Language of document : ECLI:EU:T:2011:391

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

15 juillet 2011 (*)

« Marque communautaire – Procédure d’opposition – Demande de marque communautaire verbale GOOD LIFE – Marque nationale verbale antérieure GOOD LIFE – Usage sérieux de la marque antérieure – Devoir de diligence –Article 74, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 40/94 [devenu article 76, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 207/2009] »

Dans l’affaire T‑108/08,

Zino Davidoff SA, établie à Fribourg (Suisse), représentée par Mes H. Kunz-Hallstein et R. Kunz-Hallstein, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par MM. R. Pethke et J. Laporta Insa, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI, intervenant devant le Tribunal, étant

I. Kleinakis kai SIA OE, établie à Athènes (Grèce), représentée par MK. Siotou, avocat,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la deuxième chambre de recours de l’OHMI du 30 novembre 2007 (affaire R 298/2007-2), relative à une procédure d’opposition entre I. Kleinakis kai SIA OE et Zino Davidoff SA,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. J. Azizi (rapporteur), président, Mme E. Cremona et M. S. Frimodt Nielsen, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 27 février 2008,

vu le mémoire en réponse de l’OHMI déposé au greffe du Tribunal le 10 juin 2008,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 30 mai 2008,

vu le mémoire en réplique déposé au greffe du Tribunal le 12 novembre 2008,

vu le mémoire en duplique de l’OHMI déposé au greffe du Tribunal le 15 janvier 2009,

à la suite de l’audience du 2 mars 2011,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 14 juin 2000, la requérante, Zino Davidoff SA, a présenté une demande d’enregistrement de marque communautaire à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) en vertu du règlement (CE) n° 40/94, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) n° 207/2009, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal GOOD LIFE.

3        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent de la classe 3 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

4        La demande de marque communautaire a été publiée au Bulletin des marques communautaires n° 27/2001, du 26 mars 2001.

5        Le 15 juin 2001, l’intervenante, I. Kleinakis kai SIA OE, a formé opposition au titre de l’article 42 du règlement n° 40/94 (devenu article 41 du règlement n° 207/2009) à l’enregistrement de la marque demandée, en invoquant un risque de confusion au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 [devenu article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009].

6        L’opposition était fondée sur la marque verbale grecque antérieure GOOD LIFE, enregistrée sous le numéro 102703 et désignant les produits relevant des classes 3 et 5, correspondant à la description suivante : « Parfumerie, cosmétiques, c’est-à-dire produits parfumés et pour le rafraîchissement de l’air ».

7        Le 3 juin 2005, la requérante a demandé la preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure en Grèce.

8        Le 3 octobre 2005, en vue de prouver l’usage sérieux de la marque antérieure en Grèce, l’intervenante a soumis les documents suivants :

–        la demande en nullité de la marque antérieure formée par la requérante, fondée sur le non-usage de ladite marque ainsi que la décision n° 2910/2002, du 8 avril 2002, du Comité administratif des marques grec (ci-après la « décision grecque ») rejetant cette demande en nullité ;

–        dix factures aux dates comprises entre le 17 mai 2000 et le 27 septembre 2005 ;

–        17 photocopies de photos montrant l’intérieur et l’extérieur de points de vente au détail prétendument clients de l’intervenante ;

–        des photos scannées de trois produits portant la marque GOOD LIFE.

9        Le 20 décembre 2006, la division d’opposition a rejeté l’opposition dans son intégralité. L’usage sérieux de la marque antérieure n’aurait pas été démontré. Les documents sur lesquels se basait la décision grecque n’auraient été ni spécifiés ni produits. De plus, seulement deux des documents produits comme preuve de l’usage sérieux concerneraient la période de référence, et le volume des ventes ne serait pas suffisant pour conclure à un usage sérieux de ladite marque.

10      Le 16 février 2007, l’intervenante a formé un recours auprès de l’OHMI, au titre des articles 57 à 62 du règlement n° 40/94 (devenus articles 58 à 64 du règlement n° 207/2009), contre la décision de la division d’opposition.

11      Par décision du 30 novembre 2007 (ci-après la « décision attaquée »), la deuxième chambre de recours de l’OHMI a fait droit au recours en annulant la décision de la division d’opposition et en lui renvoyant l’affaire pour suite à donner. Selon la chambre de recours, la décision grecque concluant à un usage sérieux de la marque antérieure en Grèce est « tout à fait pertinente en l’espèce » (points 19 et 20 de la décision attaquée). Par ailleurs, deux factures et une photocopie de la photo d’un point de vente auraient été fournies à l’appui de la preuve de l’usage sérieux. Les factures du 17 mai 2000 et du 8 janvier 2001 feraient respectivement état de la vente de 19 287 et de 782 articles portant la marque antérieure (point 22 de la décision attaquée). Bien que les preuves ne soient pas nombreuses, elles seraient suffisantes pour démontrer l’usage sérieux de la marque antérieure en Grèce (point 24 de la décision attaquée). Alors même qu’aucune des preuves ne pourrait suffire, à elle seule, pour prouver un usage sérieux de ladite marque, les preuves produites par l’intervenante dans leur ensemble, compte tenu en particulier de la pertinence de la décision grecque, suffiraient pour conclure que la marque antérieure a fait l’objet d’un usage sérieux au sens de l’article 43, paragraphe 3, du règlement n° 40/94 (devenu article 42, paragraphe 3, du règlement n° 207/2009), pour les produits pour lesquels elle a été enregistrée (point 26 de la décision attaquée).

 Conclusions des parties

12      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’OHMI ou l’intervenante aux dépens.

13      L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer irrecevables les deuxième et quatrième moyens ;

–        rejeter le recours pour le surplus ;

–        condamner la requérante aux dépens.

14      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

15      La requérante avance cinq moyens au soutien de son recours, à savoir, premièrement, le moyen tiré de la violation du principe de légalité par la prise en compte de la décision grecque, deuxièmement, le moyen tiré de la violation de l’article 43, paragraphe 2, du règlement n° 40/94 (devenu article 42, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009) et une constatation factuelle erronée, troisièmement, le moyen tiré de la violation de la règle 22, paragraphes 2 et 3, du règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement n° 40/94 (JO L 303, p. 1), quatrièmement, le moyen tiré de la violation de l’article 74, paragraphe 1, du règlement n° 40/94 (devenu article 76, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009) ainsi que d’une constatation factuelle erronée et, cinquièmement, le moyen tiré de la violation de l’article 73, seconde phrase, du règlement n° 40/94 (devenu article 75, seconde phrase, du règlement n° 207/2009).

16      Dans la décision attaquée, la chambre de recours a conclu à un usage sérieux de la marque antérieure en se basant sur la décision grecque ainsi que sur les factures du 17 mai 2000 et du 8 janvier 2001.

17      La requérante fait valoir que la chambre de recours a ainsi enfreint le principe de légalité, l’article 43, paragraphe 2, et les articles 73 et 74 du règlement n° 40/94 ainsi que la règle 22, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 2868/95.

18      L’OHMI et l’intervenante soutiennent que la chambre de recours a correctement conclu à l’usage sérieux de la marque antérieure. Les preuves fournies seraient suffisantes pour conclure que la marque antérieure a fait l’objet d’un usage sérieux en Grèce au cours de la période de référence. La facture du 17 mai 2000 porterait sur 19 287 articles et celle du 8 janvier 2001 sur 782. Cependant, dans le mémoire en duplique, l’OHMI admet la mauvaise traduction et donc l’interprétation erronée par la chambre de recours de ces factures, qui indiqueraient une quantité d’articles vendus inférieure à celle initialement constatée par la division d’opposition et reprise par la chambre de recours. Selon l’OHMI, ces factures sont toutefois négligeables dans l’appréciation globale des preuves de l’usage sérieux, parmi lesquelles la preuve principale serait la décision grecque ayant amené la chambre de recours à considérer que la marque antérieure avait fait l’objet d’un usage sérieux.

19      L’article 74, paragraphe 1, du règlement n° 40/94 prévoit que « l’[OHMI] procède à l’examen d’office des faits, toutefois dans une procédure concernant des motifs relatifs de refus d’enregistrement, l’examen est limité aux moyens invoqués et aux demandes présentées par les parties ». Cette disposition est une expression du devoir de diligence, selon lequel l’institution compétente est tenue d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments de fait et de droit pertinents du cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, Rec. p. I‑5469, point 14, et du 6 novembre 2008, Pays-Bas/Commission, C‑405/07 P, Rec. p. I‑8301, point 56 ; arrêt du Tribunal du 18 septembre 1995, Nölle/Conseil et Commission, T‑167/94, Rec. p. II‑2589, point 73, et ordonnance du Tribunal du 14 décembre 2005, Arizona Chemical e.a./Commission, T‑369/03, Rec. p. II‑5839, point 85). 

20      De même, dans le cadre de l’appréciation de la question de savoir si la preuve de l’usage sérieux d’une marque antérieure a été apportée à suffisance, il appartient à l’OHMI et à ses chambres de recours d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments de preuve soumis par les parties au litige.

21      Dans le cas d’espèce, la chambre de recours a fondé la décision attaquée sur la décision grecque au motif que celle-ci serait « pertinente en l’espèce » ainsi que sur les factures du 17 mai 2000 et du 8 janvier 2001. La chambre de recours a estimé que, bien qu’aucune de ces preuves ne puisse à elle seule suffire pour prouver un usage sérieux de la marque antérieure, les preuves dans leur ensemble seraient suffisantes à cet effet (point 26 de la décision attaquée).

22      À cet égard, en premier lieu, force est de constater que, dans la décision attaquée, la chambre de recours se limite à énoncer qu’elle « est d’avis que la décision [grecque] est, en fait, tout à fait pertinente en l’espèce », tout en admettant que ladite décision ne contient aucune indication sur la nature des preuves soumises lors de la procédure administrative précédant l’adoption de cette décision.

23      Or, au cas où l’OHMI, y compris ses chambres de recours, décide de se fonder sur une décision nationale, en tant qu’élément de preuve, ce qui lui est, en principe, loisible [voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 16 février 2000, Procter & Gamble/OHMI (Forme d’un savon), T‑122/99, Rec. p. II‑265, point 61, et du 19 septembre 2001, Henkel/OHMI (Tablette ronde rouge et blanc), T‑337/99, Rec. p. II‑2597, point 58], il doit, conformément aux principes énoncés aux points 19 et 20 ci-dessus, examiner avec tout le soin requis et de manière diligente si cet élément de preuve est de nature à démontrer l’usage sérieux d’une marque antérieure.

24      En l’espèce, un examen diligent de la décision grecque aurait révélé que celle-ci se réfère de façon lapidaire aux documents soumis et aux arguments soulevés par les parties lors de la procédure ayant abouti à son adoption. De surcroît, ces documents n’ont pas été versés au dossier devant l’OHMI et n’étaient donc pas à la disposition de la chambre de recours. En effet, les preuves soumises par l’intervenante au cours de la procédure devant l’OHMI ne contenaient aucun document du dossier de la procédure devant l’autorité grecque. Dans ces circonstances, la chambre de recours n’était pas en mesure de comprendre le raisonnement, y compris l’appréciation des preuves, ni d’identifier les preuves sur lesquelles la décision grecque constatant un usage sérieux de la marque antérieure était fondée.

25      Or, la chambre de recours ne pouvait faire sienne la conclusion des autorités grecques, en tant que preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure, sans examiner davantage si la décision grecque reposait sur des éléments de preuve concluants, de tels éléments de preuve devant être fournis par l’intervenante. Partant, la chambre de recours a enfreint l’article 74, paragraphe 1, du règlement n° 40/94 et le devoir de diligence, en ce qu’elle a reconnu, malgré l’absence de ces éléments de preuve, une valeur probante à la décision grecque aux fins de la preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure.

26      En second lieu, il y a lieu d’examiner si la chambre de recours pouvait néanmoins valablement conclure à l’existence de la preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure en se fondant, notamment, sur les factures du 17 mai 2000 et du 8 janvier 2001. Or, à cet égard, force est de constater que, en raison d’une traduction et d’une interprétation erronées, c’est à tort que la chambre de recours en a déduit qu’elles établissaient la vente de respectivement 19 287 et 782 articles. En effet, ainsi que l’a révélé la requérante et l’a admis l’OHMI en cours d’instance, la colonne traduite comme indiquant la « quantité » correspond en fait au « prix unitaire » en drachmes grecques. Ainsi que l’OHMI l’a reconnu, la chambre de recours s’est ainsi fondée, en raison d’un manque de diligence dans la traduction, sur des chiffres erronés dans la décision attaquée.

27      Ainsi, il résulte d’une traduction correcte de la facture du 17 mai 2000 que, au lieu de 19 287 huiles essentielles, crèmes et savons parfumés facturés, seulement 30 huiles essentielles, une crème et neuf savons, soit 40 produits au total ont été vendus. Quant à la facture du 8 janvier 2001, il ressort d’une traduction correcte que seulement 45 savons de la marque antérieure ont été vendus. En revanche, ainsi que l’a reconnu l’OHMI en cours d’instance, les 1 500 sachets parfumés mentionnés sur cette facture ne portent pas de mention de la marque antérieure et ne sont donc pas susceptibles de constituer la preuve de son usage. Ainsi, le nombre de produits vendus est considérablement inférieur à celui constaté par la chambre de recours dans la décision attaquée. Partant, la chambre de recours a commis une erreur non négligeable dans son appréciation des factures du 17 mai 2000 et du 8 janvier 2001.

28      Étant donné que la décision grecque ne présentait qu’une valeur probante limitée, l’évaluation correcte des données des factures était déterminante pour l’appréciation de l’usage sérieux de la marque antérieure. Or, l’appréciation de ces deux factures reposant sur une traduction erronée, il s’ensuit que l’ensemble de la décision attaquée est entaché d’une erreur d’appréciation des faits résultant d’un manque de diligence. Par conséquent, au cours de la procédure administrative ayant abouti à l’adoption de la décision attaquée, la chambre de recours a enfreint l’article 74, paragraphe 1, du règlement n° 40/94 et le devoir de diligence en omettant d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce. Or, il n’est pas exclu que, si lesdits éléments de preuve avaient été correctement examinés, cela aurait pu, le cas échéant, conduire la chambre de recours à une appréciation différente quant à la preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure.

29      Partant, la présente erreur procédurale est de nature à entraîner l’annulation de la décision attaquée. Le moyen tiré de la violation de l’article 74 du règlement n° 40/94 doit être accueilli.

30      Dès lors, la décision attaquée doit être annulée, sans qu’il soit besoin de procéder à l’examen des autres moyens.

 Sur les dépens

31      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’OHMI ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par la requérante, conformément aux conclusions de celle-ci.

32      En application de l’article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement de procédure, l’intervenante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du 30 novembre 2007 (affaire R 298/2007-2) est annulée.

2)      L’OHMI supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Zino Davidoff SA.

3)      I. Kleinakis kai SIA OE supportera ses propres dépens.

Azizi

Cremona

Frimodt Nielsen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 juillet 2011.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.