Language of document : ECLI:EU:T:2013:618

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

28 novembre 2013 (*)

« Marque communautaire – Procédure d’opposition – Demande de marque communautaire verbale HERBA SHINE – Marques nationale, communautaire et internationale verbales antérieures Herbacin – Motif relatif de refus – Usage sérieux des marques antérieures – Article 42, paragraphes 2 et 3, du règlement (CE) n° 207/2009 – Obligation de motivation – Article 75 du règlement n° 207/2009 »

Dans l’affaire T‑34/12,

Herbacin cosmetic GmbH, établie à Wutha-Farnroda (Allemagne), représentée par Me J. Eberhardt, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par Mme D. Walicka, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI ayant été

Laboratoire Garnier et Cie, établi à Paris (France),

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la première chambre de recours de l’OHMI du 22 novembre 2011 (affaire R 2255/2010-1), relative à une procédure d’opposition entre Herbacin cosmetic GmbH et le Laboratoire Garnier et Cie,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. A. Dittrich (rapporteur), président, Mme I. Wiszniewska-Białecka et M. M. Prek, juges,

greffier : Mme J. Weychert, administrateur,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 25 janvier 2012,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 11 mai 2012,

à la suite de l’audience du 11 septembre 2013,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 28 avril 2008, le Laboratoire Garnier et Cie (ci-après le « Laboratoire Garnier ») a présenté une demande d’enregistrement de marque communautaire à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), en vertu du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal HERBA SHINE.

3        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent de la classe 3 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Parfums, eaux de toilette ; gels et sels pour le bain et la douche non à usage médical ; savons de toilette ; déodorants corporels ; cosmétiques notamment crèmes, laits, lotions, gels et poudres pour le visage, le corps et les mains ; laits, gels et huiles de bronzage et après soleil (cosmétiques) ; produits de maquillage ; shampooings ; gels, mousses, baumes et produits sous la forme d’aérosol pour le coiffage et le soin des cheveux ; laques pour les cheveux ; colorants et produits pour la décoloration des cheveux ; produits pour l’ondulation et la mise en plis des cheveux ; huiles essentielles ».

4        La demande de marque communautaire a été publiée au Bulletin des marques communautaires n° 24/2008, du 16 juin 2008.

5        Le 16 septembre 2008, la requérante, Herbacin cosmetic GmbH, a formé opposition, au titre de l’article 42 du règlement n° 40/94 (devenu article 41 du règlement n° 207/2009), à l’enregistrement de la marque demandée pour tous les produits visés au point 3 ci-dessus.

6        L’opposition était fondée sur les marques antérieures suivantes (ci-après, prises ensemble, les « marques antérieures ») :

–        la marque allemande verbale Herbacin, enregistrée en 1954 sous la référence DD 600002, désignant les produits relevant de la classe 3 et correspondant à la description suivante : « Parfums, produits d’entretien pour les cheveux et le cuir chevelu, crèmes de beauté et crèmes pour activités sportives » ;

–        la marque communautaire verbale Herbacin, enregistrée en 1998 sous le numéro 612143, désignant notamment les produits relevant de la classe 3 et correspondant à la description suivante : « Savons ; parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux, en particulier gels de douche, bains douches, bains moussants, bains crémeux, sels de bain, lotions corporelles, crème à raser, crème pour les mains, eau de toilette, après-rasage, lotion après-rasage, baume après-rasage, déodorants, shampooings, rinçages thérapeutiques, cosmétiques, en particulier maquillage (liquide et solide), rouges à lèvres, brillants à lèvres, rouges à joues, crayons pour les sourcils, fards à paupières, poudre, mascaras ; dentifrices ; préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser » ;

–        la marque internationale verbale Herbacin, enregistrée en 1993 sous le numéro 609475 avec effet au Benelux, en République tchèque, en Espagne, en France, en Hongrie, en Autriche, en Pologne, au Portugal et en Slovaquie, désignant les produits relevant de la classe 3 et correspondant à la description suivante : « Parfums, produits d’entretien pour les cheveux et le cuir chevelu, crèmes de beauté et crèmes pour activités sportives ».

7        Le motif invoqué à l’appui de l’opposition était celui visé à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 [devenu article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009].

8        Par lettre du 7 mai 2009, le Laboratoire Garnier a demandé la preuve de l’usage des marques antérieures sur lesquelles l’opposition était fondée. La division d’opposition a donc invité la requérante, conformément à l’article 42, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 207/2009, à apporter cette preuve.

9        La requérante a, dans le délai imparti, produit divers documents afin de prouver que les marques antérieures avaient fait l’objet d’un usage sérieux. Elle a notamment produit une déclaration sous serment de son gérant, des images d’emballages ainsi que des factures adressées à des clients en Allemagne, en France, en Espagne, en Grèce, aux États-Unis, à Hong Kong, au Japon, aux Émirats arabes unis, en Arabie saoudite, au Canada, à Taiwan et en Corée.

10      Dans un mémoire du 19 janvier 2010, le Laboratoire Garnier a indiqué qu’il n’avait « pas d’observation à faire s’agissant des preuves d’usage apportées par la [requérante] ».

11      Par décision du 16 septembre 2010, la division d’opposition a fait droit à l’opposition et rejeté la demande d’enregistrement pour tous les produits. Elle n’a pris en considération, aux fins de sa décision, que la marque communautaire antérieure. La division d’opposition a considéré que les éléments de preuve apportés par la requérante établissaient l’usage sérieux de ladite marque pour les « cosmétiques » et les « crèmes pour les mains ». Dans ce cadre, elle a relevé que, en ce qui concerne les ventes opérées vers des pays en dehors de l’Union européenne, conformément à l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous b), du règlement n° 207/2009, « l’apposition de la marque communautaire sur les produits ou sur leur conditionnement dans la Communauté dans le seul but de l’exportation » est également considérée comme un usage au sens de l’article 15, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n° 207/2009. Elle a considéré que les factures fournies par la requérante démontraient que les produits provenaient d’Allemagne pour être envoyés à l’étranger. La division d’opposition a conclu à l’existence d’un risque de confusion.

12      Le 16 novembre 2010, le Laboratoire Garnier a formé un recours auprès de l’OHMI, au titre des articles 58 à 64 du règlement n° 207/2009, contre la décision de la division d’opposition.

13      Par décision du 22 novembre 2011 (ci-après la « décision attaquée »), la première chambre de recours de l’OHMI a accueilli le recours du Laboratoire Garnier et rejeté l’opposition.

14      La chambre de recours a estimé que les éléments de preuve produits par la requérante étaient insuffisants aux fins de rapporter la preuve de l’usage sérieux des marques antérieures au sens de l’article 42, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 207/2009. Elle a considéré qu’« [i]l ne [fallait] naturellement retenir, aux fins de la présente procédure, que les factures adressées à des acheteurs dans les pays couverts par les droits antérieurs » et pris en considération les factures produites par la requérante seulement dans la mesure où celles-ci étaient adressées à des clients établis dans l’Union (à savoir en Allemagne, en France, en Espagne et en Grèce), excluant ainsi les factures adressées à des clients établis hors de l’Union.

 Conclusions des parties

15      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’OHMI aux dépens.

16      L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

17      À l’appui de son recours, la requérante soulève trois moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’article 42, paragraphe 2, première phrase, du règlement n° 207/2009, le deuxième, d’une violation de l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous b), de ce même règlement et, le troisième, d’une violation de l’article 15, paragraphe 1, premier alinéa, du même règlement.

 Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 42, paragraphe 2, première phrase, du règlement n° 207/2009

18      La requérante fait valoir que c’est à tort que la chambre de recours a procédé à l’examen de l’usage des marques antérieures. Elle rappelle que, selon l’article 42, paragraphe 2, première phrase, du règlement n° 207/2009, la preuve de l’usage sérieux doit être apportée sur requête du demandeur de marque.

19      Elle souligne, en outre, que le Laboratoire Garnier avait indiqué, dans son mémoire du 19 janvier 2010, qu’il n’avait « pas d’observation à faire s’agissant des preuves d’usage apportées par la [requérante] ». La requérante estime que cette déclaration signifie que le Laboratoire Garnier ne souhaitait plus contester l’usage sérieux et qu’il ne donnait pas suite à sa demande de preuves de l’usage.

20      Selon elle, au moment de la décision de la division d’opposition, il n’existait plus de « requête » au sens de l’article 42, paragraphe 2, première phrase, du règlement n° 207/2009. Elle souligne que c’est seulement au stade de la procédure devant la chambre de recours que le Laboratoire Garnier a présenté des objections quant à l’usage sérieux. Or, à ce stade, le Laboratoire Garnier aurait été forclos à soulever des objections.

21      L’OHMI conteste les arguments de la requérante.

22      En vertu de l’article 42, paragraphe 2, première phrase, du règlement n° 207/2009, c’est « [s]ur requête du demandeur » qu’il appartient au titulaire d’une marque communautaire antérieure enregistrée depuis cinq ans au moins d’apporter la preuve que ladite marque a fait l’objet d’un usage sérieux au cours des cinq années qui précèdent la publication de la marque communautaire demandée, ou qu’il existe de justes motifs pour le non-usage.

23      De plus, aux termes de l’article 42, paragraphe 3, du règlement n° 207/2009, « [l]e paragraphe 2 s’applique aux marques nationales antérieures visées à l’article 8, paragraphe 2, [sous] a), étant entendu que l’usage dans la Communauté est remplacé par l’usage dans l’État membre où la marque nationale antérieure est protégée ».

24      En l’espèce, le Laboratoire Garnier a introduit, le 7 mai 2009, une requête de preuve de l’usage sérieux au sens de l’article 42, paragraphe 2, première phrase, du règlement n° 207/2009. Cette requête ayant été présentée expressément et en temps utile, elle a eu pour effet de faire peser sur la requérante la charge de prouver l’usage sérieux des marques antérieures.

25      Dans son mémoire du 19 janvier 2010, le Laboratoire Garnier ne s’est pas désisté de sa requête de preuve de l’usage des marques antérieures. En effet, sa déclaration, selon laquelle il n’avait « pas d’observation à faire s’agissant des preuves d’usage apportées » par la requérante, constitue seulement une annonce de ne pas vouloir prendre position sur la valeur probante desdits éléments. Une telle déclaration ne saurait être interprétée comme un désistement de la requête précédente.

26      Dans ce cadre, il convient de relever que la seule absence de contestation des éléments de preuve avancés par l’opposant aux fins d’établir l’usage sérieux de la marque antérieure ne dispense pas les instances de l’OHMI de leur obligation d’examiner la question de l’usage sérieux et d’analyser la valeur probante desdits éléments de preuve [voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 7 juin 2005, Lidl Stiftung/OHMI – REWE-Zentral (Salvita), T‑303/03, Rec. p. II‑1917, point 79].

27      Au soutien de son argumentation, la requérante s’appuie sur la décision de la deuxième chambre de recours du 13 mars 2001 dans l’affaire R 68/2000-2, qui concernerait des faits comparables à ceux en cause en l’espèce.

28      Dans cette affaire, la chambre de recours a considéré que le demandeur de marque avait déclaré clairement et sans équivoque qu’il acceptait la preuve de l’usage sérieux, et que l’OHMI ne pouvait donc pas la rejeter comme insuffisante (points 16 et 17 de la décision de la deuxième chambre de recours dans l’affaire R 68/2000-2).

29      À cet égard, il suffit de constater que les faits à la base de la décision de la deuxième chambre de recours dans l’affaire R 68/2000-2 et ceux à la base de la présente affaire ne sont pas comparables. En effet, dans la présente affaire, le Laboratoire Garnier s’est limité à indiquer qu’il n’avait pas d’observation à faire s’agissant des éléments de preuve fournis par la requérante afin de démontrer l’usage sérieux des marques antérieures, ce qui n’équivaut pas à une acceptation expresse du fait que la requérante aurait apporté la preuve de cet usage.

30      En l’espèce, contrairement à ce que soutient la requérante, les arguments avancés par le Laboratoire Garnier pour la première fois devant la chambre de recours, pour contester la valeur probante des éléments de preuve relatifs à l’usage sérieux des marques antérieures, ne sauraient être considérés comme une nouvelle requête au sens de l’article 42, paragraphe 2, première phrase, du règlement n° 207/2009, car le Laboratoire Garnier ne s’est jamais désisté de la requête présentée le 7 mai 2009.

31      Il résulte de ce qui précède que la chambre de recours était tenue d’examiner la question de savoir si la requérante avait apporté la preuve de l’usage sérieux des marques antérieures.

32      Il y a donc lieu de rejeter le premier moyen de la requérante.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous b), du règlement n° 207/2009

33      À l’appui de son deuxième moyen, la requérante fait valoir que c’est à tort que la chambre de recours n’a pas pris en considération les factures adressées à des destinataires établis hors de l’Union. La chambre de recours aurait ainsi « ignoré » ou n’aurait « pas remarqué » la disposition de l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous b), du règlement n° 207/2009, selon laquelle « l’apposition de la marque communautaire sur les produits ou sur leur conditionnement dans la Communauté dans le seul but de l’exportation » est également considérée comme usage au sens de l’article 15, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n° 207/2009.

34      Selon la requérante, la conclusion de la chambre de recours, selon laquelle il ne faut « naturellement » retenir que les factures adressées à des acheteurs dans les États membres de l’Union, est erronée.

35      La requérante souligne qu’elle a fourni, à titre de preuve, des emballages destinés à des clients situés dans des pays francophones et anglophones, ainsi que la chambre de recours l’a reconnu au point 22 de la décision attaquée. Elle fait valoir qu’elle a fourni des factures adressées à des clients dans de tels pays (États-Unis, Hong Kong, Canada) faisant état d’exportations d’un volume important. Il résulterait de ces factures que les ventes auraient eu lieu depuis le siège social de la requérante situé en Allemagne. Il s’agirait donc d’actes effectués depuis l’Union dans le but de l’exportation au sens de l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous b), du règlement n° 207/2009.

36      L’OHMI conteste les arguments de la requérante. Il fait valoir que la chambre de recours pouvait valablement considérer que les pièces fournies par la requérante étaient insuffisantes afin d’apporter la preuve d’un usage par voie d’exportation. La requérante n’aurait à aucun moment de la procédure affirmé qu’elle avait exporté les produits en cause depuis le territoire de l’Union vers des pays tiers.

37      Les factures adressées à des clients aux États-Unis, à Hong Kong et au Canada attesteraient simplement du fait que la requérante invoque à leur égard des droits au paiement, mais elles n’indiqueraient rien en ce qui concerne la cause de ces droits. Il pourrait s’agir de la vente de produits en provenance de l’Union ou de n’importe quel pays en dehors du territoire de l’Union. Le fait que le siège social de la requérante se situe en Allemagne serait l’unique lien avec le territoire de l’Union qui ressortirait de ces factures.

38      Lors de l’audience, la requérante a indiqué qu’elle avait fourni, lors de la procédure administrative et en annexe à la requête, une facture adressée à un client établi dans les Émirats arabes unis, sur laquelle la mention « Country of origin : Germany » (Pays d’origine : Allemagne) est indiquée.

39      En réponse à une question du Tribunal posée lors de l’audience, la requérante a précisé que son deuxième moyen était tiré d’une violation matérielle de la disposition de l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous b), du règlement n° 207/2009.

40      Le Tribunal a relevé d’office, lors de l’audience, un moyen tiré d’un défaut de motivation de la décision attaquée, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience.

41      Tout d’abord, il convient de rappeler que le défaut de motivation est un moyen de droit d’ordre public qui peut être relevé d’office par le Tribunal (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a., C‑89/08 P, Rec. p. I‑11245, point 57).

42      Ensuite, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 75 du règlement n° 207/2009, les décisions de l’OHMI doivent être motivées. Cette obligation de motivation a la même portée que celle découlant de l’article 296 TFUE, selon laquelle le raisonnement de l’auteur de l’acte doit apparaître de façon claire et non équivoque. Cette obligation a pour double objectif de permettre, d’une part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et, d’autre part, au juge de l’Union d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision [arrêt du Tribunal du 19 mai 2010, Zeta Europe/OHMI (Superleggera), T‑464/08, non publié au Recueil, point 47 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 21 octobre 2004, KWS Saat/OHMI, C‑447/02 P, Rec. p. I‑10107, points 63 à 65]. Toutefois, il ne saurait être exigé des chambres de recours de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés par les parties devant elles. La motivation peut donc être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles la décision de la chambre de recours a été adoptée et à la juridiction compétente de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle [arrêt du Tribunal du 9 juillet 2008, Reber/OHMI – Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (Mozart), T‑304/06, Rec. p. II‑1927, point 55, et du 11 octobre 2011, Chestnut Medical Technologies/OHMI (PIPELINE), T‑87/10, non publié au Recueil, point 41].

43      En l’espèce, il convient de relever que, outre la déclaration faite au point 24 de la décision attaquée, selon laquelle « [i]l ne [fallait] naturellement retenir, aux fins de la présente procédure, que les factures adressées à des acheteurs dans les pays couverts par les droits antérieurs », la décision attaquée ne contient aucune explication concernant les raisons pour lesquelles la chambre de recours n’a pas pris en considération les factures adressées à des clients établis en dehors de l’Union.

44      L’interprétation donnée par la requérante à la décision attaquée est différente de celle donnée par l’OHMI. Tandis que la requérante estime que la chambre de recours a « ignoré » ou n’a « pas remarqué » la disposition de l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous b), du règlement n° 207/2009, l’OHMI fait en substance valoir, dans son mémoire en réponse, que la chambre de recours a considéré que les pièces fournies par la requérante étaient insuffisantes afin d’apporter la preuve d’un usage par voie d’exportation.

45      Il convient de relever que la motivation de la décision attaquée ne permet pas de trancher la question de savoir si la chambre de recours n’a pas du tout vu la disposition de l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous b), du règlement n° 207/2009 (première hypothèse) ou si elle a vu cette disposition mais estimé que les conditions qui y sont prévues n’étaient pas remplies (seconde hypothèse). Cette disposition n’est même pas mentionnée dans la décision attaquée, ni d’ailleurs le mot « exportation ». Par ailleurs, même si la seconde hypothèse était correcte, la décision attaquée ne permet pas de connaître les raisons pour lesquelles la chambre de recours a estimé que les conditions prévues à cette disposition n’étaient pas remplies.

46      Lors de l’audience, l’OHMI a en substance fait valoir que la chambre de recours n’était pas tenue de motiver la décision attaquée sur ce point, car la requérante n’avait pas affirmé, lors de la procédure administrative, avoir utilisé les marques antérieures par voie d’exportation.

47      À cet égard, il y a lieu de relever que la requérante a envoyé à l’OHMI la déclaration sous serment, les emballages et les factures en réaction à la demande de preuves de l’usage sérieux des marques antérieures, ainsi qu’il résulte de la lettre d’accompagnement du 18 novembre 2009. Il s’ensuit que la requérante estimait que les factures – même celles adressées à des clients établis en dehors de l’Union – étaient pertinentes afin d’établir l’usage sérieux des marques antérieures et qu’elle souhaitait qu’elles soient prises en compte à cette fin par l’OHMI.

48      La chambre de recours ayant écarté une partie des éléments de preuve fournis par la requérante afin de prouver l’usage sérieux des marques antérieures, elle était obligée d’indiquer les raisons pour lesquelles elle l’a fait. Il ne résulte pas de la décision attaquée que la chambre de recours a considéré que la production des factures, que la requérante avait envoyées depuis son siège social en Allemagne et adressées à des clients établis en dehors de l’Union, n’implique pas l’affirmation que les produits mentionnés dans ces factures ont été exportés de l’Allemagne vers des pays tiers.

49      Il convient également de souligner que la division d’opposition avait pris en compte les factures adressées à des clients établis en dehors de l’Union et qu’elle avait considéré que l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous b), du règlement n° 207/2009 était applicable (voir le point 11 ci-dessus). La chambre de recours était dès lors dans l’obligation d’indiquer, au moins brièvement, les raisons pour lesquelles elle était parvenue à la conclusion contraire.

50      Lors de l’audience, l’OHMI a également affirmé que la décision attaquée devait être lue dans le contexte de la motivation du recours que le Laboratoire Garnier avait introduit devant la chambre de recours.

51      À cet égard, il y a lieu de constater que, certes, la question de savoir si une décision a été suffisamment motivée doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte, ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée [voir arrêt du Tribunal du 3 février 2011, Gühring/OHMI (Combinaison de jaune genêt et de gris argent et combinaison de jaune ocre et de gris argent), T‑299/09 et T‑300/09, non publié au Recueil, point 16, et la jurisprudence citée]. Il y a lieu de relever également que, plus généralement, une décision peut être considérée comme suffisamment motivée lorsqu’elle renvoie expressément à un autre document, transmis au requérant (voir arrêt Mozart, point 42 supra, point 48, et la jurisprudence citée).

52      Cependant, la chambre de recours n’a pas renvoyé, dans la partie intitulée « Motifs de la décision » de la décision attaquée, à l’argumentation contenue dans la lettre du Laboratoire Garnier du 17 janvier 2011 exposant les motifs du recours. Cette lettre est uniquement mentionnée dans le cadre du « résumé des faits » contenu dans la décision attaquée et il ne résulte nullement de la décision attaquée que la chambre de recours aurait souhaité faire siens les arguments présentés par le Laboratoire Garnier. Il y a donc lieu de rejeter l’argument soulevé par l’OHMI lors de l’audience.

53      À titre surabondant, il convient de relever que, s’il est vrai que le Laboratoire Garnier a affirmé que les preuves d’usage des marques antérieures produites par la requérante n’étaient pas suffisantes et qu’il a fait remarquer dans ce cadre que seules neuf des trente factures soumises concernaient des États membres de l’Union, le Laboratoire Garnier n’a pas affirmé qu’il fallait écarter les factures adressées à des destinataires établis en dehors de l’Union, et il n’a en tout état de cause présenté aucun argument spécifique visant à contester le constat de la division d’opposition selon lequel les factures démontraient que les produits provenaient d’Allemagne pour être envoyés à l’étranger. À supposer même que la lettre du Laboratoire Garnier du 17 janvier 2011 exposant les motifs du recours doive être prise en considération dans le cadre de l’examen de la motivation de la décision attaquée, cette lettre ne permettrait toutefois pas de comprendre les raisons pour lesquelles la chambre de recours a écarté les factures adressées à des destinataires établis en dehors de l’Union.

54      Il y a lieu de constater que, les raisons qui ont conduit la chambre de recours à écarter les factures adressées à des destinataires établis en dehors de l’Union ne résultant pas, même implicitement, de la décision attaquée, le Tribunal est, sur ce point, dans l’impossibilité d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision attaquée.

55      Par leurs arguments concernant la question de savoir si, oui ou non, les documents produits par la requérante lors de la procédure administrative étaient suffisants afin de démontrer l’usage par voie d’exportation, les parties invitent en substance le Tribunal à trancher cette question dans l’arrêt.

56      Pourtant, l’examen de la question de savoir si les éléments de preuve fournis par la requérante sont suffisants afin d’établir que les conditions prévues à l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, sous b), du règlement n° 207/2009 sont remplies nécessite une analyse de l’ensemble des éléments de preuve fournis par la requérante, qui n’a pas été effectuée par la chambre de recours et qu’il n’appartient pas au Tribunal d’effectuer pour la première fois (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 5 juillet 2011, Edwin/OHMI, C‑263/09 P, Rec. p. I‑5853, point 72).

57      Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu d’annuler la décision attaquée pour défaut de motivation, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le troisième moyen soulevé par la requérante.

 Sur les dépens

58      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’OHMI ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la première chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du 22 novembre 2011 (affaire R 2255/2010-1) est annulée.

2)      L’OHMI est condamné aux dépens.

Dittrich

Wiszniewska-Białecka

Prek

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 novembre 2013.

Signatures


* Langue de procédure : l’allemand.