Language of document : ECLI:EU:C:2021:929

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

16 novembre 2021 (*)(i)

« Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Article 50 TUE – Accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique – Article 217 TFUE – Accord de commerce et de coopération avec le Royaume-Uni – Protocole (no 21) sur la position du Royaume-Uni et de l’Irlande à l’égard de l’espace de liberté, de sécurité et de justice – Coopération judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision-cadre 2002/584/JAI – Maintien par l’accord de retrait, à titre transitoire, du régime du mandat d’arrêt européen à l’égard du Royaume-Uni – Application à un mandat d’arrêt européen des dispositions relatives au mécanisme de remise institué par l’accord de commerce et de coopération avec le Royaume-Uni – Régimes contraignants pour l’Irlande  »

Dans l’affaire C‑479/21 PPU,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Supreme Court (Cour suprême, Irlande), par décision du 30 juillet 2021, parvenue à la Cour le 3 août 2021, dans des procédures relatives à l’exécution de mandats d’arrêt européens émis à l’encontre de

SN,

SD

en présence de :

Governor of Cloverhill Prison,

Irlande,

Attorney General,

Governor of Mountjoy prison,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice-président, MM. A. Arabadjiev, E. Regan, I. Jarukaitis, N. Jääskinen, Mme I. Ziemele et M. J. Passer, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, J.–C. Bonichot, M. Safjan (rapporteur), F. Biltgen, N. Piçarra, Mme L. S. Rossi et M. N. Wahl, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : Mme M. Ferreira, administratrice principale,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 septembre 2021,

considérant les observations présentées :

–        pour SN, par MM. M. Hanahoe et R. Purcell, solicitors, M. S. Guerin et Mme C. Donnelly, SC, ainsi que par MM. M. Lynam et S. Brittain, barristers,

–        pour SD, par M. C. Mulholland, solicitor, M. S. Guerin et Mme C. Donnelly, SC, MM. M. Lynam et S. Brittain, barristers, ainsi que par Mme E. Walker, BL,

–        pour l’Irlande, par M. P. Gallagher ainsi que par Mmes A. Morrissey et C. McMahon, en qualité d’agents, assistés de Mme M. Gray et M. R. Kennedy, SC, ainsi que de Mmes A. Carroll, L. Masterson et H. Godfrey, BL,

–        pour le Royaume de Danemark, par Mme L. Teilgård, en qualité d’agent,

–        pour le Conseil de l’Union européenne, par MM. A. Ștefănuc, K. Pleśniak et A. Antoniadis ainsi que par Mme J. Ciantar, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. H. Leupold, L. Baumgart et H. Krämer, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 9 novembre 2021,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 50 TUE, de l’article 217 TFUE, du protocole (no 21) sur la position du Royaume–Uni et de l’Irlande à l’égard de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, annexé aux traités UE et FUE [ci-après le « protocole (no 21) »], de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7, ci-après l’« accord de retrait »), ainsi que de l’accord de commerce et de coopération entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique, d’une part, et le Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord, d’autre part (JO 2021, L 149, p. 10, ci-après l’« ACC »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre de l’exécution, en Irlande, de deux mandats d’arrêt européens émis par les autorités judiciaires du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, respectivement, à l’encontre de SD aux fins d’exécution d’une sanction pénale et à l’encontre de SN aux fins de poursuites pénales.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Les traités

3        Aux termes de l’article 50 TUE :

« 1.      Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union.

2.      L’État membre qui décide de se retirer notifie son intention au Conseil européen. À la lumière des orientations du Conseil européen, l’Union négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l’Union. Cet accord est négocié conformément à l’article 218, paragraphe 3, [TFUE]. Il est conclu au nom de l’Union par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen.

3.      Les traités cessent d’être applicables à l’État concerné à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait ou, à défaut, deux ans après la notification visée au paragraphe 2, sauf si le Conseil européen, en accord avec l’État membre concerné, décide à l’unanimité de proroger ce délai.

4.      Aux fins des paragraphes 2 et 3, le membre du Conseil européen et du Conseil représentant l’État membre qui se retire ne participe ni aux délibérations ni aux décisions du Conseil européen et du Conseil qui le concernent.

La majorité qualifiée se définit conformément à l’article 238, paragraphe 3, point b), [TFUE].

5.      Si l’État qui s’est retiré de l’Union demande à adhérer à nouveau, sa demande est soumise à la procédure visée à l’article 49. »

4        L’article 82 TFUE, qui fait partie du titre V, relatif à l’« [e]space de liberté, de sécurité et de justice » (ci-après l’« ELSJ »), de la troisième partie de ce traité, énonce, à son paragraphe 1 :

« La coopération judiciaire en matière pénale dans l’Union est fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires et inclut le rapprochement des dispositions législatives et réglementaires des États membres dans les domaines visés au paragraphe 2 et à l’article 83.

Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent les mesures visant :

[...]

d)      à faciliter la coopération entre les autorités judiciaires ou équivalentes des États membres dans le cadre des poursuites pénales et de l’exécution des décisions. »

5        Figurant dans le titre V, relatif aux « [a]ccords internationaux », de la cinquième partie dudit traité, elle-même relative à l’action extérieure de l’Union, l’article 217 TFUE est libellé comme suit :

« L’Union peut conclure avec un ou plusieurs pays tiers ou organisations internationales des accords créant une association caractérisée par des droits et obligations réciproques, des actions en commun et des procédures particulières. »

 Le protocole (no 21)

6        Selon l’article 1er du protocole (no 21) :

« Sous réserve de l’article 3, le Royaume-Uni et l’Irlande ne participent pas à l’adoption par le Conseil des mesures proposées relevant de la troisième partie, titre V, [TFUE]. L’unanimité des membres du Conseil, à l’exception des représentants des gouvernements du Royaume-Uni et de l’Irlande, est requise pour les décisions que le Conseil est appelé à prendre à l’unanimité.

Aux fins du présent article, la majorité qualifiée se définit conformément à l’article 238, paragraphe 3, [TFUE]. »

7        L’article 2 de ce protocole prévoit :

« En vertu de l’article 1er et sous réserve des articles 3, 4 et 6, aucune des dispositions de la troisième partie, titre V, du traité [FUE], aucune mesure adoptée en application de ce titre, aucune disposition de tout accord international conclu par l’Union en application de ce titre et aucune décision de la Cour de justice de l’Union européenne interprétant ces dispositions ou mesures, ne lie le Royaume-Uni ou l’Irlande ou n’est applicable à leur égard. Ces dispositions, mesures ou décisions ne portent en rien atteinte aux compétences, aux droits et aux obligations desdits États. Ces dispositions, mesures ou décisions ne modifient en rien ni l’acquis communautaire, ni celui de l’Union et ne font pas partie du droit de l’Union tels qu’ils s’appliquent au Royaume-Uni ou à l’Irlande. »

8        L’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, dudit protocole est libellé comme suit :

« Le Royaume-Uni ou l’Irlande peut notifier par écrit au président du Conseil, dans un délai de trois mois à compter de la présentation au Conseil d’une proposition ou d’une initiative en application de la troisième partie, titre V, du traité [FUE], son souhait de participer à l’adoption et à l’application de la mesure proposée, à la suite de quoi cet État y est habilité. »

9        L’article 4 bis du même protocole dispose :

« 1.      Les dispositions du présent protocole s’appliquent, en ce qui concerne le Royaume-Uni et l’Irlande, également aux mesures proposées ou adoptées en vertu du titre V de la troisième partie du traité [FUE] qui modifient une mesure existante contraignante à leur égard.

2.      Cependant, dans les cas où le Conseil, statuant sur proposition de la Commission, décide que la non-participation du Royaume-Uni ou de l’Irlande à la version modifiée d’une mesure existante rend l’application de cette mesure impraticable pour d’autres États membres ou l’Union, il peut les engager à procéder à une notification conformément à l’article 3 ou 4. Aux fins de l’article 3, une nouvelle période de deux mois commence à courir à compter de la date où le Conseil a pris une telle décision.

[...] »

10      L’article 6 du protocole (no 21) énonce :

« Lorsque, dans les cas visés au présent protocole, le Royaume-Uni ou l’Irlande est lié par une mesure adoptée par le Conseil en application de la troisième partie, titre V, du traité [FUE], les dispositions pertinentes des traités s’appliquent à cet État pour ce qui concerne la mesure en question. »

 L’accord de retrait

11      L’article 62 de l’accord de retrait relève de la troisième partie de celui-ci, laquelle contient les « [d]ispositions relatives à la séparation », et est intitulé « Procédures de coopération judiciaire en cours en matière pénale ». Cet article dispose, à son paragraphe 1 :

« Au Royaume-Uni, ainsi que dans les États membres en cas de situations impliquant le Royaume-Uni, les actes suivants s’appliquent comme suit :

[...]

b)      la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil[, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1),] s’applique en ce qui concerne les mandats d’arrêt européens lorsque la personne recherchée a été arrêtée avant la fin de la période de transition aux fins de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, quelle que soit la décision de l’autorité judiciaire d’exécution quant au maintien en détention ou à la mise en liberté provisoire de la personne recherchée ;

[...] »

12      Aux termes de l’article 126 de cet accord, qui figure dans la quatrième partie de celui-ci, relative à la « [t]ransition », et qui est intitulé « Période de transition » :

« Une période de transition ou de mise en œuvre est fixée, laquelle commence à la date d’entrée en vigueur du présent accord et se termine le 31 décembre 2020. »

13      L’article 127 dudit accord, intitulé « Portée des dispositions transitoires » et figurant dans la quatrième partie de cet accord, énonce :

« 1.      Sauf disposition contraire du présent accord, le droit de l’Union est applicable au Royaume-Uni et sur son territoire pendant la période de transition.

[...]

6.      Sauf disposition contraire du présent accord, pendant la période de transition, toute référence aux États membres dans le droit de l’Union applicable en vertu du paragraphe 1, y compris dans sa mise en œuvre et son application par les États membres, s’entend comme incluant le Royaume-Uni.

[...] »

14      L’article 185 du même accord, qui figure dans la sixième partie de celui-ci, laquelle contient les « [d]ispositions finales et institutionnelles », et est intitulé « Entrée en vigueur et application », prévoit, à son quatrième alinéa :

« Les deuxième et troisième parties, à l’exception de l’[a]rticle 19, de l’[a]rticle 34, paragraphe 1, de l’[a]rticle 44 et de l’[a]rticle 96, paragraphe 1, ainsi que le titre I de la sixième partie et les [a]rticles 169 à 181, s’appliquent à compter de la fin de la période de transition. »

 L’ACC

15      Le considérant 23 de l’ACC est libellé comme suit :

« Considérant que la coopération entre le Royaume-Uni et l’Union en matière de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière et d’exécution de sanctions pénales, y compris en matière de protection contre les menaces pour la sécurité publique et leur prévention, permettra de renforcer la sécurité du Royaume-Uni et de l’Union ».

16      L’article 1er de cet accord, intitulé « Objet », dispose :

« Le présent accord jette les bases d’une relation large entre les Parties, dans un espace de prospérité et de bon voisinage caractérisé par des relations étroites et pacifiques fondées sur la coopération, dans le respect de l’autonomie et de la souveraineté des Parties. »

17      L’article 2 dudit accord, intitulé « Accords complémentaires », prévoit :

« 1.      Lorsque l’Union et le Royaume-Uni concluent d’autres accords bilatéraux entre eux, ces accords constituent des accords complémentaires au présent accord, à moins que ces accords n’en disposent autrement. Ces accords complémentaires font partie intégrante des relations bilatérales générales régies par le présent accord et font partie du cadre global.

2.      Le paragraphe 1 s’applique également :

a)      aux accords entre l’Union et ses États membres, d’une part, et le Royaume-Uni, d’autre part ;

b)      aux accords entre la Communauté européenne de l’énergie atomique, d’une part, et le Royaume-Uni, d’autre part. »

18      L’article 6 de l’ACC, intitulé « Définitions », prévoit, à son paragraphe 1, sous g), que la « période de transition », aux fins de l’application de cet accord, doit s’entendre comme visant la période de transition prévue à l’article 126 de l’accord de retrait.

19      La troisième partie de l’ACC, intitulée « Coopération des services répressifs et judiciaires en matière pénale », comprend, notamment, un titre VII, lui-même intitulé « Remise », dans lequel figurent les articles 596 à 632 de cet accord.

20      L’article 596 dudit accord, intitulé « Objectif », dispose :

« L’objectif du présent titre est de faire en sorte que le système d’extradition entre les États membres, d’une part, et le Royaume-Uni, d’autre part, soit fondé sur un mécanisme de remise sur la base d’un mandat d’arrêt conforme aux termes du présent titre. »

21      L’article 632 du même accord, intitulé « Application aux mandats d’arrêt européens existants », prévoit :

« Le présent titre s’applique aux mandats d’arrêt européens émis conformément à la décision-cadre [2002/584] par un État avant la fin de la période de transition lorsque la personne recherchée n’a pas été arrêtée aux fins de l’exécution du mandat d’arrêt avant la fin de la période de transition. »

 Le droit irlandais

22      L’European Arrest Warrant Act 2003 (loi de 2003 sur le mandat d’arrêt européen) a transposé dans l’ordre juridique irlandais la décision-cadre 2002/584. L’article 3 de cette loi permet au ministre des Affaires étrangères de désigner par arrêté, aux fins de ladite loi, un État membre pertinent qui a, en vertu de son droit national, donné effet à ladite décision–cadre. L’European Arrest Warrant Act, 2003 (Designated Member States) Order 2004 [arrêté de 2004 relatif à la loi de 2003 sur le mandat d’arrêt européen (États membres désignés)] a désigné le Royaume–Uni aux fins de l’article 3 de la loi de 2003 sur le mandat d’arrêt européen.

23      En vertu de l’European Arrest Warrant (Application to Third Countries amendement) and Extradition (Amendment) Act 2012 [loi de 2012 sur le mandat d’arrêt européen (modification en ce qui concerne l’application aux pays tiers) et remise (modification)], le ministre des Affaires étrangères peut ordonner l’application de la loi de 2003 sur le mandat d’arrêt européen à un pays tiers, pour autant, ainsi que le précise son article 2, paragraphe 3, qu’il existe un accord en vigueur entre ledit pays tiers et l’Union en vue de la remise de personnes recherchées à des fins de poursuites ou de sanctions.

24      Aux fins de mise en œuvre, en ce qui concerne les mandats d’arrêt européens émis par une autorité judiciaire du Royaume-Uni, des dispositions de l’accord de retrait portant sur le maintien de l’application de la décision-cadre 2002/584 pendant la période de transition, d’une part, et de la disposition de l’ACC prévoyant l’application du mécanisme de remise institué par le titre VII de la troisième partie de ce dernier accord à certains mandats d’arrêt européens émis avant l’expiration de cette période transitoire, d’autre part, l’Irlande a adopté successivement :

–        l’European Arrest Warrant Act 2003 (Designated Member State) (Amendment) Order 2020] [arrêté de 2020 modifiant la loi de 2003 sur le mandat d’arrêt européen (État membre désigné)] et le Withdrawal of the United Kingdom from the European Union (Consequential Provisions) Act 2019 [loi de 2019 sur le retrait du Royaume–Uni de l’Union européenne (dispositions consécutives)], relatifs aux mandats d’arrêt européens émis avant l’expiration de la période de transition et concernant des personnes arrêtées avant l’expiration de cette période,

–        l’European Arrest Warrant (Application to Third Countries) (United Kingdom) Order 2020] [arrêté de 2020 relatif au mandat d’arrêt européen (application aux pays tiers) (Royaume–Uni)], relatif aux mandats d’arrêt européens émis avant l’expiration de la période de transition et concernant des personnes non encore arrêtées à l’expiration de ladite période.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

25      Le 9 septembre 2020, SD a été arrêté en Irlande en vertu d’un mandat d’arrêt européen émis par les autorités judiciaires du Royaume-Uni le 20 mars 2020, en vue de l’exécution d’une peine privative de liberté de huit ans. Quant à SN, celui-ci a été arrêté en Irlande le 25 février 2021 en vertu d’un mandat d’arrêt européen émis par les mêmes autorités le 5 octobre 2020, en vue de l’engagement de poursuites pénales. Les intéressés ont été placés en détention provisoire en Irlande, dans l’attente de la décision sur leur remise aux autorités du Royaume-Uni et sont actuellement en détention.

26      Le 16 février 2021 et le 5 mars 2021, SD et SN, respectivement, ont saisi la High Court (Ηaute Cour, Irlande) d’une demande d’enquête, tendant à contester, en substance, la légalité de leur placement en détention, en faisant valoir que l’Irlande ne pouvait plus appliquer le régime du mandat d’arrêt européen à l’égard du Royaume-Uni. Après avoir constaté que le placement en détention des intéressés était régulier, cette juridiction a refusé d’ordonner leur mise en liberté. Les intéressés ont alors saisi la juridiction de renvoi de deux appels distincts.

27      Selon ladite juridiction, la loi de 2003 sur le mandat d’arrêt européen, qui transpose, en droit irlandais, la décision-cadre 2002/584, a vocation à s’appliquer à l’égard d’un pays tiers pour autant qu’il existe un accord en vigueur entre ledit pays tiers et l’Union en vue de la remise de personnes recherchées à des fins de poursuites ou de sanctions. Toutefois, pour que cette législation s’applique, l’accord en cause doit présenter un caractère contraignant pour l’Irlande.

28      Ainsi, dans l’hypothèse où les dispositions de l’accord de retrait et de l’ACC concernant le régime du mandat d’arrêt européen ne seraient pas contraignantes pour l’Irlande, les mesures nationales prévoyant le maintien dudit régime à l’égard du Royaume-Uni seraient invalides et, par voie de conséquence, le maintien en détention des intéressés serait illégal. Dès lors, la légalité de la détention de ces derniers dépendrait de la question de savoir si l’accord sur le retrait et l’ACC lient valablement l’Irlande, ce qui pourrait ne pas être le cas étant donné qu’ils contiennent des mesures relevant de l’ELSJ, dont l’Irlande est exemptée en vertu du protocole (no 21).

29      Selon SN et SD, ni l’article 50 TUE ni l’article 217 TFUE, qui constituent la base juridique, respectivement, de l’accord de retrait et de l’ACC, ne peuvent fonder l’inclusion, dans ces accords, de mesures relevant de l’ELSJ. Pour chacun de ces accords, il aurait été nécessaire de recourir également à l’article 82, paragraphe 1, second alinéa, sous d), TFUE, l’ajout de cette dernière disposition dans la base juridique desdits accords déclenchant l’application du protocole (no 21).

30      La juridiction de renvoi relève néanmoins que l’Irlande a souscrit à la décision-cadre 2002/584 à un moment où le Royaume-Uni faisait partie intégrante du régime institué par celle-ci. Ainsi, les dispositions respectives de l’accord de retrait et de l’ACC n’imposeraient pas de nouvelles obligations à l’égard de l’Irlande, mais prévoiraient plutôt la continuation de l’application d’obligations existantes. En outre, les deux accords lieraient le Royaume-Uni et l’Union en droit international.

31      Dans ces circonstances, la Supreme Court (Cour suprême, Irlande) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« Vu que l’Irlande a l’avantage de conserver sa souveraineté dans l’[ELSJ] sous réserve du droit pour elle de participer aux mesures adoptées par l’Union dans ce domaine en vertu du titre V de la troisième partie du traité FUE ;

vu que la base juridique matérielle déclarée de l’[accord de retrait] (et de la décision relative à sa conclusion) est l’article 50 TUE ;

vu que la base juridique matérielle déclarée de l’[ACC] (et de la décision relative à sa conclusion) est l’article 217 TFUE, et

vu qu’il s’en est suivi qu’il n’a pas été considéré qu’une participation de l’Irlande était requise ou permise, de sorte que cette faculté n’a pas été exercée :

[1)]      Les dispositions de l’[accord de retrait], qui prévoient le maintien du régime du mandat d’arrêt européen (MAE) à l’égard du Royaume–Uni, pendant la période de transition prévue par cet accord, peuvent-elles être considérées comme contraignantes pour l’Irlande, compte tenu de l’importance de leur contenu dans le domaine de l’[ELSJ] ?

[2)]      Les dispositions de [l’ACC] qui prévoient le maintien du régime du MAE à l’égard du Royaume–Uni après la période de transition pertinente, peuvent-elles être considérées comme contraignantes pour l’Irlande compte tenu de l’importance de leur contenu dans le domaine de l’[ELSJ] ? »

 Sur la procédure d’urgence

32      La juridiction de renvoi a demandé l’application de la procédure préjudicielle d’urgence, prévue à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour, et, à titre subsidiaire, l’application de la procédure accélérée, prévue à l’article 105 dudit règlement. À l’appui de sa demande, elle a notamment invoqué le fait que SN et SD sont actuellement privés de leur liberté dans l’attente de la décision sur leur remise respective aux autorités du Royaume-Uni.

33      Il convient de relever, en premier lieu, que le présent renvoi préjudiciel porte, en substance, sur le point de savoir si des mandats d’arrêt européens émis en vertu de la décision-cadre 2002/584, qui relève des domaines visés au titre V de la troisième partie du traité FUE, relatif à l’ELSJ, doivent être exécutés par l’Irlande. Il est, par conséquent, susceptible d’être soumis à la procédure préjudicielle d’urgence.

34      En second lieu, il importe, selon la jurisprudence de la Cour, de prendre en considération la circonstance que la personne concernée par l’affaire en cause est actuellement privée de sa liberté et que son maintien en détention dépend de la solution du litige au principal [arrêts du 17 décembre 2020, Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission), C‑354/20 PPU et C‑412/20 PPU, EU:C:2020:1033, point 28 et jurisprudence citée, ainsi que du 26 octobre 2021, Openbaar Ministerie (Droit d’être entendu par l’autorité judiciaire d’exécution), C‑428/21 PPU et C‑429/21 PPU, EU:C:2021:876, point 32].

35      Or, il ressort de la décision de renvoi que SN et SD sont actuellement en détention. En outre, à la lumière des explications fournies par la juridiction de renvoi résumées au point 28 du présent arrêt, leur maintien en détention en Irlande dépend de la décision que la Cour sera amenée à rendre dans cette affaire, dans la mesure où, en fonction de la réponse donnée par celle-ci, SN et SD pourront être remis en liberté ou remis aux autorités du Royaume-Uni.

36      Dans ces conditions, la première chambre de la Cour a décidé, le 17 août 2021, sur proposition du juge rapporteur, l’avocate générale entendue, de faire droit à la demande de la juridiction de renvoi visant à soumettre le présent renvoi préjudiciel à la procédure préjudicielle d’urgence.

37      Il a par ailleurs été décidé de renvoyer cette affaire devant la Cour aux fins de son attribution à la grande chambre.

 Sur les questions préjudicielles

38      Par ses questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, si sont contraignantes pour l’Irlande, d’une part, les dispositions de l’accord de retrait qui prévoient le maintien du régime du mandat d’arrêt européen à l’égard du Royaume-Uni pendant la période de transition et, d’autre part, la disposition de l’ACC qui prévoit l’application du régime de remise institué par le titre VII de la troisième partie de ce dernier accord à des mandats d’arrêt européens émis avant l’expiration de cette période de transition et concernant des personnes non encore arrêtées en exécution de tels mandats avant la fin de ladite période.

39      Il convient de relever, à titre liminaire, que la juridiction de renvoi n’identifie pas les dispositions spécifiques de ces accords en vertu desquelles les mandats d’arrêt européens en cause au principal doivent être exécutés. Cela étant, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait ou non référence dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (voir, en ce sens, arrêts du 7 mars 2017, X et X, C‑638/16 PPU, EU:C:2017:173, point 39, ainsi que du 17 juin 2021, Simonsen & Weel, C‑23/20, EU:C:2021:490, point 81).

40      En l’occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour que les questions posées visent, d’une part, l’article 62, paragraphe 1, sous b), de l’accord de retrait, lu conjointement avec l’article 185, quatrième alinéa, de celui-ci, ainsi que, d’autre part, l’article 632 de l’ACC.

41      En effet, l’article 62, paragraphe 1, sous b), et l’article 185, quatrième alinéa, de l’accord de retrait prévoient le maintien de l’obligation d’exécuter, après la fin de la période de transition, les mandats d’arrêt européens émis conformément à la décision–cadre 2002/584 lorsque la personne recherchée a été arrêtée avant la fin de cette période, fixée, par l’article 126 de cet accord, au 31 décembre 2020.

42      Quant à l’article 632 de l’ACC, il soumet l’exécution des mandats d’arrêt européens émis conformément à cette décision-cadre avant la fin de la période de transition au régime de remise prévu par le titre VII de la troisième partie de cet accord lorsque la personne recherchée n’a pas été arrêtée aux fins de l’exécution du mandat d’arrêt européen avant la fin de la même période.

43      C’est donc plus spécifiquement à l’égard, d’une part, de l’article 62, paragraphe 1, sous b), de l’accord de retrait, lu conjointement avec l’article 185, quatrième alinéa, de celui-ci, et, d’autre part, de l’article 632 de l’ACC, qu’il convient de vérifier si leur inclusion respectivement dans le premier et le second de ces accords aurait dû déclencher l’applicabilité du protocole (no 21), impliquant ainsi une inapplicabilité de principe de ces mêmes dispositions à l’Irlande sans préjudice de la faculté offerte par ledit protocole à cet État membre de participer à des mesures relevant de la troisième partie, titre V, du traité FUE.

44      Dans ces conditions et au regard des explications fournies par la juridiction de renvoi dans sa demande de décision préjudicielle, il y a lieu de constater que, par ses questions, cette juridiction invite la Cour à déterminer si l’article 50 TUE, l’article 217 TFUE et le protocole (no 21) doivent être interprétés en ce sens que sont contraignants pour l’Irlande l’article 62, paragraphe 1, sous b), de l’accord de retrait, lu conjointement avec l’article 185, quatrième alinéa, de celui-ci, ainsi que l’article 632 de l’ACC.

45      À cet égard, il convient de rappeler que le protocole (no 21) prévoit que l’Irlande ne participe pas à l’adoption par le Conseil des mesures proposées relevant de la troisième partie, titre V, TFUE et qu’aucune mesure adoptée en application de ce titre ainsi qu’aucune disposition de tout accord international conclu par l’Union en application dudit titre ne lie l’Irlande ou n’est applicable à son égard, sauf si celle-ci décide de participer à l’adoption de telles mesures ou de les accepter.

46      Cependant, l’accord de retrait et l’ACC ont été conclus sur le fondement non pas dudit titre, mais, respectivement, de l’article 50, paragraphe 2, TUE et de l’article 217 TFUE. Dès lors, il convient de déterminer si ces bases juridiques étaient à elles seules appropriées pour fonder, d’une part, l’inclusion dans l’accord de retrait de dispositions relatives au maintien de l’application de la décision–cadre 2002/584 concernant des mandats d’arrêt européens émis par le Royaume-Uni et, d’autre part, l’inclusion dans l’ACC d’une disposition prévoyant l’application du régime de remise institué par le titre VII de la troisième partie de ce dernier accord à des mandats d’arrêt européens émis avant l’expiration de la période de transition et concernant des personnes non encore arrêtées en exécution de tels mandats avant la fin de ladite période, ou si, comme SD et SN le soutiennent, l’article 82, paragraphe 1, second alinéa, sous d), TFUE aurait dû également figurer dans la base juridique matérielle pour la conclusion de ces accords, enclenchant ainsi l’application du protocole (no 21).

47      En effet, c’est la base juridique d’un acte, dont le caractère approprié s’apprécie en fonction d’éléments objectifs tels que sa finalité et son contenu, qui détermine les protocoles éventuellement applicables, et non l’inverse (arrêt du 22 octobre 2013, Commission/Conseil, C‑137/12, EU:C:2013:675, point 74).

48      S’agissant, en premier lieu, de l’article 50 TUE, retenu comme base juridique pour l’accord de retrait, il ressort de ses paragraphes 2 et 3 que celui-ci prévoit une procédure de retrait comportant, premièrement, la notification au Conseil européen de l’intention de retrait, deuxièmement, la négociation et la conclusion d’un accord fixant les modalités du retrait en tenant compte des relations futures entre l’État concerné et l’Union et, troisièmement, le retrait proprement dit de l’Union à la date de l’entrée en vigueur de cet accord ou, à défaut, deux ans après la notification effectuée auprès du Conseil européen, sauf si ce dernier, en accord avec l’État membre concerné, décide à l’unanimité de proroger ce délai (arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 51 ainsi que jurisprudence citée).

49      Il s’ensuit que l’article 50 TUE poursuit un double objectif, à savoir, d’une part, consacrer le droit souverain d’un État membre de se retirer de l’Union et, d’autre part, mettre sur pied une procédure visant à permettre qu’un tel retrait s’opère de façon ordonnée (arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a., C‑621/18, EU:C:2018:999, point 56).

50      C’est afin de pouvoir atteindre de manière effective ce dernier objectif que l’article 50, paragraphe 2, TUE attribue à l’Union seule la compétence pour négocier et conclure un accord fixant les modalités du retrait, cet accord ayant vocation à régler, dans tous les domaines relevant des traités, l’ensemble des questions relatives à la séparation entre l’Union et l’État se retirant de celle-ci.

51      C’est donc en application de cette compétence que l’Union a pu négocier et conclure l’accord de retrait, lequel prévoit, entre autres, dans les relations avec le Royaume-Uni, la poursuite de l’application d’une partie importante de l’acquis de l’Union, afin de réduire les incertitudes et, dans la mesure du possible, de limiter au minimum les perturbations provoquées par la circonstance que, à la date du retrait, les traités cessent de s’appliquer à l’État sortant, ainsi qu’il découle du point 4 des orientations adoptées par le Conseil européen lors de sa réunion extraordinaire du 29 avril 2017 à la suite de la notification faite par le Royaume-Uni au titre de l’article 50 TUE.

52      En particulier, l’article 127 de l’accord de retrait prévoit que, sauf disposition contraire de cet accord, le droit de l’Union, dont la décision-cadre 2002/584 fait partie, est applicable au Royaume-Uni et sur son territoire pendant la période de transition. En outre, en vertu de l’article 185, quatrième alinéa, dudit accord, cette décision-cadre s’applique, dans les relations avec le Royaume-Uni, dans les situations visées à l’article 62, paragraphe 1, sous b), du même accord.

53      Par ailleurs, comme l’a exposé Mme l’avocate générale aux points 52 et 53 de ses conclusions, la procédure pour la conclusion d’accords internationaux prévue à l’article 218 TFUE peut s’avérer incompatible avec celle prévue à l’article 50, paragraphes 2 et 4, TUE, par exemple en raison de la circonstance que, en application de l’article 218 TFUE, le Conseil conclut l’accord à l’unanimité et non pas, comme c’est le cas s’agissant de la conclusion d’un accord de retrait, à la majorité qualifiée, qui plus est sans participation du représentant de l’État membre qui se retire.

54      Or, dans la mesure où l’accord de retrait a vocation à couvrir l’ensemble des domaines et des questions visés au point 50 du présent arrêt et puisqu’il ne saurait être adjoint à l’article 50, paragraphe 2, TUE des bases juridiques prévoyant des procédures incompatibles avec la procédure prévue aux paragraphes 2 et 4 dudit article [voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Conseil (Accord avec l’Arménie), C‑180/20, EU:C:2021:658, point 34 et jurisprudence citée], il convient d’en déduire que seul l’article 50 TUE, en tant que base juridique autonome et indépendante de toute autre base juridique prévue dans les traités, peut garantir, dans l’accord de retrait, un traitement cohérent de l’ensemble des domaines relevant desdits traités, permettant d’assurer que le retrait s’opère de façon ordonnée.

55      Il y a encore lieu de préciser que l’article 62, paragraphe 1, sous b), de l’accord de retrait vise des mesures qui étaient contraignantes sur le territoire de l’Irlande avant la date d’entrée en vigueur de cet accord. Or, une adjonction de l’article 82, paragraphe 1, second alinéa, sous d), TFUE à la base juridique matérielle pour fonder l’accord de retrait serait de nature à faire naître des incertitudes, puisque, en raison de l’applicabilité du protocole (no 21) qui en résulterait, l’Irlande, qui avait choisi d’être liée par le régime du mandat d’arrêt européen, y compris à l’égard du Royaume-Uni, serait traitée comme si elle n’y avait jamais participé. Une telle situation serait difficilement compatible avec l’objectif de réduire les incertitudes et de limiter les perturbations aux fins d’un retrait ordonné, exposé au point 51 du présent arrêt.

56      Ainsi, l’article 50, paragraphe 2, TUE constituant l’unique base juridique appropriée pour conclure l’accord de retrait, les dispositions du protocole (no 21) ne pouvaient trouver à s’appliquer dans ce contexte.

57      S’agissant, en second lieu, de l’article 217 TFUE, retenu comme base juridique pour l’ACC, la Cour a déjà précisé qu’il confère à l’Union compétence pour assurer des engagements à l’égard d’États tiers dans tous les domaines couverts par le traité FUE (arrêt du 18 décembre 2014, Royaume-Uni/Conseil, C‑81/13, EU:C:2014:2449, point 61 et jurisprudence citée).

58      Les accords conclus sur le fondement de cette disposition peuvent donc contenir des règles concernant tous les domaines relevant de la compétence de l’Union. Or, étant donné que l’Union dispose, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, sous j), TFUE, d’une compétence partagée en ce qui concerne le titre V de la troisième partie du traité FUE, des mesures relevant de ce domaine de compétence peuvent être incluses dans un accord d’association fondé sur l’article 217 TFUE, tel que l’ACC.

59      Dès lors qu’il est constant que le mécanisme de remise institué par le titre VII de la troisième partie de l’ACC et qui s’applique aux mandats d’arrêt européens visés à l’article 632 de cet accord relève bien de ce domaine de compétence, il y a lieu d’examiner si l’inclusion d’un tel mécanisme dans un accord d’association requiert en outre l’adjonction d’une base juridique spécifique telle que l’article 82, paragraphe 1, second alinéa, sous d), TFUE.

60      À cet égard, la Cour a certes jugé que le Conseil ne peut, sur le fondement de l’article 217 TFUE, adopter un acte dans le cadre d’un accord d’association qu’à la condition que cet acte se rattache à un domaine de compétence spécifique de l’Union et se fonde également sur la base juridique correspondant à ce domaine (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2014, Royaume-Uni/Conseil, C‑81/13, EU:C:2014:2449, point 62).

61      Toutefois, cette exigence a été formulée dans une affaire où était en cause non pas la conclusion d’un accord d’association, mais l’adoption d’une décision sur la position à prendre, au nom de l’Union, au sein d’une instance créée par un tel accord. Or, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 70 de ses conclusions, c’est dans ce contexte particulier, à savoir celui d’une décision adoptée, conformément à l’article 218, paragraphes 8 et 9, TFUE, à la majorité qualifiée sans la participation du Parlement européen, que l’adjonction d’une base juridique spécifique était requise pour garantir que d’éventuelles exigences procédurales plus strictes propres au domaine concerné ne soient pas contournées.

62      En revanche, dès lors que la conclusion d’un accord tel que l’ACC vise non pas un seul domaine d’action spécifique, mais, au contraire, un vaste ensemble de domaines de compétence de l’Union en vue de réaliser une association entre l’Union et un État tiers, et que cette conclusion exige, en tout état de cause, conformément à l’article 218, paragraphe 6, second alinéa, sous a), i), et paragraphe 8, second alinéa, première phrase, TFUE, un vote à l’unanimité ainsi que l’approbation du Parlement européen, il n’existe, s’agissant d’une telle conclusion, aucun risque de contournement d’exigences procédurales plus strictes.

63      Il convient d’ajouter que la nécessité d’adjoindre une base juridique spécifique relevant du titre V de la troisième partie du traité FUE à celles des dispositions d’un accord d’association relevant du domaine de compétence de l’Union couvert par ce titre ne saurait non plus être déduite de la jurisprudence de la Cour, selon laquelle, à titre exceptionnel, les actes qui poursuivent plusieurs objectifs ou ont plusieurs composantes, qui sont liés d’une façon indissociable, sans que l’un soit accessoire par rapport à l’autre, doivent être fondés sur les différentes bases juridiques correspondantes [voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Conseil (Accord avec l’Arménie), C‑180/20, EU:C:2021:658, point 34 et jurisprudence citée].

64      À cet égard, la Cour a jugé, en matière d’accords de coopération au développement, que le fait d’exiger qu’un tel accord soit également fondé sur une disposition autre que sa base juridique générique chaque fois qu’il porte sur une matière spécifique serait, en pratique, de nature à vider de leur substance la compétence et la procédure prévues par cette base juridique [voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Conseil (Accord avec l’Arménie), C‑180/20, EU:C:2021:658, point 51 et jurisprudence citée].

65      Ces considérations valent également mutatis mutandis à l’égard des accords d’association dont les objectifs sont conçus d’une manière large en ce sens que les mesures nécessaires à leur poursuite concernent un vaste ensemble de domaines de compétence de l’Union.

66      Tel est précisément le cas de l’ACC, puisque, comme l’a relevé le Conseil dans ses observations, afin de garantir, entre les parties à l’accord, un juste équilibre des droits et des obligations ainsi que l’unité des 27 États membres, l’ACC devait avoir une portée suffisamment étendue.

67      Partant, au regard de la portée étendue de l’ACC, du contexte de son adoption et des déclarations univoques émanant de l’ensemble des institutions et des États membres impliqués tout au long des négociations sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union, l’inclusion dans cet accord, aux côtés de règles et de mesures relevant de multiples autres domaines du droit de l’Union, de dispositions relevant du titre V de la troisième partie du traité FUE s’intègre dans l’objectif général dudit accord, qui est de jeter les bases d’une relation large entre les Parties, dans un espace de prospérité et de bon voisinage caractérisé par des relations étroites et pacifiques fondées sur la coopération, dans le respect de l’autonomie et de la souveraineté des Parties. 

68      C’est à la poursuite de cet objectif que contribue le mécanisme de remise institué par l’ACC, les Parties ayant indiqué, au considérant 23 de celui-ci, que leur coopération en matière, notamment, de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière, ainsi que d’exécution de sanctions pénales, permettrait de renforcer la sécurité du Royaume-Uni et de l’Union. Il s’ensuit que l’ACC ne saurait être appréhendé comme poursuivant plusieurs objectifs ou comme ayant plusieurs composantes, au sens de la jurisprudence mentionnée au point 63 du présent arrêt.

69      Par conséquent, les règles relatives à la remise de personnes sur la base d’un mandat d’arrêt contenues dans l’ACC, en particulier à l’article 632 de celui-ci relatif à l’application de ces règles aux mandats d’arrêt européens existants, pouvaient être incluses dans cet accord sur le fondement du seul article 217 TFUE, sans que les dispositions du protocole (no 21) trouvent à s’y appliquer.

70      Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que l’article 50 TUE, l’article 217 TFUE et le protocole (no 21) doivent être interprétés en ce sens que sont contraignants pour l’Irlande l’article 62, paragraphe 1, sous b), de l’accord de retrait, lu conjointement avec l’article 185, quatrième alinéa, de celui-ci, ainsi que l’article 632 de l’ACC.

 Sur les dépens

71      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

L’article 50 TUE, l’article 217 TFUE et le protocole (no 21) sur la position du Royaume–Uni et de l’Irlande à l’égard de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, annexé aux traités UE et FUE, doivent être interprétés en ce sens que sont contraignants pour l’Irlande l’article 62, paragraphe 1, sous b), de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique, lu conjointement avec l’article 185, quatrième alinéa, de celui-ci, ainsi que l’article 632 de l’accord de commerce et de coopération entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique, d’une part, et le Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord, d’autre part.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


i      « S’agissant du nom d’un des agents représentant le Conseil de l’Union européenne du présent texte a fait l’objet d’une modification d’ordre linguistique, postérieurement à sa première mise en ligne ».