Language of document : ECLI:EU:C:2003:169

ARRÊT DE LA COUR (cour plénière)

20 mars 2003(1)

«Marques - Rapprochement des législations - Directive 89/104/CEE - Article 5, paragraphe 1, sous a) - Notion de signe identique à la marque - Usage de l'élément distinctif de la marque à l'exclusion des autres éléments - Usage de l'intégralité des éléments constituant la marque, mais avec adjonction d'autres éléments»

Dans l'affaire C-291/00,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le tribunal de grande instance de Paris (France) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

LTJ Diffusion SA

et

Sadas Vertbaudet SA,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 5, paragraphe 1, sous a), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1),

LA COUR

composée de M. G. C. Rodríguez Iglesias, président, MM. M. Wathelet et R. Schintgen, présidents de chambre, MM. C. Gulmann et P. Jann, Mmes F. Macken (rapporteur) et N. Colneric, MM. S. von Bahr et J. N. Cunha Rodrigues, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,


greffier: Mme D. Louterman-Hubeau, chef de division,

considérant les observations écrites présentées:

-    pour LTJ Diffusion SA, par Me F. Fajgenbaum, avocat,

-    pour Sadas Vertbaudet SA, par Me A. Bertrand, avocat,

-    pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme G. Amodeo, en qualité d'agent, assistée de M. D. Alexander, barrister,

-    pour la Commission des Communautés européennes, par Mme K. Banks, en qualité d'agent,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de LTJ Diffusion SA, représentée par Me F. Fajgenbaum, de Sadas Vertbaudet SA, représentée par Me A. Bertrand, du gouvernement français, représenté par Mme A. Maitrepierre, en qualité d'agent, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par M. M. Tappin, barrister, et de la Commission, représentée par Mme K. Banks, à l'audience du 10 octobre 2001,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 17 janvier 2002, ,

rend le présent

Arrêt

1.
    Par jugement du 23 juin 2000, parvenu à la Cour le 26 juillet suivant, le tribunal de grande instance de Paris a posé, en vertu de l’article 234 CE, une question préjudicielle sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1, ci-après la «directive»).

2.
    Cette question a été soulevée dans le cadre d’un litige opposant LTJ Diffusion SA (ci-après «LTJ Diffusion») à Sadas Vertbaudet SA (ci-après «Sadas») à propos d’un grief de contrefaçon, par la seconde, d’une marque enregistrée par la première pour des articles vestimentaires.

Le cadre juridique

La législation communautaire

3.
    La directive constate, à son premier considérant, que les législations nationales sur les marques comportent des disparités qui peuvent entraver la libre circulation des produits ainsi que la libre prestation des services et fausser les conditions de concurrence dans le marché commun. Selon ce considérant, il en résulte qu’il est nécessaire, en vue de l’établissement et du fonctionnement du marché intérieur, de rapprocher les législations des États membres. Le troisième considérant de la directive précise qu’«il n’apparaît pas nécessaire actuellement de procéder à un rapprochement total des législations des États membres en matière de marques».

4.
    Aux termes du dixième considérant de la directive:

«[.] la protection conférée par la marque enregistrée, dont le but est notamment de garantir la fonction d’origine de la marque, est absolue en cas d’identité entre la marque et le signe et entre les produits ou services; [.] la protection vaut également en cas de similitude entre la marque et le signe et entre les produits ou services; [.] il est indispensable d’interpréter la notion de similitude en relation avec le risque de confusion; [.] le risque de confusion, dont l’appréciation dépend de nombreux facteurs et notamment de la connaissance de la marque sur le marché, de l’association qui peut en être faite avec le signe utilisé ou enregistré, du degré de similitude entre la marque et le signe et entre les produits ou services désignés, constitue la condition spécifique de la protection; [.]»

5.
    L’article 4, paragraphe 1, de la directive, qui énumère les motifs supplémentaires de refus ou de nullité concernant les conflits avec des droits antérieurs, énonce:

«Une marque est refusée à l’enregistrement ou est susceptible d’être déclarée nulle si elle est enregistrée:

lorsqu’elle est identique à une marque antérieure et que les produits ou services pour lesquels la marque a été demandée ou a été enregistrée sont identiques à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée;

lorsqu’en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association avec la marque antérieure.»

6.
    L’article 5, paragraphe 1, de la directive, qui concerne les droits conférés par la marque, dispose:

«La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires:

d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque.»

La réglementation nationale

7.
    Le droit des marques est régi en France par les dispositions de la loi du 4 janvier 1991, codifiée depuis 1992, et, plus particulièrement, par le livre VII du code de la propriété intellectuelle (JORF du 3 juillet 1992, p. 8801, ci-après le «code»).

8.
    L’article L. 713-2 du code prohibe:

«[l]a reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que: ‘formule, façon, système, imitation, genre, méthode’, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement.»

9.
    L’article L. 713-3 du même code prévoit:

«Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public:

la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement;

l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement.»

Le litige au principal et la question préjudicielle

10.
    LTJ Diffusion a pour activité la conception, la fabrication, la commercialisation et la diffusion de vêtements et d’articles chaussants, notamment de lingerie de nuit, de sous-vêtements, de chaussettes et de pantoufles pour adultes et enfants.

11.
    Cette société est titulaire d’une marque enregistrée auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (ci-après l’«INPI») sous le n° 17731, déposée le 16 juin 1983 et renouvelée le 14 juin 1993 (ci-après la «marque de LTJ Diffusion»). L’enregistrement porte sur les produits de la classe 25 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que modifié et révisé (ci-après l'«arrangement de Nice»), à savoir sur les articles textiles, en prêt-à-porter et sur mesure, y compris les bottes, les souliers et les pantoufles. Cette marque se compose d’un seul terme, déposé sous la forme d’une signature manuscrite dont les caractères sont attachés et où apparaît un point entre les deux talus de la lettre A. Elle se présente comme suit:

image: arthu

12.
    Sadas est une société exerçant une activité de vente par correspondance, qui diffuse un catalogue intitulé «Vertbaudet». Elle commercialise, notamment, des vêtements et des accessoires pour enfants.

13.
    Sadas est titulaire d’une marque enregistrée auprès de l’INPI sous le n° 93.487.413 et déposée le 29 septembre 1993 (ci-après la «marque de Sadas»). L’enregistrement, publié le 25 mars 1994, porte notamment sur les produits de la classe 25 de l’arrangement de Nice.

14.
    Cette marque, qui a été déposée sous la forme de lettres majuscules d’imprimerie droites, est la suivante:

ARTHUR ET FÉLICIE

15.
    Ainsi qu’il ressort du dossier, la marque de Sadas est utilisée dans la forme ci-après:

image: arthu2

16.
    Considérant que la reproduction et l’utilisation de la marque de Sadas pour des vêtements et des accessoires destinés aux enfants constituent une contrefaçon de sa marque, LTJ Diffusion a introduit contre Sadas une action devant le tribunal de grande instance de Paris. Elle demande à cette juridiction de prononcer les mesures d’interdiction, de confiscation et de publication d’usage, ainsi que la nullité de la marque de Sadas.

17.
    LTJ Diffusion a invoqué principalement les articles L. 713-2 et L. 713-3 du code. Elle a soutenu que la jurisprudence et la doctrine françaises interprètent en particulier l’interdiction figurant à l’article L. 713-2 du code comme visant les cas dans lesquels un élément distinctif d’une marque complexe est reproduit, à savoir la «contrefaçon partielle», ainsi que ceux dans lesquels soit un tel élément, soit l’intégralité de la marque est reproduite avec des éléments considérés comme ne portant pas atteinte à l’identité de la marque, circonstance qualifiée d’«adjonction inopérante».

18.
    Elle a également fait valoir que, si le dépôt et l’usage de la marque de Sadas ne constituaient pas des actes de contrefaçon par reproduction de sa marque au sens de l’article L. 713-2 du code, ils constitueraient en tout état de cause une contrefaçon par imitation au sens de l’article L. 713-3 du code. En effet, il existerait un risque de confusion entre les deux marques, car le terme «Arthur» garderait dans l’ensemble de la marque de Sadas son pouvoir distinctif propre.

19.
    LTJ Diffusion a soutenu par ailleurs que sa marque avait un caractère notoire en raison de l’intensité de l’exploitation de celle-ci et des investissements publicitaires consentis pour la promouvoir.

20.
    Pour sa part, Sadas a fait valoir qu’il n’y a pas lieu de considérer isolément les divers éléments constitutifs d’un signe distinctif pour apprécier l’existence d’une contrefaçon au sens de l’article L. 713-2 du code. Selon elle, la reproduction de l’un des éléments d’une marque complexe ou l’adjonction d’éléments à ceux qui composent une marque ne relèvent pas du champ d’application de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive, celui-ci visant seulement l’usage d’un signe identique, sans modification.

21.
    Le tribunal de grande instance de Paris considère que l’issue du litige au principal dépend de l’interprétation de la notion de reproduction d’une marque au sens de l’article L. 713-2 du code et spécialement du point de savoir si cette notion s’étend, par le recours aux concepts de contrefaçon partielle et d’adjonction inopérante, au-delà de la reproduction à l’identique d’un signe déposé à titre de marque.

22.
    Considérant que l’interprétation de la notion de reproduction d’une marque au sens de l’article L. 713-2 du code doit s’accorder avec celle de la notion de «signe identique à la marque» qui figure à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive, le tribunal de grande instance de Paris a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’interdiction édictée par l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, concerne-t-elle la seule reproduction à l’identique sans retrait ni ajout du ou des signes composant une marque, ou peut-elle s’étendre à

la reproduction de l’élément distinctif d’une marque composée de plusieurs signes;

la reproduction intégrale des signes constituant la marque lorsque leur sont adjoints d’autres signes?»

Sur la question préjudicielle

23.
    Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande comment doit être interprétée la notion de signe identique à la marque au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive.

24.
    Il est constant que, en l’espèce au principal, l’usage de la marque de Sadas a bien eu lieu dans la vie des affaires pour des produits identiques à ceux pour lesquels la marque de LTJ Diffusion a été enregistrée.

Observations soumises à la Cour

25.
    LTJ Diffusion fait valoir que l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive doit permettre une articulation effective de cette disposition et de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive. En cas d’identité des produits concernés, comme en l’espèce au principal, il conviendrait de distinguer la contrefaçon partielle et la contrefaçon avec adjonction inopérante, qui relèveraient de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive, de la contrefaçon par simple imitation visée à l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive.

26.
    Selon LTJ Diffusion, il est fréquent que les contrefacteurs désireux de parasiter une marque bénéficiant d’une certaine renommée reproduisent cette marque en lui associant un signe qui ne porte pas atteinte à l’identité de celle-ci.

27.
    Cette société fait valoir que, afin de déterminer si un signe est identique à la marque au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive, il convient de rechercher si ce signe forme un ensemble conceptuel dans lequel la marque perd son individualité et, partant, tout pouvoir distinctif pour se fondre dans ledit ensemble. À cet égard, il faudrait tenir compte de l’usage et de la place de la marque sur le marché concerné ainsi que de sa notoriété, sans rechercher s’il existe un risque de confusion.

28.
    Sadas, le gouvernement du Royaume-Uni ainsi que la Commission considèrent qu’il faut donner un sens strict à l’expression «signe identique à la marque» figurant à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive.

29.
    Sadas soutient qu’un signe identique à la marque, au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive, doit comporter les mêmes éléments que la marque dans la même configuration et le même ordre, c'est-à-dire constituer une contrefaçon stricto sensu et une reprise servile de la marque.

30.
    Sadas fait valoir également qu’accepter le concept de «contrefaçon partielle» ou de «contrefaçon par adjonction inopérante» ne serait pas conforme au droit communautaire, qui interdirait de fractionner une marque pour apprécier l’existence d’un risque de confusion au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive et exigerait que la marque soit appréciée dans sa globalité. Lorsqu’une marque n’est pas reproduite d’une manière identique, visée à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive, mais fait l’objet d’une reproduction partielle ou d’une adjonction, il y aurait lieu de faire application de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive, qui ne permet au titulaire de la marque d’interdire son usage que s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public.

31.
    Le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission constatent que l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive accorde à une marque une protection absolue à l'égard d’un signe identique. Ils rappellent le dixième considérant de la directive, qui énonce que le risque de confusion constitue la condition spécifique de la protection conférée par la marque enregistrée. Ladite protection absolue ne serait pas subordonnée à la preuve d’un risque de confusion, si bien qu’il faudrait donner un sens assez strict au terme «identique» employé à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive.

32.
    Se référant à l’article 16 de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, qui figure en annexe 1 C à l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce, approuvé au nom de la Communauté, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994 (JO L 336, p. 1) («TRIPS»), la Commission souligne le fait que le risque de confusion ne peut être présumé qu’en cas d’identité entre la marque et le signe et entre les produits couverts, comme le prévoit l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive. En faisant usage de l’expression «signe identique à la marque», le législateur communautaire aurait entendu limiter l’application de cette présomption aux cas où le signe et la marque sont exactement pareils.

33.
    Selon la Commission, si l’on acceptait trop facilement de considérer un signe comme identique à une marque enregistrée, on élargirait la possibilité d’interdire l’usage d’un signe, sans preuve d’un risque de confusion, au-delà des circonstances dans lesquelles un tel risque peut être présumé exister.

34.
    Le gouvernement du Royaume-Uni soutient que l’analyse relative à l’appréciation globale de la similitude entre un signe et une marque telle qu’enregistrée vaut aussi pour l’appréciation de l’identité entre un signe et une marque aux fins de l’application de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive.

35.
    Ce gouvernement expose que la juridiction de renvoi devrait examiner le signe utilisé par Sadas en se plaçant du point de vue du consommateur moyen et devrait considérer ce signe dans sa globalité. Ce ne serait que dans le cas où le signe, envisagé globalement, est identique à une marque qu’il y aurait lieu de faire application de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive. Selon ce gouvernement, si le signe utilisé diffère de la marque enregistrée parce qu’il comporte des éléments distinctifs supplémentaires, le signe et la marque ne doivent pas, en principe, être considérés comme identiques.

36.
    Lors de l’audience, le gouvernement français a fait valoir qu’il serait difficile de s’écarter d’une interprétation restrictive de la notion d’identité employée à l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive. Seule une telle interprétation permettrait de donner un effet utile au régime de protection prévu par la directive en cas de simple similitude au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive.

37.
    Selon ce gouvernement, depuis que la question préjudicielle a été posée, la jurisprudence française a évolué en tant que les litiges relatifs à la reproduction partielle de marques ou à leur reproduction intégrale avec adjonction d’éléments seraient exclusivement examinés sur le fondement de la contrefaçon par imitation, au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive, et non de la contrefaçon stricto sensu, au sens de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive. L’interdiction prévue par cette dernière disposition concernerait en principe la seule reproduction à l’identique et ne pourrait pas viser la reproduction de l’élément distinctif d’une marque composée de plusieurs signes, ni la reproduction intégrale des signes constituant une marque lorsque leur sont adjoints d’autres signes.

Réponse de la Cour

38.
    À titre liminaire, il convient de rappeler que, en vue de fournir à la juridiction qui lui a adressé une question préjudicielle une réponse utile, la Cour peut être amenée à prendre en considération des normes de droit communautaire auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans sa question (voir arrêts du 20 mars 1986, Tissier, 35/85, Rec. p. 1207, point 9, et du 18 novembre 1999, Teckal, C-107/98, Rec. p. I-8121, point 39).

39.
    Ainsi qu’il ressort des points 11, 13 et 16 du présent arrêt, la marque de LTJ Diffusion a été enregistrée antérieurement à celle de Sadas et LTJ Diffusion sollicite de la juridiction de renvoi qu’elle prononce non seulement les mesures d’interdiction, de confiscation et de publication d’usage mais aussi la nullité de la marque de Sadas.

40.
    Or, il convient de rappeler que c’est l’article 4 de la directive qui définit les motifs supplémentaires justifiant le refus ou la nullité en cas de conflit concernant des droits antérieurs. Le paragraphe 1, sous a), de cet article prévoit ainsi qu’une marque enregistrée est susceptible d’être déclarée nulle lorsqu’elle est identique à une marque antérieure et que les produits ou les services pour lesquels la marque a été enregistrée sont identiques à ceux pour lesquels la marque antérieure est protégée.

41.
    Les conditions d’application de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive correspondent en substance à celles de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive, qui détermine les cas dans lesquels le titulaire d’une marque est habilité à interdire à des tiers de faire usage de signes identiques à sa marque. Il existe une correspondance similaire entre les articles 8, paragraphe 1, sous a), et 9, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1).

42.
    Tant l’article 4, paragraphe 1, sous a), que l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive étant pertinents aux fins de la solution du litige au principal, il convient de donner à la juridiction de renvoi une interprétation portant sur ces deux dispositions.

43.
    Dans ces circonstances, il convient de préciser que la question posée sera examinée ci-après au regard du seul article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive, mais que l’interprétation dégagée au terme de cet examen s’appliquera également à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive, ladite interprétation étant transposable, mutatis mutandis, à cette dernière disposition.

44.
    Quant au fond, selon une jurisprudence constante, la fonction essentielle de la marque est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance (voir arrêts du 10 octobre 1978, Centrafarm, 3/78, Rec. p. 1823, points 11 et 12; du 12 octobre 1999, Upjohn, C-379/97, Rec. p. I-6927, point 21, et du 12 novembre 2002, Arsenal Football Club, C-206/01, non encore publié au Recueil, point 48).

45.
    Le législateur communautaire a consacré cette fonction essentielle de la marque en disposant, à l’article 2 de la directive, que les signes susceptibles d’une représentation graphique ne peuvent constituer une marque qu’à la condition qu’ils soient propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises (voir, notamment, arrêts du 4 octobre 2001, Merz & Krell, C-517/99, Rec. p. I-6959, point 23, et Arsenal Football Club, précité, point 49).

46.
    Pour que cette garantie de provenance puisse être assurée, le titulaire de la marque doit être protégé contre les concurrents qui voudraient abuser de la position et de la réputation de la marque en vendant des produits indûment pourvus de celle-ci (voir arrêts du 11 novembre 1997, Loendersloot, C-349/95, Rec. p. I-6227, point 22, et Arsenal Football Club, précité, point 50).

47.
    La protection d’un titulaire de la marque est assurée par l’article 5 de la directive qui détermine les droits conférés par une marque enregistrée et qui dispose, en son paragraphe 1, que ladite marque confère à son titulaire un droit exclusif et que le titulaire est habilité, dans certaines limites, à interdire à tout tiers de faire usage, dans la vie des affaires, de sa marque (voir, en ce sens, arrêt du 4 novembre 1997, Parfums Christian Dior, C-337/95, Rec. p. I-6013, point 34).

48.
    S’agissant de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive, la Cour a déjà relevé que cette disposition n’a vocation à s’appliquer que si, en raison de l’identité ou de la similitude entre des signes et des marques et des produits ou services désignés, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2000, Marca Mode, C-425/98, Rec. p. I-4861, point 34).

49.
    En revanche, il convient de constater que l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive n’exige pas la preuve d’un tel risque pour accorder une protection absolue en cas d’identité du signe et de la marque ainsi que des produits ou des services.

50.
    Le critère d’identité du signe et de la marque doit faire l’objet d’une interprétation restrictive. En effet, la définition même de la notion d’identité implique que les deux éléments comparés soient en tous points les mêmes. D’ailleurs, la protection absolue dans le cas d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée, garantie par l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive, ne saurait être étendue au-delà des situations pour lesquelles elle a été prévue, en particulier, auxdites situations qui sont plus spécifiquement protégées par l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive.

51.
    Il en résulte qu’il existe une identité entre le signe et la marque lorsque le premier reproduit, sans modification ni ajout, tous les éléments constituant la seconde.

52.
    Toutefois, la perception d’une identité entre le signe et la marque doit être appréciée globalement dans le chef d’un consommateur moyen qui est censé être normalement informé et raisonnablement attentif et avisé. Or, à l’égard d’un tel consommateur, le signe produit une impression d’ensemble. En effet, ce consommateur moyen n’a que rarement la possibilité de procéder à une comparaison directe des signes et des marques, mais doit se fier à l’image non parfaite qu’il en a gardée en mémoire. En outre, le niveau d’attention est susceptible de varier en fonction de la catégorie de produits ou de services en cause (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer, C-342/97, Rec. p. I-3819, point 26).

53.
    La perception d’une identité entre le signe et la marque n’étant pas le résultat d’une comparaison directe de toutes les caractéristiques des éléments comparés, des différences insignifiantes entre le signe et la marque peuvent passer inaperçues aux yeux d’un consommateur moyen.

54.
    Dans ces conditions, il convient donc de répondre à la question posée que l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive doit être interprété en ce sens qu’un signe est identique à la marque lorsqu’il reproduit, sans modification ni ajout, tous les éléments constituant la marque ou lorsque, considéré dans son ensemble, il recèle des différences si insignifiantes qu’elles peuvent passer inaperçues aux yeux d’un consommateur moyen.

Sur les dépens

55.
    Les frais exposés par les gouvernements français et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur la question à elle soumise par le tribunal de grande instance de Paris, par jugement du 23 juin 2000, dit pour droit:

L’article 5, paragraphe 1, sous a), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens qu’un signe est identique à la marque lorsqu’il reproduit, sans modification ni ajout, tous les éléments constituant la marque ou lorsque, considéré dans son ensemble, il recèle des différences si insignifiantes qu’elles peuvent passer inaperçues aux yeux d’un consommateur moyen .

Rodríguez Iglesias
Wathelet

Schintgen

Gulmann

Jann

Macken

Colneric

von Bahr

Cunha Rodrigues

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 mars 2003.

Le greffier

Le président

R. Grass

G. C. Rodríguez Iglesias


1: Langue de procédure: le français