Language of document : ECLI:EU:T:2015:607

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

9 septembre 2015 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Santé publique – Directive 2001/37/CE – Fabrication, présentation et vente des produits du tabac – Photographies en couleurs proposées par la Commission comme avertissements relatifs à la santé à faire figurer sur les conditionnements des produits du tabac – Décision 2003/641/CE – Utilisation non autorisée de l’image d’une personne décédée – Préjudice personnel de la veuve de la personne décédée »

Dans l’affaire T‑168/14,

Ana Pérez Gutiérrez, demeurant à Mataró (Espagne), représentée par Me J. Soler Puebla, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. J. Baquero Cruz et Mme C. Cattabriga, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours en indemnité visant à obtenir, d’une part, réparation du préjudice prétendument subi par la requérante à la suite de l’utilisation non autorisée de l’image de son époux décédé parmi les photographies proposées par la Commission pour les avertissements relatifs à la santé à faire figurer sur les conditionnements des produits du tabac, conformément à l’article 5, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive 2001/37/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2001, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac (JO L 194, p. 26), et à la décision 2003/641/CE de la Commission, du 5 septembre 2003, sur l’utilisation de photographies en couleurs ou d’autres illustrations comme avertissements relatifs à la santé à faire figurer sur les conditionnements des produits du tabac (JO L 226, p. 24), et, d’autre part, le retrait de l’image de son époux décédé et l’interdiction de son utilisation dans l’Union européenne,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. S. Papasavvas, président, N. J. Forwood et E. Bieliūnas (rapporteur), juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 mars 2015,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Mme Ana Pérez Gutiérrez, est une citoyenne de nationalité espagnole dont le mari, M. Patrick Jacquemyn, de nationalité belge, est décédé le 10 décembre 2010 à l’Instituto Valenciano de Oncología (Institut valencien d’oncologie, Valence, Espagne). L’une des causes directes de son décès était le tabagisme.

2        Quelques années avant son décès, M. Jacquemyn avait fait l’objet d’une hospitalisation à l’hôpital de Barcelone (Espagne), du 21 juin au 16 août 2002.

3        Mise en présence d’une photographie figurant sur des conditionnements de produits du tabac, reproduite ci-après (ci-après la « photographie litigieuse »), la requérante a estimé avoir reconnu les traits de son défunt époux. Un des médecins de M. Jacquemyn ainsi qu’un ami et voisin de ce dernier l’auraient également reconnu :

Image not found

4        La photographie litigieuse fait partie de la bibliothèque électronique élaborée conformément à l’article 3 de la décision 2003/641/CE de la Commission, du 5 septembre 2003, sur l’utilisation de photographies en couleurs ou d’autres illustrations comme avertissements relatifs à la santé à faire figurer sur les conditionnements des produits du tabac (JO L 226, p. 24), adoptée sur le fondement de la directive 2001/37/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2001, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac (JO L 194, p. 26).

5        La réalisation de cette bibliothèque électronique a été confiée par la Commission européenne à une société spécialisée dans les enquêtes, le marketing et les études de marché, au titre d’un contrat de services dans le cadre duquel ont collaboré des experts en santé publique, en séméiologie et en communication institutionnelle. Les activités photographiques ont été sous-traitées à une agence de communication spécialisée en communication visuelle et graphique. Cette agence de communication a, à son tour, fait appel aux services de photographes, de modèles et d’organismes pour réaliser de nouvelles images.

6        Par lettre du 14 mai 2012, les représentants de la requérante ont demandé à la Commission de leur présenter l’autorisation ou le consentement indispensable à l’utilisation ou à la cession des droits à l’image du défunt époux de la requérante.

7        Par lettre du 11 juin 2012, la Commission a demandé aux représentants de la requérante d’apporter des éclaircissements sur la nature et la portée de la réclamation de leur cliente.

8        Par lettre du 29 juin 2012, les représentants de la requérante ont précisé que la réclamation de leur cliente devait être comprise comme une demande d’indemnisation des préjudices matériels et moraux subis du fait de l’utilisation non autorisée de l’image de son défunt époux comme avertissement relatif à la santé à faire figurer sur les conditionnements des produits du tabac. Les représentants de la requérante ont également réitéré leur demande visant à ce que la Commission leur indique le type d’autorisation qu’elle avait pour cette utilisation, étant donné que, durant sa longue maladie et, en particulier, son hospitalisation en 2002, M. Jacquemyn n’avait signé aucune autorisation pour l’utilisation de son image.

9        Par lettre du 23 juillet 2012, la Commission a répondu aux représentants de la requérante que, après de nouvelles vérifications, elle avait acquis la certitude que la personne qui se trouvait sur la photographie litigieuse n’était pas M. Jacquemyn. Elle a admis que le défunt époux de la requérante pouvait ressembler à l’homme figurant sur la photographie litigieuse, mais elle a ajouté que cette ressemblance ne conférait aucun droit à la requérante, ni ne lui permettait de réclamer des dommages et intérêts.

10      Le 7 novembre 2012, une première réunion dans les locaux de la Commission à Bruxelles (Belgique) s’est tenue entre les représentants de la requérante et ceux de la Commission afin de trouver une solution à ce différend.

11      Par courrier électronique du 12 novembre 2012, la Commission a demandé aux représentants de la requérante de lui fournir, notamment, des informations sur la période et le lieu d’hospitalisation de M. Jacquemyn afin de soumettre à son cocontractant les allégations d’activités frauduleuses soulevées par la requérante, qui, à ce stade, n’étaient étayées par aucun élément.

12      Par courrier électronique du 16 novembre 2012, les représentants de la requérante ont répondu aux demandes d’informations de la Commission, tout en indiquant leur étonnement face à de telles demandes, dans la mesure où, si la Commission disposait de l’autorisation pour utiliser la photographie litigieuse, le simple fait de leur montrer le consentement de la personne en cause ou cette autorisation aurait résolu le différend. Les représentants de la requérante ont, à cette occasion, précisé que le défunt mari de la requérante avait été hospitalisé en 2002 à l’hôpital de Barcelone.

13      Par courrier électronique du 26 novembre 2012, la Commission a indiqué qu’elle avait obtenu la confirmation écrite de la part de son cocontractant que l’image utilisée dans la bibliothèque électronique avait été prise en 2004, à Bruxelles. Elle a, par ailleurs, invité la requérante à se rendre dans ses locaux à Bruxelles afin de voir un original de la photographie litigieuse.

14      Le 20 décembre 2012, une seconde réunion a eu lieu dans les locaux de la Commission à Bruxelles, durant laquelle les représentants de la requérante ont pu voir la photographie litigieuse sur un écran d’ordinateur, sans que cela ait modifié leur avis quant à l’identité de la personne présente sur cette photographie.

 Procédure et conclusions des parties

15      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 mars 2014, la requérante a introduit le présent recours.

16      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        constater qu’il y a eu immixtion dans son droit à l’honneur, à l’intimité personnelle et familiale et à l’image par l’Union européenne, du fait de l’utilisation sans autorisation de l’image de M. Jacquemyn, et ordonner la cessation immédiate de l’utilisation de la photographie litigieuse dans l’Union et le retrait de tous les paquets et produits du tabac disponibles à la vente dans les différents établissements autorisés à vendre de tels produits et comportant l’image de M. Jacquemyn ;

–        condamner la Commission à lui verser la somme de 181 104 euros, correspondant au montant qui aurait été payé si un mannequin ou un figurant avait été employé pour la réalisation licite de la photographie litigieuse, majorée des intérêts de retard calculés à compter de la date de présentation de la requête ;

–        condamner la Commission à lui verser, à titre d’indemnisation du préjudice moral subi, la somme fixée en exécution de l’arrêt rendu conformément à l’article 9 de la Ley Orgánica 1/1982 de protección civil del derecho al honor, a la intimidad personal y familiar y a la propia imagen, du 5 mai 1982 (loi organique n° 1/1982 sur la protection civile du droit à l’honneur, à l’intimité personnelle et familiale et à l’image, BOE n° 115, du 14 mai 1982, p. 12546) (ci-après la « loi organique n° 1/1982 »), à raison d’un centime d’euro par conditionnement vendu, ce qui aboutit jusqu’à présent à une indemnisation du préjudice moral s’élevant à :

–        6 284 564 euros pour les conditionnements vendus en Espagne ;

–        1 071 428 euros pour les conditionnements vendus en Allemagne ;

–        5 128 571 euros pour les conditionnements vendus en France ;

–        1 132 857 euros pour les conditionnements vendus en Belgique ;

–        condamner la Commission à lui verser une indemnisation au titre du gain tiré de l’utilisation non autorisée de l’image de M. Jacquemyn, sur le fondement de l’article 9, paragraphe 2, sous d), de la loi organique n° 1/1982, soit la somme de 13 790 000 euros, correspondant à 10 % de l’économie réalisée en matière de dépenses de santé ;

–        condamner la Commission aux dépens ainsi qu’aux frais afférents à la procédure.

17      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme dénué de fondement ;

–        condamner la requérante aux dépens.

18      Lors de l’audience, la Commission a indiqué qu’elle ne serait pas opposée, le cas échéant, à ce que chaque partie soit condamnée à supporter ses propres dépens, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience.

 En droit

19      La requérante demande, en substance, au Tribunal, d’une part, que la Commission soit condamnée à lui verser des dommages et intérêts en vertu de l’article 340 TFUE, au motif que la Commission a utilisé sans autorisation l’image de son époux décédé comme photographie pour les avertissements relatifs à la santé à faire figurer sur les conditionnements des produits du tabac, et, d’autre part, qu’elle soit condamnée à retirer la photographie litigieuse et à en interdire l’utilisation dans l’Union.

20      Selon la requérante, toutes les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union sont remplies en l’espèce.

 Observations liminaires

21      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, l’existence d’un préjudice réel et certain et l’existence d’un lien direct de causalité entre le comportement de l’institution concernée et le préjudice allégué (arrêts du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec, EU:C:1982:318, point 16, et du 10 mai 2006, Galileo International Technology e.a./Commission, T‑279/03, Rec, EU:T:2006:121, point 76).

22      Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions de ladite responsabilité (arrêts du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, Rec, EU:C:1994:329, point 81, et du 10 décembre 2009, Antwerpse Bouwwerken/Commission, T‑195/08, Rec, EU:T:2009:491, point 91). En outre, le juge de l’Union n’est pas tenu d’examiner ces conditions dans un ordre déterminé (arrêt du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, Rec, EU:C:1999:402, point 13).

23      En l’espèce, il convient d’examiner tout d’abord la condition relative à l’illégalité du comportement reproché à la Commission.

 En ce qui concerne l’illégalité du comportement reproché à la Commission

24      La requérante considère que l’illégalité du comportement de la Commission réside dans l’utilisation non autorisée de l’image de M. Jacquemyn.

25      La requérante a précisé, lors de l’audience, qu’elle ne soutenait pas que la Commission avait violé la loi organique n° 1/1982, mais qu’elle soutenait que la Commission avait violé le droit à l’image de son époux décédé, ce qui lui aurait causé des préjudices matériels et moraux. La loi organique n° 1/1982 aurait été néanmoins invoquée par la requérante dans le but de quantifier les préjudices prétendument subis, en l’absence de toute règle de droit de l’Union en la matière.

26      Il a été pris acte de cette déclaration dans le procès-verbal de l’audience.

27      La requérante a ajouté que, bien que le droit à l’image ne fasse pas l’objet d’une protection spécifique dans le droit de l’Union, il fait partie des droits de l’homme dont l’Union assure le respect.

28      Enfin, la requérante estime, en substance, qu’il y a eu violation de son droit à la vie privée et familiale.

29      La Commission conteste les arguments de la requérante.

30      À cet égard, il convient de remarquer que la sphère privée, protégée par l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui assure à toute personne le droit au respect de sa vie privée et familiale, englobe également l’image d’une personne dans une société démocratique (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans les affaires jointes eDate Advertising e.a., C‑509/09 et C‑161/10, Rec, EU:C:2011:192, point 52).

31      Or, les droits fondamentaux, auxquels se réfère, en substance, la requérante lorsqu’elle mentionne les droits de l’homme dont l’Union est tenue d’assurer le respect et au sein desquels est protégé le droit au respect de la vie privée et familiale, sont des règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 2008, M/Médiateur, T‑412/05, EU:T:2008:397, points 125, 140 et 145).

32      Dès lors que, pour admettre qu’il est satisfait à la condition d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union relative à l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers [arrêts du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec, EU:C:2000:361, point 42 ; du 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission, C‑282/05 P, Rec, EU:C:2007:226, point 47, et du 3 mars 2010, Artegodan/Commission, T‑429/05, Rec, EU:T:2010:60, point 52], il y a lieu de vérifier si, en l’espèce, il y a eu violation suffisamment caractérisée du droit au respect de la vie privée et familiale de M. Jacquemyn et de la requérante susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union.

33      Cette vérification suppose d’examiner, au préalable, si la requérante a réussi à établir que la personne se trouvant sur la photographie litigieuse était son mari. En effet, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, c’est à la partie requérante qu’il appartient de démontrer que sont réunies les différentes conditions d’une responsabilité non contractuelle de l’Union (arrêt du 29 avril 2004, Bouma et Beusmans/Conseil et Commission, C‑162/01 P et C‑163/01 P, Rec, EU:C:2004:247, point 100).

34      À cet égard, il importe de souligner qu’il ne saurait y avoir de comportement susceptible d’entraîner la violation des droits fondamentaux de la requérante et de son défunt époux que si la personne se trouvant sur la photographie litigieuse était effectivement M. Jacquemyn.

35      La thèse de la requérante repose sur l’idée qu’il existe une photographie de M. Jacquemyn, prise lors de son hospitalisation en 2002, qui aurait été récupérée et retouchée pour entrer dans la bibliothèque électronique établie par la Commission.

36      À l’inverse, la Commission soutient que la photographie litigieuse est fondée sur l’une des photographies prises lors de séances de photographies, réalisées en 2004, d’une personne qui n’était pas M. Jacquemyn, mais qui était un modèle recruté à cet effet.

37      La requérante et la Commission ont produit différents éléments de preuve afin d’attester de l’identité de la personne se trouvant sur la photographie litigieuse.

38      Les preuves fournies par la requérante consistent en des déclarations sous serment, en un rapport d’expertise élaboré par un spécialiste en physionomie et en un rapport rédigé par un détective privé.

39      Les déclarations sous serment proviennent, d’une part, d’un ami et voisin du défunt mari de la requérante et, d’autre part, d’un médecin de celui-ci et datent, respectivement, des 20 et 25 février 2014. Le rapport d’expertise a été établi le 18 juin 2013 par un spécialiste en physionomie, sur la base d’une comparaison de la photographie litigieuse avec plusieurs photographies de M. Jacquemyn, à savoir des photographies prises en dehors de toute hospitalisation et des photographies prises durant son hospitalisation en 2002. Un détective privé a rendu un rapport le 19 décembre 2013 visant à retracer l’historique de la photographie litigieuse.

40      Quant à la Commission, tout d’abord, elle a soumis un ensemble de documents consistant en une lettre du directeur de l’agence de communication qui a réalisé la photographie litigieuse, accompagnée d’une première déclaration, datant du 17 juin 2004, du modèle apparaissant sur ladite photographie ainsi que d’une déclaration du photographe auteur de celle-ci datant du 24 novembre 2012. Il convient de remarquer que la lettre du directeur ne comporte pas de date et que certaines données ont été noircies. Lors de l’audience toutefois, la Commission a indiqué que cette lettre avait été reçue le 18 octobre 2013.

41      En réponse à une question du Tribunal, la Commission a reconnu qu’une version antérieure de cette lettre, datée du 15 novembre 2012, avait été envoyée par le directeur de l’agence de communication. La Commission a indiqué avoir produit, devant le Tribunal, la lettre reçue le 18 octobre 2013 plutôt que celle du 15 novembre 2012, dans la mesure où cette dernière contenait une erreur factuelle et omettait le nom de l’hôpital dans lequel les séances de photographies avaient eu lieu. Quant à l’erreur factuelle, la Commission a indiqué qu’elle concernait la date de la séance de photographies. En effet, contrairement à ce qu’indiquait la première lettre, à savoir qu’une seule séance de photographies avait eu lieu, la lettre reçue le 18 octobre 2013 mentionne que plusieurs séances de photographies ont été réalisées en 2004 pour aboutir à la photographie litigieuse.

42      Interrogée sur ce point lors de l’audience, la requérante n’a pas remis en cause les déclarations de la Commission et a admis que le Tribunal pouvait tenir compte de ces éléments.

43      Ensuite, la Commission a produit une deuxième déclaration du modèle, du 22 avril 2014, accompagnée de l’original de la photographie ayant servi de base à la photographie litigieuse.

44      Enfin, la Commission a soumis une troisième déclaration du modèle, du 19 mai 2014, à laquelle étaient annexées une photographie de celui-ci, du 17 juillet 2004, prise dans le contexte de sa vie privée et fournie à la demande de la Commission, ainsi que plusieurs photographies datant des séances de photographies de 2004 qui ont abouti, selon la Commission, à la production de la photographie litigieuse.

45      À cet égard, la requérante conteste la valeur probante des éléments apportés par la Commission. En particulier, elle considère que ces éléments de preuve ne sauraient être pris en compte par le Tribunal, dans la mesure où les données permettant d’identifier les principaux acteurs impliqués dans la création de la photographie litigieuse ont été noircies.

46      En ce sens, la requérante soutient, d’une part, que la Commission ne saurait se prévaloir de la protection des données à caractère personnel, en vertu du règlement (CE) n° 45/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2000, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions et organes communautaires et à la libre circulation de ces données (JO 2001, L 8, p. 1), ou de la protection des intérêts commerciaux des tiers, en vertu du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), pour ne pas donner accès à ces informations. Dès lors, il ne saurait être tenu compte de ces documents sous peine de violer l’article 15, paragraphe 3, TFUE, relatif au droit d’accès aux documents des institutions, organes et organismes de l’Union, ainsi que les principes du contradictoire et du respect des droits de la défense. Elle soutient, d’autre part, que le fait même que des données ont été noircies empêcherait la qualification de preuve de tels documents.

47      En outre, la requérante indique que la photographie litigieuse est dans les tons bleus et que son arrière-plan est flou, ce qui ne serait pas le cas des photographies apparaissant dans l’annexe produite par la Commission. La requérante en déduit que la photographie originale à partir de laquelle a été conçue la photographie litigieuse a été retouchée grâce à un logiciel de traitement photographique. Cela implique, selon elle, que l’affirmation du directeur de l’agence de communication contenue dans la lettre fournie dans l’annexe produite par la Commission, selon laquelle la photographie originale n’a pas été retouchée, est un mensonge.

48      La requérante note enfin que les déclarations du modèle et du photographe reproduites dans l’annexe produite par la Commission sont rédigées selon le même modèle, mais portent des dates différentes, respectivement le 17 juin 2004 et le 24 novembre 2012, ce qui la conduit à conclure que ces déclarations ont, en réalité, été rédigées à une date récente, afin de servir de preuves dans la présente procédure, et que la Commission ne disposait d’aucun type d’autorisation.

49      Tout d’abord, s’agissant de l’argument de la requérante relatif à la violation de l’article 15, paragraphe 3, TFUE et des principes du contradictoire et du respect des droits de la défense, il suffit de remarquer, d’une part, que la présente procédure ne concerne pas une demande d’accès aux documents introduite par la requérante, conformément au règlement n° 1049/2001, et, d’autre part, que, dès lors que la requérante a été mise en mesure de présenter ses observations sur les éléments de preuve soumis au Tribunal par la Commission, ce qu’elle a précisément fait dans le cadre de la réplique, les principes du contradictoire et du respect des droits de la défense sont pleinement respectés (voir, en ce sens, arrêt du 12 novembre 2014, Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, Rec, EU:C:2014:2363, points 30 et 31). Dès lors, il ne saurait y avoir violation de cet article ni de ces principes et l’argument de la requérante doit être rejeté comme non fondé.

50      Ensuite, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel des documents dans lesquels des données ont été noircies ne pourraient être qualifiés de preuves et donc pris en compte par le Tribunal, il convient de rappeler que le principe qui prévaut dans le droit de l’Union est celui de libre administration des preuves et que le seul critère pertinent pour apprécier les preuves produites réside dans leur crédibilité [voir arrêt du 30 mai 2013, Brauerei Beck/OHMI – Aldi (Be Light), T‑172/12, EU:T:2013:286 et jurisprudence citée].

51      En conséquence, si les arguments de la requérante peuvent être pertinents pour apprécier la crédibilité et, partant, la force probante des documents soumis par la Commission, il n’y a pas lieu de considérer que ces documents doivent être écartés du simple fait que certaines données ont été noircies.

52      Concernant les différents documents produits par la Commission, il convient de constater que, dans sa lettre reçue par la Commission le 18 octobre 2013, le directeur de l’agence de communication affirme que la personne sur la photographie litigieuse n’est pas M. Jacquemyn. S’agissant de la première déclaration du modèle, du 17 juin 2004, certaines de ses mentions ont été noircies : il ne reste que les initiales du prénom et du nom, à savoir « W » et « A », tandis que la signature et le numéro d’identité du modèle ont été masqués. Il y est également précisé que le modèle est de nationalité allemande. Quant à la déclaration du photographe, il y a lieu de noter que son nom ainsi que sa signature ont été noircis.

53      À cet égard, contrairement à ce qu’allègue la requérante, le simple fait que la déclaration du photographe, annexée elle aussi à la lettre du directeur de l’agence de communication, date du 24 novembre 2012 et est rédigée dans des termes analogues à la déclaration du modèle ne saurait être interprété comme indiquant que, en réalité, la déclaration du modèle a été faite récemment et en même temps que celle du photographe.

54      Il convient d’ailleurs de souligner que, lors de l’audience, la Commission a précisé, d’une part, que la déclaration du photographe datait du 24 novembre 2012 et, d’autre part, qu’un modèle de déclaration datant de 2004 avait été utilisé pour cette déclaration, ce qui expliquait que la date de 2004, apparaissant au bas de la lettre, avait été rayée.

55      Ainsi, la première déclaration du modèle a été établie bien avant que la première lettre des représentants de la requérante n’ait été envoyée à la Commission, à savoir le 14 mai 2012, de sorte qu’il ne saurait être considéré que cette déclaration a été uniquement écrite pour les besoins de la présente affaire.

56      À l’inverse, les déclarations suivantes du modèle, datées du 22 avril 2014 et du 19 mai 2014, ont clairement été demandées pour servir de preuves dans le cadre de la présente procédure, ainsi que l’a expressément indiqué la Commission. Il y a lieu de considérer que ces déclarations n’ont été produites par la Commission que dans le but de confirmer la première déclaration du 17 juin 2004 et d’apporter de nouvelles preuves à l’appui de ses allégations, ce qui ne saurait lui être reproché ni amoindrir la force probante de ces déclarations.

57      Or, les trois déclarations du modèle permettent de constater que ce dernier et M. Jacquemyn n’ont ni les mêmes initiales ni la même nationalité et que le modèle était toujours en vie lors de la procédure devant le Tribunal.

58      Quant à la déclaration du photographe, elle corrobore les faits tels que décrits par la Commission. Il en va de même de la lettre du directeur de l’agence de communication.

59      Enfin, les différentes photographies du modèle qui accompagnent sa déclaration du 19 mai 2014 et la déclaration du directeur de l’agence de communication permettent de se rendre compte du contexte dans lequel la photographie litigieuse a été prise. Il apparaît, en particulier à la vue des différentes photographies fournies dans l’annexe produite par la Commission, que le modèle a dû s’allonger sur une table mortuaire, qu’il a dû placer un linge sur le haut de son visage et que son cou reposait sur un oreiller en bois. Ce sont là des éléments que l’on retrouve dans la photographie litigieuse, sans qu’il y ait eu besoin de les ajouter postérieurement à l’aide d’un logiciel de traitement photographique. De même, la corpulence du modèle correspond à celle de la personne se trouvant sur la photographie litigieuse et, contrairement à M. Jacquemyn, le modèle n’ayant subi aucune trachéotomie, il n’y avait pas de cicatrice à effacer. De surcroît, plusieurs photographies prises sous différents angles ont été reproduites, ce qui démontre que la photographie litigieuse a été obtenue à la suite de plusieurs séances de photographies. En effet, il est souvent nécessaire de réaliser plusieurs photographies, voire plusieurs séances, afin de sélectionner celle qui est la plus à même d’atteindre le but recherché. À cet égard, ainsi que le fait remarquer la Commission dans la duplique, le changement de couleur et la clarté du fond d’une photographie peuvent provenir d’une modification des réglages de l’appareil utilisé ou de l’éclairage de la pièce où les séances ont été réalisées.

60      Ainsi, il y a lieu de conclure que la Commission a fourni des éléments de preuve qui étayent de manière plausible et documentée la thèse selon laquelle un modèle a été engagé afin de réaliser la photographie litigieuse.

61      À cet égard, les preuves de la requérante ne sont pas susceptibles de remettre en cause les explications de la Commission.

62      En effet, s’agissant, tout d’abord, des déclarations sous serment, il est question de deux documents établis chez un notaire par lesquels le médecin et l’ami de M. Jacquemyn affirment avoir reconnu celui-ci sur la photographie litigieuse.

63      S’agissant, ensuite, du rapport d’expertise, il y a lieu de remarquer que, premièrement, l’expert, en analysant la photographie litigieuse, considère, avant même de l’avoir comparée aux photographies de M. Jacquemyn, qu’elle a été retouchée. En effet, l’expert part de la prémisse que la photographie litigieuse a nécessairement été modifiée afin, d’une part, d’intégrer une table mortuaire et, d’autre part, de supprimer la cicatrice laissée par la trachéotomie subie par M. Jacquemyn durant son hospitalisation en 2002. Deuxièmement, l’expert rappelle que le défunt mari de la requérante pesait 130 kg au moment d’entrer à l’hôpital de Barcelone en 2002. Il revient sur l’évolution de l’état physique de M. Jacquemyn lors de cette hospitalisation et précise que le mari de la requérante, plongé dans le coma, a perdu 20 kg. Troisièmement, il fournit plusieurs photographies de M. Jacquemyn, dont certaines auraient été prises durant son hospitalisation et publiées sur des sites Internet médicaux. Après une comparaison de la forme du nez, de la bouche, du cou et du menton de M. Jacquemyn sur ces photographies avec la forme de ceux de la personne figurant sur la photographie litigieuse, l’expert arrive à la conclusion suivante : le nez et la bouche sont les mêmes, ce qui implique qu’il s’agit de la même personne, et ce même si le menton et le cou présentent quelques différences, dues aux variations de poids de M. Jacquemyn.

64      Ainsi, l’expert, dans son rapport, développe une théorie selon laquelle une photographie de M. Jacquemyn aurait été retouchée afin qu’y soit ajoutée une table mortuaire et que soit effacée toute trace laissée par la trachéotomie subie par celui-ci. En outre, les différences de corpulence seraient minimes.

65      Or, au vu des photographies et des explications fournies par la Commission, il est manifestement plus probable que la photographie litigieuse a été créée à la suite de plusieurs séances de photographies, lors desquelles une mise en scène, qui se retrouve dans la photographie litigieuse, a été élaborée, plutôt qu’à la suite de nombreux et importants ajouts et retouches apportés à une photographie de M. Jacquemyn. Dans ces conditions, force est également de constater que les témoignages affirmant que la photographie montre M. Jacquemyn ne sont pas de nature à contrebalancer les explications étayées et détaillées fournies par la Commission.

66      S’agissant, enfin, du rapport du détective privé produit par la requérante, premièrement, il y a lieu de noter que celui-ci indique que certaines photographies prises à l’hôpital de Barcelone sont utilisées sur des sites Internet médicaux et se trouvent dans une banque d’images médicales du Grupo de medicina basada en la evidencia (groupe de médecine factuelle). Il précise que cette banque d’images, qui existe depuis novembre 1997, est libre d’accès et que les images peuvent, de ce fait, être librement récupérées. Cependant, il note qu’une photographie de M. Jacquemyn le représentant avec un système respiratoire n’apparaît plus sur Internet. Deuxièmement, ledit rapport s’intéresse à l’origine des images présentes dans la banque d’images médicales susmentionnée et communique les coordonnées du responsable dudit groupe pour le contacter afin d’identifier la personne qui a fourni la photographie représentant M. Jacquemyn appareillé d’un système respiratoire et l’historique médical de ce dernier ainsi que la personne responsable de la photographie. Troisièmement, le détective privé traite de l’origine de la photographie litigieuse proposée par l’Union. Il affirme ainsi que le fichier de la photographie litigieuse, envoyé par la Commission au Royaume d’Espagne, a été créé à Bruxelles le 19 octobre 2004 et utilise comme preuve de ce qu’il avance une capture d’écran. Cependant, il note que la photographie à l’origine de ce fichier proviendrait d’une autre base de données d’images. À cet égard, le droit d’auteur serait détenu par l’Union, mais l’autorisation pour l’utilisation de la photographie devrait être obtenue auprès du secrétariat de la convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la lutte antitabac. Il affirme donc que l’OMS est l’auteur des photographies à l’origine de celles se trouvant dans la base de données de l’Union. Il donne les coordonnées du secrétariat auquel il faut s’adresser pour demander l’identité de l’auteur de la photographie. Puis, il affirme que l’image créée par l’utilisation d’un logiciel de traitement photographique est l’œuvre d’une agence de communication internationale. Finalement, il ne conclut pas précisément sur l’identité de l’auteur de la photographie litigieuse, mais propose d’interroger différents organismes pour la déterminer.

67      Il ressort de ce qui précède que le rapport du détective privé ne permet en aucune manière d’affirmer que la photographie litigieuse est bien celle de M. Jacquemyn. Le détective privé ne fait mention que d’éléments qui seraient susceptibles d’expliquer l’origine de la photographie à partir de laquelle la photographie litigieuse aurait été créée, mais il n’apporte aucune preuve tangible de ce qu’il avance. En outre, en guise de conclusion, il propose à la requérante d’adresser des demandes d’informations à divers organismes et personnes afin de déterminer qui est l’auteur de la photographie litigieuse.

68      Par conséquent, les faits sur lesquels repose le recours de la requérante ne sont pas avérés et la position défendue par celle-ci s’appuie sur des théories non étayées. Dans ces conditions, la requérante, sur laquelle pèse la charge de la preuve, n’a pas démontré le bien-fondé de ses allégations.

69      Partant, la requérante n’ayant pas démontré que la photographie litigieuse exposait l’image de son défunt mari, il ne saurait y avoir violation du droit à la vie privée et familiale de la requérante ou de son défunt époux. Dès lors, la condition relative à l’illégalité du comportement de la Commission fait défaut.

70      Au vu de tout ce qui précède, il convient, en tout état de cause, de rejeter le recours, sans qu’il y ait lieu de procéder à l’examen des autres conditions nécessaires à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union.

 Sur les dépens

71      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Mme Ana Pérez Gutiérrez est condamnée aux dépens.

Papasavvas

Forwood

Bieliūnas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 septembre 2015.

Signatures


* Langue de procédure : l’espagnol.