Language of document : ECLI:EU:C:2008:707

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

11 décembre 2008 (*)

«Pourvoi – Aides d’État – Prix préférentiel d’un terrain – Décision de la Commission – Récupération d’une aide incompatible avec le marché commun – Valeur actualisée de l’aide – Taux d’intérêt composé – Défaut de motivation – Annulation intégrale – Admissibilité»

Dans l’affaire C‑295/07 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 20 juin 2007,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Flett, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant:

Département du Loiret, représenté par Me A. Carnelutti, avocat,

partie requérante en première instance,

Scott SA, établie à Saint-Cloud (France), représentée par M. J. Lever, QC, MM. J. Gardner et G. Peretz, barristers, mandatés par MM. R. Griffith et M. Papadakis, solicitors,

partie intervenante en première instance,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann (rapporteur), président de chambre, MM. M. Ilešič, A. Tizzano, A. Borg Barthet et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. R. Grass,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 juin 2008,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, la Commission des Communautés européennes demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 29 mars 2007, Département du Loiret/Commission (T‑369/00, Rec. p. II‑851, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a annulé la décision 2002/14/CE de la Commission, du 12 juillet 2000, concernant l’aide d’État mise à exécution par la France en faveur de Scott Paper SA/Kimberly-Clark (JO 2002, L 12, p. 1, ci-après la «décision litigieuse»), dans la mesure où cette décision concerne l’aide accordée sous la forme du prix préférentiel d’un terrain visé à son article 1er.

 Le cadre juridique

 Le règlement (CE) nº 659/1999

2        Intitulé «Récupération de l’aide», l’article 14 du règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88] du traité CE (JO L 83, p. 1), est libellé comme suit:

«1.      En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l’État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l’aide auprès de son bénéficiaire (ci-après dénommée ‘décision de récupération’). La Commission n’exige pas la récupération de l’aide si, ce faisant, elle allait à l’encontre d’un principe général de droit communautaire.

2.      L’aide à récupérer en vertu d’une décision de récupération comprend des intérêts qui sont calculés sur la base d’un taux approprié fixé par la Commission. Ces intérêts courent à compter de la date à laquelle l’aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire jusqu’à celle de sa récupération.

3.      Sans préjudice d’une ordonnance de la Cour […] prise en application de l’article [242] du traité, la récupération s’effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l’État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l’exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. À cette fin et en cas de procédure devant les tribunaux nationaux, les États membres concernés prennent toutes les mesures prévues par leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit communautaire.»

 La communication sur les taux d’intérêt applicables en cas de récupération d’aides illégales

3        Dans sa communication 2003/C 110/08, du 8 mai 2003, sur les taux d’intérêt applicables en cas de récupération d’aides illégales (JO C 110, p. 21, ci-après la «communication de 2003»), la Commission relève ce qui suit:

«[…]

[…] la question s’est […] posée de savoir si ces intérêts devaient être simples ou composés […] [L]a Commission juge urgent de clarifier sa position à cet égard.

[…]

[…] Il apparaît […], en dépit de la variété des situations possibles, qu’une aide illégale a pour effet de fournir des fonds au bénéficiaire selon les mêmes conditions qu’un prêt à moyen terme ne portant pas d’intérêts. Il en résulte que l’application d’intérêts composés semble nécessaire pour garantir la neutralisation totale des avantages financiers découlant d’une telle situation.

La Commission souhaite donc informer les États membres et les parties intéressées que, dans toute décision ordonnant la récupération d’une aide illégale qu’elle pourra adopter à l’avenir, elle appliquera le taux de référence utilisé pour le calcul de l’équivalent subvention net des aides régionales sur une base composée. Conformément aux pratiques usuelles du marché, cette composition devra se faire sur une base annuelle. De la même manière, la Commission attendra des États membres qu’ils appliquent des intérêts composés lors de l’exécution de toute décision de récupération en instance, à moins que ce ne soit contraire à un principe général du droit communautaire.»

 Le règlement (CE) n° 794/2004

4        Intitulé «Méthode d’application de l’intérêt», l’article 11 du règlement (CE) n° 794/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement n° 659/1999 (JO L 140, p. 1) dispose:

«1.      Le taux d’intérêt applicable est le taux en vigueur à la date à laquelle l’aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire.

2.      Le taux d’intérêt est appliqué sur une base composée jusqu’à la date de récupération de l’aide. Les intérêts courus pour une année produisent des intérêts chaque année suivante.

3.      Le taux d’intérêt visé au paragraphe 1 s’applique pendant toute la période jusqu’à la date de récupération de l’aide. Cependant, si plus de cinq ans se sont écoulés entre la date à laquelle l’aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire et la date de sa récupération, le taux d’intérêt est recalculé à intervalles de cinq années, sur la base du taux en vigueur au moment du nouveau calcul du taux.»

5        Selon l’article 13, cinquième alinéa, dudit règlement, l’article 11 de celui-ci est applicable à toute décision de récupération notifiée après la date d’entrée en vigueur de ce règlement.

 Les antécédents du litige et la décision litigieuse

6        Les antécédents du litige, tel qu’exposés aux points 1 à 8 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.

7        Le 31 août 1987, la ville d’Orléans, le département du Loiret (France) et Scott SA (ci-après «Scott») ont conclu un accord portant, notamment, sur la vente à cette dernière d’un terrain aux fins de l’implantation d’une usine. Cet accord prévoyait que le département du Loiret et la ville d’Orléans contribueraient pour un maximum de 80 millions de FRF (12,2 millions d’euros) aux travaux d’aménagement du site en faveur de Scott.

8        Au mois de janvier 1996, Scott a été rachetée par la société Kimberley-Clark Corp., laquelle a annoncé la fermeture de l’usine au mois de janvier 1998. Les actifs de l’usine, à savoir le terrain et la papeterie, ont été rachetés par la société Procter & Gamble au mois de juin 1998.

9        Ayant reçu, à la suite d’un rapport de la Cour des comptes française publié au mois de novembre 1996, une plainte à l’égard de l’aide en cause, la Commission a, après un échange d’informations avec les autorités françaises entre les mois de janvier 1997 et d’avril 1998, informé lesdites autorités, par lettre du 10 juillet 1998, de sa décision du 20 mai 1998 d’ouvrir la procédure prévue à l’article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE).

10      La décision litigieuse est exposée dans l’arrêt attaqué dans les termes suivants:

«10      La décision [litigieuse], dans sa version modifiée, prévoit:

‘Article premier

L’aide d’État sous forme du prix préférentiel d’un terrain et d’un tarif préférentiel de la redevance d’assainissement, que la France a mise à exécution en faveur de Scott, pour un montant de 39,58 millions de FRF (6,03 millions d’euros) ou, en valeur actualisée, de 80,77 millions de FRF (12,3 millions d’euros), en ce qui concerne le prix préférentiel du terrain […], est incompatible avec le marché commun.

Article 2

1.      La France prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès de son bénéficiaire l’aide visée à l’article 1er et déjà illégalement mise à sa disposition.

2.      La récupération a lieu sans délai conformément aux procédures du droit national, pour autant qu’elles permettent l’exécution immédiate et effective de la présente décision. L’aide à récupérer inclut des intérêts à partir de la date à laquelle elle a été mise à la disposition du bénéficiaire, jusqu’à la date de sa récupération. Les intérêts sont calculés sur la base du taux de référence utilisé pour le calcul de l’équivalent-subvention dans le cadre des aides à finalité régionale.’

11      En ce qui concerne l’imposition d’intérêts, la Commission a considéré (considérant 239 de la décision [litigieuse]):

‘[A]fin de rétablir les conditions économiques auxquelles l’entreprise aurait dû faire face si l’aide incompatible ne lui avait pas été accordée, les autorités françaises doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour supprimer les avantages qui découlent de l’aide et pour récupérer celle-ci auprès du bénéficiaire.

[…]’

12      Ainsi, la valeur actualisée de l’aide à récupérer calculée par la Commission, à savoir 80,77 millions de FRF (voir point 10 ci-dessus), tient compte de l’application d’un taux d’intérêt à compter de la date d’octroi de l’aide illégale jusqu’à la date de la décision [litigieuse]. Ce taux d’intérêt correspond au taux de référence utilisé par la Commission pour mesurer l’élément d’aide des subventions publiques en France, à savoir ‘5,7 % depuis le 1er janvier 2000’ (considérants 172 et 239 de la décision [litigieuse]).»

 La procédure en première instance et l’arrêt attaqué

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 décembre 2000, le département du Loiret a formé un recours contre la décision litigieuse, tendant à l’annulation de celle-ci en tant qu’elle déclare illégale l’aide d’État accordée sous la forme du prix préférentiel d’un terrain et ordonne le remboursement d’un montant de 39,58 millions de FRF (6,03 millions d’euros) ou, en valeur actualisée, de 80,77 millions de FRF (12,3 millions d’euros).

12      Scott, qui a également introduit un recours devant le Tribunal visant à l’annulation partielle de la décision litigieuse (Scott/Commission, T‑366/00), est intervenue dans cette procédure à l’appui des conclusions du département du Loiret.

13      La Commission a demandé au Tribunal de rejeter le recours du département du Loiret comme non fondé.

14      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que, en ce qui concerne la capitalisation des intérêts, la décision litigieuse n’était pas suffisamment motivée. Dès lors, il a accueilli la cinquième branche du second moyen et annulé cette décision dans la mesure où elle concerne l’aide accordée sous la forme du prix préférentiel d’un terrain visé à son article 1er, sans examiner les autres moyens et arguments invoqués au soutien du recours.

15      Quant à l’utilisation d’un taux composé, le Tribunal a, tout d’abord, constaté, au point 36 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse ne précise pas qu’elle utilise un taux composé et que ce n’est qu’en faisant le calcul par rapport à la valeur initiale et à la «valeur actualisée» de l’aide telles qu’indiquées dans ladite décision que le lecteur peut déduire qu’un taux composé a été utilisé. Les motifs pour lesquels un taux composé plutôt qu’un taux simple aurait été utilisé ne seraient nullement indiqués.

16      Ensuite, au point 43 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu que l’imposition d’intérêts composés en l’espèce était la première manifestation d’une politique nouvelle et importante de la Commission, que celle-ci n’a aucunement expliquée. La Commission aurait dû, dans la décision litigieuse, d’une part, indiquer qu’elle avait décidé de capitaliser les intérêts et, d’autre part, justifier son approche.

17      Selon le point 44 de l’arrêt attaqué, cette obligation de motivation aurait été accrue du fait que, au vu du temps écoulé entre la date de la vente du site et la décision litigieuse, à savoir treize ans, l’imposition d’intérêts composés avait eu des conséquences financières importantes sur le montant de l’aide à récupérer.

18      Au point 45 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que la motivation de la décision litigieuse était également insuffisante en ce qui concerne la hauteur du taux d’intérêt appliqué.

19      Puis, en réponse à l’argument de la Commission selon lequel l’emploi d’un taux composé, afin d’actualiser la valeur initiale de la subvention, se justifie par la nécessité de rétablir une concurrence effective par la suppression de l’avantage dont le bénéficiaire a profité, le Tribunal a jugé, au point 49 de l’arrêt attaqué, qu’une telle justification présuppose, d’une part, que le bénéficiaire détient toujours un tel avantage à cette date et, d’autre part, que la forme de l’aide litigieuse est assimilable à un prêt sans intérêt d’une somme qui correspond à la valeur de la subvention initiale. La décision litigieuse serait dépourvue de toute explication sur ce point.

20      À cet égard, le Tribunal a observé, au point 50 de l’arrêt attaqué, que, eu égard à la forme de l’aide octroyée à Scott au cours de l’année 1987, à savoir le transfert d’un terrain aménagé à un prix préférentiel, il n’est pas du tout évident que l’actualisation de la valeur estimée de la subvention initiale par l’application d’un taux d’intérêt composé de 5,7 % pendant la période en cause aboutisse à un chiffre correspondant à la valeur de l’avantage dont jouissait le bénéficiaire en tant que propriétaire du bien en 2000.

21      Selon le point 51 de l’arrêt attaqué, il était de surcroît constant que le terrain et l’usine ont été vendus à Procter & Gamble en 1998. Or, le prix communiqué par les autorités françaises − la Commission n’aurait pas contesté que cette vente a eu lieu dans des conditions normales de marché et elle aurait analysé cette vente dans la décision litigieuse en acceptant la possibilité que le terrain ait été vendu à ce prix − aurait été inférieur non seulement à la valeur que la Commission avait déterminée en 1987, mais également au prix payé par Scott.

22      Aux point 52 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé que, dans ces circonstances, et en l’absence de toute motivation dans la décision litigieuse quant au lien entre l’avantage présumé détenu par Scott en 2000 et la somme de 80,77 millions de FRF, il se trouve dans l’impossibilité d’exercer son contrôle juridictionnel sur la question de savoir si l’emploi d’un taux d’intérêt composé aboutit à une valeur actualisée correspondant à la valeur de l’avantage à supprimer.

23      Enfin, au point 53 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que la décision litigieuse est entachée d’une incohérence, en ce qu’elle appliquerait, sans le justifier, des intérêts sur une base composée jusqu’à la date de son adoption puis des intérêts sur une base simple jusqu’à la récupération de l’aide. En effet, l’article 2 de cette décision, en prévoyant que la récupération doit avoir lieu conformément aux règles nationales, aurait pour conséquence que les intérêts afférents à la période allant de la date de la décision litigieuse à celle de la récupération de l’aide seront calculés à un taux simple.

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

24      Par requête déposée au greffe de la Cour le 20 juin 2007, la Commission a formé un pourvoi contre l’arrêt attaqué.

25      La Commission demande à la Cour de constater le bien-fondé du présent pourvoi et, en conséquence, d’annuler l’arrêt attaqué dans son intégralité. En outre, eu égard à l’état du litige, la Commission demande à la Cour de statuer définitivement sur celui-ci et de considérer que la décision litigieuse est suffisamment motivée en ce qui concerne l’utilisation d’un taux d’intérêt composé. Faute de quoi, la Commission, pour toute question par rapport à laquelle la Cour considérerait que le litige n’est pas en état d’être jugé, lui demande de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

26      En conséquence, la Commission demande aussi la condamnation du département du Loiret à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par elle dans les procédures devant la Cour et le Tribunal, et la condamnation de Scott à supporter ses propres dépens dans les procédures devant la Cour et le Tribunal.

27      Le département du Loiret sollicite le rejet du pourvoi dans son intégralité et la condamnation de la Commission aux dépens de l’instance.

28      Scott demande le rejet du pourvoi de la Commission et que soit ordonné le paiement par cette dernière des frais qu’elle a encourus pour la défense de ses intérêts dans la présente instance.

 Sur le pourvoi

29       À l’appui de son pourvoi, la Commission soulève huit moyens s’appuyant respectivement sur les affirmations qui suivent:

–        une décision est suffisamment motivée si un simple calcul mathématique permet de constater quelle méthode de calcul a été utilisée;

–        l’utilisation d’un taux d’intérêts composé est nécessairement implicite dans la motivation de la décision litigieuse, étant donné l’objectif de rétablir la situation préexistante;

–        renversement illégal de la charge de la preuve: il incombait au requérant de démontrer une modification alléguée de la pratique; il n’incombait pas a la Commission de démontrer l’absence d’une telle modification;

–        la Commission n’est pas légalement tenue d’établir qu’un bénéficiaire détient un avantage à la date de l’ordre de récupération;

–        l’arrêt s’appuie sur des spéculations et non sur des preuves et renverse la charge de la preuve en ce qui concerne le prix allégué de la vente des actifs de l’usine à Procter & Gamble;

–        un prix de vente allégué onze ans après l’octroi n’est pas pertinent aux fins du calcul du montant de l’aide à récupérer;

–        conformément à l’obligation de la Commission de garantir l’exécution des décisions finales en matière d’aides d’État, en cas de silence de la décision finale, la question de savoir si la récupération s’accompagne d’un taux d’intérêt simple ou composé relève du droit communautaire, non du droit national, et

–        la question du taux d’intérêt peut être dissociée du montant du principal: il n’y a pas, en toute hypothèse, de base légale pour annuler la décision litigieuse si ce n’est dans la mesure où elle a appliqué un taux d’intérêt supérieur à un taux d’intérêt simple.

 Sur le premier moyen

 Argumentation des parties

30      La Commission estime qu’une décision est suffisamment motivée si un simple calcul permet de constater quelle méthode de calcul a été utilisée (en l’occurrence, des intérêts composés). Or, toutes les données nécessaires figureraient dans la décision litigieuse et la formule serait une formule que tout le monde connaît. Le Tribunal ne pouvait donc fonder l’annulation de la décision litigieuse notamment sur le fait, relevé au point 36 de l’arrêt attaqué, que ce n’est qu’en opérant un certain calcul mathématique que le lecteur pouvait déduire qu’un taux composé avait été utilisé.

31      Selon le département du Loiret, ce moyen est inopérant, car la constatation du Tribunal critiquée par ce moyen constituerait non pas un élément de motivation du Tribunal, mais un élément descriptif qui supplée à l’absence d’annonce et d’explication, dans le texte de la décision litigieuse, de la méthode d’actualisation retenue. En fait, le Tribunal aurait annulé cette décision, car aucune motivation du recours à cette méthode, à l’époque sans précédent dans la pratique de la Commission, ne figure dans ladite décision.

32      Scott estime également qu’il s’agit seulement d’une observation factuelle sur laquelle le Tribunal n’a pas fondé l’annulation de la décision litigieuse.

 Appréciation de la Cour

33      Il est vrai que la constatation du Tribunal, au point 36 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la décision litigieuse ne précise pas qu’elle utilise un taux composé et que ce n’est qu’en faisant un calcul que le lecteur peut déduire qu’un taux composé a été utilisé, se situe dans l’analyse du Tribunal visant à vérifier si la Commission a suffisamment motivé sa décision d’actualiser la valeur de l’aide en imposant des intérêts composés.

34      Toutefois, à la lecture de ce passage dans son contexte, et notamment, en combinaison avec les points 37 à 43 de l’arrêt attaqué, il s’avère que cette constatation n’a qu’un caractère liminaire et ne constitue pas le fondement de la conclusion du Tribunal, au point 54 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse n’est pas suffisamment motivée. Cette dernière conclusion repose plutôt sur la constatation, effectuée au même point 36 de l’arrêt attaqué, que la Commission aurait dû indiquer les motifs pour lesquels elle a imposé un taux composé au lieu d’un taux simple.

35      Le premier moyen doit, dès lors, être rejeté comme inopérant.

 Sur le deuxième moyen

 Argumentation des parties

36      Faisant de nouveau référence au point 36 de l’arrêt attaqué, la Commission considère que l’utilisation d’un taux d’intérêt composé est, de toute façon, nécessairement implicite dans la motivation de la décision litigieuse, compte tenu des objectifs déclarés d’éliminer l’avantage et de rétablir la situation préexistante. L’inflation serait un fait économique moderne et elle s’exprimerait en termes de composés annuels. Par conséquent, sauf si l’on utilise un taux d’intérêt composé, la valeur actuelle de l’argent ne serait pas mesurée correctement et l’avantage ne serait pas éliminé. Cette analyse serait confirmée par l’arrêt du Tribunal du 8 juin 1995, Siemens/Commission (T‑459/93, Rec. p. II‑1675, points 96 à 98).

37      Le département du Loiret estime, en premier lieu, que l’utilisation d’un taux composé ne pouvait être implicite, à l’époque, eu égard au cadre juridique alors en vigueur, aux prises de position et à la pratique de la Commission.

38      Il relève notamment que, pour la méthode de calcul des intérêts, la lettre de la Commission aux États membres SG(91) D/4577, du 4 mars 1991 (communication aux États membres concernant les modalités de notification des aides et les modalités de procédure au sujet des aides mises en vigueur en violation des règles de l’article [88], paragraphe 3, du traité CE), aurait explicitement désigné la méthode de calcul prévue par le droit national de l’État destinataire de la décision négative. En effet, à la fin du paragraphe 4 du point 2 de cette lettre, la Commission aurait indiqué que la récupération devait s’«effectuer suivant les dispositions du droit national, y compris celles concernant les intérêts de retard sur les créances de l’État».

39      Ladite lettre, dont le rôle de référence aurait été reconnu par la Cour dans l’arrêt du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission (C‑74/00 P et C‑75/00 P, Rec. p. I‑7869, points 164 et 165), aurait constitué, s’agissant des intérêts, l’expression par la Commission du droit applicable sur ce point jusqu’à l’adoption du règlement n° 794/2004. La communication de 2003 l’aurait modifiée sur le seul point de la méthode d’actualisation.

40      Or, pendant la période en question, la législation nationale de nombreux États membres aurait considéré – et considérerait toujours – que le prix du temps est acquitté par la voie de l’imposition d’intérêts simples.

41      En second lieu, ainsi qu’il résulterait de l’arrêt de la Cour du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a./Commission (73/74, Rec. p. 1491), la décision litigieuse ne pouvait, en tout état de cause, être motivée de manière implicite, étant donné qu’elle allait sensiblement plus loin que les décisions précédentes.

42      Scott fait valoir que ce moyen ne répond pas à l’argumentation retenue par le Tribunal pour fonder l’annulation de la décision litigieuse et qu’il est également en contradiction tant avec l’historique législatif qu’avec la pratique de la Commission à l’époque concernée.

 Appréciation de la Cour

43      Tout d’abord, il y a lieu de constater que le Tribunal a correctement, au point 35 de l’arrêt attaqué, fait état de la jurisprudence constante selon laquelle la motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences dudit article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir, notamment, arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63, ainsi que du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, non encore publié au Recueil, point 166).

44      Par ailleurs, il ressort également de la jurisprudence que si une décision de la Commission, se plaçant dans la ligne d’une pratique décisionnelle constante, peut être motivée d’une manière sommaire, notamment par une référence à cette pratique, lorsqu’elle va sensiblement plus loin que les décisions précédentes, il incombe à la Commission de développer son raisonnement d’une manière explicite (voir, en ce sens, arrêts Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a./Commission, précité, point 31, ainsi que du 30 septembre 2003, Allemagne/Commission, C‑301/96, Rec. p. I-9919, points 88 et 92).

45      Ainsi que l’a observé M. l’avocat général au point 38 de ses conclusions, cette exigence s’applique à fortiori dans le cas d’une prétendue motivation implicite.

46      Or, il est constant que, à l’époque de l’adoption de la décision litigieuse, aucune disposition du droit communautaire ni la jurisprudence de la Cour ou du Tribunal ne précisaient que les intérêts qu’une aide à récupérer doit comprendre sont à calculer sur une base composée. Au contraire, ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 40 de l’arrêt attaqué, dans sa communication de 2003, la Commission a expressément admis que la question s’est posée de savoir si ces intérêts devaient être simples ou composés et jugé urgent de clarifier sa position à cet égard. Elle a, dès lors, informé les États membres et les parties intéressées que, dans toute décision ordonnant la récupération d’une aide illégale qu’elle pourra adopter à l’avenir, elle appliquera un taux d’intérêt composé.

47      De plus, il y a lieu de constater que, dans sa réponse du 11 septembre 2006 à une lettre du Tribunal du 27 juillet 2006, la Commission a admis que ses décisions finales négatives antérieures à la décision litigieuse n’ont pas précisé que la méthode des taux d’intérêts composés devait être appliquée.

48      Au demeurant, selon les constatations du Tribunal au point 42 de l’arrêt attaqué, la Commission n’a pas pu invoquer une seule décision antérieure à la décision litigieuse imposant effectivement des intérêts composés. Devant la Cour, la Commission s’est contentée à cet égard d’observer, sans autre précision, qu’elle a déjà communiqué au Tribunal des exemples de cas d’aides d’État dans lesquels la Commission avait appliqué un intérêt composé.

49      C’est donc à bon droit que le Tribunal a constaté, au point 43 de l’arrêt attaqué, que l’imposition d’intérêts composés en l’espèce était la première manifestation d’une politique nouvelle et importante de la Commission que celle-ci aurait dû justifier.

50      Il en résulte que, contrairement à ce que fait valoir la Commission, même si la décision litigieuse précisait que les avantages qui découlent de l’aide doivent être supprimés afin de rétablir la situation préexistante, l’utilisation d’un taux d’intérêt composé ne saurait être considérée comme étant nécessairement implicite dans la motivation de la décision litigieuse.

51      Il convient donc de rejeter le deuxième moyen comme non fondé.

 Sur le troisième moyen

 Argumentation des parties

52      Faisant référence au point 42 de l’arrêt attaqué, la Commission fait valoir que cet arrêt renverse illégalement la charge de la preuve dans les procédures d’aide d’État et les procédures devant le Tribunal. Le département du Loiret n’aurait produit aucune preuve à l’appui de son assertion selon laquelle la Commission aurait modifié sa pratique, et de toute façon, cette assertion aurait été réfutée par la Commission, notamment dans sa réponse du 11 septembre 2006 à une question du Tribunal.

53      Le département du Loiret estime que ce moyen est erroné en fait et en droit. Ce département ayant suffisamment développé, devant le Tribunal, son moyen d’annulation tiré de l’absence de motivation eu égard à la pratique antérieure, il appartenait à la Commission, par définition le meilleur connaisseur de sa propre pratique, de corriger des affirmations à son avis inexactes.

54      Scott observe également que le département du Loiret et elle ont exposé de manière détaillée au Tribunal qu’il résultait de leurs investigations que la Commission n’avait jamais utilisé un calcul d’intérêts composés avant la décision litigieuse. Chercher à invoquer un renversement de la charge de la preuve sur ce point serait totalement infondé.

 Appréciation de la Cour

55      À titre liminaire, il y a lieu de relever que la question de savoir quelle était la pratique décisionnelle de la Commission antérieure à la décision litigieuse est, en principe, une question de nature factuelle que la Cour ne saurait trancher dans le cadre d’un pourvoi, le Tribunal étant seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, points 177 et 180).

56      En revanche, la Cour est compétente pour vérifier si les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectées (voir, en ce sens, arrêts du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417, point 24, ainsi que Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, précité, point 29).

57      Toutefois, il convient, d’emblée, de rappeler qu’une insuffisance de motivation de nature à méconnaître l’article 253 CE relève de la violation des formes substantielles au sens de l’article 230 CE et constitue un moyen pouvant, voire devant, être relevé d’office par le juge communautaire (arrêts du 20 février 1997, Commission/Daffix, C‑166/95 P, Rec. p. I‑983, point 24, ainsi que Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, précité, point 174).

58      Le Tribunal pouvait donc, dans le cadre de son analyse visant à déterminer si la décision litigieuse était ou non suffisamment motivée en ce qui concerne le calcul des intérêts, examiner la question de savoir quelle était la pratique décisionnelle de la Commission antérieure à la décision litigieuse, poser des questions à cet égard à cette institution et tirer de la réponse les conclusions nécessaires.

59      Le troisième moyen ne saurait, par conséquent, être accueilli.

 Sur le quatrième moyen

 Argumentation des parties

60      Faisant référence aux points 50 et 52 de l’arrêt attaqué, la Commission considère que celui-ci conclut à tort que la Commission est légalement tenue d’établir que le bénéficiaire tire un avantage de l’aide à la date de l’ordre de récupération. Elle estime que cette conception repose sur une erreur portant sur l’objet essentiel et le but de la réglementation des aides d’État, laquelle, en réalité, porterait sur la concurrence opposant les États membres et non pas sur celle entre les entreprises. La Commission n’établirait qu’à la date de l’octroi de l’aide que les conditions visées à l’article 87, paragraphe 1, CE sont remplies. Elle ne serait ni tenue de vérifier une fois encore que ces conditions sont remplies au moment d’émettre un ordre de récupération ni habilitée à le faire.

61      Selon le département du Loiret, ce moyen est non fondé, car il donne à l’arrêt attaqué une portée qu’il n’a pas. En effet, le Tribunal ne viserait nullement à ériger en condition nouvelle d’un remboursement la vérification que Scott détient toujours un avantage à la date de la décision négative. Il entendrait simplement qu’une telle décision lui permette de s’assurer du bien-fondé de la quantification de cet avantage, à cette date, par le raisonnement et les paramètres économiques choisis.

62      Scott fait valoir que, sur ce point, l’arrêt attaqué se borne à développer sa critique de l’absence de toute motivation concernant le recours à des intérêts composés dans la décision litigieuse.

 Appréciation de la Cour

63      Ainsi qu’il ressort des points 48 à 52 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a pas entendu ériger en principe général que, pour pouvoir ordonner la récupération d’une aide d’État, la Commission est tenue d’établir que le bénéficiaire tire encore un avantage de cette aide à la date de l’ordre de récupération. En effet, les développements du Tribunal concernant la question de savoir si le bénéficiaire tire encore, à cette date, un avantage de l’aide font clairement partie de l’analyse visant à déterminer si l’emploi d’un taux d’intérêts composé se justifie par la nécessité de supprimer l’avantage dont le bénéficiaire a profité.

64      Ce moyen est donc dénué de fondement, en ce qu’il repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. Il est, au demeurant, inopérant dans la mesure où la constatation du Tribunal, au point 43 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la Commission n’a aucunement expliqué pourquoi elle a appliqué, pour la première fois, un taux d’intérêt composé suffit à elle seule pour soutenir la conclusion, au point 54 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse n’est pas suffisamment motivée.

 Sur le cinquième moyen

 Argumentation des parties

65      Faisant référence au point 51 de l’arrêt attaqué, la Commission estime que cet arrêt s’appuie illégalement sur des spéculations plutôt que sur des preuves en ce qui concerne le prix de cession des actifs de l’usine à Procter & Gamble allégué en 1998. Rappelant les règles en matière de charge de la preuve tant devant elle que devant le Tribunal, la Commission observe que la décision litigieuse a relevé que, en toute hypothèse, aucune preuve n’avait été fournie pour fonder un tel prix de cession.

66      Le département du Loiret fait valoir que ce moyen concerne un point surabondant constitutif d’une circonstance parmi d’autres et tend à remettre en cause l’appréciation des faits menée par le Tribunal. Il est à ce titre irrecevable.

67      Scott fait valoir que le point contesté de l’arrêt attaqué se contente de décrire la situation de fait devant le Tribunal, de sorte que la Commission ne serait pas recevable à en discuter le contenu. Au surplus, ce point pourrait être retiré sans que cela conduise à censurer l’arrêt attaqué.

 Appréciation de la Cour

68      Le cinquième moyen concerne un passage de l’arrêt attaqué par lequel le Tribunal, dans le cadre de son analyse visant à déterminer si l’emploi d’un taux d’intérêts composé se justifie par la nécessité de supprimer l’avantage dont le bénéficiaire a profité, a entendu souligner ses doutes quant à la valeur de l’avantage détenu par Scott à la date de la décision litigieuse.

69      Il est donc, à l’instar du quatrième moyen, inopérant dans la mesure où la constatation du Tribunal, au point 43 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la Commission n’a aucunement expliqué pourquoi elle a appliqué, pour la première fois, un taux d’intérêt composé, suffit à elle seule à soutenir la conclusion, au point 54 de cet arrêt, que la décision litigieuse n’est pas suffisamment motivée.

 Sur le sixième moyen

 Argumentation des parties

70      Faisant référence aux points 51 et 52 de l’arrêt attaqué, la Commission fait valoir que cet arrêt considère à tort que le prix de cession des actifs de l’usine à Procter & Gamble allégué en 1998, onze ans après l’octroi de l’aide, était pertinent aux fins du calcul du montant de l’aide d’État à récupérer.

71      Elle relève qu’il ne fait aucun doute que Scott a reçu une aide d’État substantielle et qu’il existe plusieurs raisons qui pourraient expliquer une baisse de valeur des actifs. Or, la valeur d’une aide illégale et incompatible avec le marché commun serait calculée à la date de son octroi et l’objectif consistant à restaurer la situation antérieure impliquerait nécessairement des intérêts composés, indépendamment de ce que le bénéficiaire aurait fait de l’aide dans l’intervalle.

72      Selon le département du Loiret, ce moyen est irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre une appréciation de fait du Tribunal. De plus, les points 50 et 51 de l’arrêt attaqué contenant une motivation surabondante, les griefs susceptibles de les viser seraient dès lors inopérants. Scott avance les mêmes arguments que dans le cadre du cinquième moyen.

 Appréciation de la Cour

73      À l’instar du cinquième moyen, le sixième moyen a trait à un passage de l’arrêt attaqué par lequel le Tribunal, dans le cadre de son analyse visant à déterminer si l’emploi d’un taux d’intérêt composé se justifie par la nécessité de supprimer l’avantage dont le bénéficiaire a profité, a entendu souligner ses doutes en ce qui concerne la valeur de l’avantage détenu par Scott à la date de la décision litigieuse.

74      Il est donc également inopérant dans la mesure où la constatation du Tribunal, au point 43 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la Commission n’a aucunement expliqué pourquoi elle a appliqué, pour la première fois, un taux d’intérêt composé suffit à elle seule à soutenir la conclusion, au point 54 de cet arrêt, que la décision litigieuse n’est pas suffisamment motivée.

 Sur le septième moyen

 Argumentation des parties

75      Faisant référence au point 53 de l’arrêt attaqué, la Commission estime que cet arrêt considère à tort que, en cas de silence d’une décision finale en matière d’aide d’État, la question de savoir si le taux d’intérêt de la récupération est simple ou composé relève de «procédures nationales».

76      La nécessité d’employer un taux d’intérêt composé serait une question matérielle et non procédurale, tout comme le taux d’intérêt lui-même. Il s’agirait d’une question essentielle de droit communautaire, l’objectif étant d’éliminer l’avantage dans son intégralité et de rétablir la situation préexistante, ce qui exigerait de mesurer correctement la valeur de l’argent à travers le temps.

77      Par ailleurs, si l’utilisation d’un taux d’intérêt composé était une question procédurale, le règlement n° 794/2004 serait, par définition, illégal, puisqu’il empièterait sur des domaines relevant des États membres au titre de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 659/1999.

78      Le département du Loiret estime que ce moyen n’est pas susceptible de prospérer. En effet, s’il est vrai que la méthode d’actualisation d’une aide d’État déclarée illicite constitue une question matérielle relevant du droit communautaire, il n’en resterait pas moins que ce dernier aurait à l’époque, en cas de silence de la décision finale, renvoyé au droit national.

79      Scott estime que, eu égard à l’état du droit, tel qu’il ressort, notamment, du point 88 de l’arrêt Siemens/Commission, précité, et de la pratique à l’époque concernée, la décision litigieuse ne peut pas être raisonnablement interprétée comme ayant ordonné aux autorités françaises de passer outre les règles fixées par le droit national et d’effectuer un calcul d’intérêt composé pour actualiser le montant à récupérer entre la date de ladite décision et la date de la récupération effective.

 Appréciation de la Cour

80      L’article 2, paragraphe 2, première et deuxième phrases, de la décision litigieuse dispose:

«La récupération [de l’aide en question] a lieu sans délai conformément aux procédures du droit national, pour autant qu’elles permettent l’exécution immédiate et effective de la présente décision. L’aide à récupérer inclut des intérêts à partir de la date à laquelle elle a été mise à la disposition du bénéficiaire, jusqu’à la date de sa récupération.»

81      Cette formulation doit être lue en tenant compte de l’état du droit communautaire ainsi que de la pratique de la Commission relatifs à l’actualisation d’un montant d’aide à récupérer tels qu’ils se présentaient à la date de l’adoption de la décision litigieuse.

82      Ainsi qu’il a été constaté au point 46 du présent arrêt, à l’époque de l’adoption de la décision litigieuse, aucune disposition de droit communautaire ni la jurisprudence de la Cour ou du Tribunal ne précisaient si les intérêts qu’une aide à récupérer doit comprendre sont à calculer sur une base simple ou composée.

83      S’il est vrai que la méthode de l’actualisation d’une aide illégale constitue une question matérielle et non procédurale, il y a toutefois lieu de constater que, ainsi que l’observe à juste titre le département du Loiret, la Commission indiquait dans sa lettre aux États membres SG(91) D/4577, du 4 mars 1991, que la décision finale par laquelle elle constate l’incompatibilité d’une aide avec le marché commun «comportera la récupération du montant des aides déjà versées illégalement, récupération à effectuer suivant les dispositions du droit national, y compris celles concernant les intérêts de retard sur les créances de l’État, intérêts devant commencer normalement à courir à partir de la date de l’octroi des aides illégales en cause».

84      Cette lettre rattachait donc la question de l’imposition d’intérêts aux modalités procédurales de la récupération et renvoyait, à cet égard, au droit national. Ce n’est que par la communication de la Commission concernant le caractère obsolète de certains textes relatifs à la politique en matière d’aides d’État (JO 2004, C 115, p. 1) que la Commission a informé les États membres et les tiers intéressés qu’elle n’entendait plus appliquer ladite lettre, qu’elle qualifiait, par ailleurs, comme les autres textes visés par cette communication, de «texte concernant des questions de procédure dans le domaine des aides d’État».

85      Étant donné que la décision litigieuse n’indique pas expressément que l’aide à récupérer doit être actualisée sur la base d’un taux d’intérêt composé et qu’il n’est, par ailleurs, pas contesté que le droit français prévoit l’application d’un taux d’intérêt simple, le Tribunal a dès lors, à juste titre, interprété l’article 2, paragraphe 2, de la décision litigieuse en ce sens que cette disposition a pour conséquence que les intérêts afférant à la période allant de la date de la décision litigieuse à celle de la récupération de l’aide seront calculés à un taux simple et constaté que, de ce fait, la décision litigieuse est entachée d’une incohérence évidente.

86      Il convient, par conséquent, de rejeter également le septième moyen.

 Sur le huitième moyen

 Argumentation des parties

87      La Commission fait valoir que l’arrêt attaqué est disproportionné en ce qu’il annule la décision litigieuse dans son intégralité (dans la mesure où elle concerne le terrain et l’usine) sur la base de conclusions limitées à la motivation de l’utilisation d’un taux d’intérêt composé. Or, la question de l’intérêt aurait pu et dû être dissociée de la question du montant principal, et la question de l’intérêt composé aurait pu et dû être dissociée de la question de l’intérêt simple. En effet, le montant initial de l’aide tel que constaté dans la décision litigieuse et l’emploi d’un taux d’intérêt simple n’auraient pas été contestés dans l’arrêt attaqué.

88      Le huitième moyen ne modifierait pas l’objet du litige. Les moyens de pourvoi énumérés à l’article 58, paragraphe 1, seconde phrase, du statut de la Cour de justice se référeraient, par définition, à des questions pouvant surgir ou être mises en lumière dans un arrêt du Tribunal. Dans la présente affaire, l’arrêt attaqué violerait lui-même le droit communautaire.

89      Il serait profondément injuste et incompatible avec l’exigence d’une protection juridictionnelle effective qu’un arrêt (rendu contre la Commission dans la présente affaire) soit maintenu en dépit d’une erreur de droit, sans aucune possibilité de réexamen en pourvoi. Cette conclusion trouverait son fondement à l’article 113, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, qui rappellerait la règle fondamentale selon laquelle une demande d’annulation, en tout ou en partie, d’une décision du Tribunal, relève, par définition, des questions susceptibles de donner lieu à un pourvoi.

90      En outre, le huitième moyen serait lié non pas aux motifs d’annulation eux-mêmes tels que retenus par le Tribunal, mais bien plutôt à leurs conséquences. La Commission ne pense pas qu’il incombe au défendeur devant le Tribunal d’examiner spontanément, pour le compte d’un requérant ou du Tribunal, quelles pourraient être les conséquences variées d’un succès de la partie adverse. Cela obligerait le défendeur à développer toute une argumentation subsidiaire fondée sur des suppositions à propos de ce que le Tribunal pourrait faire ou ne pas faire.

91      Le département du Loiret et Scott estiment que ce moyen est irrecevable, puisqu’il élargit l’objet du litige et constitue une conclusion nouvelle, la Commission n’ayant à aucun moment demandé au Tribunal de se borner à prononcer une annulation partielle, bien que la critique de la méthode d’actualisation ait été explicitement soulevée.

92      Par ailleurs, la dissociation entre les intérêts simples et composés que la Cour serait priée de bien vouloir prendre en considération dans le cadre de ce moyen afin de réformer l’arrêt attaqué aboutirait à une modification substantielle de la décision litigieuse elle-même, bien que le Tribunal, en matière d’aides d’État, ne disposerait pas d’une compétence de pleine juridiction. La technique de calcul des intérêts constituerait une composante formant partie intégrante du calcul conduisant au montant final de l’aide et la motivation de son choix serait tout aussi importante que celle du constat de l’illégalité d’une aide et du calcul de son montant avant actualisation. Leur indissociabilité finale interdirait d’aboutir à une annulation partielle.

 Appréciation de la Cour

–       Sur la recevabilité du huitième moyen

93      Selon l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, le pourvoi devant la Cour est limité aux questions de droit et peut être fondé sur des moyens tirés, notamment, de la violation du droit communautaire par le Tribunal.

94      Par ailleurs, l’article 113, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour prévoit que le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal.

95      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la compétence de la Cour est, en principe, limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant les premiers juges (arrêts du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C‑136/92 P, Rec. p. I‑1981, point 59, ainsi que du 1er février 2007, Sison/Conseil, C‑266/05 P, Rec. p. I‑1233, point 95).

96      Par ce moyen, la Commission ne vise pas à contester la solution légale en tant que telle apportée par le Tribunal à un moyen débattu devant lui. Elle critique plutôt les conséquences tirées par le Tribunal de sa conclusion qu’il y a lieu d’accueillir la cinquième branche du second moyen invoqué par le département du Loiret, selon laquelle la Commission n’a pas suffisamment motivé sa décision d’actualiser la valeur de l’aide en imposant des intérêts composés. En effet, selon la Commission, c’est à tort, car en méconnaissance du principe de proportionnalité, que le Tribunal a, sur la base de cette seule conclusion, annulé la décision litigieuse intégralement, dans la mesure où elle concerne l’aide accordée sous la forme de prix préférentiel du terrain en question.

97      Or, si la Cour est compétente pour apprécier la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant le Tribunal, elle doit, sous peine de priver la procédure de pourvoi d’une partie importante de son sens, aussi être compétente pour apprécier les conséquences légales tirées par le Tribunal d’une telle solution, lesquelles constituent également une question de droit.

98      Dans ce contexte, il y a lieu, par ailleurs, de relever que les conséquences concrètes que le Tribunal puisse, le cas échéant, tirer dans son arrêt de sa constatation qu’un moyen est fondé ne peuvent pas nécessairement être anticipées par les parties pendant la procédure devant le Tribunal.

99      Il résulte de ce qui précède qu’un moyen soulevé, dans le cadre d’un pourvoi, à l’encontre d’une conséquence légale tirée par le Tribunal de la solution légale qu’il a apporté à un moyen débattu devant lui ne saurait être considéré comme «[modifiant] l’objet du litige devant le Tribunal» au sens de l’article 113, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour.

100    En outre, contrairement à ce que font valoir le département du Loiret et Scott, le huitième moyen ne constitue pas non plus une conclusion nouvelle, irrecevable au titre de l’article 113, paragraphe 1, second tiret, dudit règlement de procédure.

101    En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 93 de ses conclusions, il convient de considérer que la demande de la Commission devant le Tribunal de rejeter le recours du département du Loiret comprend également la demande plus étroite d’un éventuel rejet seulement partiel.

102    Par conséquent, l’exception d’irrecevabilité opposée par le département du Loiret et Scott au huitième moyen doit être rejetée.

–       Sur le bien-fondé du huitième moyen

103    En vertu des articles 231, premier alinéa, CE et 224, sixième alinéa, CE, si le recours est fondé, le Tribunal déclare nul et non avenu l’acte contesté.

104    À cet égard, il convient, d’une part, de constater que le seul fait qu’il considère fondé un moyen invoqué par la partie requérante au soutien de son recours en annulation ne permet pas au Tribunal d’annuler automatiquement l’acte attaqué dans son intégralité. En effet, une annulation intégrale ne saurait être retenue lorsqu’il apparaît de toute évidence que ledit moyen, visant uniquement un aspect spécifique de l’acte contesté, n’est susceptible d’asseoir qu’une annulation partielle.

105    D’autre part, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’annulation partielle d’un acte communautaire n’est possible que pour autant que les éléments dont l’annulation est demandée soient détachables du reste de l’acte (arrêt du 24 mai 2005, France/Parlement et Conseil, C‑244/03, Rec. p. I-4021, point 12 ainsi que jurisprudence citée).

106    Il n’est pas satisfait à cette exigence de séparabilité lorsque l’annulation partielle d’un acte aurait pour effet de modifier la substance de celui-ci (arrêt France/Parlement et Conseil, précité, point 13).

107    Or, en l’occurrence, il est incontestable que la question de savoir si le montant initial de l’aide doit être actualisé par application d’un taux d’intérêt simple ou par un taux d’intérêt composé n’influe pas sur la constatation, dans la décision litigieuse, que l’aide est incompatible avec le marché commun et qu’elle doit être récupérée.

108    À cet égard, il convient, notamment, de constater que le dispositif de la décision litigieuse distingue lui-même, à l’article 1er de celle-ci, entre le montant initial de l’aide en question et le montant actualisé. Il ne ressort ni de la décision litigieuse ni de l’arrêt attaqué un argument qui s’opposerait à considérer la question des intérêts comme séparable du montant initial de l’aide.

109    En revanche, contrairement à ce que fait valoir la Commission, il ne saurait être reproché au Tribunal de ne pas avoir dissocié la question de l’intérêt composé de celle de l’intérêt simple. En effet, d’une part, le Tribunal n’aurait pas pu remplacer l’actualisation du montant initial d’aide par application d’un taux d’intérêt composé par l’application d’un taux d’intérêt simple sans modifier la substance de la décision litigieuse. D’autre part, il y a lieu de relever que, aux points 45 à 47 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que la motivation de la décision litigieuse est également insuffisante en ce qui concerne l’utilisation du taux d’intérêt de 5,7 % pour une période de treize ans.

110    Il résulte de ce qui précède que le huitième moyen doit être accueilli en ce qu’il reproche au Tribunal de ne pas avoir dissocié entre la question de l’intérêt et celle du montant du principal et d’avoir annulé la décision litigieuse dans son intégralité, dans la mesure où elle concerne le terrain et l’usine, sur la base de conclusions limitées à la motivation de l’actualisation du montant initial de l’aide.

 Sur le renvoi de l’affaire devant le Tribunal

111    En vertu de l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

112    Étant donné que le Tribunal a uniquement examiné la cinquième branche du second moyen invoqué par le département du Loiret au soutien de son recours, la Cour considère que le présent litige n’est pas en état d’être jugé. Dès lors, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant le Tribunal.

113    L’affaire devant être renvoyée devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens afférents à la présente procédure de pourvoi.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1)      L’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 29 mars 2007, Département du Loiret/Commission (T-369/00), est annulé.

2)      L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes.

3)      Les dépens sont réservés.

Signatures


* Langue de procédure: le français.