Language of document : ECLI:EU:T:2024:311

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

15 mai 2024 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine – Interdiction d’investir dans des projets cofinancés par le requérant, d’y participer ou d’y contribuer d’une autre manière – Compétence du Tribunal – Recours en annulation – Qualité pour agir – Recevabilité – Exception d’illégalité – Erreur manifeste d’appréciation – Droits de la défense – Liberté d’entreprise – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑235/22,

Russian Direct Investment Fund, établi à Moscou (Russie), représenté par Mes K. Scordis et A. Gavrielides, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. Antoniadis et M. Bishop, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par MM. J.-F. Brakeland, C. Giolito et Mme M. Carpus Carcea, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann (rapporteur), président, R. Mastroianni et I. Gâlea, juges,

greffier : Mme I. Kurme, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 26 septembre 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, Russian Direct Investment Fund, demande, en substance, l’annulation, d’une part, de la décision (PESC) 2022/346 du Conseil, du 1er mars 2022, modifiant la décision 2014/512/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2022, L 63, p. 5) (ci-après la « décision attaquée »), et, d’autre part, du règlement (UE) 2022/345 du Conseil, du 1er mars 2022, modifiant le règlement (UE) no 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2022, L 63, p. 1) (ci-après le « règlement attaqué ») (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), dans la mesure où ces actes le concernent.

I.      Antécédents du litige

2        Le requérant est l’un des fonds souverains de la Fédération de Russie. Il a été créé en juin 2011 par le gouvernement de la Fédération de Russie.

3        En mars 2014, la Fédération de Russie a illégalement annexé la République autonome de Crimée ainsi que la ville de Sébastopol et mène depuis lors des actions de déstabilisation continues dans l’est de l’Ukraine. En réaction, l’Union européenne a instauré des mesures restrictives eu égard aux actions de la Fédération de Russie, des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ainsi que des mesures restrictives en réaction à l’annexion illégale de la République autonome de Crimée et de la ville de Sébastopol par la Fédération de Russie.

4        En particulier, le 31 juillet 2014, eu égard à la gravité de la situation en Ukraine malgré l’adoption, au mois de mars 2014, de restrictions en matière de déplacements ainsi que d’un gel des avoirs visant certaines personnes physiques et morales, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/512/PESC, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 13), afin d’introduire des mesures restrictives ciblées dans les domaines de l’accès aux marchés des capitaux, de la défense, des biens à double usage et des technologies sensibles, notamment dans le secteur énergétique. Plus précisément, l’article premier de cette décision a, notamment, interdit les transactions portant sur des obligations, actions ou instruments financiers similaires nouveaux, dont l’échéance était supérieure à 90 jours, émis par des établissements financiers publics russes, à l’exception des établissements basés en Russie et bénéficiant d’un statut international en vertu d’un accord intergouvernemental et dont la Russie est l’un des actionnaires, ou la fourniture d’un financement ou de services d’investissement pour ces obligations, actions ou instruments financiers, ou leur négociation.

5        À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) no 833/2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 1), qui contient des dispositions plus détaillées pour donner effet, tant au niveau de l’Union que dans les États membres, aux prescriptions de la décision 2014/512.

6        Le 23 février 2022, le Conseil a adopté une première série de mesures restrictives interdisant notamment le financement de la Fédération de Russie, de son gouvernement et de sa banque centrale.

7        Le 24 février 2022, le président de la Fédération de Russie a annoncé une opération militaire en Ukraine et, le même jour, les forces armées russes ont attaqué l’Ukraine à plusieurs endroits du pays.

8        Le 25 février 2022, le Conseil a adopté une deuxième série de mesures restrictives applicables notamment dans le domaine de la finance, de la défense, de l’énergie, dans le secteur de l’aviation et de l’industrie spatiale.

9        À la même date, par la décision (PESC) 2022/327, modifiant la décision 2014/512 (JO 2022, L 48, p. 1), le Conseil a instauré une nouvelle série de mesures restrictives dans le secteur financier. L’article premier de cette décision étend les restrictions financières existantes, en particulier celles concernant l’accès de certaines entités russes aux marchés des capitaux. Il interdit en outre la cotation et la fourniture de services relatifs aux actions d’entités publiques russes sur les plateformes de négociation de l’Union. De plus, il introduit de nouvelles mesures, qui limitent considérablement les entrées de capitaux dans l’Union en provenance de Russie, en interdisant l’acceptation, au-delà de certains montants, des dépôts de ressortissants ou de résidents russes, la détention de comptes de clients russes par les dépositaires centraux de titres de l’Union et la vente de titres libellés en euros à des clients russes.

10      Le 28 février 2022, le Conseil a adopté de nouvelles mesures restrictives, notamment par sa décision (PESC) 2022/335, modifiant la décision 2014/512 (JO 2022, L 57, p. 4). Cette décision a interdit les transactions liées à la gestion des réserves et des avoirs de la Banque centrale de Russie, y compris les transactions avec toute personne morale, toute entité ou tout organisme agissant pour le compte ou sur les instructions de la Banque centrale de Russie.

11      Le même jour, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) 2022/334, modifiant le règlement no 833/2014 (JO 2022, L 57, p. 1).

12      Le 1er mars 2022, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté la décision attaquée.

13      Selon le considérant 5 de celle-ci, compte tenu de la gravité de la situation, et en réaction à l’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine, le Conseil a estimé qu’il convenait d’instaurer de nouvelles mesures restrictives en ce qui concerne la fourniture de services spécialisés de messagerie financière à certains établissements de crédit russes ainsi qu’à leurs filiales russes, qui sont importants pour le système financier russe et font déjà l’objet de mesures restrictives imposées par l’Union ou par des pays partenaires, et, sous réserve de certaines exceptions, en ce qui concerne les relations avec le requérant.

14      L’article 1er, point 2), de la décision attaquée a inséré à l’article 4 ter de la décision 2014/512 (ci-après la « décision 2014/512 modifiée ») les paragraphes suivants :

« 3. Il est interdit d’investir dans des projets cofinancés par le Russian Direct Investment Fund, d’y participer ou d’y contribuer d’une autre manière.

4. Par dérogation au paragraphe 3, les autorités compétentes peuvent autoriser, dans les conditions qu’elles jugent appropriées, la participation à un investissement dans des projets cofinancés par le Russian Direct Investment Fund, ou une contribution à de tels projets, après avoir établi que cette participation à l’investissement ou cette contribution est exigible en vertu de contrats conclus avant le 2 mars 2022, ou de contrats accessoires nécessaires à l’exécution de tels contrats. »

15      Le même jour, le Conseil a adopté le règlement attaqué, qui a modifié le règlement no 833/2014 en ajoutant les paragraphes suivants à l’article 2 sexies (ci-après le « règlement no 833/2014 modifié ») :

« 3. Il est interdit d’investir dans des projets cofinancés par le Russian Direct Investment Fund, d’y participer ou d’y contribuer d’une autre manière.

4. Par dérogation au paragraphe 3, les autorités compétentes peuvent autoriser, dans les conditions qu’elles jugent appropriées, la participation à un investissement dans des projets cofinancés par le Russian Direct Investment Fund, ou une contribution à de tels projets, après avoir établi que cette participation à l’investissement ou cette contribution est exigible en vertu de contrats conclus avant le 2er mars 2022 ou de contrats accessoires nécessaires à l’exécution de tels contrats. »

II.    Conclusions des parties

16      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués, en ce qu’ils le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

17      Le Conseil, soutenu par la Commission, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le Tribunal annulerait les actes attaqués, ordonner que les effets de la décision attaquée soient maintenus jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement attaqué prenne effet.

III. En droit

A.      Sur la compétence du Tribunal à connaître de la demande tendant à l’annulation des actes attaqués et la qualité pour agir du requérant

18      Au point 31 de son mémoire en défense, et sans pour autant contester formellement la compétence du Tribunal pour connaître du présent recours ou la qualité pour agir du requérant, le Conseil soutient que les actes attaqués constituent des mesures de portée générale. En particulier, si le Conseil admet que le requérant est nommément mentionné dans le corps des actes attaqués, il précise que les mesures en cause visent le secteur financier et, plus particulièrement en ce qui concerne le requérant, le secteur de la gestion de fonds souverains pour la Fédération de Russie. Selon le Conseil, le fait que le requérant soit mentionné individuellement dans ces actes n’a aucune incidence sur la nature des mesures, car celui-ci couvre l’ensemble du secteur économique visé par les mesures restrictives en question.

19      Il convient de relever que le Tribunal peut examiner d’office, d’une part, si les conclusions en annulation des actes attaqués sont portées devant une juridiction incompétente pour en connaître et, d’autre part, la recevabilité des conclusions en annulation desdits actes, conformément à la jurisprudence selon laquelle le juge de l’Union peut, à tout moment, examiner d’office les fins de non-recevoir d’ordre public, au rang desquelles figurent l’étendue de sa compétence et les conditions de recevabilité d’un recours (voir, en ce sens, arrêt du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 34 et jurisprudence citée).

20      En l’espèce, lorsqu’il soutient que le présent recours est irrecevable, le Conseil tire argument de la portée des mesures en cause et soulève, en particulier, la question de savoir s’il s’agit de mesures restrictives de portée individuelle ou générale. Or, s’agissant de la nature des mesures en cause, elle est déterminante quant à la détermination de la compétence du Tribunal, au sens de l’article 275 TFUE, « pour contrôler le respect de l’article 40 du traité sur l’Union européenne et se prononcer sur les recours, formés dans les conditions prévues à l’article 263, quatrième alinéa, du présent traité concernant le contrôle de la légalité des décisions prévoyant des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales adoptées par le Conseil sur la base du titre V, chapitre 2, du traité sur l’Union européenne ».

21      Il convient donc d’examiner la compétence du Tribunal pour connaître de la demande tendant à l’annulation des actes attaqués, bien que cette question ne soit pas contestée formellement par le Conseil, avant, le cas échéant, d’examiner la qualité pour agir du requérant puis le fond.

1.      Sur la compétence du Tribunal pour connaître de la demande tendant à l’annulation des actes attaqués

a)      Sur la demande d’annulation de la décision attaquée

22      Il y a lieu de relever que la décision attaquée a été adoptée sur la base de l’article 29 TUE, qui est une disposition relative à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) au sens de l’article 275 TFUE. Aux termes de l’article 275, second alinéa, TFUE, lu en combinaison avec l’article 256, paragraphe 1, TFUE, le Tribunal a seulement compétence pour se prononcer sur les recours, formés dans les conditions prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, concernant le contrôle de la légalité des décisions prévoyant des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales, adoptées par le Conseil sur la base du titre V, chapitre 2, du traité UE. Comme la Cour l’a relevé, en ce qui concerne les actes adoptés sur la base des dispositions relatives à la PESC, c’est la nature individuelle de ces actes qui ouvre, conformément aux termes de l’article 275, second alinéa, TFUE et de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, l’accès au juge de l’Union (arrêts du 23 avril 2013, Gbagbo e.a./Conseil, C‑478/11 P à C‑482/11 P, EU:C:2013:258, point 57, et du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 37).

23      Par ailleurs, selon la jurisprudence, les mesures restrictives s’apparentent, à la fois, à des actes de portée générale dans la mesure où elles interdisent à une catégorie générale et abstraite de destinataires de mettre des ressources économiques à la disposition des entités visées par leurs annexes et à des décisions individuelles à l’égard de ces entités (arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 102).

24      Au vu de la jurisprudence citée au point 22 ci-dessus, le Tribunal aura compétence pour se prononcer sur le présent recours en tant qu’il est vise la décision attaquée dans le cas où les dispositions de celle-ci concernant le requérant constituent une décision individuelle à son égard.

25      À cet égard, il ressort de la jurisprudence qu’une décision prévoyant des mesures restrictives peut être considérée comme individuelle si la personne concernée est identifiée dans son corps ou dans une liste en annexe à celle-ci, en d’autres termes, si ladite personne est nommément visée par ladite décision (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 104, et du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, point 60).

26      Au vu de ce qui précède, les mesures restrictives prévues par la décision 2014/512 sont de portée générale en ce qui concerne les personnes non identifiées auxquelles il est interdit d’investir dans des projets d’investissement cofinancés par le requérant, d’y participer ou d’y contribuer d’une autre manière. En revanche, lesdites mesures doivent être considérées comme de portée individuelle en ce qui concerne le requérant, dès lors qu’il est explicitement et nommément visé par celles-ci dans la décision 2014/512 modifiée.

27      Il s’ensuit que, s’agissant de la décision 2014/512 modifiée, celle-ci comporte, en ce qui concerne le requérant, des « mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales », au sens de l’article 275, second alinéa, TFUE. Le Tribunal a donc compétence pour se prononcer sur la demande d’annulation de la décision attaquée, dans la mesure où celle-ci prévoit des mesures restrictives à son égard.

b)      Sur la demande d’annulation du règlement attaqué

28      Le requérant vise l’annulation du règlement attaqué en ce qu’il modifie l’article 2 sexies du règlement no 833/2014. Il y a lieu d’observer que ce dernier a été adopté sur la base de l’article 215 TFUE, qui régit les mesures restrictives adoptées par le Conseil dans le cadre de l’action extérieure de l’Union.

29      Il convient de relever que le Tribunal est également compétent pour connaître du recours en annulation en ce qu’il est dirigé contre le règlement attaqué, au titre de l’article 263, premier alinéa, TFUE, ce que le Conseil ne conteste pas. En effet, bien qu’il vise à mettre en œuvre la décision attaquée, qui a été adoptée dans le cadre de la PESC, le règlement attaqué n’est pas une « disposition relative à la politique étrangère et de sécurité commune » au sens de l’article 275, premier alinéa, TFUE, qui échappe à la compétence du Tribunal (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T‑735/14 et T‑799/14, EU:T:2018:548, point 63).

2.      Sur la qualité pour agir du requérant

30      Selon l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution. La deuxième branche de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE précise ainsi que, si la personne physique ou morale introduisant le recours en annulation n’est pas le destinataire de l’acte attaqué, la recevabilité du recours est soumise à la condition que la partie requérante soit directement et individuellement concernée par celui-ci. Le traité de Lisbonne a en outre ajouté à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE une troisième branche qui a assoupli les conditions de recevabilité des recours en annulation introduits par des personnes physiques et morales. En effet, cette branche, sans soumettre la recevabilité des recours en annulation introduits par les personnes physiques et morales à la condition relative à l’affectation individuelle, ouvre cette voie de recours à l’égard des « actes réglementaires » ne comportant pas de mesures d’exécution et concernant une partie requérante directement (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, points 56 et 57).

31      Premièrement, s’agissant de la condition relative à l’affectation directe du requérant, selon une jurisprudence constante, la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée, telle que prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, requiert que la mesure de l’Union contestée produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à ses destinataires qui sont chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2008, Commission/Infront WM, C‑125/06 P, EU:C:2008:159, point 47 et jurisprudence citée).

32      En l’espèce, les dispositions pertinentes comprennent une interdiction générale d’investir dans des projets cofinancés par le requérant, d’y participer ou d’y contribuer d’une autre manière, à l’exception de la participation à un investissement dans des projets cofinancés par lui ou une contribution à ceux-ci exigible en vertu de contrats conclus avant le 2 mars 2022, ou de contrats accessoires nécessaires à l’exécution de tels contrats. Cette interdiction empêchant les opérateurs économiques de l’Union de conclure de tels projets avec le requérant, elle produit directement des effets sur sa situation juridique [voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 69].

33      Il convient de constater, dès lors, que le requérant est directement concerné par les dispositions pertinentes des actes attaqués. En effet, les mesures en cause s’appliquent directement à son égard, en conséquence immédiate du fait qu’il est explicitement visé par ces dispositions, sans laisser aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de leur mise en œuvre.

34      Du reste, il convient de relever que la condition relative à l’affectation individuelle, prévue par le deuxième cas de figure de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, est également remplie en l’espèce.

35      En effet, le requérant est explicitement et nommément visé par les mesures en cause dans la décision 2014/512 modifiée et dans le règlement no 833/2014 modifié, de sorte qu’il doit être considéré comme étant individuellement concerné par ces mesures. En particulier, sa désignation lui ouvre, en ce qu’elle s’apparente à son égard à une décision individuelle, l’accès au juge de l’Union, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, auquel renvoie l’article 275, second alinéa, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 50 ; du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil, C‑440/14 P, EU:C:2016:128, point 44 et jurisprudence citée, et du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 103 et jurisprudence citée).

36      Toute autre solution violerait les dispositions de l’article 263 et de l’article 275, second alinéa, TFUE et serait dès lors contraire au système de protection juridictionnelle institué par le traité FUE, ainsi qu’au droit à un recours effectif consacré par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (arrêt du 13 septembre 2018, Vnesheconombank/Conseil, T‑737/14, non publié, EU:T:2018:543, point 56).

37      Partant, il y a lieu de conclure que le requérant est recevable à demander l’annulation des mesures restrictives instaurées par les dispositions pertinentes des actes attaqués en tant qu’elles le concernent.

B.      Sur le fond

38      Au soutien de ses conclusions en annulation, le requérant invoque quatre moyens, tirés, le premier, de l’absence d’un « fondement factuel suffisamment solide » pour imposer les mesures restrictives, le deuxième, d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective, le troisième, d’une restriction disproportionnée de la liberté d’entreprise, et le quatrième, de l’illégalité de la décision 2014/512 modifiée et du règlement n° 833/2014 modifié.

1.      Sur le premier moyen, tiré de l’absence d’un fondement factuel « suffisamment solide » pour imposer les mesures en cause

39      Le requérant soutient que le Conseil a manqué à son obligation de veiller à ce que la décision d’imposer les mesures restrictives en question soit prise sur un fondement factuel suffisamment solide. Il allègue qu’il a été désigné sans qu’il y ait la moindre indication, soit dans les actes attaqués eux-mêmes soit dans toute autre source accessible au public, quant au fondement factuel de la décision du Conseil d’imposer de telles mesures. Il ajoute à ce titre que ses activités et les projets qu’il cofinance ne contribuent pas à la capacité de la Fédération de Russie à mener une opération militaire en Ukraine ou à financer, permettre ou soutenir les actions des forces armées russes en Ukraine. Par ailleurs, lors de l’audience, le requérant a relevé qu’il ne s’agissait pas de l’unique fonds souverain en Fédération de Russie et qu’il ne constituait pas un acteur dominant sur le marché de l’investissement direct étranger.

40      En outre, le Conseil dénaturerait l’implication du président et du Premier ministre de la Fédération de Russie dans la direction du requérant en citant de manière erronée une référence issue du site Internet du requérant pour laisser entendre que ceux-ci gèrent ce dernier. Le requérant affirme que le fonds est, en effet, géré par sa société de gestion, JSC Management Company of the Russian Direct Investment Fund, et qu’il n’est pas un instrument de l’État.

41      Le requérant relève notamment que, dans la grande majorité des projets dans lesquels il investit, il agit en tant qu’actionnaire minoritaire. Il ajoute que ses investissements ne sont pas liés à des projets militaires et portent sur des projets qui bénéficient au monde entier, tels que l’investissement important dans le projet de développement d’un vaccin efficace contre le virus COVID-19. Il estime que le Conseil procède à des appréciations générales, abstraites et non démontrées sur le fondement « sectoriel » des mesures en cause et le rôle central tenu par le requérant afin de permettre à la Fédération de Russie de conserver sa capacité financière à poursuivre sa guerre d’agression contre l’Ukraine. À ce sujet, dans la mesure où de nombreuses entités publiques bien connues du secteur concerné qui contribueraient directement aux finances de l’État russe n’auraient pas été soumises à des mesures restrictives, l’imposition de telles mesures au requérant aurait violé le principe fondamental de non-discrimination et d’égalité de traitement.

42      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste l’argumentation du requérant.

43      Il convient, à titre liminaire, de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Ainsi, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil, C‑440/14 P, EU:C:2016:128, point 77 et jurisprudence citée).

44      Il s’ensuit qu’il appartient au juge de l’Union, dans le cadre de son contrôle juridictionnel des mesures restrictives, de reconnaître au Conseil une large marge d’appréciation pour la définition des critères généraux délimitant le cercle des personnes susceptibles de faire l’objet de telles mesures (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41).

45      Cependant, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige, en principe, que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne déterminée sur une liste de personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique, en principe, une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou à tout le moins l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour étayer cette même décision, sont étayés de façon suffisamment précise et concrète (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 36 et jurisprudence citée).

46      En l’espèce, et à titre liminaire, il convient de relever que le requérant fait valoir, en se référant à l’arrêt du 11 juillet 2019, Yanukovych/Conseil (T‑244/16 et T‑285/17, EU:T:2019:502, point 64), que le Conseil ne satisfait pas à l’obligation d’entreprendre « un contrôle complet et rigoureux et de s’assurer que toute décision imposant une mesure restrictive soit adoptée sur un fondement factuel suffisamment solide ». De surcroît, en citant l’arrêt du 14 septembre 2016, National Iranian Tanker Company/Conseil (T‑207/15, non publié, EU:T:2016:471, point 76), le requérant allègue qu’il appartenait au Conseil, sur lequel repose la charge de la preuve, d’établir, en cas de contestation, le bien‑fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs.

47      À cet égard, il importe de tenir compte de la nature particulière du régime litigieux en cause, qui se distingue des mesures restrictives visées par la jurisprudence invoquée par le requérant au point 46 ci-dessus.

48      En effet, d’une part, le régime litigieux introduit par les articles 1er, paragraphe 2, des actes attaqués comporte un choix de nature politique et économique de la part du Conseil, consistant en l’appréciation générale selon laquelle, compte tenu de la gravité de la situation, il était nécessaire de cibler le secteur financier russe et le secteur des fonds souverains de la Fédération de Russie ainsi que les mécanismes permettant le financement des actions du gouvernement russe, notamment l’agression contre l’Ukraine.

49      Dans ces circonstances, si le contrôle exercé par le Tribunal ne saurait, en principe, être considéré comme restreint, dans le cas où la personne concernée par une décision prévoyant des mesures restrictives est identifiée dans son corps ou dans une liste en annexe à celle-ci, et compte tenu de la jurisprudence de la Cour rappelée au point 45 ci‑dessus, il convient de reconnaître au Conseil, en vertu de la jurisprudence rappelée au point 43 ci-dessus, un large pouvoir d’appréciation quant aux appréciations générales de nature politique et économique afin d’atteindre l’objectif issu du domaine de la PESC qu’il poursuit. En effet, ledit domaine est particulièrement sensible, dès lors qu’il concerne les relations internationales et la sécurité de l’Union et de ses États membres.

50      En outre, il n’y a pas lieu de retenir l’argumentation du requérant relative à la charge de la preuve incombant prétendument au Conseil. En effet, les arrêts invoqués par le requérant et cités au point 46 ci‑dessus concernent des mesures restrictives individuelles adoptées par le Conseil sur la base d’un critère concret et spécifique prévu pour l’adoption des mesures restrictives individuelles. L’établissement du bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée ne pouvait être effectuée que sur la base des preuves et informations concrètes concernant les activités des personnes ou entités en question.

51      Or, en l’espèce, les restrictions qui découlent des actes attaqués ne sont pas fondées sur une appréciation ou des allégations spécifiques et concrètes du Conseil portant sur la fourniture de services financiers qui sont importants pour le système financier russe, mais sur une appréciation générale quant au secteur de gestion de fonds souverains par la Fédération de Russie, aux mécanismes permettant le financement de l’agression militaire de la Fédération de Russie contre l’Ukraine et aux mesures générales susceptibles de l’empêcher.

52      Par conséquent, contrairement à ce que soutient le requérant, il n’y a pas lieu de transposer au cas d’espèce la jurisprudence citée au point 45 ci‑dessus, de sorte qu’il n’y a notamment pas lieu d’exiger du Conseil qu’il établisse que le requérant est effectivement impliqué dans des activités liées à l’agression militaire de la Fédération de Russie contre l’Ukraine.

53      Les mesures restrictives en cause cherchent à accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et à promouvoir un règlement pacifique de la crise. Ainsi, elles visent à exercer une pression supplémentaire sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine. Or, il s’agit là d’objectifs qui relèvent de ceux poursuivis dans le cadre de la PESC et visés à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE, tels que la consolidation et le soutien de la démocratie, de l’État de droit, des droits de l’homme et des principes de droit international ainsi que la préservation de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale et de la protection des populations civiles (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, points 113 à 115, et du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 176).

54      Au vu notamment de la gravité de la situation en cause résultant de l’agression militaire non provoquée et injustifiée de la Fédération de Russie contre l’Ukraine, il n’était pas manifestement inapproprié de la part du Conseil d’adopter des mesures visant à exercer une pression supplémentaire sur la première, en restreignant les investissements directs étrangers en Russie et en limitant l’accès des capitaux étrangers au secteur financier russe compte tenu de son rôle crucial dans le maintien de la capacité la Fédération de Russie à continuer à financer son agression militaire contre l’Ukraine, et ce indépendamment de toute implication des établissements concernés dans les actions de l’État russe déstabilisant la situation en Ukraine.

55      D’autre part, il est vrai que, à la différence de ce qui est allégué par le Conseil et la Commission, dès lors que le requérant est explicitement nommé dans les dispositions précitées et visé par les mesures en cause, qui le concernent directement et individuellement, celles-ci ont une portée individuelle à son égard (voir points 26 et 35 ci-dessus). Ainsi, l’appréciation politique et économique générale du Conseil s’agissant de l’imposition de l’interdiction générale, adressée à un nombre indéfini de personnes physiques et morales, d’investir dans des projets cofinancés par les fonds souverains russes, d’y participer ou d’y contribuer d’une autre manière, se traduit dans l’appréciation individuelle à l’égard du requérant, selon laquelle ce dernier est un fonds souverain de la Fédération de Russie.

56      Or, il convient de relever, en premier lieu, que le requérant ne conteste pas être un fonds souverain de la Fédération de Russie qui sert de vecteur d’investissements directs notamment en Fédération de Russie. En effet, dans sa réplique, le requérant affirme uniquement qu’il est géré par sa société de gestion, à savoir JSC Management Company, qu’il n’est pas un instrument de l’État russe et qu’il n’est dirigé ni par le Président ni par le Premier ministre de la Fédération de Russie. Toutefois, et ainsi qu’il est relevé par le Conseil, l’argument avancé par le requérant ayant trait à la structure de sa gestion n’est pas pertinent pour apprécier la question de son contrôle effectif par la Fédération de Russie. À cet égard, il convient de relever que, comme il ressort clairement de l’extrait de la loi fédérale russe no 154-FZ soumis par le requérant en annexe C.1 à sa réplique, il s’agit d’une « société par actions non publique ayant la Fédération de Russie pour unique actionnaire ».

57      Dès lors que le requérant est un fonds souverain de la Fédération de Russie qui, ainsi qu’il ressort du point 6 de la requête et de l’annexe no 5 à celle-ci, fournit des investissements directs en cet État en partenariat avec d’autres fonds d’investissement et des entreprises privées, il constitue par excellence un vecteur d’investissements stratégique en Fédération de Russie attirant des financements d’investisseurs internationaux. En outre, il ressort des mesures restrictives successives adoptées par le Conseil en riposte aux actions de la Russie visant à déstabiliser l’Ukraine (voir points 3 à 11 ci-dessus) que le secteur financier était, compte tenu de son rôle crucial dans le maintien de la capacité de la Fédération de Russie à continuer de financer son agression contre l’Ukraine, une cible privilégiée de ces mesures. Il s’ensuit que la mention explicite du requérant dans le corps des actes attaqués ne fait que préciser un canal d’investissement particulier, organisé et supervisé par le gouvernement de la Fédération de Russie, sans qu’il soit nécessaire d’apporter des éléments individuels supplémentaires à son égard.

58      En deuxième lieu, les arguments mis en avant par le requérant ont trait à des questions dépourvues de pertinence pour apprécier si le Conseil a inclus à bon droit son nom dans le corps des actes attaqués. En particulier, le fait que le requérant agirait, dans la grande majorité des projets, en tant qu’actionnaire minoritaire et que ses investissements portent sur des projets qui bénéficieraient au monde entier, tels que celui relatif au développement d’un vaccin efficace contre le virus COVID-19 ou celui répondant aux pénuries de certaines ressources vitales à l’échelle mondiale, n’est pas de nature à entacher d’illégalité l’imposition des mesures en cause. En effet, ainsi qu’il ressort des considérants des actes attaqués, le requérant relève du champ d’application de ces mesures en sa seule qualité de fonds souverain russe et non en raison de sa responsabilité directe ou indirecte quant aux actions de la Fédération de Russie en Ukraine ou son implication dans des projets d’investissement concrets.

59      Pour les mêmes motifs, il convient d’écarter les arguments du requérant, soulevés lors de l’audience, selon lesquels il ne constituerait ni l’unique fonds souverain en Fédération de Russie ni un acteur dominant dans le marché des investissements étrangers directs. En effet, ces faits, quand bien même ils seraient avérés, ne remettraient pas en cause que, ainsi qu’il ressort des points 56 et 57 ci-dessus, le requérant constitue un vecteur d’investissements stratégique en Fédération de Russie attirant des financements d’investisseurs internationaux.

60      En troisième lieu, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la recevabilité de l’argument du requérant, formulé pour la première fois dans la réplique, selon lequel le Conseil aurait violé les principes de non-discrimination et d’égalité de traitement, en ce que de nombreuses entités publiques bien connues du secteur qui contribuent directement aux finances de l’État russe n’ont pas fait l’objet de mesures restrictives, il convient de le rejeter comme non fondé.

61      En particulier, à supposer même que, comme l’indique le requérant, le Conseil ait omis d’adopter des mesures restrictives à l’égard de certaines personnes ou entités relevant du secteur financier en Fédération de Russie et que celles-ci se trouvent dans une situation comparable à la sienne, un tel argument devrait être écarté. En effet, les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination ainsi que celui de bonne administration doivent se concilier avec le principe de légalité, selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (arrêts du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, point 59, et du 3 mai 2016, Post Bank Iran/Conseil, T‑68/14, non publié, EU:T:2016:263, point 135).

62      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le premier moyen comme non fondé.

2.      Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective

63      Le requérant soutient que le Conseil a violé son droit à une bonne administration, qui inclut les droits de la défense, et celui à une protection juridictionnelle effective, garantis par les articles 41 et 47 de la Charte. En particulier, lesdites garanties ne seraient pas respectées en ce que les actes attaqués ont été adoptés sans qu’il en ait été notifié, soit avant leur adoption soit dans un délai raisonnable après celle-ci. Il relève qu’il n’a jamais reçu ne serait-ce même qu’un résumé des motifs ayant conduit à l’adoption des actes attaqués dans la mesure où ils le concernent, et ajoute que le Conseil ne lui a jamais communiqué les éléments de preuve sur lesquels il s’est fondé pour adopter les actes attaqués ni donné l’opportunité de présenter des observations et de défendre ses droits procéduraux.

64      Le requérant fait valoir que, si le Conseil lui avait accordé la possibilité de lui faire connaître son point de vue, le résultat aurait pu être différent. En effet, il aurait expliqué auprès du Conseil qu’il n’est aucunement impliqué dans les opérations militaires russes en Ukraine, et que ses prises de position diffèrent souvent de celles exprimées par les autorités russes. À ce titre, le requérant affirme que le Conseil n’a produit aucune preuve de son implication dans l’opération militaire en Ukraine. En fait, si le Conseil avait effectué une recherche et une enquête appropriées sur ses prises de position sur les politiques menées par le gouvernement de la Fédération de Russie, que ce soit en Ukraine ou en général, il aurait pu facilement conclure qu’il se concentre uniquement sur ses activités financières, qu’il agit dans le meilleur intérêt de ses investisseurs et qu’il s’est écarté, dans de nombreuses circonstances, des déclarations officielles. Le requérant ajoute que ses activités ont toujours été axées sur l’investissement dans des projets à buts humanitaires ou visant l’amélioration de la qualité de vie des personnes dans le monde entier.

65      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments du requérant.

66      Il convient de rappeler que le respect des droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective sont des droits fondamentaux, qui font partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, au regard desquels les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 24 mai 2016, Good Luck Shipping/Conseil, T‑423/13 et T‑64/14, EU:T:2016:308, points 47 et 48 et jurisprudence citée).

67      Le respect des droits de la défense, qui est expressément consacré à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, comporte le droit d’être entendu et le droit d’accès au dossier dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité (voir, en ce sens, arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 60, et du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 139 et jurisprudence citée).

68      Le droit à une protection juridictionnelle effective, qui est affirmé à l’article 47 de la Charte, exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard soit par la lecture de la décision elle-même, soit par une communication de ces motifs faite sur sa demande, sans préjudice du pouvoir du juge compétent d’exiger de l’autorité en cause qu’elle les communique, afin de lui permettre de défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et de décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge compétent, ainsi que pour mettre ce dernier pleinement en mesure d’exercer le contrôle de la légalité de la décision en cause (voir arrêt du 24 mai 2016, Good Luck Shipping/Conseil, T‑423/13 et T‑64/14, EU:T:2016:308, point 50 et jurisprudence citée).

69      Lors de cette communication, l’autorité compétente de l’Union doit permettre à cette personne de faire connaître utilement son point de vue à l’égard des motifs retenus à son égard (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 112).

70      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner les arguments du requérant.

71      À titre liminaire, au vu des considérations figurant au point 55 ci-dessus, il convient de rejeter l’argument du Conseil selon lequel il s’agirait en l’espèce de mesures de portée générale et non de mesures restrictives ciblées à l’égard du requérant.

72      S’agissant du fait que le requérant n’a pas été entendu avant l’adoption des mesures restrictives le concernant, il convient de rappeler que la jurisprudence a reconnu, dans le cas d’une décision initiale de gel de fonds, que le Conseil n’était pas tenu de communiquer au préalable à la personne ou à l’entité concernée les motifs sur lesquels il entendait fonder l’inclusion du nom de cette personne ou de cette entité dans la liste pertinente. En effet, une telle mesure, afin de ne pas compromettre son efficacité, doit, par sa nature même, pouvoir bénéficier d’un effet de surprise et s’appliquer immédiatement. Dans un tel cas, il suffit, en principe, que l’institution procède à la communication des motifs à la personne ou à l’entité concernée et ouvre le droit à l’audition de celle-ci concomitamment avec ou immédiatement après l’adoption de la décision (arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 61).

73      Par conséquent, et dans la mesure où cette jurisprudence serait transposable au cas d’espèce, dès lors que les restrictions imposées au requérant en vertu des dispositions pertinentes des actes attaqués constituent des mesures restrictives de portée individuelle à son égard, elles devaient bénéficier d’un effet de surprise. En effet, et ainsi qu’il est relevé à juste titre par la Commission, leur notification préalable au requérant aurait fait courir le risque qu’il tente de conclure des conventions de financement avant la date d’entrée en vigueur des actes attaqués, réduisant ainsi leur impact.

74      Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que, pour qu’une violation des droits de la défense entraîne l’annulation d’un acte, il faut que, en l’absence de cette irrégularité, la procédure ait pu aboutir à un résultat différent (voir, en ce sens, arrêts du 18 septembre 2014, Georgias e.a./Conseil et Commission, T‑168/12, EU:T:2014:781, point 106 et jurisprudence citée, et du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 153).

75      En l’espèce, le requérant n’ayant pas contesté sa qualité de fonds souverain de la Fédération de Russie, il reste en défaut d’expliquer quels seraient les arguments ou les éléments qu’il aurait pu valablement faire valoir s’il avait été entendu préalablement ou dans un délai raisonnable après l’adoption des actes attaqués. À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort du point 58 ci-dessus, les arguments tirés de l’absence d’implication dans les opérations militaires russes en Ukraine, de la divergence de ses positions par rapport à celles exprimées par les autorités étatiques russes et de son implication dans des projets à buts humanitaires ou l’amélioration de la qualité de vie des personnes dans le monde entier ne sont pas pertinents, dès lors que le requérant relève du champ d’application de ces mesures en sa seule qualité de fonds souverain russe qui constitue un canal important d’investissements étrangers en Fédération de Russie. Pour cette même raison, et contrairement à ce qui est soutenu par le requérant, le Conseil ne se trouvait pas sous l’obligation de lui communiquer des éléments spécifiques de preuve sur lesquels il se serait fondé pour adopter les actes attaqués.

76      En outre, l’argument du requérant, soulevé lors de l’audience, selon lequel il aurait pu fait valoir auprès du Conseil qu’il ne constitue ni l’unique fonds souverain russe ni un acteur important sur le marché des investissements étrangers directs, ne saurait être retenu, eu égard à ce qui a été relevé au point 59 ci-dessus.

77      Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter le deuxième moyen comme non fondé.

3.      Sur le troisième moyen, tiré d’une restriction disproportionnée de la liberté d’entreprise du requérant et du détournement de pouvoir

78      Le requérant soutient que le Conseil a commis un détournement de pouvoir et a violé le principe de proportionnalité en ce que l’adoption des actes attaqués irait au-delà de ce qui est réellement nécessaire pour atteindre les objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union.

79      Le requérant fait valoir que les actes attaqués restreignent de manière significative sa liberté d’entreprise étant donné que, à la suite de l’adoption des actes attaqués, il est interdit à toutes les personnes de l’Union d’investir dans des projets qu’il cofinance, d’y participer ou d’y contribuer, sauf dans la mesure où cette participation à l’investissement ou cette contribution est exigible en vertu de contrats conclus avant le 2 mars 2022 ou de contrats accessoires nécessaires à l’exécution de tels contrats et autorisés par les autorités étatiques compétentes. En outre, étant donné que, au moment de l’adoption des actes attaqués, de nombreux projets qu’il finançait étaient cofinancés par des personnes provenant de l’Union, les actes attaqués imposeraient une restriction très grave à sa liberté d’exercer une activité économique ou commerciale en général.

80      Le requérant relève également que les actes attaqués portent atteinte au contenu essentiel du droit fondamental consacré par l’article 16 de la Charte et que l’absence de motivation des actes attaqués met le Tribunal dans l’impossibilité d’apprécier et de déterminer si les mesures restrictives pertinentes sont nécessaires, répondent effectivement aux objectifs d’intérêt général poursuivis et sont proportionnées à l’objectif poursuivi.

81      En tout état de cause, le requérant soutient que les mesures en cause ne sont pas nécessaires et ne répondent pas effectivement à l’objectif poursuivi, puisque ses activités et les projets qu’il cofinance ne contribuent pas à l’« opération militaire en Ukraine » et ne financent, permettent ou soutiennent pas les actions des forces armées russes en Ukraine. Le requérant fait valoir que le Conseil n’explique pas non plus les raisons pour lesquelles l’objectif proclamé des actes attaqués n’aurait pas pu être atteint par des mesures restrictives plus ciblées, telles que des mesures qui s’appliqueraient uniquement aux projets dont le Conseil estime qu’ils ont une valeur particulière pour l’État russe à des fins militaires.

82      Le requérant ajoute que sa situation en tant que « plus grand fonds d’investissement au monde » dont les actifs sont utilisés pour investir dans des projets dans le monde entier présente un intérêt majeur non seulement pour les partenaires basés en Russie, mais surtout pour les investisseurs situés dans d’autres pays, ce qui témoigne en soi de l’étendue de la protection des investisseurs étrangers par l’Union.

83      Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste les arguments du requérant.

a)      S’agissant du grief tiré de la restriction disproportionnée de la liberté d’entreprise

84      Premièrement, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 16 de la Charte, « [l]a liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales ».

85      Deuxièmement, l’article 17, paragraphe 1, de la Charte prévoit ce qui suit :

« Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général. »

86      Il est certes vrai que des mesures restrictives comme celles en cause en l’espèce limitent incontestablement les droits dont le requérant bénéficie en vertu des articles 16 et 17 de la Charte (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 22 septembre 2016, NIOC e.a./Conseil, C‑595/15 P, non publié, EU:C:2016:721, point 50 et jurisprudence citée). Toutefois, la liberté d’entreprise invoquée par le requérant ne constitue pas une prérogative absolue et peut, en conséquence, faire l’objet de limitations, dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte (voir, en ce sens, arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 121, et du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 195 et jurisprudence citée).

87      À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, d’une part, « [t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la […] Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et, d’autre part, « [d]ans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ».

88      Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation de l’exercice du droit fondamental en cause doit répondre à une triple condition. Premièrement, la limitation doit être prévue par la loi. En d’autres termes, la mesure dont il s’agit doit avoir une base légale. Deuxièmement, la limitation doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Troisièmement, la limitation ne doit pas être excessive. D’une part, elle doit être nécessaire et proportionnelle au but recherché. D’autre part, le « contenu essentiel », c’est-à-dire la substance, du droit ou de la liberté en cause ne doit pas être atteint (voir arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, points 170 à 173 et jurisprudence citée).

89      Or, force est de constater que ces trois conditions sont remplies en l’espèce.

90      En premier lieu, les mesures restrictives en cause sont « prévues par la loi », puisqu’elles sont énoncées dans des actes ayant notamment une portée générale et disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union (voir points 13 à 15 ci-dessus).

91      En deuxième lieu, ainsi que cela résulte notamment du point 53 ci-dessus, les mesures restrictives en cause poursuivent un but légitime.

92      En troisième lieu, s’agissant du principe de proportionnalité, il doit être rappelé que celui-ci, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 178 et jurisprudence citée).

93      La jurisprudence précise à ce sujet que, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels celui-ci est appelé à effectuer des appréciations complexes. Dès lors, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, au regard de l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 146 et jurisprudence citée).

94      En l’espèce, contrairement à ce que soutient le requérant, il existe un rapport raisonnable entre les mesures restrictives en cause et l’objectif poursuivi par le Conseil en adoptant celles-ci. En effet, cet objectif est, notamment, d’accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. Partant, l’approche consistant à cibler de manière générale le fonds souverain russe, étant donné sa qualité de canal important d’investissements étrangers en Fédération de Russie, et, contrairement à ce qui est allégué par le requérant, non pas de manière plus limitée, c’est-à-dire en visant uniquement ses projets ayant une valeur particulière pour l’État russe à des fins militaires, répond, de manière cohérente, à l’objectif poursuivi. En outre, et comme il a déjà été relevé au point 54 ci-dessus, ladite approche ne saurait, en tout état de cause, être considérée comme étant manifestement inapproprié au regard de cet objectif (voir, par analogie, arrêt du 13 septembre 2018, Vnesheconombank/Conseil, T‑737/14, non publié, EU:T:2018:543, point 151).

95      Par ailleurs, il est certes vrai que les mesures restrictives comportent, par définition, des effets qui affectent les droits de propriété et le libre exercice des activités professionnelles, causant ainsi des préjudices à des parties qui n’ont aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l’adoption des sanctions. Tel est a fortiori l’effet des mesures restrictives ciblées pour les entités visées par celles-ci (voir arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 149 et jurisprudence citée).

96      Toutefois, il y a lieu de relever que, au vu des considérations exposées au point 94 ci-dessus, les objectifs poursuivis par le Conseil sont de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs économiques, découlant des mesures restrictives en cause. Par ailleurs, quant au caractère prétendument disproportionné des mesures en cause, il y a lieu d’observer que l’article 4 ter, paragraphe 4, de la décision 2014/512 et l’article 2 sexies, paragraphe 4, du règlement no 833/2014 introduisent une exception à l’interdiction énoncée au paragraphe 3 de ces dispositions. En particulier, ces dispositions prévoient, par dérogation à leur paragraphe 3, que les autorités compétentes peuvent autoriser, dans les conditions qu’elles jugent appropriées, la participation à un investissement dans des projets cofinancés par le requérant, ou une contribution à de tels projets, après avoir établi que cette participation à l’investissement ou cette contribution est exigible en vertu de contrats conclus avant le 2 mars 2022, ou de contrats accessoires nécessaires à l’exécution de tels contrats.

97      Dans ces conditions, et eu égard, notamment, à l’évolution progressive de l’intensité des mesures restrictives adoptées par le Conseil en réaction à la crise en Ukraine, l’ingérence dans la liberté d’entreprise du requérant ne saurait être considérée comme disproportionnée (voir, par analogie, arrêt du 13 septembre 2018, Vnesheconombank/Conseil, T‑737/14, non publié, EU:T:2018:543, point 153).

98      Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le grief tiré de l’atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprise.

b)      S’agissant du grief tiré du détournement de pouvoir

99      À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, qu’il a été pris exclusivement, ou à tout le moins de manière déterminante, à des fins autres que celles pour lesquelles le pouvoir en cause a été conféré ou dans le but d’éluder une procédure spécialement prévue par les traités pour parer aux circonstances de l’espèce (voir arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 135 et jurisprudence citée).

100    En l’espèce, il y a lieu de relever que le requérant évoque un détournement de pouvoir de la part du Conseil sans pour autant apporter de précisions supplémentaires à son allégation. En tout état de cause, il découle du point 53 ci-dessus que les mesures en cause constituent une manière légitime d’exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine. Ainsi, ces mesures ont vocation à atteindre un objectif qui relève de ceux poursuivis dans le cadre de la PESC et visés à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE.

101    Il s’ensuit que le requérant n’a pas fourni d’indices objectifs, pertinents et concordants pour démontrer que les mesures restrictives en cause en l’espèce auraient été adoptées dans un but autre que celui qui ressort de la motivation des actes attaqués (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 136).

102    Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le grief tiré du détournement de pouvoir et, donc, le troisième moyen dans son ensemble.

4.      Sur le quatrième moyen, tiré de l’illégalité de la décision 2014/512 modifiée et du règlement no 833/2014 modifié

103    Le requérant invite le Tribunal, à titre subsidiaire, et en vertu de l’article 277 TFUE, à constater l’inapplicabilité et/ou la nullité de la décision 2014/512 modifiée et du règlement no 833/2014 modifié, en raison de leur illégalité, en ce qu’ils le nomment ou le concernent ou s’appliquent à lui, ce qui devrait entraîner l’annulation des actes attaqués.

104    Le Conseil conteste ces arguments.

105    Selon l’article 277 TFUE, toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’Union, se prévaloir des moyens prévus à l’article 263, deuxième alinéa, pour invoquer devant la Cour de justice de l’Union européenne l’inapplicabilité de cet acte.

106    L’article 277 TFUE constitue l’expression d’un principe général assurant à toute partie le droit de contester, par voie incidente, en vue d’obtenir l’annulation d’une décision qui lui est adressée, la validité des actes de portée générale qui forment la base d’une telle décision si cette partie ne disposait pas du droit d’introduire, en vertu de l’article 263 TFUE, un recours direct contre ces actes, dont elle subit ainsi les conséquences sans avoir été en mesure d’en demander l’annulation (voir, par analogie, arrêts du 6 mars 1979, Simmenthal/Commission, 92/78, EU:C:1979:53, point 39, et du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 55).

107    Concernant l’intensité du contrôle juridictionnel, selon une jurisprudence constante, les juridictions de l’Union doivent, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité FUE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union. Cette exigence est expressément consacrée à l’article 275, second alinéa, TFUE (voir arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 58 et jurisprudence citée, et du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 65 et jurisprudence citée).

108    Il n’en demeure pas moins que le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la définition générale et abstraite des critères juridiques et des modalités d’adoption des mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41 et jurisprudence citée). Par conséquent, les règles de portée générale définissant ces critères et ces modalités, telles que les dispositions des actes attaqués prévoyant les critères litigieux visés par le présent moyen, font l’objet d’un contrôle juridictionnel restreint, se limitant à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur de droit ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, EU:T:2009:266, points 44 et 45). 

109    En l’espèce, il convient de relever que l’exception d’illégalité vise exactement les mêmes dispositions que celles faisant l’objet de la demande d’annulation, étant donné que le nom du requérant est inclus dans le corps même des actes attaqués et n’est pas inscrit sur une liste annexée à ceux-ci. À cet égard, force est de constater que le requérant n’invoque aucun argument supplémentaire au soutien de l’exception d’illégalité par rapport à ceux qui ont déjà été avancés au soutien de la demande d’annulation. Les arguments concernés ayant déjà été examinés et rejetés dans le cadre des trois moyens afférents à la demande d’annulation, il y a lieu de rejeter l’exception d’illégalité.

110    Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le présent recours doit être rejeté dans son intégralité. 

IV.    Sur les dépens

111    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier.

112    Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, la Commission supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Russian Direct Investment Fund est condamné à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

3)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Spielmann

Mastroianni

Gâlea

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 mai 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.