Language of document : ECLI:EU:C:2016:201

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 5 avril 2016 (1)

Affaire C‑57/15

United Video Properties Inc.

contre

Telenet NV

[demande de décision préjudicielle
formée par le hof van beroep te Antwerpen (cour d’appel d’Anvers, Belgique)]

« Droits de propriété intellectuelle – Directive 2004/48/CE – Article 14 – Frais de justice – Dépens – Remboursement des frais d’avocat et d’expert – Limite maximale des honoraires d’avocat »





1.        Les questions formulées par le hof van beroep te Antwerpen (cour d’appel d’Anvers, Belgique) dans le présent renvoi préjudiciel ont une portée apparemment réduite, mais en réalité elles suscitent des problèmes juridiques délicats. Bien qu’en principe elles ne concernent que la compatibilité avec le droit de l’Union de certaines règles nationales (en l’espèce, du droit belge) relatives au remboursement par la partie ayant succombé de certains frais liés au procès, elles donnent lieu à des réflexions plus larges sur l’incidence que le droit de l’Union a sur le droit de la procédure civile des États membres.

2.        Les questions de la juridiction de renvoi résultent de l’application du système belge (droit et jurisprudence du Hof van Cassatie, Cour de cassation) aux notions de « frais d’honoraires des avocats » et « frais d’assistance d’experts », dans le cadre d’une procédure judiciaire en matière de défense des droits de propriété intellectuelle. Étant donné qu’il existe un article spécifique sur les frais de procédure dans la directive 2004/48/CE (2), le droit procédural de chaque État membre devrait en principe s’y conformer. La difficulté consiste à savoir comment accorder, dans la mesure du possible, le code de procédure civile et la jurisprudence du Hof van Cassatie (Cour de cassation), l’un et l’autre applicables à tout type de procès en général, avec une disposition « sectorielle » du droit de l’Union, qui concerne spécifiquement les litiges en matière de propriété intellectuelle.

3.        L’objectif d’harmonisation de certaines règles procédurales des États membres est perceptible dans quelques directives, notamment dans la directive qui habilite la Cour à se prononcer dans une affaire qui, autrement, relèverait exclusivement des États membres. Le champ d’application de ces directives est, logiquement, limité à un ou plusieurs secteurs particuliers (la propriété intellectuelle, la protection de la concurrence, l’environnement, la protection des consommateurs, notamment). La multiplication des règles procédurales « sectorielles » – qui ne sont pas toujours cohérentes entre elles – qui doivent être transposées dans les ordres juridiques nationaux peut provoquer comme conséquence indésirable la fragmentation du droit procédural dans les pays qui sont parvenus, après de nombreuses années et un effort codificateur méritoire, à promulguer des lois de procédure civile générales destinées à se substituer précisément à la multiplicité des procédures préalables et à les ramener à une procédure commune.

4.        En premier lieu, dans le présent litige, il s’agit de déterminer les montants qui, parce qu’ils correspondent aux honoraires d’avocat de la partie ayant obtenu gain de cause, doivent être réglés par la partie ayant succombé dans la procédure en application du droit belge, lequel prévoit à cet égard une limite maximale. En second lieu, en ce qui concerne les frais d’expert, la difficulté ne réside pas tant dans leur modalité de calcul que dans la naissance même de l’obligation de paiement, compte tenu de la jurisprudence du Hof van Cassatie (Cour de cassation) à cet égard. La question est de savoir si l’établissement de cette limite et le critère jurisprudentiel sont compatibles avec l’article 14 de la directive 2004/48.

5.        Le renvoi préjudiciel permettra de déterminer si les États membres disposent d’une certaine marge de liberté législative pour élaborer un système de remboursement des frais de procédure à la charge de la partie ayant succombé qui soit restreint le remboursement en établissant certains plafonds ou limites maximales, soit exclu ce remboursement lui-même lorsque, dans les deux cas de figure, les litiges relèvent du champ d’application de la directive 2004/48.

I –    Le cadre juridique

A –    Le droit de l’Union

1.      La directive 2004/48

6.        Aux termes des considérants 4, 5, 10 et 26 :

« (4)      Sur le plan international, tous les États membres ainsi que la Communauté elle-même, pour les questions relevant de sa compétence, sont liés par l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (‘accord sur les ADPIC’), approuvé, dans le cadre des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay, par la décision 94/800/CE du Conseil [JO 1994, L 336, p. 1] et conclu dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce [OMC].

(5)      L’accord sur les ADPIC contient notamment des dispositions relatives aux moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle, qui constituent des normes communes applicables sur le plan international et mises en œuvre dans tous les États membres. La présente directive ne devrait pas affecter les obligations internationales des États membres y compris celles résultant de l’accord sur les ADPIC. »

« (10) L’objectif de la présente directive est de rapprocher ces législations afin d’assurer un niveau de protection élevé, équivalent et homogène de la propriété intellectuelle dans le marché intérieur. »

« (26)      En vue de réparer le préjudice subi du fait d’une atteinte commise par un contrevenant qui s’est livré à une activité portant une telle atteinte en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir, le montant des dommages-intérêts octroyés au titulaire du droit devrait prendre en considération tous les aspects appropriés, tels que le manque à gagner subi par le titulaire du droit ou les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant et, le cas échéant, tout préjudice moral causé au titulaire du droit. […] Le but est non pas d’introduire une obligation de prévoir des dommages-intérêts punitifs, mais de permettre un dédommagement fondé sur une base objective tout en tenant compte des frais encourus par le titulaire du droit tels que les frais de recherche et d’identification. »

7.        L’article 1er dispose :

« La présente directive concerne les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle. Aux fins de la présente directive, l’expression “droits de propriété intellectuelle” inclut les droits de propriété industrielle. »

8.        L’article 3 dispose, en ce qui concerne l’obligation générale des États membres relative aux mesures, aux procédures et aux réparations régies par le chapitre II :

« 1.      Les États membres prévoient les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle visés par la présente directive. Ces mesures, procédures et réparations doivent être loyales et équitables, ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses et ne doivent pas comporter de délais déraisonnables ni entraîner de retards injustifiés.

2.      Les mesures, procédures et réparations doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d’obstacles au commerce légitime et à offrir des sauvegardes contre leur usage abusif. »

9.        À la section 6 du chapitre II, consacrée aux dommages et intérêts et aux frais de justice, les articles 13 et 14 sont rédigés comme suit :

« Article 13

[…]

1.      Les États membres veillent à ce que, à la demande de la partie lésée, les autorités judiciaires compétentes ordonnent au contrevenant qui s’est livré à une activité contrefaisante en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir de verser au titulaire du droit des dommages-intérêts adaptés au préjudice que celui-ci a réellement subi du fait de l’atteinte.

Lorsqu’elles fixent les dommages-intérêts, les autorités judiciaires :

a)      prennent en considération tous les aspects appropriés tels que les conséquences économiques négatives, notamment le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant et, dans des cas appropriés, des éléments autres que des facteurs économiques, comme le préjudice moral causé au titulaire du droit du fait de l’atteinte,

ou

b)      à titre d’alternative, peuvent décider, dans des cas appropriés, de fixer un montant forfaitaire de dommages-intérêts, sur la base d’éléments tels que, au moins, le montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question.

2.      Lorsque le contrevenant s’est livré à une activité contrefaisante sans le savoir ou sans avoir de motifs raisonnables de le savoir, les États membres peuvent prévoir que les autorités judiciaires pourront ordonner le recouvrement des bénéfices ou le paiement de dommages-intérêts susceptibles d’être préétablis.

Article 14

[…]

Les États membres veillent à ce que les frais de justice raisonnables et proportionnés et les autres frais exposés par la partie ayant obtenu gain de cause soient, en règle générale, supportés par la partie qui succombe, à moins que l’équité ne le permette pas. »

B –    Le droit belge

10.      En vertu de l’article 827, paragraphe 1, du Gerechtelijk Wetboek (code judiciaire), du 10 octobre 1967, tout désistement emporte soumission de payer les dépens, au paiement desquels la partie qui se désiste est contrainte.

11.      Aux termes de l’article 1017 du même code, le jugement définitif prononce la condamnation au paiement des dépens de la partie qui a succombé, à moins que des lois particulières n’en disposent autrement et sans préjudice de l’accord des parties que, le cas échéant, le jugement décrète.

12.      L’article 1018 du même code dispose, en ses paragraphes 4 et 6, que les frais comprennent :

–        les frais de toutes les mesures d’instruction, notamment les frais de témoins et d’experts ;

–        l’indemnité de procédure visée à l’article 1022 du code judiciaire.

13.      Conformément à l’article 1022 du code précédemment cité, l’indemnité procédurale est constituée par un montant forfaitaire pour les frais et honoraires d’avocat de la partie ayant obtenu gain de cause. Par décret adopté en Conseil des ministres, les montants de base, minimaux et maximaux de l’indemnité de procédure sont déterminés en fonction notamment de la nature de l’affaire et de l’importance du litige. À la demande d’une des parties, le juge peut, par décision spécialement motivée, soit réduire l’indemnité, soit l’augmenter, sans pour autant dépasser les montants minimaux et maximaux prévus par le décret. Dans son appréciation, le juge tient compte :

–        de la capacité financière de la partie qui succombe, pour diminuer le montant de l’indemnité ;

–        de la complexité de l’affaire ;

–        des indemnités contractuelles convenues pour la partie qui obtient gain de cause ;

–        du caractère manifestement déraisonnable des demandes.

Aucune partie ne peut être tenue au paiement d’une indemnité pour l’intervention de l’avocat d’une autre partie au-delà du montant de l’indemnité de procédure.

14.      Dans l’arrêté royal du 26 octobre 2007 (ci-après l’« arrêté royal »), le législateur a fixé le tarif pour la détermination des limites minimales et maximales des indemnités procédurales prévues à l’article 1022 du code judiciaire. Aux termes de l’article 2 de l’arrêté royal, à l’exception des matières visées à l’article 4, l’indemnité de procédure pour les actions portant sur des demandes qui peuvent être financièrement évaluées est fixée comme suit :

 

Montant de base

Montant minimal

Montant maximal

Jusqu’à 250,00

150,00

75,00

300,00

De 250,01 à 750,00

200,00

125,00

500,00

De 750,01 à 2 500,00

400,00

200,00

1 000,00

De 2 500,01 à 5 000,00

650,00

375,00

1 500,00

De 5 000,01 à 10 000,00

900,00

500,00

2 000,00

De 10 000,01 à 20 000,00

1 100,00

625,00

2 500,00

De 20 000,01 à 40 000,00

2 000,00

1 000,00

4 000,00

De 40 000,01 à 60 000,00

2 500,00

1 000,00

5 000,00

De 60 000,01 à 100 000,00

3 000,00

1 000,00

6 000,00

De 100 000,01 à 250 000,00

5 000,00

1 000,00

10 000,00

De 250 000,01 à 500 000,00

7 000,00

1 000,00

14 000,00

De 500 000,01 à 1 000 000,00

10 000,00

1 000,00

20 000,00

Au-dessus de 1 000 000,01

15 000,00

1 000,00

30 000,00


En vertu de l’article 3 de l’arrêté royal, pour les actions portant sur des affaires qui ne peuvent être financièrement évaluées, le montant de base de l’indemnité de procédure est de 75 euros et le montant maximal de 10 000 euros.

L’article 8 de l’arrêté royal prévoit le système d’actualisation des montants antérieurs.

II – Les faits du litige au principal et la question préjudicielle

15.      United Video Properties Inc. (ci-après « UVP ») était titulaire du brevet européen EP 1327209, octroyé le 27 mars 2008, pour le stockage de données sur des serveurs dans un système de fourniture de médias, qui était régi par le principe de livraison à la demande. Considérant que Telenet NV avait porté atteinte à ses droits sur ce brevet, UVP a introduit un recours le 7 juin 2011 contre Telenet. L’objet de cette action tendait, en substance, à faire déclarer que Telenet avait violé ses droits sur ce brevet, à lui faire enjoindre de cesser toute atteinte directe ou indirecte audit brevet et à obtenir sa condamnation aux dépens.

16.      Par ordonnance du 3 avril 2012, après la demande reconventionnelle de Telenet, le président faisant fonction de rechtbank van koophandel te Antwerpen (tribunal de commerce d’Anvers) a annulé la partie belge du brevet européen EP 1327209, en raison du non-respect de la condition de nouveauté, et a condamné UVP au paiement des dépens afférents à la procédure en première instance, pour un montant de 11 000 euros. Le 27 août 2012, UVP a interjeté appel contre ce jugement devant le hof van beroep te Antwerpen (cour d’appel d’Anvers).

17.      Parallèlement, UVP avait engagé une procédure contre la société Virgin Media (étrangère au litige au principal) pour la partie britannique du même brevet. La High Court of Justice (Haute Cour de justice, Royaume-Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord) a déclaré le 14 juillet 2014 la nullité du brevet, pour cause d’absence d’activité inventive. Compte tenu des jugements de la High Court of Justice (Haute Cour de justice) et du président du rechtbank van koophandel te Antwerpen (tribunal de commerce d’Anvers), UVP a décidé de se désister de son appel par courrier du 14 août 2014, confirmé par un autre courrier du 24 octobre 2014.

18.      Au regard du désistement d’UVP, Telenet a demandé au hof van beroep te Antwerpen (cour d’appel d’Anvers) d’accueillir ses arguments et de déclarer :

–        que la loi du 21 avril 2007, relative au remboursement des honoraires et frais d’avocat (ci-après la « loi du 21 avril 2007 ») ainsi que l’arrêté royal fixant les tarifs de l’indemnité procédurale sont contraires à l’article 14 de la directive 2004/48 ;

–        qu’est également contraire à l’article 14 de la directive 2004/48 la jurisprudence du Hof van Cassatie (Cour de cassation) selon laquelle les honoraires et frais liés à l’expertise technique ne peuvent être remboursés par la partie ayant succombé que s’il y a une faute ; et

–        qu’il y avait lieu de condamner UVP à payer à Telenet la somme de 185 462,55 euros au titre des frais d’avocat ainsi que la somme de 44 400 euros au titre des frais d’assistance technique fournie par un expert, agent en brevets.

19.      Selon les arguments avancés par Telenet au sujet des frais de justice qui doivent lui être remboursés – seul point qui subsiste dans le litige au principal – la règle en droit belge est que le paiement de ces derniers incombe à la partie ayant succombé. Néanmoins, pour la détermination concrète des frais d’avocat qui peuvent être répercutés sur la partie ayant succombé, l’arrêté royal fixe des montants maximaux qui ne peuvent pas être dépassés, partant, selon Telenet, il y a là une contradiction avec l’article 14 de la directive 2004/48.

20.      En outre, en ce qui concerne les frais d’expertise technique qui ne relèvent pas du champ d’application de la loi du 21 avril 2007 et de l’arrêté royal, la jurisprudence du Hof van Cassatie (Cour de cassation) prévoit, selon Telenet, que ces frais ne peuvent être répercutés qu’en cas de faute de la partie ayant succombé, ce qui n’est pas non plus compatible avec l’article 14 de la directive 2004/48.

21.      Dans ces circonstances, le hof van beroep te Antwerpen (cour d’appel d’Anvers) a adressé à la Cour par ordonnance du 26 janvier 2015 les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Les notions de “frais de justice raisonnables et proportionnés et […] autres frais” de l’article 14 de la directive relative au respect des droits de propriété intellectuelle font-elles obstacle à la législation belge qui offre au juge la possibilité de tenir compte de caractéristiques spécifiques données propres à l’affaire et qui comporte un système de tarifs forfaitaires variés en matière de frais pour l’assistance d’un avocat ?

2)      Les notions de “frais de justice raisonnables et proportionnés et […] autres frais” de l’article 14 la directive relative au respect des droits de propriété intellectuelle font-elles obstacle à la jurisprudence selon laquelle les frais d’un conseil technique ne sont récupérables qu’en cas de faute (contractuelle ou extracontractuelle) ? »

III – Synthèse des positions des parties

A –    Sur la première question préjudicielle

22.      Après avoir affirmé qu’il s’agissait d’un litige entre la Commission européenne et le gouvernement belge relatif à la bonne transposition de la directive 2004/48, UVP n’a pas pris position sur cette question préjudicielle.

23.      Telenet affirme que, comme elle a obtenu gain de cause dans un litige concernant le champ d’application de la directive 2004/48, son article 14 lui est applicable, ce qui la rend créancière du remboursement des frais de justice, raisonnables et proportionnés, qui ont été exposés dans le litige au principal, et qui doivent être intégralement remboursés par la partie ayant succombé.

24.      Elle estime que la notion de « frais de justice du moment qu’ils sont raisonnables et proportionnés » et la notion d’« équité » sont des notions autonomes du droit de l’Union qu’il convient d’interpréter de manière uniforme sur tout le territoire. Une interprétation différente irait à l’encontre de l’objectif de la directive 2004/48, conformément à la jurisprudence établie dans l’arrêt Realchemie Nederland (3).

25.      Telenet considère que l’objectif essentiel de la directive 2004/48 n’est pas atteint lorsque les titulaires de droits de propriété intellectuelle ne sont pas suffisamment protégés par des juridictions, telles que la juridiction belge, devant lesquelles la partie ayant obtenu gain de cause dans un litige ne peut pas obtenir davantage qu’une petite partie des honoraires d’avocat auprès de la partie qui succombe.

26.      Pour étayer son argument relatif au caractère non pertinent de l’établissement d’une limite financière là où la directive 2004/48 n’en prévoit pas, Telenet cherche à s’appuyer, par analogie, sur la jurisprudence de la Cour, dont elle invoque l’arrêt McDonagh (4). Elle estime ainsi qu’il est impossible qu’un montant plafonné à 11 000 euros réponde aux notions, par nature relatives, de « caractère raisonnable », de « proportionnalité » et d’« équité ». Par conséquent, à l’article 14 de la directive 2004/48, le législateur interdit d’établir un plafond pour le montant que la partie ayant obtenu gain de cause peut récupérer.

27.      Au soutien de la thèse selon laquelle la jurisprudence de la Cour est contraire aux législations nationales rédigées en termes absolus ou de principe, qui ne permettent pas d’évaluer les circonstances de l’affaire, alors que les directives ne présentent pas cette rigidité, Telenet cite les arrêts rendus dans les affaires Marshall et VTB-VAB et Galatea (5).

28.      La Commission estime que l’article 14 de la directive 2004/48 est formulé de manière très générale. Non seulement il est en lui-même peu détaillé, mais, de surcroît, il introduit une règle qui admet des exceptions fondées sur des critères d’équité, ce qui indique que les États membres disposent d’un large pouvoir d’appréciation pour le transposer en droit interne.

29.      Selon la Commission, il y a lieu de considérer l’article 14 au regard de la finalité générale de la directive 2004/48 (considérant 10) et de l’arrêt Realchemie Nederland (6), qui tendent à une protection effective de la propriété intellectuelle (7). Il convient en outre de tenir compte des éléments suivants :

–        l’objectif spécifique de l’article 14 de la directive 2004/48 est d’éviter qu’une partie lésée ne soit dissuadée d’engager une procédure judiciaire aux fins de sauvegarder ses droits de propriété intellectuelle (8) ;

–        les frais liés à ces procédures peuvent en pratique impliquer un obstacle important à leur engagement et les différences entre le droit procédural des différents États membres sont notables, non seulement avant la transposition de la directive 2004/48 en droit interne, mais également postérieurement à celle-ci (9) ;

–        dans le cadre de l’article 14 de la directive 2004/48, il est possible de relever comment l’article 3 dispose que les mesures, les procédures et les réparations prévues dans la directive ne doivent pas être inutilement complexes ou coûteuses, et qu’elles doivent également être effectives, proportionnées et dissuasives.

30.      Pour la Commission, l’article 14 de la directive 2004/48 n’est pas contraire à un système de tarifs forfaitaires des frais d’avocat, tel que celui mis en place par le droit belge. La possibilité d’introduire ce système résulte de la marge d’appréciation des États membres, car rien n’indique que cet article ou d’autres articles de la directive 2004/48 excluent cette faculté. Ce système offre, selon la Commission, certains avantages pour la bonne administration de la justice, notamment la sécurité juridique et la prévisibilité. L’incertitude sur les frais qu’il faut supporter ou récupérer dans une procédure peut constituer un inconvénient pour l’introduction d’un recours judiciaire. L’effet dissuasif pourrait également affecter les titulaires de droits de propriété intellectuelle. Si la règle tendait à la récupération intégrale des dépens, les parties seraient éventuellement exposées à des conséquences financières très lourdes en cas de défaite. Cette possibilité pourrait également les dissuader d’engager une procédure.

31.      Le gouvernement belge, après avoir exposé les objectifs de la directive 2004/48 en fonction de ses considérants 10 et 11, indique que son objectif principal était de permettre un accès plus simple à la justice afin de garantir un meilleur respect du droit de propriété intellectuelle. Selon son exposé des motifs, la loi du 21 avril 2007 (10) poursuit le même objectif. Le droit d’accès à la justice résulte en outre directement de l’article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.

32.      Le gouvernement belge indique que le système mixte mis en place par le législateur belge offre l’avantage de garantir une certaine prévisibilité sur les risques financiers en cas de perte du procès, ce qui non seulement favorise l’accès à la justice, mais protège également une partie lorsque son adversaire a engagé des frais qui ne sont pas raisonnables et proportionnés. Il s’agit en outre d’une législation nationale qui a été adoptée après une consultation et un avis favorable des barreaux belges, lesquels sont les mieux placés pour connaître les honoraires moyens des procédures contentieuses, parmi lesquelles figurent les procédures relatives à la propriété intellectuelle.

33.      En s’appuyant sur le fait que la proposition initiale de la Commission (11) mentionnait expressément les honoraires d’avocat alors que la rédaction finale ne le fait pas, le gouvernement néerlandais estime que la directive 2004/48 laisse aux États membres la liberté de décider si les frais d’avocat relèvent des dépens que la partie ayant succombé doit rembourser. Pour étayer cette thèse, il cite également l’article 45, paragraphe 2, de l’accord sur les ADPIC sur lequel se fonde la directive 2004/48 (12).

34.      D’abord, le gouvernement néerlandais renvoie au libre choix de la méthode pour déterminer les frais de justice qui sont visés par ce remboursement et à la large marge d’appréciation dont disposent les États membres, selon une jurisprudence constante, en l’absence de précision, pour choisir les moyens qui garantissent le plein effet d’une disposition.

35.      Il souligne également que cette large marge d’appréciation n’est pas le fruit du hasard et qu’elle a été délibérément conférée par la directive 2004/48. Cette affirmation est confirmée, en premier lieu, par le libellé de l’article 14 qui apparaît en des termes généraux et souples et, en second lieu, par le contraste entre les expressions utilisées dans la proposition de directive (13) et la rédaction définitive, notamment l’ajout du terme « en général » et la suppression du renvoi express aux « honoraires d’avocat ». Puis le gouvernement néerlandais avance que ces modifications ont été apportées en tenant compte des grandes différences entre les différentes législations nationales ainsi que du fait que, dans le domaine du droit procédural, les États membres sont en principe autonomes.

36.      Les États membres peuvent donc établir librement le caractère raisonnable et proportionné des frais d’avocat et leur remboursement, que ce soit en déterminant des montants forfaitaires ou par un autre moyen, mais ils doivent toujours assurer le plein effet de l’article 14 de la directive 2004/48.

37.      Cet article a pour objectif de garantir que les parties ne soient pas dissuadées d’exercer leurs droits. Les frais d’avocat constituent la partie la plus importante et la moins prévisible et, en ce sens, ils peuvent constituer un obstacle pour l’accès à la justice. Le système de tarifs forfaitaires contribue à la prévisibilité et à la transparence du risque financier, il élimine ainsi un obstacle important pour l’accès à la justice. Il répond de surcroît à l’exigence générale, formulée à l’article 3 de la directive 2004/48, de ce que les moyens, les procédures et les réparations pour défendre la propriété intellectuelle ne doivent pas être excessivement complexes ou coûteux. Un tarif forfaitaire permet de déterminer objectivement le montant maximal au-delà duquel les frais ne présentent plus ces caractères.

38.      Enfin, en renvoyant au considérant 17 de la directive 2004/48, le gouvernement néerlandais soutient que l’examen du caractère raisonnable et proportionnel doit être effectué au regard des circonstances concrètes de chaque cas d’espèce. À condition que le tarif serve à calculer des frais de justice raisonnables et proportionnés, l’article 14 de la directive 2004/48 ne constitue pas un obstacle à la limitation impérative des honoraires d’avocat au-delà d’un montant maximal.

39.      En somme, pour le gouvernement néerlandais, l’article 14 de la directive 2004/48 ne s’oppose pas à un système de tarifs forfaitaires, déterminé par la loi ou par un autre moyen, qui fixe les honoraires d’avocat remboursables, à condition toutefois que ces tarifs reflètent des frais de justice raisonnables et proportionnés au regard des caractéristiques de l’affaire.

40.      Selon le gouvernement polonais, l’article 14 de la directive 2004/48 n’exige pas que la partie qui succombe couvre la totalité des frais de justice de la partie obtenant gain de cause ; elle doit uniquement couvrir les frais raisonnables et proportionnés. La détermination de tarifs forfaitaires permet précisément que la condamnation au paiement des dépens puisse être qualifiée de raisonnable.

41.      Le système belge permet que la partie succombant supporte les frais de la partie adverse dans des conditions socio-économiques acceptables. Il empêche en outre que la partie ayant obtenu gain de cause intègre des coûts artificiels ou injustifiés, que ce soit en employant des moyens financiers démesurés par rapport aux ressources financières de l’autre partie ou en faisant preuve de mauvaise foi, pour imputer à la partie succombant non seulement les conséquences préjudiciables du rejet de ses demandes, mais également des coûts artificiels.

42.      L’objectif de l’article 14 de la directive 2004/48 est que la partie lésée ne soit pas dissuadée d’engager une procédure judiciaire pour défendre ses droits de propriété intellectuelle. Avec le système belge, la partie peut évaluer de manière anticipée le montant des coûts qui lui seront remboursés, ou ceux qu’elle devra verser. Le tarif forfaitaire permet donc que les frais soient prévisibles et contribue à conférer aux parties la possibilité d’effectuer un choix éclairé pour la défense de leurs droits.

B –    Sur la deuxième question préjudicielle

43.      Ni UVP ni le gouvernement polonais n’ont présenté d’observations à ce sujet.

44.      Telenet considère que le critère de la jurisprudence belge (selon laquelle une faute est nécessaire pour que la partie qui succombe soit tenue de rembourser les frais d’expert) est contraire à l’article 14 de la directive 2004/48. Cet article ne mentionne pas le critère de la faute, et l’équité à laquelle il renvoie est un simple mécanisme correcteur de la règle générale, à savoir le remboursement de l’ensemble des frais raisonnables et proportionnés, et non pas leur point de départ.

45.      Pour la Commission, les frais d’un conseil technique entrent dans la notion des « frais de justice » de l’article 14 de la directive 2004/48 et peuvent faire l’objet d’un remboursement. L’exigence d’une faute pour obtenir le remboursement n’est pas compatible avec l’article 14 pour les raisons suivantes :

–        le libellé de l’article 14 ne contient pas ce critère et ne permet pas de considérer que les frais d’expertise doivent recevoir un traitement différent des autres ;

–        le critère de la faute constitue un obstacle sérieux à la récupération par la partie ayant obtenu gain de cause des frais qu’elle a exposés pour produire des preuves d’expertise lors du procès judiciaire ;

–        la jurisprudence de la Cour, rendue dans des domaines matériels différents qui concernaient toutefois l’obligation de verser des indemnités, a rejeté la validité de l’exigence d’un comportement fautif comme élément additionnel pour la naissance de la responsabilité (14).

46.      Selon le gouvernement belge, les frais correspondant aux honoraires d’expert ne relèvent pas du champ d’application de la loi du 21 avril 2007. Le Hof van Cassatie (Cour de cassation) a reconnu le principe de remboursement de ces frais dans des conditions déterminées : il faut démontrer l’existence, d’une part, d’une action fautive ayant généré le dommage constitué par le versement des frais et honoraires d’expert et, d’autre part, du lien de causalité unissant ces derniers et le caractère nécessaire du conseil technique.

47.      Cette jurisprudence permet, selon le gouvernement belge, la récupération intégrale des frais d’expert dans la mesure où ils comprennent le dommage que la partie qui succombe doit indemniser, sur le fondement de la faute contractuelle ou extracontractuelle. Partant, le système est compatible avec l’article 14 de la directive 2004/48.

48.      Le gouvernement néerlandais estime que les frais d’expertise doivent être remboursés par la partie qui succombe dans la mesure où ils sont raisonnables et proportionnés. L’article 14 de la directive 2004/48 n’offre aucune marge pour une interprétation restrictive selon laquelle les frais d’expertise ne seraient récupérables qu’en cas de faute de la partie ayant succombé.

IV – Analyse

A –    Sur la première question préjudicielle

49.      L’article 14 de la directive 2004/48 emploie deux notions juridiques (« frais de justice » et « autres frais exposés par la partie ayant obtenu gain de cause ») qu’il n’est pas nécessaire d’analyser en détail pour répondre à la première question préjudicielle, car les honoraires d’avocat relèvent sans difficulté de la notion de « frais de justice ». Les « frais de justice » englobent par définition ces honoraires (15) et cela est le cas tant en droit belge (16) que dans les droits des autres États membres et même dans le règlement de procédure de la Cour (17).

50.      Lorsque les honoraires d’avocat de la partie ayant obtenu gain de cause sont « raisonnables et proportionnés », l’article 14 de la directive 2004/48 impose en règle générale qu’ils soient payés par la partie ayant succombé, « à moins que l’équité ne le permette pas ». L’article introduit une règle générale susceptible de connaître plusieurs exceptions, parmi lesquelles la situation dans laquelle les conséquences de cette règle sont contraires, dans une procédure particulière, à l’équité.

51.      Les qualificatifs « raisonnables et proportionnés » (18) s’avèrent par conséquent des éléments clés pour décider si les honoraires d’avocat d’une partie doivent être supportés par la partie condamnée aux dépens. Ces deux qualificatifs doivent être réunis pour que la règle de l’article 14 soit applicable, ce qui est un postulat cohérent avec l’article 3 de la directive 2004/48, en vertu duquel les mesures, les procédures et les ressources nécessaires pour garantir le respect des droits de propriété intellectuelle doivent être « loyales, équitables et proportionnées ».

52.      En premier lieu, l’examen du caractère « raisonnable » des honoraires doit porter sur l’idée d’« exigibilité raisonnable » suggérée dans la version en langue allemande de l’article 14 de la directive 2004/48 (19). Une législation nationale pourrait peut-être considérer comme non raisonnable le remboursement des frais d’avocat lorsque, par exemple, l’intervention de ce professionnel était superflue dans un litige particulier. Les frais dont le remboursement est demandé auprès de la partie ayant succombé peuvent donc être circonscrits aux « frais indispensables » exposés par la partie ayant obtenu gain de cause (20).

53.      En second lieu, il y a lieu d’analyser si les honoraires d’avocat sont « proportionnés », à savoir s’ils conservent la relation adéquate avec une série de variables qui, encore une fois, doivent être déterminées par la loi ou le juge national. Des facteurs tels que l’objet du litige, son montant, la complexité des questions juridiques posées, le travail mis en œuvre pour la défense des droits, la capacité financière de la partie condamnée aux dépens ou d’autres facteurs similaires pourraient être examinés pour décider s’il y a une adéquation pertinente (proportion) avec les honoraires d’avocat que la partie créancière entend répercuter sur la partie ayant succombé dans un litige portant sur la protection des droits de propriété intellectuelle.

54.      Dans la présente affaire, la juridiction de renvoi ne s’est pas prononcée sur le caractère raisonnable et la proportionnalité des honoraires de l’avocat qui défendait les intérêts de Telenet. Cette estimation relève de sa compétence exclusive et la Cour ne peut s’y substituer. La réponse adressée à la juridiction de renvoi doit par conséquent laisser intacte la faculté d’appréciation du juge a quo afin de déterminer si le montant de 185 462,55 euros demandé par Telenet au titre des frais d’avocat est raisonnable et proportionné aux circonstances du litige tranché. S’il en décide ainsi, le juge de renvoi doit encore examiner si le remboursement de cette somme est conforme aux exigences de l’équité, ce qui lui confère une marge de manœuvre indéniable. Toutes ces appréciations ne dépendent absolument pas de la décision relative à la validité, du point de vue du droit de l’Union, de la limite maximale que nous examinerons par la suite.

55.      Ni la directive 2004/48 dans son ensemble ni son article 14 ne sauraient être interprétés indépendamment des valeurs et des principes qui inspirent le droit de l’Union, parmi lesquels figurent tant la sécurité juridique que le droit à une protection juridictionnelle effective sous son aspect de droit d’accès à la justice.

56.      En dépit de ce que, dans certaines observations, notamment celles du gouvernement belge, l’autonomie procédurale des États membres ait été invoquée, l’interprétation de l’article 14 de la directive 2004/48 ne saurait se dispenser du critère téléologique : son objectif est de rapprocher les législations des États membres afin de garantir un niveau de protection élevé, équivalent et homogène de la propriété intellectuelle. Les États membres sont tenus d’établir, conformément à ce projet, les mesures, les procédures et les réparations nécessaires afin de respecter les droits de propriété intellectuelle, tout en restant dans le cadre législatif conçu par la directive elle-même.

57.      Au sein de ce cadre législatif, il y a lieu d’observer en particulier une précision dont l’importance ne saurait être omise : les procédures et les réparations que les États membres doivent mettre en place dans ce cadre ne peuvent pas être « inutilement complexes ou coûteuses » (article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/48). En conséquence, les « frais » des litiges corrélatifs ne peuvent pas impliquer des charges excessivement onéreuses (21) pour les parties.

58.      Du point de vue systématique, la directive 2004/48 englobe dans une même section (section 6) les dommages et intérêts ainsi que les frais de justice. Même lorsque son considérant 26, relatif à la réparation du préjudice subi, ne mentionne pas les frais de justice, il est possible de soutenir que leur emplacement commun permet de les cataloguer comme un élément supplémentaire que la directive envisage en sus de l’indemnité des titulaires du droit de propriété intellectuelle. Elle le fait néanmoins en adoptant une simple « règle générale », susceptible de connaître des exceptions, et en soumettant son application à des facteurs différents de ceux qui forment le régime de dédommagement des dommages et intérêts.

59.      La Cour s’est prononcée au sujet des frais de justice générés dans des procédures relatives à la protection des droits de propriété intellectuelle dans les arrêts Realchemie Nederland (22) et Diageo Brands (23). À la lecture de ces arrêts, et notamment du point 49 de l’arrêt Realchemie Nederland (24), on peut retenir l’idée précédemment ébauchée selon laquelle l’article 14 de la directive 2004/48 est un élément supplémentaire au service de la réparation intégrale du préjudice subi par le titulaire des droits de propriété intellectuelle. En outre, la Cour souligne que l’article 14 de la directive 2004/48 a pour objet de renforcer le niveau de protection de la propriété intellectuelle, en évitant que la partie lésée puisse être dissuadée d’engager une procédure judiciaire pour protéger ses droits.

60.      Dans l’arrêt Realchemie Nederland, la Cour ne s’est cependant pas prononcée sur le caractère raisonnable et la proportionnalité des frais de justice, car cela était superflu dans le cadre de ce renvoi (25). Le débat sur l’interprétation et la portée de l’article 14 de la directive 2004/48 reste en conséquence inédit et constitue précisément l’objet de la présente question préjudicielle.

61.      Le principe de sécurité juridique, solidement affirmé dans la jurisprudence, est lié à celui de la prévisibilité de la réponse juridictionnelle. Ainsi que la Cour l’a jugé à maintes reprises « la législation communautaire doit être certaine et son application prévisible pour les justiciables. Cet impératif de sécurité juridique s’impose avec une rigueur particulière lorsqu’il s’agit d’une réglementation susceptible de comporter des conséquences financières, afin de permettre aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose » (26).

62.      Un corollaire de ce principe, idoine pour une bonne interprétation de l’article 14 de la directive 2004/48, est que les États membres doivent promouvoir des mécanismes qui facilitent la prévisibilité des frais de justice. De fait, dans l’arrêt Commission/Royaume-Uni (27), lors de l’analyse du droit britannique relatif à la « mesure de protection en matière de frais », la Cour a avancé la nécessité de garantir une prévisibilité raisonnable, tant en ce qui concerne l’obligation de payer les frais de la procédure judiciaire qu’en ce qui concerne leur montant.

63.      Partant, il n’est pas étonnant que certaines des parties ayant présenté des observations écrites aient indiqué le contrepoids de la prévisibilité et de la sécurité juridique comme constituant des éléments clés pour la quantification des frais de justice. L’un des facteurs décisifs au moment d’affronter un litige est son coût économique et l’effort financier prévisible que les personnes concernées doivent supporter.

64.      De ce point de vue, je ne peux partager une interprétation de l’article 14 de la directive 2004/48 qui conduise à inclure obligatoirement dans les frais de justice la totalité des honoraires d’avocat exposés par la partie ayant obtenu gain de cause. J’avance au contraire a) que les frais récupérables à ce titre sont uniquement ceux qui correspondent, en tout état de cause, à des frais raisonnables et proportionnés, et b) que les États membres peuvent, précisément pour des impératifs de prévisibilité, déterminer de manière « objective » et générale le montant maximal récupérable, dans le cadre d’une échelle comme celle de la législation belge en cause.

65.      Il ne faut pas confondre la relation avocat-client avec celle qui donne naissance à l’obligation de remboursement des frais de justice. La première est une relation contractuelle de services, dans le cadre de laquelle les deux parties déterminent librement la contre-prestation économique due par le client à l’avocat. La seconde est une relation juridico-procédurale qui a pour objet de dédommager la partie ayant obtenu gain de cause, à charge de la partie ayant succombé, des frais engagés dans une procédure.

66.      La nature différente de ces deux relations est fondamentale, car dans la première (la relation contractuelle) les considérations subjectives ont un poids déterminant et l’acceptation des conditions financières de l’avocat dépend entièrement de la volonté de son client, lequel peut tout simplement chercher un autre professionnel pour assurer sa défense. Dans la relation procédurale, cette liberté de choix n’existe pas et, par conséquent, il est logique d’appliquer des critères objectifs (28) destinés à matérialiser, et éventuellement modérer, le montant des honoraires récupérables sur la partie qui n’a eu aucune implication dans le choix de l’avocat de son adversaire.

67.      Les critères objectifs peuvent être modulés sur le fondement de frais standard de l’assistance juridique, ce qui aide de surcroît à promouvoir l’égalité des parties à la procédure, en évitant que l’une d’entre elles, celle qui se trouve dans la meilleure situation économique, impose le poids de son choix à son adversaire. S’il était possible de répercuter le montant intégral des frais d’avocat à la partie adverse, le requérant disposant de l’assise financière la plus importante pourrait utiliser son choix de manière quasi coercitive. Face au risque d’être contraint à payer les frais d’avocat très élevés de la partie adverse, la personne concernée pourrait décider que cela ne vaut pas la peine de lutter et qu’il est plus sûr de renoncer à l’exercice d’actions. Le principe d’égalité entre les parties à la procédure et celui du droit d’accès à la justice, qui sont inévitablement liés à l’ensemble du présent débat (29), pourraient être privés d’effet.

68.      Certes, aux termes de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2004/48, les procédures et les réparations en la matière doivent être « effectives, proportionnées et dissuasives et être appliquées de manière à éviter la création d’obstacles ». Cependant, la dissuasion peut agir dans un double sens : à l’excès, une personne peut être découragée d’engager une procédure car, dans l’hypothèse où elle n’obtiendrait pas gain de cause, elle devrait faire face à des frais très importants ; à l’inverse, la dissuasion agirait par défaut dans la mesure où, si cette personne obtenait gain de cause, elle ne récupérerait qu’une petite partie des frais exposés. Selon moi, le caractère virtuellement « dissuasif » de ce type de procédure est obtenu, en ce qui concerne les frais de justice, s’ils sont calculés conformément à des règles prévisibles, préalablement fixées et en des termes objectivement raisonnables et proportionnés. Les frais d’avocat qui peuvent être répercutés sur la partie ayant succombé pourraient impliquer un obstacle important à l’accès à la justice (c’est‑à‑dire un facteur excessivement « dissuasif », jusqu’à devenir « onéreux », ce qui est interdit à l’article 3 de la directive 2004/48) si leur détermination était exclusivement confiée au créancier sans intervention d’un contrôle externe sur leur montant.

69.      Un système tel que le système belge, qui instaure une limite maximale aux honoraires d’avocat qui peuvent être répercutés sur la partie condamnée aux dépens, respecte-t-il ces critères ? Aucune des parties au présent renvoi préjudiciel (y compris Telenet) n’a affirmé que, dans l’abstrait, les limites absolues constituent, en elles-mêmes, une infraction à l’article 14 de la directive 2004/48 (30), et je partage cet avis (31). La Commission reconnaît expressément que cet article n’exclut pas les systèmes de détermination de tarifs forfaitaires, dont la possibilité résulte de la marge d’appréciation des États membres. Les observations du Royaume des Pays-Bas vont dans le même sens : les termes « raisonnables et proportionnés » et l’invocation de « l’équité » à l’article 14 de la directive 2004/48 sont si larges qu’ils offrent aux États toute liberté de choix.

70.      Le Royaume de Belgique formule un argument en faveur de l’application du principe d’autonomie procédurale des États. J’estime au contraire, ainsi que précédemment indiqué, que face à l’existence d’un article spécifique de la directive 2004/48 qui aspire à « homogénéiser » le traitement des frais dans une catégorie particulière de litiges (ceux relatifs à la propriété intellectuelle), la réglementation des instruments de procédure incombe, sans aucun doute, aux États membres, mais dans le cadre de la directive 2004/48 (32).

71.      Le système belge de fixation des frais d’avocat, qui repose sur le critère de la défaite (la partie qui perd le procès paie les honoraires de l’avocat de la partie ayant obtenu gain de cause), définit des limites minimales et maximales du droit à réclamer, en fonction du montant du litige (33). La définition du montant exact qui peut être réclamé incombe au juge ayant traité l’affaire, lequel détermine cette somme en fonction des circonstances de l’espèce, toujours dans le cadre de ces limites tarifaires.

72.      Dans le litige au principal, le juge a chiffré les frais d’honoraires d’avocat en première instance à 11 000 euros, montant maximal pour les recours de montant indéterminé, conformément à l’article 3 de l’arrêté royal. Le montant attribué est donc très inférieur à celui réclamé par la partie créancière des frais de justice (plus de 185 000 euros). Cependant, malgré les apparences, cette circonstance n’est pas réellement significative, car, d’une part, il incombe non pas à la Cour, mais à la juridiction de renvoi, de décider si ces honoraires étaient raisonnables et proportionnés et, d’autre part, il n’est pas possible de déduire de l’information transmise le point d’équilibre qui serait adéquat.

73.      Selon moi, la réponse doit être apportée en examinant le système belge dans son ensemble, au regard des standards usuels sur les honoraires d’avocat qui ont cours dans ce pays. L’article 14 de la directive 2004/48, s’il a pour objectif d’homogénéiser le régime juridique des frais applicables aux procédures en matière de propriété intellectuelle pour tous les États membres, n’entendait pas rendre identiques ou rapprocher les honoraires d’avocat de ces derniers, qui présentent des différences notoires d’un État à l’autre. L’arrêté royal a été adopté en tenant précisément compte de l’avis favorable des organisations professionnelles belges (les barreaux). Partant, en principe, il convient de présumer que les montants maximaux qui y figurent correspondent aux standards moyens applicables en Belgique. Ces organisations se trouvent dans une position idoine pour suggérer les critères de « caractère raisonnable objectif » au-delà desquels nul ne doit être tenu, en Belgique, de payer les honoraires de l’avocat de la partie adverse.

74.      La prévisibilité du montant des frais de justice, au paiement desquels s’exposent les parties à compter de l’engagement du procès, joue également en faveur du système conçu par le législateur belge. Ainsi que je l’ai précédemment souligné, la protection de la sécurité juridique exige de disposer de données certaines (fixes ou pourcentages) sur la base desquelles il est possible de calculer le risque économique de l’engagement d’une action en justice, qu’elle soit offensive ou défensive.

75.      Sur ces prémisses, je pense que l’article 14 de la directive 2004/48 ne permet pas à la Cour de « corriger » la volonté du législateur belge exprimée dans les deux normes nationales précitées sur la limite maximale d’honoraires à partir de laquelle l’obligation de la partie condamnée aux dépens à rembourser les frais d’avocat de la partie adverse tombe. J’estime que les autorités belges disposent – ainsi qu’elles l’ont mis en évidence dans la procédure d’élaboration de ces dispositions – d’informations précises pour instaurer un système d’honoraires d’avocat maximaux (qui doivent être réglés par la partie qui succombe au litige) qui soit conforme à ses propres standards de frais, eu égard à la situation spécifique du conseil juridique dans ce pays, entre autres facteurs (34).

76.      Le fait que, au sein de ce système, les limites maximales aient été fixées de sorte que dans les demandes de montant déterminé les honoraires remboursables n’excèdent pas 30 000 euros par instance et les demandes de montant indéterminé n’excèdent pas 11 000 euros, également par instance, peut-être plus ou moins critiquable sur d’autres aspects, mais pas par rapport à sa conformité à l’article 14 de la directive 2004/48. Indubitablement, le système pourrait être amélioré (par exemple, en admettant des dérogations particulières pour des hypothèses extraordinaires), mais, tel qu’il a été conçu, ce système ne contrevient pas à l’article dont le libellé, ainsi que je l’ai indiqué, instaure une « règle générale » susceptible de connaître des exceptions, en faisant appel aux critères de caractère raisonnable et de proportionnalité qui confèrent aux États membres une marge de liberté importante pour la configuration de leurs lois. Le législateur national peut, selon moi, apprécier de lui-même, compte tenu de la culture juridique et de la situation du conseil juridique en Belgique, entre autres facteurs, le seuil à partir duquel les honoraires d’avocat remboursables auprès de la partie succombant ne sont plus raisonnables.

B –    Sur la seconde question préjudicielle

77.      La réponse à la seconde question préjudicielle doit être considérée à partir des termes utilisés par la juridiction de renvoi pour décrire le droit national. Sa prémisse est que « la jurisprudence [belge] déclare que les frais d’un conseiller technique ne peuvent être récupérés qu’en cas de faute (contractuelle ou extracontractuelle) ». Il existe un accord unanime sur le fait que le remboursement des frais d’expert (y compris ceux qui correspondent aux experts ou conseillers techniques) n’est pas soumis aux règles en vigueur pour le remboursement des honoraires d’avocat.

78.      La juridiction de renvoi se pose la question de la compatibilité de la jurisprudence belge sur le remboursement de ces frais avec l’article 14 de la directive 2004/48. Les observations écrites présentées par les parties qui se sont manifestées à cet égard, à l’exception du gouvernement belge, coïncident sur la thèse de l’incompatibilité.

79.      Avant de me prononcer sur la réponse, il me faut apporter deux précisions. La première est que la notion de « frais dus pour l’intervention d’experts ou conseillers techniques » peut couvrir des réalités différentes, dont certaines ne relèveront pas nécessairement de la catégorie des « frais de justice ». Cette catégorie recouvre non pas tout frais plus ou moins « en lien » avec l’exercice de l’action ou déboursé « à l’occasion » de celle-ci, mais uniquement les frais qui ont pour origine immédiate et directe le procès lui-même. Une personne physique ou morale peut réaliser des actions préliminaires, ou même évacuer des consultations préalables avec certains conseillers ou experts, sans que leur coût ait une raison de figurer parmi les « frais de justice ». Aux termes du considérant 26 de la directive 2004/48, les « frais de recherche et d’identification » engagés dans le cadre de la protection des droits de propriété intellectuelle relèvent du chapitre de l’indemnisation des préjudices (article 13) et non de celui des frais de justice (article 14).

80.      La seconde précision est que le code judiciaire belge (article 1018, paragraphe 4) mentionne parmi les frais de justice dont le paiement incombe à la partie qui succombe – autrement dit, dans le régime général en matière de succombance – les frais qui correspondent aux « témoins et experts » lorsqu’ils ont dû intervenir sur le fondement de l’adoption procédurale des « mesures d’instruction » accordées. En ce qui concerne ces frais d’expertise, ce qui semble s’appliquer, c’est non pas le critère (subjectif) de la faute auquel fait référence la juridiction de renvoi, mais la règle (objective) de la perte du procès.

81.      Il faudrait donc préciser à quels frais exactement se réfère la jurisprudence belge lorsqu’elle lie le remboursement à l’existence de la faute à l’origine du dommage qui génère l’obligation de réparation (35). Deux modalités de dépenses occasionnées par des preuves de nature technique peuvent exister : a) celles générés par l’intervention d’experts dans la procédure, prévues à l’article 1018, paragraphe 4, du code judiciaire, et b) les frais générés en dehors de la procédure au soutien du recours ou de la défense. La jurisprudence invoquée par la juridiction de renvoi et par le gouvernement belge ne porterait que sur ces derniers.

82.      Eu égard à toutes ces réserves, la réponse que je propose pour la seconde question préjudicielle présente une double facette. Selon moi, la jurisprudence nationale que mentionne la juridiction de renvoi n’est pas contraire à l’article 14 de la directive 2004/48 lorsque les frais d’assistance technique réclamés ne peuvent pas relever de la notion de « frais de justice », en vertu de leurs circonstances spécifiques, par exemple, leur caractère simplement préliminaire ou d’autres facteurs, dont j’ai précédemment abordé certains. Dans cette hypothèse, il est possible que leur remboursement soit envisageable au titre de l’article 13 de la directive 2004/48, article qui permet de répondre à des circonstances liées à la notion de « faute » (l’indemnisation est imposée au « contrevenant qui s’est livré à une activité contrefaisante en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir »).

83.      En revanche, par opposition à la proposition antérieure, les dépenses résultant de l’intervention de l’expert dans une procédure pour la protection des droits de propriété intellectuelle, qui ont une relation directe et immédiate avec l’exercice de l’action, doivent être remboursées à la partie obtenant gain de cause conformément à l’article 14 de la directive 2004/48 (à savoir si elles sont raisonnables, proportionnées et non contraires à l’équité) sans qu’il soit possible d’ajouter une condition supplémentaire comme l’existence d’une faute.

84.      Si je défends pour la seconde question préjudicielle une réponse qui diffère de celle suggérée pour la première question, c’est parce que la règle interne (d’origine jurisprudentielle) qui s’appliquerait prétendument aux frais d’expert peut exclure leur remboursement, total ou partiel, dans des litiges relatifs à la propriété intellectuelle, précisément en raison de la notion de « faute », ce qui n’est pas le cas pour les honoraires d’avocat. L’exclusion généralisée de ces « frais de justice » (à condition qu’ils revêtent effectivement ce caractère) qui pourrait résulter de la jurisprudence nationale applicable à ce type de litige ne permettrait même pas d’évaluer au cas par cas leur caractère proportionné ou raisonnable, ce qui, selon moi, est incompatible avec le libellé et le dessein de l’article 14 de la directive 2004/48.

V –    Conclusion

85.      Eu égard aux considérations précédemment exposées, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles dans les termes suivants :

1)      L’article 14 de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle ne fait pas obstacle à la législation nationale, comme celle mise en cause dans le présent renvoi préjudiciel, qui impose une limite maximale au remboursement par la partie condamnée aux dépens des honoraires d’avocat de la partie ayant obtenu gain de cause dans tout type de litiges, y compris dans ceux relatifs à la protection des droits de propriété intellectuelle.

2)      L’article 14 de la directive 2004/48 s’oppose à l’exigence de l’existence d’une faute comme condition nécessaire pour imposer à la partie qui succombe le remboursement des frais d’expertise, raisonnables, proportionnés et non contraires à l’équité, exposés par la partie ayant obtenu gain de cause, à condition qu’ils aient un lien direct et immédiat avec l’exercice de l’action procédurale pour la protection de la propriété intellectuelle.


1 – Langue originale : l’espagnol.


2 – Directive du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO 2004, L 157, p. 45).


3 – Arrêt du 18 octobre 2011, Realchemie Nederland (C‑406/09, EU:C:2011:668, points 47 et 48).


4 – Arrêt du 30 janvier 2013, McDonagh (C‑12/11, EU:C:2013:43, points 40 et 42).


5 – Arrêts du 2 août 1993, Marshall (C‑271/91, EU:C:1993:335), ainsi que du 23 avril 2009, VTB-VAB et Galatea (C‑261/07 et C‑299/07, EU:C:2009:244).


6 – Arrêt du 18 octobre 2011, Realchemie Nederland (C‑406/09, EU:C:2011:668). Aux termes de cet arrêt, l’objectif général de la directive 2008/48 est de rapprocher les législations des États membres afin de garantir un niveau de protection de la propriété intellectuelle qui soit élevé, équivalent et homogène.


7 – Arrêt du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a. (C‑324/09, EU:C:2011:474, point 131).


8 – Arrêt du 18 octobre 2011, Realchemie Nederland (C‑406/09, EU:C:2011:668, point 48).


9 – http://ec.europa.eu/internal_market/consulations/docs/2012/intellectual-property-rights/summary-of-responses_en.pdf.


10 – Le gouvernement belge souligne comment le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle), dans son arrêt no 182/2008, du 18 septembre 2008, rendu dans le recours en inconstitutionnalité formé contre la loi du 21 avril 2007, a reconnu que le législateur s’était soucié de garantir la sécurité juridique et de répondre à l’évolution jurisprudentielle en matière de remboursement des frais d’avocat, tout en sauvegardant l’accès à la justice pour l’ensemble des justiciables.


11 – Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux mesures et procédures visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle, présentée par la Commission le 30 janvier 2003 [COM(2003) 46].


12 – Les autorités judiciaires sont aussi habilitées pour ordonner au contrevenant de payer les frais du titulaire du droit, lesquels peuvent comprendre les honoraires des avocats pertinents (http://www.wipo.int/wipolex/fr/other_treaties/text.jsp?file_id=305908).


13 – COM(2003) 46, citée à la note 11.


14 – Arrêts du 8 novembre 1990, Dekker (C‑177/88, EU:C:1990:383) ; du 22 avril 1997, Draehmpaehl (C‑180/95, EU:C:1997:208), ainsi que du 30 septembre 2010, Strabag e.a. (C‑314/09, EU:C:2010:567).


15 – Je n’estime pas qu’il soit important que la référence expresse aux honoraires d’avocat ait disparu durant la procédure d’élaboration de la directive 2004/48, car, avec ou sans mention expresse, il s’agit de l’un des éléments les plus caractéristiques des frais de procédure.


16 – Voir article 1018, paragraphe 6, du code judiciaire belge.


17 – Article 144, sous b), du règlement de procédure de la Cour. La Cour renvoie régulièrement aux notions de « caractère raisonnable », « proportionnalité » et d’« équité » pour la détermination des frais de justice exigibles des parties à un litige. Voir dans ce sens, notamment, ordonnances du 16 mai 2013, Deoleo/Aceites del Sur-Coosur (C‑498/07 P‑DEP, EU:C:2013:302, point 35) ; du 12 octobre 2012, Zafra Marroquineros/Calvin Klein Trademark Trust (C‑254/09 P‑DEP, EU:C:2012:628, point 31) ; du 16 mai 2013, Internationaler Hilfsfonds/Commission (C‑208/11 P-DEP, non publiée, EU:C:2013:304, point 30) ; du 4 juillet 2013, Kronofrance/Allemagne e.a. (C-75/05 P-DEP et C-80/05 P-DEP, non publiée, EU:C:2013:458, point 48) ; du 10 octobre 2013, OCVV/Schräder (C‑38/09 P‑DEP, EU:C:2013:679, point 36) ; du 1er octobre 2013, Elf Aquitaine/Commission (C‑521/09 P‑DEP, EU:C:2013:644, point 28), ainsi que du 26 février 2015, Wedl & Hofmann/Reber Holding (C‑141/13 P‑DEP, EU:C:2015:133, notamment point 28).


18 – Certaines versions linguistiques de la directive 2004/48 relient ces deux qualificatifs tant aux frais de justice qu’aux autres frais du procès. D’autres, au contraire (les versions en langues française, espagnole et italienne), les appliquent uniquement aux frais de justice. Le sens de la directive 2004/48 conseille de les étendre aux deux catégories de frais, ainsi que c’est le cas dans les versions en langues anglaise, allemande, portugaise et néerlandaise.


19 – La version en langue allemande de l’article 14 de la directive 2004/48 renvoie aux « Prozesskosten und sonstigen Kosten […] soweit sind zumutbar und angemessen » (mise en italique par nos soins).


20 – La notion de « frais indispensables » figure littéralement à l’article 144, sous b), du règlement de procédure de la Cour, sous la rubrique « Dépens récupérables ». Ceux-ci comprennent notamment « les frais de déplacement et de séjour et la rémunération d’un agent, conseil ou avocat ».


21 – La même préoccupation est perceptible dans la directive 2003/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 mai 2003, prévoyant la participation du public lors de l’élaboration de certains plans et programmes relatifs à l’environnement, et modifiant, en ce qui concerne la participation du public et l’accès à la justice, les directives 85/337/CEE et 96/61/CE du Conseil – Déclaration de la Commission (JO 2003, L 156, p. 17). L’article 10 bis, cinquième alinéa, et l’article 15 bis, cinquième alinéa, de ces deux directives exigent que les procédures judiciaires ne soient pas excessivement coûteuses.


22 – Arrêt du 18 octobre 2011 (C‑406/09, EU:C:2011:668, points 48 et 49).


23 – Arrêt du 16 juillet 2015 (C‑681/13, EU:C:2015:471, point 72).


24 – Arrêt du 18 octobre 2011 (C‑406/09, EU:C:2011:668). En règle générale, celui qui a violé des droits de propriété intellectuelle doit supporter l’intégralité des séquelles économiques de son action.


25 – Arrêt du 18 octobre 2011, Realchemie Nederland (C‑406/09, EU:C:2011:668). La Cour s’est limitée à examiner si les frais d’une procédure d’exequatur, engagée dans un État membre dans lequel on demandait la reconnaissance et l’exécution d’une décision rendue dans un autre État membre, dans le cadre d’un litige relatif à la protection du droit de propriété intellectuelle, relevaient du champ d’application de l’article 14 de la directive 2004/48.


26 – Arrêt du 15 septembre 1987, Irlande/Commission (325/85, EU:C:1987:546, point 18).


27 – Arrêt du 13 février 2014 (C‑530/11, EU:C:2014:67, points 52 et suiv.). Les règles nationales favorisaient une limitation initiale du montant des frais qui étaient susceptibles d’être répétibles à la fin du litige.


28 – La Cour a utilisé la notion de « caractère raisonnable objectif » des frais dans l’arrêt du 11 avril 2013, Edwards et Pallikaropoulos (C‑260/11, EU:C:2013:221, point 40), dans lequel, lorsqu’elle pondérait l’équilibre entre l’intérêt particulier du requérant et l’intérêt général (en l’espèce, représenté par la protection de l’environnement), elle a souligné que « [c]ette appréciation ne saurait, dès lors, être portée uniquement par rapport à la situation économique de l’intéressé, mais doit également reposer sur une analyse objective du montant des dépens […] Dans cette mesure, le coût d’une procédure ne doit pas apparaître, dans certains cas, comme étant objectivement déraisonnable. Ainsi, le coût d’une procédure ne doit ni dépasser les capacités financières de l’intéressé ni apparaître, en tout état de cause, comme objectivement déraisonnable ».


29 – Il ne saurait en être autrement, car le droit à la protection judiciaire effective est reconnu à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il est pertinent de le citer car l’objet du litige relève du champ d’application du droit de l’Union (article 51 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne).


30 –      Certaines parties ont fait référence, au soutien de leur thèse, à l’Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet (JO 2013, C 175, p. 1), qui prévoit non seulement l’application de critères de caractère raisonnable et de proportionnalité, mais également une limite maximale aux frais, dans les termes suivants : « les frais de justice raisonnables et proportionnés et les autres dépenses exposées par la partie ayant obtenu gain de cause sont, en règle générale, supportés par la partie qui succombe, à moins que l’équité ne s’y oppose, dans la limite d’un plafond fixé conformément au règlement de procédure » (mise en italique par nos soins).


31 – L’avocat de Telenet a admis lors de l’audience qu’il n’aurait rien à objecter à l’application de la limite maximale fixée par l’arrêté royal si son montant était plus élevé.


32 – Dans l’arrêt du 16 juillet 2015, Diageo Brands (C‑681/13, EU:C:2015:471, point 73), la Cour a déclaré que les dispositions de la directive 2004/48 visent à régir non pas tous les aspects liés aux droits de propriété intellectuelle, mais seulement ceux qui sont inhérents, d’une part, au respect de ces droits et, d’autre part, aux atteintes à ces derniers, en imposant l’existence de voies de droit efficaces destinées à prévenir, à faire cesser ou à remédier à toute atteinte à un droit de propriété intellectuelle existant.


33 – Au point 16 des présentes conclusions, nous avons retranscrit le tableau dans lequel figurent les montants maximaux, en fonction du montant de la procédure. Lorsque cette somme est indéterminée, le montant oscille entre 82,50 et 11 000 euros. Ces montants sont dus pour chaque phase procédurale, c’est-à-dire pour chaque instance.


34 – Le Grondwettelijk Hof (Cour constitutionnelle) relève dans son arrêt no 182/2008 que la loi du 21 avril 2007 ainsi que l’arrêté royal adopté pour son application introduisaient la restriction du montant remboursable par la partie qui succombe à la partie ayant obtenu gain de cause dans le litige, en raison du « souhait du législateur de préserver l’accès à la justice des personnes les moins favorisées et la volonté d’éviter ou de limiter les “procès à l’intérieur du procès”, sur le montant des honoraires qui pourraient être récupérés ».


35 – Il ne ressort pas suffisamment clairement des observations écrites ou orales qu’il existerait une jurisprudence générale, constante et uniforme en la matière. Un arrêt du Hof van Cassatie (Cour de cassation) a admis que les frais d’assistance technique devaient être remboursés à la partie ayant subi le préjudice, précisément à titre de réparation de celui-ci, lorsqu’ils ont été déterminants pour quantifier ce préjudice (par exemple, en matière d’expropriation).