Language of document : ECLI:EU:T:2024:455

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

10 juillet 2024 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Restriction en matière d’admission sur le territoire des États membres – Listes des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et faisant l’objet de restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres – Inscription et maintien du nom du requérant sur les listes – Notion de “femmes et hommes d’affaires influents” – Article 2, paragraphe 1, sous a), f) et g), de la décision 2014/145/PESC – Article 3, paragraphe 1, sous a), f) et g), du règlement (UE) no 269/2014 – Exception d’illégalité – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation »

Dans les affaires T‑309/22 et T‑739/22,

Vladimir Rashevsky, demeurant à Moscou (Russie), représenté par Mes G. Lansky, P. Goeth et A. Egger, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. J. Rurarz et Mme P. Mahnič, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, R. Mastroianni et I. Gâlea (rapporteur), juges,

greffier : Mme M. Zwozdziak-Carbonne, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

–      la requête dans l’affaire T-309/22, déposée au greffe du Tribunal le 25 mai 2022 ;

–      la requête dans l’affaire T-739/22, déposée au greffe du Tribunal le 25 novembre 2022 ;

–      les mémoires en adaptation déposés au greffe du Tribunal le 23 mai et le 11 novembre 2023 ;

à la suite de l’audience du 12 décembre 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par ses recours fondés sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Vladimir Rashevsky, demande, premièrement, dans l’affaire T‑309/22, l’annulation de la décision (PESC) 2022/429 du Conseil, du 15 mars 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 87 I, p. 44), et du règlement d’exécution (UE) 2022/427 du Conseil, du 15 mars 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 87 I, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux »), en tant que ces actes portent inscription de son nom sur les listes des personnes et des entités figurant, respectivement, à l’annexe de la décision 2014/145/PESC du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16), et à l’annexe I du règlement (UE) no 269/2014 du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6) (ci-après les « listes litigieuses »), et, deuxièmement, dans l’affaire T‑739/22, l’annulation du règlement d’exécution 2022/427, de la décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 239, p. 149), et du règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 239, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de septembre 2022 »), ainsi que, après une première adaptation de la requête, de la décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145 (JO 2023, L 75 I, p. 134), et du règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2023, L 75 I, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2023 »), et, après une seconde adaptation de la requête, de la décision (PESC) 2023/1767 du Conseil, du 13 septembre 2023, modifiant la décision 2014/145 (JO 2023, L 226, p. 104), et du règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil, du 13 septembre 2023, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2023, L 226, p. 3) (ci-après, pris ensemble, les « actes de septembre 2023 »), en tant que ces actes maintiennent son nom sur les listes litigieuses.

I.      Antécédents du litige

2        Le requérant est un homme d’affaires de nationalité russe.

3        Les présentes affaires s’inscrivent dans le contexte des mesures restrictives adoptées eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et, notamment, à l’agression militaire par la Fédération de Russie de l’Ukraine, le 24 février 2022.

4        Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145. Le même jour, il a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement no 269/2014.

5        Le 25 février 2022, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329 modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1), et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330 modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1), afin notamment d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause.

6        L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/145, dans sa version modifiée par la décision 2022/329, se lit comme suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :

a)      à des personnes physiques qui sont responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, ou qui font obstruction à l’action d’organisations internationales en Ukraine, à des personnes physiques qui soutiennent ou mettent en œuvre de telles actions ou politiques ;

[…]

f)      à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ce gouvernement ; ou

g)      à des femmes et hommes d’affaires influents ou des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine,

et les personnes physiques et morales, les entités ou les organismes qui leur sont associés, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent, dont la liste figure en annexe.

2.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

7        L’article 1er, paragraphe 1, sous a), d) et e), de la décision 2014/145 modifiée par la décision 2022/329 proscrit l’entrée ou le passage en transit sur le territoire des États membres des personnes physiques répondant à des critères en substance identiques à ceux énoncés à l’article 2, paragraphe 1, sous a), f) et g), de cette même décision.

8        Le règlement no 269/2014, dans sa version modifiée par le règlement 2022/330, impose l’adoption des mesures de gel de fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145 modifiée par la décision 2022/329. En effet, l’article 3, paragraphe 1, sous a) à g), de ce règlement reprend pour l’essentiel l’article 2, paragraphe 1, sous a) à g), de ladite décision.

9        Dans ce contexte, le 15 mars 2022, le Conseil a adopté les actes initiaux.

10      Par ces actes initiaux, le nom du requérant a été ajouté sur la ligne 893 des listes litigieuses, aux motifs suivants :

« Vladimir Rashevsky est le PDG et l’administrateur d’EuroChem Group AG, l’un des plus grands producteurs d’engrais chimiques du monde. Auparavant (entre 2004 et 2020), il était le PDG d’une société charbonnière dénommée JSC SUEK. Il s’agit d’entreprises russes de premier plan, détenues conjointement par le milliardaire russe Andrei Melnichenko, qui génèrent et fournissent des revenus substantiels pour le gouvernement russe. Ces entreprises coopèrent également avec les autorités russes, dont Vladimir Poutine. Les entreprises du groupe EuroChem ont fourni du nitrate d’ammonium aux zones occupées du Donbass. SUEK a signé des contrats avec des sanatoriums de Crimée pour des programmes de santé destinés à ses employés.

Rashevsky apporte donc un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, et tire avantage de ce gouvernement.

Le 24 février 2022, Rashevsky a assisté à une réunion des oligarques au Kremlin avec Vladimir Poutine pour discuter de l’incidence des choix à opérer à la suite des sanctions occidentales. Le fait qu’il ait été invité à participer à cette réunion montre qu’il fait partie du cercle rapproché des oligarques proches de Vladimir Poutine et qu’il soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine. »

11      Par des courriels du 31 mars 2022 et du 7 avril 2022, le requérant a demandé au Conseil de lui donner accès aux documents ayant servi de fondement à l’adoption des mesures restrictives le concernant.

12      Le 13 avril 2022, le Conseil a répondu aux courriels du requérant visés au point 11 ci-dessus et a transmis les informations figurant dans le dossier portant la référence WK 3052/2022 (ci-après le « premier dossier WK ») et son addendum portant la référence WK 3645/2022 ADD 1 (ci-après l’« addendum »), tous deux datés du 12 mars 2022.

II.    Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

13      Le 31 mai 2022, le requérant a présenté une demande de réexamen de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses en faisant valoir qu’il n’occupait plus les fonctions à l’origine d’une telle inscription.

14      Le 14 septembre 2022, le Conseil a adopté les actes de septembre 2022 prolongeant les mesures prises à l’encontre du requérant jusqu’au 15 mars 2023. Lesdits actes ont maintenu le nom du requérant sur les listes litigieuses sur le fondement de motifs identiques à ceux figurant dans les actes initiaux.

15      Le 15 septembre 2022, le Conseil a répondu à la demande de réexamen du 31 mai 2022 en rejetant cette demande et a indiqué avoir maintenu le requérant sur les listes litigieuses. Il a notamment précisé qu’il était toujours en train d’évaluer l’information selon laquelle le requérant avait démissionné le 15 mars 2022 de toutes ses fonctions dans EuroChem Group AG (ci-après « EuroChem ») ainsi que de ses fonctions non exécutives dans JSC SUEK.

16      Par une lettre du 1er novembre 2022, le requérant a introduit une nouvelle demande de réexamen.

17      Par un courriel du 22 novembre 2022, le requérant a demandé l’accès aux documents postérieurs au premier dossier WK et à son addendum sur lesquels le Conseil s’était fondé.

18      Par un courriel du 25 novembre 2022, le Conseil a répondu qu’il n’y avait pas d’autres documents que ceux figurant dans le premier dossier WK et son addendum.

19      Par un courrier du 22 décembre 2022, le Conseil a informé le requérant de son intention de maintenir les mesures restrictives à son égard et a transmis les informations figurant dans le dossier portant la référence WK 17625/2022 INIT, daté du 14 décembre 2022 (ci-après le « deuxième dossier WK »).

20      Le 13 mars 2023, le Conseil a adopté les actes de mars 2023 qui ont prolongé l’application des mesures restrictives à l’égard du requérant jusqu’au 15 septembre 2023. Les motifs d’inscription de son nom sur les listes litigieuses ont été modifiés comme suit :

« Vladimir Rashevsky est ancien PDG et administrateur d’EuroChem Group AG, fonctions dont il a démissionné officiellement à la suite de son inscription sur les listes établies dans le cadre des mesures restrictives de l’Union, mais il continue d’exercer une influence par l’intermédiaire de sociétés-écrans. EuroChem est l’un des plus grands producteurs d’engrais chimiques du monde. Auparavant (entre 2004 et 2020), il était le PDG d’une société charbonnière dénommée JSC SUEK. Il s’agit d’entreprises russes de premier plan, détenues conjointement par Aleksandra Melnichenko, épouse du milliardaire russe Andrei Melnichenko, qui génèrent et fournissent des revenus substantiels pour le gouvernement russe. Ces entreprises coopèrent également avec les autorités russes, dont Vladimir Poutine. Les entreprises du groupe EuroChem ont fourni du nitrate d’ammonium aux zones occupées du Donbass. SUEK a signé des contrats avec des sanatoriums de Crimée pour des programmes de santé destinés à ses employés.

Rashevsky apporte donc un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, et tire avantage de ce gouvernement.

Le 24 février 2022, Rashevsky a assisté à une réunion des oligarques au Kremlin avec Vladimir Poutine pour discuter de l’incidence des choix à opérer à la suite des sanctions occidentales. Le fait qu’il ait été invité à participer à cette réunion montre qu’il fait partie du cercle rapproché des oligarques proches de Vladimir Poutine et qu’il soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine. »

21      Par une lettre du 14 mars 2023, le Conseil a informé le requérant du maintien de son nom sur les listes litigieuses par les actes de mars 2023.

22      Le 31 mars 2023, le Conseil, à la demande du requérant, a communiqué à ce dernier le deuxième dossier WK, sans que ce dernier ait été modifié au regard de ce qui avait été transmis au point 21 ci-dessus.

23      Le critère énoncé à l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145 et à l’article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement no 269/2014 (ci-après le « critère g ») pour l’inscription sur les listes litigieuses des noms des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes soumis aux mesures restrictives a été modifié par la décision (PESC) 2023/1094 du Conseil, du 5 juin 2023, modifiant la décision 2014/145 (JO 2023, L 146, p. 20) et par le règlement (UE) 2023/1089 modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2023, L 146, p. 1),. Il résulte du nouveau libellé du critère g) [ci-après le « critère g) modifié »] qu’il s’applique : « [aux] femmes et hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie et aux membres de leur famille proche ou à d’autres personnes physiques, qui en tirent avantage, ou à des femmes et hommes d’affaires, des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine ».

24      Par une lettre du 19 juin 2023, le Conseil a notifié au requérant son intention de maintenir les mesures restrictives à son égard, en lui transmettant également les documents de travail WK 8089/2023 INIT, du 14 juin 2023, et WK 8179/2023 INIT, du 15 juin 2023 (ci-après, pris ensemble, le « troisième dossier WK »), identiques, contenant six nouveaux éléments de preuve. Le 3 juillet 2023, le requérant a répondu à la lettre du Conseil du 19 juin 2023 en soumettant ses observations.

25      Le 10 juillet 2023, le Conseil a envoyé une nouvelle lettre au requérant afin de l’informer qu’il examinait la possibilité de maintenir les mesures restrictives à son égard, pour des motifs modifiés. Il a également annexé à ladite lettre le document de travail WK 8987/2023, du 30 juin 2023 (ci-après le « quatrième dossier WK »). Le 24 juillet 2023, le requérant a soumis des observations sur la lettre du Conseil du 10 juillet 2023.

26      Par les actes de septembre 2023, le Conseil a maintenu le nom du requérant sur les listes litigieuses pour des motifs identiques à ceux mentionnés au point 22 ci-dessus.

27      Le 15 septembre 2023, le Conseil a informé le requérant du maintien de son nom sur les listes litigieuses. Le 24 octobre 2023, en réponse à une demande du requérant, le Conseil l’a informé que tous les documents sur lesquels le maintien de son nom sur les listes était fondé lui avaient déjà été transmis.

III. Conclusions des parties

28      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes initiaux, les actes de septembre 2022, les actes de mars 2023 et les actes de septembre 2023 (ci-après les « actes attaqués ») en ce qu’ils le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

29      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        dans l’affaire T‑739/22, rejeter le recours comme irrecevable en tant qu’il porte sur l’annulation du règlement d’exécution 2022/427 ;

–        rejeter le surplus des recours comme non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

IV.    En droit

30      Les parties ayant été entendues à cet égard, le Tribunal décide de joindre les présentes affaires aux fins de l’arrêt, conformément à l’article 68 du règlement de procédure du Tribunal.

A.      Sur la recevabilité

31      Le Conseil fait valoir que la demande présentée par le requérant dans le cadre de l’affaire T‑739/22, tendant à l’annulation du règlement d’exécution 2022/427, est irrecevable, pour cause de tardiveté.

32      Le requérant conteste cette fin de non-recevoir et souligne que, en dépit de l’expiration du délai de recours, il peut contester la légalité du règlement d’exécution 2022/427 de manière incidente, au titre de l’article 277 TFUE.

33      À cet égard, il y a lieu de constater que le requérant demande l’annulation du règlement d’exécution 2022/427, tant dans l’affaire T‑309/22 que dans l’affaire T‑739/22, dans laquelle il demande également, notamment, l’annulation du règlement d’exécution 2022/1529.

34      Or, aux termes de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, le recours en annulation doit être formé dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l’acte attaqué, de sa notification à la partie requérante ou, à défaut, du jour où celle-ci en a eu connaissance. Selon l’article 59 du règlement de procédure, lorsqu’un délai pour l’introduction d’un recours contre un acte d’une institution commence à courir à partir de la publication de cet acte au Journal officiel de l’Union européenne, ce délai court à partir de la fin du quatorzième jour suivant la date de la publication de l’acte au Journal officiel de l’Union européenne. Conformément aux dispositions de l’article 60 du même règlement, ce délai doit, en outre, être augmenté d’un délai de distance forfaitaire de dix jours.

35      En l’espèce, ainsi que cela ressort du point 12 ci-dessus, le Conseil a adressé une lettre au requérant le 13 avril 2022, dans laquelle il s’est expressément référé au règlement d’exécution 2022/427, et en accompagnement de laquelle il lui a communiqué le premier dossier WK et l’addendum. Il convient donc de considérer que, au plus tard le 13 avril 2022, le requérant avait connaissance du règlement d’exécution 2022/427. Or, la requête dans l’affaire T‑739/22 a été déposée au greffe du Tribunal plus de sept mois après cette date, le 25 novembre 2022. Ainsi, les conclusions en annulation présentées contre le règlement d’exécution 2022/427, dans l’affaire T‑739/22, sont tardives et doivent être rejetées comme irrecevables.

36      S’agissant par ailleurs de l’argument du requérant tiré du fait qu’il conteste la légalité du règlement d’exécution 2022/427 au titre de l’article 277 TFUE, il convient de rappeler que cette disposition constitue l’expression d’un principe général assurant à toute partie le droit de contester, par voie incidente, en vue d’obtenir l’annulation d’une décision qui lui est adressée, la validité des actes de portée générale qui forment la base d’une telle décision si cette partie ne disposait pas du droit d’introduire, en vertu de l’article 263 TFUE, un recours direct contre ces actes, dont elle subit ainsi les conséquences sans avoir été en mesure d’en demander l’annulation (voir arrêt du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 55 et jurisprudence citée).

37      Or, en l’espèce, le règlement d’exécution 2022/427 ne constitue aucunement la base des actes de septembre 2022, condition nécessaire pour qu’une exception d’illégalité à l’encontre d’un acte de portée générale puisse être soulevée.

38      Il résulte de ce qui précède que les conclusions du requérant tendant à l’annulation du règlement d’exécution 2022/427 doivent être rejetées comme irrecevables, pour autant qu’elles sont présentées dans le cadre de l’affaire T‑739/22.

B.      Sur le fond

39      Au soutien du recours dans l’affaire T‑309/22, le requérant invoque, en substance, deux moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’obligation de motivation et, le second, d’une erreur d’appréciation. Dans l’affaire T‑739/22, il soulève cinq moyens, tirés, le premier, de l’illégalité des dispositions de l’article 2, paragraphe 1, sous f), de la décision 2014/145 modifiée et de l’article 3, paragraphe 1, sous f), du règlement no 269/2014 modifié [ci-après le « critère f) »] et des dispositions prévoyant le critère g) et le critère g) modifié, le deuxième, d’une violation de l’obligation de motivation, le troisième, d’une erreur d’appréciation, le quatrième, du caractère pénal de la sanction et d’un prétendu détournement de pouvoir et, le cinquième, d’une violation du principe de proportionnalité et des droits fondamentaux. Dans le premier mémoire en adaptation, il invoque également un sixième moyen, tiré d’une violation du droit à une bonne administration.

1.      Sur le moyen tiré de l’illégalité de certains critères

40      Dans le cadre de l’affaire T‑739/22, le requérant soulève une exception d’illégalité des critères f) et g). En premier lieu, il estime que les mesures restrictives en cause méconnaissent l’article 21 TUE.

41      Premièrement, en vertu de l’objectif de soutenir le développement durable sur le plan économique, social et environnemental des pays en développement dans le but d’éradiquer la pauvreté, énoncé à l’article 21, paragraphe 2, sous d), TUE, l’imposition de mesures restrictives à des femmes ou à des hommes d’affaires influents occupant des fonctions dans des entreprises actives dans la production d’engrais serait exclue, afin de ne pas engendrer de pénuries et, partant, de famines. La mention d’EuroChem dans les motifs relatifs à l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, deuxième plus grand producteur d’engrais au monde, aurait eu des conséquences économiques pour cette dernière et aurait contribué à l’introduction d’obstacles commerciaux au sein du marché intérieur de l’Union européenne.

42      Deuxièmement, la décision du Conseil de mettre un terme aux importations de charbon de Russie et, partant, d’importer du charbon du Brésil et d’Australie allongerait les routes d’acheminement et accroîtrait les émissions de dioxyde de carbone, ce qui contreviendrait également à l’article 21, paragraphe 2, sous f), TUE. Troisièmement, en ne répondant pas aux critères d’inscription, les mesures restrictives en cause méconnaîtraient l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE, protégeant notamment les droits de l’homme.

43      En second lieu, le requérant soutient que les critères f) et g) sont illégaux et doivent être déclarés inapplicables, au titre de l’article 277 TFUE, dans la mesure où, premièrement, ces critères n’établissent pas de lien entre les personnes ciblées et la guerre en Ukraine, ce qui confèrerait un pouvoir d’appréciation illimité au Conseil. Deuxièmement, lesdits critères ne seraient pas suffisamment précis, étant donné que les expressions utilisées dans ces dispositions ne seraient pas définies et se prêteraient à des interprétations diverses. D’une part, le critère f), en visant les personnes qui « apportent un soutien matériel ou financier » au gouvernement russe ou qui « tirent avantage » de celui-ci, pourrait potentiellement concerner tout fonctionnaire russe ou encore tout retraité russe. D’autre part, le critère g) pourrait viser toute personne riche et de nationalité russe. Troisièmement, le Conseil appliquerait de manière discriminatoire lesdits critères. Partant, les dispositions qui les prévoient manqueraient de clarté et de prévisibilité et ne respecteraient pas l’État de droit.

44      Dans le premier mémoire en adaptation, le requérant ajoute que le critère prévu par l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145 telle que modifiée par la décision 2022/329 et prévu par l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 269/2014 tel que modifié par le règlement 2022/330 [ci-après le « critère a) »] est trop flou et viole également le principe de légalité.

45      Dans le second mémoire en adaptation, qui vise, en substance, l’application des critères a), f) et g) modifié au requérant, ce dernier fait valoir qu’il a critiqué constamment l’absence de clarté des critères.

46      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

47      Selon l’article 277 TFUE, toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’Union, se prévaloir des moyens prévus à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE pour invoquer devant la Cour de justice de l’Union européenne l’inapplicabilité de cet acte.

48      L’article 277 TFUE constitue l’expression d’un principe général assurant à toute partie le droit de contester, par voie incidente, en vue d’obtenir l’annulation d’une décision qui lui est adressée, la validité des actes de portée générale qui forment la base d’une telle décision si cette partie ne disposait pas du droit d’introduire, en vertu de l’article 263 TFUE, un recours direct contre ces actes, dont elle subit ainsi les conséquences sans avoir été en mesure d’en demander l’annulation. L’acte général dont l’illégalité est soulevée doit être applicable, directement ou indirectement, à l’espèce qui fait l’objet du recours et il doit exister un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l’acte général en question (voir arrêt du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 55 et jurisprudence citée).

49      Selon une jurisprudence constante, les juridictions de l’Union doivent, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité FUE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union. Cette exigence est expressément consacrée à l’article 275, second alinéa, TFUE (voir arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 58 et jurisprudence citée, et du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 65 et jurisprudence citée).

50      Il n’en demeure pas moins que le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la définition générale et abstraite des critères juridiques et des modalités d’adoption des mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41 et jurisprudence citée). Par conséquent, les règles de portée générale définissant ces critères et ces modalités, telles que les dispositions des actes prévoyant les critères litigieux visés par le présent moyen, font l’objet d’un contrôle juridictionnel restreint, se limitant à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur de droit ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir [voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, EU:T:2009:266, points 44 et 45, et du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 149 (non publié)].

51      Par ailleurs, le principe de sécurité juridique implique que la législation de l’Union soit claire et précise et que son application soit prévisible pour les justiciables (voir arrêts du 5 mars 2015, Europäisch-Iranische Handelsbank/Conseil, C‑585/13 P, EU:C:2015:145, point 93 et jurisprudence citée, et du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 192 et jurisprudence citée).

52      En l’espèce, les critères g) et f) prévoient que sont gelés les fonds et ressources économiques :

« f) [d]es personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ce gouvernement ; ou

g)       [d]es femmes et hommes d’affaires influents ou des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine ».

53      En outre, à la suite de la modification introduite par la décision 2023/1094 et le règlement 2023/1089, le critère g) modifié permet l’imposition de mesures restrictives aux « femmes et hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie et aux membres de leur famille proche ou à d’autres personnes physiques, qui en tirent avantage, ou à des femmes et hommes d’affaires, à des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine ».

54      En premier lieu, premièrement, il y a lieu de relever qu’il ressort sans ambiguïté du texte même du règlement no 269/2014 que le critère f) vise de manière ciblée et sélective les personnes, physiques et morales, qui, même si elles n’ont, en tant que telles, aucun lien avec la déstabilisation de l’Ukraine, apportent un soutien matériel ou financier au gouvernement russe responsable de celle-ci, ou tirent avantage de ce gouvernement. Le critère f) se compose ainsi de deux éléments, à savoir le soutien matériel ou financier au gouvernement russe responsable de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine et le fait qu’un avantage soit tiré de ce gouvernement, ces deux éléments étant alternatifs.

55      Deuxièmement, le critère g) vise de façon suffisamment claire et précise notamment les femmes et hommes d’affaires influents ayant une activité dans des secteurs qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement russe. Eu égard au libellé de ce critère, il y a lieu de considérer que les personnes visées doivent être considérées comme influentes du fait de leur importance dans le secteur dans lequel elles exercent leur activité et de l’importance pour l’économie desdits secteurs (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 157).

56      Troisièmement, il en va de même s’agissant du critère g) modifié, qui vise, d’une part, la catégorie des femmes et des hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie et les membres de leur famille proche ou d’autres personnes physiques, qui en tirent avantage, et, d’autre part, les femmes et hommes d’affaires, les personnes morales, les entités ou les organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie et poursuivent les mêmes fins.

57      Par ailleurs, il importe de souligner que les mesures restrictives en cause s’inscrivent dans les finalités poursuivies par la stratégie globale de riposte rapide, unifiée, graduée et coordonnée, mise en place par l’Union, moyennant l’adoption d’une série de mesures restrictives, dans le but ultime d’exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays. Dans cette perspective, d’une part, les mesures restrictives en cause sont conformes à l’objectif visé à l’article 21, paragraphe 2, sous c), TUE de préserver la paix, de prévenir les conflits et de renforcer la sécurité internationale, conformément aux buts et aux principes de la charte des Nations unies signée à San Francisco le 26 juin 1945 (arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 163). D’autre part, le pouvoir d’appréciation du Conseil doit être apprécié également à la lumière de l’objectif poursuivi par les mesures restrictives, à savoir, faire pression sur le gouvernement russe afin de diminuer sa capacité à financer les actions compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 158).

58      À cet égard, il existe un lien logique entre, d’une part, le fait de cibler les femmes et les hommes d’affaires influents exerçant leurs activités dans des secteurs économiques fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement russe, au vu de l’importance que revêtent ces secteurs pour l’économie russe, et, d’autre part, l’objectif des mesures restrictives en l’espèce, qui est d’accroître la pression sur la Fédération de Russie ainsi que le coût des actions visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 157 et jurisprudence citée). De même, il existe également un lien logique entre le fait de cibler les personnes physiques qui apportent un soutien matériel ou financier audit gouvernement et cet objectif. Tel est le cas également s’agissant du critère g) modifié, qui vise, d’une part, les femmes et hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie et les membres de leur famille proche ou d’autres personnes physiques, qui en tirent avantage, et, d’autre part, les femmes et hommes d’affaires, les personnes morales, les entités ou les organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

59      De plus, le pouvoir d’appréciation conféré au Conseil par les critères litigieux est contrebalancé par une obligation de motivation et des droits procéduraux renforcés (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2014, National Iranian Oil Company/Conseil, T‑578/12, non publié, EU:T:2014:678, point 122 et jurisprudence citée).

60      Il convient donc de constater, s’agissant tant du critère g) que du critère f) et du critère g) modifié, que le pouvoir d’appréciation conféré au Conseil dans l’appréciation de ce que recouvrent les notions, d’une part, de « femmes et hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie » et de « secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus » ainsi que, d’autre part, de « soutien matériel ou financier » ou d’« avantage » ne peut être considéré comme enfreignant le degré de prévisibilité requis par le droit de l’Union.

61      Partant, le grief tiré de la violation du principe de sécurité juridique doit être rejeté.

62      Dès lors, dans la mesure où les griefs tirés de la violation de l’État de droit, du principe de proportionnalité, du droit de propriété et du principe de légalité sont uniquement fondés sur l’absence de prévisibilité et de clarté des critères litigieux, il convient également de rejeter ces griefs.

63      En deuxième lieu, force est de constater que le grief du requérant selon lequel le Conseil applique de manière discriminatoire les critères litigieux relève de l’examen de la situation individuelle du requérant et non de la légalité des critères d’inscription. De la même manière, par son argumentation tirée d’une violation des objectifs visés à l’article 21 TUE, le requérant met en cause l’incidence de l’imposition de mesures restrictives à son égard sur la situation alimentaire mondiale. Ainsi, une telle argumentation relève du bien-fondé des mesures restrictives individuelles imposées au requérant, et non de la légalité des critères litigieux.

64      En troisième lieu, s’agissant de l’argument du requérant soulevé dans le cadre du premier mémoire en adaptation selon lequel le critère a) est trop flou, il suffit de relever que celui-ci n’étaye nullement cet argument, qui doit dès lors être rejeté. En outre, il convient de constater que l’argument selon lequel la réunion du 24 février 2022 ne peut constituer un motif suffisant à l’inscription du nom du requérant au titre dudit critère relève également de l’examen du moyen tiré de l’erreur d’appréciation.

65      Partant, il convient d’écarter le premier moyen, tiré de l’illégalité des critères f) et g).

2.      Sur le moyen tiré d’un défaut de motivation

66      Le requérant soutient à l’égard des actes initiaux que les motifs d’inscription ne se réfèrent pas explicitement aux critères énoncés dans la décision 2014/145 et dans le règlement no 269/2014.

67      Dans le cadre de son recours contre les actes de septembre 2022, premièrement, le requérant fait valoir qu’il ne peut comprendre le maintien de son nom sur les listes litigieuses étant donné qu’il n’occupait pas les fonctions pour lesquelles il avait été « condamné ». Deuxièmement, il estime que l’absence totale de référence aux critères d’inscription dans les motifs d’inscription ne peut être compensée par le fait qu’il a « deviné » les « bons » critères d’inscription dans le cadre de l’affaire T‑309/22. Le requérant précise également que la lettre du 15 septembre 2022 évoquée dans le mémoire en défense n’est d’aucun secours, car la motivation doit figurer dans l’acte attaqué lui-même. Dans le premier mémoire en adaptation, le requérant ajoute que la motivation des actes de mars 2023, bien qu’à première vue différente, n’avance en réalité aucun motif juridique nouveau.

68      Dans le second mémoire en adaptation, en premier lieu, le requérant fait valoir que l’exposé des motifs des actes de septembre 2023 démontre que l’inscription de son nom était fondée uniquement sur les critères a) et f) et que le libellé desdits motifs n’a jamais repris le critère g) d’une manière explicite et a causé une situation d’incertitude. Il soutient également que, tel qu’il résulte de la lettre du Conseil du 10 juillet 2023, ce dernier avait envisagé de modifier l’exposé des motifs afin d’ajouter une phrase qui aurait précisé explicitement qu’il était un homme d’affaires ayant une activité dans un secteur économique qui fournissait une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie. Néanmoins, une telle phrase n’aurait pas été incluse dans les motifs sur lesquels les actes de septembre 2023 sont fondés, qui sont restés inchangés.

69      En second lieu, le requérant soutient que le libellé du critère g) modifié établit une distinction entre, d’une part, les « femmes et hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie » et, d’autre part, les « femmes et hommes d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie ». Ainsi, il fait valoir que l’exposé des motifs ne lui permet pas de comprendre laquelle de ces deux catégories le concerne, ce qui causerait une situation d’incertitude juridique. Partant, à compter au moins de l’adoption des actes de septembre 2023, le nom du requérant ne serait pas inscrit sur la base du critère g) modifié.

70      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

71      Selon la jurisprudence, l’obligation de motiver un acte faisant grief, qui constitue un corollaire du principe du respect des droits de la défense, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 49).

72      La motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de cet acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par ledit acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est notamment pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, ni qu’elle réponde de manière détaillée aux considérations formulées par l’intéressé lors de sa consultation avant l’adoption du même acte, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Par conséquent, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 48 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 53).

73      Ainsi, d’une part, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard. D’autre part, le degré de précision de la motivation d’un acte doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles celui-ci doit intervenir (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 104 et jurisprudence citée).

74      En outre, la jurisprudence a précisé que la motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure restrictive ne devait pas seulement identifier la base juridique de cette mesure, mais également les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considérait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé devait faire l’objet d’une telle mesure (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 105 et jurisprudence citée).

75      De plus, il doit être précisé que l’absence de mention explicite du critère appliqué à l’égard d’une personne n’entraîne pas nécessairement une violation de l’obligation de motivation, pourvu qu’il résulte de manière suffisamment claire de la lecture de la motivation retenue par le Conseil quel est le critère dont celui-ci a fait application s’agissant de cette personne (arrêt du 11 septembre 2019, Topor-Gilka et WO Technopromexport/Conseil, T‑721/17 et T‑722/17, non publié, EU:T:2019:579, point 79 ; voir également, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 51). Une telle référence explicite est cependant indispensable lorsque, à défaut de celle-ci, les intéressés et le juge de l’Union sont laissés dans l’incertitude quant à la base juridique précise (arrêt du 25 mars 2015, Central Bank of Iran/Conseil, T‑563/12, EU:T:2015:187, point 68).

76      Enfin, il importe de rappeler que la question de la motivation, qui concerne une formalité substantielle, est distincte de celle de la preuve du comportement allégué, laquelle relève de la légalité au fond de l’acte en cause et implique de vérifier la réalité des faits mentionnés dans cet acte ainsi que la qualification de ces faits comme constituant des éléments justifiant l’application des mesures restrictives à l’encontre de la personne concernée (voir arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil, T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748, point 111 et jurisprudence citée).

77      En l’espèce, la motivation retenue à l’égard du requérant dans les actes attaqués est celle exposée aux points 10, 22 et 29 ci-dessus.

78      En premier lieu, il convient de relever que le contexte général, ayant conduit le Conseil à adopter les mesures restrictives en cause, est exposé aux considérants des actes attaqués. De même, il résulte desdits actes l’indication de la base juridique des mesures adoptées par le Conseil, à savoir l’article 29 TUE et l’article 215 TFUE.

79      En deuxième lieu, s’agissant de la motivation des actes initiaux et des actes de septembre 2022, premièrement, il convient de constater que les motifs desdits actes indiquent que le requérant est le président-directeur général (PDG) et l’administrateur d’EuroChem, l’un des plus grands producteurs d’engrais chimiques du monde et que, auparavant, il était le PDG d’une société charbonnière dénommée SUEK, ces sociétés étant présentées comme des entreprises russes de premier plan qui engendrent et fournissent des revenus substantiels pour le gouvernement russe. Ainsi, de tels motifs permettaient au requérant de comprendre que le Conseil avait retenu le critère g) à son égard ainsi que les raisons pour lesquelles ce critère lui avait été appliqué. Deuxièmement, dans les motifs des actes initiaux et des actes de septembre 2022 concernant le requérant, le Conseil a indiqué que les entreprises d’EuroChem avaient fourni du nitrate d’ammonium aux zones occupées du Donbass et que SUEK avait signé des contrats avec des sanatoriums de Crimée pour des programmes de santé destinés à ses employés, avant de préciser que l’invitation du requérant à participer à la réunion du 24 février 2022 montrait qu’il faisait partie du cercle proche du président Poutine et qu’il soutenait ou mettait en œuvre des actions ou des politiques qui compromettaient ou menaçaient l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine. Cette partie des motifs, qui renvoie en substance au libellé du critère a) permet au requérant de comprendre que le Conseil a retenu un tel critère à son égard ainsi que les raisons pour lesquelles il le lui a appliqué. Troisièmement, le Conseil a expressément indiqué que le requérant apportait un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, et tirait avantage de ce gouvernement, ce qui correspond en substance au critère f).

80      Dès lors, il convient de constater que, à la lumière de la jurisprudence citée au point 79 ci-dessus, même en l’absence de mention explicite des critères d’inscription sur les listes litigieuses, la lecture de la motivation retenue par le Conseil à l’encontre du requérant dans les actes initiaux et les actes de septembre 2022 permet de comprendre quels sont les critères qui ont été retenus afin d’inscrire le nom du requérant sur les listes litigieuses, et ce sans violer l’obligation de motivation qui lui incombait.

81      En troisième lieu, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel le libellé des motifs n’a jamais repris explicitement le critère g), il y a lieu de souligner que, ainsi que le requérant l’affirme, au point 60 de la requête dans l’affaire T‑309/22, le premier alinéa de l’exposé des motifs retenus contre lui comprend la phrase « qui génèrent et fournissent des revenus substantiels pour le gouvernement russe », ce qui renvoie, dans une certaine mesure, au critère g). De plus, il soulève, dans la requête dans l’affaire T‑739/22, une exception d’illégalité à l’encontre, notamment, du critère g) et soutient, en substance, que ledit critère est trop flou pour pouvoir servir de base juridique aux mesures restrictives à son égard. Il convient dès lors d’écarter l’argument du requérant.

82      En quatrième lieu, s’agissant des actes de septembre 2023, la modification du critère g) ne saurait être considérée d’une envergure telle que le requérant ne pouvait plus identifier d’une manière claire que ledit critère continuait à lui être appliqué. Bien que le critère g) modifié comporte deux volets, à savoir, d’une part, les « femmes et hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie » et, d’autre part, les « femmes et hommes d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie », le second volet ne diffère du critère g) dans sa version en vigueur avant la modification introduite par la décision 2023/1094 et le règlement 2023/1089 que par la suppression du mot « influents ». Il résulte du considérant 4 de la décision 2023/1094 que le Conseil a eu pour intention d’élargir les critères de désignation afin d’accroître la pression exercée sur le gouvernement de la Fédération de Russie.

83      Dès lors, s’agissant des arguments du requérant tirés de l’absence totale de référence aux critères d’inscription et de la divergence entre les critères déduits des actes attaqués et ceux figurant dans le premier dossier WK, le requérant ne saurait valablement soutenir que cela a engendré une confusion quant à la compréhension exacte des critères sur lesquels le Conseil entendait fonder sa décision. En outre, le fait que le critère f) n’est pas mentionné dans le premier dossier WK comme ayant fondé l’inscription de son nom est dénué de pertinence. En effet, les motifs exposés dans les actes attaqués reprennent de manière littérale le libellé dudit critère, à savoir le fait que le requérant « apporte donc un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie ». Au demeurant, le requérant admet lui-même que la référence au critère f) est claire.

84      En cinquième lieu, s’agissant de la motivation des actes de mars 2023, il convient de constater que le requérant ne conteste pas qu’il résulte de leur lecture que le Conseil a maintenu son nom sur les listes litigieuses en se fondant sur les critères a), f), et g). En outre, les raisons spécifiques et concrètes ayant conduit le Conseil à procéder à un tel maintien sont indiquées de manière suffisamment claire pour lui permettre de les comprendre.

85      En dernier lieu, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel il ne comprend pas la raison de l’adoption de mesures restrictives à son égard étant donné qu’il n’occupe plus les fonctions ayant justifié l’inscription de son nom sur les listes litigieuses, celui-ci ne tend pas à remettre spécifiquement en cause le caractère suffisant de la motivation des actes attaqués, mais plutôt la légalité au fond de ces actes.

86      Dès lors, force est de constater que la motivation des actes attaqués est compréhensible et suffisamment précise pour permettre au requérant de connaître les raisons ayant conduit le Conseil à considérer que l’inscription et le maintien de son nom sur les listes litigieuses étaient justifiés et d’en contester la légalité devant le juge de l’Union ainsi que pour permettre à ce dernier d’exercer son contrôle, conformément aux règles rappelées aux points 75 à 80 ci-dessus.

87      Une telle conclusion est d’ailleurs pleinement confirmée par les arguments que le requérant a soulevés dans ses écritures dont il ressort, d’une part, qu’il a été mis en mesure de connaître les justifications des mesures prises à son égard afin de pouvoir les contester utilement devant le juge de l’Union en identifiant les critères a), f), g) et g) modifié comme ayant fondé l’inscription et le maintien de son nom sur les listes litigieuses et, d’autre part, qu’il connaissait le contexte dans lequel s’inscrivaient lesdites mesures.

88      Partant, il y a lieu de rejeter le moyen du requérant tiré d’une violation de l’obligation de motivation.

3.      Sur le moyen tiré d’erreurs d’appréciation

89      Tout d’abord, il importe de relever que ce moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation, et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, s’il est certes vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer au cas par cas si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 70 et jurisprudence citée).

90      Ensuite, il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

91      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121, et du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, point 57).

92      L’appréciation du bien-fondé de ces motifs doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime combattu (arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑630/13 P, EU:C:2015:247, point 53).

93      C’est à l’aune de ces principes jurisprudentiels qu’il convient de déterminer si le Conseil a commis une erreur d’appréciation en considérant que, en l’espèce, il existait une base factuelle suffisamment solide pouvant justifier, d’une part, l’inscription initiale et, d’autre part, le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses.

a)      Sur les actes initiaux

1)      Sur les éléments de preuve

94      À titre liminaire, il convient de constater que, pour justifier l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, le premier dossier WK ainsi que son addendum fourni par le Conseil comportent dix éléments de preuve, à savoir :

–        un extrait du compte Twitter d’un journaliste de février 2022 (pièce no 1) ;

–        un article annonçant la nomination du requérant en tant que PDG d’EuroChem publié sur le site Internet de la société le 7 septembre 2020 (pièce no 2) ;

–        une page du site Internet d’EuroChem consultée par le Conseil le 28 février 2022 présentant le comité de direction dudit groupe et contenant une courte biographie du requérant (pièce no 3) ;

–        une biographie du requérant publiée sur le site Internet « tadviser.com » (pièce no 4) ;

–        un article en russe de l’agence de presse « tass.ru » publié le 27 avril 2021 (pièce no 5) ;

–        un article publié sur le site Internet de la société SUEK en février 2020 (pièce no 5 bis) ;

–        une photo publiée sur le site Internet Sputnik le 7 février 2018 (pièce no 6) ;

–        un article publié sur le site Internet « cbonds.com » le 11 octobre 2021 (pièce no 7) ;

–        un article publié sur le site Internet « open4business.com » le 3 février 2018 (pièce no 8) ;

–        un article du Center for Eastern Studies publié le 7 février 2022 et décrivant EuroChem comme l’un des plus grands producteurs d’engrais (pièce no 10).

95      Le requérant fait valoir que le premier dossier WK et son addendum présentent des inexactitudes et des imprécisions. Leur contenu ne consisterait qu’en une compilation incohérente tirée des médias sociaux n’ayant que très peu de rapport avec lui. Il critique la pertinence de l’ensemble des pièces produites afin de justifier l’inscription de son nom sur les listes litigieuses au regard des motifs d’inscription dès lors qu’aucun aucun lien ne serait établi entre le contenu desdites pièces et les critères a), f), et g) ayant fondé cette inscription.

96      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

97      Il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’activité du juge de l’Union est régie par le principe de libre appréciation des preuves et le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. À cet égard, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue en tenant compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration ainsi que de son destinataire et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable [voir arrêts du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil, T‑461/16, EU:T:2018:316, point 107 et jurisprudence citée, et du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 95 (non publié) et jurisprudence citée].

98      En l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse, des rapports des services secrets ou d’autres sources d’information similaires (arrêts du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 107, et du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 59).

99      En outre, il importe de relever que la situation de conflit dans lequel la Fédération de Russie et l’Ukraine sont impliquées rend en pratique particulièrement difficile l’accès à certaines sources, l’indication expresse de la source primaire de certaines informations ainsi que l’éventuel recueil de témoignages de la part de personnes acceptant d’être identifiées. Les difficultés d’investigation qui s’ensuivent peuvent ainsi contribuer à faire obstacle à ce que des preuves précises et des éléments d’information objectifs soient apportés (voir arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 116 et jurisprudence citée).

100    En l’espèce, contrairement à ce que soutient le requérant, le Conseil ne s’est pas fondé sur une compilation incohérente tirée des médias sociaux, dès lors qu’il a notamment produit des captures d’écran provenant des sites Internet de EuroChem et de SUEK (pièces nos 2, 3 et 5 bis) ainsi que d’agences de presse russes (pièces no 5 et 6).

101    S’agissant des arguments par lesquels le requérant met en cause la fiabilité ou la pertinence de certaines pièces déterminées, notamment celle des pièces nos 2, 3, 6, 7 et 8, il conviendra d’y répondre, le cas échéant, dans le cadre de l’examen du bien-fondé des motifs d’inscription de son nom sur les listes litigieuses.

2)      Sur le critère g)

102    Le requérant soutient qu’il ne saurait être considéré comme un homme d’affaires « influent » étant donné qu’il n’a pas été démontré qu’il était étroitement lié au régime russe. De plus, il conteste l’affirmation du Conseil selon laquelle le terme « influent » doit être compris dans le sens d’« important » et non de « capable d’influencer ». Selon lui, le Conseil s’est borné à constater qu’il était le PDG et l’administrateur d’EuroChem et qu’il était, entre 2004 et 2020, le PDG de la société SUEK. En outre, le Conseil n’aurait pas démontré son affirmation selon laquelle il s’agissait d’entreprises russes de premier plan fournissant des revenus substantiels au gouvernement russe. À cet égard, d’une part, le requérant fait valoir qu’EuroChem est une société ayant son siège social en Suisse, opérant dans de nombreux pays et réalisant le plus gros de ses ventes en dehors de la Russie. Le revenu net de cette société, en ce qui concerne la Fédération de Russie, serait négatif. D’autre part, le requérant aurait abandonné toutes ses fonctions exécutives chez SUEK en mai 2020 et son rôle au sein de la société du 18 mai 2020 au 15 mars 2022 se serait limité à une fonction non exécutive de membre du conseil d’administration.

103    En outre, le requérant allègue que le Conseil devrait démontrer que la personne en cause ou le secteur dans lequel elle exerce une activité fournit une source substantielle de revenus au gouvernement russe. Or, d’une part, le Conseil n’aurait pas prouvé qu’EuroChem et SUEK fournissaient une source substantielle de revenus au gouvernement russe. Il ajoute que des mesures restrictives ne pourraient se fonder uniquement sur le fait qu’une entité est un contribuable important et il ne saurait être déduit de sa seule qualité de cadre dirigeant de sociétés de premier plan qu’il a fourni des revenus substantiels au gouvernement russe. Enfin, la contribution d’EuroChem et de SUEK serait infime.

104    D’autre part, le requérant fait valoir que le Conseil n’a apporté aucune preuve de revenus substantiels engendrés par le secteur des engrais ou du charbon au bénéfice du gouvernement de la Fédération de Russie.

105    Le Conseil conteste les arguments du requérant.

106    Il y a lieu de rappeler que le nom du requérant a été inscrit sur les listes litigieuses sur la base du critère g), aux motifs qu’il était « le PDG et l’administrateur d’EuroChem Group AG, l’un des plus grands producteurs d’engrais chimiques du monde » et que, « [a]uparavant (entre 2004 et 2020), il était le PDG d’une société charbonnière dénommée JSC SUEK », EuroChem et SUEK étant, aux termes desdits motifs, des « entreprises russes de premier plan […] qui génèrent et fournissent des revenus substantiels pour le gouvernement russe ».

107    En premier lieu, s’agissant de la qualification du requérant d’« homme d’affaires influent », il convient de constater que le critère g) implique la notion de « femme ou homme d’affaires influent » en corrélation avec l’exercice d’une « activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement russe », sans autre condition concernant un lien, direct ou indirect, avec ledit gouvernement. La finalité poursuivie par ce critère est en effet d’exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays (voir, par analogie, arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 163 et jurisprudence citée).

108    À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé au point 62 ci-dessus, il existe un lien logique entre le fait de cibler les hommes et femmes d’affaires influents ayant une activité dans des secteurs économiques fournissant des revenus substantiels au gouvernement russe et l’objectif des mesures restrictives en l’espèce, qui est d’accroître la pression sur la Fédération de Russie ainsi que d’accroître le coût des actions de cette dernière visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

109    Toutefois, rien dans les considérants ou les dispositions de la décision 2014/145 et du règlement no 269/2014 dans leurs versions en vigueur au moment de l’adoption des actes initiaux ne permet de conclure qu’il incomberait au Conseil de démontrer l’existence d’un lien étroit ou d’une interdépendance entre, d’une part, la personne inscrite sur les listes litigieuses et, d’autre part, le gouvernement russe ou ses actions compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 140).

110    Par ailleurs, ainsi qu’il a été exposé au point 59 ci-dessus, eu égard au libellé du critère g), les personnes visées doivent être considérées comme influentes du fait de leur importance dans le secteur dans lequel elles exercent leur activité et de l’importance pour l’économie dudit secteur.

111    En l’espèce, il y a lieu de constater que la qualité d’homme d’affaires influent du requérant résulte des pièces nos 2 et 3, émanant du site Internet d’EuroChem. Lesdites pièces témoignent que, au jour de l’adoption des actes initiaux, le requérant était le PDG et l’administrateur dudit groupe. De plus, EuroChem est décrite comme un leader dans la production d’engrais employant plus de 27 000 personnes dans le monde. En outre, il résulte de ces éléments de preuve que le groupe est intégré verticalement avec des activités allant de l’extraction minière à la production d’engrais, la logistique et la distribution. Par ailleurs, il y est indiqué que le requérant est devenu PDG d’EuroChem à la suite de sa démission, en mai 2020, du poste de PDG de SUEK, une société à la pointe dans le domaine du charbon et de l’énergie dont il est demeuré membre du conseil d’administration.

112    Partant, le caractère d’homme d’affaires influent du requérant au jour de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses par les actes initiaux résulte de manière suffisante de sa position détenue au sein d’EuroChem et de l’importance de cette société au sein de l’économie russe et est corroboré par ses fonctions passées de PDG de SUEK, bien que celles-ci ne fussent plus d’actualité au moment de l’adoption des actes initiaux.

113    Par ailleurs, le caractère influent du requérant est également corroboré par les pièces nos 1 et 6, dont il ne conteste pas le contenu, selon lesquelles il a assisté à des réunions en présence du président Poutine, le 7 février 2018, en tant que PDG de SUEK, et lors de la réunion du 24 février 2022, le lendemain de l’invasion de l’Ukraine, en tant que PDG d’EuroChem.

114    Partant, au vu de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de constater que c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a considéré que, à la date d’adoption des actes initiaux, le requérant était un homme d’affaires influent au sens du critère g).

115    Cette constatation ne saurait être remise en cause par l’argument du requérant selon lequel sa fonction de membre du conseil d’administration de SUEK est un poste non exécutif. En effet, d’une part, le requérant était indéniablement un homme d’affaires influent au jour de l’adoption des actes initiaux eu égard à sa seule fonction de PDG d’EuroChem. D’autre part, une telle nature honorifique n’est pas étayée.

116    En second lieu, concernant le secteur économique en cause, il importe de souligner qu’il ressort du critère g) que c’est ce dernier, et non la personne physique ou morale dont le nom est inscrit sur les listes litigieuses, qui doit fournir une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

117    En l’espèce, en précisant, dans l’exposé des motifs, qu’EuroChem est l’un des plus grands producteurs d’engrais chimiques du monde, le Conseil a identifié le secteur économique pertinent, à savoir celui des engrais.

118    S’agissant de la question de savoir si ledit secteur fournit une source substantielle de revenus à la Fédération de Russie, il y a lieu de relever, tout d’abord, que la pièce no 10 témoigne de l’expansion russe sur le marché des engrais à base d’azote, dont la production est particulièrement profitable en Russie en raison des prix réglementés du gaz, de l’importance du gaz naturel dans la production de ce type d’engrais et du fait qu’EuroChem bénéficie de tels prix bas du gaz russe. Il ressort de la même pièce qu’EuroChem est l’un des plus grands producteurs d’engrais au monde et que, en dépit du fait qu’elle soit basée en Suisse, la majeure partie de sa production est concentrée en Russie. Contrairement à ce que suggère le requérant, qui ne conteste nullement les informations contenues dans ladite pièce, rien ne permet de mettre en doute la crédibilité de celle-ci ni du Center for Eastern Studies, dont elle émane, et qui est un institut de recherche indépendant établi dans un État membre, à Varsovie (Pologne).

119    Ensuite, la pièce no 2 corrobore le fait qu’EuroChem est un leader mondial dans la production d’engrais d’azote, de phosphate et de potasse. Dans le même sens, la pièce no 7 fait état des revenus particulièrement importants d’EuroChem, puisqu’il en ressort que sa seule filiale russe avait annoncé un profit s’élevant à 51,15 milliards de roubles russes (RUB) (environ 600 millions d’euros) pour les neuf premiers mois de l’année 2021 et une augmentation totale de revenus de 39,46 %.

120    Enfin, il résulte du caractère international des échanges évoqués au sein des pièces no 2, 8 et 10 que le secteur des engrais engendre des exportations substantielles et, par conséquent, un afflux de liquidités.

121    Il résulte de ce qui précède que, au jour de l’adoption des actes initiaux, le requérant était un homme d’affaires influent ayant une activité dans un secteur, les engrais, qui fournissait une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

122    Eu égard à la nature préventive des décisions adoptant des mesures restrictives, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance selon laquelle d’autres parmi ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72 et jurisprudence citée).

123    Dès lors, il y a lieu, sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des autres griefs soulevés par le requérant et visant à remettre en cause l’inscription de son nom sur les listes en cause au titre des critères a) et f), d’écarter le moyen tiré d’une erreur d’appréciation en ce qu’il est dirigé, dans l’affaire T‑309/22, contre les actes initiaux et, dès lors, de rejeter le recours dans son intégralité dans cette affaire.

b)      Sur les actes de septembre 2022

124    À titre liminaire, force est de constater que les motifs du maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses sont demeurés les mêmes que ceux des actes initiaux. Il y a lieu d’ajouter que, pour justifier le maintien du nom du requérant sur lesdites listes dans les actes de septembre 2022, le Conseil s’est fondé sur les mêmes éléments de preuve que ceux figurant dans le premier dossier WK et son addendum (voir point 19 ci-dessus).

125    Il convient donc de vérifier si l’ensemble des éléments de preuve soumis par le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe et constitue un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants pour étayer les motifs d’inscription des actes de septembre 2022.

1)      Sur le critère g)

126    Le requérant souligne qu’il a démissionné, le jour de l’adoption des actes initiaux, de tous les postes qu’il occupait chez EuroChem et de la fonction qu’il occupait encore au conseil d’administration de SUEK. Partant, le motif tiré de sa qualité d’homme d’affaires influent ne serait en aucune façon adapté aux faits nouveaux. Le Conseil aurait ainsi maintenu à l’égard du requérant les mesures restrictives en cause, censées être provisoires, sans procéder à une appréciation actualisée de la situation ni apporter de preuves démontrant un lien suffisant entre celui-ci et la situation à l’origine des mesures restrictives.

127    Le requérant ajoute que l’argument du Conseil selon lequel il garderait des fonctions dans l’Union russe des industriels et entrepreneurs (ci-après la « RSPP ») n’a pas été mentionné dans les motifs des actes de septembre 2022, de sorte que celui-ci ne serait pas pertinent dans le cadre du contrôle de légalité des mesures restrictives.

128    Le Conseil conteste l’argumentation du requérant.

129    En premier lieu, le Conseil fait valoir que, en dépit de la cessation de ses fonctions, le requérant demeure un homme d’affaires influent. En outre, il aurait choisi de démissionner plutôt que de modifier le comportement et le statut ayant justifié l’inscription de son nom sur les listes litigieuses, ce qui laisserait penser qu’il a tenté d’éviter les mesures restrictives à son égard. Par ailleurs, il aurait conservé ses fonctions de membre du conseil d’administration de la RSPP et de président de la commission minière de cette dernière, ainsi que de vice-président de la commission de la politique climatique et de la réglementation sur le carbone et de chef de la coordination du conseil du district sibérien. Il s’ensuivrait que le requérant n’a pas cessé d’être un homme d’affaires russe opérant dans le secteur de l’énergie, indépendamment du fait qu’il ne soit plus le PDG d’EuroChem ni membre du conseil d’administration de SUEK. Partant, le Conseil aurait procédé à une appréciation actualisée avant d’adopter les actes de septembre 2022 et aurait estimé qu’il était possible de tirer la même conclusion que celle tirée en mars 2022. En effet, les objectifs des mesures restrictives, à savoir mettre un terme à l’agression militaire illégale de l’Ukraine, n’auraient pas encore été atteints et la référence à des agissements passés ou à d’anciennes fonctions ne saurait être dépourvue de pertinence au seul motif qu’ils relèvent d’un passé plus ou moins éloigné.

130    En second lieu, le Conseil avance que le requérant opérait dans le secteur de l’extraction minière et de l’énergie qui fournit une source substantielle de revenus au gouvernement russe.

131    Il importe de rappeler que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures restrictives, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur la liste litigieuse, ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (voir arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 67 et jurisprudence citée).

132    En outre, pour justifier le maintien du nom d’une personne sur la liste, il n’est pas interdit au Conseil de se fonder sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié l’inscription initiale, la réinscription ou le maintien précédent du nom de la personne concernée sur la liste, pour autant que, d’une part, les motifs d’inscription demeurent inchangés et, d’autre part, le contexte n’a pas évolué d’une manière telle que ces éléments de preuve seraient devenus obsolètes. Ce contexte inclut non seulement la situation du pays à l’égard duquel le système de mesures restrictives a été établi, mais également la situation particulière de la personne concernée (voir arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 78 et jurisprudence citée).

133    D’emblée, il y a lieu de relever que, s’il est vrai que le contexte général de la situation de l’Ukraine en ce qui concerne les menaces à son intégrité territoriale, à sa souveraineté et à son indépendance est resté inchangé entre l’adoption des actes initiaux et des actes de septembre 2022, il n’en est pas de même en ce qui concerne la situation du requérant, en raison de sa démission de ses fonctions au sein d’EuroChem.

134    Il convient donc de vérifier si, conformément à la jurisprudence citée aux points 135 et 136 ci-dessus, le Conseil a dûment tenu compte de l’évolution de la situation du requérant aux fins de décider du maintien de son nom sur les listes litigieuses, si sa situation particulière n’a pas évolué d’une manière telle que les éléments de preuve seraient devenus obsolètes et s’il ressort du premier dossier WK et de son addendum que le requérant pouvait toujours être qualifié, à la date d’adoption des actes de septembre 2022, d’homme d’affaires influent au sens du critère g) ou, à tout le moins, si les éléments figurant dans ledit dossier pouvaient constituer un faisceau d’indices à cette fin, conformément à la jurisprudence citée au point 96 ci-dessus.

135    En premier lieu, force est de constater que la base factuelle du motif retenu dans les actes de septembre 2022 à l’égard du requérant, qui se rattache au critère g), se réfère exclusivement à ses anciennes fonctions de PDG de SUEK et à ses fonctions de PDG et d’administrateur d’EuroChem.

136    Or, le requérant conteste le fait que, au moment de l’adoption des actes de septembre 2022, il était toujours le PDG et l’administrateur d’EuroChem étant donné qu’il avait démissionné de telles fonctions le 15 mars 2022, ce que le Conseil admet dans le cadre de la présente procédure. En outre, il apparaît que le Conseil était informé, à tout le moins depuis le 31 mai 2022, de la cessation des fonctions du requérant. Il s’ensuit que l’argument du requérant concernant une erreur de fait doit être accueilli en ce qui concerne l’affirmation présente dans les motifs retenus contre lui dans les actes de septembre 2022, selon laquelle il « est le PDG et l’administrateur d’EuroChem Group AG ».

137    En second lieu, il convient de relever que le Conseil n’a pas pris en compte les changements intervenus dans la situation particulière du requérant. En effet, les motifs spécifiques ayant justifié l’inscription de son nom sur les listes litigieuses étaient liés, pour l’essentiel, à ses fonctions de PDG et d’administrateur d’EuroChem et d’ancien PDG de SUEK.

138    Or, si les fonctions de PDG d’EuroChem permettaient de justifier l’inscription initiale du nom du requérant (voir points 110 à 125 ci-dessus), il n’en est pas de même pour ce qui est du maintien de son nom sur les listes litigieuses, qui se fondent sur un réexamen périodique des mesures restrictives afin de permettre au Conseil de tenir compte des éventuels changements de circonstances concernant, notamment, la situation individuelle des personnes visées par celles-ci. En effet, les actes de septembre 2022 représentent l’aboutissement de cet exercice de réexamen périodique.

139    Premièrement, le Conseil ne saurait présumer du seul fait que le requérant était PDG d’EuroChem lors de l’inscription initiale de son nom sur les listes litigieuses et, jusqu’en 2020, PDG de SUEK qu’il pouvait être qualifié d’homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituaient une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, même plusieurs mois après avoir quitté ses fonctions au sein de ces groupes. En effet, cela conduirait à figer la situation du requérant et à priver de tout effet utile l’exercice de réexamen périodique prévu, notamment, à l’article 6, troisième alinéa, de la décision 2014/145 et à l’article 14, paragraphe 4, du règlement no 269/2014, dans leurs versions en vigueur au moment de l’adoption des actes de septembre 2022.

140    Deuxièmement, il n’est pas non plus possible de considérer que le seul fait que le requérant était PDG d’EuroChem, ainsi que de SUEK, dans le passé, puisse constituer une preuve suffisante de ce que sa qualité d’homme d’affaires influent ayant des activités dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement russe perdurait.

141    Certes, il ne saurait être exclu d’emblée que l’ancien PDG de grands groupes tels qu’EuroChem ou SUEK puisse toujours être qualifié d’homme d’affaires influent, même après sa démission, qui plus est lorsque cette démission est concomitante à l’inscription initiale de son nom sur les listes litigieuses. Toutefois, lorsque l’existence de cette qualification est contestée, il appartient au Conseil d’avancer des indices suffisamment probants permettant raisonnablement de considérer que l’intéressé exerce toujours une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, justifiant l’inscription de son nom sur la liste, même après sa démission (voir, en ce sens, arrêt du 3 juillet 2014, Alchaar/Conseil, T‑203/12, non publié, EU:T:2014:602, point 150 et jurisprudence citée).

142    En l’espèce, cependant, le Conseil n’a fourni aucun élément probant relatif au requérant dans le cadre du recours contre les actes de septembre 2022 permettant d’expliquer les raisons pour lesquelles celui-ci devait être considéré comme étant toujours un homme d’affaires influent ayant des activités dans des secteurs économiques qui fournissaient une source substantielle de revenus au gouvernement russe au sens du critère g). Au contraire, il s’est fondé sur les mêmes éléments de preuve que ceux, portant sur les liens du requérant avec EuroChem et SUEK, qui avaient justifié l’inscription initiale de son nom sur les listes litigieuses, en dépit de l’évolution de sa situation particulière.

143    Dans le mémoire en défense, le Conseil se borne à alléguer que le requérant a conservé ses fonctions de membre du conseil d’administration de la RSPP, de président de la commission minière de cette dernière, ainsi que de vice-président de la commission de la politique climatique et de la réglementation sur le carbone et de chef de la coordination du conseil du district sibérien. Or, de tels éléments ne se rattachent pas aux motifs retenus contre le requérant dans les actes de septembre 2022, de sorte que, sauf à procéder à une substitution de motifs, le Tribunal ne saurait en tenir compte pour apprécier le bien-fondé des actes de septembre 2022.

144    En tout état de cause, lesdits éléments ne sont pas suffisamment étayés pour démontrer que le requérant pouvait toujours, au moment de l’adoption des actes de septembre 2022, être qualifié d’homme d’affaires influent ayant des activités dans des secteurs économiques qui fournissaient une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, au sens du critère g).

145    Par ailleurs, s’agissant des actes de septembre 2022, le seul fait que le requérant a participé à la réunion du 24 février 2022 ne saurait être suffisant pour établir le bien-fondé de son l’inscription de son nom au titre du critère g) (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2023, Shulgin/Conseil, T‑364/22, non publié, EU:T:2023:503, point 63).

146    Eu égard aux considérations qui précèdent, le premier motif d’inscription relatif au critère g) n’est pas suffisamment étayé, concernant les actes de septembre 2022. Il convient donc d’examiner le deuxième motif d’inscription, relatif au critère a).

2)      Sur le critère a)

147    Tout d’abord, le requérant souligne qu’EuroChem et SUEK ne coopèrent pas avec les autorités russes. Cette affirmation ne serait pas pertinente au regard des critères d’inscription et aucune preuve n’aurait été apportée à son égard. Il avance que le Conseil ne démontre pas qu’EuroChem a fourni du nitrate d’ammonium aux zones occupées du Donbass. De même, l’argument selon lequel SUEK a signé des contrats avec des sanatoriums en Crimée pour ses salariés serait matériellement inexact. D’ailleurs, lesdits salariés auraient eux-mêmes décidé de passer des vacances en Crimée et le Conseil n’apporterait pas la preuve que le requérant a directement participé à la décision de couvrir les coûts de ces voyages. Le requérant précise encore que, étant donné que, au moment de l’adoption des actes de septembre 2022, il n’exerçait aucune fonction dans ces sociétés, il ne peut être tenu responsable de leurs activités passées.

148    Ensuite, le requérant réitère avoir été invité à la réunion du 24 février 2022 par la RSPP, qui aurait critiqué le gouvernement russe à plusieurs occasions, et non par le bureau de la présidence. Il rappelle que cette réunion était programmée comme une réunion annuelle. Le requérant soutient que qualifier sa relation avec le président Poutine de professionnelle est insuffisant pour justifier l’inscription de son nom.

149    Enfin, le requérant estime que les actions invoquées par le Conseil ne sont en tout état de cause pas susceptibles de compromettre ou de menacer l’intégrité territoriale de l’Ukraine au sens du critère a).

150    Le Conseil conteste l’argumentation du requérant et considère qu’il a apporté un soutien à des actions et à des politiques compromettant l’intégrité territoriale de l’Ukraine par le biais des activités des sociétés qu’il gérait. À cet égard, il invoque la fourniture d’engrais par EuroChem aux zones occupées du Donbass et le financement par SUEK des vacances de ses employés en Crimée. Ce soutien serait corroboré par sa participation à la réunion du 24 février 2022.

151    Par ailleurs, le Conseil précise que le fait d’invoquer des actions et des politiques compromettant et menaçant l’intégrité territoriale de l’Ukraine est nécessairement fondé sur des actions et des politiques mises en œuvre dans le passé.

152    Il y a lieu de relever que les motifs retenus dans les actes de septembre 2022 se rattachant au critère a) résultent du fait que, en sa qualité de PDG d’EuroChem et d’ancien PDG de SUEK, le requérant a participé à la réunion du 24 février 2022 avec le président Poutine, ce qui démontrerait qu’il fait partie du cercle rapproché des oligarques proches dudit président. En outre, ces entreprises coopèreraient avec les autorités russes, dont le président Poutine. D’une part, les entreprises du groupe EuroChem auraient fourni du nitrate d’ammonium aux zones occupées du Donbass et, d’autre part, SUEK aurait signé des contrats avec des sanatoriums de Crimée pour des programmes de santé destinés à ses employés (voir point 10 ci-dessus).

153    À cet égard, il convient de rappeler d’emblée que le critère a), lié au soutien des actions ou des politiques compromettant l’intégrité territoriale de l’Ukraine, implique que soit établie l’existence d’un lien, direct ou indirect, entre les activités ou les actions de la personne ou de l’entité visée et la situation en Ukraine à l’origine de l’adoption des mesures restrictives en cause. Autrement dit, ces personnes ou ces entités doivent, par leur comportement, s’être rendues responsables d’un soutien à des actions ou à des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 74).

154    En l’espèce, premièrement, il n’est pas contesté que le requérant n’occupait plus les fonctions de PDG d’EuroChem au jour de l’adoption des actes de septembre 2022.

155    Deuxièmement, si le Conseil se réfère à la pièce no 8 du premier dossier WK, il y a lieu de rappeler qu’elle date du 3 février 2018 et fait référence à l’introduction de sanctions par l’Ukraine, en 2017, à l’égard de certaines entreprises du groupe EuroChem en raison de la fourniture d’engrais aux zones occupées du Donbass. À cet égard, il n’est pas contesté que la nomination du requérant en tant que PDG d’EuroChem date de septembre 2020. Partant, aucun lien ne peut être établi entre celui-ci et la fourniture d’engrais aux zones occupées du Donbass. Dès lors, ladite pièce n’est pas pertinente aux fins de soutenir le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses, au titre du critère a), par les actes de septembre 2022.

156    Troisièmement, le Conseil invoque le paiement par SUEK de vacances en Crimée pour ses employés. À cet égard, il convient de relever que le Conseil se limite à produire un résumé en anglais d’un article en russe (pièce no 5 bis du premier dossier WK). Selon ledit résumé , il ressort de cet article que, « en 2020 (et les années précédentes), SUEK a financé des programmes sociaux et de soins de santé au profit des salariés de la société, en signant des contrats avec différents sanatoriums et spas, notamment en Crimée » et que, « comme ce financement a eu lieu sous la direction du PDG Vladimir Rashevsky, cela prouve que Rashevsky a soutenu ou mis en œuvre des actions ou des politiques qui compromett[ai]ent ou mena[çai]ent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ».

157    Le requérant conteste la traduction de l’article en question et allègue que le texte original en russe ne mentionne pas que SUEK a signé des contrats avec des sanatoriums et des spas en Crimée. Il souligne que la phrase mise en exergue par le Conseil évoque simplement que, « ces dernières années, les salariés des entreprises SUEK de la région de Krasnoïarsk ont activement exploré la Crimée, sélectionnant des stations thermales à Yalta et à Alouchta ».

158    Interrogé à l’audience, le Conseil a affirmé qu’il ne remettait pas en question la traduction fournie par le requérant et a reconnu que, en effet, il apparaissait que le texte de l’article publié sur le site de SUEK ne mentionnait pas de contrat conclu, à tout le moins directement, par cette société avec des sanatoriums situés en Crimée. Partant, l’affirmation contenue dans les motifs selon laquelle SUEK a signé des contrats avec de tels sanatoriums pour des programmes de santé destinés à ses employés n’est pas étayée par la pièce no 5 bis du premier dossier WK fournie par le Conseil et ne repose pas sur une base factuelle suffisamment solide conformément au point 94 ci-dessus.

159    À cet égard, en application de la jurisprudence rappelée au point 95 ci-dessus, pour répondre à l’argument du requérant tiré de l’absence de la mention d’un contrat dans le texte original d’un article, il appartient au Conseil d’établir le bien-fondé des motifs retenus à son égard et tirés de liens entre SUEK et des sanatoriums et des spas en Crimée, et non au requérant d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs.

160    À titre surabondant, s’il était considéré que la prise en charge par SUEK des frais de voyage de ses employés, dont certains avaient choisi pour destination la Crimée, ce que reconnaît le requérant, était liée à l’exposé des motifs, cette seule prise en charge ne serait pas suffisante afin d’étayer l’inscription du nom du requérant au titre du critère a), dès lors qu’il ressort de la pièce no 5 bis du premier dossier WK que les employés choisissaient leur destination de villégiature. Ainsi, au regard de la jurisprudence citée au point 157 ci-dessus, un tel fait est insuffisant afin d’établir l’existence d’un lien, même indirect, entre les activités ou les actions du requérant et la situation en Ukraine à l’origine de l’adoption des mesures restrictives.

161    Quatrièmement, conformément à la jurisprudence rappelée au point 149 ci-dessus, qu’il convient d’appliquer par analogie dans le cadre du critère a), le Conseil ne saurait inférer du seul fait que le requérant a participé à une réunion organisée par le président Poutine réunissant des représentants de grandes entreprises qu’il peut être tenu pour responsable d’actions ou de politiques compromettant ou menaçant la stabilité en Ukraine, ou considéré comme soutenant de telles actions ou politiques.

162    En outre, l’affirmation selon laquelle la présence du requérant à la réunion du 24 février 2022 témoigne d’une relation professionnelle et du fait qu’il est impossible de diriger une grande entreprise en Russie sans l’approbation du gouvernement en l’échange d’une loyauté et d’un soutien ne saurait être invoquée à l’appui du critère a). En effet, une telle affirmation générale n’est pas de nature à établir un lien, direct ou indirect, avec la situation en Ukraine à l’origine de l’adoption des mesures restrictives.

163    Par ailleurs, l’allégation selon laquelle le requérant fait partie du cercle rapproché des oligarques proches du président Poutine n’est pas, en tant que telle, de nature à établir un lien au sens de la jurisprudence rappelée au point 157 ci-dessus. À cet égard, il convient en outre de souligner que le Conseil a lui-même estimé, dans le mémoire en défense, que le nom du requérant n’avait pas été inscrit en raison de relations personnelles avec le président, mais en raison d’une relation professionnelle. Dès lors, le fait que le requérant a participé à la réunion du 24 février 2022 ne saurait à lui seul être suffisant afin d’établir le bien-fondé de l’inscription de son nom au titre du critère a).

164    Cinquièmement, s’agissant de la réunion évoquée dans la pièce no 6 du premier dossier WK, il convient de constater que celle-ci avait trait à la situation environnementale dans le territoire de Krasnoïarsk, de sorte que, outre qu’elle ne peut être rattachée aux motifs retenus contre le requérant dans les actes de septembre 2022, elle ne témoigne d’aucun lien entre le requérant et les actions et politiques visées par le critère a).

165    Eu égard aux considérations qui précèdent, le motif d’inscription relatif au critère a) n’est pas suffisamment étayé concernant les actes de septembre 2022. Il convient donc d’examiner le troisième motif d’inscription relatif au critère f).

3)      Sur le critère f)

166    Le requérant considère que la formule selon laquelle il coopère avec les autorités russes est imprécise et incorrecte, mais également dénuée de pertinence. En outre, le Conseil n’aurait apporté aucune preuve à l’appui de ses allégations d’un soutien du requérant au gouvernement russe. Ainsi, ni le fait qu’EuroChem ou SUEK ont engendré et fourni des revenus substantiels pour le gouvernement russe ni la fourniture de nitrate d’ammonium aux zones occupées du Donbass par des entreprises du groupe EuroChem n’auraient été prouvés par le Conseil. En outre, SUEK n’aurait pas signé de contrats avec des sanatoriums de Crimée. La thèse selon laquelle il serait impossible de diriger une grande entreprise prospère en Russie sans l’appui du gouvernement en échange d’une loyauté et d’un soutien aux politiques gouvernementales serait insuffisante pour justifier l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses. Dans la réplique, le requérant précise que le paiement des impôts ne peut constituer un soutien.

167    Le Conseil conteste l’argumentation du requérant et estime que ce dernier était responsable d’un soutien d’une importance quantitative et qualitative au gouvernement russe par le biais des sociétés qu’il gérait, d’une part, en raison de leur contribution au budget de l’État russe et, d’autre part, par l’appui aux politiques du gouvernement telles qu’elles étaient indiquées dans le cas du critère a). En particulier, il rappelle que tant l’industrie des engrais que celle du charbon sont des secteurs stratégiques offrant une importante source de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie. En outre, les seuls impôts directs versés par les sociétés EuroChem et SUEK les distingueraient de sociétés ordinaires. Enfin, ces sociétés auraient activement soutenu les politiques spécifiques du gouvernement russe en fournissant des engrais dans la zone occupée du Donbass et en finançant les vacances en Crimée de certains des employés.

168    Par ailleurs, le Conseil avance que c’est dans le cadre de l’analyse du seul critère f) que les revenus engendrés par des sociétés individuelles revêtent de l’importance. Il précise ne pas avoir uniquement considéré les impôts comme une forme de soutien au gouvernement, mais également le levier stratégique que SUEK et EuroChem fournissaient dans des secteurs d’importance capitale en raison de leurs exportations.

169    Tout d’abord, il convient de rappeler que, dans les actes de septembre 2022, le Conseil s’est référé aux fonctions du requérant de PDG d’EuroChem, alors qu’il avait démissionné de telles fonctions au moment de l’adoption desdits actes (voir points 140 à 159 ci-dessus). Partant, l’argument du requérant selon lequel il n’exerce aucune fonction dans ces sociétés doit être accueilli en ce qui concerne l’affirmation présente dans les motifs selon laquelle il « est le PDG et l’administrateur d’EuroChem Group AG ».

170    À cet égard, si, dans le cas des actes initiaux, le Conseil pouvait valablement se fonder sur le lien entre le requérant et EuroChem, ce lien ne demeure pas valable pour les actes de septembre 2022.

171    Ensuite, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence rappelée au point 145 ci-dessus, il appartient au Conseil d’avancer des indices suffisamment probants permettant raisonnablement de considérer que l’intéressé apporte toujours un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, justifiant l’inscription de son nom sur la liste, même après sa démission (voir, en ce sens, arrêt du 3 juillet 2014, Alchaar/Conseil, T‑203/12, non publié, EU:T:2014:602, point 150 et jurisprudence citée).

172    Or, le Conseil n’a apporté aucun élément démontrant que le requérant fournissait un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie de nature à justifier l’inscription de son nom sur les listes litigieuses au titre du critère f). Au contraire, en dépit de la jurisprudence rappelée au point 136 ci-dessus, il s’est fondé sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié l’inscription initiale du nom du requérant sur les listes litigieuses, liés essentiellement à ses anciennes fonctions au sein d’EuroChem et SUEK, et ce malgré l’évolution de sa situation.

173    En outre, il y a lieu de souligner que le critère f) relatif à « un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie » par des « personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes » est clairement libellé au présent (voir, par analogie, arrêt du 8 mars 2023, Prigozhina/Conseil, T‑212/22, non publié, EU:T:2023:104, point 92). Partant, dès lors que le requérant n’exerçait plus de fonctions au sein d’EuroChem ou de SUEK au jour de l’adoption des actes de septembre 2022, il ne pouvait pas apporter un tel soutien par l’intermédiaire de ces sociétés.

174    Enfin, s’agissant de l’allégation du Conseil tirée de la fourniture d’engrais aux zones occupées du Donbass, il a été constaté, au point 159 ci-dessus, que le Conseil n’avait pas fourni d’élément probant permettant d’établir un lien entre le requérant et une telle fourniture. De même, s’agissant de la prétendue signature de contrats par SUEK avec des sanatoriums de Crimée pour des programmes de santé destinés à ses employés, il a également été constaté que cette allégation n’était pas étayée par la pièce no 5 bis du premier dossier WK et, dès lors, ne reposait pas sur une base factuelle suffisamment solide (voir points 160 à 164 ci-dessus).

175    Par conséquent, à la lumière de ce qui précède, les arguments du requérant à l’égard du critère f) doivent être accueillis s’agissant des actes de septembre 2022.

176    Il résulte des considérations qui précèdent que les motifs d’inscription des actes de septembre 2022 qui se rattachent aux critères a), f) et g) ne sont pas suffisamment étayés, de sorte que ces actes doivent être annulés pour autant qu’ils concernent le requérant.

c)      Sur les actes de mars 2023

177    À titre liminaire, il y a lieu de constater que, dans les motifs des actes de mars 2023 retenus contre le requérant, le Conseil a indiqué que ce dernier était l’« ancien PDG et administrateur d’EuroChem Group AG, fonctions dont il a[vait] démissionné officiellement à la suite de son inscription sur les listes établies dans le cadre des mesures restrictives de l’Union, mais [qu’]il continu[ait] d’exercer une influence par l’intermédiaire de sociétés-écrans », que, « [a]uparavant (entre 2004 et 2020), il était le PDG d’une société charbonnière dénommée JSC SUEK » et qu’« [i]l s’agit d’entreprises russes de premier plan, détenues conjointement par Aleksandra Melnichenko, épouse du milliardaire russe Andrei Melnichenko ».

178    Au soutien du bien-fondé des actes de mars 2023 à l’égard du requérant, le Conseil se réfère au deuxième dossier WK, qui est composé de trois pièces, à savoir :

–        un article émanant du site d’EuroChem annonçant la démission du requérant (pièce no 1) ;

–        un article provenant du site Internet « rambler.ru », publié le 18 mars 2022 (pièce no 2) ;

–        un article provenant du journal De Tijd, publié le 28 mars 2022 (pièce no 3).

179    Le requérant indique que la pièce no 3 du deuxième dossier WK le désigne comme le PDG d’EuroChem, une semaine après sa démission. Il conteste la valeur probante de cet article aux fins des actes de mars 2023, adoptés un an après sa publication. En outre, le requérant réitère qu’un comportement passé ne saurait constituer un motif suffisant à l’imposition de mesures restrictives et que le Conseil ne disposerait d’aucune preuve du fait que sa démission ne serait qu’un simulacre.

180    De plus, aucune pièce du deuxième dossier WK ne témoignerait d’une influence du requérant sur le gouvernement russe. Le requérant précise que l’allégation selon laquelle il exerce une influence sur EuroChem par l’intermédiaire de sociétés-écrans ne peut être utilement soutenue par les preuves fournies par le Conseil, en particulier la pièce no 2 du deuxième dossier WK.

181    Enfin, le requérant estime que l’information selon laquelle EuroChem et SUEK seraient détenues conjointement par Aleksandra Melnichenko est dénuée de pertinence aux fins de l’inscription de son nom. Il souligne que le reste de la motivation est inchangée et rappelle ne pas avoir été invité par le président Poutine à la réunion du 24 février 2022. Par ailleurs, il souligne le rôle de la RSPP qui aurait à de nombreuses occasions contesté les politiques du gouvernement russe.

182    Le Conseil conteste les arguments du requérant. S’il admet que le requérant a démissionné de ses fonctions de PDG d’EuroChem le jour de l’imposition des mesures restrictives, il soutient toutefois que les effets de cette démission ont dû être appréciés afin de vérifier si celle-ci n’était pas fictive et considère que lesdites fonctions demeuraient pertinentes au regard du critère g). Le Conseil a estimé que le requérant demeurait un homme d’affaires important dès lors qu’il avait conservé des liens avec EuroChem et que le terme « influent » ne saurait être interprété restrictivement. Le Conseil rappelle en outre que le requérant a conservé ses fonctions au sein de la RSPP.

183    S’agissant de la pièce no 2 du deuxième dossier WK, le Conseil considère que, si la traduction peut comporter des erreurs concernant la relation du requérant avec EuroChem, la déclaration selon laquelle il continue d’agir en tant que directeur de sociétés liées à SUEK ne serait pas contestée par le requérant. En outre, le fait que l’éditeur ait décidé de retirer l’article en cause ne prouverait nullement que son contenu était inexact dès lors que ce retrait pourrait résulter de pressions exercées par le requérant. En réponse à la critique du requérant en ce qui concerne la fiabilité de la pièce no 2 du deuxième dossier WK, le Conseil produit l’annexe F1 à ses observations sur le premier mémoire en adaptation, qui démontrerait que le requérant est resté membre du conseil d’administration de Siberian Generating Company LLC (ci-après « SGC »), une société liée à SUEK. Partant, les pièces du deuxième dossier WK étayeraient la conclusion selon laquelle le requérant restait actif dans le secteur de l’énergie.

184    Enfin, le Conseil rappelle que la participation du requérant à la réunion du 24 février 2022 corrobore également la conclusion selon laquelle il soutient ou met en œuvre des actions menaçant l’intégrité territoriale de l’Ukraine, ce qui aurait été établi au regard du fait qu’il était responsable de l’apport d’un soutien d’une importance quantitative et qualitative au gouvernement russe, d’une part, en raison de la contribution des sociétés qu’il gérait au budget de la Fédération de Russie et, d’autre part, en raison de l’appui apporté aux politiques du gouvernement de la Fédération de Russie.

1)      Sur le critère g)

185    En premier lieu, il convient de rappeler, ainsi qu’il ressort du point 144 ci-dessus, que les seules fonctions passées du requérant de PDG d’EuroChem et de SUEK ne peuvent, en elles-mêmes, constituer une preuve suffisante de ce que sa qualité d’homme d’affaires influent actif dans des secteurs qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie perdurait. Partant, aux fins de l’appréciation du critère g), il convient de vérifier si les éléments de preuve soumis par le Conseil constituent un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants pour étayer le motif selon lequel le requérant « continu[ait] d’exercer une influence par l’intermédiaire de sociétés-écrans ».

186    À cet égard, il y a lieu de souligner que cette dernière affirmation repose sur la pièce no 2, qui consiste en un extrait d’un article de presse publié sur le site Internet « rambler.ru », rédigé dans les termes suivants :

« Selon un schéma similaire, Andrey Melnichenko, l’ancien propriétaire de SUEK ne tombe plus sous le coup des sanctions. Une déclaration a été publiée le 10 mars s’agissant de sa démission du conseil d’administration ainsi que la cessation de sa qualité de propriétaire. “Avant la fin 2021, la société représentant les intérêts d’affaires de Andrey Melnichenko possédait 92,2 % des actions de la société. Après que M. Melnichenko a quitté le conseil d’administration et le nombre des bénéficiaires de SUEK, ses parts ont été réduites à 0 %” a affirmé SUEK dans un communiqué de presse. D’après SPARK-Interfax, 100 % de SUEK est directement détenu par Cypriot SUEK holdings. Sa directrice est l’énigmatique [A], une des managers de top de Dominanto Holdings et Exactco Holdings. Toutes deux sont également enregistrées à Chypre et ont pour directeur Vladimir Rashevsky. Comme Melnichenko, il était membre du conseil d’administration de SUEK, et, étant tombé sous le coup des sanctions, l’a quittée. Il a également démissionné de la position de directeur général d’EuroChem, également contrôlée par Andrey Melnichenko (il a réussi à mettre en place un schéma similaire, comme dans le cas de SUEK, pour se “débarasser” d’EuroChem). »

187    Or, il convient de constater que si cet article établit que les holdings chypriotes de SUEK ont pour directrice A et que cette dernière est aussi l’une des cadres supérieurs de Dominanto Holdings et Exactco Holdings, également enregistrées à Chypre, il se limite à mentionner que le requérant est directeur de Dominanto Holdings et Exactco Holdings. Il ressort donc uniquement de l’article que A est « top manager » dans deux sociétés dans lesquelles le requérant est directeur et qu’elle est par ailleurs directrice des holdings chypriotes de SUEK. Dès lors, le lien auquel il est fait allusion entre le requérant et A ne permet pas d’attester de l’existence de sociétés-écrans et n’implique pas que le requérant continue d’exercer une influence sur SUEK par l’intermédiaire de telles sociétés. Au demeurant, il convient de constater que le motif selon lequel le requérant « continue d’exercer une influence par l’intermédiaire de sociétés-écrans » semble exclusivement faire référence à EuroChem et qu’une influence sur SUEK n’est pas mentionnée dans les motifs.

188    En outre, s’agissant de l’éventuelle influence du requérant sur EuroChem par l’intermédiaire de sociétés-écrans, l’article fourni par le Conseil se limite à indiquer qu’« il a réussi à mettre en place un schéma similaire, comme dans le cas de SUEK, pour se débarrasser d’EuroChem » et que « 100 % des parts d’EuroChem sont détenues par le groupe EuroChem suisse et qu’il n’a pas été possible de trouver qui était derrière le groupe EuroChem, mais que cela pourrait être quelqu’un de l’entourage de Melnichenko, même si c’est le plus ordinaire “purchasing ou sales manager” ».

189    À cet égard, il convient de souligner que le Conseil lui-même, dans ses observations sur le premier mémoire en adaptation, reconnaît que la traduction pourrait comporter des erreurs concernant la relation du requérant avec EuroChem. Ainsi, l’article en question ne permet pas de déterminer avec suffisamment de certitude qui du requérant ou de M. Melnichenko a « réussi à mettre en place un schéma similaire, comme dans le cas de SUEK, pour se “débarasser” d’EuroChem ». De surcroît, il y a lieu de relever qu’il est indiqué, dans ledit article, qu’il n’est pas possible de savoir qui est derrière EuroChem. Partant, l’existence d’une quelconque influence du requérant sur EuroChem par l’intermédiaire de sociétés-écrans ne ressort pas de la pièce no 2 du deuxième dossier WK.

190    Dès lors qu’il ressort des points 192 et 193 ci-dessus qu’aucune influence du requérant par l’intermédiaire de sociétés-écrans ne peut être considérée comme suffisamment établie, les conséquences à tirer du retrait de l’article constituant la pièce no 2 par son éditeur ne sauraient être décisives. En outre, la pièce no 2 n’est pas corroborée par d’autres éléments de preuve et ne saurait être en elle-même suffisante.

191    À la lumière de ce qui précède, il convient de considérer que, aux fins d’établir le bien-fondé des actes de mars 2023, le Conseil n’a pas fourni un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants étayant que le requérant était un homme d’affaires influent ayant des activités dans des secteurs qui fournissaient une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie au sens du critère g).

192    Ce constat ne saurait être remis en cause, premièrement, par l’argument du Conseil selon lequel le requérant demeure un homme d’affaires influent dès lors qu’il reste membre de la RSPP. En effet, à l’instar de ce qui a été constaté au point 147 ci-dessus, cet élément d’information ne se rattache pas davantage aux motifs des actes de mars 2023 et ne peut dès lors être pris en compte par le Tribunal.

193    Deuxièmement, s’agissant de la preuve produite par le Conseil au cours de la phase contentieuse devant le Tribunal, consistant en un extrait du registre des sociétés de Spark-Interfax et attestant de la présence du requérant en tant que membre du conseil d’administration de SGC, il convient en tout état de cause de constater que, en dépit du fait que le document semble établir une influence du requérant sur ladite société, il n’est pas possible d’en déduire qu’il aurait une influence, par l’intermédiaire de cette dernière, sur SUEK.

194    Troisièmement, s’agissant de l’argument du Conseil tiré de la participation du requérant à la réunion du 24 février 2022, il suffit de rappeler que cet élément ne saurait à lui seul être suffisant pour établir le bien-fondé de l’inscription de son nom au titre du critère g), ainsi que cela ressort du point 149 ci-dessus.

195    En second lieu, il convient de souligner que le Conseil reconnaît que l’indication dans les motifs des actes de mars 2023 selon laquelle EuroChem et SUEK « sont détenues conjointement par Aleksandra Melnichenko » est une affirmation purement factuelle n’ayant pas d’influence sur la situation du requérant.

196    Dès lors, il convient de constater que le Conseil n’a pas apporté un faisceau d’indices précis et concordants afin d’étayer l’inscription du nom du requérant au titre du critère g).

2)      Sur les critères a) et f)

197    D’une part, il y a lieu de rappeler que les motifs d’inscription ayant trait au critère a) retenus dans les actes de mars 2023 demeurent inchangés par rapport à ceux des actes de septembre 2022 et se fondent sur la fourniture par EuroChem de nitrate d’ammonium aux zones occupées du Donbass, sur les contrats signés par SUEK avec des sanatoriums en Crimée pour des programmes de santé destinés à ses employés ainsi que sur la participation du requérant à la réunion du 24 février 2022.

198    Or, il ressort des points 156 et 169 ci-dessus que, s’agissant du critère a), le Conseil est resté en défaut d’apporter un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptible d’étayer l’inscription du nom du requérant au titre dudit critère et le Conseil n’apporte aucun élément de preuve en ce sens dans le deuxième dossier WK.

199    D’autre part, s’agissant du critère f), il convient de rappeler que les motifs d’inscription reposent essentiellement sur l’influence exercée par le requérant sur EuroChem ou SUEK. Or, dès lors que le Conseil n’a pas apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants afin d’étayer une telle influence, tel que cela ressort des points 189 à 194 ci-dessus, il ne saurait être considéré que lesdits motifs peuvent justifier le maintien du nom du requérant sur les listes en cause au regard du critère f).

200    Partant, les motifs d’inscription des actes de mars 2023 qui se rattachent aux critères a) et f) ne sont pas suffisamment étayés.

201    Dès lors, à la lumière de ce qui précède, il convient de conclure que le Conseil est resté en défaut d’apporter un faisceau d’indices concrets, précis et concordants susceptibles d’étayer de manière suffisante les motifs de maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses, par les actes de mars 2023, au titre des critères a), f) et g), de sorte que ces actes doivent être annulés pour autant qu’ils concernent le requérant.

d)      Sur les actes de septembre 2023

202    Le requérant réitère en substance ses arguments contenus dans la requête et dans le premier mémoire en adaptation. En premier lieu, il conteste le bien-fondé de l’allégation selon laquelle il continue d’exercer son influence par le biais des sociétés-écrans sur EuroChem. En deuxième lieu, il fait valoir qu’il n’a aucun lien avec la fourniture alléguée par EuroChem des engrais dans les zones occupées du Donbass. En troisième lieu, il soutient qu’il n’a aucune responsabilité s’agissant des prétendus contrats avec les sanatoriums en Crimée. En quatrième lieu, il conteste faire partie du cercle restreint de Vladimir Poutine.

203    Le Conseil conteste les arguments du requérant. En premier lieu, il fait valoir que les nouveaux dossiers de preuves qu’il a notifiés au requérant contenaient des éléments visant les fonctions de celui-ci dans le cadre de SGC et de la fondation Skolkovo. Le Conseil affirme également que si des éléments additionnels ont été analysés et notifiés au requérant afin d’obtenir ses observations sur ceux-ci, il a estimé que lesdits éléments ne constituaient pas des motifs distincts.

204    En deuxième lieu, le Conseil fait valoir que le requérant continue d’être un homme d’affaires important dont les activités dans les secteurs de l’énergie et des engrais perdurent, même après sa démission de ses fonctions de haut niveau, en particulier en tenant compte de sa qualité de membre du conseil d’administration de SGC.

205    En troisième lieu, le Conseil estime que les autres motifs d’inscription, liés aux critères a) et f) restent valables. Cela serait également démontré, notamment, par les fonctions du requérant en tant que membre du directoire de la RSPP, de président de la commission du complexe minier et industriel, de vice-président du comité de politique climatique et de régulation du carbone, ainsi que directeur du conseil de coordination du département Sibérie de la RSPP, attestées par le point 39 de la requête.

206    En quatrième lieu, le Conseil met en exergue la pièce no 1 des troisième et quatrième dossiers WK, attestant que le requérant continue d’être membre du conseil d’administration de SGC. Le Conseil affirme également que les éléments de preuve apportés par le requérant afin de contester cette pièce n’ont pas été apportés in tempore non suspecto et ne sont pas fiables.

207    À titre liminaire, il convient de rappeler que les motifs d’inscription du nom du requérant n’ont pas été modifiés, mais que le Conseil a fourni de nouveaux éléments de preuve afin d’étayer cette inscription.

208    À cet égard, d’une part, il convient de relever que le troisième dossier WK contient un dossier composé de six nouveaux éléments de preuve, à savoir :

–        la pièce no 1, qui consiste en un extrait du site Internet « spark-interfax.ru », en date du 4 mai 2023, attestant que le requérant est membre du conseil d’administration de SGC, qui, selon le Conseil, fait partie du groupe de sociétés SUEK ;

–        la pièce no 2, qui consiste en un extrait du site officiel de SGC, en date du 4 mai 2023 ;

–        la pièce no 3, qui consiste en un extrait du site Internet de la base de données « crunchbase.com », en date du 4 mai 2023, attestant que le requérant est le président du conseil d’administration de la Fondation Skolkovo, une organisation créée par le gouvernement russe en 2010 ;

–        la pièce no 4, qui consiste également en un extrait du site Internet de la base de données « cruchbase.com », en date du 4 mai 2023, qui offre des détails s’agissant de la Fondation Skolkovo ;

–        la pièce no 5, qui consiste en un extrait du site officiel de la Fondation Skolkovo, en date du 4 mai 2023, attestant que ladite fondation avait été incluse dans un programme gouvernemental pour le développement économique et l’innovation ;

–        la pièce no 6, qui consiste en un extrait du site Internet « opensanctions.org », en date du 21 mars 2023, reproduisant les informations relatives aux mesures restrictives auxquelles est soumis le requérant.

209    D’autre part, il y a lieu d’indiquer que le quatrième dossier WK contient huit éléments de preuve. Les pièces nos 1 à 4 du quatrième dossier WK sont identiques aux pièces nos 1 à 4 du troisième dossier WK, listées au point 212 ci-dessus. Le quatrième dossier WK contient également quatre autres pièces, à savoir :

–        la pièce no 5, qui consiste en un article du journal russe Kommersant du 25 mai 2018, attestant que SGC a participé aux marchés publics dans le secteur de l’énergie en Russie et que le propriétaire de la société SUEK, Andrey Melnichenko, envisageait la fusion entre SGC et SUEK ;

–        la pièce no 6, qui consiste en un extrait du site du journal local « newslab.ru », datant de 2023, qui atteste du rôle de SGC dans le secteur de l’énergie ;

–        la pièce no 7, qui consiste en un article publié par le site du journal local « newslab.ru » le 9 septembre 2016, faisant état d’un entretien entre le gouverneur de la région de Krasnoyarsk Krai et les dirigeants de SUEK et SGC, parmi lesquels le requérant, à l’époque directeur général de SUEK et membre du conseil d’administration de SGC ;

–        la pièce no 8, qui consiste en un article publié sur le site de l’agence de presse russe ITAR-TASS, en date du 18 mai 2020, relatif aux changements des dirigeants de la société SUEK et de sa filiale SGK.

210    Le requérant soutient que l’information présentée par la base de données Spark-Interfax (pièce no 1 des troisième et quatrième dossiers WK) est erronée et qu’il n’est pas membre du conseil d’administration de SGC et présente des éléments afin d’apporter la preuve contraire.

211    En premier lieu, il y a lieu d’examiner si les fonctions du requérant dans SGC, dont le Conseil se prévaut, sont de nature à démontrer le bien-fondé du motif d’inscription selon lequel « il continue d’exercer une influence par l’intermédiaire de sociétés-écrans ».

212    À cet égard, il y a lieu de relever d’emblée que, en ce qui concerne les actes de septembre 2023, la partie pertinente de leur motivation précise, en premier lieu, que le requérant est l’ancien PDG et administrateur d’EuroChem, en deuxième lieu, qu’il a démissionné officiellement de ces fonctions à la suite de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses, en troisième lieu, qu’il continue toutefois d’exercer une influence par l’intermédiaire de sociétés-écrans, en quatrième lieu, qu’EuroChem est l’un des plus grands producteurs d’engrais chimiques du monde et, en cinquième lieu, qu’auparavant (entre 2004 et 2020), il était le PDG de SUEK. Partant, il résulte de la lecture de l’exposé des motifs que ladite influence par le biais des sociétés-écrans se réfère à EuroChem et non à SUEK. Or, il ne résulte aucunement des éléments de preuve nos 1 et 2 des troisième et quatrième dossiers WK qu’il existait un lien entre SGC et EuroChem. Au contraire, si SGC était active dans le secteur de l’énergie, les activités d’EuroChem portent sur le secteur des engrais.

213    Par ailleurs, même si une lecture très large de l’exposé des motifs permettait de comprendre que « l’influence [du requérant] par l’intermédiaire des sociétés-écrans » concernait également la société SUEK, il ne ressortirait pas à suffisance des troisième et quatrième dossiers WK que le requérant exerçait une telle influence par le biais de SGC. En effet, il résulte de la pièce no 1 des troisième et quatrième dossiers WK et de la pièce no 8 du quatrième dossier WK que c’est SUEK qui était la société fondatrice de SGC, ou sa société mère, ce qui suppose que SUEK pouvait exercer une influence sur SGC, sans que l’inverse soit vrai. Partant, il ne saurait être déduit de ces pièces que SGC représentait une « société-écran » par rapport à SUEK. Par conséquent, la qualité de membre du conseil d’administration d’une filiale de la société SUEK ne permet pas d’établir que le requérant continuait d’exercer une influence sur ladite société par l’intermédiaire d’une société-écran.

214    En tout état de cause, s’agissant de l’exactitude matérielle des faits relevés par le Conseil, il y a lieu de rappeler que le requérant a apporté des éléments de preuve, dans ses lettres des 3 et 24 juillet 2023, en réponse aux communications du Conseil des 19 juin et 10 juillet 2023, afin de soutenir que ses fonctions dans le cadre de SGC avaient cessé. Dans lesdites lettres, il soutient également, éléments de preuve à l’appui, que ses fonctions dans la Fondation Skolkovo avaient cessé depuis 2019.

215    Dans sa lettre du 15 septembre 2023 par laquelle il a informé le requérant de son maintien sur les listes, le Conseil affirme avoir « pris en compte » les éléments de preuve apportés par le requérant.

216    Dès lors que le Conseil se limite à affirmer que les éléments de preuve n’ont pas été apportés in tempore non suspecto et ne sont pas fiables, il y a lieu de constater que le Conseil reste en défaut de réfuter lesdits éléments de preuve. En effet, s’agissant de la fiabilité desdits éléments de preuve, il y a lieu de constater que, si le requérant fournit des extraits du site Spark-Interfax (annexes 1 et 6 à la lettre du requérant du 3 juillet 2023), le Conseil lui-même a invoqué des extraits du même site (pièce no 1 du troisième dossier WK). De plus, c’est uniquement après réception des lettres du Conseil du 19 juin 2023 que le requérant a eu la possibilité de les contester.

217    En deuxième lieu, s’agissant du raisonnement du Conseil tiré de la qualité alléguée du requérant de membre du conseil d’administration de SGC et des activités de cette société dans le secteur de l’énergie, afin d’étayer son statut d’« homme d’affaires ayant une activité dans un secteur économique qui fournit une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie », au sens du critère g) modifié, il y a lieu de constater qu’un tel raisonnement ne repose sur aucun lien avec l’exposé des motifs. Or, sauf à admettre une substitution de motifs, le Conseil ne saurait se prévaloir d’un élément de preuve afin d’étayer une affirmation qui n’est aucunement liée aux motifs tels qu’ils figurent sur les listes litigieuses. En effet, cette affirmation est liée à une société qui n’est aucunement mentionnée dans l’exposé des motifs, qui reposent, tel que cela est rappelé au point 212 ci-dessus, sur l’influence exercée par le requérant sur EuroChem et SUEK par le biais de sociétés-écrans.

218    Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que le Conseil admet que, après avoir examiné les nouveaux éléments transmis par le requérant, il a décidé, en substance, que les motifs antérieurs étaient suffisants et qu’il n’était pas nécessaire de les modifier. À cet égard, si les éléments du dossier de preuve peuvent compléter certains éléments de la motivation, en se rattachant à ceux-ci, il ne saurait être admis qu’ils remplacent ladite motivation. Or, en l’espèce, il est impossible d’identifier l’élément de la motivation auquel se rattacheraient les éléments tirés des fonctions du requérant dans le cadre de SGC.

219    Il en va de même s’agissant des fonctions du requérant dans le cadre de la Fondation Skolkovo. En effet, les éléments de preuve fournis par le Conseil à cet égard ne sont liés à aucune partie de l’exposé des motifs. De plus, il n’est pas aisé de déterminer si lesdits éléments tendent à prouver que le requérant demeure un « homme d’affaires » soit « influent exerçant des activités en Russie », soit « ayant une activité dans un secteur économique qui fournit une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie », au sens du critère g) modifié ou s’il tire avantage du gouvernement russe, au sens du critère f). Au demeurant, s’agissant du critère g), les fonctions du requérant dans une fondation, même gouvernementale et même impliquée dans des projets de développement économique, ne sont pas, en soi, de nature à démontrer que celui-ci demeure un « homme d’affaires ».

220    À cet égard, force est d’observer que, si le Conseil pouvait avancer des nouveaux motifs distincts de ceux énoncés dans les actes attaqués en vue de régulariser l’absence ou le caractère erroné en fait des motifs desdits actes, cette situation porterait atteinte aux droits de la défense de la partie requérante et à son droit à une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2023, QF/Conseil, T‑386/22, non publié, EU:T:2023:670, point 69 et jurisprudence citée).

221    Troisièmement, il y a lieu de constater que les éléments de preuve nos 5, 7, et 8 du quatrième dossier WK, qui visent les fonctions du requérant dans le cadre de SGC ainsi que les liens entre ladite société et SUEK, ne sont pas pertinents afin d’étayer le fait que, à la date d’adoption des actes de septembre 2023, le requérant avait la qualité de membre du conseil d’administration de cette société. En effet, lesdits documents datent de 2016, 2018 et 2020 et le requérant ne conteste pas qu’il détenait toujours ladite qualité à ces dates.

222    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que le Conseil n’a pas apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles de mettre en évidence le fait que le requérant demeurait un homme d’affaires influent exerçant des activités en Russie ou un homme d’affaires ayant une activité dans un secteur économique qui fournissait une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.

223    S’agissant des critères a) et f), il ressort du point 202 ci-dessus que, s’agissant des actes de mars 2023, le Conseil est resté en défaut d’apporter un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles d’étayer de manière suffisante le motif d’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, au titre de ces critères, dès lors qu’il n’a pas été en mesure d’établir que le requérant exerçait un contrôle sur EuroChem et SUEK. Or, dès lors que le Conseil reste en défaut d’apporter la preuve d’un tel contrôle, les conclusions tirées aux points 169, 179 et 204 valent a fortiori pour les actes de septembre 2023.

224    Ainsi, il convient de conclure que le Conseil n’a pas apporté un faisceau d’indices concrets, précis et concordants susceptible de mettre en évidence le fait que le requérant était un homme d’affaires influent, qu’il apportait un soutien au gouvernement russe ou qu’il était responsable d’actions ou de politiques qui compromettaient ou menaçaient l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, aux fins de justifier le bien-fondé des actes de septembre 2023, lesquels doivent donc être annulés.

225    Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, il convient d’accueillir le troisième moyen du recours dans l’affaire T‑739/22 et, partant, d’annuler les actes de septembre 2022, de mars 2023 et de septembre 2023, en ce qu’ils concernent le requérant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens et arguments soulevés à l’appui du recours dans ladite affaire.

V.      Sur les dépens

226    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

227    Le requérant ayant succombé dans l’affaire T‑309/22, il y a lieu de la condamner aux dépens dans cette affaire, conformément aux conclusions du Conseil.

228    Le Conseil ayant succombé pour l’essentiel dans l’affaire T‑739/22, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Les affaires T309/22 et T739/22 sont jointes aux fins de l’arrêt.

2)      La décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC du Conseil concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, le règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, la décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, le règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, la décision (PESC) 2023/1767 du Conseil, du 13 septembre 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et le règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil, du 13 septembre 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine sont annulés en tant que ces actes concernent M. Vladimir Rashevsky.

3)      Le recours dans l’affaire T309/22 est rejeté.

4)      Le recours dans l’affaire T739/22 est rejeté pour le surplus.

5)      M. Rashevsky est condamné aux dépens dans l’affaire T309/22.

6)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens dans l’affaire T739/22.

Spielmann

Mastroianni

Gâlea

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 juillet 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.