Language of document : ECLI:EU:T:2012:378

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

12 juillet 2012 (*)

« Marque communautaire – Procédure d’opposition – Demande de marque communautaire verbale GUDDY – Marque communautaire verbale antérieure GUCCI – Motif relatif de refus – Risque de confusion – Caractère distinctif élevé de la marque antérieure en raison de la connaissance qu’en a le public – Preuve – Article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n° 207/2009 – Obligation de motivation – Article 75 du règlement n° 207/2009 »

Dans l’affaire T‑389/11,

Guccio Gucci SpA, établie à Florence (Italie), représentée par Me F. Jacobacci, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par Mme V. Melgar, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI ayant été

Chang Qing Qing, demeurant à Florence,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la première chambre de recours de l’OHMI du 14 avril 2011 (affaire R 143/2010-1), relative à une procédure d’opposition entre Guccio Gucci SpA et M. Chang Qing Qing,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. H. Kanninen, président, N. Wahl (rapporteur) et S. Soldevila Fragoso, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 18 juillet 2011,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 15 novembre 2011,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai d’un mois à compter de la signification de la clôture de la procédure écrite et ayant dès lors décidé, sur rapport du juge rapporteur et en application de l’article 135 bis du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 20 mars 2008, M. Chang Qing Qing a présenté une demande d’enregistrement de marque communautaire à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), en vertu du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal GUDDY.

3        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent notamment des classes 9 et 14 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 9 : « Appareils et instruments scientifiques, nautiques, géodésiques, photographiques, optiques » ;

–        classe 14 : « Métaux précieux, horlogerie, bijouterie, pierres précieuses ».

4        La demande de marque communautaire a été publiée au Bulletin des marques communautaires n° 25/2008, du 23 juin 2008.

5        Le 22 septembre 2008, la requérante, Guccio Gucci SpA, a formé opposition, au titre de l’article 42 du règlement n° 40/94 (devenu article 41 du règlement n° 207/2009), à l’enregistrement de la marque demandée pour les produits visés au point 3 ci-dessus.

6        L’opposition était fondée sur la marque communautaire verbale antérieure GUCCI, désignant notamment les produits relevant des classes 9 et 14 et correspondant, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 9 : « Appareils et instruments scientifiques, nautiques, géodésiques, électriques, photographiques, cinématographiques, optiques, de pesage, de mesurage, de signalisation, de contrôle (inspection), de secours (sauvetage) et d’enseignement ; appareils pour l’enregistrement, la transmission, la reproduction du son ou des images ; supports d’enregistrement magnétiques, disques acoustiques ; distributeurs automatiques et mécanismes pour appareils à prépaiement ; caisses enregistreuses, machines à calculer, équipement pour le traitement de l’information et les ordinateurs ; extincteurs » ;

–        classe 14 : « Métaux précieux et leurs alliages et produits en ces matières ou en plaqué non compris dans d’autres classes ; joaillerie, bijouterie, pierres précieuses ; horlogerie et instruments chronométriques ».

7        Le motif invoqué à l’appui de l’opposition était celui visé à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 [devenu article 8, paragraphe 1, sous b) du règlement n° 207/2009].

8        Le 19 novembre 2009, la division d’opposition a rejeté l’opposition, au motif que, en substance, les différences entre les marques en conflit étaient suffisantes pour exclure l’existence d’un risque de confusion, en dépit de l’identité des produits et de l’éventuel caractère distinctif élevé de la marque antérieure.

9        Le 19 janvier 2010, la requérante a formé un recours auprès de l’OHMI, au titre des articles 58 à 64 du règlement n° 207/2009, contre la décision de la division d’opposition.

10      Par décision du 14 avril 2011 (ci-après la « décision attaquée »), notifiée à la requérante le 17 mai 2011, la première chambre de recours de l’OHMI a, en premier lieu, annulé la décision de la division d’opposition en ce qu’elle avait rejeté l’opposition dirigée contre la demande de marque communautaire pour les produits relevant de l’horlogerie et de la bijouterie, en deuxième lieu, rejeté la demande de marque communautaire pour lesdits produits, en troisième lieu, rejeté le recours pour le surplus et, en dernier lieu, condamné chaque partie à supporter ses propres dépens. En particulier, la chambre de recours a considéré que le public pertinent était composé par les consommateurs moyens de tous les États membres, normalement informés et raisonnablement attentifs et avisés, que les produits étaient identiques, que les éléments de preuve produits par la requérante démontraient le caractère distinctif élevé de la marque antérieure, en raison de la connaissance qu’en a le public pertinent, dans le domaine des produits de luxe, incluant les montres et les bijoux, que les signes en conflit présentaient un faible degré de similitude visuelle, que, la marque antérieure étant assurément prononcée selon les règles de l’italien, elle était dans une certaine mesure semblable à la marque demandée d’un point de vue phonétique et que la comparaison conceptuelle n’était pas possible. La chambre de recours en a conclu qu’il existait un risque de confusion seulement pour les produits par rapport auxquels le caractère distinctif élevé de la marque antérieure avait été prouvé, à savoir ceux relevant de l’horlogerie et de la bijouterie.

 Conclusions des parties

11      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler partiellement la décision attaquée, en ce qu’elle a rejeté l’opposition pour les produits relevant de la classe 9 et pour les produits relevant de la classe 14, autres que l’horlogerie et la bijouterie ;

–        condamner l’OHMI aux dépens.

12      L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

13      La requérante invoque deux moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 75 du règlement n° 207/2009 et de la règle 50 du règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement n° 40/94 (JO L 303, p. 1), en ce que la chambre de recours n’aurait pas correctement examiné les preuves qui lui avaient été soumises, et, le second, de la violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009.

14      Dans le cadre du premier moyen, la requérante rappelle qu’elle a produit 21 documents devant la division d’opposition et six nouveaux documents devant la chambre de recours afin de prouver le caractère distinctif élevé de la marque antérieure, en raison de la connaissance qu’en a le public, pour l’ensemble des produits visés par l’opposition. Selon elle, la chambre de recours a effectué une analyse trop brève de ces preuves, laquelle, en violation de l’article 75 du règlement n° 207/2009, ne permettrait même pas de comprendre si les six éléments produits pour la première fois devant la chambre de recours ont été pris en compte. L’éventuelle mise à l’écart de certains de ces six documents serait une violation également du principe de la continuité fonctionnelle entre les instances de l’OHMI, de la règle 50 du règlement n° 2868/95 ainsi que du droit à être entendu. En tout état de cause, cette trop brève analyse aurait amené la chambre de recours à la conclusion erronée que la marque antérieure n’avait de caractère distinctif élevé ni pour les pierres et les métaux précieux ni pour les produits relevant de la classe 9.

15      Par ailleurs, la requérante reproche à la chambre de recours de ne pas avoir tenu compte des preuves qu’elle a produites dans le but de démontrer que les marques en conflit présentaient un degré élevé de similitude phonétique.

16      Selon une jurisprudence constante, d’une part, en vertu de l’article 75 du règlement n° 207/2009, les décisions de l’OHMI doivent être motivées. Cette obligation de motivation a la même portée que celle découlant de l’article 296 TFUE, selon laquelle le raisonnement de l’auteur de l’acte doit apparaître de façon claire et non équivoque. Cette obligation a pour double objectif de permettre, d’une part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et, d’autre part, au juge de l’Union européenne d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision [arrêt du Tribunal du 19 mai 2010, Zeta Europe/OHMI (Superleggera), T‑464/08, non publié au Recueil, point 47 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 21 octobre 2004, KWS Saat/OHMI, C‑447/02 P, Rec. p. I‑10107, points 63 à 65]. Toutefois, il ne saurait être exigé des chambres de recours de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés par les parties devant elles. La motivation peut donc être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles la décision de la chambre de recours a été adoptée et à la juridiction compétente de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle [arrêts du Tribunal du 9 juillet 2008, Reber/OHMI – Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (Mozart), T‑304/06, Rec. p. II‑1927, point 55, et du 11 octobre 2011, Chestnut Medical Technologies/OHMI (PIPELINE), T‑87/10, non publié au Recueil, point 41].

17      En outre, il convient de rappeler que l’obligation de motiver des décisions constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. En effet, la motivation d’une décision consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cette décision. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond de la décision, mais non la motivation de celle-ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés (voir arrêt de la Cour du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, Rec. p. I‑4951, point 181, et la jurisprudence citée).

18      En l’espèce, s’agissant, en premier lieu, des documents relatifs à la preuve du caractère distinctif élevé de la marque antérieure, il y a lieu de constater que la chambre de recours a mentionné, au point 4 de la décision attaquée, les documents produits par la requérante devant la division d’opposition pour établir un tel caractère et s’est référée, au point 10, sous e), de la décision attaquée, aux autres éléments de preuve produits, à cette même fin, pour la première fois devant elle.

19      Au point 17 de la décision attaquée, la chambre de recours a relevé que les éléments de preuve soumis par la requérante permettaient de conclure que la marque antérieure était l’une des marques de premier plan au monde dans les domaines des produits de luxe, « qui inclut les montres et les bijoux ». À ce même point, elle a pris en compte plusieurs documents concernant ces derniers produits ainsi que, de manière générale, le caractère distinctif élevé de la marque antérieure pour les produits de luxe. Au point 23 de la décision attaquée, la chambre de recours a cependant considéré que ce caractère n’était prouvé que pour l’horlogerie et la bijouterie, tandis que la marque antérieure n’était pas spécifiquement connue pour les matières premières, telles que les pierres et les métaux précieux, relevant de la classe 14, ni pour les produits relevant de la classe 9. Compte tenu de cette circonstance, dans l’appréciation du risque de confusion, la chambre de recours a estimé, au point 27 de la décision attaquée, qu’un tel risque n’existait que pour l’horlogerie et la bijouterie.

20      Il doit être relevé que les affirmations de la chambre de recours, résumées au point qui précède, ne permettent pas de comprendre les raisons pour lesquelles les documents fournis par la requérante ne sont pas pertinents ou suffisants pour établir le caractère distinctif élevé de la marque antérieure par rapport aux produits autres que ceux relevant de la bijouterie et de l’horlogerie. En effet, la décision attaquée ne contient aucune comparaison entre, d’une part, les produits visés par lesdits documents et, d’autre part, les produits relevant de la classe 9 ainsi que les pierres et les métaux précieux. Aussi, il y a lieu de constater que la décision attaquée est viciée par une violation de l’obligation de motivation à cet égard.

21      Puisque, au point 27 de la décision attaquée, la chambre de recours s’est fondée précisément sur l’absence de caractère distinctif élevé de la marque GUCCI par rapport aux produits en cause pour exclure l’existence d’un risque de confusion, la violation de l’obligation de motivation constatée au point 20 ci-dessus a pour conséquence que le Tribunal doit, pour cette seule raison, faire entièrement droit aux conclusions de la requérante.

22      Dès lors, il y a lieu d’annuler partiellement la décision attaquée, en ce qu’elle a rejeté le recours introduit contre la décision de la division d’opposition rejetant l’opposition pour les produits relevant de la classe 9 et pour les produits relevant de la classe 14, autres que l’horlogerie et la bijouterie.

 Sur les dépens

23      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’OHMI ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la première chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du 14 avril 2011 (affaire R 143/2010-1) est annulée, en ce qui concerne, d’une part, les produits relevant de la classe 9 de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, ainsi que, d’autre part, les pierres et les métaux précieux, relevant de la classe 14 dudit accord.

2)      L’OHMI est condamné aux dépens.

Kanninen

Wahl

Soldevila Fragoso

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 juillet 2012.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.