Language of document : ECLI:EU:T:2016:23

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

21 janvier 2016 (*)

« Marque communautaire – Procédure d’opposition – Demande de marque communautaire verbale HOKEY POKEY – Marque nationale verbale antérieure non enregistrée – Preuve de l’usage – Droit d’interdire l’utilisation de la marque demandée – Article 8, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 207/2009 – Droit d’un État-membre – Obligation de motivation – Relevé d’office »

Dans l’affaire T‑62/14,

BR IP Holder LLC, établie à Canton, Massachussets (États-Unis), représentée par Me F. Traub, avocat, et M. C. Rohsler, solicitor,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. I. Harrington, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI ayant été

Greyleg Investments Ltd, établie à Baltonsborough (Royaume-Uni),

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la quatrième chambre de recours de l’OHMI du 22 novembre 2013 (affaire R 1091/2012‑4), relative à une procédure d’opposition entre BR IP Holder LLC et Greyleg Investments Ltd,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. G. Berardis, président, O. Czúcz (rapporteur) et A. Popescu, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 27 janvier 2014,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 19 mai 2014,

vu le mémoire en réplique déposé au greffe du Tribunal le 16 septembre 2014,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai d’un mois à compter de la signification de la clôture de la procédure écrite et ayant dès lors décidé, sur rapport du juge rapporteur et en application de l’article 135 bis du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, de statuer sans phase orale de la procédure,

vu la décision du 28 juillet 2015 portant réouverture de la phase écrite de la procédure,

vu les questions écrites du Tribunal aux parties et leurs réponses à ces questions déposées au greffe du Tribunal les 21 et 24 août 2015,

vu la clôture de la phase écrite de la procédure le 1er octobre 2015 ainsi que la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 27 juillet 2010, Greyleg Investments Ltd (ci-après « Greyleg ») a présenté une demande d’enregistrement de marque communautaire à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), en vertu du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1).

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal HOKEY POKEY.

3        Greyleg a revendiqué l’ancienneté de la marque britannique HOKEY POKEY déposée le 17 avril 2000 et enregistrée le 22 septembre 2000 sous le numéro 2 229 658 pour les produits « Confiserie ».

4        Les produits pour lesquels l’enregistrement communautaire a été demandé relèvent de la classe 30 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Confiserie ».

5        Le 2 novembre 2010, la requérante, BR IP Holder LLC, a formé une opposition, au titre de l’article 41 du règlement n° 207/2009, à l’enregistrement de la marque demandée.

6        L’opposition était fondée sur la marque verbale antérieure non enregistrée HOKEY POKEY, utilisée au Royaume-Uni depuis 1997 pour des produits de « confiserie, à savoir [des] crèmes glacées ».

7        Le motif invoqué à l’appui de l’opposition était celui visé à l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009. La requérante faisait notamment valoir qu’elle pouvait, en vertu du droit applicable au Royaume‑Uni, empêcher l’usage de la marque demandée, au moyen de l’action en usurpation d’appellation (action for passing off).

8        Par décision du 24 mai 2012, la division d’opposition a rejeté l’opposition, en estimant que les éléments de preuve produits par la requérante, s’ils démontraient que le signe antérieur avait fait l’objet d’une certaine utilisation, étaient insuffisants pour attester une utilisation « dont la portée n’est pas seulement locale » au sens de l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009. Elle a reconnu que l’utilisation de la marque HOKEY POKEY par la requérante n’était pas limitée à une seule région du Royaume-Uni. Cependant, elle a considéré que les volumes vendus entre 1997 et 2010, et en particulier ceux vendus entre 2005 et 2009, étaient plutôt modérés. En outre, les efforts publicitaires faits par la requérante auraient également été très limités. Selon la division d’opposition, étant donné que l’exigence d’une utilisation « dont la portée n’est pas seulement locale » était à interpréter comme se référant non seulement à la dimension géographique, mais également à la dimension économique et à l’intensité de l’usage, ladite exigence n’était pas remplie en l’espèce.

9        Le 11 juin 2012, la requérante a formé un recours au titre des articles 58 à 64 du règlement n° 207/2009, contre la décision de la division d’opposition.

10      Par décision du 22 novembre 2013 (ci-après la « décision attaquée »), la quatrième chambre de recours de l’OHMI a rejeté le recours de la requérante. Elle a confirmé la décision de la division d’opposition, mais a indiqué qu’elle était parvenue à la même conclusion finale sur le fondement d’une motivation différente.

11      D’une part, la chambre de recours a estimé que c’était Greyleg, et non la requérante, qui disposait d’un droit de priorité absolu sur la marque HOKEY POKEY.

12      D’autre part, la chambre de recours a considéré, à l’instar de la division d’opposition, que la requérante n’avait pas apporté la preuve de l’existence « d’un droit antérieur non enregistré établissant une activité commerciale suffisante » et que, ainsi, l’utilisation de la marque HOKEY POKEY par elle dans la vie des affaires « dont la portée n’est pas seulement locale » n’était pas prouvée. Elle n’a examiné que les éléments de preuve fournis par la requérante concernant la période allant de 1997 (début d’utilisation du signe en cause par la requérante) au 17 avril 2000 (date de dépôt de la marque britannique par les prédécesseurs en titre de Greyleg). Elle a considéré que les déclarations produites par la requérante ne provenaient pas d’une source indépendante, ce qui limitait leur valeur probante. Les éléments documentaires fournis par la requérante à l’appui de ces déclarations ne suffiraient pas, non plus, à démontrer une utilisation dont la portée n’était pas seulement locale.

13      En se fondant sur ces éléments, la chambre de recours a conclu que les preuves produites par la requérante n’étaient pas suffisantes pour établir l’existence d’une marque non enregistrée au Royaume-Uni qui serait antérieure à la marque britannique HOKEY POKEY, dont l’ancienneté avait été revendiquée pour la marque communautaire. Dès lors, selon elle, la requérante n’avait pas prouvé disposer d’un droit antérieur absolu conférant à celle-ci le droit d’interdire l’utilisation de la marque contestée.

 Conclusions des parties

14      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’OHMI aux dépens.

15      L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

16      À l’appui du recours, la requérante avance un moyen unique, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009.

17      La requérante fait valoir que la chambre de recours a erronément apprécié les éléments de preuve dans le contexte du régime juridique de l’action en usurpation d’appellation. En effet, elle soutient avoir suffisamment démontré, selon le test applicable en vertu du droit du Royaume-Uni, que sa marque HOKEY POKEY avait été utilisée au Royaume-Uni avant le 22 septembre 2000, date d’ancienneté de la marque de Greyleg, pour que la chambre de recours déduisît un « goodwill » (force d’attraction de la clientèle) de ladite utilisation.

18      L’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 dispose ce qui suit :

« Sur opposition du titulaire d’une marque non enregistrée ou d’un autre signe utilisé dans la vie des affaires dont la portée n’est pas seulement locale, la marque demandée est refusée à l’enregistrement, lorsque et dans la mesure où, selon la législation communautaire ou le droit de l’État membre qui est applicable à ce signe :

a)      des droits à ce signe ont été acquis avant la date de dépôt de la demande de marque communautaire ou, le cas échéant, avant la date de la priorité invoquée à l’appui de la demande de marque communautaire ;

b)      ce signe donne à son titulaire le droit d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente ».

19      Il résulte de l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 que l’existence d’un signe autre qu’une marque enregistrée permet de s’opposer à l’enregistrement d’une marque communautaire si celui-ci remplit cumulativement quatre conditions : premièrement, ce signe doit être utilisé dans la vie des affaires, deuxièmement, il doit avoir une portée qui n’est pas seulement locale, troisièmement le droit à ce signe doit avoir été acquis conformément au droit de l’État membre où le signe était utilisé avant la date de dépôt de la demande de marque communautaire, ou, le cas échéant, avant la date de la priorité invoquée à l’appui de la demande de marque communautaire, et, quatrièmement, ce signe doit reconnaître à son titulaire la faculté d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente. Ces quatre conditions limitent le nombre des signes autres que des marques qui peuvent être invoqués pour contester la validité d’une marque communautaire sur l’ensemble du territoire de l’Union, conformément à l’article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009 [arrêt du 24 mars 2009, Moreira da Fonseca/OHMI – General Óptica (GENERAL OPTICA), T‑318/06 à T‑321/06, Rec, EU:T:2009:77, point 32].

20      Ces conditions sont cumulatives, de sorte que, lorsqu’un signe ne remplit pas l’une de ces conditions, l’opposition fondée sur l’existence d’une marque non enregistrée ou d’autres signes utilisés dans la vie des affaires, au sens de l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009, ne peut aboutir [arrêt du 30 juin 2009, Danjaq/OHMI – Mission Productions (Dr. No), T‑435/05, Rec, EU:T:2009:226, point 35].

21      Selon la jurisprudence, les deux premières conditions, c’est-à-dire celles relatives à l’usage et à la portée du signe invoqué, cette dernière ne devant pas être seulement locale, résultent du libellé même de l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 et doivent donc être interprétées à la lumière du droit de l’Union. Ainsi, ledit règlement établit des standards uniformes, relatifs à l’usage des signes et à leur portée, qui sont cohérents avec les principes qui inspirent le système mis en place par ce règlement (arrêt GENERAL OPTICA, point 19 supra, EU:T:2009:77, point 33 ; voir également, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2014, Peek & Cloppenburg/OHMI, C‑325/13 P et C‑326/13 P, EU:C:2014:2059, point 51).

22      En revanche, il résulte de la locution « lorsque et dans la mesure où […] selon le droit de l’État membre qui est applicable à ce signe », que les deux autres conditions, énoncées ensuite à l’article 8, paragraphe 4, sous a) et b), du règlement n° 207/2009, constituent des conditions fixées par ledit règlement qui, à la différence des précédentes, s’apprécient au regard des critères fixés par le droit qui régit le signe invoqué. Ce renvoi au droit qui régit le signe invoqué est tout à fait justifié, étant donné que ce règlement reconnaît à des signes étrangers au système de marque communautaire la possibilité d’être invoqués à l’encontre d’une marque communautaire. Dès lors, seul le droit qui régit le signe invoqué permet d’établir si celui‑ci est antérieur à la marque communautaire et s’il peut justifier d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente [arrêts GENERAL OPTICA, point 19 supra, EU:T:2009:77, point 34, et du 18 avril 2013, Peek & Cloppenburg/OHMI – Peek & Cloppenburg (Peek & Cloppenburg), T‑507/11, EU:T:2013:198, point 20].

23      Pour l’application de la quatrième condition visée à l’article 8, paragraphe 4, sous b), du règlement n° 207/2009, il convient de tenir compte, notamment, de la réglementation nationale invoquée et des décisions de justice rendues dans l’État membre concerné. Sur ce fondement, l’opposant doit démontrer que le signe en cause entre dans le champ d’application du droit de l’État membre invoqué et qu’il permettrait d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente (arrêts du 29 mars 2011, Anheuser-Busch/Budějovický Budvar, C‑96/09 P, Rec, EU:C:2011:189, point 190, et Peek & Cloppenburg, point 22 supra, EU:T:2013:198, point 21).

24      Il convient de relever que l’opposant doit seulement démontrer qu’il dispose du droit d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente et il ne saurait être exigé de celui-ci qu’il démontre que ce droit a été exercé, en ce sens que l’opposant a effectivement été en mesure d’obtenir l’interdiction d’une telle utilisation (arrêts Anheuser-Busch/Budějovický Budvar, point 23 supra, EU:C:2011:189, point 191, et Peek & Cloppenburg, point 22 supra, EU:T:2013:198, point 22).

25      Eu égard aux griefs avancés par la requérante et aux principes énoncés aux points 16 à 24 ci-dessus, il convient d’examiner, en l’espèce, si la chambre de recours a procédé à une application correcte de l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009.

26      À cet égard, il convient de rappeler que la division d’opposition a rejeté l’opposition, après avoir estimé que la deuxième condition de l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 n’était pas remplie (utilisation du signe dont la portée n’est pas seulement locale) quant à l’ensemble de la période allant de 1997 à 2010.

27      Cependant, la chambre de recours a choisi une autre analyse. Elle a expressément constaté au point 30 de la décision attaquée qu’elle rejetait l’opposition sur la base d’une motivation différente de celle retenue par la division d’opposition et a indiqué, au point 34 de ladite décision, qu’elle examinait la quatrième condition de l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 sur le droit d’interdire l’utilisation de la marque contestée. Elle a souligné que Greyleg et ses prédécesseurs en titre possédaient un enregistrement britannique valable depuis 2000 et avaient effectivement utilisé ce signe pour les produits revendiqués. Elle a également examiné les éléments de preuve de l’utilisation par la requérante uniquement en ce qui concernait la période allant de 1997 à 2000 et a retenu que ceux-ci ne démontraient pas une utilisation suffisante pour créer un droit non-enregistré qui serait opposable à Greyleg, et encore moins une utilisation dans la vie des affaires dont la portée n’était pas seulement locale. Elle en a conclu que la requérante n’avait pas prouvé disposer d’un droit antérieur absolu conférant à celle-ci le droit d’interdire l’utilisation de la marque contestée.

28      Bien que, selon la jurisprudence citée aux points 22 à 24 ci-dessus, la quatrième condition prévue à l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 doive être appréciée au regard des critères fixés par le droit national, force est de constater que l’analyse de la chambre de recours dans la décision attaquée ne contient aucune référence au droit national applicable.

29      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 75, première phrase, du règlement n° 207/2009, les décisions de l’OHMI doivent être motivées. L’obligation de motivation ainsi consacrée a la même portée que celle découlant de l’article 296 TFUE. Il est de jurisprudence constante que la motivation exigée par ce dernier article doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle [arrêt du 15 novembre 2011, Abbott Laboratories/OHMI (RESTORE), T‑363/10, EU:T:2011:662, point 73].

30      Ainsi, la motivation d’un acte doit être logique, ne présentant notamment pas de contradiction interne entravant la bonne compréhension des raisons sous-tendant cet acte (arrêts du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, Rec, EU:C:2011:620, point 151, et du 12 décembre 2012, Electrabel/Commission, T‑332/09, Rec, EU:T:2012:672, point 181).

31      Le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation relève de la violation des formes substantielles, au sens de l’article 263 TFUE et constitue un moyen d’ordre public qui doit être soulevé par le juge de l’Union (arrêt du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec, EU:C:1998:154, point 67).

32      À cet égard, il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que, hors les cas particuliers, tels que ceux prévus par les règlements de procédure des juridictions de l’Union, le juge de l’Union ne peut fonder sa décision sur un moyen de droit relevé d’office, fût-il d’ordre public, sans avoir invité au préalable les parties à présenter leurs observations sur ledit moyen (arrêts du 2 décembre 2009, Commission/Irlande e.a., C‑89/08 P, Rec, EU:C:2009:742, point 57, et du 27 mars 2014, OHMI/National Lottery Commission, C‑530/12 P, Rec, EU:C:2014:186, point 54).

33      Le Tribunal ayant décidé d’examiner d’office le respect, par la chambre de recours, de son obligation de motivation, prévue à l’article 75 du règlement n° 207/2009 et ayant la même portée que celle découlant de l’article 296 TFUE, il a invité les parties à s’exprimer sur cette question par écrit, par l’adoption d’une mesure d’organisation de la procédure. En particulier, les parties ont été invitées à indiquer si elles estimaient que la décision attaquée permettait de déterminer si la chambre de recours avait appliqué le droit du Royaume-Uni ou le droit de l’Union aux considérants 34 à 39 de la décision attaquée, afin d’arriver à la conclusion figurant au considérant 40 de ladite décision, selon laquelle « les éléments de preuve produits par l’opposante ne sont pas suffisants pour établir l’existence d’un droit de marque non enregistré au Royaume-Uni qui serait antérieur aux droits […] de la demanderesse [et qui permettrait à l’opposante] d’interdire l’utilisation de la marque contestée ».

34      En l’espèce, en premier lieu, quant au respect de l’obligation de motivation, il convient de constater que la chambre de recours ne précise pas dans la décision attaquée d’une manière suffisamment claire si c’est au regard des critères fixés par un droit national qu’elle a apprécié la quatrième condition prévue à l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 et, encore moins, de quel droit national seraient issus les critères au regard desquels elle a effectué cette appréciation.

35      En second lieu, contrairement à ce que l’OHMI indique en réponse aux questions posées par le Tribunal dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, il convient de relever que la décision attaquée, et en particulier ses points 37 à 40 ayant trait à la question de savoir si la requérante a prouvé qu’elle disposait d’un droit antérieur lui conférant le droit d’interdire l’utilisation de la marque HOKEY POKEY par Greyleg, ne contient pas d’indications claires permettant au Tribunal de vérifier si les critères prévus par le droit national applicable ont été effectivement appliqués.

36      En effet, il n’existe aucune présentation des règles nationales au regard desquelles il aurait fallu apprécier la question de l’existence du droit antérieur. Cela constitue une différence marquante par rapport aux décisions des chambres de recours dans les affaires donnant lieu aux arrêts du 9 décembre 2010, Tresplain Investments/OHMI – Hoo Hing (Golden Elephant Brand) (T‑303/08, Rec, EU:T:2010:505), et Peek & Cloppenburg, point 22 supra (EU:T:2013:198), dans lesquelles lesdites chambres ont fait référence explicite aux droits nationaux (respectivement, le UK Trade Mark Act et le Markengesetz allemand) et ont, ensuite, conduit leur examen sur la base des droits nationaux.

37      Dans ces circonstances, le Tribunal n’est pas en mesure de vérifier l’exactitude du raisonnement de la chambre de recours et d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision attaquée.

38      Cette conclusion est renforcée par le fait que la décision attaquée comporte des incohérences empêchant de déduire du raisonnement de la chambre de recours si, en l’espèce, cette dernière a effectivement examiné la quatrième condition prévue à l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 au regard des critères fixés par le droit national applicable.

39      En effet, la chambre de recours a explicitement mentionné au point 38 de la décision attaquée que les éléments de preuve réunis par la requérante ne suffisaient pas pour démontrer l’utilisation du signe en cause dans la vie des affaires dont la portée n’était pas seulement locale. Or, une telle appréciation relève des première et deuxième conditions prévues par l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009, qui doivent être interprétées à la lumière du droit de l’Union, ainsi qu’il découle de la jurisprudence citée au point 21 ci-dessus, et non de la quatrième condition, qui s’apprécie au regard des critères fixés par le droit qui régit le signe invoqué. Par ailleurs, au point 39 de ladite décision, la chambre de recours a également fait allusion aux première et deuxième conditions prévues à l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 en concluant que les éléments de preuve produits par la requérante ne suffisaient pas pour démontrer l’utilisation du signe en cause dans la vie des affaires dont la portée n’était pas seulement locale, après avoir fait référence, au même point, au « préjudice », lequel peut être compris comme renvoyant à la quatrième condition prévue à l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 et, par conséquent, à une appréciation au regard du droit national applicable, ce qui rend la compréhension de la motivation de la décision attaquée encore plus difficile.

40      Contrairement à ce qu’avance l’OHMI dans sa réponse aux questions écrites du Tribunal, la référence au point 39 de la décision attaquée à la deuxième condition prévue à l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 ne peut pas être considérée comme un simple obiter dictum, compte tenu du libellé peu clair et équivoque du raisonnement de la chambre de recours aux points 34 à 40 de ladite décision en ce qui concerne l’analyse de la quatrième condition visée à l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009.

41      Partant, il convient de relever que les incohérences constatées dans le raisonnement de la chambre de recours font en sorte qu’il ne peut pas exister de certitude même quant à la condition visée à l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 qui a été examinée dans la décision attaquée. Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la chambre de recours a violé son obligation de motivation en ce qui concerne des éléments du raisonnement qui sont essentiels pour soutenir la conclusion finale, de sorte que la décision attaquée doit être annulée.

 Sur les dépens

42      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’OHMI ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens exposés par la requérante, conformément aux conclusions de celle-ci.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) du 22 novembre 2013 (affaire R 1091/2012‑4) est annulée.

2)      L’OHMI supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par BR IP Holder LLC.

Berardis

Czúcz

Popescu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 janvier 2016.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.