Language of document : ECLI:EU:T:2022:307

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

30 mai 2022 (*)

« Référé – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions de la Russie compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Demande de mesures provisoires – Défaut de fumus boni juris – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑193/22 R,

OT, représenté par Mes J.‑P. Hordies et C. Sand, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. V. Piessevaux, A. Boggio‑Tomasaz et Mme M.‑C. Cadilhac, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

1        Par sa demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE, le requérant, OT, demande au Tribunal, premièrement, de surseoir à l’exécution du règlement d’exécution (UE) 2022/427 du Conseil, du 15 mars 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 87I, p. 1), et de la décision (PESC) 2022/429 du Conseil, du 15 mars 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 87I, p. 44) (ci‑après, pris ensemble, les « actes attaqués »), dans la mesure où ces actes le concernent ; deuxièmement, de lui octroyer les mesures provisoires suivantes : en premier lieu, lui accorder le droit de rejoindre sa famille [confidentiel] et de se rendre sur le territoire de l’Union européenne ; en deuxième lieu, prendre acte de son engagement de ne pas quitter le territoire d’un État membre pendant toute la durée de la procédure de référé ; en troisième lieu, lui accorder le droit, pendant la durée de la procédure de référé nécessaire pour cela, de disposer de ses avoirs, afin de subvenir aux besoins de sa famille, dans la limite d’une somme plafonnée, et de faire face aux coûts raisonnables pour assurer sa défense et, en quatrième lieu, prendre acte de son engagement de n’effectuer ni transfert de fonds ni acte quelconque de disposition relatifs aux avoirs qui pourraient être temporairement libérés, autres que ceux expressément autorisés par l’ordonnance à intervenir ; troisièmement, d’enjoindre au Conseil de l’Union européenne de produire le dossier non confidentiel comprenant les motifs clairs et précis ayant fondé les actes attaqués et de le lui communiquer.

2        Le 24 février 2022, la Fédération de Russie a agressé militairement l’Ukraine.

3        Ce même jour du 24 février 2022, le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a publié une déclaration au nom de l’Union condamnant avec la plus grande fermeté l’invasion non provoquée de l’Ukraine par les forces armées de la Fédération de Russie.

4        Lors de sa réunion extraordinaire du même jour, le Conseil européen a condamné l’intervention militaire de la Fédération de Russie en Ukraine tout en marquant son accord de principe pour l’adoption de mesures restrictives et sanctions économiques envers la Fédération de Russie au regard des propositions de la Commission européenne et du Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.

5        Le 15 mars 2022, dans le sillage de ces déclarations, le Conseil de l’Union européenne a adopté les actes attaqués. Par ces actes, le nom du requérant a été ajouté sur les listes des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives qui figuraient à l’annexe I du règlement (UE) no 269/2014 du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6), et à l’annexe de la décision 2014/145/PESC du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16) (ci-après les « listes en cause »).

6        Les motifs de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause sont les suivants :

« [confidentiel] »

7        Le 16 mars 2022, le Conseil a procédé à la publication au Journal officiel de l’Union européenne de l’avis à l’attention des personnes, entités et organismes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2014/145, modifiée par la décision 2022/429, et par le règlement no 269/2014, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2022/427 (JO 2022, C 121I, p. 1).

8        Le 13 avril 2022, le Conseil a communiqué au requérant l’intégralité du dossier sur lequel il avait fondé sa décision.

9        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 avril 2022, le requérant a introduit un recours tendant à l’annulation des actes attaqués.

10      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a introduit la présente demande en référé, dans laquelle il conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        ordonner le sursis à l’exécution des actes attaqués en tant qu’ils le concernent ;

–        décider que ce sursis prendra effet le jour de l’ordonnance à intervenir, sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal ;

–        lui octroyer les mesures provisoires suivantes : en premier lieu, lui accorder le droit de rejoindre sa famille [confidentiel] et de se rendre sur le territoire de l’Union ; en deuxième lieu, prendre acte de son engagement de ne pas quitter [confidentiel] pendant toute la durée de la procédure de référé ; en troisième lieu, lui accorder le droit, pendant la durée de la procédure de référé nécessaire pour cela, de disposer de ses avoirs, afin de subvenir aux besoins de sa famille, dans la limite d’une somme plafonnée, et de faire face aux coûts raisonnables pour assurer sa défense et, en quatrième lieu, prendre acte de son engagement de n’effectuer ni transfert de fonds ni acte quelconque de disposition relatifs aux avoirs qui pourraient être temporairement libérés, autres que ceux expressément autorisés par l’ordonnance à intervenir ;

–        enjoindre au Conseil de produire le dossier non confidentiel comprenant les motifs clairs et précis ayant fondé les actes attaqués et de le lui communiquer ;

–        prendre acte qu’il présentera ses observations dans un délai de huit jours à dater de la réception de la communication du dossier non confidentiel et complet par le Conseil ;

–        fixer une audience de référé ;

–        réserver les dépens.

11      Le 5 mai 2022, le requérant a déposé une demande de mesures d’organisation de la procédure.

12      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 6 mai 2022, le Conseil conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé comme manifestement non fondée ;

–        condamner le requérant aux dépens de l’instance.

13      Le 13 mai 2022, le Conseil a déposé ses observations sur la demande de mesures d’organisation de la procédure.

 En droit

 Considérations générales

14      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (ordonnance du 19 juillet 2016, Belgique/Commission, T‑131/16 R, EU:T:2016:427, point 12).

15      L’article 156, paragraphe 4, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier « l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ».

16      Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents, en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets avant la décision dans l’affaire principale. Ces conditions sont cumulatives, de telle sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, EU:C:2016:142, point 21 et jurisprudence citée).

17      En outre, en vertu de l’article 156, paragraphe 5, du règlement de procédure, la demande est présentée par acte séparé.

18      Ainsi, selon la jurisprudence, l’absence d’explication suffisante, dans la demande en référé, des éléments constitutifs d’un fumus boni juris ne saurait être compensée par la requête dans l’affaire principale ayant été déposée au greffe du Tribunal (ordonnance du 29 juillet 2010, Cross Czech/Commission, T‑252/10 R, non publiée, EU:T:2010:323, point 14).

19      En effet, si la demande en référé peut être complétée sur des points spécifiques par des renvois à des pièces qui y sont annexées, ces dernières ne sauraient pallier l’absence des éléments essentiels dans ladite demande. Il n’incombe pas au juge des référés de rechercher, en lieu et place de la partie concernée, les éléments contenus dans les annexes ou dans la requête au principal qui seraient de nature à corroborer la demande en référé. Une telle obligation mise à la charge du juge des référés serait d’ailleurs de nature à priver d’effet la disposition du règlement de procédure qui prévoit que la demande relative à des mesures provisoires doit être présentée par acte séparé (ordonnance du 29 juillet 2010, Cross Czech/Commission, T‑252/10 R, non publiée, EU:T:2010:323, point 15).

20      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [voir ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil, C‑110/12 P(R), non publiée, EU:C:2012:507, point 23 et jurisprudence citée].

21      Compte tenu des éléments du dossier, le président du Tribunal estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

22      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord la condition relative au fumus boni juris.

 Sur le fumus boni juris

23      Selon une jurisprudence constante, la condition relative au fumus boni juris est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Tel est le cas dès lors que l’un de ces moyens révèle l’existence d’un différend juridique ou factuel important dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond [voir, en ce sens, ordonnances du 3 décembre 2014, Grèce/Commission, C‑431/14 P‑R, EU:C:2014:2418, point 20 et jurisprudence citée, et du 1er mars 2017, EMA/MSD Animal Health Innovation et Intervet international, C‑512/16 P(R), non publiée, EU:C:2017:149, point 59 et jurisprudence citée].

24      Afin de déterminer si la condition relative au fumus boni juris est remplie en l’espèce, il y a lieu de procéder à un examen prima facie du bien‑fondé des griefs invoqués par la partie requérante à l’appui du recours dans l’affaire principale et donc de vérifier si au moins l’un d’entre eux présente un caractère suffisamment sérieux pour justifier qu’il ne soit pas écarté dans le cadre de la procédure de référé (voir ordonnance du 4 mai 2020, Csordas e.a./Commission, T‑146/20 R, non publiée, EU:T:2020:172, point 26 et jurisprudence citée).

25      En l’espèce, aux fins de démontrer que les actes attaqués sont, à première vue, entachés d’illégalité, le requérant invoque trois moyens dans la demande en référé.

26      Le Conseil conteste le bien‑fondé de l’argumentation du requérant.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation des droits de la défense

27      Par son premier moyen, le requérant allègue que le Conseil ne lui a pas notifié individuellement sa décision de le soumettre à des mesures restrictives et ne l’a pas invité à présenter des observations. Le requérant ajoute que, afin qu’il puisse exercer ses droits de la défense, le Conseil aurait dû lui communiquer les motifs clairs, précis et complets fondant sa décision. En outre, le Conseil n’aurait pas répondu de façon satisfaisante à ses demandes et ne lui aurait pas communiqué d’éléments de preuve sérieux, objectifs et vérifiables.

28      À cet égard, il convient de rappeler que le juge de l’Union distingue, d’une part, l’inscription initiale du nom d’une personne sur les listes des personnes visées par des mesures restrictives et, d’autre part, le maintien du nom de cette personne sur lesdites listes (arrêt du 30 avril 2015, Al‑Chihabi/Conseil, T‑593/11, EU:T:2015:249, point 40).

29      En ce qui concerne les actes attaqués, inscrivant pour la première fois le nom du requérant sur les listes en cause, il convient de préciser que, dans le cadre d’une procédure portant sur l’adoption de la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur une liste figurant à l’annexe d’un acte portant mesures restrictives, le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective exige que l’autorité compétente de l’Union communique à la personne concernée les éléments dont elle dispose à l’encontre de ladite personne pour fonder sa décision, afin que cette personne puisse défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge de l’Union. Lors de cette communication, l’autorité compétente de l’Union doit permettre à cette personne de faire connaître utilement son point de vue à l’égard des motifs retenus à son égard (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 111 et 112 ; voir également, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, T‑228/02, EU:T:2006:384, point 93).

30      Toutefois, le Conseil n’est pas tenu de communiquer au préalable à la personne ou à l’entité concernées les motifs sur lesquels cette institution entend fonder l’inclusion initiale de son nom dans les listes concernées. En effet, une telle mesure, afin de ne pas compromettre son efficacité, doit, par sa nature même, pouvoir bénéficier d’un effet de surprise et s’appliquer immédiatement. Dans un tel cas, il suffit, en principe, que l’institution procède à la communication des motifs à la personne ou à l’entité concernées et ouvre le droit à l’audition de celle‑ci concomitamment à l’adoption de la décision en cause ou immédiatement après cette adoption (arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 61).

31      En l’espèce, certes, les actes attaqués n’ont pas été communiqués directement à l’adresse du requérant. En effet, l’adresse du requérant n’étant pas publique et ne lui ayant pas été fournie, le Conseil a recouru à la publication de l’avis prévue à l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement d’exécution 2022/427, et à l’article 3, paragraphe 2, de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/429. La décision de soumettre le requérant aux mesures litigieuses lui a ainsi été communiquée par l’avis publié au Journal officiel de l’Union européenne du 16 mars 2022. Cet avis indique que les motifs justifiant l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause sont indiqués dans les annexes des actes attaqués. L’avis mentionne également la possibilité pour les personnes et entités dont les noms ont été inscrits sur les listes en cause d’adresser au Conseil une demande de réexamen de la décision d’inscription en y joignant des pièces justificatives.

32      Toutefois, selon la jurisprudence, le Conseil peut être considéré comme étant dans l’impossibilité de communiquer individuellement à une personne physique ou morale ou à une entité un acte comportant des mesures restrictives la concernant soit lorsque l’adresse de cette personne ou entité n’est pas publique et ne lui a pas été fournie, soit lorsque la communication envoyée à l’adresse dont le Conseil dispose échoue, en dépit des démarches qu’il a entreprises, avec toute la diligence requise, afin d’effectuer une telle communication (arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 61).

33      Dès lors, il semble, à première vue, que, en l’espèce, l’absence de notification individuelle par le Conseil de sa décision de soumettre le requérant à des mesures restrictives n’a pas porté atteinte à ses droits de la défense.

34      En outre, force est de reconnaître que, par l’avis publié au Journal officiel de l’Union européenne du 16 mars 2022, le Conseil a procédé à la communication des motifs de sa décision au requérant et ce dernier a été invité à adresser, le cas échéant, une demande de réexamen de cette décision en y joignant des pièces justificatives.

35      En second lieu, s’agissant de l’argument du requérant selon lequel, pour qu’il puisse exercer ses droits de la défense, le Conseil aurait dû lui communiquer les motifs clairs, précis et complets fondant sa décision, il convient de souligner que, selon la jurisprudence, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 54).

36      À cet égard, il doit être relevé d’emblée que le Conseil a fondé l’inclusion du nom du requérant dans les listes en cause sur les motifs visés au point 6 ci-dessus.

37      En outre, aux considérants 2 à 6 des actes attaqués, le Conseil expose le contexte général l’ayant conduit à étendre le champ d’application personnel des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

38      Il en ressort, d’une part, qu’il est difficilement contestable que le requérant avait pleinement connaissance du contexte dans lequel les mesures le concernant avaient été adoptées. D’autre part, il apparaît, à première vue, que cette motivation est suffisamment claire et précise pour permettre au requérant de comprendre les raisons pour lesquelles son nom a été inscrit sur les listes en cause.

39      Enfin, il convient de constater que, à la suite des demandes que l’avocat du requérant lui avait adressées par lettres des 4 et 8 avril 2022, le Conseil a communiqué à ce dernier l’intégralité du dossier de preuves sur lequel il a fondé sa décision.

40      Par conséquent, le requérant a, à première vue, reçu communication de l’ensemble des motifs et des éléments de preuve qui ont justifié l’inscription de son nom sur les listes en cause par le Conseil.

41      Par conséquent, l’argumentation développée par le requérant à l’appui de son premier moyen n’apparaît pas de nature à démontrer l’existence d’un fumus boni juris.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation

42      Au soutien de son deuxième moyen, le requérant allègue, notamment, que le Conseil ne lui a communiqué que des coupures de presse, dont certaines sont sans origine ni date précises ou remontent à de très nombreuses années, et que certains faits mentionnés dans les actes attaqués sont faux.

43      [confidentiel].

44      D’emblée, il y a lieu de constater que, sous l’intitulé du deuxième moyen, portant sur une violation de l’obligation de motivation, le requérant fait valoir en réalité que le Conseil n’a pas établi le bien‑fondé des motifs de sa décision.

45      Or, il convient de rappeler que l’obligation de motiver un acte constitue une forme substantielle qui doit être distinguée de la question du bien‑fondé des motifs, celui‑ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. En effet, la motivation d’un acte consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cet acte. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles‑ci entachent la légalité au fond dudit acte, mais non la motivation de celui‑ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés (voir arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 96 et jurisprudence citée).

46      Ainsi, la question de la motivation des actes attaqués est distincte de celle de la preuve du comportement reproché au requérant, à savoir les faits mentionnés dans ces actes et la qualification de ces faits comme constituant des actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2011, Bank Melli Iran/Conseil, C‑548/09 P, EU:C:2011:735, point 88).

47      En tout état de cause, il ressort du dossier que les éléments de preuve pris en considération par le Conseil à l’appui de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause et sur la base desquels les actes attaqués ont été pris semblent constituer, à première vue, un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants pour étayer les motifs de cette inscription.

48      À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, si l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernée à leur sujet (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).

49      Dans ce cadre, l’appréciation du bien‑fondé d’une inscription doit être effectuée en examinant les éléments de preuve non pas de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent (voir, en ce sens, arrêts du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑630/13 P, EU:C:2015:247, point 51, et du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 50).

50      Enfin, selon la jurisprudence, eu égard à la nature préventive des décisions adoptant des mesures restrictives, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72 et jurisprudence citée).

51      Pour justifier l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, le Conseil [confidentiel].

52      [confidentiel].

53      À cet égard, il convient d’observer, à titre liminaire, que les éléments de fait invoqués par le Conseil sont antérieurs à la date d’invasion de l’Ukraine par la Russie et ne concernent pas ce conflit. Il n’y a donc, à première vue, pas de raison directe de douter de leur fiabilité dans le contexte actuel.

54      [confidentiel].

55      [confidentiel].

56      [confidentiel].

57      [confidentiel].

58      Dans ce contexte, et en l’absence d’éléments additionnels avancés par le requérant [confidentiel], il semble, à première vue, que celui-ci n’a pu remettre en cause les constatations du Conseil à cet égard.

59      Au vu de l’ensemble de ce qui précède, il semble que l’argumentation développée par le requérant à l’appui de son deuxième moyen n’apparaît pas de nature à démontrer l’existence d’un fumus boni juris.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité

60      Par son troisième moyen, le requérant allègue que les mesures restrictives qui le frappent individuellement et directement sont, à ce stade de la procédure, et à défaut de connaître les motifs réels et conformes à sa situation justifiant ces mesures, sans lien direct avec les objectifs poursuivis par le Conseil.

61      En outre, le requérant avance que le principe de proportionnalité est violé de façon significative, dès lors que le Conseil formule des griefs contraires à la réalité, se contente de procéder par affirmation et ne lui offre à ce stade aucune possibilité de présenter des observations, empêchant ainsi tout débat contradictoire et tout exercice légitime du droit à la défense.

62      À cet égard, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que le principe de proportionnalité fait partie des principes généraux du droit de l’Union et exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient de nature à permettre que soient atteints les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au‑delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 98 et jurisprudence citée).

63      De plus, si le respect des droits fondamentaux constitue une condition de la légalité des actes de l’Union, selon une jurisprudence constante, ces droits fondamentaux ne jouissent pas, en droit de l’Union, d’une protection absolue, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société. Par conséquent, des restrictions peuvent être apportées à l’usage de ces droits, à condition qu’elles répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (voir arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 97 et jurisprudence citée).

64      En l’occurrence, l’adoption de mesures restrictives à l’encontre du requérant semble, à première vue, revêtir un caractère adéquat, dans la mesure où elle s’inscrit dans un objectif d’intérêt général aussi fondamental pour la communauté internationale que la protection des populations civiles. En effet, le gel de fonds, d’avoirs financiers et d’autres ressources économiques ainsi que l’interdiction d’entrer sur le territoire de l’Union concernant des personnes identifiées comme étant impliquées dans le soutien des actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ne sauraient, en tant que tels, passer pour inadéquats (voir, par analogie, arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 100 et jurisprudence citée).

65      En ce qui concerne leur caractère nécessaire, il convient de constater que les mesures alternatives et moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable ou une obligation de justification a posteriori de l’usage des fonds versés, ne permettent pas aussi efficacement d’atteindre l’objectif poursuivi, à savoir l’exercice d’une pression sur les soutiens des actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir, par analogie, arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 101 et jurisprudence citée).

66      Enfin, il convient de rappeler que l’importance des objectifs poursuivis par les actes attaqués est de nature à justifier que ceux‑ci aient pu avoir des conséquences négatives, même considérables, pour le requérant sans que cela affecte leur légalité (voir arrêt du 16 décembre 2020, Haswani/Conseil, T‑521/19, non publié, EU:T:2020:608, point 178 et jurisprudence citée).

67      Il en résulte que, étant donné l’importance primordiale du maintien de la paix et de la sécurité internationales, les restrictions aux droits du requérant éventuellement causées par les actes attaqués apparaissent, à première vue, justifiées par un objectif d’intérêt général et ne semblent pas disproportionnées au regard des buts visés.

68      S’agissant des griefs selon lesquels le requérant n’aurait pas eu la possibilité de présenter des observations ou d’exercer ses droits de la défense, il convient de renvoyer ci‑dessus à l’examen du premier moyen.

69      Par conséquent, l’argumentation développée par le requérant à l’appui de son troisième moyen n’apparaît pas de nature à démontrer l’existence d’un fumus boni juris.

70      Il résulte de tout ce qui précède que la condition relative au fumus boni juris n’est pas remplie en l’espèce.

71      Cette solution est cohérente avec l’appréciation de la condition relative à l’urgence.

 Sur la condition relative à l’urgence

72      Afin de vérifier si les mesures provisoires demandées sont urgentes, il convient de rappeler que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union (ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27).

73      Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit, de manière générale, s’apprécier au regard de la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable (voir ordonnance du 14 janvier 2016, AGC Glass Europe e.a./Commission, C‑517/15 P‑R, EU:C:2016:21, point 27 et jurisprudence citée).

74      C’est à la lumière de ces conditions qu’il convient d’examiner si le requérant parvient, en l’espèce, à démontrer l’urgence.

75      En l’espèce, pour démontrer le caractère grave et irréparable du préjudice prétendument subi, le requérant soutient notamment que les actes attaqués, en ce qu’ils le désignent nommément et le sanctionnent du gel complet de ses avoirs, tout en le privant de sa liberté de circulation, dont celle de pouvoir rejoindre sa famille [confidentiel], constituent une atteinte disproportionnée à ses droits fondamentaux. [confidentiel].

76      Le Conseil considère que le requérant ne démontre pas que la condition relative à l’urgence serait remplie en l’espèce.

77      À cet égard, il convient de relever que la thèse selon laquelle un préjudice est par définition irréparable, puisqu’il touche à la sphère des droits fondamentaux ne saurait être admise, dès lors qu’il ne suffit pas d’alléguer, de façon abstraite, une atteinte à des droits fondamentaux pour établir que le dommage qui pourrait en découler a nécessairement un caractère irréparable. Certes, la violation de certains droits fondamentaux, tels que l’interdiction de la torture et des peines ou des traitements inhumains ou dégradants, consacrée à l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, est susceptible, en raison de la nature même du droit violé, de donner lieu par elle‑même à un préjudice grave et irréparable. Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’il appartient toujours à la partie qui sollicite l’adoption d’une mesure provisoire d’exposer et d’établir la probable survenance d’un tel préjudice dans son cas particulier [ordonnance du 10 septembre 2013, Commission/Pilkington Group, C‑278/13 P(R), EU:C:2013:558, points 40 et 41].

78      En l’espèce, le requérant sollicite l’adoption de mesures provisoires en vue de prévenir un préjudice irréparable, dans la mesure où les actes attaqués le privent de sa liberté de circulation, dont celle de pouvoir rejoindre sa famille [confidentiel].

79      À cet égard, il y a lieu de constater que le requérant n’a pas démontré qu’il avait fait usage de la possibilité que lui confère l’article 1er, paragraphe 6, de la décision 2014/145 de demander aux autorités de l’État membre concerné une dérogation à l’interdiction d’entrée ou de passage en transit sur son territoire pour des raisons humanitaires urgentes.

80      En outre, [confidentiel].

81      Par conséquent, force est de reconnaître que le requérant ne démontre pas qu’il aurait épuisé sans succès les différentes possibilités de demander une dérogation à l’interdiction d’entrée [confidentiel].

82      De plus, il convient d’observer, à l’instar du Conseil, que le requérant ne démontre pas l’existence d’un préjudice grave et irréparable justifiant qu’il rejoigne sa famille [confidentiel].

83      En effet, [confidentiel].

84      Par conséquent, l’éventuelle privation de sa liberté de circulation, l’empêchant de pouvoir rejoindre sa famille [confidentiel], ne suffirait pas en elle‑même à établir le risque de survenance d’un préjudice grave et irréparable dans les circonstances de l’espèce.

85      En outre, le requérant demande que, en vue de pouvoir organiser sa défense, lui soit accordé le droit, pendant la durée de la procédure de référé, de disposer de ses avoirs, afin de subvenir aux besoins de sa famille et de couvrir les frais liés à sa défense.

86      À cet égard, il y a lieu de constater que, ainsi qu’il ressort du dossier, le requérant a sollicité le déblocage de certains fonds ou ressources économiques gelés [confidentiel], ainsi que le lui permet l’article 2, paragraphe 3, de la décision 2014/145 et l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 269/2014, [confidentiel].

87      [confidentiel].

88      Par conséquent, force est de constater, à l’instar du Conseil, que les dérogations obtenues [confidentiel] permettent à la famille du requérant de mener une vie normale.

89      [confidentiel].

90      Par ailleurs, rien n’empêche le requérant de se rendre dans des pays tiers qui ne lui opposent pas de restrictions en matière d’entrée sur leur territoire.

91      Il résulte de tout ce qui précède que la condition relative à l’urgence fait défaut en l’espèce.

 Conclusions

92      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il convient de rejeter la présente demande en référé.

 Sur les dépens

93      En vertu de l’article 158, paragraphe 5, du règlement de procédure, il convient de réserver les dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 30 mai 2022.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

M. van der Woude


*      Langue de procédure : le français.