Language of document : ECLI:EU:T:2003:308

Arrêt du Tribunal

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)
20 novembre 2003 (1)

«Fonctionnaires – Agents de la Banque centrale européenne – Rémunération – Méthode de calcul pour l'ajustement annuel des rémunérations – Consultation du comité du personnel – Articles 13, 45 et 46 des conditions d'emploi»

Dans l'affaire T-63/02,

Maria Concetta Cerafogli et Paolo Poloni, fonctionnaires de la Banque centrale européenne, demeurant à Francfort-sur-le-Main (Allemagne), représentés par Mes T. Raab-Rhein, C. Roth et B. Karthaus, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties requérantes,

contre

Banque centrale européenne, représentée par Mme V. Saintot et M. T. Gilliams, en qualité d'agents, assistés de Me B. Wägenbaur, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d'une part, une demande d'annulation des bulletins de salaire adressés le 13 juillet 2001 aux requérants, agents de la Banque centrale européenne (BCE), pour le mois de juillet 2001, dans la mesure où ils sont établis sur la base d'une augmentation du traitement de 2,2 %, et, d'autre part, des demandes tendant à ce que le Tribunal ordonne à la BCE d'adresser aux requérants des bulletins de salaire pour le mois de juillet 2001, établis sur la base d'une augmentation du traitement d'au moins 2,7 % ou, à titre subsidiaire, sur la base d’une augmentation correspondant à celle définie dans l'arrêt du Tribunal statuant sur la présente affaire, et de leur verser la somme correspondant à la différence entre ces montants,



LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),



composé de MM. J. Azizi, président, M. Jaeger et N. Forwood, juges,

greffier: Mme D. Christensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 8 octobre 2003,

rend le présent



Arrêt




Cadre juridique

1
Sur le fondement de l’article 36.1 du protocole sur les statuts du Système européen de banques centrales (SEBC) et de la Banque centrale européenne (BCE), annexé au traité CE, les «Conditions of Employment for Staff of the European Central Bank» (conditions d’emploi du personnel de la Banque centrale européenne, ci-après les «conditions d’emploi») ont été adoptées par le conseil des gouverneurs (JO 1999, L 125, p. 32). Dans leur version applicable aux faits de l’espèce, elles prévoient notamment:

«13.
Sur proposition du directoire, le conseil des gouverneurs adopte les ajustements généraux de salaire avec effet au 1er juillet de chaque année.

[...]

42.
Après que toutes les voies de recours internes disponibles ont été épuisées, la Cour de justice des Communautés européennes est compétente pour connaître de tout litige opposant la BCE à un membre ou à un ancien membre de son personnel auquel s’appliquent les présentes conditions d’emploi.

           
Cette compétence est limitée à l’examen de la légalité de la mesure ou de la décision, sauf si le litige est de caractère pécuniaire, auquel cas la Cour de justice a une compétence de pleine juridiction.

[…]

45.
Un comité du personnel, dont les membres sont élus au scrutin secret, est chargé de représenter les intérêts généraux de tous les membres du personnel en matière de contrats de travail, de réglementations applicables au personnel et de rémunérations, de conditions d’emploi, de travail, de santé et de sécurité à la BCE, de couverture sociale et de régimes de pension.

           
Le comité du personnel est consulté préalablement à tout changement apporté aux présentes conditions d’emploi, aux règles applicables au personnel ou concernant toutes questions qui y sont rattachées, telles que définies à l’article 45 ci-dessus.»


Faits

2
Les requérants ont conclu des contrats de travail à durée indéterminée avec la BCE dans le courant de l’année 1998. Ces contrats prévoient notamment que les conditions d’emploi et leurs modifications font partie intégrante du contrat.

3
Sur le fondement de l’article 13 des conditions d’emploi, le directoire de la BCE a élaboré une méthode pour la mise en œuvre des ajustements généraux de salaire pour les années 1999 à 2001 (ci-après la «méthode de calcul»). Après consultation du comité du personnel par le directoire de la BCE et sur proposition de ce dernier, le conseil des gouverneurs de la BCE a adopté, le 20 juin 1999, la méthode de calcul.

4
Par note du 14 juillet 1999, le vice-président de la BCE, M. Noyer, a informé les membres du personnel de la BCE de l’adoption et du contenu de la méthode de calcul.

5
La méthode de calcul, telle qu’adoptée par le conseil des gouverneurs, prévoyait que les ajustements annuels des rémunérations du personnel de la BCE seraient fondés sur l’évolution moyenne des salaires versés par les banques centrales nationales des quinze États membres et par la Banque des règlements internationaux (BRI) (ci-après les «banques de référence»). La BCE devait s’appuyer à cet égard sur les données fournies par ces banques de référence relatives aux ajustements de salaire pratiqués pendant l’année en cours. Les ajustements de salaire pratiqués par ces banques de référence pour l’année en cours devaient être pondérés en fonction du nombre d’employés de chacune de ces banques. Au cas où l’application de cette méthode aurait abouti à une réduction nominale des salaires, le conseil des gouverneurs pouvait s’en écarter. Dans la note du 14 juillet 1999 adressée aux membres du personnel, M. Noyer a précisé que, pour le cas où les données de l’année en cours ne seraient «pas disponibles», les données de l’année précédente seraient utilisées.

6
Par courrier du 11 juillet 2001, M. Noyer a informé les membres du personnel et le comité du personnel de la BCE de la fixation, par le conseil des gouverneurs, de l’ajustement des salaires pour l’année 2001 à 2,2 %, à compter du 1er juillet 2001 (ci-après l’«ajustement des salaires pour 2001»).

7
Le 13 juillet 2001, la direction compétente de la BCE a transmis aux requérants les bulletins de salaire en cause, qui font état d’une augmentation de salaire de 2,2 %.

8
À l’encontre de ces bulletins de salaire, les requérants ont introduit des demandes d’examen précontentieux («administrative review»), qui ont été rejetées le 5 octobre 2001, puis des réclamations («grievance procedure»), lesquelles ont également été rejetées, le 3 janvier 2002.


Procédure et conclusions

9
Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 mars 2002, les requérants ont introduit le présent recours.

10
Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal:

annuler les décisions contenues dans les bulletins de salaire adressés aux requérants pour le mois de juillet 2001, plafonnant à 2,2 % l’augmentation de traitement accordée au titre de l’année 2001;

condamner la BCE à adresser aux requérants des bulletins de salaire pour le mois de juillet 2001, qui soient établis sur la base d’une adaptation annuelle des traitements d’au moins 2,7 % ou sur l’adaptation correspondant à celle définie par l’arrêt du Tribunal dans la présente affaire;

condamner la BCE à verser aux requérants la différence entre la rémunération établie selon les modalités définies par le chef de conclusions précédent et la rémunération effectivement versée;

condamner la BCE aux dépens.

11
La défenderesse conclut à ce qu’il plaise au Tribunal:

rejeter le recours;

statuer sur les dépens comme de droit.


Sur le recours en annulation

12
Les requérants soulèvent deux moyens, tirés de ce que la BCE, d’une part, a omis de consulter le comité du personnel quant à l’ajustement des salaires pour l’année 2001 et, d’autre part, a violé l’article 13 des conditions d’emploi par la méthode de calcul appliquée pour cette même année.

13
Le Tribunal est ainsi saisi de deux exceptions d’illégalité relatives aux fondements juridiques des décisions individuelles contenues dans les bulletins de salaire en cause. Ces exceptions ont trait, dans le cadre du premier moyen, à la procédure suivie pour l’ajustement des salaires pour l’année 2001 et, dans le cadre du second moyen, à la méthode de calcul appliquée. Étant donné qu’il existe un lien juridique direct entre ces actes de nature générale, d’une part, et les décisions individuelles contenues dans les bulletins de salaire en cause – actes attaqués dans la présente espèce, pour l’établissement desquels, pour la première fois, la BCE a appliqué l’ajustement des salaires pour 2001 à concurrence de 2,2 % sur la base de la méthode de calcul –, d’autre part, ces exceptions sont recevables.

Sur l’absence de consultation du comité du personnel quant à l’ajustement des salaires pour l’année 2001

Arguments des parties

14
Les requérants considèrent que, en vertu des articles 45 et 46 des conditions d’emploi, la BCE était tenue de consulter le comité du personnel non seulement avant l’adoption, en 1999, de la méthode de calcul, mais également avant de fixer l’ajustement des salaires pour l’année 2001, en fonction duquel les salaires des requérants ont été calculés.

15
Selon eux, l’ajustement des salaires pour l’année 2001 constituait une question afférente à la rémunération, au sens des articles 45 et 46 des conditions d’emploi, sur laquelle le comité du personnel devait être consulté préalablement. En outre, les requérants contestent que l’ajustement des salaires pour l’année 2001 ait consisté en une simple mise en œuvre de la méthode de calcul. Il existait, selon eux, un réel besoin de consultation des employés de la BCE par l’entremise de son comité du personnel avant de décider de cet ajustement.

16
La défenderesse conteste que, en vertu des articles 45 et 46 des conditions d’emploi, elle soit tenue de consulter le comité du personnel avant chaque application de la méthode de calcul, c’est-à-dire, en l’espèce, qu’elle l’ait été avant l’ajustement des salaires pour l’année 2001.

17
Selon elle, le seul fait que les ajustements des salaires concernent la rémunération, à laquelle il est fait référence aux articles 45 et 46 des conditions d’emploi, ne rend aucunement cette consultation obligatoire. En revanche, il résulterait des termes de ces dispositions que les «questions […] rattachées» («related matters»), mentionnées à l’article 46 des conditions d’emploi, se réfèrent aux conditions d’emploi et aux règles applicables au personnel. Par conséquent, ces «questions […] rattachées» («related matters») ne concerneraient que des actes de nature législative.

18
Cette interprétation serait corroborée par la finalité de ces dispositions. En effet, l’obligation de consultation trouverait sa justification dans le fait que le législateur dispose, à l’égard de normes générales, d’un large pouvoir discrétionnaire. En revanche, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l’application de la méthode de calcul ne laisserait aucune marge d’appréciation ou ne nécessiterait aucune interprétation. En effet, en vertu de la méthode de calcul, la BCE serait liée par les données statistiques transmises par les banques de référence et procéderait à une simple application mathématique de la méthode de calcul.

Appréciation du Tribunal

19
Il convient d’examiner si, comme le soutiennent les requérants, en vertu des articles 45 et 46 des conditions d’emploi, la BCE était tenue de consulter le comité du personnel non seulement avant l’adoption, en 1999, de la méthode de calcul, mais également avant de fixer, en application de cette méthode, l’ajustement des salaires pour l’année 2001 ou si, conformément à la thèse de la défenderesse, une telle consultation relative à l’ajustement des salaires pour l’année 2001 n’était pas obligatoire.

    Interprétation de l’article 46 des conditions d’emploi

20
En vertu de l’article 46 des conditions d’emploi, le comité du personnel doit être consulté préalablement «à tout changement apporté [à ces] conditions d’emploi, aux règles applicables au personnel ou concernant toutes questions qui y sont rattachées, telles que définies à l’article 45 [de ces mêmes conditions d’emploi]», questions parmi lesquelles figurent celles liées aux «rémunérations».

21
Il ressort tout d’abord des termes choisis par le législateur que l’article 46 des conditions d’emploi ne limite pas l’obligation de consulter le comité du personnel à la modification d’«actes de nature législative», comme le fait valoir la défenderesse, mais impose cette obligation de consultation pour tout acte portant sur, outre la réglementation de travail elle-même, des «questions» afférentes à cette réglementation et qui sont liées à l’un des domaines visés à l’article 45 desdites conditions d’emploi, dont la rémunération du personnel.

22
Ensuite, ainsi que la défenderesse le souligne à juste titre, il ressort d’une interprétation systématique et téléologique de l’article 46 des conditions d’emploi que la portée de l’obligation de consultation est limitée à la modification d’actes de portée générale. En effet, comme il résulte de l’article 45 des conditions d’emploi, le comité du personnel a été institué pour la représentation des «intérêts généraux de l’ensemble des membres du personnel».

23
En outre, il convient, dans ce même contexte, de tenir compte du fait que la consultation du comité du personnel ne comporte qu’un simple droit d’être entendu. Par conséquent, il s’agit d’une forme de participation des plus modestes à une prise de décision, dans la mesure où elle n’implique en aucun cas l’obligation pour l’administration de donner une suite aux observations formulées par le comité du personnel dans le cadre de la consultation de ce dernier. Cela étant, à moins de porter atteinte à l’effet utile de l’obligation de consultation, l’administration doit respecter cette obligation toutes les fois où la consultation du comité du personnel est de nature à pouvoir exercer une influence sur le contenu de l’acte à adopter (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 6 mars 2001, Dunnett e.a./BEI, T-192/99, Rec. p. II-813, point 90).

24
Par ailleurs, la portée de l’obligation de consultation du comité du personnel, telle qu’instituée par le législateur, doit être appréciée à la lumière de ses objectifs. D’une part, cette consultation vise à offrir à l’ensemble des membres du personnel, par l’entremise de ce comité, en tant que représentant de leurs intérêts communs, la possibilité de se faire entendre avant l’adoption ou la modification d’actes de portée générale qui les concernent. D’autre part, le respect de cette obligation est dans l’intérêt tant des différents membres du personnel que de l’administration en ce qu’elle est susceptible d’éviter que chaque membre du personnel doive, par une procédure administrative individuelle, soulever l’existence d’éventuelles erreurs. Par cela même, une telle consultation, de nature à prévenir l’introduction de séries de demandes individuelles visant un même grief, sert également le principe de bonne administration.

    Application au cas d’espèce

25
Dans le cas d’espèce, l’ajustement des salaires pour l’année 2001 constituait un acte de portée générale qui touchait à la rémunération de l’ensemble du personnel de la BCE. Or, selon le libellé explicite de l’article 45 des conditions d’emploi, la rémunération du personnel est un des domaines pour lesquels le comité du personnel a été institué afin de représenter les intérêts généraux de l’ensemble des membres du personnel. Il concernait dès lors clairement une question afférente à la réglementation de l’emploi au sein de la BCE au sens de l’article 46 des conditions d’emploi, relatif à l’obligation de consultation préalable dudit comité.

26
Ensuite, il convient de constater que l’ajustement des salaires pour l’année 2001 comportait une modification de la rémunération de l’ensemble du personnel de la BCE en ce qu’il emportait un changement du niveau salarial de tous les membres du personnel.

27
À cet égard, c’est à tort que la défenderesse soutient que les règles à suivre pour cette modification, lors de l’ajustement des salaires pour l’année 2001, étaient, dans une très large mesure, prédéterminées par la méthode de calcul, de sorte qu’une consultation pour chaque application de la méthode de calcul n’était pas requise.

28
En effet, compte tenu de l’objectif de l’obligation de consultation prévue à l’article 46 des conditions d’emploi (voir points 23 et 24 ci-dessus), le personnel, représenté par le comité du personnel, garde un intérêt à être consulté avant chaque application générale de la méthode afin d’être en mesure de s’assurer qu’aucune erreur, susceptible de nuire aux intérêts du personnel dans le domaine de la rémunération, n’intervienne, que ce soit une erreur dans la prise en compte des données de base pertinentes pour le calcul ou que ce soit une erreur de calcul proprement dite.

29
Par ailleurs, ainsi que la défenderesse l’a admis à l’audience à la suite de questions orales du Tribunal, l’application annuelle de la méthode de calcul n’a pas consisté en un simple calcul mathématique. En effet, il ressort des données statistiques fournies par les banques de référence que, pour certaines d’entre elles, le montant des ajustements de salaire pratiqués par celles-ci pendant l’année en cours n’était pas disponible. Dans de telles situations, différentes méthodes statistiques ont été appliquées pour calculer le montant de ces ajustements. Par conséquent, l’application de la méthode de calcul a, dans une certaine mesure, nécessité un choix préalable quant aux données statistiques à utiliser, choix qui a été susceptible d’influencer le résultat de ces applications.

30
Contrairement à ce que la BCE a soutenu à l’audience, le contrôle effectué à cet égard par les membres du conseil des gouverneurs, aussi important soit-il, se situe dans un cadre fonctionnel différent. Ce contrôle a, en effet, uniquement trait aux compétences et aux objectifs propres à cet organe sans que ledit contrôle puisse se substituer à celui du comité du personnel, qui représente les intérêts de l’ensemble des membres du personnel.

31
Dans une telle situation, il ne saurait être exclu que la consultation du comité du personnel ait pu exercer une influence sur le contenu de l’ajustement des salaires pour l’année 2001.

32
Pour ces raisons, l’article 46 des conditions d’emploi doit être interprété en faveur de son objectif sous-jacent, c’est-à-dire de la participation, à titre consultatif, des représentants du personnel à la protection des intérêts du personnel, en particulier dans le domaine de la rémunération.

33
Par conséquent, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le caractère suffisant de la consultation du comité du personnel lors de l’adoption de la méthode de calcul en 1999, le moyen tiré du défaut de consultation du comité du personnel quant à l’ajustement des salaires pour l’année 2001 doit être accueilli.

34
Toutefois, dans le cadre de son pouvoir de contrôle, le Tribunal estime opportun d’examiner, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, le bien-fondé du second moyen, tiré de la violation de l’article 13 des conditions d’emploi.

Sur la violation de l’article 13 des conditions d’emploi

Arguments des parties

35
Les requérants estiment que la méthode de calcul, sur la base de laquelle l’ajustement des salaires pour l’année 2001 a été décidé, n’est pas conforme à l’article 13 des conditions d’emploi. Selon eux, il résulte de l’interprétation de cette disposition que l’ajustement des salaires ne pourrait être effectué, comme prévu dans la méthode de calcul, en fonction de l’évolution moyenne des salaires versés par les banques de référence mais devrait en revanche être fixé en fonction de l’augmentation du coût de la vie au siège de la BCE à Francfort-sur-le-Main (Allemagne) ou, plus généralement, dans le Land de Hesse (Allemagne).

36
En effet, compte tenu de ce que l’article 13 des conditions d’emploi ne prévoit pas de critères pour l’ajustement des salaires, il y aurait lieu, en vertu de l’article 9, sous c), des conditions d’emploi, d’appliquer à titre complémentaire les dispositions correspondantes du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le «statut»), à savoir les articles 64 et 65 dudit statut.

37
Les requérants relèvent que l’article 64, premier alinéa, du statut prévoit que «[l]a rémunération du fonctionnaire […] est affectée d’un coefficient correcteur supérieur, inférieur ou égal à 100 %, selon les conditions de vie aux différents lieux d’affectation». Dès lors, tout comme le coefficient correcteur prévu à cette disposition pour la rémunération, l’ajustement des salaires à la BCE devrait tenir compte d’un indice des prix valable pour une région géographique donnée, de certains aspects de la politique sociale et économique ainsi que des nécessités liées au recrutement des fonctionnaires.

38
Cette interprétation serait confirmée par les termes de l’article 13 des conditions d’emploi («ajustements généraux de salaire») dont il ressort que la rémunération des employés de la BCE doit être adaptée selon une grandeur donnée («an eine gegebene Größe»). Cette adaptation devrait en outre être appliquée à l’ensemble du personnel et ne pourrait pas résulter d’un paramètre librement déterminable entre les parties au contrat de travail mais devrait être fixée par référence à un critère objectif, à savoir les critères mentionnés au point précédent.

39
De même, selon les requérants, leur interprétation de l’article 13 des conditions d’emploi est corroborée par la finalité de cette disposition, qui serait de maintenir la capacité, pour la BCE, d’attirer une main-d’œuvre hautement qualifiée. Cette finalité serait contrariée si les adaptations de la rémunération restaient inférieures à l’évolution du coût de la vie. Il résulterait donc de ces adaptations une perte du pouvoir d’achat effectif du personnel de la BCE.

40
Par conséquent, il y aurait lieu d’interpréter l’article 13 des conditions d’emploi en ce sens qu’il prescrit, à tout le moins, le maintien du pouvoir d’achat du personnel de la BCE.

41
Or, le coût de la vie et, par conséquent, le pouvoir d’achat seraient des phénomènes locaux puisque les employés de la BCE vivent au siège de la BCE à Francfort-sur-le-Main ou dans les environs, à savoir dans le Land de Hesse. En revanche, seule une des banques de référence serait établie à Francfort-sur-le-Main, à savoir la banque centrale allemande. De plus, l’évolution des traitements dans cette banque ne refléterait pas nécessairement l’augmentation du coût de la vie dans le Land de Hesse.

42
Les requérants relèvent que le coût de la vie dans le Land de Hesse a augmenté, entre juin 2000 et juin 2001, d’environ 2,7 %. Dès lors, l’ajustement des salaires de la BCE pour l’année 2001 serait resté inférieur à l’augmentation du coût de la vie et se traduirait par une perte du pouvoir d’achat effectif de ses employés.

43
Au stade de la réplique, les requérants font encore valoir que l’absence de prise en considération du coût de la vie à Francfort-sur-le-Main entraîne une discrimination au sein du personnel de la BCE respectivement affecté à Francfort-sur-le-Main et à Washington. En effet, ils relèvent que, contrairement à ce qui est prévu dans la méthode de calcul, la BCE prend en compte l’évolution du pouvoir d’achat en ce qui concerne les rémunérations de son personnel affecté à Washington.

44
La défenderesse rejette cette argumentation.

Appréciation du Tribunal

45
Il y a lieu d’apprécier si, en vertu de l’article 13 des conditions d’emploi, l’ajustement des salaires pouvait être effectué, comme prévu par la méthode de calcul, en fonction de l’évolution moyenne des salaires versés par les banques de référence ou si, comme le soutiennent les requérants, cet ajustement devait être fixé en fonction de l’augmentation du coût de la vie au siège de la BCE à Francfort-sur-le-Main ou dans le Land de Hesse.

46
Tout d’abord, il est rappelé que l’article 13 des conditions d’emploi prévoit que le conseil des gouverneurs adopte, sur proposition du directoire, les ajustements généraux de salaire avec effet à partir du 1er juillet de chaque année.

47
Par conséquent, ainsi que la défenderesse le souligne à juste titre, l’article 13 des conditions d’emploi n’impose aucun critère pour effectuer les ajustements de salaire et, en particulier, ne prévoit pas que ces ajustements doivent tenir compte de l’évolution du coût de la vie dans le Land de Hesse ou à Francfort-sur-le-Main.

48
L’article 13 des conditions d’emploi a, dès lors, conféré, dans ce contexte, au conseil des gouverneurs une large marge d’appréciation que le Tribunal ne saurait sanctionner qu’en présence d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 7 décembre 1995, Abello e.a./Commission, T-544/93 et T‑566/93, RecFP p. I-A-271 et II-815, point 56).

49
Or, en prévoyant, dans la méthode de calcul, l’ajustement des salaires en fonction de l’évolution moyenne des salaires versés par les banques de référence, le conseil des gouverneurs a instauré des critères objectivement justifiables dont l’opportunité ne saurait être mise en doute par le juge communautaire. En effet, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 107, paragraphe 1, CE, les banques centrales nationales composent, avec la BCE, le SEBC et, conformément à l’article 3 du statut de la BRI du 20 janvier 1930, tel que modifié le 8 janvier 2001, la mission essentielle de la BRI est d’assurer la coopération entre les banques centrales nationales.

50
Contrairement à ce que soutiennent les requérants (voir point 36 ci-dessus), même si l’article 13 des conditions d’emploi ne prévoit pas de critères pour l’ajustement des salaires, il n’y a cependant pas lieu d’appliquer à titre complémentaire les articles 64 et 65 du statut. En effet, en vertu de l’article 9, sous c), des conditions d’emploi, il convient d’appliquer, dans de telles situations, les principes généraux du droit communs aux États membres, les principes généraux du droit communautaire et les règles contenues dans les règlements et directives concernant la politique sociale adressées aux États membres. Or, les requérants ne prétendent même pas que les articles 64 et 65 du statut tombent sous l’une des catégories mentionnées à l’article 9, sous c), des conditions d’emploi.

51
À supposer même qu’il faille recourir, pour l’interprétation de l’article 13 des conditions d’emploi, aux articles 64 et 65 du statut, il y a lieu de rappeler que l’objectif du statut, en matière de rémunérations des fonctionnaires, est, notamment, de garantir à tous les fonctionnaires le même pouvoir d’achat, quel que soit le lieu de leur affectation, conformément au principe d’égalité de traitement (arrêt Abello e.a./Commission, cité au point 48 ci-dessus). Or, contrairement aux institutions et aux organes communautaires auxquels s’applique le statut, à ce jour, les employés de la BCE sont, pour leur quasi-totalité, affectés au siège de cette institution à Francfort-sur-le-Main.

52
De surcroît, ainsi que la défenderesse l’indique à juste titre, la méthode de calcul tient compte, dans une certaine mesure, du critère de l’évolution du coût de la vie, même si elle le fait sur une échelle géographique plus large et d’une façon plus indirecte à travers la prise en compte de l’ajustement des salaires dans les banques de référence.

53
Par conséquent, sans qu’il soit nécessaire d’apprécier les arguments des parties relatifs au choix des données de base en ce qui concerne l’évolution du coût de la vie dans le Land de Hesse, il convient de rejeter le moyen tiré de la violation de l’article 13 des conditions d’emploi comme non fondé.

54
Pour autant que les requérants ont soutenu, dans le cadre de ce moyen, que la BCE traite différemment ses employés affectés à Washington – où une antenne de la BCE comprend trois employés permanents – et ses employés affectés au siège, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Les requérants n’ayant même pas soutenu que, en invoquant, en substance, la violation du principe de non-discrimination, ils se seraient fondés sur des éléments de droit et de fait qui se seraient révélés pendant la procédure, il y a lieu de rejeter ce moyen comme irrecevable.


Sur les autres chefs de conclusions

55
Par leurs deuxième et troisième chefs de conclusions (voir point 10 ci-dessus), les requérants demandent au Tribunal de condamner la défenderesse, d’une part, à adresser aux requérants des bulletins de salaire pour le mois de juillet 2001 établis sur le fondement d’une adaptation annuelle des traitements d’au moins 2,7 % ou de l’adaptation correspondant à celle définie par l’arrêt du Tribunal dans la présente affaire et, d’autre part, à verser aux requérants la différence entre la rémunération établie selon les modalités définies par le deuxième chef de conclusions et la rémunération effectivement versée.

56
À ce sujet, il ressort de l’article 42, deuxième alinéa, des conditions d’emploi que la compétence du Tribunal, dans le cadre des litiges entre la BCE et ses agents, est limitée à l’examen de la légalité de la mesure ou de la décision, sauf si le différend est de nature financière, auquel cas le Tribunal dispose d’une compétence de pleine juridiction. En revanche, il n’appartient pas au Tribunal de faire des constatations ou d’adresser des injonctions à la BCE (ordonnance du Tribunal du 24 octobre 2000, Comité du personnel de la BCE e.a./BCE, T-27/00, RecFP p. I‑A‑217 et II‑987, point 37, et ordonnance du président de la troisième chambre du Tribunal du 28 juin 2001, Cerafogli e.a./BCE, T‑20/01, RecFP p. I‑A‑147 et II‑675, points 80 et 81; arrêt du Tribunal du 18 octobre 2001, X/BCE, T-333/99, Rec. p. II-3021, point 48).

57
Dans le cas d’espèce, même si ces chefs de conclusions sont formulés comme des demandes tendant à adresser des injonctions à la défenderesse, ils peuvent être compris en ce sens que les requérants demandent au Tribunal de faire usage de son pouvoir de pleine juridiction, de telle sorte qu’il condamne la défenderesse à verser aux requérants les montants résultant de l’appréciation qu’il aura retenue dans le cadre de son analyse du recours en annulation.

58
Toutefois, compte tenu de ce qu’il y a lieu de rejeter le second moyen, tiré de l’illégalité de la méthode elle-même, il y a également lieu de rejeter les présentes demandes.

59
Eu égard à tout ce qui précède, il convient d’annuler les décisions contenues dans les bulletins de salaire adressés aux requérants pour le mois de juillet 2001, pour autant qu’ils mettent en œuvre l’ajustement des salaires pour l’année 2001, étant donné que la BCE a omis de consulter le comité du personnel lors de l’adoption de cet ajustement.


Sur les dépens

60
Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La défenderesse ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter l’ensemble des dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la requérante.


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête:

1)
Les décisions contenues dans les bulletins de salaire adressés le 13 juillet 2001 aux requérants, agents de la Banque centrale européenne (BCE), pour le mois de juillet 2001, sont annulés en tant que la BCE a omis de consulter le comité du personnel lors de l’adoption de l’ajustement des salaires pour l’année 2001.

2)
Le recours est rejeté pour le surplus.

3)
La Banque centrale européenne est condamnée aux dépens.

Azizi

Jaeger

Forwood

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 novembre 2003.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Azizi


1
Langue de procédure: l'allemand.