Language of document : ECLI:EU:T:2013:571

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

5 novembre 2013 (*)

« Dumping – Importations de certaines feuilles d’aluminium originaires d’Arménie, du Brésil et de Chine – Accession de l’Arménie à l’OMC – Statut d’entreprise évoluant en économie de marché – Article 2, paragraphe 7, du règlement (CE) no 384/96 – Compatibilité avec l’accord antidumping – Article 277 TFUE »

Dans l’affaire T‑512/09,

Rusal Armenal ZAO, établie à Erevan (Arménie), représentée par Me B. Evtimov, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté initialement par M. J.‑P. Hix, en qualité d’agent, assisté de Mes G. Berrisch et G. Wolf, avocats, puis par MM. Hix et B. Driessen, en qualité d’agent, assistés de Me Berrisch, et enfin par MM. Hix et Driessen,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par MM. M. França et C. Clyne, en qualité d’agents,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation du règlement (CE) no 925/2009 du Conseil, du 24 septembre 2009, instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires de l’Arménie, du Brésil et de la République populaire de Chine (JO L 262, p. 1),

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie),

composé de MM. N. J. Forwood (rapporteur), président, F. Dehousse, Mme I. Wiszniewska-Białecka, MM. M. Prek et J. Schwarcz, juges,

greffier : M. N. Rosner, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 octobre 2012,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Rusal Armenal ZAO, est une société productrice et exportatrice de produits d’aluminium établie en 2000 en Arménie. Le 5 février 2003, la République d’Arménie a accédé à l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC) (JO 1994, L 336, p. 3).

2        À la suite d’une plainte déposée le 28 mai 2008, la Commission européenne a ouvert une procédure antidumping concernant les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires d’Arménie, du Brésil et de Chine. L’avis d’ouverture de cette procédure a été publié au Journal officiel de l’Union européenne du 12 juillet 2008 (JO C 177, p. 13).

3        Par lettres des 25 juillet et 1er septembre 2008, la requérante a contesté notamment l’applicabilité en l’espèce de l’article 2, paragraphe 7, du règlement (CE) no 384/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1), tel que modifié (ci-après le « règlement de base ») [remplacé par le règlement (CE) no 1225/2009 du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO L 343, p. 51, rectificatif au JO 2010, L 7, p. 22)], compte tenu, premièrement, de l’accession de la République d’Arménie à l’OMC depuis 2003, deuxièmement, du fait que les conditions d’application de la deuxième disposition additionnelle au paragraphe 1 de l’article VI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (GATT) n’étaient pas réunies et, troisièmement, que les instruments d’accession de la République d’Arménie à l’OMC ne prévoient pas de possibilité de déroger aux règles de l’accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (JO L 336, p. 103, ci-après l’« accord antidumping »). En outre, dans le cadre de l’analyse relative à la sous-cotation des prix ou à la sous-cotation des prix de référence, la requérante a fait état des déficiences liées à ses produits, question sur laquelle elle a fourni des informations supplémentaires dans une lettre en date du 7 octobre 2008.

4        Par ailleurs, la requérante a demandé que lui soit accordé le statut d’entreprise évoluant en économie de marché ou, à défaut, un traitement individuel (ci-après la « demande SEM/TI »). À cet égard, par lettre du 19 décembre 2008, la Commission a communiqué à la requérante les considérations sur la base desquelles elle concluait que les critères relatifs à la comptabilité et aux coûts de production mentionnés à l’article 2, paragraphe 7, sous c), deuxième et troisième tirets, du règlement de base [devenu article 2, paragraphe 7, sous c), deuxième et troisième tirets, du règlement no 1225/2009] n’étaient pas réunis. Par lettre du 5 janvier 2009, la requérante a réitéré ses griefs à l’encontre de l’application de l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base pour l’Arménie et a contesté les appréciations de la Commission relatives aux critères que cette dernière a considéré non réunis. Par lettre du 19 janvier 2009, la Commission a répondu à cette dernière lettre en fournissant notamment des explications supplémentaires relatives au statut de l’Arménie en tant qu’économie de marché. Par lettre du 13 mars 2009, la requérante a soumis à la Commission des éléments additionnels relatifs à sa demande SEM/TI.

 Règlement provisoire et règlement attaqué

5        Le 7 avril 2009, la Commission a adopté le règlement (CE) no 287/2009 instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires de l’Arménie, du Brésil et de la République populaire de Chine (JO L 94, p. 17, ci-après le « règlement provisoire »). Par lettre du 8 avril 2009, la Commission a communiqué à la requérante, en application de l’article 14, paragraphe 2, et de l’article 20, paragraphe 1, du règlement de base (devenus article 14, paragraphe 2, et article 20, paragraphe 1, du règlement no 1225/2009), le règlement provisoire ainsi que les considérations relatives au calcul de la marge de dumping et de préjudice au regard de la requérante.

6        La Turquie a été désignée en tant que pays analogue aux fins du calcul d’une valeur normale pour les producteurs-exportateurs qui ne se verraient pas accorder le statut d’entreprise évoluant en économie de marché. Un producteur turc du produit similaire a répondu au questionnaire envoyé par la Commission (considérants 10, 12 et 52 du règlement provisoire).

7        Selon le considérant 13 du règlement provisoire, l’enquête relative au dumping et au préjudice a couvert la période comprise entre le 1er juillet 2007 et le 30 juin 2008. L’examen des tendances utiles à l’appréciation du préjudice a porté sur la période allant du 1er janvier 2005 au 30 juin 2008.

8        Selon le considérant 19 du règlement provisoire, le produit concerné consiste en des feuilles d’aluminium d’une épaisseur non inférieure à 0,008 mm, ni supérieure à 0,018 mm, sans support, simplement laminées, présentées en rouleaux d’une largeur ne dépassant pas 650 mm et d’un poids supérieur à 10 kg, originaires d’Arménie, du Brésil et de Chine, relevant du code NC ex 7607 11 19. S’agissant du produit similaire, le considérant 20 du règlement provisoire dispose que les feuilles d’aluminium produites et vendues par l’industrie communautaire dans la Communauté, les feuilles d’aluminium produites et vendues sur les marchés intérieurs d’Arménie, du Brésil et de Chine et les feuilles d’aluminium importées dans la Communauté en provenance de ces pays ainsi que celles produites et vendues en Turquie présentent essentiellement les mêmes caractéristiques physiques et techniques de base et sont destinées aux mêmes utilisations finales de base.

9        S’agissant de l’octroi du statut d’entreprise évoluant en économie de marché, la Commission a conclu, tout d’abord, que l’Arménie ne pouvait être considérée comme étant une économie de marché, dès lors qu’elle est mentionnée dans la note en bas de page insérée à l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base [devenu article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement no 1225/2009]. Ensuite, la Commission a exposé que la requérante ne répondait pas aux critères relatifs à la comptabilité et aux coûts de production mentionnés à l’article 2, paragraphe 7, sous c), deuxième et troisième tirets, du règlement de base. À cet égard, premièrement, la comptabilité de la requérante relative à l’exercice 2006 était assortie d’un avis défavorable de l’auditeur, alors que cette dernière n’aurait pas communiqué de comptabilité dûment vérifiée pour l’exercice 2007. Deuxièmement, le prix payé à l’État arménien pour l’acquisition des actions de l’entreprise exploitant l’ancien site de production correspondrait approximativement au tiers de leur valeur nominale, la requérante ayant par ailleurs obtenu la jouissance de biens immobiliers gratuitement (considérants 24, 25 et 27 à 31 du règlement provisoire).

10      En ce qui concerne le calcul de la marge de dumping, la Commission a exposé, en annexe à sa lettre du 8 avril 2009 (voir point 5 ci-dessus), que la requérante remplissait les conditions pour obtenir un traitement individuel. En outre, la comparaison des valeurs normales moyennes pondérées de chaque type de produit concerné exporté à la Communauté et provenant du producteur turc ayant répondu au questionnaire s’y rapportant avec les prix à l’exportation moyens pondérés correspondants de la requérante avait donné lieu à une marge de dumping de 37 %. Ces éléments sont repris aux considérants 42, 74 et 77 du règlement provisoire.

11      Dès lors que la Commission a estimé que les conditions relatives au préjudice, au lien de causalité et à l’intérêt de l’Union étaient remplies, cette institution a procédé à l’imposition d’un droit antidumping provisoire au niveau de l’élimination du préjudice en tenant compte d’un prix non préjudiciable que devrait obtenir l’industrie communautaire. Ainsi, le droit antidumping provisoire a été établi à 20 % pour les produits fabriqués par la requérante (considérants 91 à 94, 119 à 138 et 164 à 170 du règlement provisoire).

12      Par lettre du 15 juillet 2009, la Commission a transmis à la requérante, en application de l’article 20, paragraphes 2 à 4, du règlement de base (devenu article 20, paragraphes 2 à 4, du règlement no 1225/2009), un document d’information finale sur les faits et considérations essentiels fondant la proposition d’imposition de droits antidumping définitifs. La Commission a invité la requérante à lui transmettre ses commentaires sur le document d’information finale pour le 30 juillet 2009.

13      Par lettre du 22 juillet 2009, la requérante a soumis ses observations sur le document d’information finale et a proposé un engagement au sens de l’article 8, paragraphe 1, du règlement de base (devenu article 8, paragraphe 1, du règlement no 1225/2009).

14      Le 24 septembre 2009, le Conseil de l’Union européenne a adopté le règlement (CE) no 925/2009, instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires de l’Arménie, du Brésil et de la République populaire de Chine (JO L 262, p. 1, ci-après le « règlement attaqué »).

15      S’agissant de la demande SEM/TI de la requérante, le Conseil a confirmé, aux considérants 18 à 26 et 32 du règlement attaqué, les appréciations du règlement provisoire relatives au statut de l’Arménie, aux critères que la Commission a estimé non réunis par la requérante ainsi qu’à l’octroi d’un traitement individuel à celle-ci (voir points 9 et 10 ci-dessus). Dans ces conditions, la marge de dumping de la requérante a été établie à 33,4 % (point 4.4 du règlement attaqué). Le Conseil a confirmé par ailleurs, aux considérants 55 et 56 du règlement attaqué, les appréciations contenues dans le règlement provisoire relatives à l’évaluation cumulative des effets des importations concernées. Enfin, le Conseil a également confirmé les appréciations contenues dans le règlement provisoire relatives au préjudice et à l’intérêt de la Communauté et a établi le niveau d’élimination du préjudice occasionné par les importations des produits de la requérante à 13,4 %.

16      Dans ces conditions, le Conseil a imposé, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, du règlement attaqué, un droit antidumping définitif de 13,4 % aux importations des produits de la requérante.

 Procédure et conclusions des parties

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 décembre 2009, la requérante a introduit le présent recours.

18      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 25 mars 2010, la Commission a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions du Conseil.

19      Par ordonnance du 4 mai 2010, le président de la septième chambre du Tribunal a admis la demande en intervention formulée par la Commission, qui a déposé son mémoire en intervention le 21 juin 2010. La requérante a déposé ses observations sur ce mémoire le 23 août 2010.

20      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la deuxième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée. Par décision du 16 mai 2012, le Tribunal a renvoyé l’affaire à la deuxième chambre élargie.

21      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la procédure orale.

22      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler le règlement attaqué dans la mesure où il la concerne ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

23      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

24      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

25      La requérante soulève cinq moyens, tirés :

–        de la violation de l’article 2, paragraphes 1 à 6, du règlement de base (devenu article 2, paragraphes 1 à 6, du règlement no 1225/2009) ainsi que des articles 2.1 et 2.2 de l’accord antidumping ;

–        de la violation de l’article 2, paragraphe 7, sous c), du règlement de base ;

–        de la violation de l’article 3, paragraphe 4, du règlement de base (devenu article 3, paragraphe 4, du règlement no 1225/2009) et d’un défaut de motivation ;

–        de la violation du principe d’égalité de traitement et d’une erreur manifeste d’appréciation ;

–        d’une violation du principe de bonne administration.

26      Dans le cadre du premier moyen, qu’il y a lieu d’examiner en premier lieu, la requérante soutient que l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base doit être déclaré inapplicable à son égard dans la mesure où cette disposition a constitué le fondement juridique à l’application de la méthodologie du pays tiers à économie de marché dans le règlement attaqué. En effet, l’application de cette méthodologie en vertu de l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base vis-à-vis de la requérante en l’espèce violerait les articles 2.1 et 2.2 de l’accord antidumping ainsi que l’article 2, paragraphes 1 à 6, du règlement de base. Dans ces conditions, l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base devrait être déclaré, dans sa partie pertinente en l’espèce, inapplicable en vertu de l’article 277 TFUE à l’égard de la requérante et, en conséquence, le règlement attaqué devrait être annulé.

27      À cet égard, la requérante fait valoir que, selon le système établi par l’accord antidumping en ce qui concerne la valeur normale, celle-ci est à calculer en vertu des articles 2.1 et 2.2 dudit accord à deux exceptions près. La première consiste en l’application, en vertu de l’article 2.7 de l’accord antidumping, de la deuxième disposition additionnelle au paragraphe 1 de l’article VI du GATT. La deuxième consiste en l’application d’instruments d’accession de certains pays à l’accord instituant l’OMC contenant des règles spéciales à cet égard.

28      Dès lors que la requérante, en tant qu’entreprise ayant son siège en Arménie, ne relèverait pas du champ d’application de la deuxième disposition additionnelle au paragraphe 1 de l’article VI du GATT et que, contrairement aux cas de la République populaire de Chine et de la République socialiste du Viêt Nam, les documents relatifs à l’accession de la République d’Arménie à l’accord instituant l’OMC ne prévoiraient pas de dérogations aux articles 2.1 et 2.2 de l’accord antidumping, ces dernières dispositions feraient obstacle, depuis ladite accession, à l’application, aux exportations de la requérante, de la méthode du pays tiers à économie de marché en vertu de l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base, que ce soit par référence à la note en bas de page sous a), de cette disposition, telle qu’elle a été insérée par le règlement (CE) nº 905/98 du Conseil, du 27 avril 1998, portant modification du règlement [de base] (JO L 128, p. 18), ou par le biais de n’importe quelle autre prévision de la même disposition. Les dispositions susvisées du GATT et de l’accord antidumping ne laisseraient pas de marge pour la création de catégories « intermédiaires » entre les pays à commerce d’État et les pays à économie de marché, la République d’Arménie n’ayant par ailleurs jamais consenti à un tel statut. Il en résulterait que les institutions ne sauraient établir la valeur normale à l’égard de la requérante en suivant la méthodologie du pays tiers à économie de marché, telle que cette méthodologie a été appliquée in fine, en l’espèce, en vertu de l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base. Dans ces conditions, les institutions auraient excédé le cadre légal établi par l’accord antidumping en combinaison avec les dispositions du droit primaire telles que l’article 216, paragraphe 2, TFUE et la jurisprudence relative à l’application du règlement de base à l’aune de l’accord antidumping. En conséquence, l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base devrait être déclaré inapplicable en l’espèce et le règlement attaqué devrait être annulé pour violation des articles 2.1 et 2.2 de l’accord antidumping et de l’article 2, paragraphes 1 à 6, du règlement de base. Un tel exercice ne compromettrait aucunement la position de l’Union européenne en tant que négociateur dans le cadre de l’OMC.

29      Le Conseil expose, tout d’abord, que l’inclusion de l’Arménie dans la note en bas de page insérée à l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base exclut l’application des paragraphes 1 à 6 de cette disposition aux exportations de la requérante. En outre, il ne serait pas possible de remédier à cette situation par le biais d’une interprétation conforme au GATT ou à l’accord antidumping. Cependant, il y aurait lieu de reconnaître, d’une part, que la jurisprudence se limiterait à l’utilisation des outils offerts par l’interprétation et, d’autre part, que le règlement de base n’a pas eu pour objet de mettre en œuvre une quelconque obligation d’appliquer les articles 2.1 et 2.2 de l’accord antidumping aux importations en provenance de l’Arménie. Le Conseil ajoute que l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base ne permet pas d’accorder le statut d’entreprise évoluant en économie de marché à une entreprise qui ne répond pas aux critères figurant sous c) dans cette disposition.

30      Soutenu par la Commission, le Conseil fait valoir que, en tout état de cause, ni le GATT ni l’accord antidumping n’imposent aux institutions de l’Union de traiter l’Arménie en tant qu’économie de marché pour les besoins des enquêtes en matière de dumping. En outre, le processus de transition vers une économie de marché est graduel et peut nécessiter des réformes et adaptations s’étalant sur une longue période. Par ailleurs, la République d’Arménie n’aurait ni négocié cette question lors de son accession à l’OMC, ni réclamé un tel traitement dans ses demandes de changement de statut dans le cadre de l’application du règlement de base. Enfin, le Conseil met en exergue les désavantages que pourrait engendrer pour la position de l’Union dans le cadre des négociations multilatérales la possibilité de remettre en cause la légalité de l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base à la lumière des règles de l’OMC. Dans ce contexte, le Conseil expose qu’il existe également d’autres membres de l’OMC qui ne traitent pas l’Arménie comme une économie de marché et que, contrairement à ce qui a été le cas pour la République populaire de Chine et la République socialiste du Viêt Nam, la République d’Arménie n’a pas négocié de date limite au-delà de laquelle les autres membres de l’OMC seraient obligés de la classer parmi les économies de marché.

 Observations liminaires

31      Ainsi que l’expose la requérante à plusieurs reprises dans ses écrits, le présent moyen soulève la question de savoir si l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base pouvait, en l’espèce, constituer valablement un fondement pour l’application de la méthodologie du pays tiers à économie de marché aux fins du calcul de la valeur normale des produits de la requérante visés par l’enquête antidumping en cause.

32      À cet égard, la requérante estime que, compte tenu des règles relatives au calcul de la valeur normale faisant partie de l’accord antidumping et des règles du GATT auxquelles ce dernier accord renvoie, l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base doit être déclaré inapplicable en vertu de l’article 277 TFUE dans la mesure où les institutions ont pris appui sur cet article, en l’espèce, afin d’appliquer la méthodologie du pays tiers à économie de marché.

33      Afin d’analyser le bien-fondé des arguments que la requérante fait valoir dans le cadre de ce moyen, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, l’application que les institutions ont faite de l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base en l’espèce.

34      À cet égard, il ressort des considérants 22 à 25 du règlement provisoire et 19 et 20 du règlement attaqué ainsi que de la première page de la lettre de la Commission du 19 janvier 2009 (voir point 4 ci-dessus) que les institutions ont pris appui sur l’inclusion de l’Arménie dans la liste de pays figurant dans la note en bas de page insérée à l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base. Les institutions ont ensuite considéré que, puisque la République d’Arménie était par ailleurs membre de l’OMC à la date de l’ouverture de l’enquête, l’article 2, paragraphe 7, sous b), du règlement de base était applicable, de sorte que la requérante ne pourrait se prévaloir des paragraphes 1 à 6 de l’article 2 du même règlement que si la Commission accueillait une demande de sa part d’octroi du statut d’entreprise évoluant en économie de marché. À cet égard, il ressort des considérants 27 à 31 et 43 à 52 du règlement provisoire ainsi que des considérants 21 à 26 et 35 du règlement attaqué que la demande d’octroi du statut d’entreprise évoluant en économie de marché a été rejetée. Il ressort par ailleurs des mêmes considérants que, en application de la dernière phrase de l’article 2, paragraphe 7, sous b), du règlement de base, la valeur normale a été finalement établie par référence aux données provenant de la Turquie, qui a été considérée comme un pays tiers analogue à économie de marché, en vertu de l’article 2, paragraphe 7, sous a), du même règlement.

35      Dans ce contexte, il incombe au Tribunal d’examiner si et dans quelles conditions les institutions peuvent considérer qu’un pays membre de l’OMC constitue un pays dépourvu d’une économie de marché et appliquer, en conséquence, une méthodologie de calcul de la valeur normale telle que celle décrite au point précédent. Cet examen nécessite un rappel de la position de l’accord antidumping dans l’ordre juridique de l’Union ainsi qu’une interprétation dudit accord en sa partie relative aux possibilités que ladite partie accorde aux membres de l’OMC pour déroger aux règles établies aux articles 2.1 et 2.2 de celui-ci.

36      S’agissant de la position de l’accord antidumping dans l’ordre juridique de l’Union, il y a lieu de rappeler d’emblée que, compte tenu de leur nature et de leur économie, l’accord instituant l’OMC et les accords et mémorandums figurant dans ses annexes ne figurent pas, en principe, parmi les normes au regard desquelles le juge de l’Union contrôle la légalité des actes des institutions communautaires en vertu de l’article 263, premier alinéa, TFUE. Toutefois, dans l’hypothèse où la Communauté a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC, ou dans l’occurrence où l’acte communautaire renvoie expressément à des dispositions précises des accords et des mémorandums figurant dans les annexes de l’accord instituant l’OMC, il appartient au juge de l’Union de contrôler la légalité de l’acte communautaire en cause au regard des règles de l’OMC. À cet égard, il ressort du préambule du règlement de base, et plus précisément de son cinquième considérant, que ledit règlement a notamment pour objet de transposer dans le droit communautaire les règles nouvelles et détaillées contenues dans l’accord antidumping, au rang desquelles figurent, en particulier, celles relatives au calcul de la marge de dumping, et ce afin d’assurer une application appropriée et transparente desdites règles. Il est dès lors constant que la Communauté a adopté le règlement de base pour satisfaire à ses obligations internationales découlant de l’accord antidumping (voir arrêt de la Cour du 9 janvier 2003, Petrotub et Republica, C‑76/00 P, Rec. p. I‑79, points 53 à 56, et la jurisprudence citée), et ce en exécution de l’article 18, paragraphe 4, dudit accord (arrêt du Tribunal du 3 février 2005, Chiquita Brands e.a./Commission, T‑19/01, Rec. p. II‑315, point 160). En outre, par l’article 2 de ce règlement, intitulé « Détermination de l’existence d’un dumping », la Communauté a entendu donner exécution aux obligations particulières que comporte l’article 2 de cet accord, portant également sur la détermination de l’existence d’un dumping.

37      La requérante fait valoir, en substance, que l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base doit être déclaré inapplicable en vertu de l’article 277 TFUE dans la mesure où il a fondé, en l’espèce, l’application de la méthodologie du pays tiers à économie de marché de sorte à enfreindre les articles 2.1 et 2.2 de l’accord antidumping. En effet, cette méthodologie consiste en la construction de la valeur normale sur le fondement des données provenant d’entreprises situées dans un pays tiers, même lorsqu’il s’agit d’importations originaires de membres de l’OMC, tels que la République d’Arménie, qui ne répondent pas aux critères établis par la deuxième disposition additionnelle au paragraphe 1 de l’article VI du GATT.

 Système établi par l’accord antidumping et par la deuxième disposition additionnelle au paragraphe 1 de l’article VI du GATT

38      S’agissant de l’interprétation de l’accord antidumping, il y a lieu de constater que les arguments que le Conseil présente en défense, tirés, d’une part, de ce que ni le GATT ni l’accord antidumping ne créent d’obligation particulière de traiter l’Arménie en tant qu’économie de marché et, d’autre part, du processus de transition vers une économie de marché, qui s’inscrit d’ailleurs dans le prolongement de l’analyse effectuée par la Commission dans sa lettre du 19 janvier 2009 (voir point 4 ci-dessus), reposent sur une compréhension erronée des dispositions du GATT et de l’accord antidumping relatives au calcul de la valeur normale.

39      En particulier, tout d’abord, selon le paragraphe 1 de l’article VI du GATT, « un produit exporté d’un pays vers un autre doit être considéré comme étant introduit sur le territoire d’un pays importateur à un prix inférieur à sa valeur normale, si le prix de ce produit est : a) inférieur au prix comparable pratiqué au cours d’opérations commerciales normales pour un produit similaire, destiné à la consommation dans le pays exportateur ; b) ou, en l’absence d’un tel prix sur le marché intérieur de ce dernier pays, si le prix du produit exporté est i) inférieur au prix comparable le plus élevé pour l’exportation d’un produit similaire vers un pays tiers au cours d’opérations commerciales normales, ii) ou inférieur au coût de production de ce produit dans le pays d’origine, plus un supplément raisonnable pour les frais de vente et le bénéfice ».

40      Il ressort de cette disposition que la valeur normale consiste soit en le prix comparable pratiqué au cours d’opérations commerciales normales pour un produit similaire, destiné à la consommation dans le pays exportateur, soit au prix comparable le plus élevé pour l’exportation d’un produit similaire vers un pays tiers au cours d’opérations commerciales normales, soit au coût de production de ce produit dans le pays d’origine, plus un supplément raisonnable pour les frais de vente et le bénéfice.

41      Ces règles sont mises en œuvre, au niveau de l’OMC, par les articles 2.1 et 2.2 de l’accord antidumping, prévoyant des règles plus détaillées, mais restant toujours dans le cadre de ces trois possibilités énumérées de manière exhaustive à l’article VI du GATT.

42      Ensuite, selon l’article 2.7 de l’accord antidumping, l’application de l’article 2 de celui-ci est sans préjudice de la deuxième disposition additionnelle au paragraphe 1 de l’article VI du GATT. En vertu de cette dernière disposition, « [i]l est reconnu que, dans le cas d’importations en provenance d’un pays dont le commerce fait l’objet d’un monopole complet ou presque complet et où tous les prix intérieurs sont fixés par l’État, la détermination de la comparabilité des prix aux fins du paragraphe [1] peut présenter des difficultés spéciales et que, dans de tels cas, les parties contractantes importatrices peuvent estimer nécessaire de tenir compte de la possibilité qu’une comparaison exacte avec les prix intérieurs dudit pays ne soit pas toujours appropriée ».

43      Contrairement à ce qu’estiment les institutions, les articles 2.1 et 2.2 de l’accord antidumping, d’une part, et l’article 2.7 et la deuxième disposition additionnelle au paragraphe 1 de l’article VI du GATT, d’autre part, ne présentent pas deux cas extrêmes (pays à économie de marché contre monopole d’État au commerce) entre lesquels pourrait être envisagé tout un spectre de situations au regard desquelles l’accord antidumping laisserait aux membres de l’OMC la liberté d’établir les règles qu’elles estiment appropriées s’agissant du calcul de la valeur normale, telles que la construction de la valeur normale sur le fondement de données provenant d’entreprises situées dans un pays tiers, si le producteur visé ne parvient pas à démontrer que les conditions d’une économie de marché prévalent en ce qui concerne la fabrication et la vente du produit similaire de sa part.

44      En effet, l’accord antidumping établit, dans ses articles 2.1 et 2.2, des règles relatives au calcul de la valeur normale sans prévoir de quelque manière que ce soit que ces règles sont à appliquer en présence d’importations en provenance de pays « à économie de marché ». En particulier, comme l’a accepté le Conseil lors de l’audience, aucune référence n’est faite dans l’accord antidumping ou dans l’article VI du GATT à la notion d’« économie de marché » comme condition d’application des articles 2.1 et 2.2 du premier et de l’article VI du second.

45      En outre, les parties s’accordent sur le fait que les instruments d’accession de la République d’Arménie à l’OMC n’établissent aucune exception dispensant les membres de l’OMC de l’obligation d’appliquer des règles compatibles avec les articles 2.1 et 2.2 de l’accord antidumping lors du calcul de la valeur normale des produits originaires de ce pays.

46      La position du Conseil, selon laquelle l’inclusion dans les instruments d’accession à l’OMC de la République populaire de Chine et de la République socialiste du Viêt Nam d’exceptions aux articles 2.1 et 2.2 de l’accord antidumping assorties de dates limites d’application n’est que la manifestation d’une volonté de limiter dans le temps le droit des membres de l’OMC de ne pas appliquer, s’agissant du calcul de la valeur normale, des règles compatibles avec lesdits articles, ne correspond pas à la réalité des faits.

47      À cet égard, il importe de rappeler que la partie I, point 15, du protocole d’accession à l’OMC de la République populaire de Chine prévoit expressément la possibilité pour les autres membres de l’OMC de ne pas appliquer l’article 2 de l’accord antidumping lorsque le(s) producteur(s) concerné(s) ne démontrent pas qu’ils évoluent dans les conditions d’une économie de marché en ce qui concerne la fabrication, la production et la vente du produit similaire. Il en est de même de la partie I, point 3, du protocole d’accession à l’OMC de la République socialiste du Viêt Nam, qui, par renvoi aux points 527 et 255 du rapport du groupe de travail relatif à l’accession de ce pays, établit une exception identique. Il y a lieu de souligner que, contrairement à ce que font valoir le Conseil et la Commission, les exceptions en cause n’ont pas été sollicitées par les deux pays candidats à l’accession en échange de la stipulation d’un délai au-delà duquel elles seraient abrogées. En effet, ainsi qu’il ressort du point 150 du rapport du groupe de travail relatif à l’accession de la République populaire de Chine et du point 254 du rapport du groupe de travail relatif à l’accession de la République socialiste du Viêt Nam, ce sont les membres de l’OMC qui ont soulevé la question de la comparabilité des prix dans les pays candidats et ont obtenu les engagements susmentionnés de leur part, assortis d’une date limite à laquelle lesdits engagements expireraient. Or, si les articles 2.1 et 2.2 de l’accord antidumping et la deuxième disposition additionnelle au paragraphe 1 de l’article VI du GATT étaient à interpréter de la manière suggérée par les institutions, les exceptions créées, sous forme d’« engagements » de la part du pays accédant, en vertu des protocoles d’accession de la République populaire de Chine et de la République socialiste du Viêt Nam n’auraient aucune raison d’être, puisque le cadre juridique existant permettrait déjà ce que prévoient lesdites exceptions.

48      Force est donc de constater que les règles établies aux articles 2.1 et 2.2 de l’accord antidumping concernant la valeur normale, qui mettent en œuvre les prévisions du paragraphe 1 de l’article VI du GATT (voir points 39 et 40 ci-dessus) sont applicables sauf si des exceptions à ces règles sont prévues dans l’accord antidumping lui-même, dans le GATT, telle la deuxième disposition additionnelle au paragraphe 1 de l’article VI du GATT, ou dans les instruments d’accession à l’OMC d’un membre de cette organisation.

49      Par conséquent, un membre de l’OMC n’est, au regard de l’article VI du GATT et de l’accord antidumping, en droit d’appliquer à l’égard des importations en provenance d’un autre membre de l’OMC une méthode pour le calcul de la valeur normale qui s’écarte des méthodes prévues aux articles 2.1 et 2.2 de l’accord antidumping qu’en se fondant sur l’article 2.7 du même accord et, par conséquent, sur la deuxième disposition additionnelle au paragraphe 1 de l’article VI du GATT ou, le cas échéant, sur une prévision particulière à cet effet contenue dans les instruments d’accession de ce dernier membre à l’OMC.

50      Dans ces conditions, ne saurait être acceptée la position des institutions selon laquelle l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base leur permet, sans contrevenir à l’accord antidumping, de ne pas appliquer des règles de calcul de la valeur normale compatibles avec les articles 2.1 et 2.2 de cet accord même lorsque la deuxième disposition additionnelle au paragraphe 1 de l’article VI du GATT n’est pas d’application et lorsque les instruments d’accession à l’OMC du pays exportateur ne prévoient pas une telle possibilité. Il ressort également de l’analyse qui précède que l’argument des institutions selon lequel ni l’accord antidumping ni le GATT ne créent d’obligation particulière de traiter l’Arménie en tant qu’économie de marché est sans pertinence, dès lors que l’obligation découlant de ces accords consiste en l’application, vis-à-vis d’autres membres de l’OMC, tels que la République d’Arménie, de règles compatibles avec les articles 2.1 et 2.2 de l’accord antidumping sous les réserves exposées aux points 48 et 49 ci-dessus. À cet égard, il y a lieu de relever que lesdits articles comportent un ensemble de règles claires, précises et détaillées établissant les modalités de calcul de la valeur normale du produit similaire (voir point 36 ci-dessus) sans les assortir de conditions laissant leur application à la discrétion des membres de l’OMC. Par ailleurs, la possibilité de déroger à ces règles sur le fondement de la deuxième disposition additionnelle au paragraphe 1 de l’article VI du GATT, à laquelle renvoie l’article 2.7 de l’accord antidumping, est circonscrite avec précision. En particulier, relèvent du champ d’application de cette disposition les « pays dont le commerce fait l’objet d’un monopole complet ou presque complet et où tous les prix sont fixés par l’État ». Partant, cette règle de droit est claire quant au périmètre des situations qu’elle vise, de sorte à permettre tant à la Commission et au Conseil d’apprécier si un membre de l’OMC satisfait à la description s’y rapportant qu’au juge de l’Union de contrôler cette appréciation et de tirer, le cas échéant, les conséquences qui s’imposent en vertu de la jurisprudence exposée au point 36 ci-dessus.

51      Quant à l’affirmation du Conseil, faite à l’appui de son interprétation de l’accord antidumping, selon laquelle les États-Unis d’Amérique et le Canada ont considéré l’Arménie comme étant un pays dépourvu d’une économie de marché même après son adhésion à l’OMC, il suffit de relever que le Conseil n’a pas mis en doute les réfutations détaillées de la requérante, soutenues par des références à la législation pertinente de ces deux pays, si bien que, en tout état de cause, cette institution n’a pas démontré l’exactitude matérielle de son affirmation.

 Règles établies par le règlement de base et application au cas d’espèce

52      Dans un contexte tel que celui exposé aux points 39 à 50 ci-dessus, lorsque le législateur de l’Union adopte des dispositions relatives à des pays « dépourvus d’une économie de marché » applicables à un membre de l’OMC figurant sur une liste de tels pays, telle la liste figurant dans la note en bas de page sous l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base, cet exercice se situe dans le champ de la deuxième disposition additionnelle au paragraphe 1 de l’article VI du GATT et appelle, dès lors, une appréciation portant sur la question de savoir si ce membre de l’OMC remplit les conditions posées par la disposition en question.

53      Il y a par ailleurs lieu de rappeler que l’établissement d’une liste de pays considérés comme dépourvus d’une économie de marché a été introduit par l’article 1er du règlement (CEE) no 1681/79 du Conseil, du 1er août 1979, modifiant le règlement (CEE) no 459/68 relatif à la défense contre les pratiques de « dumping », primes ou subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 196, p. 1). Selon le sixième considérant du règlement no 1681/79, l’établissement de cette liste constitue une codification de la pratique développée jusqu’alors sous l’empire de l’article 3, paragraphe 6, du règlement (CEE) no 459/68 du Conseil, du 5 avril 1968, relatif à la défense contre les importations faisant l’objet de dumping, primes ou subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 93, p. 1). Or, cette dernière disposition reproduisait en substance la définition des pays dépourvus d’une économie de marché donnée par la deuxième disposition additionnelle au paragraphe 1 de l’article VI du GATT [voir, s’agissant de la pratique développée à cet égard sous le règlement no 459/68, le cinquième considérant du règlement (CEE) no 955/79 du Conseil, du 15 mai 1979, instituant un droit antidumping définitif sur un certain type d’herbicide originaire de Roumanie (JO L 121, p. 5)].

54      La pratique législative consistant à établir une liste de pays considérés comme étant dépourvus d’une économie de marché par renvoi à la liste de pays annexée aux règlements relatifs au régime commun applicable aux importations de pays à commerce d’État a été suivie avec constance par le Conseil, comme en témoignent l’article 2, paragraphe 5, du règlement (CEE) no 3017/79 du Conseil, du 20 décembre 1979, relatif à la défense contre les importations faisant l’objet de « dumping » ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 339 p. 1), l’article 2, paragraphe 5, du règlement (CEE) no 2176/84, du Conseil, du 23 juillet 1984, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 201, p. 1), l’article 2, paragraphe 5, du règlement (CEE) no 2423/88 du Conseil, du 11 juillet 1988, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping ou de subventions de la part de pays non membres de la Communauté économique européenne (JO L 209, p. 1), l’article 2, paragraphe 7, du règlement (CE) no 3283/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO L 349, p. 1), et l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base, dans sa version initiale.

55      En outre, selon les points 4 et 5 de la communication de la Commission [COM(97) 677final], du 12 décembre 1997, au Conseil et au Parlement européen ce sont les mêmes considérations liées à la fiabilité des prix au sein d’économies centralisées qui ont donné lieu tant à l’adoption par la Communauté des dispositions analogues à l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base qu’à l’adoption de la deuxième disposition additionnelle au paragraphe 1 de l’article VI du GATT.

56      Partant, si le fait d’établir une liste de pays considérés comme étant dépourvus d’une économie de marché, et au regard desquels la valeur normale serait à calculer suivant des méthodes autres que celles établies par les articles 2.1 et 2.2 de l’accord antidumping, n’enfreint pas en tant que tel ce dernier accord, le maintien dans cette liste d’un pays ayant entre-temps accédé à l’OMC doit reposer sur des considérations valables démontrant qu’il répond aux critères énoncés dans la deuxième disposition additionnelle au paragraphe 1 de l’article VI du GATT.

57      Toutefois, en l’espèce, ni le règlement attaqué ni l’argumentation du Conseil ne tendent à soutenir que l’Arménie répond aux critères énoncés dans la deuxième disposition additionnelle au paragraphe 1 de l’article VI du GATT.

58      En particulier, ainsi qu’il est exposé au point 34 ci-dessus, les institutions ont motivé l’application, au regard de la requérante, de la méthodologie du pays tiers à économie de marché prévue à l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base par la seule référence au fait que l’Arménie est mentionnée dans la note en bas de page insérée à ladite disposition, qui a été finalement appliquée en vertu de la dernière phrase figurant à l’article 2, paragraphe 7, sous b), du règlement de base, à la suite du rejet de la demande de la requérante d’octroi du statut d’entreprise évoluant en économie de marché. Il ressort par ailleurs de la lettre de la Commission du 19 janvier 2009 (voir point 4 ci-dessus) que cette institution a considéré que l’application de l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base était conforme en l’espèce à l’accord antidumping au motif que les articles 2.1 et 2.2 dudit accord, d’une part, et la deuxième disposition additionnelle au paragraphe 1 de l’article VI du GATT, d’autre part, présentaient deux cas extrêmes entre lesquels des scénarios variés pouvaient exister, tel le scénario d’un membre de l’OMC qui ne répond pas aux conditions de cette dernière disposition tout en pouvant être considéré comme dépourvu d’une économie de marché. Or, de par sa nature, l’argument selon lequel l’Arménie est une économie en transition située entre une économie de marché et un monopole étatique tel que décrit par la deuxième disposition additionnelle au paragraphe 1 de l’article VI du GATT repose sur la prémisse selon laquelle l’Arménie ne remplit pas les conditions d’application de cette disposition.

59       Force est donc de constater que, après l’accession de la République d’Arménie à l’OMC, l’inclusion de ce pays dans la liste figurant dans la note en bas de page insérée à l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base n’est plus compatible avec le système de règles qu’établissent les articles 2.1 et 2.2 de l’accord antidumping et la deuxième disposition additionnelle à l’article VI du GATT, dans la mesure où pareille inclusion a pour effet de faire dépendre l’application de l’article 2, paragraphes 1 à 6, du règlement de base de l’acceptation préalable d’une demande d’octroi du statut d’entreprise évoluant en économie de marché introduite par l’entreprise concernée et, en cas de rejet de ladite demande, entraîne l’application de la méthodologie du pays tiers à économie de marché.

60      Ainsi, comme le fait valoir la requérante, en l’absence de tout élément justifiant de considérer que l’Arménie répond aux critères établis par la deuxième disposition additionnelle au paragraphe 1 de l’article VI du GATT et compte tenu du fait que, selon les appréciations formulées par la Commission durant la procédure administrative, l’Arménie ne remplit pas les conditions de cette disposition (voir point 58 ci-dessus), la référence à l’Arménie dans la note en bas de page insérée à l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base ne constitue pas un fondement valide pour l’application, en l’espèce, de la méthodologie du pays tiers à économie de marché en vertu de l’article 2, paragraphe 7, sous a) et b), du même règlement et doit, dans cette mesure, être déclarée inapplicable en vertu de l’article 277 TFUE. Par conséquent, les institutions n’étaient pas en droit de faire dépendre l’application de l’article 2, paragraphes 1 à 6, du règlement de base de l’acceptation d’une demande d’octroi du statut d’entreprise évoluant en économie de marché que la requérante devait, selon elles, soumettre à cet effet en vertu de l’article 2, paragraphe 7, sous b), de ce même règlement ni d’appliquer, à la suite du rejet de ladite demande, la méthodologie du pays tiers à économie de marché.

61      Dans ces conditions, en prenant appui sur la référence à l’Arménie dans la note en bas de page insérée à l’article 2, paragraphe 7, sous a), du règlement de base et en appliquant, à la suite du rejet de la demande d’octroi du statut d’entreprise évoluant en économie de marché, introduite par la requérante en vertu de l’article 2, paragraphe 7, sous b), du même règlement, la méthodologie du pays tiers à économie de marché, le règlement attaqué a mis en œuvre une méthode de calcul de la valeur normale incompatible avec les articles 2.1 et 2.2 de l’accord antidumping et avec la deuxième disposition additionnelle au paragraphe 1 de l’article VI du GATT en enfreignant également l’article 2, paragraphes 1 à 6, du règlement de base.

62      Partant, il y a lieu de constater que le premier moyen est fondé et d’annuler le règlement attaqué sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens avancés à l’appui du recours.

 Sur les dépens

63      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

64      La Commission supportera ses propres dépens conformément à l’article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le règlement (CE) no 925/2009 du Conseil, du 24 septembre 2009, instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit provisoire institué sur les importations de certaines feuilles d’aluminium originaires de l’Arménie, du Brésil et de la République populaire de Chine est annulé en tant qu’il concerne Rusal Armenal ZAO.

2)      Le Conseil de l’Union européenne supportera les dépens de Rusal Armenal.

3)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Forwood

Dehousse

Wiszniewska-Białecka

Prek

 

       Schwarcz

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 novembre 2013.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.