Language of document : ECLI:EU:T:2014:999

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

27 novembre 2014 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché des transformateurs de puissance – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord EEE – Affectation du commerce entre États membres – Notion d’entreprise – Imputabilité du comportement infractionnel – Présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante d’une société mère sur le comportement de sa filiale – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T‑517/09,

Alstom, établie à Levallois-Perret (France), représentée par Mes J. Derenne et A. Müller-Rappard, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. A. Bouquet, N. von Lingen et Mme K. Mojzesowicz, puis par M. Bouquet, Mme Mojzesowicz et M. P. Van Nuffel, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2009) 7601 final de la Commission, du 7 octobre 2009, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39.129 – Transformateurs de puissance),

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de M. O. Czúcz (rapporteur), président, Mme I. Labucka et M. D. Gratsias, juges,

greffier : Mme C. Kristensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 juillet 2012,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige et décision attaquée

1        Le secteur concerné en l’espèce est celui des transformateurs de puissance, des autotransformateurs et des bobines en dérivation avec une gamme de tensions supérieures ou égales à 380 kV. Un transformateur de puissance est un composant électrique essentiel dont la fonction est de réduire ou d’augmenter la tension dans un circuit électrique. Ces transformateurs sont vendus individuellement ou comme élément d’une sous-station électrique clés en main.

2        Pendant la période pertinente pour le présent litige, c’est-à-dire entre le 9 juin 1999 et le 15 mai 2003, Alstom T&D SA était active dans le domaine des transformateurs de puissance. Pendant toute cette période, la requérante, Alstom, détenait 100 % du capital d’Alstom France SA (rebaptisée Alstom Holdings en août 1999), qui, à son tour, détenait 100 % du capital d’Alstom T&D.

3        Après la vente de l’activité de production des transformateurs de puissance du groupe Alstom au groupe Areva, Alstom T&D a été transférée en 2004 au groupe Areva, contrôlé par Areva SA, et a ensuite été renommée Areva T&D SA.

4        Les 8 août 2007 et 18 mars 2008, la Commission des Communautés européennes a adressé des demandes de renseignements à la requérante, auxquelles cette dernière a répondu respectivement les 7 septembre 2007 et 28 février 2008.

5        Le 30 septembre 2008, la Commission a décidé d’engager une procédure concernant le marché des transformateurs de puissance contre les destinataires de la décision attaquée.

6        La communication des griefs a été adoptée le 20 novembre 2008. La requérante y a répondu le 20 janvier 2009. L’audition s’est tenue le 17 février 2009.

7        Le 7 octobre 2009, la Commission a adopté sa décision C (2009) 7601 final relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39.129 – Transformateurs de puissance) (ci-après la « décision attaquée »), dans laquelle elle a constaté qu’Areva T&D et la requérante avaient enfreint l’article 81 CE et l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (ci-après l’« accord EEE ») et a imposé une amende de 16,5 millions d’euros à la requérante, dont Areva T&D a été tenue pour solidairement responsable pour un montant de 13,53 millions d’euros.

8        Dans la décision attaquée, la Commission a constaté qu’Areva T&D avait participé, au moins du 9 juin 1999 au 15 mai 2003, au « gentlemen’s agreement (GA) », une entente illicite couvrant l’ensemble du territoire de l’Espace économique européen (EEE), consistant en un accord conclu oralement entre les producteurs de transformateurs de puissance européens et japonais et ayant comme objet de respecter les marchés intérieurs de chacun et de s’abstenir d’y effectuer des ventes.

9        S’agissant de l’organisation du gentlemen’s agreement, la Commission a retenu que les entreprises y ayant participé étaient divisées en deux groupes, l’un européen, l’autre japonais, que chaque groupe devait nommer une entreprise secrétaire et que, tout au long de la commission de l’infraction, le groupe Siemens avait fait office de secrétaire du groupe européen et Hitachi de celui du groupe japonais. Elle a également constaté que l’accord de répartition de marché avait été complété par un accord visant à notifier les appels d’offres (projets) provenant du territoire de l’autre groupe et que ces projets devaient être notifiés au secrétaire de l’autre groupe afin d’être réattribués.

10      La décision attaquée porte sur le marché des transformateurs de puissance, qu’ils soient vendus individuellement ou qu’ils soient intégrés dans des projets clés en main, à l’exclusion de ceux vendus comme élément d’une sous-station intégrant des appareillages de commutation à isolation gazeuse, ces derniers ayant déjà fait l’objet de la décision C (2006) 6762 final de la Commission, du 24 janvier 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/38.899 – Appareillage de commutation à isolation gazeuse) (résumé publié au JO 2008, C 5, p. 7).

11      Au point 5.5 de la décision attaquée, aux considérants 171 à 174, la Commission a retenu que le gentlemen’s agreement avait eu un effet sur le commerce entre les États membres et entre les parties contractantes de l’accord EEE.

12      Au point 6 de la décision attaquée, aux considérants 183 à 205, la Commission a constaté que la requérante et Areva T&D, alors dénommée Alstom T&D, étaient conjointement et solidairement responsables de l’infraction commise pendant la période allant du 9 juin 1999 au 25 mars 2003. Dans ce contexte, elle a constaté, d’une part, que, en raison du fait que la requérante était propriétaire à 100 % d’Areva T&D, alors dénommée Alstom T&D, elle pouvait présumer que la requérante exerçait une influence déterminante sur le comportement d’Areva T&D et, d’autre part, que la requérante n’avait pas fourni d’arguments renversant cette présomption.

13      La différence entre le montant de l’amende imposée à la requérante et le montant de celle imposée à Areva T&D s’explique par le fait que la Commission a réduit l’amende d’Areva T&D de 18 % pour sa coopération effective en dehors du champ d’application de sa communication sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3).

14      La Commission a notifié la décision attaquée à la requérante par lettre datée du 8 octobre 2009 et reçue le 9 octobre 2009.

 Procédure et conclusions des parties

15      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 décembre 2009, la requérante a introduit le présent recours.

16      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        annuler la lettre du comptable du 10 décembre 2009 ;

–        condamner la Commission aux dépens.

17      D’une part, la Commission a déposé un mémoire en défense, enregistré au greffe du Tribunal le 19 avril 2010, dans lequel elle conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours en annulation de la décision attaquée ;

–        condamner la requérante aux dépens.

18      D’autre part, elle a soulevé une exception d’irrecevabilité, enregistrée au greffe du Tribunal le 19 avril 2010 et visant la demande en annulation de la lettre du comptable. Dans cette exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours en annulation de la lettre du comptable comme étant manifestement irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, déclarer qu’il n’y a pas lieu de statuer ;

–        en tout état de cause :

–        condamner la requérante aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, déclarer que chaque partie supportera ses propres dépens.

19      Par mémoire enregistré au greffe du Tribunal le 18 juin 2010, la requérante a soumis ses observations sur l’exception d’irrecevabilité. Elle y conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter l’exception d’irrecevabilité et inviter la Commission à présenter sa défense au fond ;

–        à titre subsidiaire, joindre l’examen de la recevabilité au fond de l’affaire et inviter la Commission à présenter sa défense au fond ;

–        condamner la Commission aux dépens.

20      Le 24 octobre 2011, l’affaire a été réattribuée à un nouveau juge rapporteur, siégeant dans la troisième chambre.

21      Par ordonnance du 24 avril 2012, Alstom/Commission, non publiée au Recueil, le Tribunal (troisième chambre) a décidé qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur la demande d’annulation de la lettre du comptable et de réserver les dépens.

22      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé de demander aux parties de répondre à des questions dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure au sens de l’article 64 de son règlement de procédure, demande à laquelle les parties ont déféré dans le délai imparti, et d’ouvrir la procédure orale.

23      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience qui s’est déroulée le 9 juillet 2012.

24      Eu égard aux liens entre la présente affaire et l’affaire T‑521/09, Alstom Grid/Commission, le Tribunal a décidé de prononcer ses arrêts dans les deux affaires en même temps. Dans l’affaire T‑521/09, Alstom Grid/Commission, le Tribunal a suspendu la procédure jusqu’au prononcé de la décision de la Cour mettant fin à l’instance dans l’affaire C‑231/11 P, Commission/Siemens Österreich e.a., à savoir le 10 avril 2014.

 En droit

25      Le recours en annulation de la décision attaquée est fondé sur trois moyens. Le premier moyen vise une violation des règles de droit régissant la condamnation conjointe et solidaire de deux sociétés. Il s’articule en deux branches, tirées, premièrement, d’une violation de la jurisprudence applicable à la responsabilité conjointe et solidaire et, deuxièmement, d’une violation du principe général d’individualité et de personnalité des peines en raison d’une solidarité mal fondée. Le deuxième moyen porte sur une violation de l’obligation de motivation. Il s’articule en trois branches, tirées, premièrement, d’une motivation insuffisante quant à l’affectation du commerce entre les États membres et les parties contractantes de l’accord EEE, deuxièmement, d’un défaut de motivation concernant la conclusion de la Commission selon laquelle la requérante n’a pas renversé la présomption d’une responsabilité pour les agissements de sa filiale et, troisièmement, d’une motivation contradictoire quant à la responsabilité cumulée de la requérante et de sa filiale. Le troisième moyen est fondé sur une violation de l’article 81 CE concernant les règles relatives à l’imputabilité aux sociétés mères des infractions commises par leurs filiales.

26      Le Tribunal estime qu’il convient d’examiner en premier lieu la première branche du deuxième moyen, visant la motivation de la Commission quant à l’affectation du commerce entre États membres, avant d’examiner en second lieu les moyens et branches visant la décision de la Commission d’imputer à la requérante le comportement de sa filiale, nommée Alstom T&D pendant la période de sa participation au gentlemen’s agreement, Areva T&D au moment de l’adoption de la décision attaquée et Alstom Grid SAS à partir de janvier 2010, à la suite de son rachat par Alstom (ci-après la « filiale T&D »).

1.     Sur la première branche du deuxième moyen, tirée d’une motivation insuffisante de l’affectation du commerce

27      Dans le cadre de la première branche du deuxième moyen, la requérante avance que la Commission n’a pas suffisamment motivé sa conclusion selon laquelle le gentlemen’s agreement avait affecté le commerce entre les États membres et les parties contractantes de l’accord EEE.

28      Dans ce contexte, il convient de rappeler que l’obligation de motivation prévue à l’article 253 CE constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec, EU:C:1998:154, point 67 ; du 22 mars 2001, France/Commission, C‑17/99, Rec, EU:C:2001:178, point 35, et du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, Rec, EU:C:2011:620, point 146).

29      Dans cette perspective, la motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (arrêts France/Commission, point 28 supra, EU:C:2001:178, point 35, et Elf Aquitaine/Commission, point 28 supra, EU:C:2011:620, point 147).

30      Ainsi, dans le cadre des décisions individuelles, il ressort d’une jurisprudence constante que l’obligation de motiver une décision individuelle a pour but, outre de permettre un contrôle judiciaire, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est éventuellement entachée d’un vice permettant d’en contester la validité (arrêts du 2 octobre 2003, Corus UK/Commission, C‑199/99 P, Rec, EU:C:2003:531, point 145 ; du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec, EU:C:2005:408, point 462, et Elf Aquitaine/Commission, point 28 supra, EU:C:2011:620, point 148).

31      Il est également de jurisprudence constante que l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts Commission/Sytraval et Brink’s France, point 28 supra, EU:C:1998:154, point 63 ; du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, Rec, EU:C:2008:392, points 166 et 178, et Elf Aquitaine/Commission, point 28 supra, EU:C:2011:620, point 150).

32      C’est à la lumière de la jurisprudence susmentionnée qu’il y a lieu d’apprécier la motivation de la décision attaquée.

33      En premier lieu, il convient d’examiner le grief de la requérante selon lequel la Commission n’a pas suffisamment motivé sa conclusion quant à l’existence d’un commerce des transformateurs de puissance entre les États membres de la Communauté européenne et les parties contractantes de l’accord EEE.

34      À cet égard, il convient de retenir que, au considérant 172 de la décision attaquée, la Commission a constaté que « l’activité des transformateurs de puissance se caractérise par des volumes d’échanges importants entre États membres, ainsi qu’entre la Communauté et les pays de l’[Association européenne de libre-échange] qui font partie de l’EEE ». Dans ce contexte, elle a renvoyé à sa motivation reprise au point 2.4 de la décision attaquée (considérant 38) où elle a constaté, d’une part, que des clients existaient dans tous les États membres, ainsi qu’en Norvège, en Islande et au Liechtenstein et que, d’autre part, les principaux producteurs européens étaient situés notamment en Allemagne, en Espagne, en France, en Autriche, au Portugal et en Suisse.

35      Par ailleurs, il convient de lire le considérant 172 et le point 2.4 de la décision attaquée en prenant en compte le contexte de ce point. En effet, au point précédent, à savoir le point 2.3, la Commission a décrit l’offre et la demande dans le secteur concerné. Quant à l’offre, elle a retenu aux considérants 34 et 35 de la décision attaquée que les fournisseurs européens vendaient des transformateurs de puissance dans la plupart des pays européens. Quant à la demande, elle a constaté au considérant 36 de la décision attaquée que les principaux clients étaient des sociétés d’utilité publique, des gouvernements régionaux et des entreprises privées dans le domaine du transport et de la distribution d’électricité. Ensuite, elle a retenu au considérant 37 de la décision attaquée que les ventes de transformateurs de puissance réalisées par les parties à cette procédure dans l’EEE s’étaient élevées à environ 105 millions d’euros en 2001, représentant environ 65 % de la valeur totale des ventes de transformateurs de puissance dans l’EEE.

36      Les éléments de fait et de droit sur lesquels la Commission a fondé sa conclusion selon laquelle il existait un commerce entre les États membres et les parties contractantes de l’accord EEE ressortent donc clairement de la motivation de la décision attaquée.

37      Par conséquent, il convient de rejeter le grief tiré d’une motivation insuffisante de l’existence d’un commerce pour des transformateurs de puissance entre les États les membres et les parties contractantes de l’accord EEE.

38      En second lieu, il convient d’examiner le grief de la requérante selon lequel la Commission n’a pas suffisamment motivé sa conclusion quant à l’influence du gentlemen’s agreement sur le commerce entre États membres et entres parties contractantes de l’EEE.

39      À cet égard, il convient de retenir que, au considérant 174 de la décision attaquée, la Commission a constaté que le gentlemen’s agreement portait sur la répartition des marchés et protégeait les producteurs de l’EEE des producteurs de transformateurs de puissance japonais. Il convient de lire ce considérant en combinaison avec les considérants 88 à 90 de la décision attaquée, où la Commission a établi que les producteurs japonais s’étaient engagés à ne pas vendre de transformateurs de puissance en Europe et les producteurs européens à ne pas en vendre au Japon.

40      Il ressort clairement des considérants 165, 166 et 174 de la décision attaquée que la Commission a estimé qu’une entente ayant un tel objet devait avoir eu comme effet ou était susceptible d’avoir pour effet de détourner automatiquement les courants d’échanges de l’orientation qu’ils auraient autrement connue.

41      Par ailleurs, il convient de constater que, aux considérants 167 à 169 de la décision attaquée, la Commission a rejeté les arguments que les entreprises concernées avaient avancés pour démontrer qu’il existait des obstacles s’opposant à toute concurrence entre producteurs japonais et européens. Dans ce contexte, en premier lieu, la Commission a observé que l’adhésion au gentlemen’s agreement avait été régulièrement confirmée par les entreprises concernées. En deuxième lieu, elle a constaté qu’un producteur coréen était entré sur le marché européen. En troisième lieu, elle a retenu que des producteurs japonais étaient entrés sur le marché américain pendant la période du gentlemen’s agreement et que les parties n’avaient pas démontré que les barrières d’entrée à ce marché étaient très différentes de celles relatives au marché européen.

42      Les éléments de fait et de droit sur lesquels la Commission a fondé sa conclusion selon laquelle le gentlemen’s agreement avait eu ou était susceptible d’avoir eu une influence sur le commerce entre les États membres et les parties contractantes de l’accord EEE ressortent donc clairement de la motivation de la décision attaquée.

43      Par conséquent, il convient de rejeter la première branche du deuxième moyen.

2.     Sur la responsabilité conjointe et solidaire de la requérante et de sa filiale T&D

44      Les autres moyens et branches visent tous la décision de la Commission de tenir la requérante et sa filiale T&D pour conjointement et solidairement responsables du paiement de l’amende. Dans ce contexte, la requérante formule, en substance, trois objections à l’encontre de la décision de la Commission de la tenir pour responsable. En premier lieu, dans le cadre de la première branche du premier moyen, elle avance que la Commission a méconnu la jurisprudence sur la responsabilité solidaire et conjointe. En deuxième lieu, dans le cadre de la deuxième branche du deuxième moyen, elle fait valoir que la Commission n’a pas motivé suffisamment sa conclusion selon laquelle elle n’avait pas fourni d’arguments suffisants pour renverser la présomption d’un exercice effectif d’une influence déterminante sur le comportement de sa filiale T&D sur le marché. En troisième lieu, dans l’hypothèse où la Commission pouvait se fonder sur la jurisprudence régissant la responsabilité conjointe et solidaire afin de la tenir pour responsable, la requérante soutient, dans le cadre du troisième moyen, de la seconde branche du premier moyen et de la troisième branche du deuxième moyen, que cette jurisprudence même est contradictoire et contraire à l’article 81 CE et aux principes du droit de l’Union.

 Sur la première branche du premier moyen, tirée d’une méconnaissance de la jurisprudence relative à la responsabilité solidaire et conjointe

45      Dans le cadre de la première branche du premier moyen, la requérante reproche à la Commission d’avoir méconnu la jurisprudence relative à la responsabilité solidaire et conjointe. Cette branche s’articule en deux griefs. Le premier est tiré du fait que la requérante et sa filiale T&D ne formaient pas une unité économique. Par le deuxième grief, la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir établi une responsabilité interchangeable de ces deux sociétés.

46      La première branche du premier moyen est recevable. Contrairement à ce qu’avance la Commission, le requérante dispose d’un intérêt à la soulever. Premièrement, quant au grief d’irrecevabilité tiré d’un manque d’autonomie du premier moyen par rapport au troisième moyen, il suffit de rappeler que, dans le cadre de la première branche du premier moyen, la requérante fait valoir que la Commission a méconnu la jurisprudence sur la responsabilité solidaire et conjointe, alors que, dans le cadre du troisième moyen, elle avance que cette jurisprudence même est contraire à l’article 81 CE et aux principes du droit de l’Union (voir point 44 ci-dessus). Deuxièmement, s’agissant de l’argument selon lequel la requérante n’a pas d’intérêt à remettre en cause l’imputation conjointe et solidaire d’une amende, parce qu’une telle imputation lui est favorable, il suffit de constater que la requérante invoque les deux griefs susmentionnés afin de remettre en cause sa propre responsabilité.

 Sur le premier grief, tiré du fait que la requérante et sa filiale T&D ne formaient pas une unité économique

47      Dans le cadre du premier grief de la première branche du premier moyen, la requérante avance que la Commission a méconnu la jurisprudence relative à la responsabilité conjointe et solidaire en la condamnant solidairement et conjointement avec sa filiale T&D, alors qu’elles ne formaient pas une unité économique, ni pendant la période de la participation de sa filiale T&D au gentlemen’s agreement, ni au moment de l’adoption de la décision attaquée.

–       Sur l’absence d’unité économique pendant le gentlemen’s agreement

48      La requérante soutient qu’elle et sa filiale T&D ne formaient pas une unité économique pendant la période de la participation de cette dernière au gentlemen’s agreement. Elle estime que, selon la jurisprudence, deux sociétés ne peuvent être considérées comme une unité économique et donc une entreprise au sens de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE que si un examen circonstancié permet de démontrer que, en raison d’une unité de comportement ou d’une unité d’action, une des sociétés prend les décisions pour les deux, alors que l’autre perd son autonomie. Or, en l’espèce, la Commission se serait fondée uniquement sur le fait qu’elle détenait 100 % du capital de sa filiale T&D pendant la période de la participation de cette dernière au gentlemen’s agreement et en aurait déduit qu’elle aurait exercé une influence déterminante sur le comportement de cette dernière.

49      Dans ce contexte, il convient de rappeler que le droit de la concurrence européen vise les activités des entreprises (arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec, EU:C:2004:6, point 59) et que la notion d’entreprise comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (arrêts Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 30 supra, EU:C:2005:408, point 112 ; du 10 janvier 2006, Cassa di Risparmio di Firenze e.a., C‑222/04, Rec, EU:C:2006:8, point 107, et du 11 juillet 2006, FENIN/Commission, C‑205/03 P, Rec, EU:C:2006:453, point 25).

50      La Cour a également précisé que la notion d’entreprise, placée dans ce contexte, doit être comprise comme désignant une unité économique même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (arrêts du 14 décembre 2006, Confederación Española de Empresarios de Estaciones de Servicio, C‑217/05, Rec, EU:C:2006:784, point 40 ; du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, Rec, EU:C:2009:536, point 55, et du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission, C‑90/09 P, Rec, EU:C:2011:21, point 53).

51      Lorsqu’une telle entité économique enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le principe de responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction (voir, en ce sens, arrêts du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec, EU:C:1999:356, point 145 ; du 16 novembre 2000, Cascades/Commission, C‑279/98 P, Rec, EU:C:2000:626, point 78 ; Akzo Nobel e.a./Commission, point 50 supra, EU:C:2009:536, point 56, et General Química e.a./Commission, point 50 supra, EU:C:2011:21, point 36).

52      Par ailleurs, il résulte d’une jurisprudence constante que le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, point 50 supra, EU:C:2009:536, point 58 , et Elf Aquitaine/Commission, point 28 supra, EU:C:2011:620, point 54).

53      En effet, il en est ainsi, parce que, dans une telle situation, la société mère et sa filiale font partie d’une même unité économique et, partant, forment une seule entreprise, au sens de la jurisprudence susmentionnée. Ainsi, le fait qu’une société mère et sa filiale constituent une seule entreprise au sens de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE permet à la Commission d’adresser une décision imposant des amendes à la société mère, sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, point 50 supra, EU:C:2009:536, point 59 ; General Química e.a./Commission, point 50 supra, EU:C:2011:21, point 38, et Elf Aquitaine/Commission, point 28 supra, EU:C:2011:620, point 55).

54      Dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles communautaires de la concurrence, d’une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d’autre part, il existe une présomption réfragable selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, point 50 supra, EU:C:2009:536, point 60 ; General Química e.a./Commission, point 50 supra, EU:C:2011:21, point 39, et Elf Aquitaine/Commission, point 28 supra, EU:C:2011:620, point 56).

55      Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme solidairement responsable pour le paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, point 50 supra, EU:C:2009:536, point 61 ; General Química e.a./Commission, point 50 supra, EU:C:2011:21, point 40, et Elf Aquitaine/Commission, point 28 supra, EU:C:2011:620, point 57).

56      Dans un tel cas, cette présomption n’est pas subordonnée à la production d’indices supplémentaires (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, point 50 supra, EU:C:2009:536, point 62, et General Química e.a./Commission, point 50 supra, EU:C:2011:21, point 41).

57      Dans les cas particuliers où une société mère détient 100 % du capital d’une société interposée qui possède à son tour la totalité du capital d’une filiale de son groupe, auteur d’une infraction aux règles de la concurrence de l’Union, il existe une présomption réfragable selon laquelle la société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de la société interposée et indirectement, par le biais de cette dernière, également sur le comportement de ladite filiale (arrêt General Química e.a./Commission, point 50 supra, EU:C:2011:21, point 50 supra, points 86 à 89).

58      Il ressort de la jurisprudence susmentionnée que, en constatant, aux considérants 189 à 195 de la décision attaquée que 100 % du capital de sa filiale T&D appartenait à la requérante et qu’il pouvait donc être présumé que la requérante exerçait une influence déterminante sur le comportement de sa filiale T&D sur le marché, la Commission n’a pas méconnu les règles régissant la responsabilité d’une société mère pour le comportement de sa filiale. La Commission n’était pas obligée d’avancer d’autres éléments pour démontrer l’existence d’une unité économique entre la requérante et sa filiale T&D, contrairement à ce que fait valoir la requérante, mais pouvait se fonder seulement sur cette présomption.

59      Contrairement à ce qu’avance la requérante, cette conclusion n’est pas remise en cause par les points 99 et 101 de l’arrêt de la Cour du 2 octobre 2003, Aristrain/Commission (C‑196/99 P, Rec, EU:C:2003:529), ou par le point 391 de l’arrêt du Tribunal du 15 juin 2005, Tokai Carbon e.a./Commission (T‑71/03, T‑74/03, T‑87/03 et T‑91/03, EU:T:2005:220). En effet, les points des arrêts auxquels la requérante fait référence ne concernent pas une relation verticale comme en l’espèce, où il y a lieu d’apprécier l’exercice d’une influence déterminante d’une société mère sur le comportement de sa filiale. Au contraire, ils concernent des cas dans lesquels la Commission a dû apprécier l’existence d’un exercice d’influence déterminante par une société sur une autre dans une relation horizontale, à savoir, d’une part, dans une relation entre deux « société sœurs » et, d’autre part, entre deux sociétés « cousines », c’est-à-dire deux filiales appartenant à deux sociétés mères distinctes.

60      Par conséquent, la Commission n’a pas méconnu la jurisprudence régissant la responsabilité conjointe et solidaire d’une filiale et de sa société mère en présumant que la requérante et sa filiale T&D formaient une unité économique en se fondant sur le fait que la requérante détenait, par le biais d’Alstom France, rebaptisée Alstom Holdings en août 1999 (voir point 2 ci-dessus), 100 % des parts de sa filiale T&D.

–       Sur l’absence d’unité économique au moment de l’adoption de la décision attaquée

61      La requérante avance que la Commission a méconnu la jurisprudence relative à la responsabilité solidaire et conjointe d’une filiale et de sa société mère en la tenant pour conjointement et solidairement responsable avec sa filiale T&D, alors qu’elles ne constituaient plus une unité économique au moment de l’adoption de la décision attaquée.

62      Dans ce contexte, il convient de rappeler la jurisprudence selon laquelle il incombe, en principe, à la personne physique ou morale qui dirigeait l’entreprise en cause au moment où l’infraction a été commise de répondre de celle-ci, même si, au jour de l’adoption de la décision constatant l’infraction, l’exploitation de l’entreprise n’est plus placée sous sa responsabilité (arrêts du 16 novembre 2000, KNP BT/Commission, C‑248/98 P, Rec, EU:C:2000:625, point 71 ; Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C‑286/98 P, Rec, EU:C:2000:630, points 37 à 40 ; SCA Holding/Commission, C‑297/98 P, Rec, EU:C:2000:633, point 27, et du 29 mars 2011, ThyssenKrupp Nirosta/Commission, C‑352/09 P, Rec, EU:C:2011:191, point 143).

63      Il s’ensuit que, au considérant 194 de la décision attaquée, la Commission a constaté à juste titre que la constatation de l’existence d’une unité économique entre une société mère et une filiale au moment de l’infraction justifiait l’imputation conjointe et solidaire d’une amende aux deux sociétés, même si elles ne constituaient plus une unité économique au moment de l’adoption de la décision imputant l’amende.

64      Contrairement à ce qu’avance la requérante, cette approche n’est pas remise en question par les points 390 à 393 de l’arrêt Tokai Carbon e.a./Commission, point 59 supra (EU:T:2005:220). Il ne peut pas être déduit de cet arrêt que l’unité économique entre une société mère et une filiale doit encore exister au moment de l’adoption de la décision imputant l’amende. En effet, aux points susmentionnés, le Tribunal s’est prononcé sur l’application du plafond de 10 % du chiffre d’affaires global au titre de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204). Comme le Tribunal l’a retenu à juste titre au point 389 de cet arrêt, ce plafond tend notamment à protéger les entreprises contre un niveau excessif d’amende qui pourrait détruire leur substance économique. Par conséquent, il doit être appliqué à une époque rapprochée de la date d’imposition de l’amende et ne se rapporte donc pas à la période des infractions sanctionnées. Les points 390 à 393 de cet arrêt ne sont donc pas pertinents en l’espèce, puisqu’ils ne concernent pas la question de savoir si le comportement d’une filiale peut être imputé à sa société mère. Au contraire, force est de constater que, au point 387 de cet arrêt, le Tribunal a accepté implicitement qu’une amende conjointe et solidaire pût être imposée à deux sociétés qui formaient une unité économique au moment où l’infraction avait été commise, même s’il n’avait pas été démontré qu’elles formaient encore une unité économique au moment de l’adoption de la décision imposant l’amende.

65      Par conséquent, le premier grief de la première branche du premier moyen doit être rejeté dans sa totalité.

 Sur le second grief, tiré de l’interchangeabilité des responsabilités

66      Par le second grief de la première branche du premier moyen, la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir établi sa part de responsabilité individuelle, directe et formelle dans l’infraction. Elle estime que, afin de pouvoir la condamner au paiement de l’amende conjointement et solidairement avec sa filiale T&D, la Commission aurait dû démontrer non seulement l’implication réelle de sa filiale T&D dans l’infraction, mais aussi la sienne. Selon elle, la Commission aurait dû constater l’infraction de manière autonome non seulement en ce qui concerne sa filiale T&D, mais aussi en ce qui la concerne.

67      À cet égard, il convient de constater, tout d’abord, que, selon la jurisprudence mentionnée aux points 49 à 57 ci-dessus, la responsabilité solidaire d’une société mère et d’une filiale dont elle détient 100 % du capital résulte de la présomption que ces deux sociétés font partie de la même entreprise au sens de l’article 81 CE. Par conséquent, la Commission est habilitée à adresser la décision infligeant une amende autant à la société mère qu’à sa filiale, si elle démontre qu’elles constituent une entreprise et que cette entreprise a participé à l’infraction. Contrairement à ce qu’avance la requérante, il n’est donc pas nécessaire d’établir une relation d’instigation entre la société mère et la filiale relative à l’infraction, ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction (arrêt Elf Aquitaine/Commission, point 28 supra, EU:C:2011:620, point 88).

68      Contrairement à ce qu’avance la requérante, cette approche n’est pas remise en cause par le point 43 de l’arrêt du 14 mai 1998, Metsä-Serla e.a./Commission (T‑339/94 à T‑342/94, Rec, EU:T:1998:100). Certes, le Tribunal y a constaté qu’une entreprise ne peut être déclarée solidairement responsable avec une autre entreprise du paiement d’une amende que si la Commission démontre que cette infraction peut être constatée en ce qui concerne les deux entreprises. Toutefois, il ressort notamment du point 58 de cet arrêt que cette constatation du Tribunal vise l’hypothèse dans laquelle la Commission sanctionne deux entreprises distinctes au sens de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE, donc deux unités économiques autonomes, et non pas l’hypothèse dans laquelle la Commission sanctionne deux sociétés qui font partie de la même unité économique et donc de la même entreprise au sens de ces dispositions.

69      Le second grief de la première branche du premier moyen n’étant également pas fondé, il convient de rejeter la première branche du premier moyen dans son entièreté.

 Sur la deuxième branche du deuxième moyen, tirée d’une motivation insuffisante du rejet des arguments avancés par la requérante pour renverser la présomption de son influence déterminante sur le comportement de sa filiale T&D

70      Dans le cadre de la deuxième branche du deuxième moyen, la requérante avance que la Commission n’a pas suffisamment motivé sa conclusion selon laquelle elle n’avait pas réussi à renverser la présomption de son influence déterminante sur le comportement de sa filiale T&D sur le marché.

71      Dans ce contexte, il convient de renvoyer, tout d’abord, à la jurisprudence sur l’obligation de motivation exposée aux points 28 à 31 ci-dessus.

72      Ensuite, il convient de rappeler que, lorsqu’une décision d’application des règles de l’Union en matière de droit de la concurrence concerne une pluralité de destinataires et porte sur l’imputabilité de l’infraction, elle doit comporter une motivation suffisante à l’égard de chacun de ses destinataires, particulièrement de ceux d’entre eux qui, au terme de cette décision, doivent supporter la charge de cette infraction. Ainsi, à l’égard d’une société mère tenue pour responsable du comportement infractionnel de sa filiale, une telle décision doit, en principe, contenir un exposé circonstancié des motifs de nature à justifier l’imputabilité de l’infraction à cette société (arrêt Elf Aquitaine/Commission, point 28 supra, EU:C:2011:620, point 152).

73      S’agissant plus particulièrement d’une décision de la Commission qui s’appuie de manière exclusive, à l’égard de certains destinataires, sur la présomption de l’exercice effectif d’une influence déterminante, il y a lieu de constater que la Commission est en tout état de cause tenue d’exposer de manière adéquate à ces destinataires les raisons pour lesquelles les éléments de fait et de droit invoqués n’ont pas suffi à renverser ladite présomption. Le devoir de la Commission de motiver ses décisions sur ce point résulte notamment du caractère réfragable de ladite présomption, dont le renversement requiert des intéressés de produire une preuve portant sur les liens économiques, organisationnels et juridiques entre les sociétés concernées (voir, en ce sens, arrêt Elf Aquitaine/Commission, point 28 supra, EU:C:2011:620, point 153).

74      Par ailleurs, il convient de rappeler que la motivation de la Commission doit permettre au Tribunal d’exercer son contrôle, auquel il incombe d’apprécier tout élément relatif aux liens organisationnels, économiques et juridiques entre la société mère et la filiale susceptible d’établir que cette dernière se comporte de manière autonome par rapport à sa société mère et que ces deux sociétés ne constituent donc pas une entité économique unique (arrêt General Química e.a./Commission, point 50 supra, EU:C:2011:21, point 76).

75      Une telle vérification s’impose d’autant plus que l’autonomie d’une filiale dans la mise en œuvre de sa politique commerciale fait partie, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, de l’ensemble des éléments pertinents permettant à la société mère de renverser la présomption de son influence déterminante sur le comportement de la filiale, éléments dont le caractère et l’importance peuvent varier selon les caractéristiques propres à chaque cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, point 50 supra, EU:C:2009:536, point 77, et General Química e.a./Commission, point 50 supra, EU:C:2011:21, point 77).

76      Cela étant dit, il convient de rappeler que la Commission n’est pourtant pas tenue dans un tel contexte de prendre position sur des éléments qui sont manifestement hors de propos, dépourvus de signification ou clairement secondaires (arrêt Elf Aquitaine/Commission, point 28 supra, EU:C:2011:620, point 154).

77      Enfin, la motivation doit, en principe, être communiquée à l’intéressé en même temps que la décision lui faisant grief. L’absence de motivation ne saurait être régularisée par le fait que l’intéressé apprend les motifs de la décision au cours de la procédure devant les instances de l’Union (arrêts du 26 novembre 1981, Michel/Parlement, 195/80, Rec, EU:C:1981:284, point 22 ; du 26 septembre 2002, Espagne/Commission, C‑351/98, Rec, EU:C:2002:530, point 84 ; du 29 avril 2004, IPK-München et Commission, C‑199/01 P et C‑200/01 P, Rec, EU:C:2004:249, point 66, et Elf Aquitaine/Commission, point 28 supra, EU:C:2011:620, point 149).

78      C’est à la lumière de la jurisprudence susmentionnée qu’il y a lieu d’apprécier la motivation de la décision attaquée.

 Sur la motivation de la décision attaquée

79      Il ressort des considérants 175 à 178 ainsi que 183 à 195 de la décision attaquée que la Commission a imputé une amende à la requérante en raison du fait que cette dernière et sa filiale T&D formaient une entreprise au sens de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE pendant la participation de la filiale T&D au gentlemen’s agreement. Dans ce contexte, la Commission s’est fondée sur la présomption selon laquelle il pouvait être déduit du fait que la requérante détenait 100 % du capital d’une société qui, à son tour, détenait 100 % du capital de sa filiale T&D que la première exerçait une influence déterminante sur le comportement de la dernière sur le marché.

80      La requérante soutient que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas suffisamment exposé les raisons pour lesquelles les éléments qu’elle avait avancés afin de renverser cette présomption devaient être rejetés.

81      Cette branche doit être examinée en trois temps. Dans un premier temps, il convient d’établir les arguments que la requérante a avancés afin de renverser la présomption de son influence déterminante sur le comportement de sa filiale T&D. Dans un deuxième temps, il y a lieu d’identifier la partie de la motivation de la décision attaquée, dans laquelle la Commission a répondu à ces arguments. Dans un troisième temps, c’est sur cette base qu’il convient d’examiner si la Commission a violé l’obligation de motivation.

–       Sur les arguments avancés par la requérante

82      Quant aux éléments avancés par la requérante afin de renverser la présomption de son influence déterminante sur le comportement de sa filiale T&D sur le marché, il convient de constater que, dans sa réponse à la communication des griefs, elle s’est fondée sur huit arguments, dont les éléments essentiels sont repris ci-après.

83      En premier lieu, la requérante a avancé que la relation entre elle et sa filiale T&D était déterminée par le principe de décentralisation opérationnelle. Le groupe Alstom reposerait sur une « organisation totalement décentralisée ». Les divers secteurs d’activité du groupe seraient des centres de profit autour desquels évolueraient les filiales du groupe. Chaque activité serait entièrement responsable des comptes de résultat, contrôlerait pleinement ses technologies, sa politique des prix, ses objectifs de vente, ses marges brutes, ses frais de vente, sa marge brute d’autofinancement et ses stocks. Sa filiale T&D aurait été la filiale responsable de l’activité de la production et de la vente des transformateurs de puissance.

84      En deuxième lieu, la requérante a soutenu que, en 1992, le groupe Alstom avait connu une réorganisation autour de ses filiales évoluant par secteur d’activité qui aurait eu comme objectif de donner au personnel, ainsi qu’aux tiers, une image plus fidèle de l’allocation existante des responsabilités au sein du groupe. Par conséquent, elle n’aurait pas pu être impliquée dans la détermination du comportement infractionnel de sa filiale T&D, la structure du groupe ne lui permettant pas d’en être informée.

85      En troisième lieu, la requérante a fait valoir qu’elle était une société qui n’aurait pour objet que la détention et la gestion des participations, ainsi qu’une coordination des politiques et un encadrement très limités. La relation avec sa filiale T&D n’aurait pas eu trait à sa conduite commerciale, et en particulier pas à la détermination de son comportement sur le marché des transformateurs de puissance.

86      En quatrième lieu, la requérante a avancé que la politique commerciale aurait été définie par les dirigeants des filiales. Elle-même n’aurait pas eu les moyens, ne fût-ce qu’en termes de personnel, d’organisation et d’expertise, d’influer sur la politique commerciale de ses filiales. Elle ne disposerait pas d’employés, de directeur commercial ou de prospection commerciale. Au contraire, les filiales, elles, disposeraient chacune d’un directeur commercial, tout comme de directions juridique, financière, de la communication et des ressources humaines. La totalité des décisions étaient donc prises au niveau des filiales.

87      En cinquième lieu, la requérante a soutenu que son comité exécutif n’avait donné aucune instruction pouvant déterminer le comportement des filiales sur le marché. Seule la stratégie globale du groupe aurait été décidée par le comité exécutif d’Alstom. La politique commerciale de ses filiales, en particulier celle de sa filiale T&D, n’aurait jamais été discutée au sein du comité exécutif. Dans ce contexte, notamment, la requérante a avancé des éléments qui démontraient, selon elle, « l’impossibilité pour le [comité exécutif] d’avoir une quelconque influence sur le comportement des filiales sur le marché ».

88      En sixième lieu, la requérante a fait valoir qu’elle n’avait procédé qu’à un contrôle limité et a posteriori des engagements financiers importants, concernant des décisions clés susceptibles de mettre en péril la position financière du groupe. Aucun projet lié à l’activité des transformateurs de puissance n’aurait fait l’objet d’un tel contrôle financier.

89      En septième lieu, la requérante a avancé que seuls les employés de sa filiale T&D auraient été impliqués dans les infractions alléguées. Dans ce contexte, elle fait valoir que la Commission avait commis des erreurs quant au statut de certaines personnes comme employés d’une société de gestion de ressources humaines d’Alstom.

90      En huitième lieu, la requérante a soutenu que le chevauchement des fonctions de certains dirigeants de sa filiale T&D n’aurait pas été pertinent, puisque ces personnes n’auraient pas été capables, pour des raisons opérationnelles, de s’impliquer dans des questions liées au comportement de sa filiale T&D sur le marché des transformateurs de puissance et qu’il n’aurait pas été démontré que ces personnes étaient impliquées dans les ententes.

–       Sur la motivation de la décision attaquée

91      Quant à la motivation avancée par la Commission, il convient de retenir qu’elle a motivé le choix des destinataires de la décision attaquée au point 6 de la décision attaquée.

92      Au point 6.1 de la décision attaquée, c’est-à-dire aux considérants 175 à 181, la Commission a rappelé les principes généraux régissant la sélection des destinataires d’une décision constatant une violation de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE. Au considérant 177 de la décision attaquée, elle a retenu qu’il incombait à une société mère détenant 100 % du capital d’une filiale d’apporter des preuves suffisantes pour renverser la présomption qu’elle contrôlait le comportement commercial de cette dernière.

93      Au point 6.2 de la décision attaquée, aux considérants 183 à 195, la Commission a appliqué ce principe à la requérante. Aux considérants 185 à 188 de la décision attaquée, la Commission a résumé les arguments avancés par la requérante, avant de les apprécier aux considérants 189 à 195.

94      Or, à cet égard, force est de constater que la majeure partie de la motivation de la Commission ne vise pas les arguments avancés par la requérante afin de renverser la présomption capitalistique, mais d’autres arguments. En effet, la motivation de la Commission visant spécifiquement les arguments avancés pour renverser la présomption capitalistique est très succincte :

–        au considérant 189 de la décision attaquée, la Commission s’est bornée à constater que la requérante « n’a[vait] pas fourni d’arguments renversant la présomption et démontrant que l’entreprise filiale a[vait] agi d’une manière indépendante » ;

–        au considérant 190 de la décision attaquée, la Commission a affirmé que, « [c]omme cela a[vait] été démontré, les arguments avancés par [la requérante] à l’appui d’une prétendue autonomie de sa filiale [n’étaient] pas suffisants à cet égard ».

95      Par ailleurs, au considérant 191 de la décision attaquée, la Commission a retenu que l’imputation du comportement infractionnel d’une filiale à la société mère n’exigeait pas qu’elle établisse la connaissance de l’infraction de la filiale par les dirigeants de la société mère.

96      Quant au considérant 198 de la décision attaquée, auquel la Commission a fait référence pendant l’audience, force est de constater qu’il s’agit d’une simple reproduction, par la Commission, d’un argument avancé par Areva, et donc pas d’un élément de la motivation de la Commission.

–       Appréciation de la motivation de la Commission

97      C’est sur la base, d’une part, des arguments avancés par la requérante et, d’autre part, de la motivation de la Commission à l’égard de ceux-ci qu’il convient d’apprécier si la motivation de la décision attaquée est suffisante.

98      Comme point de départ, il y a lieu de retenir que, comme il a été exposé ci-dessus, la motivation de la Commission à l’égard des huit arguments avancés par la requérante se limite à la conclusion retenue aux points 189 et 190 de la décision attaquée, selon laquelle la requérante n’a pas fourni d’arguments renversant la présomption capitalistique et démontrant que sa filiale T&D avait agi de manière indépendante. Dans la décision attaquée, la Commission s’est donc bornée à indiquer le résultat de son examen, sans toutefois exposer les motifs pour lesquels les arguments avancés par la requérante n’étaient pas susceptibles de renverser la présomption de son influence déterminante sur le comportement de sa filiale T&D sur le marché.

99      S’agissant du considérant 191 de la décision attaquée, il constitue, tout au plus, une réponse à l’argument de la requérante résumé au point 89 ci‑dessus et à une partie des arguments résumés au point 92 ci-dessus, mais il ne répond pas aux autres arguments invoqués par cette dernière. En effet, si, certes, la présomption capitalistique n’est pas remise en cause par le seul fait que la société mère n’avait pas connaissance de la participation de sa filiale à une infraction aux règles de la concurrence, elle présuppose, tout de même, que la filiale en question ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais suive, pour l’essentiel, les instructions de sa société mère. Or, c’est précisément cette dernière condition que la requérante contestait par les autres arguments, lesquels nécessitaient, par conséquent, une réponse de la part de la Commission.

100    Dans ce contexte, la Commission ne saurait faire valoir que l’obligation de motivation ne l’obligeait pas à se prononcer sur les arguments avancés par la requérante parce qu’il s’agissait d’arguments manifestement hors de propos, dépourvus de signification ou clairement secondaires.

101    En effet, force est de constater que l’ensemble des arguments mentionnés aux points 83 à 90 ci-dessus ne peut pas être considéré comme manifestement hors de propos, dépourvu de signification ou clairement secondaire au regard du renversement de la présomption d’une influence déterminante de la requérante sur la politique commerciale de sa filiale T&D.

102    Comme il a été exposé ci-dessus, cette présomption est réfragable et peut donc être renversée par une société mère qui apporterait des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de manière autonome sur le marché. Par conséquent, il incombe à la Commission d’apprécier dans chaque cas d’espèce tout élément avancé devant elle relatif aux liens organisationnels, économiques et juridiques entre la société mère et la filiale susceptible d’établir que cette dernière se comportait de manière autonome par rapport à sa société mère et que ces deux sociétés ne constituaient donc pas une entité économique unique (arrêts du 16 juin 2011, L’Air liquide/Commission, T‑185/06, Rec, EU:T:2011:275, points 71 à 75, et Edison/Commission, T‑196/06, Rec, EU:T:2011:281, points 76 et 77).

103    Or, en l’espèce, la requérante a avancé des arguments qui visaient spécifiquement à démontrer que, pendant la période du gentlemen’s agreement, sa filiale se comportait de manière autonome sur le marché. Dans ce contexte, elle ne s’est pas uniquement prévalue du fait que son objet se limitait à la détention et à la gestion des participations, mais elle a également invoqué des circonstances particulières caractérisant ses liens avec sa filiale T&D, telle que le principe de décentralisation opérationnelle du groupe, la responsabilité exclusive des filiales pour la détermination de la politique commerciale et le fait que, en raison de la structure du groupe, elle était dans l’impossibilité structurelle de contrôler la politique commerciale de sa filiale T&D. À cet égard, la requérante a soumis des informations détaillées sur le fonctionnement du groupe.

104    L’ensemble des arguments avancés par la requérante ne peut donc pas être considéré comme manifestement hors de propos, dépourvu de signification ou clairement secondaire.

105    Par ailleurs, la Commission ne peut pas faire valoir avec succès qu’elle n’était pas obligée de répondre aux arguments avancés par la requérante en raison du fait que la charge de la preuve pesait sur cette dernière et qu’elle n’était donc pas obligée de procéder à une motivation plus détaillée, tant que la requérante n’avait pas avancé d’éléments renversant cette présomption.

106    En effet, dans ce contexte, il convient de distinguer les règles sur la charge de la preuve, d’une part, et l’obligation de motivation, d’autre part. En tant que règle sur la charge de la preuve, la présomption capitalistique régit la question de savoir quels faits la Commission doit établir pour démontrer qu’une société mère et une filiale constituent une unité économique et donc une entreprise au sens de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE. En revanche, l’obligation de motivation, qui est une obligation de nature formelle, exige que le raisonnement sur lequel la Commission fonde ses conclusions doive apparaître de façon claire et non équivoque dans la décision attaquée de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir la jurisprudence mentionnée au point 29 ci-dessus). Ainsi, même si la Commission estime que les éléments avancés par la société mère ne sont pas suffisants pour renverser la présomption de son influence sur le comportement de sa filiale sur le marché, elle reste obligée d’en exposer les raisons, dans la mesure où il ne s’agit pas uniquement d’éléments manifestement hors de propos ou dépourvus de signification. À cet égard, son devoir de motivation résulte du caractère réfragable de la présomption en cause (arrêts L’Air liquide/Commission, point 102 supra, EU:T:2011:275, points 71 à 75, et Edison/Commission, point 102 supra, EU:T:2011:281, points 76 et 77).

107    Par conséquent, la Commission était tenue d’exposer, dans la décision attaquée, les raisons pour lesquelles elle estimait que, en dépit des arguments avancés par la requérante, l’autonomie du comportement de sa filiale sur le marché n’avait pas été démontrée.

108    Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de constater que la Commission a violé l’obligation de motivation prévue au titre de l’article 253 CE en n’exposant pas suffisamment les raisons pour lesquelles les arguments avancés par la requérante n’avaient pas suffi pour renverser la présomption de son influence déterminante sur le comportement de sa filiale T&D sur le marché.

 Sur les conséquences de la violation de l’obligation de motivation

109    La Commission avance que, en tout état de cause, comme, en l’espèce, elle aurait été en droit de constater que la présomption capitalistique n’avait pas été renversée, la violation de l’obligation de motivation ne devrait pas entraîner l’annulation de la décision attaquée. Au cours de l’instance, elle a exposé les motifs pour lesquels, à son avis, il convenait de rejeter les arguments avancés par la requérante.

110    Dans ce contexte, en premier lieu, il y a lieu de rappeler que la motivation doit, en principe, être communiquée à l’intéressé en même temps que la décision lui faisant grief. L’absence de motivation ne peut donc pas être régularisée par le fait que l’intéressé apprend les motifs de la décision en cours d’instance (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 30 supra, EU:C:2005:408, point 463 ; arrêt du 12 septembre 2007, González y Díez/Commission, T‑25/04, Rec, EU:T:2007:257, point 220 ; voir la jurisprudence mentionnée au point 77 supra).

111    Par conséquent, la motivation avancée par la Commission en cours d’instance ne saurait être prise en compte pour apprécier la question de la violation de son obligation de motivation.

112    En deuxième lieu, la Commission ne saurait invoquer la jurisprudence, selon laquelle le pouvoir de pleine juridiction reconnu au Tribunal en matière d’amendes peut justifier la production et la prise en considération d’éléments complémentaires d’information dont la mention dans la décision n’est pas requise en vertu de l’obligation de motivation (arrêt SCA Holding/Commission, point 62 supra, EU:C:2000:633, points 54 et 55). En effet, l’imputation à la requérante du comportement infractionnel de sa filiale T&D soulève la question de l’existence d’une unité économique entre la première et la seconde et, en définitive, la question de la participation de la requérante à l’infraction sanctionnée par la décision attaquée. Cette question relève du contrôle de légalité de ladite décision et non de l’appréciation du caractère approprié du montant de l’amende infligée à la requérante. Or, ce n’est qu’au regard de cette dernière question que le Tribunal dispose d’un pouvoir de pleine juridiction (arrêt SCA Holding/Commission, point 62 supra, EU:C:2000:633, points 54 et 55).

113    En troisième lieu, la Commission fait référence à une jurisprudence selon laquelle un défaut de motivation n’entraîne pas l’annulation d’une décision attaquée lorsqu’une annulation ne pourrait que donner lieu à l’intervention d’une nouvelle décision, identique, quant au fond, à la décision annulée.

114    Dans ce contexte, la Commission ne peut pas se prévaloir valablement de l’arrêt du Tribunal du 13 décembre 2006, FNCBV e.a./Commission (T‑217/03 et T‑245/03, Rec, EU:T:2006:391, points 362 à 363), dans lequel celui-ci a constaté une violation de l’obligation de motivation commise par elle dans le cadre de la détermination des amendes imposées pour les infractions à l’article 81, paragraphe 1, CE, tout en indiquant que, dans la mesure où la solution retenue par cette institution devait être confirmée sur le fond, cette violation n’entraînait ni annulation de la décision attaquée ni modification du montant des amendes.

115    En effet, cette dernière appréciation, qui s’insère dans le cadre de l’exercice du pouvoir de pleine juridiction dont dispose le Tribunal en matière de sanctions pécuniaires, ne saurait être transposée dans le cas d’espèce, s’agissant du contrôle de la légalité de la décision attaquée, en ce que la Commission y a retenu la responsabilité de la requérante dans l’infraction en cause (voir point 112 ci-dessus ; arrêt Edison/Commission, point 102 supra, EU:T:2011:281, points 91 à 93).

116    Par ailleurs, la Commission ne peut pas se fonder sur la jurisprudence selon laquelle une partie requérante n’a aucun intérêt légitime à invoquer une violation de l’obligation de motivation dans un cas où il est d’ores et déjà certain que, à la suite de l’annulation de la décision attaquée, une décision identique devra être adoptée (arrêts du 29 septembre 1976, Morello/Commission, 9/76, Rec, EU:C:1976:129, point 11, et du 20 mai 1987, Souna/Commission, 432/85, Rec, EU:C:1987:236, point 20 ; arrêts du 9 octobre 1992, De Persio/Commission, T‑50/91, Rec, EU:T:1992:104, points 10 et 24, et du 3 décembre 2003, Audi/OHMI (TDI), T‑16/02, Rec, EU:T:2003:327, points 97 et 98).

117    En l’espèce, la Commission n’a pas suffisamment motivé la raison pour laquelle les arguments avancés par la requérante n’étaient pas susceptibles de démontrer que sa filiale T&D déterminait son comportement sur le marché de manière autonome. Cette question doit être examinée en prenant en compte tout élément relatif aux liens organisationnels, économiques et juridiques entre la requérante et sa filiale T&D. Il s’agit donc d’un examen complexe dont le résultat ne saurait être anticipé. En absence d’un tel examen, il ne peut pas être présumé qu’il est d’ores et déjà certain qu’une décision identique sera adoptée. Par ailleurs, admettre que, dans une telle situation, le Tribunal doit analyser les explications que la Commission a avancées pour la première fois en cours d’instance irait directement à l’encontre de la jurisprudence citée aux points 73 à 75 ci‑dessus.

118    Par conséquent, en l’espèce, contrairement à ce qu’avance la Commission, le défaut de motivation entraîne l’annulation de la décision attaquée.

119    Dès lors, il convient d’annuler la décision attaquée sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la seconde branche du premier moyen, la troisième branche du deuxième moyen et le troisième moyen.

 Sur les dépens

120    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En ce qui concerne la demande de la requérante portant sur l’annulation de la décision attaquée, la Commission a succombé en ses conclusions et la requérante a conclu en ce sens.

121    Quant à la demande d’annulation de la lettre du comptable du 10 décembre 2009, il convient de rappeler que le Tribunal a décidé qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur cette demande et que les dépens avaient été réservés (point 16 ci-dessus). En vertu de l’article 87, paragraphe 6, du règlement de procédure, en cas de non-lieu à statuer, le Tribunal règle librement les dépens. Le Tribunal estime que, en l’espèce, il est équitable que la Commission supporte également les dépens relatifs à la demande d’annulation de la lettre du comptable.

122    Il y a donc lieu de condamner la Commission à l’ensemble des dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision C (2009) 7601 final de la Commission, du 7 octobre 2009, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39.129 – Transformateurs de puissance), est annulée, pour autant qu’elle concerne Alstom.

2)      La Commission européenne est condamnée aux dépens.

Czúcz

Labucka

Gratsias

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 novembre 2014.

Signatures


* Langue de procédure : le français.