Language of document : ECLI:EU:T:2005:336

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

22 septembre 2005 (*)

« Régime d’association des PTOM – Sucre ne bénéficiant pas de l’origine PTOM – Demande de dérogation aux règles d’origine – Rejet de la demande de dérogation – Obligation de motivation »

Dans l’affaire T-101/03,

Suproco NV, établie à Curaçao (Antilles néerlandaises), représentée par Mes M. Slotboom et N. J. Helder, avocats,

partie requérante,

soutenue par

Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme H. Sevenster, en qualité d’agent,

partie intervenante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. T. van Rijn et X. Lewis, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par

Conseil de l’Union européenne, représenté initialement par MM. G. Houttuin et M. Bishop, puis par MM. Houttuin et D. Canga Fano, en qualité d’agents,

et par

Royaume d’Espagne, représenté par Mme N. Díaz Abad, abogado del Estado, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2003/34/CE de la Commission, du 10 janvier 2003, portant refus d’accorder la dérogation à la décision 2001/822/CE du Conseil, pour ce qui concerne les règles d’origine applicables au sucre des Antilles néerlandaises (JO L 11, p. 50),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de MM. M. Vilaras, président, F. Dehousse et D. Šváby, juges,

greffier : M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 novembre 2004,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1       La société Suproco NV, établie à Curaçao (Antilles néerlandaises), est une entreprise ayant pour activité la transformation de sucre de canne non raffiné en sucre de canne en vrac et en morceaux.

2       À partir de 1995, date de sa création, Suproco a transformé du sucre de canne originaire principalement des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et, accessoirement, de la Communauté européenne. Bénéficiant du régime dit « du cumul de l’origine », les produits finis étaient considérés comme originaires des pays et territoires d’outre-mer (PTOM) et pouvaient dès lors être exportés vers la Communauté en exemption de droits de douane.

3       Compte tenu de difficultés liées à l’approvisionnement en matière première ainsi qu’à la mise en place, par la Communauté, de mesures de sauvegarde notamment pour le sucre cumulant les origines ACP et PTOM, Suproco a commencé à commercialiser du sucre sur la base du régime dit « 30/70 », prévu initialement par l’annexe 2 de l’annexe II de la décision 91/482/CEE du Conseil, du 25 juillet 1991, relative à l’association des pays et territoires d’outre-mer à la Communauté économique européenne (JO L 263, p. 1). Ce régime permet d’obtenir une origine PTOM pour le sucre, à condition que la valeur du sucre de canne ou de betterave et du saccharose chimiquement pur utilisés, quelle que soit leur origine, n’excède pas 30 % du prix départ usine du produit. Dans le cadre de ce régime, la requérante colorait et aromatisait le sucre en provenance de Colombie à l’aide de mélasse.

4       Toutefois, l’article 5, paragraphe 1, sous g), de l’annexe III de la décision 2001/822/CE du Conseil, du 27 novembre 2001, relative à l’association des pays et territoires d’outre-mer à la Communauté européenne (JO L 314, p. 1) (ci-après la « décision PTOM ») est venu préciser que « les opérations consistant dans l’addition de colorants au sucre ou dans la formation de morceaux de sucre » sont des ouvraisons ou transformations insuffisantes pour conférer le caractère originaire des produits.

5       Dans ces circonstances, le Royaume des Pays-Bas a introduit, le 20 février 2002, une demande de dérogation auprès de la Commission sur la base de l’article 37 de l’annexe III de la décision PTOM. Plus précisément, il a demandé l’octroi d’une dérogation pour une quantité annuelle de 3 000 tonnes, au profit de Suproco, s’inscrivant dans le cadre du contingent annuel de 28 000 tonnes de sucre bénéficiant du cumul d’origine ACP/PTOM/CE, prévu par l’article 6, paragraphe 4, de l’annexe III de la décision PTOM.

6       Par lettre datée du 13 mai 2002, faisant suite à des questions posées par la Commission et aux premières discussions au sein du comité du code des douanes, le Royaume des Pays-Bas a indiqué qu’il retirait sa demande jusqu’à nouvel ordre, et ce afin d’effectuer des recherches complémentaires sur les possibilités d’approvisionnement de la requérante en sucre ACP.

7       Le 4 octobre 2002, à la suite des recherches complémentaires réalisées, le Royaume des Pays-Bas a adressé une lettre à la Commission afin de « réactiver » la demande de dérogation.

8       Le 10 janvier 2003, la Commission a adopté la décision 2003/34/CE portant refus d’accorder la dérogation à la décision 2001/822/CE du Conseil, pour ce qui concerne les règles d’origine applicables au sucre des Antilles néerlandaises (JO L 11, p. 50, ci-après la « décision attaquée »).

 Procédure et conclusions des parties

9       Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 14 mars 2003, la requérante a introduit le présent recours.

10     Par ordonnance du président de la troisième chambre du Tribunal du 18 septembre 2003, le Conseil et le Royaume d’Espagne ont été admis à intervenir au soutien des conclusions de la défenderesse et le Royaume des Pays-Bas a été admis à intervenir au soutien des conclusions de la requérante. Cette dernière a demandé, conformément à l’article 116, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, que certains éléments confidentiels, contenus dans la réplique, soient exclus de la communication aux parties intervenantes. Elle a produit une version non confidentielle de son mémoire en réplique et la communication des actes de procédure aux parties intervenantes a été limitée à cette version non confidentielle. Les parties intervenantes n’ont pas soulevé d’objection à ce sujet et ont déposé leur mémoire dans le délai qui leur a été imparti à cet effet.

11     Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, Suproco, la Commission et le Royaume des Pays-Bas ont été invités à produire des documents.

12     Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience publique du 25 novembre 2004. La Commission a été invitée à répondre, par écrit, à une question supplémentaire, ce qu’elle a fait dans le délai imparti. Suproco a présenté ses observations sur la réponse donnée par la Commission et a produit une version non confidentielle de ses observations. La communication aux parties intervenantes des observations de Suproco a été limitée à cette version non confidentielle. Les parties intervenantes n’ont pas soulevé d’objection à ce sujet. La procédure orale a été close le 25 janvier 2005.

13     Suproco conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       déclarer sa requête fondée ;

–       annuler la décision attaquée ;

–       condamner la Commission aux dépens.

14     La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours comme non fondé ;

–       condamner Suproco aux dépens.

15     Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal d’accueillir les conclusions de la Commission.

16     Le Royaume d’Espagne conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       déclarer irrecevable l’exception d’illégalité soulevée à l’encontre de l’article 5, paragraphe 1, sous g), de l’annexe III de la décision PTOM et, à titre subsidiaire, la rejeter ;

–       rejeter le recours introduit contre la décision attaquée ;

–       condamner Suproco aux dépens.

17     Le Royaume des Pays-Bas conclut à ce qu’il plaise au Tribunal annuler la décision attaquée.

 En droit

18     Suproco avance trois moyens à l’appui de son recours. Le premier moyen, présenté à titre principal, repose sur une exception d’illégalité invoquée à l’encontre de l’article 5, paragraphe 1, sous g), de l’annexe III de la décision PTOM. Le deuxième moyen, soulevé à titre subsidiaire, dénonce l’incompétence de la Commission. Le troisième moyen, invoqué à titre encore plus subsidiaire, est tiré d’une violation de l’article 37 de l’annexe III de la décision PTOM ainsi que d’une appréciation erronée des faits.

19     Il y a lieu de constater, à titre liminaire, que la décision attaquée est une décision au sens de l’article 249, quatrième alinéa, CE et qu’elle doit donc être motivée en vertu de l’article 253 CE. Le défaut ou l’insuffisance de motivation relève de la violation des formes substantielles et constitue un moyen d’ordre public qui doit être soulevé d’office par le juge communautaire (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 67, et arrêt du Tribunal du 12 juillet 2001, UK Coal/Commission, T‑12/99 et T‑63/99, Rec. p. II‑2153, point 199).

20     Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts de la Cour Commission/Sytraval et Brink’s France, point 19 supra, point 63 ; du 30 septembre 2003, Allemagne/Commission, C‑301/96, Rec. p. I‑9919, point 87, et du 22 juin 2004, Portugal/Commission, C‑42/01, non encore publié au Recueil, point 66).

21     En l’espèce, il convient de relever, premièrement, que la demande de dérogation introduite par le Royaume des Pays-Bas, au titre de l’article 37 de l’annexe III de la décision PTOM, reposait sur un certain nombre de faits et de données économiques communiqués à la Commission. En particulier, le Royaume des Pays-Bas a rempli le formulaire figurant à l’appendice 7 de l’annexe III de la décision PTOM et visé par l’article 37, paragraphe 2, de l’annexe III de la décision PTOM. Ce formulaire, tel que complété par les autorités néerlandaises, contenait des informations relatives aux coûts de production et à la valeur ajoutée apportée dans le cadre de l’utilisation d’une matière première originaire de Colombie. Il y a lieu de souligner que la Commission n’a pas mis en évidence, dans la décision attaquée, l’insuffisance des données transmises par le Royaume des Pays-Bas. Elle a donc considéré qu’elle disposait de tous les éléments requis par l’article 37, paragraphe 2, de l’annexe III de la décision PTOM.

22     Il convient de relever, deuxièmement, que le Royaume des Pays-Bas, en tant que demandeur de la dérogation, et Suproco, en tant que bénéficiaire de la dérogation si celle-ci avait été accordée, avaient un intérêt à recevoir des explications de la part de la Commission.

23     Il convient de relever, troisièmement, que la décision attaquée s’appuie sur l’article 37 de l’annexe III de la décision PTOM, et en particulier sur ses paragraphes 4 et 7, cités respectivement aux considérants 1 et 8, pour rejeter la demande de dérogation présentée par le Royaume des Pays-Bas.

24     Selon l’article 37, paragraphe 4, de l’annexe III de la décision PTOM, il devra être examiné, dans tous les cas, si les règles en matière d’origine cumulative ne permettent pas de résoudre le problème. Cela signifie que si les règles en matière d’origine cumulative permettent de résoudre le problème, la Commission est en droit de rejeter la demande de dérogation.

25     Quant à l’article 37, paragraphe 7, de l’annexe III de la décision PTOM, il dispose que « [s]ans préjudice des paragraphes 1 à 6, la dérogation est accordée lorsque la valeur ajoutée aux produits non originaires mis en œuvre dans le PTOM concerné est au moins de 45 % de la valeur du produit fini, pour autant que la dérogation ne soit pas de nature à causer un préjudice grave à un secteur économique de la Communauté ou d’un ou de plusieurs de ses États membres ». L’utilisation des termes « sans préjudice » signifie que la règle posée par ce paragraphe 7 laisse intégralement subsister les paragraphes 1 à 6 de l’article 37 de l’annexe III de la décision PTOM. En particulier, même dans le cas de figure couvert par l’article 37, paragraphe 7, de l’annexe III de la décision PTOM, la Commission est tenue, au titre de l’article 37, paragraphe 4, de cette même annexe, d’examiner si les règles en matière de cumul d’origine permettent de résoudre le problème. Si tel est le cas, ainsi que cela a été indiqué ci-dessus, la Commission est en droit de rejeter la demande de dérogation. En toute hypothèse, que la Commission décide d’appliquer, ou non, l’article 37, paragraphe 7, de l’annexe III de la décision PTOM, les motifs qui soutiennent sa décision doivent apparaître de façon suffisamment claire.

26     À la lumière des considérations qui précèdent, il convient d’examiner si la motivation de la décision attaquée satisfait, en l’espèce, aux exigences de l’article 253 CE.

27     La décision attaquée est constituée de neuf considérants et d’un dispositif, comprenant deux articles et concluant au rejet de la demande de dérogation.

28     Le considérant 1 précise le contexte juridique de la demande de dérogation présentée par le Royaume des Pays-Bas en mentionnant, en particulier, l’article 37, paragraphes 1 et 4, de l’annexe III de la décision PTOM.

29     Le considérant 2 rappelle l’objet de la demande de dérogation présentée initialement par le Royaume des Pays-Bas le 20 février 2002.

30     Le considérant 3 indique que le Royaume des Pays-Bas a retiré cette demande le 13 mai 2002.

31     Le considérant 4 relève que « les producteurs de sucre de cinq États ACP distincts [ont] refusé, en mai et en juin 2002, de fournir le sucre nécessaire au producteur en cause, un fabricant établi au Guyana ayant accepté de livrer la quantité et la qualité sollicitée mais à un prix [450 dollars des États-Unis (USD) par tonne FAB Georgetown] nettement plus élevé que celui du sucre colombien (275 USD par tonne franco entrepôt de l’acheteur) ». Ces informations ont été transmises à la Commission par le Royaume des Pays-Bas le 4 octobre 2002.

32     Le considérant 5 indique que le Royaume des Pays-Bas fait valoir que les coûts de main-d’œuvre et les frais supportés dans les Antilles s’élèvent à 1 095 570 euros pour 3 000 tonnes de produits finis, ces derniers ayant eux-mêmes une valeur de 3 241 200 euros. Ces données ressortent du formulaire joint à la demande de dérogation.

33     Le considérant 6 précise que l’examen des informations fournies montre que la valeur ajoutée de l’opération est supérieure à 45 % du prix départ usine, dans le cas de la livraison tant de sucre de Colombie que de sucre de Guyana. L’affirmation quant à la valeur ajoutée au sucre de Guyana résulte d’un calcul réalisé par la Commission, sur la base des données transmises par le Royaume des Pays-Bas.

34     Le considérant 7 rappelle que Suproco a bénéficié, dans les limites du contingent annuel de 28 000 tonnes ouvert pour 2002, d’une licence d’importation pour une quantité de 6 222 tonnes. Cette information a été transmise par le Royaume des Pays-Bas à la Commission dans sa lettre du 4 octobre 2002.

35     Il en résulte que, si le considérant 1 de la décision attaquée rappelle certaines dispositions de l’annexe III de la décision PTOM et le considérant 2 l’objet de la demande de dérogation, les considérants 3 à 7 se limitent à reprendre des éléments factuels avancés par le Royaume des Pays-Bas (considérants 3 à 5 et 7) ou déterminés sur la base des informations transmises par lui (considérant 6). Quant au considérant 9, il indique que les mesures prévues par la décision attaquée sont conformes à l’avis du comité du code des douanes.

36     C’est au considérant 8 de la décision attaquée qu’est exprimée la motivation, en droit, du rejet par la Commission de la demande de dérogation présentée par le Royaume des Pays-Bas.

37     Le considérant 8 dispose que « [c]ompte tenu de l’ensemble de ces éléments, la dérogation sollicitée n’est pas justifiée au regard de l’article 37, paragraphe 1, de l’annexe III. Les informations fournies montrent que les règles applicables au cumul de l’origine peuvent apporter une solution au problème. Aucune information n’a été fournie, en effet, faisant apparaître que l’utilisation de sucre d[e] Guyana serait tellement non rentable qu’elle amènerait le producteur à cesser son activité. En outre, étant donné que la valeur ajoutée issue de l’opération dans le cas de la livraison de sucre colombien comme de sucre d[e] Guyana est supérieure à 45 % du prix départ usine du produit fini, l’article 37, paragraphe 7, ne s’applique pas ».

38     La deuxième phrase de ce considérant a trait à la mise en œuvre de l’article 37, paragraphe 4, de l’annexe III de la décision PTOM, puisqu’elle indique que les règles en matière d’origine cumulative permettent de résoudre le problème. Toutefois, l’affirmation catégorique et succincte contenue dans cette phrase ne trouve appui sur aucune motivation précise.

39     En particulier, l’affirmation de la deuxième phrase du considérant 8 ne saurait trouver une justification suffisante dans la troisième phrase du même considérant.

40     Les termes employés dans cette troisième phrase indiquent qu’un calcul de rentabilité en cas d’utilisation du sucre de Guyana a probablement été réalisé par la Commission. Un tel calcul était d’ailleurs nécessaire pour apprécier si les règles en matière d’origine cumulative permettaient de résoudre le problème rencontré par Suproco. Toutefois, ni la méthode employée par la Commission pour réaliser un tel calcul, ni même le simple résultat de ce calcul n’apparaissent dans la décision attaquée. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que cette méthode ou ce résultat aient été connus du Royaume des Pays-Bas, et a fortiori de Suproco, pendant la procédure administrative. À supposer même que le calcul en question puisse être déduit des différents éléments contenus dans les autres considérants de la décision attaquée, un tel calcul resterait incertain, compte tenu de la conversion monétaire à opérer. En effet, les prix du sucre de Guyana, mentionnés au considérant 4 de la décision attaquée, sont exprimés en dollars des États-Unis (USD) alors que les données économiques reprises au considérant 5 de la décision attaquée sont exprimées en euros. Or, ni la décision attaquée ni les pièces du dossier concernant la procédure administrative ne font état du taux de change qui aurait été utilisé par la Commission.

41     Par ailleurs, la troisième phrase du considérant 8 n’explique pas en quoi une entreprise qui se livre à une activité « non rentable » (ou « antiéconomique » selon d’autres versions linguistiques de la décision attaquée) pourrait décider, malgré tout, de poursuivre sa production.

42     Il résulte de ces éléments qu’il n’est pas possible de déterminer de façon suffisamment claire la motivation qui a conduit la Commission à conclure que les règles en matière d’origine cumulative permettaient de résoudre le problème et que l’utilisation de sucre de Guyana ne conduirait pas le producteur à cesser son activité. Dans ces conditions, la motivation de la décision attaquée, à cet égard, ne permet pas au Tribunal d’exercer son contrôle.

43     Cette motivation ne permet pas non plus au Royaume des Pays-Bas et à Suproco de connaître les justifications de la mesure prise et de défendre leurs droits devant le Tribunal. Il y a lieu de relever, sur ce point, que Suproco soulève, dans sa requête, un moyen tiré de la violation de l’article 37, paragraphe 3, sous b), de l’annexe III de la décision PTOM, moyen soutenu par le Royaume des Pays-Bas dans son mémoire en intervention. En particulier, Suproco considère que la Commission aurait violé cette disposition dans la mesure où elle aurait considéré que la cessation d’activité était une condition essentielle à l’octroi de la dérogation. Or, il est difficile de déterminer, à la lecture de la décision attaquée, si l’article 37, paragraphe 3, sous b), de l’annexe III de la décision PTOM a été appliqué, ou non, par la Commission, notamment à la lumière de l’affirmation figurant dans son considérant 8 selon laquelle l’utilisation de sucre de Guyana ne conduirait pas le producteur à cesser son activité.

44     De plus, il y a lieu de constater que la motivation contenue à la dernière phrase du considérant 8 de la décision attaquée, concernant l’article 37, paragraphe 7, de l’annexe III de la décision PTOM, ne satisfait pas non plus aux exigences posées par l’article 253 CE.

45     Sans qu’il y ait lieu ici de se prononcer sur la possible application au cas d’espèce de l’article 37, paragraphe 7, de l’annexe III de la décision PTOM, il suffit de relever que la méthode de calcul utilisée par la Commission concernant la valeur ajoutée au sucre de Guyana n’est pas identifiable dans la décision attaquée et que la Commission a fourni des résultats différents de ce calcul à la fois dans ses écritures (point 35 du mémoire en défense), lors de l’audience (à la suite d’une question posée par le Tribunal) et postérieurement à l’audience (dans le cadre d’une réponse écrite du 6 décembre 2004 à une question posée par le Tribunal).

46     À cet égard, il ressort des explications données par la Commission que, pour le calcul, en pourcentage, de la part de la valeur ajoutée (entendue comme étant le prix départ usine des produits, diminué de la valeur en douane des matières importées de pays tiers dans la Communauté, les États ACP ou les PTOM) au sucre importé dans la valeur du produit fini, le taux de change applicable aurait été celui en vigueur le 4 octobre 2002, soit 1 USD pour 1,0111 euro. Pourtant, la Commission admet, dans sa réponse écrite, avoir appliqué un taux de change différent, de 1 USD pour 1 euro, pour calculer la valeur en douane du sucre importé. De plus, ce dernier taux de change aurait été utilisé dans un calcul réalisé à partir d’un montant (3 241 200 euros) issu d’une conversion opérée selon un troisième taux de change (1 USD pour 1,1505 euro, en vigueur le 20 février 2002). En outre, ce montant de 3 241 200 euros, dont la décision attaquée affirme, sans autre précision, qu’il représente la valeur des produits finis, correspondrait non pas au prix départ usine des produits, mais à ce prix augmenté des frais de livraison aux acheteurs.

47     Par ailleurs, il résulte des écritures que la Commission estime qu’un montant de 37,2 USD par tonne pour les frais de transport du sucre importé est justifié pour calculer la valeur ajoutée au sucre de Guyana, en considérant que le montant de 85 USD par tonne, avancé par le Royaume des Pays-Bas dans sa lettre du 4 octobre 2002, est excessif. Or, ce montant de 37,2 USD par tonne n’apparaît pas dans la décision attaquée. Il ne résulte pas non plus des pièces du dossier relatives à la procédure administrative que ce montant ait été connu du Royaume des Pays-Bas et, a fortiori, de Suproco.

48     Dans ces conditions, la motivation figurant dans la dernière phrase du considérant 8 de la décision attaquée ne permet pas non plus au Royaume des Pays-Bas et à Suproco de défendre leurs droits devant le Tribunal et à ce dernier d’exercer son contrôle.

49     Pour l’ensemble de ces motifs, il y a lieu de considérer que la décision attaquée ne satisfait pas aux exigences de l’article 253 CE et qu’elle doit donc être annulée, à ce titre, sans qu’il y ait lieu d’examiner les moyens de fond avancés par Suproco à l’appui de son recours.

 Sur les dépens

50     Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de Suproco.

51     Par ailleurs, aux termes de l’article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision 2003/34/CE de la Commission, du 10 janvier 2003, portant refus d’accorder la dérogation à la décision 2001/822/CE du Conseil, pour ce qui concerne les règles d’origine applicables au sucre des Antilles néerlandaises, est annulée.

2)      La Commission supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par Suproco.

3)      Le Conseil, le Royaume d’Espagne et le Royaume des Pays‑Bas supporteront leurs propres dépens.

Vilaras

Dehousse

Šváby

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 septembre 2005.

Le greffier

 

       Le président

H. Jung

 

       M. Vilaras


* Langue de procédure : le néerlandais.