Language of document : ECLI:EU:C:2023:480

ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

15 juin 2023 (*)

« Pourvoi – Recours en annulation – Accord sur le retrait du Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique – Décision (UE) 2020/135  – Ressortissants du Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord – Conséquences de cet accord sur le statut de citoyen de l’Union européenne et des droits attachés à ce statut pour ces ressortissants – Article 263, quatrième alinéa, TFUE – Qualité pour agir – Conditions – Intérêt à agir »

Dans l’affaire C‑501/21 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 13 août 2021,

Harry Shindler, demeurant à San Benedetto del Tronto (Italie),

Christopher David Randolph, demeurant à Ballinlassa, Belcarra, Castlebar (Irlande),

Douglas Edward Watson, demeurant à Beaumont (France),

Michael Charles Strawson, demeurant à Serralongue (France),

Hilary Elizabeth Walker, demeurant à Cadix (Espagne),

Sarah Caroline Griffiths, demeurant à Claviers (France),

James Graham Cherrill, demeurant à Sainte-Colombe-de-Duras (France),

Anita Ruddell Tuttell, demeurant à Fontaine-l’Étalon (France),

Joséphine French, demeurant à Oupia (France),

William John Tobbin, demeurant à Vannes (France),

représentés par Me J. Fouchet, avocat,

parties requérantes,

l’autre partie à la procédure étant :

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. M. Bauer, Mme J. Ciantar et M. R. Meyer, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. M. Safjan, président de chambre, MM. N. Jääskinen (rapporteur) et M. Gavalec, juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur pourvoi, MM. Harry Shindler, Christopher David Randolph, Douglas Edward Watson, Michael Charles Strawson, Mmes Hilary Elizabeth Walker, Sarah Caroline Griffiths, M. James Graham Cherrill, Mmes Anita Ruddell Tuttell, Joséphine French et M. William John Tobbin demandent l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 8 juin 2021, Shindler e.a./Conseil (T‑198/20, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2021:348), par laquelle celui-ci a rejeté comme irrecevable leur recours tendant à l’annulation, totale ou partielle, d’une part, de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7, ci-après l’« accord de retrait ») et, d’autre part, de la décision (UE) 2020/135 du Conseil, du 30 janvier 2020, relative à la conclusion de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 1, ci-après la « décision litigieuse ») (ci-après, ensemble, les « actes litigieux »).

 Les antécédents du litige et les actes litigieux

2        Les requérants sont des ressortissants du Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord qui résident en Irlande, en Espagne, en France et en Italie.

3        Le 23 juin 2016, les citoyens du Royaume-Uni se sont prononcés par référendum en faveur du retrait de leur État de l’Union européenne.

4        Le 29 mars 2017, le Royaume-Uni a notifié au Conseil européen son intention de se retirer de l’Union, en application de l’article 50, paragraphe 2, TUE.

5        Le 24 janvier 2020, les représentants de l’Union et du Royaume-Uni ont signé l’accord de retrait.

6        Le 30 janvier 2020, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision litigieuse. En vertu de l’article 1er de cette décision, l’accord de retrait a été approuvé au nom de l’Union et de la Communauté européenne de l’énergie atomique.

7        Le 31 janvier 2020, le Royaume-Uni s’est retiré de l’Union et de la Communauté européenne de l’énergie atomique. Le 1er février 2020, l’accord de retrait est entré en vigueur.

 La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

8        Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 30 mars 2020, les requérants ont introduit un recours tendant à l’annulation, totale ou partielle, des actes litigieux.

9        Le 21 avril 2020, les requérants ont déposé un mémoire tendant à ce que le Tribunal pose des questions préjudicielles à la Cour. Le 28 avril 2020, le président du Tribunal a décidé de ne pas verser ce mémoire au dossier.

10      Par un acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 14 juillet 2020, le Conseil a soulevé une exception d’irrecevabilité du recours.

11      Le 21 août 2020, les requérants ont présenté leurs observations sur cette exception d’irrecevabilité.

12      Par une ordonnance du 5 novembre 2020, le Tribunal a joint ladite exception d’irrecevabilité au fond et réservé les dépens.

13      Le 18 janvier 2021, le Conseil a déposé un mémoire en défense. Le 11 février 2021, le président de la dixième chambre élargie du Tribunal a décidé de ne pas notifier ce mémoire en défense aux requérants.

14      Par une lettre déposée au greffe du Tribunal le 19 janvier 2021, les requérants ont demandé la suspension de la procédure relative à l’examen du recours. Par une lettre déposée au greffe le 8 février 2021, le Conseil a présenté ses observations sur cette demande de suspension. Par une décision du 10 février 2021, le président de la dixième chambre élargie du Tribunal a rejeté ladite demande de suspension.

15      Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a, en premier lieu, considéré, aux points 19 à 21 de celle-ci, que, bien qu’il eût précédemment décidé de joindre au fond l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil, il était suffisamment informé par les pièces du dossier pour statuer par voie d’ordonnance, conformément à l’article 130 de son règlement de procédure.

16      En deuxième lieu, s’agissant de l’objet du recours, après avoir rappelé, aux points 22 à 28 de l’ordonnance attaquée, que, lorsqu’il est saisi d’un recours dirigé contre un accord international conclu par l’Union, le juge de l’Union requalifie ce recours comme étant dirigé contre la décision approuvant la conclusion de cet accord international, le Tribunal a requalifié le recours introduit par les requérants comme étant dirigé uniquement contre la décision litigieuse.

17      En troisième lieu, en ce qui concerne le bien-fondé de l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil, le Tribunal a estimé que les requérants ne satisfaisaient à aucune des conditions prévues pour avoir qualité pour agir, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

18      À cet égard, le Tribunal a relevé, au point 32 de l’ordonnance attaquée, que, aux fins de l’appréciation de la qualité pour agir des requérants, il y avait lieu de prendre en compte non seulement la décision litigieuse, mais également la nature et le contenu de l’accord de retrait.

19      Dans ce contexte, le Tribunal a constaté, premièrement, au point 33 de l’ordonnance attaquée, que les requérants n’étaient destinataires ni de la décision litigieuse ni de l’accord de retrait et que, par conséquent, ils ne disposaient pas d’un droit de recours sur le fondement de l’article 263, quatrième alinéa, premier membre de phrase, TFUE.

20      Deuxièmement, s’agissant de la qualité pour agir des requérants au regard de l’article 263, quatrième alinéa, deuxième membre de phrase, TFUE, notamment de la condition selon laquelle le requérant doit être concerné individuellement, le Tribunal a rappelé, au point 49 de l’ordonnance attaquée, qu’il appartenait aux requérants de démontrer que, en tant que la décision litigieuse les aurait privés du statut de citoyen de l’Union et des droits attachés à ce statut, cette décision les atteignait en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le seraient les destinataires d’une telle décision.

21      Le Tribunal a considéré, au point 57 de l’ordonnance attaquée, que les requérants n’étaient pas individuellement concernés par la décision litigieuse et que, partant, ils n’avaient pas qualité pour agir au regard de l’article 263, quatrième alinéa, deuxième membre de phrase, TFUE, sans qu’il soit besoin d’examiner si ceux-ci étaient directement concernés par cette décision.

22      Troisièmement, s’agissant de la qualité pour agir des requérants au regard de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE, le Tribunal a relevé, aux points 62 à 64 de l’ordonnance attaquée, que la décision litigieuse était un « acte non législatif de portée générale ».

23      Le Tribunal a estimé, aux points 80 et 81 de l’ordonnance attaquée, que la notion d’« acte réglementaire », au sens de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE, devait être interprétée comme ne comprenant pas les décisions approuvant la conclusion d’un accord international, telles que la décision litigieuse, laquelle porte approbation de la conclusion d’un accord fixant les modalités du retrait d’un État membre de l’Union.

24      Dans ces conditions, le Tribunal a considéré, aux points 82 et 83 de l’ordonnance attaquée, que les requérants n’avaient pas qualité pour agir au regard de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE, que l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil devait être accueillie et que, partant, le recours devait être rejeté comme étant irrecevable.

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties au pourvoi

25      Par un acte déposé au greffe de la Cour le 13 aout 2021, les requérants ont formé un pourvoi contre l’ordonnance attaquée.

26      Par leur pourvoi, les requérants demandent à la Cour :

–        d’annuler l’ordonnance attaquée ;

–        d’annuler les actes litigieux dans leur totalité ;

–        à titre subsidiaire, d’annuler partiellement les actes litigieux en tant qu’ils distinguent les citoyens de l’Union et les ressortissants du Royaume-Uni à compter du 1er février 2020 et, notamment, le sixième alinéa du préambule et les articles 9, 10 et 127 de l’accord de retrait, et

–        de condamner le Conseil aux dépens, « y compris les frais d’avocat ».

27      Le Conseil demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi et

–        de condamner les requérants aux dépens.

28      Par les actes déposés au greffe de la Cour les 6 et 9 janvier 2023, les parties ont répondu à la question pour réponse écrite posée par la Cour, sur le fondement de l’article 61 de son règlement de procédure, portant sur les conséquences éventuelles à tirer de l’arrêt du 9 juin 2022, Préfet du Gers et Institut national de la statistique et des études économiques (C‑673/20, EU:C:2022:449), quant à l’appréciation de la recevabilité du recours introduit devant le Tribunal.

29      Par un acte déposé au greffe de la Cour le 1er mars 2023, le représentant des requérants a informé la Cour du décès de M. Shindler, survenu le 20 février 2023, sans indication quant à la reprise de l’instance par ses ayants droit.

 Sur le pourvoi

30      Au soutien de leur pourvoi, les requérants soulèvent, en substance, deux moyens, tirés, le premier, de l’irrégularité de la procédure devant le Tribunal et, le second, d’erreurs de droit dans l’appréciation de la recevabilité du recours.

 Sur le premier moyen

 Argumentation des parties

31      Par le premier moyen de pourvoi, les requérants font valoir que le Tribunal a enfreint l’article 130 de son règlement de procédure ainsi que le principe du procès équitable.

32      À cet égard, les requérants soutiennent, en premier lieu, que cet article a pour objectif de permettre aux parties d’engager un débat sur l’ensemble des moyens proposés au Tribunal et, pour ce faire, de se conformer aux nouveaux délais qui leur sont fixés. Les requérants reprochent ainsi au Tribunal, d’une part, d’avoir fixé, en vertu dudit article, un délai au Conseil pour présenter sa défense au fond, sans leur accorder par la suite un nouveau délai pour pouvoir faire valoir leurs observations tant sur l’exception d’irrecevabilité invoquée par cette institution que sur le mémoire en défense déposé par cette dernière.

33      D’autre part, les requérants contestent le refus du Tribunal de leur communiquer ce mémoire en défense et le rejet de leur recours dans l’ordonnance attaquée, sans tenir audience ni fournir une quelconque information sur le déroulement de l’instance à la suite de la jonction de l’affaire au fond.

34      Les requérants en déduisent qu’ils ont été « trompés » sur le déroulement de la procédure devant le Tribunal et que les parties à l’instance n’ont pas été placées au même niveau, les requérants faisant valoir qu’ils n’ont pas eu la possibilité de donner leur point de vue. Le Tribunal aurait méconnu ainsi le principe d’égalité des armes, qui est un corollaire de la notion même de procès équitable, garanti notamment à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

35      Par ailleurs, les requérants soutiennent que le Tribunal aurait statué en méconnaissance de l’article 64 de son règlement de procédure, dans la mesure où, selon les termes de cet article, il ne doit prendre « en considération que des actes de procédure et pièces dont les représentants des parties ont pu prendre connaissance et sur lesquels ils ont pu se prononcer ». Une telle irrégularité de la procédure serait confirmée, selon les requérants, par le fait que le Tribunal a communiqué au requérant le mémoire en défense déposé par le Conseil dans l’affaire T‑231/20, Price/Conseil.

36      En deuxième lieu, les requérants font valoir que, le 19 janvier 2021, ils ont demandé la suspension de la procédure sur le fondement de l’article 69 du règlement de procédure du Tribunal, afin que celui-ci se prononce, « après avoir entendu les parties », en vertu de l’article 54 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Les parties n’auraient cependant nullement été entendues sur cette demande de suspension.

37      En troisième lieu, les requérants soutiennent que le Tribunal a statué sans se prononcer sur la demande du Conseil de saisir la Cour en raison de l’« identité des questions de fond posées par les requérants » et celles faisant l’objet des demandes de décision préjudicielle présentées par le tribunal judiciaire de Perpignan (France) et le tribunal judiciaire d’Auch (France) au titre de l’article 267 TFUE.

38      Le Conseil fait valoir que le premier moyen de pourvoi est manifestement voué au rejet.

 Appréciation de la Cour

39      En premier lieu, s’agissant des allégations par lesquelles les requérants reprochent au Tribunal d’avoir méconnu les articles 64 et 130 de son règlement de procédure, il convient de rappeler qu’aucune disposition du règlement de procédure du Tribunal ne saurait être interprétée en ce sens que le fait que le Tribunal a décidé, en application de l’article 130, paragraphe 7, de celui-ci, de réserver l’appréciation d’une exception d’irrecevabilité à l’arrêt mettant fin à l’instance signifie qu’il soit privé de la possibilité de rejeter, sans phase orale de la procédure, le recours comme étant irrecevable par voie d’ordonnance motivée. En effet, il ressort, au contraire, de l’article 130, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal que, en cas d’exception d’irrecevabilité ou d’incompétence, le Tribunal peut décider d’ouvrir la phase orale de la procédure (voir, en ce sens, ordonnance du 19 février 2008, Tokai Europe/Commission, C‑262/07 P, non publiée, EU:C:2008:95, points 26 et 27).

40      Il s’ensuit que le Tribunal n’a commis aucune irrégularité de procédure en décidant, d’abord, de joindre au fond l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil, au titre de l’article 130, paragraphe 7, de son règlement de procédure, et, ensuite, de statuer par voie d’ordonnance motivée.

41      Par ailleurs, il ressort du point 10 de l’ordonnance attaquée que, le 21 août 2020, les requérants ont déposé au greffe du Tribunal leurs observations sur cette exception d’irrecevabilité. Par conséquent, il suffit de constater que, les requérants ayant pu faire valoir leurs observations sur ladite exception d’irrecevabilité et le Tribunal s’étant limité à statuer par voie d’ordonnance motivée sans trancher des questions de fond, le principe du contradictoire et, partant, les droits de la défense des requérants ont été respectés.

42      En outre, il convient de constater que le Tribunal n’ayant pas statué sur le fond de l’affaire dans l’ordonnance attaquée, il n’a pas non plus méconnu l’article 64 de son règlement de procédure, dans la mesure où il est manifeste que le Tribunal n’a pas pris en considération le mémoire en défense déposé par le Conseil. Ces considérations ne sauraient être remises en cause, contrairement à ce que les requérants allèguent, par le fait que, dans le cadre d’une autre procédure, le Tribunal a communiqué au requérant le mémoire en défense déposé par le Conseil.

43      En deuxième lieu, s’agissant des allégations par lesquelles les requérants reprochent au Tribunal de ne pas avoir entendu les parties sur leur demande de suspension de la procédure, présentée au titre de l’article 54 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 69 du règlement de procédure du Tribunal, il ressort du point 16 de l’ordonnance attaquée que, respectivement, le 19 janvier et le 8 février 2021, les requérants ont déposé une demande de suspension de la procédure et le Conseil a présenté ses observations sur cette demande de suspension, le président de la dixième chambre élargie du Tribunal ayant rejeté, par une décision du 10 février 2021, ladite demande de suspension. Par conséquent, ces allégations ne sauraient prospérer et doivent être écartées.

44      En troisième lieu, s’agissant des allégations par lesquelles les requérants reprochent au Tribunal d’avoir statué sans se prononcer sur la demande du Conseil de saisir la Cour en raison de l’« identité des questions de fond posées par les requérants » et celles faisant l’objet des demandes de décision préjudicielle présentées par le tribunal judiciaire de Perpignan et le tribunal judiciaire d’Auch au titre de l’article 267 TFUE, il ne ressort pas du dossier de l’affaire devant le Tribunal qu’une telle demande ait été effectuée par le Conseil. Ces allégations doivent, partant, également être écartées.

45      Eu égard aux considérations qui précèdent, le premier moyen de pourvoi doit être écarté.

 Sur le second moyen

 Argumentation des parties

46      Par le second moyen de pourvoi, les requérants font valoir que le Tribunal a commis des erreurs de droit dans l’appréciation de leur qualité pour agir au regard de l’article 263, quatrième alinéa, deuxième et troisième membres de phrase, TFUE. Ce moyen de pourvoi se divise en deux branches.

47      Par la première branche du second moyen de pourvoi, les requérants soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la décision litigieuse ne pouvait être qualifiée d’« acte réglementaire », au sens de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE.

48      Les requérants rappellent que la Cour a dit pour droit, dans l’arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, (C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 60), que le critère d’« acte réglementaire » a pour finalité de permettre aux personnes physiques et morales l’introduction, dans des conditions moins strictes, d’un recours en annulation contre des actes de portée générale à l’exclusion des actes législatifs. Or, le Tribunal aurait ajouté, aux points 61 et 62, ainsi que 67 à 81 de l’ordonnance attaquée, une « autre condition », qui ne ressortirait pas de la jurisprudence issue de cet arrêt.

49      À cet égard, les requérants reprochent au Tribunal d’avoir considéré, dans l’ordonnance attaquée, que l’accord de retrait était un accord international. Ils soutiennent que le Royaume-Uni était encore un État membre de l’Union à la date où cet accord a été signé et que ce dernier doit donc être considéré comme un « acte interne » de l’Union.

50      La nature de l’accord de retrait serait corroborée, selon les requérants, d’une part, par l’objet même de cet accord, lequel serait, ainsi qu’il ressort du sixième alinéa du préambule de celui-ci, de régler les situations créées par le droit de l’Union et, d’autre part, par les dispositions dudit accord qui témoignent d’une limitation de la souveraineté du Royaume-Uni, telles que l’article 6 de celui-ci, qui prévoit que le droit de l’Union continue à s’appliquer lorsque l’accord de retrait y fait référence, et l’article 4 de celui-ci, qui dispose que, en cas de litige, les autorités judiciaires et administratives du Royaume-Uni doivent tenir dûment compte de la jurisprudence pertinente de la Cour prononcée après la fin de la période prévue à l’article 126 de cet accord, dite « période de transition ».

51      Par ailleurs, les requérants contestent l’analyse effectuée par le Tribunal dans l’ordonnance attaquée concernant les « actes réglementaires » et, notamment celle relative au point de savoir si les décisions approuvant la conclusion d’un accord international peuvent être considérées comme de tels actes. En particulier, les requérants reprochent au Tribunal d’avoir omis de prendre en compte l’article 275 TFUE. Cet article prévoyant que certains accords internationaux ou certains actes sont exclus de la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne, la question serait dès lors de savoir en l’espèce « si l’accord de retrait est un acte relevant de la politique étrangère ou de sécurité commune ou adopté sur la base de dispositions relatives à cette politique ». Or, selon les requérants, ni la décision approuvant la conclusion d’un accord international ni la signature de cet accord ne relèvent de la politique étrangère ou de sécurité commune et les actes litigieux ne sauraient ainsi être exclus de la compétence de la Cour.

52      En outre, les requérants contestent l’appréciation du Tribunal quant à la primauté des accords internationaux conclus par l’Union sur les autres actes de portée générale. Ils soutiennent, à cet égard, que la compétence de la Cour s’exerce sur tous les actes des institutions de l’Union, qu’ils soient législatifs ou non, et que les accords internationaux sont par conséquent des actes réglementaires relevant de l’article 263 TFUE.

53      Or, les requérants soutiennent que les actes litigieux sont des actes réglementaires qui ne comportent pas de mesures d’exécution et dont les effets, tels que la perte du statut de citoyen de l’Union et des droits attachés à ce statut, ne dépendent pas de l’existence de telles mesures. Ils estiment avoir qualité pour agir contre ces actes au regard de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE.

54      Par la seconde branche du second moyen de pourvoi, les requérants font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qui concerne l’appréciation de leur qualité pour agir au regard l’article 263, quatrième alinéa, deuxième membre de phrase, TFUE, au motif que la spécificité de leur situation démontrerait qu’ils sont concernés individuellement par les actes litigieux.

55      Les requérants soutiennent, à cet égard, qu’ils « ont été privés de s’opposer démocratiquement à la perte de leur citoyenneté européenne » alors qu’ils seraient « concernés directement et individuellement » par la décision litigieuse.

56      À cet égard, les requérants font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit au point 51 de l’ordonnance attaquée en considérant que la décision litigieuse les atteignait « en raison de leur qualité objective de ressortissants du Royaume-Uni ». Les requérants rappellent que leur recours visait à l’annulation des actes litigieux « en tant qu’ils ne conserv[aient] pas la citoyenneté européenne et ses attributs », qu’il visait à démontrer que les citoyens du Royaume-Uni qui résidaient dans l’Union formaient un « groupe de personnes spécifiques » de telle sorte que « les omettre » les atteint plus que toute autre personne. Ainsi, la condition selon laquelle le requérant doit être concerné individuellement devrait s’apprécier au regard des effets de la décision litigieuse sur les requérants et non pas au regard de son seul objet.

57      Par ailleurs, les requérants contestent les appréciations du Tribunal figurant au point 52 de l’ordonnance attaquée, selon lesquelles les circonstances qu’ils ont invoquées ne permettraient pas de considérer qu’ils font partie d’un « cercle restreint de personnes », au sens de la jurisprudence citée au point 41 de cette ordonnance.

58      Les requérants soutiennent, à cet égard, que le point de savoir si la condition selon laquelle le requérant doit être concerné individuellement est satisfaite devait également s’apprécier en fonction des effets combinés des actes litigieux. Selon eux, les actes réglementaires sont susceptibles d’atteindre un grand nombre de personnes, mais c’est seulement en tenant compte de la façon dont ils atteignent les situations individuelles de celles-ci que cette condition peut être véritablement appréciée. Ainsi, les requérants feraient partie d’un « cercle restreint de personnes », dans la mesure où ils seraient de potentiels électeurs du Royaume-Uni aux élections municipales françaises et où, parmi eux, figureraient des conseillers municipaux britanniques déjà élus en France, des personnes résidant en France et des personnes n’ayant pas pu demander la double nationalité espagnole et du Royaume-Uni. Par ailleurs, la perte du statut de citoyen de l’Union et des droits attachés à ce statut aurait eu également d’autres conséquences particulières comme la baisse de leur niveau de vie qui démontrerait un intérêt leur donnant qualité pour agir.

59      Le Conseil conteste les allégations des requérants et fait valoir que le Tribunal a considéré à juste titre que ces derniers n’avaient pas qualité pour agir au regard de l’article 263, quatrième alinéa, deuxième et troisième membres de phrase, TFUE.

 Appréciation de la Cour

60      À titre liminaire, il convient de relever que le Tribunal a jugé que les requérants étaient irrecevables à agir au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, considérant, respectivement aux points 57 et 81 de l’ordonnance attaquée, qu’ils n’étaient pas individuellement concernés par la décision litigieuse, au sens du deuxième membre de phrase de cette disposition, et que cette décision ne pouvait être qualifiée d’acte réglementaire, au sens du troisième membre de phrase de ladite disposition. Dans un souci d’économie de procédure, le Tribunal est parti de la prémisse selon laquelle la « perte » ou la « privation » du statut de citoyen de l’Union et des droits attachés à ce statut seraient une conséquence de l’adoption de ladite décision.

61      Sans qu’il soit besoin d’apprécier si, en statuant ainsi, le Tribunal a commis une erreur de droit, la Cour rappelle que, selon une jurisprudence constante, toute circonstance ayant trait à la recevabilité du recours en annulation formé devant le Tribunal est susceptible de constituer un moyen d’ordre public que la Cour, saisie dans le cadre d’un pourvoi, est tenue de soulever d’office (ordonnances du 5 septembre 2013, ClientEarth/Conseil, C‑573/11 P, non publiée, EU:C:2013:564, point 20, et du 4 février 2021, Pilatus Bank/BCE, C‑701/19 P, non publiée, EU:C:2021:99, point 23).

62      Or, il est de jurisprudence constante, premièrement, que la recevabilité d’un recours introduit par une personne physique ou morale contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, est subordonnée à la condition que lui soit reconnue la qualité pour agir, laquelle se présente dans deux cas de figure. D’une part, un tel recours peut être formé à condition que cet acte la concerne directement et individuellement. D’autre part, une telle personne peut introduire un recours contre un acte réglementaire ne comportant pas de mesures d’exécution si celui‑ci la concerne directement (voir en ce sens, notamment, arrêts du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission, C‑274/12 P, EU:C:2013:852, point 19, ainsi que du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 59).

63      Deuxièmement, un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où cette dernière a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle‑même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté. L’intérêt à agir constitue ainsi la condition essentielle et première de tout recours en justice (voir, en ce sens, arrêts du 19 octobre 1995, Rendo e.a./Commission, C‑19/93 P, EU:C:1995:339, point 13, ainsi que du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, points 55 et 58). En revanche, l’intérêt à agir fait défaut lorsque l’issue favorable d’un recours ne serait pas de nature, en tout état de cause, à donner satisfaction au requérant (voir, en ce sens, arrêts du 9 juin 2011, Evropaïki Dynamiki/BCE, C‑401/09 P, EU:C:2011:370, point 49, ainsi que du 23 novembre 2017, Bionorica et Diapharm/Commission, C‑596/15 P et C‑597/15 P, EU:C:2017:886, point 85).

64      Troisièmement, l’intérêt à agir et la qualité pour agir constituent des conditions de recevabilité distinctes qu’une personne physique ou morale doit satisfaire de façon cumulative afin d’être recevable à former un recours en annulation au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 62 ainsi que jurisprudence citée).

65      Eu égard aux circonstances de l’espèce et sans qu’il soit besoin d’apprécier si le Tribunal a commis une erreur de droit en statuant ainsi qu’il l’a fait aux points 45 à 57, 61, 62 et 67 à 81 de l’ordonnance attaquée, la Cour estime devoir soulever d’office la question de l’existence d’un intérêt à agir des requérants.

66      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 50, paragraphe 1, TUE énonce que tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union. La décision de retrait relève de la seule volonté de l’État membre concerné, dans le respect de ses règles constitutionnelles, et dépend donc de son seul choix souverain (voir, en ce sens, arrêts du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 50, ainsi que du 9 juin 2022, Préfet du Gers et Institut national de la statistique et des études économiques, C‑673/20, EU:C:2022:449, point 53).

67      Par ailleurs, la possession de la nationalité d’un État membre constituant, conformément à l’article 9 TUE et à l’article 20, paragraphe 1, TFUE, une condition indispensable pour qu’une personne puisse acquérir et conserver le statut de citoyen de l’Union et bénéficier de la plénitude des droits attachés à celui‑ci, la perte de cette nationalité entraîne donc, pour la personne concernée, celle de ce statut et de ces droits (arrêt du 9 juin 2022, Préfet du Gers et Institut national de la statistique et des études économiques, C‑673/20, EU:C:2022:449, point 57).

68      Ainsi, pour les requérants, la perte du statut de citoyen de l’Union et, par voie de conséquence, celle des droits attachés à ce statut, est une conséquence automatique de la seule décision prise souverainement par le Royaume-Uni de se retirer de l’Union, en vertu de l’article 50, paragraphe 1, TUE (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2022, Préfet du Gers et Institut national de la statistique et des études économiques, C‑673/20, EU:C:2022:449, point 59), et non de l’accord de retrait ou de la décision litigieuse.

69      Il s’ensuit que le recours doit être rejeté comme étant irrecevable, en ce qu’il est dirigé contre les actes litigieux au motif que ces derniers auraient entraîné pour les requérants la perte du statut de citoyen de l’Union et des droits attachés à ce statut, alors que cette perte procède de la seule décision prise souverainement par le Royaume-Uni de se retirer de l’Union, en vertu de l’article 50, paragraphe 1, TUE.

70      En effet, une annulation de la décision litigieuse ne saurait procurer un bénéfice aux requérants qui soit susceptible de fonder un intérêt à agir, puisque cette perte ne serait, en tout état de cause, pas remise en cause par cette annulation.

71      Les requérants ne présentant pas un intérêt à agir contre la décision litigieuse, il n’y a pas lieu d’examiner leur argumentation prise d’une appréciation erronée de leur qualité pour agir au regard de l’article 263, quatrième alinéa, deuxième et troisième membres de phrase, TFUE. En effet, une éventuelle erreur de droit serait sans incidence pour la solution du litige et n’affecterait pas le dispositif de l’ordonnance attaquée en tant que le recours a été rejeté comme étant irrecevable (voir, en ce sens, arrêt du 24 mars 2022, Wagenknecht/Commission, C‑130/21 P, EU:C:2022:226, point 43 et jurisprudence citée).

72      Il s’ensuit que, pour les motifs énoncés aux points 69 et 70 du présent arrêt, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a conclu, au point 83 de l’ordonnance attaquée, que le recours devait être rejeté comme étant irrecevable.

73      Le second moyen de pourvoi doit donc être écarté.

74      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le pourvoi est rejeté.

 Sur les dépens

75      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

76      Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

77      Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par le Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier.


Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      MM. Harry Shindler, Christopher David Randolph, Douglas Edward Watson, Michael Charles Strawson, Mmes Hilary Elizabeth Walker, Sarah Caroline Griffiths, M. James Graham Cherrill, Mmes Anita Ruddell Tuttell, Joséphine French et M. William John Tobbin sont condamnés aux dépens.

Safjan

Jääskinen

Gavalec

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 juin 2023.

Le greffier

 

Le président de chambre

A. Calot Escobar

 

M. Safjan


*      Langue de procédure : le français.