sein d’une organisation internationale »), prévoit, en son article 53, la nullité des traités en conflit avec une norme impérative du droit international général (jus cogens), définie comme « une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère ». De même, l’article 64 de la convention de Vienne dispose que, « si une nouvelle norme impérative du droit international général survient, tout traité existant qui est en conflit avec cette norme devient nul et prend fin ».

279   Au demeurant, la charte des Nations unies elle-même présuppose l’existence de principes impératifs de droit international et, notamment, la protection des droits fondamentaux de la personne humaine. Dans le préambule de la charte, les peuples des Nations unies se sont ainsi déclarés résolus à « proclamer [... leur] foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine ». Il ressort en outre du chapitre premier de la charte, intitulé « Buts et principes », que les Nations unies ont notamment pour but d’encourager le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

280   Ces principes s’imposent tant aux membres de l’ONU qu’à ses organes. Ainsi, aux termes de l’article 24, paragraphe 2, de la charte des Nations unies, le Conseil de sécurité doit, dans l’accomplissement des devoirs que lui impose la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales, agir « conformément aux buts et principes des Nations Unies ». Les pouvoirs de sanction que possède le Conseil de sécurité dans l’exercice de cette responsabilité doivent donc être utilisés dans le respect du droit international et, en particulier, des buts et principes des Nations unies.

281   Le droit international permet ainsi de considérer qu’il existe une limite au principe de l’effet obligatoire des résolutions du Conseil de sécurité : elles doivent respecter les dispositions péremptoires fondamentales du jus cogens. Dans le cas contraire, aussi improbable soit-il, elles ne lieraient pas les États membres de l’ONU ni, dès lors, la Communauté.

282   Le contrôle juridictionnel incident exercé par le Tribunal, dans le cadre d’un recours en annulation d’un acte communautaire adopté, sans exercice d’une quelconque marge d’appréciation, en vue de mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité, peut donc s’étendre, le cas échéant, à la vérification du respect des règles supérieures du droit international relevant du jus cogens et, notamment, des normes impératives visant à la protection universelle des droits de l’homme, auxquelles ni les États membres ni les instances de l’ONU ne peuvent déroger parce qu’elles constituent des « principes intransgressibles du droit international coutumier » (avis consultatif de la Cour internationale de justice du 8 juillet 1996, Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, Rec. 1996, p. 226, point 79 ; voir également, en ce sens, conclusions de l’avocat général M. Jacobs sous l’arrêt Bosphorus, point 239 supra, point 65).

283   C’est à la lumière de ces considérations générales qu’il convient d’examiner le moyen tiré de la violation des droits fondamentaux des requérants.

 Sur la violation alléguée des droits fondamentaux des requérants

284   Les arguments développés par les requérants en rapport avec la violation alléguée de leurs droits fondamentaux peuvent être rangés sous trois rubriques : violation de leur droit à disposer de leurs biens, violation des droits de la défense et violation de leur droit à un recours juridictionnel effectif.

–       Sur la violation alléguée du droit des requérants à disposer de leurs biens

285   Les requérants invoquent une violation de leur droit à disposer de leurs biens, tel qu’il est protégé par l’ordre juridique communautaire.

286   Toutefois, dans la mesure où la violation alléguée procéderait exclusivement du gel des fonds des requérants, tel qu’il a été décidé par le Conseil de sécurité, par le biais de son comité des sanctions, et mis en œuvre dans la Communauté par le règlement attaqué, sans exercice d’un quelconque pouvoir d’appréciation, c’est en principe à la seule aune du standard de protection universelle des droits fondamentaux de la personne humaine relevant du jus cogens qu’il convient d’examiner les griefs des requérants, conformément aux principes déjà définis ci‑dessus.

287   L’étendue et l’intensité du gel des fonds des requérants ayant varié au fil du temps (voir, successivement, l’article 2 du règlement n° 467/2001, l’article 2 du règlement n° 881/2002 dans sa rédaction initiale et, enfin, l’article 2 bis du règlement attaqué, tel qu’inséré par l’article 1er du règlement n° 561/2003), il convient, par ailleurs, de préciser que, dans le cadre du présent recours en annulation, le contrôle juridictionnel du Tribunal doit uniquement porter sur l’état de la réglementation actuellement en vigueur. En effet, au contentieux de l’annulation, le juge communautaire tient normalement compte des événements qui affectent, en cours d’instance, l’objet même du litige, tels que l’abrogation, la prorogation, le remplacement ou la modification de l’acte attaqué (voir, outre les arrêts Alpha Steel/Commission, Fabrique de fer de Charleroi et Dillinger Hüttenwerke/Commission et CCRE/Commission, point 72 supra, l’ordonnance de la Cour du 8 mars 1993, Lezzi Pietro/Commission, C‑123/92, Rec. p. I‑809, points 8 à 11). Toutes les parties ont marqué leur accord sur ce point à l’audience.

288   Il y a donc lieu d’apprécier si le gel des fonds prévu par le règlement attaqué, tel que modifié par le règlement n° 561/2003 et, indirectement, par les résolutions du Conseil de sécurité que ces règlements mettent en œuvre, viole les droits fondamentaux des requérants.

289   Le Tribunal considère que tel n’est pas le cas à l’aune du standard de protection universelle des droits fondamentaux de la personne humaine relevant du jus cogens, sans qu’il soit ici besoin de distinguer entre la situation de l’entité Al Barakaat, en tant que personne morale, et celle de M. Yusuf, en tant que personne physique.

290   À cet égard, il y a lieu de souligner d’emblée que le règlement attaqué, dans sa version modifiée par le règlement n° 561/2003, adopté à la suite de la résolution 1452 (2002) du Conseil de sécurité, prévoit, entre autres dérogations et exemptions, que, à la demande des intéressés, et sauf opposition expresse du comité des sanctions, les autorités nationales compétentes déclarent le gel des fonds inapplicable aux fonds nécessaires à des dépenses de base, notamment celles qui sont consacrées à des vivres, des loyers, des frais médicaux, des impôts ou des services collectifs (voir point 40 ci-dessus). En outre, les fonds nécessaires à n’importe quelle autre « dépense extraordinaire » peuvent désormais être dégelés moyennant autorisation expresse du comité des sanctions.

291   Les possibilités explicites d’exemptions et de dérogations dont est ainsi assorti le gel des fonds des personnes inscrites sur la liste du comité des sanctions montrent clairement que cette mesure n’a ni pour objet ni pour effet de soumettre ces personnes à un traitement inhumain ou dégradant.

292   En outre, il y a lieu de relever que, si l’article 17, paragraphe 1, de la déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée par l’assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948, dispose que « [t]oute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété », l’article 17, paragraphe 2, de ladite déclaration universelle précise que « [n]ul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété ».

293   Ainsi, pour autant que le respect du droit à la propriété doive être considéré comme faisant partie des normes impératives du droit international général, seule une privation arbitraire de ce droit pourrait, en tout état de cause, être considérée comme contraire au jus cogens.

294   Or, force est de constater que les requérants n’ont pas été arbitrairement privés de ce droit.

295   En effet, premièrement, le gel de leurs fonds constitue un aspect des sanctions décidées par le Conseil de sécurité à l’encontre d’Oussama ben Laden, du réseau Al-Qaida ainsi que des Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités associés.

296   À cet égard, il convient de souligner l’importance de la lutte contre le terrorisme international et la légitimité d’une protection des Nations unies contre les agissements d’organisations terroristes.

297   Dans le préambule de la résolution 1390 (2002), le Conseil de sécurité a, notamment, condamné catégoriquement les attaques terroristes commises le 11 septembre 2001, se déclarant déterminé à prévenir tous actes de ce type ; noté qu’Oussama ben Laden et le réseau Al-Qaida poursuivaient leurs activités de soutien au terrorisme international ; condamné le réseau Al‑Qaida et les groupes terroristes associés pour les nombreux actes terroristes criminels qu’ils avaient commis et qui avaient pour but de tuer de nombreux civils innocents et de détruire des biens et réaffirmé à nouveau que les actes de terrorisme international constituaient une menace à la paix et à la sécurité internationales.

298   C’est eu égard à ces circonstances que l’objectif poursuivi par les sanctions revêt une importance significative, qui est notamment, aux termes de la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité, à laquelle renvoie le considérant 3 du règlement attaqué, de lutter par tous les moyens, conformément à la charte des Nations unies, contre les menaces à la paix et à la sécurité internationales que font peser les actes de terrorisme. Les mesures en cause poursuivent donc un objectif d’intérêt général fondamental pour la communauté internationale.

299   Deuxièmement, le gel des fonds est une mesure conservatoire qui, à la différence d’une confiscation, ne porte pas atteinte à la substance même du droit de propriété des intéressés sur leurs actifs financiers, mais seulement à leur utilisation.

300   Troisièmement, les résolutions en cause du Conseil de sécurité prévoient un mécanisme de réexamen périodique du régime général des sanctions (voir points 16, 26 et 37 ci-dessus et point 313 ci-après).

301   Quatrièmement, ainsi qu’il sera exposé ci-après, la réglementation en cause aménage une procédure permettant aux intéressés de soumettre à tout moment leur cas au comité des sanctions pour réexamen, par l’intermédiaire de l’État membre de leur nationalité ou de leur résidence.

302   Eu égard à ces circonstances, le gel des fonds des personnes et entités soupçonnées, sur la base des informations communiquées par les États membres des Nations unies et contrôlées par le Conseil de sécurité, d’être liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban et d’avoir participé au financement, à la planification, à la préparation ou à la perpétration d’actes terroristes ne saurait passer pour constitutif d’une atteinte arbitraire, inadéquate ou disproportionnée aux droits fondamentaux des intéressés.

303   Il découle de ce qui précède que les arguments tirés par les requérants de la violation alléguée de leur droit à disposer de leurs biens doivent être rejetés.

–       Sur la violation alléguée des droits de la défense

304   Les arguments tirés par les requérants de la violation alléguée des droits de la défense tiennent essentiellement à ce qu’ils n’auraient pas été entendus ni autrement mis en mesure de se défendre avant l’adoption des sanctions décrétées à leur égard. Dans ce contexte, les requérants soulignent qu’ils n’ont pas été informés des raisons ni des justifications de ces sanctions.

305   À cet égard, il convient de distinguer entre le prétendu droit des requérants d’être entendus par le comité des sanctions avant leur inscription sur la liste des personnes dont les fonds doivent être gelés en application des résolutions en cause du Conseil de sécurité et leur prétendu droit d’être entendus par les institutions communautaires avant l’adoption du règlement attaqué.

306   S’agissant, en premier lieu, du prétendu droit des requérants d’être entendus par le comité des sanctions avant leur inscription sur la liste des personnes dont les fonds doivent être gelés en application des résolutions en cause du Conseil de sécurité, force est de constater qu’un tel droit n’est pas prévu par les résolutions en question.

307   Par ailleurs, aucune norme impérative relevant de l’ordre public international ne paraît exiger une audition préalable des intéressés dans des circonstances telles que celles de l’espèce, où le Conseil de sécurité, agissant au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, décide, par le biais de son comité des sanctions, que les fonds de certains individus ou entités soupçonnés de contribuer au financement du terrorisme international doivent être gelés.

308   Au demeurant, il est incontestable qu’une audition des requérants préalablement à leur inscription sur ladite liste aurait été de nature à compromettre l’efficacité des sanctions et se serait ainsi avérée incompatible avec l’objectif d’intérêt général poursuivi. Une mesure de gel des fonds doit, par sa nature même, pouvoir bénéficier d’un effet de surprise et s’appliquer avec effet immédiat. Une telle mesure ne saurait, dès lors, faire l’objet d’une notification préalable à sa mise en œuvre.

309   Il convient néanmoins de relever que, si elles ne prévoient pas un droit d’audition préalable, les résolutions en cause du Conseil de sécurité, et les règlements successifs qui les ont mises en œuvre dans la Communauté, instaurent un mécanisme de réexamen des situations individuelles, en prévoyant que les intéressés peuvent s’adresser au comité des sanctions, par l’intermédiaire de leurs autorités nationales, afin d’obtenir soit leur retrait de la liste des personnes visées par les sanctions, soit une dérogation au gel des fonds (voir, notamment, points 11, 21, 36 et 38 à 40 ci‑dessus).

310   Le comité des sanctions est un organe subsidiaire du Conseil de sécurité, composé de représentants des États qui sont membres du Conseil de sécurité. Il est devenu un important organe permanent responsable de la surveillance journalière de l’application des sanctions et peut faire en sorte que la communauté internationale interprète et applique les résolutions de manière uniforme (conclusions de l’avocat général M. Jacobs sous l’arrêt Bosphorus, point 239 supra, point 46).

311   S’agissant, en particulier, d’une demande de réexamen d’un cas individuel, en vue d’obtenir la radiation de l’intéressé de la liste des personnes visées par les sanctions, les « directives régissant la conduite des travaux du [comité des sanctions] », adoptées le 7 novembre 2002 et amendées le 10 avril 2003 (voir point 67 ci‑dessus), prévoient ce qui suit, en leur point 7 :

« a)      Sans préjudice des procédures en vigueur, un requérant [personne(s), groupes, entreprises et/ou entités figurant sur la liste récapitulative du comité] peut présenter au gouvernement du pays dans lequel il réside et/ou dont il est ressortissant une demande tendant à faire réexaminer son cas. Ce faisant, le requérant doit justifier sa demande de radiation de la liste, fournir les informations pertinentes et demander un appui à cette demande.

b)      Le gouvernement auquel la demande est adressée (le ‘gouvernement requis’) doit examiner tous les éléments d’information pertinents puis contacter bilatéralement le(s) gouvernement(s) qui a (ont) proposé l’inscription sur la liste [le(s) ‘gouvernement(s) identifiant(s)’] pour demander un complément d’information et tenir des consultations sur la demande de radiation de la liste.

c)      Le(s) gouvernement(s) ayant initialement demandé l’inscription peu(ven)t aussi demander un complément d’information au pays de résidence ou de nationalité du requérant. Le gouvernement requis et le(s) gouvernement(s) identifiant(s) peuvent, selon les besoins, consulter le président du comité au cours de ces consultations bilatérales.

d)      Si, après avoir examiné les compléments d’information, le gouvernement requis souhaite donner suite à une demande de radiation de la liste, il doit chercher à convaincre le(s) gouvernement(s) identifiant(s) de présenter, conjointement ou séparément, une demande de radiation au comité. Le gouvernement requis peut, sans que celle-ci soit accompagnée d’une demande du/des gouvernement(s) identifiant(s), présenter une demande de radiation au comité, dans le cadre de la procédure d’approbation tacite.

e)      Le comité prend ses décisions par consensus. Si le comité ne parvient pas à un consensus sur une question particulière, le président entreprend les consultations supplémentaires qui pourraient faciliter l’accord. Si, après ces consultations, on ne parvient toujours pas à un consensus, la question peut être soumise au Conseil de sécurité. Étant donné le caractère spécifique de l’information, le président peut encourager les échanges bilatéraux entre États membres intéressés afin de clarifier la question avant de prendre une décision. »

312   Le Tribunal constate que, par l’adoption de ces directives, le Conseil de sécurité a entendu tenir compte, dans toute la mesure du possible, des droits fondamentaux des personnes inscrites sur la liste du comité des sanctions et notamment des droits de la défense.

313   L’importance que le Conseil de sécurité attache au respect de ces droits ressort d’ailleurs clairement de sa résolution 1526 (2004), du 30 janvier 2004, qui vise, d’une part, à améliorer la mise en œuvre des mesures imposées au paragraphe 4, sous b), de la résolution 1267 (1999), au paragraphe 8, sous c), de la résolution 1333 (2000) et aux paragraphes 1 et 2 de la résolution 1390 (2002), et, d’autre part, à renforcer le mandat du comité des sanctions. Aux termes du paragraphe 18 de la résolution 1526 (2004), le Conseil de sécurité « encourage vigoureusement tous les États à informer, dans la mesure du possible, les personnes et entités inscrites sur la liste du [comité des sanctions] des mesures prises [contre elles], des directives du [comité des sanctions] et de la résolution 1452 (2002) ». Conformément au paragraphe 3 de la résolution 1526 (2004), ces mesures seront encore améliorées dans 18 mois, ou avant si cela est nécessaire.

314   Il est vrai que la procédure décrite ci-dessus ne confère pas directement aux intéressés eux-mêmes le droit de se faire entendre par le comité des sanctions, seule autorité compétente pour se prononcer, à la demande d’un État, sur le réexamen de leur cas. Ceux-ci dépendent ainsi, pour l’essentiel, de la protection diplomatique que les États accordent à leurs ressortissants.

315   Une telle restriction au droit d’être directement et personnellement entendu par l’autorité compétente ne saurait toutefois passer pour inadmissible au regard des normes impératives du droit international. Au contraire, s’agissant de la remise en cause du bien-fondé de décisions adoptées par le Conseil de sécurité, par l’intermédiaire de son comité des sanctions, au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, sur la base des informations communiquées par les États et les organisations régionales, il est normal que le droit des intéressés d’être entendus soit aménagé dans le cadre d’une procédure administrative à plusieurs niveaux, dans laquelle les autorités nationales visées à l’annexe II du règlement attaqué jouent un rôle essentiel.

316   Le droit communautaire lui-même reconnaît d’ailleurs la légalité de tels aménagements procéduraux, dans un contexte de sanctions économiques visant des particuliers (voir, par analogie, ordonnance « Invest » Import und Export et Invest Commerce/Commission, point 85 supra).

317   Il convient d’ajouter que, comme l’a relevé à juste titre le Royaume-Uni à l’audience, les intéressés ont la possibilité d’introduire un recours juridictionnel fondé sur le droit interne, voire directement sur le règlement attaqué ainsi que sur les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité qu’il met en œuvre, contre un éventuel refus abusif de l’autorité nationale compétente de soumettre leur cas, pour réexamen, au comité des sanctions (voir, par analogie, ordonnance du président du Tribunal du 15 mai 2003, Sison/Conseil, T‑47/03 R, p. II‑2047, point 39).

318   En l’espèce, au demeurant, les requérants ont bien été entendus par le comité des sanctions, par l’intermédiaire du gouvernement suédois, et leur audition a été à ce point effective que deux des requérants initiaux, MM. Aden et Ali, ont été radiés de la liste des personnes auxquelles s’applique le gel des fonds et, en conséquence, ont également été radiés de la liste de l’annexe I du règlement attaqué (voir points 33 à 35 ci‑dessus). À cet égard, il convient de citer le point 11 du rapport 2002 du comité des sanctions :

« À sa onzième réunion, le 11 février 2002, après avoir examiné deux notes verbales dans lesquelles la Suède avait demandé que trois personnes de nationalité suédoise et une entité soient supprimées de la liste, le comité a décidé de procéder à un examen sérieux de cette demande. La Suède, invitée à participer à la réunion, a été représentée par le directeur général des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères suédois. Les membres du comité ont reconnu l’importance qu’il y avait de trouver un équilibre entre la rapidité et l’efficacité de la lutte contre le terrorisme, d’une part, et la protection des droits fondamentaux des personnes aux niveaux international et national, d’autre part. À l’issue de la réunion, le président a organisé, à l’intention de la presse et des États membres intéressés, une séance d’information qui a attiré une large audience, donnant à penser que la question soulevée par la Suède est d’importance pour d’autres pays également. »

319   Il reste que la possibilité pour les requérants de se prononcer utilement sur la réalité et la pertinence des faits en considération desquels leurs fonds ont été gelés et, plus encore, sur les éléments de preuve retenus à leur charge paraît catégoriquement exclue. Ces faits et éléments de preuve, dès lors qu’ils sont classés confidentiels ou secrets par l’État qui les a portés à la connaissance du comité des sanctions, ne leur sont, de toute évidence, pas communiqués, pas plus d’ailleurs qu’ils ne le sont aux États membres de l’ONU destinataires des résolutions en cause du Conseil de sécurité.

320   Dans des circonstances telles que celles de l’espèce, où est en cause une mesure conservatoire limitant la disponibilité des biens des requérants, le Tribunal considère néanmoins que le respect des droits fondamentaux des intéressés n’impose pas que les faits et éléments de preuve retenus à leur charge leur soient communiqués, dès lors que le Conseil de sécurité ou son comité des sanctions estiment que des motifs intéressant la sûreté de la communauté internationale s’y opposent.

321   Il s’ensuit que les arguments tirés par les requérants de la violation alléguée de leur droit d’être entendus par le comité des sanctions avant leur inscription sur la liste des personnes dont les fonds doivent être gelés en application des résolutions en cause du Conseil de sécurité doivent être rejetés.

322   S’agissant, en second lieu, du prétendu droit des requérants d’être entendus avant l’adoption du règlement attaqué, celui-ci ne saurait leur être dénié au seul motif, invoqué par le Conseil et le Royaume-Uni, que ni la CEDH ni les principes généraux du droit communautaire ne confèrent aux particuliers un quelconque droit à être entendus préalablement à l’adoption d’un acte à caractère normatif.

323   Il est vrai que la jurisprudence relative au droit d’être entendu ne saurait être étendue au contexte d’une procédure législative communautaire aboutissant à l’adoption de mesures normatives qui impliquent un choix de politique économique et s’appliquent à la généralité des opérateurs concernés (arrêt du Tribunal du 11 décembre 1996, Atlanta e.a./CE, T‑521/93, Rec. p. II‑1707, point 70, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 14 octobre 1999, Atlanta/Communauté européenne, C‑104/97 P, Rec. p. I‑6983, points 31 à 38).

324   En l’espèce, toutefois, le règlement attaqué n’a pas un caractère exclusivement normatif. Tout en s’appliquant à la généralité des opérateurs économiques concernés (voir point 186 ci-dessus), il concerne directement et individuellement les requérants, qu’il désigne d’ailleurs nommément comme devant faire l’objet des sanctions. La jurisprudence citée au point précédent n’est dès lors pas pertinente.

325   Il convient donc de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le respect des droits de la défense, dans toute procédure ouverte à l’encontre d’une personne et susceptible d’aboutir à un acte faisant grief à celle-ci, constitue un principe fondamental de droit communautaire et doit être assuré, même en l’absence de toute réglementation concernant la procédure en cause. Ce principe exige que toute personne qui peut se voir infliger une sanction soit mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet des éléments retenus à sa charge pour fonder la sanction (arrêts de la Cour du 29 juin 1994, Fiskano/Commission, C‑135/92, Rec. p. I‑2885, points 39 et 40 ; du 24 octobre 1996, Commission/Lisrestal e.a., C‑32/95 P, Rec. p. I‑5373, point 21, et du 21 septembre 2000, Mediocurso/Commission, C‑462/98 P, Rec. p. I‑7183, point 36).

326   C’est à juste titre, toutefois, que le Conseil et la Commission relèvent que cette jurisprudence a été développée dans des domaines, tels que le droit de la concurrence, de la lutte antidumping et des aides d’État, mais aussi le droit disciplinaire ou la réduction des concours financiers, dans lesquels les institutions communautaires disposent de pouvoirs d’enquête et d’instruction étendus ainsi que d’une large marge discrétionnaire d’appréciation.

327   De fait, selon la jurisprudence, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique communautaire, et notamment le droit de l’intéressé de faire connaître son point de vue, est corrélatif à l’exercice d’un pouvoir d’appréciation par l’autorité, auteur de l’acte en cause (arrêt de la Cour du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, Rec. p. I‑5469, point 14).

328   Or, en l’espèce, ainsi qu’il ressort des observations liminaires sur l’articulation entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique communautaire formulées ci-dessus, les institutions communautaires étaient tenues de transposer dans l’ordre juridique communautaire des résolutions du Conseil de sécurité et des décisions du comité des sanctions qui ne les habilitaient aucunement, au stade de leur mise en œuvre concrète, à prévoir un quelconque mécanisme communautaire d’examen ou de réexamen des situations individuelles, dès lors que tant la substance des mesures en cause que les mécanismes de réexamen (voir points 309 et suivants ci-dessus) étaient entièrement du ressort du Conseil de sécurité et de son comité des sanctions. En conséquence, les institutions communautaires ne disposaient d’aucun pouvoir d’enquête, d’aucune possibilité de contrôle des faits retenus par le Conseil de sécurité et le comité des sanctions, d’aucune marge d’appréciation quant à ces faits et d’aucune liberté d’appréciation quant à l’opportunité de l’adoption de sanctions à l’égard des requérants. Le principe de droit communautaire relatif au droit d’être entendu ne saurait trouver à s’appliquer dans de telles circonstances, où une audition des intéressés ne pourrait en aucun cas amener l’institution à revoir sa position.

329   Il s’ensuit que les institutions communautaires n’étaient pas tenues d’entendre les requérants avant l’adoption du règlement attaqué.

330   Partant, les arguments tirés par les requérants de la violation alléguée de leur droit d’être entendus par les institutions communautaires avant l’adoption du règlement attaqué doivent être rejetés.

331   Il découle de ce qui précède que les arguments tirés par les requérants de la violation alléguée des droits de la défense doivent être rejetés.

–       Sur la violation alléguée du droit à un recours juridictionnel effectif

332   L’examen des arguments des requérants en relation avec la violation alléguée de leur droit à un recours juridictionnel effectif doit tenir compte des considérations d’ordre général qui leur ont déjà été consacrées dans le cadre préalable de l’examen de l’étendue du contrôle de légalité, notamment au regard des droits fondamentaux, qu’il incombe au Tribunal d’exercer sur des actes communautaires donnant effet à des résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies.

333   En l’espèce, les requérants ont pu introduire un recours en annulation devant le Tribunal au titre de l’article 230 CE.

334   Dans le cadre de ce recours, le Tribunal exerce un entier contrôle de la légalité du règlement attaqué quant au respect, par les institutions communautaires, des règles de compétence ainsi que des règles de légalité externe et des formes substantielles qui s’imposent à leur action.

335   Le Tribunal contrôle également la légalité du règlement attaqué au regard des résolutions du Conseil de sécurité que ce règlement est censé mettre en œuvre, notamment sous l’angle de l’adéquation formelle et matérielle, de la cohérence interne et de la proportionnalité du premier par rapport aux secondes.

336   Statuant au titre de ce contrôle, le Tribunal constate que les prétendues erreurs d’identification des requérants et de deux autres entités, dont serait entaché le règlement attaqué (voir points 196 et 197 ci‑dessus), sont sans pertinence aux fins du présent litige, dès lors qu’il n’est pas contesté que les requérants sont bien, respectivement, l’une des personnes physiques et l’une des entités inscrites le 9 novembre 2001 sur la liste du comité des sanctions (voir point 24 ci‑dessus). Il en va de même de la circonstance selon laquelle les autorités policières suédoises auraient estimé en règle, après vérification, la comptabilité de la seconde requérante (voir point 198 ci‑dessus).

337   Dans le cadre du présent recours en annulation, le Tribunal s’est de surcroît reconnu compétent pour contrôler la légalité du règlement attaqué et, indirectement, la légalité des résolutions en cause du Conseil de sécurité, au regard des normes supérieures du droit international relevant du jus cogens, notamment les normes impératives visant à la protection universelle des droits de la personne humaine.

338   En revanche, ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 276 ci‑dessus, il n’incombe pas au Tribunal de contrôler indirectement la conformité des résolutions en cause du Conseil de sécurité elles-mêmes avec les droits fondamentaux tels qu’ils sont protégés par l’ordre juridique communautaire.

339   Il n’appartient pas davantage au Tribunal de vérifier l’absence d’erreur d’appréciation des faits et des éléments de preuve que le Conseil a retenus à l’appui des mesures qu’il a prises ni encore, sous réserve du cadre limité défini au point 337 ci-dessus, de contrôler indirectement l’opportunité et la proportionnalité de ces mesures. Un tel contrôle ne pourrait pas être exercé sans empiéter sur les prérogatives du Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies en matière de détermination, premièrement, d’une menace pour la paix et la sécurité internationales et, deuxièmement, des mesures appropriées pour y faire face ou y remédier. Au demeurant, la question de savoir si un individu ou une organisation représente une menace pour la paix et la sécurité internationales, de même que la question de savoir quelles mesures doivent être prises à l’égard des intéressés en vue de contrer cette menace, implique une appréciation politique et des jugements de valeur qui relèvent en principe de la seule compétence de l’autorité à laquelle la communauté internationale a confié la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales.

340   Force est ainsi de constater que, dans la mesure qui vient d’être indiquée au point 339 ci-dessus, les requérants ne disposent d’aucune voie de recours juridictionnel, le Conseil de sécurité n’ayant pas estimé opportun d’établir une juridiction internationale indépendante chargée de statuer, en droit comme en fait, sur les recours dirigés contre les décisions individuelles prises par le comité des sanctions.

341   Force est toutefois de reconnaître également qu’une telle lacune dans la protection juridictionnelle des requérants n’est pas en soi contraire au jus cogens.

342   À cet égard, le Tribunal relève que le droit d’accès aux tribunaux, dont le principe est reconnu tant par l’article 8 de la déclaration universelle des droits de l’homme que par l’article 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par l’assemblée générale des Nations unies le 16 décembre 1966, n’est pas absolu. D’une part, ce droit est susceptible de faire l’objet de dérogations en cas de danger public exceptionnel menaçant l’existence de la nation, ainsi que le prévoit, sous certaines conditions, l’article 4, paragraphe 1, dudit pacte. D’autre part, même en-dehors de ces circonstances exceptionnelles, certaines restrictions doivent être tenues pour inhérentes à ce droit, telles les limitations généralement admises par la communauté des nations comme relevant de la doctrine de l’immunité des États (voir, à cet égard, Cour eur. D. H., arrêts Prince Hans‑Adam II de Liechtenstein c. Allemagne du 12 juillet 2001, Recueil des arrêts et décisions, 2001-VIII, points 52, 55, 59 et 68, et McElhinney c. Irlande du 21 novembre 2001, Recueil des arrêts et décisions, 2001-XI, en particulier points 34 à 37) et des organisations internationales (voir, à cet égard, Cour eur. D. H., arrêt Waite et Kennedy c. Allemagne du 18 février 1999, Recueil des arrêts et décisions, 1999‑I, points 63 et 68 à 73).

343   En l’espèce, le Tribunal considère que la limitation du droit d’accès des requérants à un tribunal, résultant de l’immunité de juridiction dont bénéficient en principe, dans l’ordre juridique interne des États membres des Nations unies, les résolutions du Conseil de sécurité adoptées au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies, conformément aux principes pertinents du droit international (notamment les articles 25 et 103 de la charte), est inhérente à ce droit, tel qu’il est garanti par le jus cogens.

344   Une telle limitation est justifiée tant par la nature des décisions que le Conseil de sécurité est amené à prendre au titre du chapitre VII de la charte des Nations unies que par le but légitime poursuivi. Dans les circonstances de l’espèce, l’intérêt des requérants à voir leur cause entendue sur le fond par un tribunal n’est pas suffisant pour l’emporter sur l’intérêt général essentiel qu’il y a à ce que la paix et la sécurité internationales soient maintenues face à une menace clairement identifiée par le Conseil de sécurité, conformément aux dispositions de la charte des Nations unies. À cet égard, il convient d’accorder une importance significative à la circonstance que, loin de prévoir des mesures d’une durée d’application illimitée ou indéterminée, les résolutions successivement adoptées par le Conseil de sécurité ont toujours prévu un mécanisme de réexamen de l’opportunité du maintien de ces mesures après un laps de temps de 12 ou 18 mois au plus (voir points 16, 26, 37 et 313 ci-dessus).

345   Enfin, le Tribunal estime que, en l’absence d’une juridiction internationale compétente pour contrôler la légalité des actes du Conseil de sécurité, l’instauration d’un organe tel que le comité des sanctions et la possibilité, prévue par les textes, de s’adresser à lui à tout moment pour obtenir le réexamen de tout cas individuel, au travers d’un mécanisme formalisé impliquant tant le « gouvernement requis » que le « gouvernement identifiant » (voir points 310 et 311 ci‑dessus), constituent une autre voie raisonnable pour protéger adéquatement les droits fondamentaux des requérants tels qu’ils sont reconnus par le jus cogens.

346   Il découle de ce qui précède que les arguments tirés par les requérants de la violation alléguée de leur droit à un recours juridictionnel effectif doivent être rejetés.

347   Aucun des moyens et arguments des requérants n’ayant pu prospérer, et le Tribunal s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier et par les indications apportées par les parties lors de l’audience, le recours doit être rejeté, sans qu’il soit besoin de faire droit à la demande d’audition du premier requérant et de Sir Jeremy Greenstock, ancien président du comité des sanctions (voir point 199 ci‑dessus).

 Sur les dépens

348   Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Aux termes de l’article 87, paragraphe 6, en cas de non-lieu à statuer, le Tribunal règle librement les dépens.

349   Eu égard aux circonstances de l’espèce et aux conclusions des parties, il sera fait une juste application de ces dispositions en décidant que les requérants supporteront, outre leurs propres dépens, les dépens du Conseil ainsi que les dépens exposés par la Commission jusqu’à la date du 10 juillet 2002, en ce compris les dépens afférents à l’instance de référé. Le Royaume-Uni et la Commission, celle-ci pour ce qui concerne la période postérieure au 10 juillet 2002, supporteront leurs dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Il n’y a plus lieu de statuer sur les demandes d’annulation du règlement (CE) n° 467/2001 du Conseil, du 6 mars 2001, interdisant l’exportation de certaines marchandises et de certains services vers l’Afghanistan, renforçant l’interdiction des vols et étendant le gel des fonds et autres ressources financières décidés à l’encontre des Taliban d’Afghanistan, et abrogeant le règlement (CE) n° 337/2000, et du règlement (CE) n° 2199/2001 de la Commission, du 12 novembre 2001, modifiant, pour la quatrième fois, le règlement n° 467/2001.

2)      Le recours est rejeté en tant qu’il est dirigé contre le règlement (CE) n° 881/2002 du Conseil, du 27 mai 2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban et abrogeant le règlement n° 467/2001.

3)      Les requérants sont condamnés à supporter, outre leurs propres dépens, les dépens du Conseil ainsi que les dépens exposés par la Commission jusqu’à la date du 10 juillet 2002, y compris les dépens afférents à la procédure de référé.

4)      Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et la Commission, celle-ci pour ce qui concerne la période postérieure au 10 juillet 2002, supporteront leurs propres dépens.


Forwood

Pirrung

Mengozzi

Meij

 

       Vilaras

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 septembre 2005.

Le greffier

 

       Le président

H. Jung

 

       J. Pirrung

Table des matières

Cadre juridique

Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

Sur les conséquences procédurales de l’adoption du règlement attaqué

Sur le fond

1.  Sur le premier moyen, tiré de l’incompétence du Conseil pour adopter le règlement attaqué

Sur la première branche

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

–  Sur la base légale du règlement n° 467/2001

–  Sur la base légale du règlement attaqué

Sur la deuxième branche

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur la troisième branche

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

2.  Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 249 CE

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

3.  Sur le troisième moyen, tiré de la violation des droits fondamentaux des requérants

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Observations liminaires

Sur l’articulation entre l’ordre juridique international issu des Nations unies et l’ordre juridique national ou communautaire

Sur l’étendue du contrôle de légalité qu’il incombe au Tribunal d’exercer

Sur la violation alléguée des droits fondamentaux des requérants

–  Sur la violation alléguée du droit des requérants à disposer de leurs biens

–  Sur la violation alléguée des droits de la défense

–  Sur la violation alléguée du droit à un recours juridictionnel effectif

Sur les dépens



* Langue de procédure : le suédois.