Language of document : ECLI:EU:T:2018:442

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

12 juillet 2018 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché européen des câbles électriques – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE – Infraction unique et continue – Preuve de l’infraction – Durée de la participation – Distanciation publique – Calcul du montant de l’amende – Gravité de l’infraction – Compétence de pleine juridiction »

Dans l’affaire T‑448/14,

Hitachi Metals Ltd, établie à Tokyo (Japon), représentée par M. P. Crowther et Mme C. Drew, solicitors,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. C. Giolito, H. van Vliet et Mme J. Norris-Usher, en qualité d’agents, assistés de Mme M. Gray, barrister,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant, d’une part, à l’annulation de la décision C(2014) 2139 final de la Commission, du 2 avril 2014, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.39610 – Câbles électriques), en ce qu’elle concerne la requérante, et, d’autre part, à la réduction du montant de l’amende infligée à celle-ci,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de M. A. M. Collins, président, Mme M. Kancheva (rapporteur) et M. R. Barents, juges,

greffier : M. L. Grzegorczyk, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 31 mars 2017,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

 Requérante et secteur concerné

1        La requérante, Hitachi Metals Ltd, est une société japonaise qui a fusionné, le 1er juillet 2013, avec une autre entreprise japonaise, Hitachi Cable Ltd (ci-après « Hitachi »). Hitachi était, depuis au moins le 18 février 1999 et jusqu’au 30 septembre 2001, active dans le secteur de la production et de la fourniture de câbles électriques sous-marins et souterrains. À partir du 1er octobre 2001, Hitachi a cédé la responsabilité de ses activités de production et de vente à l’exportation des câbles électriques à J-Power Systems Corp. (ci-après « JPS »), une entreprise commune qu’elle détenait à parts égales avec Sumitomo Electric Industries Ltd (ci-après « Sumitomo »). Hitachi et Sumitomo ont conservé leurs activités de vente respectives aux entreprises d’électricité japonaises et à d’autres clients jusqu’à octobre 2004, lorsqu’elles ont décidé de céder également ces activités à JPS. En février 2014, Hitachi est convenue avec Sumitomo de lui transférer ses parts dans JPS avec effet au 1er avril 2014.

2        Les câbles électriques souterrains et sous-marins sont utilisés, respectivement sous la terre et sous l’eau, pour le transport et la distribution d’électricité. Ils sont classés en trois catégories : basse tension, moyenne tension ainsi que haute et très haute tension. Les câbles électriques à haute et très haute tension sont, dans la majorité des cas, vendus dans le cadre de projets. Ces projets consistent en une combinaison du câble électrique et des équipements, installations et services supplémentaires nécessaires. Les câbles électriques à haute et très haute tension sont vendus dans le monde entier à de grands exploitants de réseaux nationaux et à d’autres entreprises d’électricité, principalement dans le cadre de marchés publics.

 Procédure administrative

3        Par lettre du 17 octobre 2008, la société suédoise ABB AB a fourni à la Commission des Communautés européennes une série de déclarations et de documents relatifs à des pratiques commerciales restrictives dans le secteur de la production et de la fourniture de câbles électriques souterrains et sous-marins. Ces déclarations et ces documents ont été produits dans le cadre d’une demande d’immunité au sens de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17, ci-après la « communication sur la clémence »).

4        Du 28 janvier au 3 février 2009, à la suite des déclarations d’ABB, la Commission a effectué des inspections dans les locaux de sociétés françaises, à savoir Nexans SA et Nexans France SAS, ainsi que de sociétés italiennes, à savoir Prysmian SpA et Prysmian Cavi e Sistemi Energia Srl.

5        Le 2 février 2009, Hitachi, Sumitomo et JPS ont introduit une demande conjointe d’immunité d’amende, conformément au paragraphe 14 de la communication sur la clémence, ou, à titre subsidiaire, de réduction de son montant, conformément au paragraphe 27 de cette communication (ci-après la « demande conjointe d’immunité »). Elles ont ensuite transmis à la Commission d’autres déclarations orales et d’autres documents.

6        Au cours de l’enquête, la Commission a envoyé plusieurs demandes d’informations, conformément à l’article 18 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), et au paragraphe 12 de la communication sur la clémence, à des entreprises du secteur de la production et de la fourniture de câbles électriques souterrains et sous-marins.

7        Le 30 juin 2011, la Commission a ouvert une procédure et adopté une communication des griefs à l’encontre des entités juridiques suivantes : Nexans France, Nexans, Pirelli & C. SpA, Prysmian Cavi e Sistemi Energia, Prysmian, The Goldman Sachs Group, Inc., Sumitomo, Hitachi, JPS, Furukawa Electric Co. Ltd, Fujikura Ltd, Viscas Corp., SWCC Showa Holdings Co. Ltd, Mitsubishi Cable Industries Ltd, Exsym Corp., ABB, ABB Ltd, Brugg Kabel AG, Kabelwerke Brugg AG Holding, nkt cables GmbH, NKT Holding A/S, Silec Cable SAS, Grupo General Cable Sistemas SA, Safran SA, General Cable Corp., LS Cable & System Ltd (ci-après « LS Cable ») et Taihan Electric Wire Co. Ltd (ci-après « Taihan »).

8        Du 11 au 18 juin 2012, tous les destinataires de la communication des griefs, à l’exception de Furukawa Electric, ont participé à une audience administrative devant la Commission.

9        Par les arrêts du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission (T‑135/09, EU:T:2012:596), et du 14 novembre 2012, Prysmian et Prysmian Cavi e Sistemi Energia/Commission (T‑140/09, non publié, EU:T:2012:597), le Tribunal a partiellement annulé les décisions d’inspection adressées, d’une part, à Nexans et Nexans France et, d’autre part, à Prysmian et Prysmian Cavi e Sistemi Energia, pour autant qu’elles concernaient des câbles électriques autres que les câbles électriques sous-marins et souterrains à haute tension et le matériel associé à ces autres câbles, et a rejeté les recours pour le surplus, y compris pour ce qui concerne les câbles électriques sous-marins et souterrains à haute tension. Le 24 janvier 2013, Nexans et Nexans France ont formé un pourvoi à l’encontre du premier de ces arrêts. Par arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission (C‑37/13 P, EU:C:2014:2030), la Cour a rejeté ce pourvoi.

10      Le 2 avril 2014, la Commission a adopté la décision C(2014) 2139 final, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.39610 – Câbles électriques) (ci-après la « décision attaquée »).

 Décision attaquée

 Infraction en cause

11      L’article 1er de la décision attaquée dispose que plusieurs entreprises ont participé, au cours de différentes périodes, à une infraction unique et continue à l’article 101 TFUE, dans le « secteur des câbles électriques à (très) haute tension souterrains et/ou sous-marins ». En substance, la Commission a constaté que, à partir de février 1999 et jusqu’à la fin de janvier 2009, les principaux producteurs européens, japonais et sud-coréens de câbles électriques sous-marins et souterrains avaient participé à un réseau de réunions multilatérales et bilatérales et à des contacts visant à restreindre la concurrence pour des projets de câbles électriques souterrains et sous-marins à (très) haute tension sur des territoires spécifiques, en se répartissant les marchés et les clients et en faussant ainsi le processus concurrentiel normal (considérants 10 à 13 et 66 de ladite décision).

12      Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que l’entente revêtait deux configurations principales qui constituaient un ensemble composite et faisaient donc partie intégrante d’une infraction unique et continue. Plus précisément, selon elle, l’entente se composait de deux volets, à savoir :

–        la « configuration A/R de l’entente », qui regroupait les entreprises européennes, généralement appelées « membres R », les entreprises japonaises, désignées en tant que « membres A », parmi lesquelles figurait notamment la requérante, et, enfin, les entreprises sud-coréennes, désignées en tant que « membres K ». Ladite configuration permettait de réaliser l’objectif d’attribution de territoires et de clientèles entre producteurs européens, japonais et sud-coréens. Cette attribution se faisait selon un accord sur le « territoire national », en vertu duquel les producteurs japonais et sud-coréens s’abstenaient d’entrer en concurrence pour des projets se déroulant sur le « territoire national » des producteurs européens, tandis que ces derniers s’engageaient à rester en dehors des marchés du Japon et de la Corée du Sud. S’ajoutait à cela l’attribution de projets dans les « territoires d’exportation », à savoir le reste du monde à l’exception notamment des États-Unis, qui, pendant une certaine période, respectait un « quota 60/40 », signifiant que 60 % des projets étaient réservés pour les producteurs européens et les 40 % restants pour les producteurs asiatiques ;

–        la « configuration européenne de l’entente », qui impliquait l’attribution de territoires et de clients par les producteurs européens pour des projets à réaliser sur le « territoire national » européen ou attribués à des producteurs européens (voir point 3.3 de la décision attaquée et, en particulier, considérants 73 et 74 de cette décision).

13      La Commission a constaté que les participants à l’entente avaient mis en place des obligations de communication de données afin de permettre le suivi des accords de répartition (considérants 94 à 106 et 111 à 115 de la décision attaquée).

14      En tenant compte du rôle joué par différents participants à l’entente dans la mise en œuvre de celle-ci, la Commission les a classés en trois groupes. Tout d’abord, elle a défini le noyau dur de l’entente, auquel appartenaient, d’une part, les entreprises européennes Nexans France, les entreprises filiales de Pirelli & C, anciennement Pirelli SpA, ayant successivement participé à l’entente (ci-après « Pirelli ») et Prysmian Cavi e Sistemi Energia et, d’autre part, les entreprises japonaises Furukawa Electric, Fujikura et leur entreprise commune Viscas ainsi que Sumitomo, Hitachi et leur entreprise commune JPS (considérants 545 à 561 de la décision attaquée). Ensuite, elle a distingué un groupe d’entreprises qui ne faisaient pas partie du noyau dur, mais qui ne pouvaient pas, pour autant, être considérées comme des acteurs marginaux de l’entente et a classé dans ce groupe ABB, Exsym, Brugg Kabel et l’entité constituée par Sagem SA, Safran et Silec Cable (considérants 562 à 575 de ladite décision). Enfin, elle a considéré que Mitsubishi Cable Industries, SWCC Showa Holdings, LS Cable, Taihan et nkt cables étaient des acteurs marginaux de l’entente (considérants 576 à 594 de cette décision).

 Responsabilité de la requérante et amende infligée à la requérante

15      La responsabilité de Hitachi a été retenue en raison de sa participation directe à l’entente du 18 février 1999 jusqu’au 30 septembre 2001. Depuis le 1er octobre 2001 et jusqu’au 10 avril 2008, Hitachi a, selon la Commission, participé à l’entente indirectement, au travers de JPS. En ce qui concerne JPS, la Commission a estimé qu’elle avait participé directement à l’entente entre le 1er octobre 2001 et le 10 avril 2008 (considérants 942 à 944 et 955 de la décision attaquée).

16      L’article 2, sous l) et m), de la décision attaquée inflige à Hitachi une amende de 2 346 000 euros ainsi que, de manière solidaire avec JPS et Sumitomo, une amende de 20 741 000 euros.

17      Aux fins du calcul du montant des amendes, la Commission a appliqué l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 et la méthodologie exposée dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application dudit article (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices pour le calcul des amendes de 2006 »).

18      En premier lieu, s’agissant du montant de base des amendes, après avoir déterminé la valeur des ventes appropriée, conformément au paragraphe 18 des lignes directrices pour le calcul des amendes de 2006 (considérants 963 à 994 de la décision attaquée), la Commission a fixé la proportion de cette valeur des ventes reflétant la gravité de l’infraction, conformément aux paragraphes 22 et 23 desdites lignes directrices. À cet égard, elle a estimé que l’infraction, par sa nature, constituait l’une des restrictions de la concurrence les plus graves, ce qui justifiait un taux de gravité de 15 %. De même, elle a appliqué une majoration de 2 % du coefficient de gravité pour l’ensemble des destinataires en raison de la part de marché cumulée ainsi que de la portée géographique quasi mondiale de l’entente, couvrant notamment l’ensemble du territoire de l’Espace économique européen (EEE). Par ailleurs, elle a considéré, notamment, que le comportement des entreprises européennes était plus préjudiciable à la concurrence que celui des autres entreprises, en ce que, outre leur participation à la configuration A/R de l’entente, les entreprises européennes avaient partagé entre elles les projets de câbles électriques dans le cadre de la configuration européenne de l’entente. Pour cette raison, elle a fixé la proportion de la valeur des ventes à prendre en considération au titre de la gravité de l’infraction à 19 % pour les entreprises européennes et à 17 % pour les autres entreprises (considérants 997 à 1010 de ladite décision).

19      S’agissant du coefficient multiplicateur relatif à la durée de l’infraction, la Commission a retenu, en ce qui concerne Hitachi, un coefficient de 2,58 pour la période comprise entre le 18 février 1999 et le 30 septembre 2001 et un coefficient de 6,5 pour la période comprise entre le 1er octobre 2001 et le 10 avril 2008. En ce qui concerne JPS, elle a retenu un coefficient de 6,5 pour la période comprise entre le 1er octobre 2001 et le 10 avril 2008. Elle a, en outre, inclus, pour Hitachi et JPS, dans le montant de base des amendes un montant additionnel, à savoir le « droit d’entrée », correspondant à 17 % de la valeur des ventes. Lesdits montants ainsi déterminés s’élevaient à 4 267 000 euros pour Hitachi, pour sa participation directe à l’entente, et à 37 711 000 euros pour JPS (considérants 1011 à 1016 de la décision attaquée).

20      En deuxième lieu, s’agissant des aménagements du montant de base des amendes, la Commission n’a pas constaté de circonstances aggravantes qui pourraient affecter le montant de base de l’amende établi à l’égard de chacun des participants à l’entente, à l’exception d’ABB. En revanche, en ce qui concerne les circonstances atténuantes, elle a décidé de refléter dans le montant des amendes le niveau de participation des différentes entreprises dans la mise en œuvre de l’entente. Ainsi, elle a réduit de 10 % le montant de base de l’amende à infliger pour les acteurs marginaux de l’entente et de 5 % le montant de base de l’amende à infliger pour les entreprises dont l’implication dans l’entente était moyenne. En outre, elle a accordé à Mitsubishi Cable Industries et à SWCC Showa Holdings pour la période précédant la création d’Exsym, ainsi qu’à LS Cable et à Taihan, une réduction supplémentaire de 1 % pour n’avoir pas eu connaissance de certains aspects de l’infraction unique et continue et pour leur absence de responsabilité dans ceux-ci. En revanche, aucune réduction du montant de base de l’amende n’a été accordée aux entreprises appartenant au noyau dur de l’entente, y compris à Hitachi (considérants 1017 à 1020 de la décision attaquée). Par ailleurs, la Commission a accordé, en application des lignes directrices pour le calcul des amendes de 2006, une réduction supplémentaire de 3 % à Mitsubishi Cable Industries en raison de sa coopération effective en dehors du cadre de la communication sur la clémence (considérant 1041 de cette décision).

21      En troisième lieu, la Commission a décidé d’accorder l’immunité d’amende à ABB et de réduire l’amende imposée à JPS, à Sumitomo et à Hitachi de 45 % afin de tenir compte de la coopération de ces entreprises dans le cadre de la communication sur la clémence. À cet égard, elle a relevé que JPS, Sumitomo et Hitachi avaient fourni un grand nombre de déclarations orales confirmées par des documents probants et qu’elles avaient facilité sa tâche d’établir l’infraction, notamment pour le volet japonais et sud-coréen. Elle a considéré que les éléments de preuve fournis par ces trois entreprises apportaient une valeur ajoutée significative, au sens du paragraphe 24 de la communication sur la clémence, aux éléments de preuve qui étaient déjà en sa possession. Toutefois, selon elle, la valeur des éléments de preuve et de la coopération fournis par JPS et ses sociétés mères a été affaiblie par leurs allégations selon lesquelles JPS avait en partie suspendu sa participation à l’entente entre juillet 2004 et octobre 2005. En outre, tout au long de l’enquête, elles se seraient montrées peu claires et contradictoires quant à la date à laquelle JPS avait mis fin à sa participation à l’entente. Compte tenu de ces éléments, la Commission a décidé de réduire l’amende imposée à JPS et à ses sociétés mères de 45 %, au lieu des 50 % demandés (considérants 1060 à 1065 de la décision attaquée). Elle a également refusé d’accorder à la requérante une réduction du montant de l’amende supplémentaire pour avoir coopéré en dehors du champ d’application de la communication sur la clémence (considérants 1039 et 1040 de ladite décision).

 Procédure et conclusions des parties

22      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 juin 2014, la requérante a introduit le présent recours.

23      Par ordonnance du 16 septembre 2016, le Tribunal (huitième chambre, ancienne composition) a adopté, sur la base de l’article 91, sous b), de son règlement de procédure, une mesure d’instruction ordonnant à la Commission de produire, dans un délai d’un mois, certains extraits des déclarations orales confidentielles faites par la requérante dans le cadre de sa demande conjointe d’immunité. La Commission a déféré à cette demande dans le délai imparti.

24      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure, le juge rapporteur a été affecté à la huitième chambre (nouvelle composition), à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

25      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (huitième chambre) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 31 mars 2017.

26      Après rectification de ses chefs de conclusions lors de l’audience, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, annuler l’article 1er, paragraphe 8, sous b) et c), de la décision attaquée, dans la mesure où elle tient la requérante et JPS pour responsables d’une infraction unique, complexe et continue incluant la configuration européenne et la configuration A/R de l’entente ou, à titre subsidiaire, réduire considérablement le montant de l’amende qui lui a été infligée ;

–        à titre subsidiaire, annuler l’article 1er, paragraphe 8, sous b) et c), de la décision attaquée, dans la mesure où il tient la requérante et JPS pour responsables d’une infraction au cours de la période comprise entre le 26 juillet 2006 et le 10 avril 2008 ;

–        à titre encore plus subsidiaire, annuler l’article 2, sous m), de la décision attaquée et réduire le montant de l’amende infligée à la requérante « conjointement et solidairement » avec Sumitomo et JPS, étant donné la participation substantiellement réduite de JPS à l’entente au cours de la période comprise entre le 26 juillet 2006 et le 10 avril 2008 ;

–        condamner la Commission aux dépens.

27      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Observations liminaires

 Sur la recevabilité devant le Tribunal de certaines déclarations orales de la requérante invoquées par la Commission

28      Dans ses écritures, la Commission invoque des déclarations orales faites par la requérante dans le cadre de sa demande conjointe d’immunité.

29      Dans sa réponse du 31 octobre 2016 aux questions écrites du Tribunal, la requérante conteste la recevabilité devant le Tribunal de ces déclarations orales, ou du moins de certaines d’entre elles, au motif qu’il s’agirait de nouveaux éléments de preuve à charge contre elle, non mentionnés ou examinés dans la communication des griefs ou dans la décision attaquée.

30      À cet égard, il convient de relever qu’il y est fait référence aux considérants 423 et 942 à 944 de la décision attaquée et aux considérants 458 et 478 de la communication des griefs ainsi qu’aux notes en bas de page y afférentes. Ainsi, l’argumentation de la requérante manque en fait.

 Sur la portée du litige

31      Dans son recours, la requérante formule tant des conclusions en annulation de la décision attaquée que des conclusions visant à la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée.

32      Concernant les conclusions en annulation, la requérante demande, à titre principal, d’annuler partiellement la décision attaquée en ce qu’elle la concerne et la tient pour responsable d’une infraction unique, complexe et continue incluant la configuration européenne de l’entente. À titre subsidiaire, elle demande d’annuler l’article 1er, paragraphe 8, sous b) et c), de la décision attaquée, dans la mesure où il tient JPS et elle-même pour responsables d’une infraction au cours de la période comprise entre le 26 juillet 2006 et le 10 avril 2008. Enfin, à titre encore plus subsidiaire, elle demande d’annuler l’article 2, sous m), de la décision attaquée.

33      À l’appui de ces conclusions, la requérante avance trois moyens. Par le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 101 TFUE, elle reproche à la Commission de la tenir pour responsable d’une infraction unique, complexe et continue à l’article 101 TFUE consistant en la configuration A/R de l’entente et la configuration européenne de l’entente, sans prouver à suffisance de droit l’existence d’un plan d’ensemble assorti d’un objectif anticoncurrentiel unique concernant les deux ententes. Par le deuxième moyen, soulevé à titre subsidiaire et également tiré d’une violation de l’article 101 TFUE, elle fait valoir que la Commission a commis des erreurs de fait et de droit dans la détermination de la durée de la participation de JPS à l’infraction, en particulier dans la mesure où la Commission la tient pour responsable de l’infraction commise par JPS après le 26 juillet 2006. Par le troisième moyen, invoqué à titre encore plus subsidiaire et tiré d’une violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, elle fait valoir que, dans le calcul du montant de l’amende, la Commission n’a pas pris en compte la participation substantiellement réduite de JPS à l’infraction après le 26 juillet 2006.

34      Concernant les conclusions en réduction du montant de l’amende qui a été infligée à la requérante, d’une part, elles sont rattachées au premier chef de conclusions, par lequel la requérante demande notamment au Tribunal de réduire considérablement le montant de l’amende, afin de tenir compte de son absence de participation à la configuration européenne de l’entente. D’autre part, elles sont rattachées au troisième chef de conclusions, par lequel la requérante invite le Tribunal à exercer sa compétence de pleine juridiction pour réduire le montant de l’amende, afin de tenir compte de la participation substantiellement réduite de JPS à l’entente au cours de la période comprise entre le 26 juillet 2006 et le 10 avril 2008.

35      Par ailleurs, dans la requête, la requérante a également formulé des conclusions visant à l’annulation intégrale de la décision attaquée. À l’appui de ces conclusions, elle a invoqué un moyen tiré de la violation des formes substantielles et des droits de la défense, en ce que la décision attaquée serait fondée en très grande partie sur les éléments de preuve saisis par la Commission illégalement lors des inspections dans les locaux de Nexans et de Nexans France. Or, la validité de ces inspections a, pour ce qui concerne les câbles électriques sous-marins et souterrains à haute tension, été confirmée par l’arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission (C‑37/13 P, EU:C:2014:2030). Dès lors, dans la réplique, la requérante a explicitement renoncé à ces conclusions.

36      Il convient d’examiner successivement les conclusions en annulation et celles tendant à la réduction du montant de l’amende.

 Sur les conclusions en annulation

 Sur le premier moyen, tiré de l’absence de preuve d’une infraction unique, complexe et continue englobant l’accord sur le « territoire national » et la configuration européenne de l’entente

37      Le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 101 TFUE, est invoqué à l’appui de la conclusion principale, tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 8, sous b) et c), de la décision attaquée.

38      Par ce moyen, la requérante reproche à la Commission une erreur de droit en ce qu’elle l’a tenue, tout comme son entreprise commune JPS, pour responsable de la participation à une infraction unique, complexe et continue englobant, d’une part, la configuration européenne de l’entente, impliquant l’attribution de projets dans les « territoires nationaux » européens, et, d’autre part, la configuration A/R de l’entente, qui concernait la répartition de territoires conformément à l’accord sur le « territoire national » ainsi que l’attribution de projets dans les « territoires d’exportation » en vertu de l’accord relatif aux quotas de 60 % et de 40 %.

39      La requérante affirme, à cet égard, que la décision attaquée ne fait pas état d’éléments de preuve suffisants pour établir la réunion de toutes les conditions requises afin de pouvoir qualifier une infraction d’unique et continue.

40      En premier lieu, la requérante soutient que la Commission n’a pas établi que la configuration européenne de l’entente, et, plus précisément, l’attribution de projets dans les « territoires nationaux » européens, d’une part, et la configuration A/R de l’entente, d’autre part, s’inscrivaient dans un plan global ayant un objectif unique et commun, tel que défini par la Commission au considérant 525 de la décision attaquée.

41      Tout d’abord, la requérante relève que la Commission n’aurait consacré qu’un seul considérant de la décision attaquée à la description des liens allégués entre ces deux configurations de l’entente et n’aurait pas suffisamment expliqué en quoi la configuration européenne de l’entente était « subordonnée » à l’accord global, ni comment elle était destinée à « lui donner effet ». Les arguments avancés par la Commission dans son mémoire en défense ne permettraient pas non plus de démontrer les liens existant entre les deux configurations de l’entente.

42      Ensuite, la requérante soutient que la configuration européenne de l’entente avait un objectif spécifique et distinct, qui était d’examiner et de répartir les projets de câbles sur le territoire des différents pays européens. Or, dès lors que, conformément à l’accord sur le « territoire national », les entreprises japonaises devaient, en principe, limiter leurs activités au territoire japonais, elles ne seraient pas intéressées par cette répartition et n’y contribueraient pas. À cet égard, la requérante insiste sur le fait que sa participation aux réunions A/R de l’entente avait pour seul but la mise en œuvre de cette partie de l’entente et que les projets localisés sur le territoire de l’EEE n’étaient jamais soumis à la discussion lors de ces réunions. La Commission aurait d’ailleurs reconnu aux considérants 537 et 999 de la décision attaquée ainsi que dans son mémoire en défense que les entreprises japonaises n’étaient pas impliquées dans la configuration européenne de l’entente.

43      Enfin, la requérante invoque l’arrêt du 12 juillet 2011, Toshiba/Commission (T‑113/07, EU:T:2011:343), relatif à la décision C(2006) 6762 final de la Commission, du 24 janvier 2007, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/F/38.899 – Appareillages de commutation à isolation gazeuse (ci-après la « première décision AIG »). Elle relève que, dans cette décision, la Commission avait constaté l’existence de trois arrangements anticoncurrentiels semblables à ceux qui font l’objet de la décision attaquée, y compris un arrangement sur la répartition de projets européens entre des entreprises européennes. Cependant, pour pouvoir conclure à l’existence d’une infraction unique, complexe et continue englobant ces trois arrangements, le Tribunal se serait fondé sur un mécanisme de compensation croisée des projets répartis. Or, un tel mécanisme ferait défaut dans le cas de l’entente faisant l’objet de la décision attaquée. Selon la requérante, la configuration européenne de l’entente existait de façon autonome, sans mécanisme de compensation croisée ni aucun autre mécanisme la reliant à l’accord sur le « territoire national », et, en outre, l’attribution de projets européens dans le cadre de la configuration européenne de l’entente était sans incidence sur la mise en œuvre de cet accord.

44      En second lieu, la requérante fait valoir que la Commission n’a pas établi qu’elle avait connaissance de la configuration européenne de l’entente. En particulier, la Commission n’aurait pas prouvé que la requérante avait connaissance de l’existence de la répartition intra‑européenne ainsi que de ses détails, tels que les projets discutés et attribués, leur valeur et les entreprises attributaires.

45      Selon la requérante, la participation de ses représentants aux réunions A/R ne suffirait pas à établir sa connaissance de la configuration européenne de l’entente. En effet, les éléments qui leur étaient transmis lors de ces réunions concernaient la répartition des projets dans les « territoires d’exportation » selon le quota 60/40. La participation de la requérante à ces réunions prouverait, au mieux, le lien entre la répartition des projets dans les « territoires d’exportation » et l’accord sur le « territoire national » ainsi que le fait qu’elle savait que, en règle générale, les producteurs européens se réunissaient entre eux, séparément des producteurs asiatiques.

46      La Commission conteste les arguments de la requérante.

–       Sur la notion d’infraction unique et continue selon la jurisprudence et dans la décision attaquée

47      Selon une jurisprudence constante, une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE peut résulter non seulement d’un acte isolé, mais également d’une série d’actes ou bien encore d’un comportement continu, quand bien même un ou plusieurs éléments de cette série d’actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer, en eux-mêmes et pris isolément, une violation de ladite disposition. Ainsi, lorsque les différentes actions s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence dans le marché intérieur, la Commission est en droit d’imputer la responsabilité de ces actions en fonction de la participation à l’infraction considérée dans son ensemble (voir arrêts du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 41 et jurisprudence citée ; du 19 décembre 2013, Siemens e.a./Commission, C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P, non publié, EU:C:2013:866, point 242 et jurisprudence citée, et du 26 janvier 2017, Villeroy et Boch/Commission, C‑644/13 P, EU:C:2017:59, point 47 et jurisprudence citée).

48      Une entreprise ayant participé à une infraction unique et complexe par des comportements qui lui étaient propres, qui relevaient des notions d’accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et qui visaient à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble, peut ainsi être également responsable des comportements mis en œuvre par d’autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de sa participation à ladite infraction. Tel est le cas lorsqu’il est établi que ladite entreprise entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle avait connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque (voir arrêts du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 42 et jurisprudence citée, et du 26 janvier 2017, Villeroy et Boch/Commission, C‑644/13 P, EU:C:2017:59, point 48 et jurisprudence citée).

49      Ainsi, une entreprise peut avoir directement participé à l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant l’infraction unique et continue, auquel cas la Commission est en droit de lui imputer la responsabilité de l’ensemble de ces comportements et, partant, de cette infraction dans son ensemble. Une entreprise peut également n’avoir directement participé qu’à une partie des comportements anticoncurrentiels composant l’infraction unique et continue, mais avoir eu connaissance de l’ensemble des autres comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par les autres participants à l’entente dans la poursuite des mêmes objectifs, ou avoir pu raisonnablement les prévoir et avoir été prête à en accepter le risque. Dans un tel cas, la Commission est également en droit d’imputer à cette entreprise la responsabilité de l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant une telle infraction et, par la suite, de celle-ci dans son ensemble (voir arrêt du 26 janvier 2017, Villeroy et Boch/Commission, C‑644/13 P, EU:C:2017:59, point 49 et jurisprudence citée).

50      Il convient de préciser encore que, si le Tribunal doit vérifier l’existence d’un objectif unique des différents agissements composant l’infraction unique et continue pour conclure à l’existence d’une telle infraction, il n’est pas tenu d’examiner si ces agissements présentent entre eux des liens de complémentarité (arrêts du 19 décembre 2013, Siemens e.a./Commission, C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P, non publié, EU:C:2013:866, points 247 et 248, et du 26 janvier 2017, Villeroy et Boch/Commission, C‑644/13 P, EU:C:2017:59, point 50), contrairement à ce que soutient la requérante.

51      En l’espèce, comme cela a déjà été mentionné au point 12 ci-dessus, la Commission a considéré que l’entente présentait deux configurations constituant un ensemble composite, à savoir la « configuration A/R de l’entente », d’une part, et la « configuration européenne de l’entente », d’autre part.

52      Selon la Commission, ces deux configurations de l’entente constituaient une infraction unique et continue dès lors qu’elles s’inscrivaient dans un plan global ayant pour objectif unique de restreindre la concurrence pour les projets de câbles électriques sous-marins et souterrains dans des territoires spécifiques, en convenant de l’attribution de marchés et de clients et en faussant ainsi le processus concurrentiel normal, que tous les membres de l’entente ont intentionnellement contribué d’une manière ou d’une autre à la réalisation de cet objectif unique et, à quelques rares exceptions près, connaissaient le comportement envisagé ou mis en œuvre par les autres entreprises dans la poursuite de cet objectif unique, ou pouvaient raisonnablement le prévoir et étaient prêts à en accepter le risque (considérant 525 de la décision attaquée).

53      Il convient d’examiner l’application, en l’espèce, des trois conditions posées par la jurisprudence citée au point 48 ci-dessus.

–       Sur l’existence d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif unique et commun

54      Sur la question de savoir si la configuration européenne de l’entente, et, plus précisément, l’attribution de projets à l’intérieur du « territoire national » européen, s’inscrivait dans le même plan d’ensemble ayant un objectif unique et commun que la configuration A/R de l’entente, il convient de présenter d’emblée les mécanismes de répartition des projets de câbles électriques entre différents membres de l’entente, tels qu’ils ont été décrits dans la décision attaquée. Il y a lieu de relever que, alors que la description de ces mécanismes s’est fondée sur les déclarations d’ABB et de JPS déposées dans le cadre de la procédure prévue dans la communication sur la clémence, la requérante ne conteste pas cette description en tant que telle, mais lui donne une autre interprétation que celle retenue par la Commission, en soutenant, en substance, que la configuration européenne de l’entente existait de façon autonome et qu’il n’y avait aucun lien entre cette configuration et l’accord sur le « territoire national ».

55      Tout d’abord, en ce qui concerne la configuration A/R de l’entente, elle comprenait trois types de territoires, à savoir les « territoires nationaux » (home territories), les « territoires d’exportation » (export territories) et les « territoires libres » (free territories), qui avaient chacun leur propre mécanisme d’attribution de projets (considérant 75 de la décision attaquée).

56      L’expression « territoires nationaux » désignait le territoire national japonais, étendu à un certain moment à Taïwan, le territoire national sud-coréen et le territoire « national » européen. Ce dernier couvrait initialement la zone d’influence de Nexans France et de Prysmian (France, Italie, Royaume-Uni et Norvège), pour s’étendre ensuite sur tout le territoire de l’EEE, à l’exception de la Grèce, qui, pour des raisons de relations commerciales historiques, restait une zone d’influence japonaise. Les territoires nationaux étaient soumis à l’application de la « règle du marché national » (home market rule), selon laquelle les fournisseurs européens s’engageaient à ne pas entrer en concurrence pour des projets japonais et sud-coréens et les producteurs japonais et sud-coréens s’engageaient à leur tour à ne pas entrer en concurrence pour des projets au sein du « territoire national » européen. L’attribution de projets dans les territoires nationaux était automatiquement réputée faite au groupe de producteurs R ou A/K correspondant et, à leur tour, ces producteurs R ou A/K attribuaient chaque projet au sein de leurs territoires nationaux respectifs (considérants 76 à 79 de la décision attaquée).

57      Les « territoires d’exportation » couvraient des pays qui n’étaient ni des territoires nationaux ni des territoires libres. Dans ces territoires, pendant une certaine période de fonctionnement de l’entente, les projets étaient attribués conformément à un « quota 60/40 », selon lequel 60 % des projets (en termes de valeur) étaient attribués aux producteurs européens R et 40 % aux producteurs asiatiques A ou K (considérant 87 de la décision attaquée).

58      Les « territoires libres » étaient ceux dans lesquels les membres de l’entente se livraient une libre concurrence pour tous les projets. Ils incluaient, notamment, les États-Unis (considérant 93 de la décision attaquée).

59      Ensuite, en ce qui concerne la configuration européenne de l’entente, elle servait à assurer la répartition entre les producteurs européens, d’une part, des projets qui avaient été attribués aux membres R dans le cadre de l’attribution de projets dans les « territoires d’exportation » et, d’autre part, des projets qui étaient attribués automatiquement aux membres R conformément à l’accord sur le « territoire national » (considérant 107 de la décision attaquée).

60      Enfin, s’agissant de la communication entre les différents participants à l’entente, la Commission a constaté que les membres de l’entente ont participé à deux types de réunions : d’une part, les réunions dites « A/R », entre les représentants des producteurs européens et japonais, et, d’autre part, les réunions régionales telles que les réunions récurrentes, dites « R », auxquelles seuls les producteurs européens participaient. Outre celles-ci, se tenaient également des réunions trilatérales « A/R/K » incluant les sociétés sud-coréennes, des réunions bilatérales et multilatérales entre un certain nombre de parties sélectionnées et des réunions à l’occasion de conférences sectorielles (considérants 70 et 71 de la décision attaquée).

61      Selon la Commission, qui se fonde à cet égard sur les déclarations de JPS, les réunions A/R se tenaient généralement dans des hôtels, tantôt en Europe tantôt en Asie, avaient généralement pour objet de discuter de l’attribution des projets dans les « territoires d’exportation » et traitaient également parfois de projets au sein de l’Union européenne. Ces réunions regroupaient généralement Nexans France (ou son prédécesseur), Pirelli et Prysmian parmi les membres R, et JPS (ou, avant sa création, Sumitomo et Hitachi), Viscas (ou, avant sa création, Furukawa Electric et Fujikura) et Exsym parmi les membres A (considérant 96 de la décision attaquée).

62      La Commission a précisé, toujours en se fondant sur les déclarations de JPS, que, outre des réunions A/R, les membres A et R de l’entente ont eu recours à un canal de communication moins formel ou à un coordinateur afin de défendre les intérêts du côté européen ou du côté japonais. Du côté européen, M. J., de Nexans France, a agi en tant que coordinateur. Du côté japonais, ce rôle était assuré tour à tour par JPS, Viscas et Exsym (considérant 94 de la décision attaquée).

63      Les réunions R, appelées également « séminaires », avaient généralement lieu juste après les réunions A/R. Ces réunions, tout comme d’autres réunions bilatérales et multilatérales, assorties de courriels, de télécopies et de conversations téléphoniques, servaient aux producteurs européens à entretenir des contacts entre eux, dans le but de répartir les projets sur les territoires européens (considérants 111 et suivants de la décision attaquée).

64      Il ressort de la description des mécanismes de répartition des projets de câbles entre les membres de l’entente, présentée ci-dessus, que la configuration européenne n’a pu être mise en œuvre que grâce à l’existence de l’accord sur le « territoire national », qui constituait l’essentiel de la configuration A/R de l’entente. En effet, les producteurs européens ont pu partager les projets européens entre eux seulement dans la mesure où les entreprises asiatiques sont convenues de s’abstenir de leur livrer concurrence au sein du « territoire national » européen, en échange de l’engagement des producteurs européens d’abandonner les projets localisés sur les territoires nationaux japonais et sud-coréens. Il importe de souligner que cet abandon du « territoire national » européen par les entreprises japonaises et le partage de ce territoire entre les entreprises européennes qui s’en est suivi n’étaient pas le résultat d’une décision unilatériale des entreprises japonaises, mais une conséquence de l’accord qu’elles avaient conclu avec les entreprises européennes.

65      Par conséquent, contrairement à ce que soutient la requérante, c’est à juste titre que la Commission a conclu que la configuration européenne de l’entente était subordonnée à l’accord global sur le partage des « territoires nationaux » et lui donnait effet.

66      En outre, il convient de relever que la configuration européenne de l’entente a été mise en œuvre concomitamment avec deux accords composant la configuration A/R de l’entente et que ces trois accords concernaient essentiellement les mêmes produits. Si les entreprises japonaises n’étaient pas impliquées directement dans le partage des projets de câbles dans le cadre de la configuration européenne de l’entente, il n’en reste pas moins que cette dernière impliquait les mêmes producteurs européens que l’accord sur les « territoires d’exportation ».

67      La Commission a donc pu, sans commettre d’erreur, conclure que la configuration européenne de l’entente et, plus précisément, l’attribution des projets à l’intérieur du « territoire national » européen, s’inscrivaient dans le même plan d’ensemble que la configuration A/R de l’entente. C’est également sans erreur qu’elle a établi que, dans le cadre de ce plan global, les deux configurations de l’entente poursuivaient un objectif unique et commun de restreindre la concurrence pour les projets de câbles électriques sous-marins et souterrains dans des territoires spécifiques, notamment à l’intérieur de l’EEE, en convenant de l’attribution de marchés et de clients à travers une manipulation des appels d’offres.

–       Sur la contribution de la requérante et de JPS à l’objectif unique et commun

68      Sur la question de savoir si la requérante et JPS ont contribué à l’objectif unique et commun par leur propre comportement anticoncurrentiel, il convient de relever que, en se fondant sur les déclarations de JPS et de ses sociétés mères et sur les éléments de preuve fournis par celles-ci au cours de la procédure administrative, la Commission a constaté que, dans des cas où les producteurs japonais étaient invités par des clients européens à soumettre des offres, ils demandaient des instructions au coordinateur des membres A, lequel cherchait, à son tour, à obtenir des instructions du coordinateur des membres R. Ce dernier, après avoir consulté les membres R, passait les instructions au coordinateur des membres A, lequel transmettait à son tour lesdites instructions au membre A ayant reçu l’invitation initiale. Lesdites instructions consistaient généralement en une recommandation de décliner l’invitation ou de soumettre une offre factice ou un prix de couverture indiqué par le coordinateur des membres R (considérant 83 de la décision attaquée).

69      JPS, l’entreprise commune de la requérante et de Sumitomo, a joué un rôle très actif dans cette communication entre les membres A et R. À titre d’exemple, en ce qui concerne l’année 2002, au considérant 231 de la décision attaquée, la Commission a décrit de nombreux cas d’intervention de JPS qui, agissant en tant que coordinateur des membres A, centralisait les demandes de renseignements adressées par les clients européens aux entreprises japonaises et les transmettait à M. J. de Nexans France, coordinateur des membres R, afin d’obtenir les instructions. Les instructions demandées ne visaient pas seulement à savoir si les entreprises japonaises concernées devaient tout simplement décliner l’invitation à soumettre une offre. En effet, la décision attaquée fait état de cas où JPS demandait à ses partenaires européens si ces derniers préféraient qu’elle décline l’invitation ou bien qu’elle soumette à son client un prix préalablement fixé. La Commission décrit également un cas dans lequel Nexans France et Pirelli ont assisté JPS et Viscas pour la préparation de fausses offres que ces dernières ont présentées dans le cadre d’un important projet situé à la frontière entre l’Espagne et le Maroc (considérant 232 de la décision attaquée). La décision attaquée rapporte des interventions similaires de JPS, confirmant que cette société contribuait à la manipulation des appels d’offres pour les projets de câbles localisés sur le territoire européen, tout au long des années 2003 et 2004 (voir considérants 279 et 321 de la décision attaquée).

70      Le rôle de JPS ne se limitait pas à centraliser les demandes envoyées aux producteurs japonais par les clients européens et à transmettre les instructions relatives à ces projets.

71      En effet, d’une part, selon les déclarations orales déposées dans le cadre de la demande conjointe d’immunité, des employés de JPS ont organisé à l’intention des clients européens potentiels des présentations qui lui étaient peu favorables, de sorte qu’il devînt improbable qu’elle fût même invitée à soumettre une offre (considérant 83 de la décision attaquée, note en bas de page 77).

72      D’autre part, la Commission a cité plusieurs exemples d’interventions du coordinateur des membres R auprès du coordinateur des membres A, en l’occurrence JPS, ayant pour objectif d’empêcher les membres A, tels qu’Exsym, LS Cable et Taihan, de faire concurrence aux producteurs R pour des projets situés sur le « territoire national » européen ou dans la périphérie de celui-ci (considérants 85, 243, 263, 265 et 284 de la décision attaquée).

73      À titre d’exemple, au considérant 243 de la décision attaquée, la Commission a évoqué les discussions concernant un projet en Espagne dénommé « Union Fenosa » et attribué au début de l’année 2003 aux membres R. La Commission a indiqué que, en février 2003, M. J., de Nexans France, est intervenu auprès de M. O., de JPS, alors coordinateur des membres A, en lui demandant, en substance, de veiller à ce que la société sud-coréenne LS Cable ne soumissionnât pas pour des projets réservés aux membres R de l’entente. M. O. a accédé à cette demande et a répondu à M. J. quelques jours plus tard en confirmant que LS Cable n’allait pas soumissionner en Espagne.

74      Un cas similaire d’intervention de JPS auprès des autres sociétés asiatiques afin de les décourager de soumissionner pour des projets situés en Europe est cité par la Commission au considérant 284 de la décision attaquée. La Commission a constaté que, au début de l’année 2004, M. O. a averti Nexans France et Pirelli qu’Exsym participerait à un projet d’installation de câbles sous-marins localisé en Grèce qui avait été discuté lors d’une réunion A/R organisée en mars 2003. En réponse à cet avertissement, M. J. de Nexans France a demandé à M. O. de JPS et à M. T., de Viscas, de l’aider à « convaincre [Exsym] de se comporter correctement, comme nous l’avons fait à maintes reprises avec [ABB] ».

75      Les observations de la Commission résumées ci-dessus sont fondées dans une large mesure sur les déclarations orales et d’autres éléments de preuve apportés par Hitachi, Sumitomo et JPS dans le cadre de la demande conjointe d’immunité. La requérante ne revient pas sur le contenu de ces déclarations et ne conteste pas ces preuves, mais elle leur donne une autre interprétation que celle donnée par la Commission. Elle semble, en effet, considérer que, par les pratiques décrites aux points 69 à 74 ci-dessus, Hitachi et JPS ne visaient pas à contribuer à la mise en œuvre de la configuration européenne de l’entente. Elles auraient seulement entendu assurer un bon fonctionnement de la configuration A/R de l’entente.

76      À cet égard, d’une part, force est de constater que toutes les actions entreprises par la requérante et JPS avec l’intention de mettre en œuvre les accords composant la configuration A/R de l’entente, en particulier l’accord sur le « territoire national », contribuaient à l’objectif unique de l’entente qui consistait à restreindre la concurrence pour les projets de câbles électriques sous-marins et souterrains dans des territoires spécifiques, notamment à l’intérieur de l’EEE, en convenant de l’attribution de marchés et de clients à travers une manipulation des appels d’offres. En effet, la décision de la requérante de se retirer du territoire de l’EEE a faussé la concurrence à l’intérieur de ce territoire.

77      D’autre part, dans la décision attaquée, la Commission a considéré que les pratiques de JPS décrites ci-dessus relevaient de la mise en œuvre de l’accord sur le « territoire national », présenté dans le point consacré aux « Mécanismes d’attribution de la configuration A/R de l’entente » (voir point 3.3.1. de la décision attaquée, notamment considérants 76 à 86). Ces pratiques des entreprises japonaises ne sont pas mentionnées au point 3.3.2. de la décision attaquée, intitulé « Mécanismes d’attribution de la configuration européenne de l’entente », dans lequel la Commission a décrit d’une façon plus détaillée la coopération des entreprises européennes entre elles.

78      Toutefois, cette présentation des mécanismes d’attribution des projets ne soutient aucunement le constat que la configuration européenne de l’entente était indépendante de la configuration A/R de l’entente et que les entreprises japonaises n’avaient aucun rôle à jouer dans la mise en œuvre de la configuration européenne. En effet, la configuration européenne avait notamment pour objectif de partager entre les entreprises européennes les projets laissés à ces entreprises en vertu de l’accord sur le « territoire national ». La configuration européenne de l’entente et l’accord sur le « territoire national » constituaient ainsi deux faces de la même infraction.

79      Partant, chaque intervention de JPS consistant à manipuler un appel d’offres relatif à un projet de câbles localisé sur le « territoire national » européen, tout comme chaque rejet d’une invitation d’un client européen convenu au préalable avec les entreprises européennes, non seulement mettait en œuvre l’accord sur le « territoire national » et, par suite, la configuration A/R de l’entente, mais également contribuait à la mise en œuvre de sa configuration européenne.

80      Il s’ensuit que, en coopérant avec les entreprises européennes de la façon décrite aux points 69 à 74 ci-dessus, la requérante et JPS ont non seulement renforcé l’accord sur le « territoire national », mais également empêché l’attribution de projets de câbles sur le territoire européen selon le jeu de la libre concurrence.

81      Par conséquent, même si la requérante et JPS n’ont pas participé à l’attribution de projets à l’intérieur du « territoire national » européen, ou n’ont pas directement bénéficié de cette attribution, il n’en demeure pas moins que, par leurs pratiques décrites aux points 69 à 74 ci-dessus, elles ont, comme résultat, facilité cette attribution et ont ainsi contribué à la mise en œuvre de la configuration européenne de l’entente.

–       Sur la connaissance par la requérante et JPS de la configuration européenne de l’entente

82      Sur la question de savoir si la requérante et JPS avaient connaissance de la configuration européenne de l’entente ou si elles pouvaient raisonnablement prévoir son existence et étaient prêtes à en accepter le risque, il convient de relever, à titre liminaire, que l’argumentation de la requérante se résume à la question de savoir si, afin de pouvoir la tenir pour responsable de sa participation, ainsi que de celle de JPS, à la configuration européenne de l’entente, la Commission doit établir que la requérante et JPS avaient connaissance des détails de la répartition européenne, à savoir de l’identité des projets attribués, de leur valeur et de l’identité des entreprises attributaires, ou bien s’il suffit qu’elle établisse qu’elles savaient ou auraient pu savoir que les entreprises européennes se réunissaient afin de partager entre elles les projets réservés pour les membres R de l’entente. La requérante allègue que la charge de la preuve incombant à la Commission recouvre les détails de la répartition européenne.

83      Cette argumentation ne saurait prospérer. Les détails de la répartition européenne, tels que l’identité de tous les projets attribués, leur valeur et l’identité des entreprises attributaires, avaient, en effet, une importance secondaire pour les entreprises japonaises, dès lors que, à la suite de la conclusion de l’accord sur le « territoire national », qui était une condition nécessaire de la mise en œuvre de la configuration européenne de l’entente, elles s’étaient engagées à laisser le territoire européen aux entreprises européennes. C’est donc en raison de la nature même de l’engagement pris à l’égard des entreprises européennes par les entreprises japonaises, dont la requérante et JPS, que les détails de la répartition européenne ne présentaient pas d’intérêt pour celles-ci.

84      Cependant, conformément à la jurisprudence citée au point 48 ci-dessus, pour pouvoir considérer la requérante comme responsable de la participation de Hitachi et de JPS à la configuration européenne de l’entente, il est nécessaire que la Commission établisse qu’elle savait, ou aurait raisonnablement pu prévoir, en étant prête à en accepter le risque, que cette configuration existait et qu’elle avait pour but de répartir les projets européens parmi les participants européens à l’entente.

85      Il ressort de la décision attaquée, qui se fonde à cet égard largement sur les déclarations orales faites par Hitachi, Sumitomo et JPS dans le cadre de leur demande conjointe d’immunité, que la requérante était non seulement au courant de l’existence de la configuration européenne de l’entente et de l’identité de ses membres, mais connaissait également, ou pouvait connaître, des détails de la répartition des projets.

86      Tout d’abord, dans leurs premières déclarations orales déposées dans le cadre de la demande conjointe d’immunité et fournissant une description de l’entente, Hitachi, Sumitomo et JPS ont explicitement confirmé l’existence des accords collusoires entre les entreprises européennes visant à partager entre elles le marché européen et à empêcher l’entrée des entreprises japonaises sur ce marché. L’existence des accords susmentionnés serait d’ailleurs à l’origine de l’accord sur le « territoire national ». Dans d’autres déclarations, décrivant les modalités de la communication entre les membres R et A de l’entente, elles ont signalé que, dès lors que le coordinateur des membres A recherchait des instructions auprès du coordinateur des membres R concernant les invitations adressées aux entreprises japonaises par les clients européens, le coordinateur des membres R donnait ses instructions après avoir consulté les membres R. La requérante savait donc que les membres R s’accordaient entre eux avant de donner une instruction aux membres A, ce qui confirmait l’existence d’une collusion entre eux.

87      Ensuite, Hitachi et JPS connaissaient également l’identité de tous les membres R de l’entente. En effet, d’une part, elles entretenaient des contacts habituels avec Nexans France et Prysmian, tant par correspondance ou par communications téléphoniques que lors des réunions A/R. La décision attaquée fait également état de contacts directs relatifs à l’entente entre JPS et d’autres entreprises européennes, telles qu’ABB (considérants 221 et 294 de la décision attaquée) et Sagem, prédécesseur de Silec Cable (considérant 185 de la décision attaquée).

88      D’autre part, lors de réunions A/R, l’identité des autres entreprises européennes participant à l’entente a été dévoilée à Hitachi et JPS. Ainsi, par exemple, lors d’une réunion A/R organisée à Londres (Royaume-Uni) en septembre 2002, M. J., de Nexans France, a informé JPS qu’il entretenait des contacts réguliers avec nkt cables, Sagem, Brugg Kabel et ABB (considérant 218 de la décision attaquée). La participation de ces entreprises a également été abordée à l’occasion des autres réunions A/R (considérants 141, 157, 256, 270 et 286 de la décision attaquée).

89      La requérante affirme que les réunions A/R auxquelles Hitachi et JPS ont participé portaient uniquement sur la répartition des projets de câbles dans les « territoires d’exportation » et qu’il ne saurait être déduit de leur participation à ces réunions qu’elles étaient au courant de l’existence de la configuration européenne de l’entente ou de l’identité des entreprises impliquées dans cette configuration. Cette affirmation n’est guère plausible. Compte tenu de leur implication dans la mise en œuvre de l’accord sur le « territoire national » et de leur connaissance avérée de la répartition européenne des projets, il y a lieu de considérer que ces sociétés ne pouvaient pas raisonnablement croire que les entreprises européennes qui participaient au partage des projets de câbles dans les « territoires d’exportation » continuaient à se faire concurrence pour gagner des projets sur le « territoire national » européen.

90      En outre, c’est bien en se fondant sur les déclarations orales d’Hitachi et de JPS que la Commission a fourni, dans la décision attaquée, des exemples de manipulations d’appels d’offres concernant des projets localisés sur le « territoire national » européen et visant à ce que les entreprises européennes prédéfinies remportassent l’appel d’offres (considérant 231 de la décision attaquée).

91      Enfin, lors de l’audience, la requérante s’est concentrée sur l’allégation selon laquelle, à tout le moins pour la période antérieure au 1er octobre 2001, date de la cession de ses activités de câbles électriques à JPS, elle-même n’avait pas connaissance de la configuration européenne de l’entente, de sorte qu’elle n’a pas pu participer à une infraction unique et continue incluant une telle configuration.

92      À cet égard, il y a lieu de relever que, dans sa déclaration orale du 4 février 2009 faite dans le cadre de la demande conjointe d’immunité, la requérante indique ce qui suit concernant les événements antérieurs à 2001 : [confidentiel](1).

93      Il ressort de cette déclaration, premièrement, qu’elle se rapporte à l’origine de l’entente, en particulier à la période antérieure au 1er octobre 2001, deuxièmement, que la configuration européenne était un élément fondateur de l’entente, intégré d’emblée à la structure d’ensemble de l’infraction unique et continue, et, troisièmement, que la requérante a, dès cette période, eu connaissance de l’existence d’une répartition des projets entre les entreprises qui étaient membres de la configuration européenne de l’entente. L’allégation plaidée par la requérante lors de l’audience ne saurait donc prospérer.

94      Au demeurant, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence citée au point 49 ci-dessus, dans un cas où une entreprise n’a directement participé qu’à une partie des comportements anticoncurrentiels composant l’infraction unique et continue, mais a eu connaissance de l’ensemble des autres comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par les autres participants à l’entente dans la poursuite des mêmes objectifs, ou a pu raisonnablement les prévoir et avoir été prête à en accepter le risque, la Commission est en droit d’imputer à cette entreprise la responsabilité de l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant une telle infraction et, par la suite, de celle-ci dans son ensemble (voir arrêt du 26 janvier 2017, Villeroy et Boch/Commission, C‑644/13 P, EU:C:2017:59, point 49 et jurisprudence citée). Dès lors que, conformément à la déclaration orale reproduite au point 92 ci-dessus, la requérante, dès la période antérieure au 1er octobre 2001, pouvait raisonnablement prévoir l’ensemble des comportements infractionnels envisagés et était prête à en accepter le risque, son éventuelle ignorance d’une partie de ces comportements ne serait donc pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité pour l’ensemble desdits comportements et, par suite, pour l’infraction unique et continue.

95      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que, conformément aux exigences établies par la jurisprudence relative à la notion d’infraction unique et continue, la Commission a établi à suffisance de droit, premièrement, que la configuration A/R de l’entente, d’une part, et la configuration européenne de l’entente, d’autre part, s’inscrivaient dans le même plan d’ensemble ayant un objectif unique et commun, deuxièmement, que la requérante et JPS ont contribué à cet objectif par leur propre comportement anticoncurrentiel et, troisièmement, que la requérante et JPS avaient connaissance de l’existence de la configuration européenne de l’entente et connaissaient l’identité des entreprises européennes impliquées dans cette partie de l’entente.

96      Il s’ensuit que la Commission a constaté à juste titre, à l’article 1er, paragraphe 8, sous b) et c), de la décision attaquée, que JPS et Hitachi Metals, qui a succédé à Hitachi, avaient violé l’article 101 TFUE en participant à une infraction unique et continue englobant, outre la configuration A/R de l’entente, une configuration européenne impliquant la répartition des projets de câbles localisés sur le « territoire national » européen entre les producteurs européens.

–       Sur les arguments que la requérante tire des considérants 537 et 999 de la décision attaquée ainsi que de l’arrêt du Tribunal relatif à la première décision AIG

97      La conclusion formulée aux points 95 et 96 ci-dessus ne saurait être remise en cause par les arguments que la requérante tire, d’une part, du libellé des considérants 537 et 999 de la décision attaquée et, d’autre part, de la comparaison de l’entente visée par la décision attaquée avec l’entente dans le secteur des appareillages de commutation à isolation gazeuse (ci-après les « AIG »).

98      D’une part, la requérante relève que la Commission elle-même a affirmé, aux considérants 537 et 999 de la décision attaquée, que les entreprises japonaises et sud-coréennes « n’étaient pas impliquées dans la configuration européenne de l’entente » et que la répartition supplémentaire des projets dans le cadre de cette configuration était « le fait des seuls producteurs européens ». Compte tenu de ces affirmations, elle allègue que la Commission n’est pas fondée à la tenir pour responsable, conjointement avec son entreprise commune JPS, de la participation à cette partie de l’entente.

99      À cet égard, il a été conclu aux points 79 à 81 ci-dessus que la requérante et JPS ont non seulement mis en œuvre les accords composant la configuration A/R de l’entente, mais également contribué à la mise en œuvre de la configuration européenne de l’entente. Contrairement à ce qu’allègue la requérante, cette conclusion est confirmée par le texte de la décision attaquée. La Commission affirme, en effet, au considérant 554 de la décision attaquée, que Sumitomo, Hitachi et JPS ont « activement respecté le territoire national européen ». L’assertion au considérant 537 de cette décision, selon laquelle « pour des raisons objectives les entreprises japonaises et sud-coréennes n’étaient pas impliquées dans la configuration européenne de l’entente », signifie seulement que, en raison de la nature de leur engagement de se retirer du marché européen, les entreprises japonaises et sud-coréennes ne participaient pas au partage des projets localisés sur ce marché. En ce qui concerne les affirmations faites par la Commission au considérant 999 de la décision attaquée, il suffit de relever qu’elles se réfèrent à la question de l’individualisation de la sanction. Elles ne sont donc pas pertinentes pour apprécier la question de savoir si la Commission pouvait imputer à la requérante la responsabilité pour tous les accords composant l’infraction constatée dans la décision attaquée.

100    En tout état de cause, si les entreprises japonaises ne participaient pas directement au partage des projets localisés sur le « territoire national » européen, force est de constater que ce partage a été rendu possible précisément par le retrait des entreprises japonaises du marché européen en vertu de l’accord sur le « territoire national ». Ainsi, les constats opérés aux considérants 537 et 999 de la décision attaquée n’empêchent aucunement de reconnaître que la configuration européenne de l’entente partageait un objectif unique avec la configuration A/R de l’entente, ce qui permettait de qualifier ces deux configurations d’infraction unique et continue et de tenir les entreprises japonaises pour responsables de leur participation à l’intégralité de cette infraction unique et continue, dès lors qu’elles ont contribué à la réalisation de son objectif unique, tout en étant au courant de l’existence de la configuration européenne de l’entente.

101    D’autre part, en ce qui concerne l’argument tiré de la comparaison des accords faisant l’objet de la décision attaquée aux accords qui ont fait l’objet de la première décision AIG (voir point 43 ci-dessus), la requérante se méprend tant sur le fonctionnement de ces derniers accords que sur l’enseignement qui peut être tiré de l’arrêt du 12 juillet 2011, Toshiba/Commission (T‑113/07, EU:T:2011:343).

102    En effet, premièrement, il ressort de la première décision AIG que le partage des projets relatifs aux AIG dans le monde entier parmi les membres asiatiques et européens de l’entente était fondé sur un arrangement commun visant à maintenir le statu quo et les parts de marché historiques des entreprises participant à l’entente. En vertu de cet accord, les entreprises japonaises s’étaient engagées à ne pas entrer sur le marché européen, en échange d’un engagement réciproque des entreprises européennes. Il était également entendu que certains territoires dans lesquels les producteurs des AIG étaient traditionnellement présents seraient réservés uniquement à ces producteurs. Cet arrangement commun a ensuite été précisé par un accord portant sur le partage global des projets relatifs aux AIG entre un quota mondial conjoint européen et un quota mondial conjoint japonais, appelé accord GQ. Le quota mondial conjoint européen était lui-même partagé entre les entreprises européennes selon un accord particulier, l’accord EQ. L’accord GQ avait une portée globale, à l’exception de certains États réservés pour les producteurs historiques, dénommés « pays constructeurs », notamment quelques pays de l’Europe de l’Ouest et le Japon. L’accord GQ couvrait une grande partie du territoire européen qui ne faisait pas partie des pays constructeurs. Les producteurs européens souhaitaient obtenir un retrait total des entreprises japonaises du territoire européen, ce qui a donné lieu à la nécessité de garantir aux entreprises japonaises un plus grand pourcentage des projets relatifs aux AIG dans le monde, en échange des projets localisés en Europe. C’est pourquoi un mécanisme de compensation a été élaboré, afin d’imputer la valeur des projets localisés en Europe sur le quota mondial conjoint européen. Il est important de relever, cependant, que les pays constructeurs n’ont pas été couverts par le mécanisme de compensation et que l’attribution des projets localisés sur le territoire de ces pays n’avait aucune influence sur les quotas mondiaux des membres de l’entente.

103    Par contraste, la structure de l’accord faisant l’objet de la décision attaquée est plus simple. En effet, en l’espèce, pratiquement tout le territoire de l’EEE a été qualifié de « territoire national » européen et réservé aux entreprises européennes à l’instar des pays constructeurs dans le cas de l’entente relative aux AIG. La mise en place d’un mécanisme de compensation permettant de refléter la valeur des projets des câbles localisés sur le « territoire national » européen dans un quota mondial conjoint qui serait accordé aux entreprises européennes ne s’imposait donc pas. Ainsi, l’absence d’un tel mécanisme en soi ne saurait remettre en cause les liens qui existaient entre la configuration européenne de l’entente et sa configuration A/R.

104    Deuxièmement, dans le cadre du recours introduit contre la première décision AIG dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juillet 2011, Toshiba/Commission (T‑113/07, EU:T:2011:343), le Tribunal a eu à connaître d’un grief semblable à celui avancé par la requérante dans le cadre du présent moyen et tiré de l’absence de preuve d’une infraction unique et continue. Le Tribunal a rejeté ce grief en relevant, notamment, que la circonstance que la requérante dans l’affaire T‑113/07, l’entreprise japonaise Toshiba Corp., ne participait pas aux mesures collusoires spécifiques dans l’EEE était sans pertinence pour l’établissement de sa responsabilité pour la participation à une infraction unique et continue englobant lesdites mesures. Selon le Tribunal, au vu de la nature de son engagement en vertu de l’arrangement commun, sa participation dans ces mesures n’aurait pas été utile. Les producteurs japonais n’avaient, en effet, aucun intérêt à intervenir dans l’attribution même des projets relatifs aux AIG dans l’EEE, qu’ils s’étaient engagés à ne pas remporter. Le Tribunal en a conclu que le rôle passif des producteurs japonais en ce qui concernait l’attribution des projets relatifs aux AIG sur le marché de l’EEE n’était pas dû à leur choix, mais à la forme de leur participation à l’accord relatif au marché de l’EEE. En revanche, cette même participation était une condition préalable à ce que l’attribution des projets relatifs aux AIG dans l’EEE pût être effectuée entre les producteurs européens, soit en vertu du principe de protection des pays constructeurs, soit en vertu de l’accord GQ (arrêt du 12 juillet 2011, Toshiba/Commission, T‑113/07, EU:T:2011:343, points 221 et 222).

105    De même, dans le cadre du recours introduit contre la décision de la Commission du 27 juin 2012 modifiant la première décision AIG (arrêt du 19 janvier 2016, Toshiba/Commission, T‑404/12, EU:T:2016:18), le Tribunal a considéré que la contribution à l’infraction de l’entreprise japonaise Toshiba n’était pas moindre du fait qu’elle n’avait pas participé à l’attribution des projets relatifs à des AIG dans l’EEE, régie par l’accord EQ. Certes, le Tribunal a reconnu que la participation des producteurs japonais et celle des producteurs européens aux accords et aux pratiques concertées constatés dans la première décision AIG et visant l’EEE n’étaient pas de même nature. En effet, les entreprises japonaises, dont Toshiba, s’étaient engagées, dans le cadre de l’arrangement commun, à ne pas pénétrer le marché de l’EEE, et leur participation consistait donc en une omission d’agir. Les entreprises européennes, quant à elles, s’étaient réparties les différents projets relatifs à des AIG sur ce même marché, par le biais d’actes collusoires positifs. Toutefois, le Tribunal a relevé que l’omission d’agir des entreprises japonaises, dont Toshiba, était une condition préalable à ce que l’attribution des projets relatifs à des AIG dans l’EEE pût être effectuée entre les producteurs européens selon les règles convenues à cet effet. Ainsi, en respectant leurs engagements en vertu de l’arrangement commun, les entreprises japonaises apportaient une contribution nécessaire au fonctionnement de l’infraction dans son ensemble (voir arrêt du 19 janvier 2016, Toshiba/Commission, T‑404/12, EU:T:2016:18, points 139 à 141 et jurisprudence citée).

106    Il s’ensuit que, dans les arrêts du 12 juillet 2011, Toshiba/Commission (T‑113/07, EU:T:2011:343), et du 19 janvier 2016, Toshiba/Commission (T‑404/12, EU:T:2016:18), le Tribunal a rejeté le grief avancé par les entreprises japonaises et tiré de l’absence de preuve d’une infraction unique et continue pour des raisons qui sont, en substance, les mêmes que celles exposées aux points 54 à 96 ci-dessus. Ainsi, l’argument de la requérante est tiré d’une lecture erronée du premier de ces arrêts, tel que confirmé par le second, et doit, en conséquence, être écarté.

107    Il résulte de tout ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’erreurs de fait et de droit dans la détermination de la durée de la participation de JPS à l’infraction

108    Le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 101 TFUE, est invoqué à l’appui de la conclusion subsidiaire en annulation de l’article 1er, paragraphe 8, sous b) et c), de la décision attaquée.

109    Par ce moyen, la requérante reproche à la Commission une erreur d’appréciation et une erreur de droit en ce qu’elle a considéré que sa participation indirecte – par le biais de son entreprise commune JPS – à l’entente a duré jusqu’au 10 avril 2008. La requérante fait valoir que cette participation à l’entente s’est arrêtée en juillet 2006, date qui coïncide avec la création d’une entreprise commune par Nexans France et Viscas en vue de la fabrication commune de câbles électriques à haute tension au Japon.

110    Premièrement, la requérante allègue que la Commission n’a pas avancé, dans la décision attaquée, d’éléments de preuve suffisants pour établir la participation de JPS à l’entente après juillet 2006.

111    À cet égard, la requérante relève que, pendant la période allant de juillet 2006 à septembre 2007, la Commission n’a retenu que dix contacts entre JPS et les autres participants, dont certains auraient eu lieu soit dans le cadre d’une coopération légitime entre des concurrents, soit dans le contexte d’interactions sociales liées au personnel de JPS qui n’était plus impliqué dans les ventes internationales. De plus, tous ces contacts concerneraient des projets situés hors de l’EEE. La Commission aurait fondé sa conclusion concernant l’adhésion continue de JPS à l’accord sur le « territoire national » sur une seule déclaration orale d’ABB déposée dans le cadre de sa demande d’immunité et relative à une réunion entre ABB et JPS dépourvue de caractère anticoncurrentiel.

112    La requérante indique, en outre, que, depuis septembre 2007, JPS a mis fin même aux échanges occasionnels et à la coopération ponctuelle avec ses concurrents relativement aux projets dans les « territoires d’exportation ». Elle relève que la décision attaquée ne fait état d’aucun contact entre JPS et les autres participants pendant la période comprise entre septembre 2007 et avril 2008. Elle invoque également des preuves confirmant, à ses yeux, que, pendant cette période, JPS n’était pas disposée à s’engager dans ce type de contact avec ses concurrents et qu’elle a laissé sans réponse de nombreuses sollicitations de ces derniers.

113    Deuxièmement, la requérante soutient que la Commission n’a pas suffisamment tenu compte des éléments de preuve attestant que JPS s’est distanciée de l’accord sur le « territoire national ».

114    À cet égard, elle allègue que JPS a commencé à se retirer de l’entente dès juillet 2004 et que la création de l’entreprise commune par Nexans France et Viscas en juillet 2006 a signifié pour elle la fin de la protection par l’accord sur le « territoire national » et la nécessité de définir des stratégies commerciales nouvelles. Depuis cet événement, JPS se serait distanciée de l’entente par des démarches publiques, fermes et non équivoques, tout d’abord en annonçant son retrait aux autres membres lors de la réunion à Baveno (Italie) en octobre 2006. Ensuite, JPS aurait adopté une politique commerciale indépendante sur le marché européen, dans le cadre de laquelle elle aurait cherché à développer sa présence en Europe en concluant une alliance commerciale sous la forme d’une collaboration technique avec ABB ou, dans une moindre mesure, avec Prysmian. Enfin, après une période d’adaptation nécessaire pour nouer des relations commerciales, JPS aurait soumissionné de façon indépendante pour trois projets relatifs à des parcs éoliens situés en Europe, plus précisément au Royaume-Uni, à savoir les projets Thanet (19 juin 2007), Greater Gabbard (31 août 2007) et Ormonde (11 décembre 2007).

115    Troisièmement, la requérante fait valoir que, pour compenser l’insuffisance des preuves attestant la continuation de la participation de JPS à l’entente après juillet 2006, la Commission s’efforce de conforter ses conclusions par des déductions fondées sur des hypothèses inexactes, en contradiction avec les éléments de preuve.

116    La Commission conteste les arguments de la requérante.

–       Sur les exigences jurisprudentielles en matière de preuve

117    Selon une jurisprudence constante, la charge de la preuve d’une violation de l’article 101 TFUE incombe à la Commission (voir arrêt du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 86 et jurisprudence citée). Celle-ci est tenue de réunir des éléments de preuve suffisamment précis et concordants pour fonder la conviction que l’infraction a été commise (voir arrêt du 19 décembre 2013, Siemens e.a./Commission, C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P, non publié, EU:C:2013:866, point 217 et jurisprudence citée).

118    Toutefois, chacune des preuves apportées ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqués par la Commission, apprécié globalement, réponde à cette exigence (arrêts du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission, C‑407/08 P, EU:C:2010:389, point 47, et du 24 mars 2011, Aalberts Industries e.a./Commission, T‑385/06, EU:T:2011:114, point 45).

119    Il convient également de tenir compte du fait que les activités anticoncurrentielles se déroulent de manière clandestine, que les réunions se tiennent secrètement, que la documentation y afférente est réduite au minimum, que les pièces découvertes par la Commission ne sont normalement que fragmentaires et éparses, et que, partant, dans la plupart des cas, l’existence d’une pratique ou d’un accord anticoncurrentiel doit être inférée d’un certain nombre de coïncidences et d’indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une infraction aux règles de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, points 55 à 57 ; du 17 septembre 2015, Total Marketing Services/Commission, C‑634/13 P, EU:C:2015:614, point 26 et jurisprudence citée, et du 27 juin 2012, Coats Holdings/Commission, T‑439/07, EU:T:2012:320, point 42).

120    En outre, compte tenu du caractère notoire de l’interdiction des accords anticoncurrentiels, il ne saurait être exigé de la Commission qu’elle produise des pièces attestant de manière explicite une prise de contact entre les opérateurs concernés. Les éléments fragmentaires et épars dont pourrait disposer la Commission devraient, en toute hypothèse, pouvoir être complétés par des déductions permettant la reconstitution des circonstances pertinentes (voir arrêt du 12 juillet 2011, Toshiba/Commission, T‑113/07, EU:T:2011:343, point 82 et jurisprudence citée).

121    De même, étant donné que la Commission est souvent obligée de prouver l’existence d’une infraction plusieurs années après qu’elle a été commise, alors que plusieurs des entreprises impliquées n’ont pas activement coopéré à l’enquête, il serait excessif d’exiger qu’elle apporte la preuve du mécanisme spécifique par lequel le but anticoncurrentiel a été atteint. En effet, il serait trop aisé pour une entreprise coupable d’une infraction d’échapper à toute sanction si elle pouvait tirer argument du caractère vague des informations présentées au regard du fonctionnement d’un accord illicite dans une situation dans laquelle l’existence de l’accord et son but anticoncurrentiel sont pourtant établis de manière suffisante (arrêt du 12 décembre 2014, Eni/Commission, T‑558/08, EU:T:2014:1080, point 36).

122    Par ailleurs, la Commission doit prouver non seulement la participation d’une entreprise à une infraction, mais également sa durée. S’agissant de la détermination de la durée de la participation d’une entreprise donnée à une infraction, en l’absence d’éléments de preuve susceptibles d’établir directement la durée de l’infraction, la Commission doit invoquer, au moins, des éléments de preuve qui se rapportent à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon qu’il puisse être raisonnablement admis que cette infraction s’est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises (voir arrêt du 12 juillet 2011, Toshiba/Commission, T‑113/07, EU:T:2011:343, point 235 et jurisprudence citée).

123    Enfin, l’existence d’un doute dans l’esprit du juge doit profiter à l’entreprise destinataire de la décision constatant une infraction. Le juge ne saurait donc conclure que la Commission a établi l’existence de l’infraction en cause à suffisance de droit si un doute subsiste encore dans son esprit sur cette question, notamment dans le cadre d’un recours tendant à l’annulation d’une décision infligeant une amende. En effet, dans cette dernière situation, il est nécessaire de tenir compte du principe de la présomption d’innocence, tel qu’il résulte notamment de l’article 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Eu égard à la nature des infractions en cause ainsi qu’à la nature et au degré de sévérité des sanctions qui s’y rattachent, le principe de la présomption d’innocence s’applique notamment aux procédures relatives à des violations des règles de concurrence applicables aux entreprises susceptibles d’aboutir à la prononciation d’amendes ou d’astreintes. Ainsi, il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour fonder la ferme conviction que l’infraction alléguée a été commise (voir arrêt du 17 mai 2013, Trelleborg Industrie et Trelleborg/Commission, T‑147/09 et T‑148/09, EU:T:2013:259, point 50 et jurisprudence citée).

–       Sur la fixation par la Commission de la fin de la participation de JPS à l’entente au 10 avril 2008

124    À titre liminaire, il y a lieu de relever que la décision attaquée relate quelques incohérences ressortant du dossier quant à la date de la fin de la participation de JPS à l’entente. Il convient de les clarifier par un examen des documents sur lesquels la Commission a fondé ses conclusions.

125    Au considérant 943 de la décision attaquée, la Commission a indiqué ce qui suit :

« JPS a présenté des versions différentes concernant la date de fin définitive de sa participation à l’entente. JPS a avancé qu’elle a d’abord décidé de mettre un terme à sa participation aux discussions de coordination du marché en juillet 2004. Des contacts ad hoc se sont toutefois maintenus et, en octobre 2005, JPS a assisté à la réunion au Mitsui Guest House […] En octobre 2006, lors de la réunion A/R de Baveno […], JPS déclare avoir informé les autres participants qu’elle ne participerait pas à d’autres réunions. Selon une déclaration de la société, lors d’une réunion avec Nexans en 2007, JPS aurait alors précisé qu’elle ne participerait plus à toute autre coordination avec les concurrents. Dans une autre déclaration de la société, JPS avance que cette réunion a eu lieu le 10 avril 2008 […] Dans sa réponse à la communication des griefs, JPS avance toutefois qu’elle a mis fin à sa participation en juillet 2006, lors de l’établissement de l’entreprise commune Nexans-Viscas. »

126    Au considérant 438 de la décision attaquée, la Commission a indiqué ce qui suit :

« M. [J.] et M. [R.] (Nexans) ont rendu visite à JPS, Exsym et Viscas pour une série de réunions bilatérales à Tokyo les 9 et 10 avril 2008. Selon JPS, lors de la réunion entre JPS et Nexans, M. [S.] et M. [Y.] (JPS) ont sommé M. [J.] et M. [R.] d’arrêter de contacter JPS. JPS avance qu’il s’agit là de la fin de sa participation à l’entente. »

127    Selon la Commission, dans le cadre de la demande conjointe d’immunité, JPS et ses société mères auraient elles-mêmes admis avoir terminé leur participation à l’entente le 10 avril 2008. Cependant, comme le relève la Commission au considérant 943 de la décision attaquée, et comme cela ressort du dossier constitué devant le Tribunal, en particulier du point 253 de la réponse conjointe de JPS et de ses deux sociétés mères à la communication des griefs, ainsi que de la déclaration orale de la requérante du 17 décembre 2009 déposée dans le cadre de sa demande conjointe d’immunité, JPS et ses sociétés mères ont soutenu que JPS s’était retirée de l’entente deux ans plus tôt, en juillet 2006.

128    À cet égard, il convient de constater que les déclarations faites par Hitachi, Sumitomo et JPS dans le cadre de leur demande conjointe d’immunité ont manqué de cohérence et de clarté en ce qui concerne la sortie de JPS de l’entente. Par ailleurs, comme cela a été relevé au point 21 ci-dessus, c’est précisément ce manque de clarté qui a affaibli, aux yeux de la Commission, la valeur des éléments de preuve fournis par la requérante dans le cadre de sa demande conjointe d’immunité et a abouti à une réduction du montant de l’amende moindre que celle qui avait été demandée (réduction de 45 %, au lieu des 50 % demandés).

129    Les déclarations orales de la requérante corroborent les différentes dates mentionnées par la Commission aux considérants 943 et 438 de la décision attaquée. [confidentiel]

130    En ce qui concerne les raisons qui ont amené la Commission à retenir le 10 avril 2008 comme la date de fin de la participation indirecte de la requérante à l’entente, elles sont résumées au considérant 944 de la décision attaquée de la façon suivante :

« Les éléments de preuve disponibles, tels que présentés dans la section 3, démontrent que JPS a continué à particip[er] aux réunions et à d’autres contacts concernant l’entente jusqu’au 10 avril 2008 […] Selon JPS, ces contacts ne concernaient pas l’accord sur le territoire national ou portaient uniquement sur des contacts ad hoc concernant l’attribution de projets dans les territoires d’exportation. Il est toutefois clair que JPS, par sa participation continue aux réunions et contacts jusqu’au 10 avril 2008, ne s’est pas dégagée de sa responsabilité par une dissociation complète et ouverte de l’ensemble de l’entente comme le requiert la jurisprudence. Alors que des contacts entre certaines des parties ont pu avoir pris une forme différente à partir de mi-2004, il n’y a pas de preuve que JPS ait exprimé une réelle volonté de se dissocier de l’entente. Tout changement dans ses actions semble provenir de mesures visant à dissimuler les aspects les plus dangereux de l’entente aux autorités antitrust. Le fait que, selon JPS, les éléments de preuve de 2007 concernent l’attribution de projets dans les territoires d’exportation n’est pas suffisant pour conclure qu’elle s’était retirée de l’entente. De par sa nature, l’accord sur le territoire national n’exigeait pas des contacts continus et JPS n’a souligné aucun élément de preuve établissant qu’elle a communiqué son retrait de cette partie de l’arrangement unique et continu. En outre, si JPS avance qu’elle a tenté d’obtenir des projets dans l’EEE en 2007, il est clair que les autres participants supposaient toujours que JPS respecterait l’accord sur le territoire national, ainsi qu’il ressort du [c]onsidérant 437. »

131    À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, la distanciation publique de l’entente est requise dans le cas d’une participation d’une entreprise à une réunion anticoncurrentielle, afin de renverser la présomption du caractère illicite d’une telle réunion. En revanche, en ce qui concerne la participation non à des réunions anticoncurrentielles individuelles, mais à une infraction s’étendant sur plusieurs années, l’absence d’une distanciation publique ne constitue qu’un des éléments parmi d’autres à prendre en considération en vue d’établir si une entreprise a effectivement continué à participer à une infraction ou, au contraire, a cessé de le faire (arrêt du 17 septembre 2015, Total Marketing Services/Commission, C‑634/13 P, EU:C:2015:614, points 20 à 23).

132    Il y a lieu de préciser que la compréhension qu’ont les autres membres d’une entente de l’intention de l’entreprise concernée est déterminante pour apprécier si cette dernière a entendu se distancier de l’accord illicite (arrêts du 20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission, C‑373/14 P, EU:C:2016:26, point 62, et du 11 juillet 2014, Esso e.a./Commission, T‑540/08, EU:T:2014:630, point 40).

133    Il s’ensuit que, contrairement à ce que soutient la Commission, en l’espèce, le seul fait que JPS ne se soit pas distanciée publiquement de l’entente jusqu’au 10 avril 2008 n’est pas en soi suffisant pour constater que JPS a participé à l’entente jusqu’à cette date. Il convient donc d’apprécier cette circonstance à la lumière d’autres éléments de preuve avancés par la Commission dans la décision attaquée et confirmant la participation de la requérante à l’entente. Cette appréciation globale est d’autant plus nécessaire, en l’espèce, qu’il est constant entre les parties que la Commission n’a pas apporté de preuve d’une participation de JPS à une réunion anticoncurrentielle entre le mois de septembre 2007 et le 10 avril 2008.

–       Sur les preuves de la participation de JPS à l’accord sur le « territoire national » après juillet 2006

134    La requérante fait valoir que les preuves invoquées dans la décision attaquée en ce qui concerne la participation de JPS à l’entente pendant la deuxième moitié de l’année 2006 et au cours de l’année 2007 se réfèrent uniquement à sa participation à l’accord sur les « territoires d’exportation ». Or, selon la requérante, seule la participation d’Hitachi, et, plus tard, de JPS, à l’accord sur le « territoire national » pourrait être considérée comme une violation de l’article 101 TFUE.

135    La requérante relève, notamment, que les réunions évoquées par la Commission dans la décision attaquée, auxquelles JPS a participé, ont concerné les projets situés :

–        en Chine, au Moyen-Orient et en Amérique du Sud (projets discutés pendant la réunion à Baveno du 6 octobre 2006 entre JPS, Viscas, Prysmian et Nexans France) (voir considérant 410 et point 375 de l’annexe I de la décision attaquée) ;

–        au Moyen-Orient [discussions entre Nexans France et les fournisseurs japonais et sud-coréens en marge de la conférence de la Fédération internationale des fabricants de câbles à Chicago (États-Unis) entre les 18 et 22 octobre 2006) (voir point 376 de l’annexe I de la décision attaquée] ;

–        en Libye [réunion entre Nexans France et JPS en mai 2007 à Paris (France)] (considérant 422 et point 390 de l’annexe I de la décision attaquée) ;

–        au Qatar (réunion à Tokyo du 27 au 28 juin 2007 entre Nexans France, JPS et Exsym) (considérant 423 et point 394 de l’annexe I de la décision attaquée).

136    Or, il résulte de l’examen du dossier que la Commission a établi, à suffisance de droit, la participation de JPS, l’entreprise commune de la requérante et de Sumitomo, à l’accord sur le « territoire national » jusqu’au 10 avril 2008. Dans ce contexte, la participation de JPS aux réunions portant sur l’attribution des projets localisés dans les « territoires d’exportation » n’est pas le seul élément de preuve invoqué par la Commission, mais un des indices dont elle a pu tenir compte.

137    En ce qui concerne la participation de JPS à l’accord sur le « territoire national » après la création de l’entreprise commune de Nexans France et de Viscas, la Commission a indiqué, au considérant 425 de la décision attaquée, que le 10 ou le 11 juin 2007, un représentant de JPS, M. S., a rencontré un représentant d’ABB. Dans le cadre de sa demande d’immunité, ABB a déclaré que [confidentiel].

138    Cette déclaration orale d’ABB confirme que, en juin 2007, JPS était encore impliquée dans l’accord sur le « territoire national ».

139    La requérante ne conteste pas la tenue de la réunion en cause, mais affirme que ladite réunion avait un objectif légitime, à savoir le développement d’une coopération avec ABB en vue de renforcer la présence de JPS en Europe et de lui permettre de se présenter dans les appels d’offres sur le territoire de l’EEE, notamment en réponse à la création de l’entreprise commune de Nexans France et de Viscas. La requérante soutient également que cet élément de preuve ne saurait être considéré comme suffisant pour établir la participation de JPS à l’accord sur le « territoire national », dans la mesure où il ne s’agit que d’une seule déclaration faite dans le cadre d’une demande d’immunité d’ABB, non corroborée par d’autres éléments de fait.

140    À cet égard, tout d’abord, il ressort de la jurisprudence qu’une déclaration d’une entreprise à laquelle il est reproché d’avoir participé à une entente, dont l’exactitude est contestée par plusieurs autres entreprises concernées, ne peut être considérée comme constituant une preuve suffisante de l’existence d’une infraction commise par ces dernières sans être étayée par d’autres éléments de preuve, étant entendu que le « degré de corroboration » requis peut être moindre, du fait de la fiabilité des déclarations en cause (arrêt du 19 décembre 2013, Siemens e.a./Commission, C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P, non publié, EU:C:2013:866, point 189).

141    Ensuite, il découle de manière plus spécifique du principe de la libre appréciation des preuves que la question de savoir si, voire dans quelle mesure, un élément de preuve est susceptible d’en corroborer un autre n’est pas régie par des règles précises, notamment quant à la forme ou à la source des éléments de nature à assurer une corroboration, mais uniquement par le critère de la crédibilité de la preuve (arrêt du 19 décembre 2013, Siemens e.a./Commission, C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P, non publié, EU:C:2013:866, point 190).

142    Enfin, selon la jurisprudence, le fait de demander à bénéficier de l’application de la communication sur la clémence en vue d’obtenir une immunité ou une réduction du montant de l’amende ne crée pas nécessairement une incitation à présenter des éléments de preuve déformés en ce qui concerne la participation des autres membres de l’entente. En effet, toute tentative d’induire la Commission en erreur pourrait remettre en cause la sincérité ainsi que la complétude de la coopération du demandeur et, partant, mettre en danger la possibilité pour celui-ci de tirer pleinement bénéfice de la communication sur la clémence (voir arrêt du 21 mai 2014, Toshiba/Commission, T‑519/09, non publié, EU:T:2014:263, point 50 et jurisprudence citée).

143    En l’espèce, la réunion en cause n’impliquait qu’ABB et JPS. Partant, même si JPS est la seule à contester l’exactitude de la déclaration d’ABB relative au caractère de cette réunion, cette contestation unique affaiblit la valeur de la déclaration d’ABB en tant que preuve de la participation de JPS à l’accord sur le « territoire national ». Ainsi, d’autres indices de la participation de JPS à cet accord doivent corroborer la déclaration d’ABB.

144    Or, la décision attaquée fait état de tels indices.

145    Premièrement, au considérant 428 et au point 395 de l’annexe I de la décision attaquée, la Commission fait état d’un échange de courriels datant du 2 août 2007 entre M. J., de Nexans France, et M. C., de Viscas, qui servait à l’époque de coordinateur des membres A. Dans cet échange de courriels, M. C. confirme que « personne n’avait soumis d’offre pour un projet de parc éolien en Allemagne ». Il y a lieu de comprendre ce courriel comme confirmant qu’aucune entreprise japonaise, y compris JPS, n’avait participé à ce projet, ce qui, au moins indirectement, constitue un indice de l’adhésion continue de JPS à l’accord sur le « territoire national » encore au mois d’août 2007 et corrobore la déclaration d’ABB relative à sa réunion avec JPS en juin 2007.

146    Deuxièmement, il ressort du considérant 437 de la décision attaquée que, le 7 mars 2008, le coordinateur du côté des membres R, M. J., de Nexans France, a envoyé à M. I., de Viscas, qui était à l’époque le coordinateur des membres A, un courriel concernant la participation de JPS à un projet de câbles pour un parc éolien localisé au Royaume-Uni, libellé comme suit :

« Nous avons noté avec surprise l’implication d’A (JP) via une société appelée Eclipse dans un projet SM Ormonde (Royaume-Uni) (…) Veuillez clarifier. »

147    Tout d’abord, il convient de considérer que ce courriel, apprécié conjointement avec la déclaration d’ABB mentionnée au point 137 ci-dessus et les échanges entre Nexans France et Viscas mentionnés au point 145 ci-dessus, confirme que JPS a continué à adhérer à l’accord sur le « territoire national » bien au-delà de juin 2006. Il constitue, en effet, un indice que JPS a décidé de modifier son comportement sur le marché européen seulement au moment où, sans s’accorder avec les autres membres de l’entente, elle a soumissionné pour le projet Ormonde en décembre 2007.

148    Ensuite, ce courriel confirme la thèse de la Commission selon laquelle la participation de JPS aux accords constituant l’entente a perduré jusqu’au printemps 2008, dans la mesure où M. J. y a exprimé son étonnement de voir un membre A apparaître sur le territoire européen. Cet étonnement confirme que, à l’époque de ce courriel, l’accord sur le « territoire national » était toujours applicable et considéré comme obligatoire pour tous ses membres.

149    En outre, il résulte de ce courriel que, même en soumissionnant pour le projet Ormonde en décembre 2007, JPS ne s’est pas écartée ouvertement, fermement, sans équivoque et publiquement de l’accord sur le « territoire national ». En effet, M. J. a indiqué que JPS a présenté une offre « via une société appelée Eclipse ». Certes, il a été précisé qu’Eclipse était le développeur du parc éolien auteur de l’appel d’offres et que le soumissionnaire était Mitsubishi Cable Industries. Néanmoins, cela n’infirme pas le constat d’absence d’écart ouvert, ferme, non équivoque et public de JPS.

150    Enfin, la vive réaction de M. J. à la présence de JPS dans le cadre du projet Ormonde contraste avec le manque d’une quelconque réaction des membres européens de l’entente à la participation de JPS aux marchés relatifs à deux autres projets de parcs éoliens localisés au Royaume-Uni, à savoir Thanet et Greater Gabbard, pour lesquels, selon les affirmations de la requérante, JPS a soumissionné, respectivement le 19 juin et le 31 août 2007. En ce qui concerne le projet Greater Gabbard, la requérante affirme que JPS a tenté de soumissionner pour ce projet en créant un consortium avec Prysmian, qui a rejeté cette proposition. C’est à la suite de ce refus que JPS aurait soumissionné de façon autonome. Toutefois, il ne ressort pas de la décision attaquée que l’offre de JPS ait provoqué une réaction de la part des autres membres de l’entente, alors que, comme cela ressort du considérant 435 et du point 401 de l’annexe I à la décision attaquée, ce projet a fait l’objet de discussions entre Prysmian et Nexans France. Quant au projet Thanet, prétendument remporté par un consortium constitué par Prysmian et Siemens, la décision attaquée ne détaille pas les circonstances de son attribution et ne mentionne aucune réaction de la part des autres membres de l’entente.

151    La vive réaction de M. J. à la participation de JPS au marché relatif au projet Ormonde et le silence quant aux projets Thanet et Greater Gabbard permettent d’avoir considéré, avec une plausibilité suffisante, que le fait que JPS a présenté son offre pour ces deux marchés n’était probablement pas inattendu pour les autres membres de l’entente. Ainsi, le courriel de M. J., prélevé par la Commission au cours des inspections chez Nexans France, affaiblit la valeur probatoire des déclarations faites par JPS et ses sociétés mères dans le cadre de leur demande conjointe d’immunité, telles que jointes à la requête, et contredit les arguments de la requérante fondés sur ces déclarations, selon lesquels la participation de JPS à ces trois marchés traduisait une véritable volonté de JPS de se distancier de l’accord sur le « territoire national » et de se tourner vers le marché de l’EEE.

152    Troisièmement, les éléments de preuve recueillis par la Commission quant à la participation de JPS à la répartition des projets situés dans les « territoires d’exportation », en particulier leur participation à des réunions anticoncurrentielles avec d’autres membres de l’entente, corroborent également les éléments de preuve relatifs à sa participation à l’accord sur le « territoire national ».

153    Il ressort, en effet, de la décision attaquée que, dès leur origine, l’accord sur le « territoire national » et l’accord sur les « territoires d’exportation » ont été discutés ensemble comme des parties d’un seul accord global. Ce lien entre les deux accords est confirmé par les documents contemporains des faits fournis par Hitachi, Sumitomo et JPS et relatifs aux discussions lors de la réunion A/R qui s’est tenue à Zurich (Suisse) le 18 février 1999, en présence de représentants de Sumitomo et de Hitachi, et qui, selon la Commission, a marqué le début de l’infraction. De nombreuses preuves invoquées par la Commission dans la décision attaquée confirment que les discussions tenues lors des réunions A/R portaient tant sur le partage des projets dans les « territoires d’exportation » que sur la mise en œuvre de l’accord sur le « territoire national » (voir, notamment, considérants 157 à 162, 173 à 175, 179, 185 ou 193 de la décision attaquée en ce qui concerne les réunions organisées en 2001, considérants 198 à 200, 214, 221 ou 228 de la même décision en ce qui concerne les réunions organisées en 2002, considérants 245 à 247, 251 ou 258 de cette décision en ce qui concerne les réunions organisées en 2003 ou encore considérants 301 ou 303 de ladite décision en ce qui concerne les réunions organisées en 2004). La requérante ne conteste pas ce fait, du moins en ce qui concerne la période s’étendant du mois de février 1999 à la moitié de l’année 2004. Les preuves réunies par la Commission, non contestées par la requérante, démontrent également que, bien que le nombre de réunions ait chuté en 2005 et que les membres de l’entente soient devenus plus prudents après la découverte de l’entente dans le secteur des AIG vers la moitié de l’année 2004 (considérants 301 et 342 de la décision attaquée), l’accord sur le « territoire national » continuait à être appliqué (voir, notamment, les échanges et les communications entre les représentants de Nexans France, Pirelli, Exsym et LS Cable mentionnés aux considérants 328 et 343 de la décision attaquée).

154    Au regard de ces éléments, l’argument de la requérante selon lequel les réunions auxquelles JPS a participé au cours de la deuxième moitié de l’année 2006 et en 2007 ne portaient que sur le partage des projets dans les « territoires d’exportation » et ne peuvent donc confirmer que sa participation à cet accord n’est pas plausible. D’une part, il est peu probable que, après plusieurs années de collaboration, les entreprises européennes aient décidé de continuer à partager les projets localisés dans les « territoires d’exportation » avec les entreprises japonaises, tout en acceptant le risque que ces dernières viennent leur faire concurrence sur leur territoire national. D’autre part, le nombre moins important de preuves relatives au fonctionnement de l’accord sur le « territoire national » s’explique par le fait que cet accord repose sur un concept simple qui peut être mis en œuvre facilement sans que la communication continue entre les entreprises concernées soit nécessaire (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2011, Toshiba/Commission, T‑113/07, EU:T:2011:343, point 123). Il peut s’expliquer également par la volonté des membres de l’entente de cacher les aspects les plus dangereux de leur entente et leur crainte de poursuites, qui s’est avivée à partir de la découverte de l’entente dans le secteur des AIG vers la moitié de l’année 2004 (considérant 301 de la décision attaquée).

155    S’agissant plus précisément des réunions dont la portée est contestée par la requérante, dans la décision attaquée, la Commission a fait état de six réunions de JPS avec ses concurrents qui ont eu lieu pendant la période comprise entre la création de l’entreprise commune entre Viscas et Nexans France en juillet 2006 et le mois de septembre 2007. Il s’agit des réunions suivantes :

–        une réunion à Karlskrona (Suède) entre ABB et JPS, organisée le 15 septembre 2006 (point 373 de l’annexe I de la décision attaquée) ;

–        une réunion à Baveno entre JPS, Viscas, Prysmian et Nexans France, organisée le 6 octobre 2006 (considérant 410 et point 375 de l’annexe I de la décision attaquée) ;

–        des réunions en marge de la conférence de la Fédération internationale des fabricants de câbles à Chicago entre Nexans France, Prysmian, JPS et Viscas, organisées les 18 et 22 octobre 2006 (point 376 de l’annexe I de la décision attaquée) ;

–        une réunion bilatérale à New York (États-Unis) entre M. R., de Nexans France, et M. J. Y., de JPS, organisée le 12 décembre 2006 (point 379 de l’annexe I de la décision attaquée) ;

–        une réunion bilatérale à Paris entre M. J., de Nexans France, et M. S., de JPS, organisée en mai 2007 (considérant 422 et point 390 de l’annexe I de la décision attaquée) ;

–        une réunion à Tokyo entre Nexans France, JPS et Exsym, organisée le 27 ou le 28 juin 2007 (point 394 de l’annexe I de la décision attaquée).

156    Même à supposer que, comme le soutient la requérante, la réunion à Karlskrona n’ait pas eu d’objectif anticoncurrentiel et ait porté sur une collaboration légitime envisagée entre JPS et ABB, ce qui serait d’ailleurs confirmé par cette dernière, et que la réunion à New York entre MM. J. et J. Y. ait eu un caractère privé, il n’en reste pas moins que JPS a continué à rencontrer ses concurrents, qui étaient membres de l’accord sur le « territoire national », sans se distancier de manière publique et univoque de cet accord.

157    En outre, en ce qui concerne la réunion entre Nexans France, JPS et Exsym à Tokyo, organisée le 27 ou le 28 juin 2007, il convient de relever que, selon la requérante, cette réunion concernait exclusivement l’attribution d’un projet au Qatar et que le représentant de JPS avait initialement refusé d’y participer. Toutefois, au point 394 de l’annexe I de la décision attaquée, la Commission mentionne, en se fondant sur les éléments de preuve fournis par JPS et prélevés au cours des inspections chez Nexans France, que, au-delà de l’examen d’un projet situé en dehors de l’EEE, cette réunion a eu pour objet la discussion et l’attribution de plusieurs projets de câbles sous-marins, y compris un projet grec dénommé « Evia Attika ». Même si, selon la description de la Commission, la Grèce appartenait aux « territoires d’exportation », force est de constater que la Commission a ainsi recueilli des preuves confirmant que cette réunion anticoncurrentielle, à laquelle JPS a participé, a concerné un projet localisé sur le territoire de l’EEE. De plus, concernant un projet thaïlandais, il est indiqué « à vérifier par JPS », ce qui suggère que la participation de JPS à cette réunion n’était pas seulement passive.

158    Il résulte de ce qui précède que les éléments de preuve recueillis par la Commission confirment à suffisance de droit que JPS a participé à l’accord sur le « territoire national » jusqu’au 11 décembre 2007, moment où, sans s’accorder avec ses concurrents, elle a décidé de participer au projet Ormonde. Cependant, compte tenu du fait que JPS n’a pas porté sa participation à ce projet à la connaissance des autres membres de l’entente et que, de manière générale, elle n’a pas pris une position univoque et définitive sur sa participation à l’entente à cette époque, la date à laquelle JPS a présenté son offre dans le cadre dudit projet ne saurait être retenue comme la date de la fin de sa participation à l’entente.

159    Il s’ensuit que la Commission a pu admettre, conformément à la jurisprudence citée au point 122 ci-dessus et sans commettre d’erreur d’appréciation, que c’était seulement au moment où JPS avait clairement sommé les autres participants de l’entente, en l’occurrence MM. J. et R., de Nexans France, d’arrêter de la contacter, ce qui a eu lieu lors de la réunion tenue à Tokyo le 10 avril 2008, qu’elle a définitivement mis fin à sa participation à une infraction à l’article 101 TFUE.

–       Sur les éléments de preuve avancés par la requérante aux fins d’alléguer la distanciation publique de l’entente de JPS

160    Les arguments avancés par la requérante quant à l’absence d’une quelconque communication entre JPS et les autres membres de l’entente pendant la période comprise entre le mois de septembre 2007 et le mois d’avril 2008 ainsi que les éléments de preuve allégués qui, selon elle, confirmeraient sa distanciation publique de l’accord sur le « territoire national », voire de l’entente en général, ne sont pas de nature à infirmer la conclusion formulée au point 159 ci-dessus.

161    À cet égard, d’une part, la requérante allègue qu’un échange de courriels entre un représentant d’Exsym et M. R., de Nexans France, datant du début du mois de décembre 2007, ainsi que les notes prises par M. J. lors d’une réunion A/R du 3 décembre 2007 confirment que, à cette époque, JPS n’était pas disposée à examiner des accords illégaux, en rendant ainsi impossible toute attribution des projets.

162    D’autre part, la requérante fait valoir que JPS n’a pas répondu aux sollicitations répétées qui lui ont été adressées en septembre 2007 par M. A., de Prysmian. Elle indique que la seule réponse qu’elle a envoyée à de telles sollicitations date du 8 février 2008. Ce jour-là, en réponse à un courriel de M. J., de Nexans France, concernant la sous-traitance d’un projet localisé en dehors de l’EEE et contenant une proposition de prix de soumission pour un nouveau projet, M. S., de JPS, aurait écrit ce qui suit :

« Cher M. [J.], j’ai constaté que votre courriel pourrait contenir des informations sensibles auxquelles je ne peux pas accéder sans accord légitime. Selon le programme de conformité de JPS, les membres du personnel doivent retourner rapidement les courriers posant des problèmes potentiels, sans entrer dans les détails. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir comprendre la situation ou de bien vouloir la vérifier auprès de votre département de conformité. »

163    S’agissant de la recevabilité de ce courriel du 8 février 2008, il y a lieu de relever que, bien que, par son contenu, il constitue un important élément à décharge, son existence n’est pas abordée dans la décision attaquée. En outre, si la requérante a joint une copie de ce courriel à sa requête, elle affirme, en note en bas de page 103 de celle-ci, que ce document « ne figur[e] pas dans le dossier de la Commission ».

164    Cependant, le fait que ce document n’ait pas été porté à la connaissance de la Commission au cours de la procédure administrative, même dans le cadre de la demande conjointe d’immunité de la requérante, ne saurait affecter sa recevabilité comme preuve dans la procédure devant le Tribunal.

165    En effet, la Cour a confirmé que, dans le cadre du contrôle de la légalité des actes des institutions, le Tribunal doit assurer un contrôle approfondi des décisions de la Commission prises en vertu de l’article 101 TFUE, et ce compte tenu de l’ensemble des éléments soumis par la requérante, que ceux-ci soient antérieurs ou postérieurs à la décision entreprise, qu’ils aient été préalablement présentés dans le cadre de la procédure administrative ou, pour la première fois, dans le cadre du recours dont le Tribunal est saisi, dans la mesure où ces derniers éléments sont pertinents pour le contrôle de la légalité de la décision de la Commission (arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 72).

166    S’agissant du contexte de ce courriel du 8 février 2008, il convient de constater que, dans un courriel du 6 décembre 2007, adressé à M. R., au sujet de l’attribution éventuelle d’un projet hors de l’EEE, le représentant d’Exsym a fait observer qu’« une discussion urgente/directe avec Viscas [était] nécessaire », tout en reconnaissant qu’il était « dans l’ignorance au sujet de JP[S] ». Quelques jours plus tard, le 10 décembre 2007, en revenant vers M. R., il a expliqué qu’il avait parlé avec JPS et qu’il avait été « [i]nformé que celle-ci n’[avait] pas l’intention d’examiner ce dossier avec autrui et n’[était] pas disposée à conclure un accord ». Il a poursuivi en affirmant :

« Nous sommes donc obligés de laisser ce dossier libre et ouvert. »

167    Selon la requérante, cet échange de courriels, démontrant le refus de JPS de coopérer avec ses concurrents, serait cohérent avec les notes de M. J., de Nexans France, relatives à la réunion A/R du 3 décembre 2007, réunion à laquelle JPS n’a pas participé, dans lesquelles celui-ci indique que la situation était « [t]oujours difficile pour l’instant avec JPS » (considérant 434 de la décision attaquée). Ces échanges, appréciés conjointement avec le courriel de M. S. du 8 février 2008 et avec la participation de JPS au projet Ormonde en décembre 2007, confirmeraient que celle-ci s’était déjà distanciée de l’entente à partir de septembre 2007.

168    Certes, les éléments invoqués par la requérante suggèrent que, vers la fin de 2007 et au début de 2008, JPS tentait de se distancier dans une certaine mesure de la répartition des projets localisés dans les « territoires d’exportation ». En outre, il ressort de la décision attaquée que, en refusant de contacter ces concurrents, JPS invoquait des raisons de « politique de conformité » avec le droit de la concurrence qui serait appliquée au sein de l’entreprise.

169    Toutefois, ces documents attestent également que les autres participants de l’entente continuaient de contacter JPS. Les autres participants croyaient donc toujours que JPS était membre de l’entente et qu’il convenait de coordonner avec elle les décisions relatives aux projets localisés dans les « territoires d’exportation ». En outre, il résulte de l’examen des arguments de la requérante effectué aux points 146 à 151 ci-dessus que, au moins jusqu’au 7 mars 2008, les autres participants de l’entente croyaient que JPS respectait l’accord sur le « territoire national ».

170    Or, selon la jurisprudence mentionnée au point 132 ci-dessus, la distanciation publique de l’entente doit être appréciée selon la perception objective des autres participants de l’entente, et non selon la perception subjective de l’entreprise qui se prévaut d’une telle distanciation.

171    À cet égard, il ressort du dossier que, vers la fin de 2007, l’entente était déjà en train de se déliter, notamment à la suite des velléités de JPS, qui était un acteur important du côté asiatique, de s’en écarter. Cependant, contrairement à ce que soutient la requérante, les tentatives de JPS n’étaient pas fermes et univoques et, globalement, attestaient plutôt une attitude hésitante de JPS envers l’entente. Une telle attitude caractérise une entreprise qui, sans vouloir perdre les bénéfices de la participation à un accord anticoncurrentiel, essaye d’éviter des risques liés à cette participation.

172    Partant, il y a lieu de considérer que cette attitude a été correctement définie par la Commission comme une absence de distanciation publique par JPS de l’ensemble de l’entente, y compris de l’accord sur le « territoire national ».

173    Il convient de constater que cette absence de distanciation publique fait partie d’un faisceau d’indices composé de la déclaration d’ABB relative à sa réunion avec JPS le 10 ou le 11 juin 2007 (point 137 ci-dessus), de l’échange de courriels datant du 2 août 2007 entre M. J., de Nexans France, et M. C., de Viscas (point 145 ci-dessus), du courriel du 7 mars 2008 de M. J., de Nexans France, à M. I., de Viscas (point 146 ci-dessus), et de la participation continue de JPS aux réunions portant sur la répartition des projets localisés dans les « territoires d’exportation » (points 152 à 155 ci-dessus). Tous ces éléments, pris ensemble, constituent une preuve suffisante de la participation continue de JPS à l’infraction à l’article 101 TFUE jusqu’au 10 avril 2008, nonobstant la soumission de JPS pour le projet Ormonde du 11 décembre 2007 et le courriel de M. S. du 8 février 2008.

174    Il s’ensuit que c’est à juste titre que la Commission a constaté, à l’article 1er, paragraphe 8, sous b) et c), de la décision attaquée, que la requérante, qui a succédé à Hitachi, a participé à une infraction à l’article 101 TFUE pendant la période comprise entre le 18 février 1999 et le 10 avril 2008 et que JPS, l’entreprise commune créée par Hitachi et Sumitomo, a participé à cette infraction pendant la période comprise entre le 1er octobre 2001 et le 10 avril 2008.

175    Il résulte de tout ce qui précède que le deuxième moyen doit être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation de la gravité de l’infraction dans le calcul du montant de l’amende

176    Le troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, est invoqué à l’appui du troisième chef de conclusions, visant à obtenir, à titre encore plus subsidiaire, l’annulation de l’article 2, sous m), de la décision attaquée.

177    Par ce moyen, la requérante soutient que la jurisprudence relative à la fixation des amendes oblige la Commission à apprécier la gravité de l’infraction sur une base individuelle et à la lumière d’une éventuelle variation de cette gravité dans le temps. Ainsi, le fait qu’une entreprise n’a joué qu’un rôle mineur dans les aspects de l’infraction auxquels elle a participé devrait être pris en compte lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction et, le cas échéant, de la détermination du montant de l’amende. Par ailleurs, en application du paragraphe 29 des lignes directrices pour le calcul des amendes de 2006, la Commission devrait prendre en compte la participation substantiellement réduite d’une entreprise à une infraction lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction aux fins de la détermination du montant de base de l’amende, ou, à titre subsidiaire, lors de l’ajustement du montant de base en fonction des circonstances atténuantes ou aggravantes.

178    Or, selon la requérante, la Commission, dans la décision attaquée, aurait refusé de reconnaître, au titre des circonstances atténuantes, la participation substantiellement réduite de JPS à l’infraction pendant la période comprise entre juillet 2006 et avril 2008, au cours de laquelle JPS n’aurait participé à aucune discussion ou attribution dans le cadre de l’accord sur le « territoire national », n’aurait eu que des contacts sporadiques et ponctuels concernant des projets situés en dehors de l’EEE et n’aurait contribué à aucune forme de coopération illégale. La Commission se serait contentée de traiter JPS et ses sociétés mères de la même façon que Nexans France, Pirelli, Prysmian et Viscas, pour la seule raison qu’elles ont toutes appartenu au noyau dur de l’entente. Ainsi, en méconnaissant la jurisprudence, la Commission aurait omis d’apprécier la gravité de l’infraction individuellement et à la lumière des variations de cette gravité au fil des ans.

179    La Commission conteste les arguments de la requérante.

180    Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci. Ainsi que cela ressort des lignes directrices pour le calcul des amendes de 2006, la méthodologie utilisée par la Commission pour fixer les amendes comporte deux phases. Dans un premier temps, la Commission détermine un montant de base pour chaque entreprise ou association d’entreprises. Ce montant de base permet de refléter la gravité de l’infraction en cause, et ce en tenant compte, conformément au paragraphe 22 desdites lignes directrices, des éléments propres à celle-ci, tels que sa nature, les parts de marché cumulées de toutes les parties concernées, l’étendue géographique de l’infraction et sa mise en œuvre ou non. Dans un second temps, la Commission peut ajuster ce montant de base à la hausse ou à la baisse, au regard de circonstances aggravantes ou atténuantes qui caractérisent la participation de chacune des entreprises concernées (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2011, Aragonesas Industrias y Energía/Commission, T‑348/08, EU:T:2011:621, points 260 et 264 et jurisprudence citée).

181    Le paragraphe 29 des lignes directrices pour le calcul des amendes de 2006 prévoit une modulation du montant de base de l’amende en fonction de certaines circonstances atténuantes et établit à cet effet une liste non exhaustive de circonstances pouvant mener, sous certaines conditions, à une diminution de ce montant de base. En l’absence d’indication de nature impérative dans lesdites lignes directrices en ce qui concerne les circonstances atténuantes pouvant être prises en compte, il convient de considérer que la Commission a conservé une certaine marge pour apprécier de manière globale l’importance d’une éventuelle réduction du montant des amendes au titre des circonstances atténuantes (voir arrêt du 16 juin 2015, FSL e.a./Commission, T‑655/11, EU:T:2015:383, points 548 et 549 et jurisprudence citée).

182    Il ressort du paragraphe 29, troisième tiret, des lignes directrices pour le calcul des amendes de 2006 que la Commission peut constater l’existence d’une circonstance atténuante et réduire le montant de base de l’amende « lorsque l’entreprise concernée apporte la preuve que sa participation à l’infraction est substantiellement réduite et démontre par conséquent que, pendant la période au cours de laquelle elle a adhéré aux accords infractionnels, elle s’est effectivement soustraite à leur application en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché » (arrêt du 11 juillet 2013, Commission/Stichting Administratiekantoor Portielje, C‑440/11 P, EU:C:2013:514, point 114). Il en est ainsi même si c’est sur la Commission que repose la charge d’établir, sous le contrôle du juge de l’Union, le degré de gravité du comportement infractionnel des entreprises qu’elle entend sanctionner, en tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2013, Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, non publié, EU:C:2013:464, point 108).

183    Toutefois, la Commission n’est tenue de reconnaître l’existence d’une circonstance atténuante du fait de l’absence de mise en œuvre d’une entente que si l’entreprise qui invoque cette circonstance peut démontrer qu’elle s’est clairement et de manière considérable opposée à la mise en œuvre de cette entente, au point d’avoir perturbé le fonctionnement même de celle-ci, et qu’elle n’a pas adhéré à l’accord en apparence et, de ce fait, incité d’autres entreprises à mettre en œuvre l’entente en cause. Dans ce contexte, le fait qu’une entreprise, dont la participation à une concertation avec ses concurrents pour partager les marchés est établie, ne se soit pas comportée sur le marché d’une manière conforme à celle convenue avec ses concurrents ne constitue pas nécessairement un élément devant être pris en compte, en tant que circonstance atténuante, lors de la détermination du montant de l’amende à infliger (voir arrêt du 17 décembre 2014, Pilkington Group e.a./Commission, T‑72/09, non publié, EU:T:2014:1094, point 391 et jurisprudence citée).

184    Par ailleurs, si le rôle exclusivement passif d’une entreprise participante à l’infraction était expressément cité en tant que circonstance atténuante éventuelle dans les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3), il ne figure plus parmi les circonstances atténuantes pouvant être retenues en application des lignes directrices pour le calcul des amendes de 2006. Cela reflète un choix politique délibéré de ne plus « encourager » le comportement passif des participants à une infraction aux règles de concurrence. Or, ce choix relève de la marge d’appréciation de la Commission dans la détermination et la mise en œuvre de la politique de concurrence (arrêt du 2 février 2012, Denki Kagaku Kogyo et Denka Chemicals/Commission, T‑83/08, non publié, EU:T:2012:48, point 253).

185    La position « exclusivement passive ou suiviste » d’une entreprise dans la réalisation de l’infraction implique, par définition, l’adoption par l’entreprise concernée d’un « profil bas », c’est-à-dire une absence de participation active à l’élaboration du ou des accords anticoncurrentiels. Il ressort de la jurisprudence que, parmi les éléments de nature à révéler le rôle passif d’une entreprise au sein d’une entente, peuvent être pris en compte le caractère sensiblement plus sporadique de ses participations aux réunions par rapport aux membres ordinaires de l’entente de même que l’existence de déclarations expresses quant au rôle joué par cette entreprise dans l’entente et émanant de représentants d’entreprises tierces ayant participé à l’infraction, en tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes du cas d’espèce (arrêt du 2 février 2012, Denki Kagaku Kogyo et Denka Chemicals/Commission, T‑83/08, non publié, EU:T:2012:48, point 254).

186    Enfin, il y a lieu de rappeler que le fait que les membres d’une entente aient occasionnellement pris leurs distances envers les arrangements ne signifie pas qu’ils n’ont pas mis en œuvre les accords collusoires. En effet, une entreprise qui poursuit, malgré la concertation avec ses concurrents, une politique plus ou moins indépendante sur le marché peut simplement tenter d’utiliser l’entente à son profit (arrêt du 14 mai 1998, Cascades/Commission, T‑308/94, EU:T:1998:90, point 230).

187    En l’espèce, tout d’abord, il ressort du dossier que la requérante, notamment au travers de l’entreprise commune JPS, a joué un rôle important dans le cadre de l’entente et que JPS a servi, pendant longtemps, de coordinateur des membres A. La requérante, tout en soulignant la participation réduite de JPS à l’entente après le mois de juillet 2006, ne conteste pas le choix de la Commission de la classer parmi les membres du « noyau dur » de l’entente.

188    Ensuite, il ressort de l’examen du deuxième moyen que, après la création de l’entreprise commune par Viscas et Nexans France en juillet 2006, JPS a continué sa participation à l’accord sur le « territoire national » au même titre que les autres entreprises japonaises. Pendant la période comprise entre le mois de juillet 2006 et le mois de septembre 2007, JPS a également participé aux six réunions anticoncurrentielles avec les autres membres de l’entente. Une telle participation à l’entente ne saurait être considérée comme substantiellement réduite.

189    Enfin, s’agissant de la dernière période de la participation de la requérante à l’entente, comprise entre le mois de septembre 2007 et le mois d’avril 2008, force est de constater que la Commission n’a établi aucun contact entre JPS et les autres membres de l’entente. Cependant, il convient de considérer que, dans le cadre d’une entente de longue durée qui ne nécessitait pas de contacts fréquents, cette circonstance ne distingue pas l’infraction commise par JPS de celle commise par d’autres entreprises concernées et ne démontre ni le prétendu caractère « exclusivement passif » de son rôle ni la prétendue nature limitée de sa participation.

190    Compte tenu des appréciations opérées aux points 134 à 175 ci-dessus, en particulier de celles relatives à la soumission de JPS pour le projet Ormonde en décembre 2007 (voir points 146 à 151, 158 et 169 à 173 ci-dessus), il y a lieu de constater que la requérante n’a nullement démontré que la participation de JPS à l’infraction était substantiellement réduite et que, partant, celle-ci s’était effectivement soustraite à l’application des collusions auxquelles elle avait participé, en adoptant un comportement concurrentiel sur le marché au sens du paragraphe 29, troisième tiret, des lignes directrices pour le calcul des amendes de 2006 (voir points 182 et 183 ci-dessus).

191    Il s’ensuit que, même à supposer que JPS ne se soit pas conformée, en pratique, à certaines décisions prises dans le cadre de l’entente, l’argument de la requérante selon lequel elle aurait dû bénéficier de la circonstance atténuante visée au paragraphe 29, troisième tiret, des lignes directrices pour le calcul des amendes de 2006 ne saurait être retenu.

192    Par conséquent, il ne saurait être considéré que, en refusant de reconnaître que, pendant la période en cause, JPS a substantiellement réduit sa participation à l’entente, la Commission n’a pas apprécié la gravité de l’infraction commise par celle-ci de façon individualisée et, par-là, qu’elle a violé l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003.

193    Il s’ensuit que le troisième moyen doit être rejeté.

 Sur les conclusions en réduction du montant de l’amende

194    Il convient de rappeler que, dans le cadre de ses premier et troisième chefs de conclusions, la requérante demande notamment au Tribunal, en substance, de réduire considérablement le montant de l’amende qui lui a été infligée « conjointement et solidairement » avec Sumitomo et JPS dans le cas où il reconnaîtrait son absence de participation à une infraction unique et continue incluant la configuration européenne de l’entente ou bien la participation substantiellement réduite de JPS à l’entente au cours de la période comprise entre le 26 juillet 2006 et le 10 avril 2008.

195    Il ressort de la jurisprudence que le contrôle de légalité est complété par la compétence de pleine juridiction qui était reconnue au juge de l’Union par l’article 31 du règlement no 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer le montant de l’amende ou l’astreinte infligée. Il importe cependant de souligner que l’exercice de la compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office et de rappeler que la procédure devant les juridictions de l’Union est contradictoire. À l’exception des moyens d’ordre public que le juge est tenu de soulever d’office, telle l’absence de motivation de la décision attaquée, c’est à la partie requérante qu’il appartient de soulever les moyens à l’encontre de cette dernière et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens (arrêt du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission, C‑389/10 P, EU:C:2011:816, points 130 et 131).

196    En l’espèce, d’une part, il y a lieu de constater qu’aucune illégalité ou irrégularité n’entachant la décision attaquée, les conclusions en réduction du montant de l’amende présentées par la requérante ne sauraient en tout état de cause être accueillies, dès lors qu’elles tendent à ce que le Tribunal tire les conséquences, quant au montant de l’amende, de telles illégalités ou irrégularités. D’autre part, il convient de relever l’absence d’éléments qui seraient de nature à justifier une réduction du montant de l’amende.

197    Partant, les conclusions en réduction du montant de l’amende doivent être rejetées.

198    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

199    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

200    La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.


2)      Hitachi Metals Ltd est condamnée aux dépens.

Collins

Kancheva

Barents

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 juillet 2018.

Signatures


Table des matières


Antécédents du litige

Requérante et secteur concerné

Procédure administrative

Décision attaquée

Infraction en cause

Responsabilité de la requérante et amende infligée à la requérante

Procédure et conclusions des parties

En droit

Observations liminaires

Sur la recevabilité devant le Tribunal de certaines déclarations orales de la requérante invoquées par la Commission

Sur la portée du litige

Sur les conclusions en annulation

Sur le premier moyen, tiré de l’absence de preuve d’une infraction unique, complexe et continue englobant l’accord sur le « territoire national » et la configuration européenne de l’entente

– Sur la notion d’infraction unique et continue selon la jurisprudence et dans la décision attaquée

– Sur l’existence d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif unique et commun

– Sur la contribution de la requérante et de JPS à l’objectif unique et commun

– Sur la connaissance par la requérante et JPS de la configuration européenne de l’entente

– Sur les arguments que la requérante tire des considérants 537 et 999 de la décision attaquée ainsi que de l’arrêt du Tribunal relatif à la première décision AIG

Sur le deuxième moyen, tiré d’erreurs de fait et de droit dans la détermination de la durée de la participation de JPS à l’infraction

– Sur les exigences jurisprudentielles en matière de preuve

– Sur la fixation par la Commission de la fin de la participation de JPS à l’entente au 10 avril 2008

– Sur les preuves de la participation de JPS à l’accord sur le « territoire national » après juillet 2006

– Sur les éléments de preuve avancés par la requérante aux fins d’alléguer la distanciation publique de l’entente de JPS

Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation de la gravité de l’infraction dans le calcul du montant de l’amende

Sur les conclusions en réduction du montant de l’amende

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.


1      Données confidentielles occultées.