Language of document : ECLI:EU:T:2015:43

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

22 janvier 2015 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de l’Iran dans le but d’empêcher la prolifération nucléaire – Gel des fonds – Erreur d’appréciation »

Dans l’affaire T‑176/12,

Bank Tejarat, établie à Téhéran (Iran), représentée par M. S. Zaiwalla, Mmes P. Reddy, F. Zaiwalla et Z. Burbeza, solicitors, M. D. Wyatt, QC, et M. R. Blakeley, barrister,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. M. Bishop et Mme S. Cook, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation partielle, avec effet immédiat, de la décision 2012/35/PESC du Conseil, du 23 janvier 2012, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 19, p. 22), du règlement d’exécution (UE) n° 54/2012 du Conseil, du 23 janvier 2012, mettant en œuvre le règlement (UE) n° 961/2010 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 19, p. 1), du règlement (UE) n° 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (UE) n° 961/2010 (JO L 88, p. 1), et du règlement d’exécution (UE) n° 709/2012 du Conseil, du 2 août 2012, mettant en œuvre le règlement n° 267/2012 (JO L 208, p. 2),

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. H. Kanninen, président, Mme I. Pelikánová (rapporteur) et M. E. Buttigieg, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 juin 2014,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, la Bank Tejarat, est une banque commerciale iranienne.

2        La présente affaire s’inscrit dans le cadre du régime de mesures restrictives instauré en vue de faire pression sur la République islamique d’Iran afin que cette dernière mette fin aux activités nucléaires présentant un risque de prolifération et à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires (ci‑après la « prolifération nucléaire »).

3        Le nom de la requérante a été inscrit sur la liste des entités concourant à la prolifération nucléaire iranienne qui figure à l’annexe II de la décision 2010/413/PESC du Conseil, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO L 195, p. 39), par la décision 2012/35/PESC du Conseil, du 23 janvier 2012, modifiant la décision 2010/413 (JO L 19, p. 22).

4        Par voie de conséquence, le nom de la requérante a été inscrit sur la liste de l’annexe VIII du règlement (UE) n° 961/2010 du Conseil, du 25 octobre 2010, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (CE) n° 423/2007 (JO L 281, p. 1), par le règlement d’exécution (UE) n° 54/2012 du Conseil, du 23 janvier 2012, mettant en œuvre le règlement n° 961/2010 (JO L 19, p. 1).

5        L’inscription du nom de la requérante sur la liste de l’annexe II de la décision 2010/413 et sur celle de l’annexe VIII du règlement n° 961/2010 a eu pour conséquence le gel des fonds et des ressources économiques de cette dernière.

6        Pour autant que la requérante est concernée, la décision 2012/35 et le règlement d’exécution n° 54/2012 sont motivés comme suit :

« La Bank Tejarat appartient à l’État iranien. Elle a directement facilité les efforts nucléaires de l’Iran. Ainsi, en 2011, elle a permis que des dizaines de millions de dollars circulent pour appuyer les tentatives déployées par l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, désignée par les Nations unies, pour se procurer du yellow cake (gâteau jaune). L’AEOI est la principale organisation iranienne de recherche et développement dans le domaine de la technologie nucléaire; elle gère les programmes de production de matière fissile.

La Bank Tejarat a également, par le passé, aidé des banques iraniennes désignées à contourner les sanctions internationales, par exemple dans des activités impliquant des sociétés écrans du Shahid Hemmat Industrial Group, désigné par les Nations unies.

Par l’intermédiaire des services financiers qu’elle a fournis ces dernières années à la Bank Mellat et à l’Export Development Bank of Iran (EDBI), désignées par l’UE, la Bank Tejarat a également soutenu les activités de filiales et de sous-unités du Corps des gardiens de la révolution islamique, de l’Organisation des industries de la défense désignée par les Nations unies et du MODAFL désigné par les Nations unies. »

7        Le règlement n° 961/2010 ayant été abrogé par le règlement (UE) n° 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 88, p. 1), le nom de la requérante a été inclus par le Conseil de l’Union européenne dans l’annexe IX de ce dernier règlement. Les motifs retenus à l’égard de la requérante ont été les mêmes que ceux figurant dans le règlement d’exécution n° 54/2012. Par conséquent, les fonds et les ressources économiques de la requérante sont gelés en vertu de l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 267/2012.

8        Par le règlement d’exécution (UE) n° 709/2012 du Conseil, du 2 août 2012, mettant en œuvre le règlement n° 267/2012 (JO L 208, p. 2), le Conseil a modifié la motivation visant la requérante figurant dans l’annexe IX du règlement n° 267/2012. La nouvelle motivation est formulée comme suit :

« La Bank Tejarat appartient pour partie à l’État iranien. Elle a directement facilité les efforts nucléaires de l’Iran. Ainsi, en 2011, elle a permis que des dizaines de millions de dollars circulent pour appuyer les tentatives déployées par l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, désignée par les Nations unies, pour se procurer du yellow cake (gâteau jaune). L’AEOI est la principale organisation iranienne de recherche et développement dans le domaine de la technologie nucléaire; elle gère les programmes de production de matière fissile.

La Bank Tejarat a également, par le passé, aidé des banques iraniennes désignées à contourner les sanctions internationales, par exemple dans des activités impliquant des sociétés écrans du Shahid Hemmat Industrial Group, désigné par les Nations unies. »

9        Par un rectificatif au règlement d’exécution n° 709/2012 (JO L 41, p. 14), du 12 février 2013, la motivation retenue à l’encontre de la requérante dans ledit règlement a été corrigée par l’ajout du paragraphe suivant :

« Par l’intermédiaire des services financiers qu’elle a fournis ces dernières années à la Bank Mellat et à l’Export Development Bank of Iran (EDBI), désignées par l’UE, la Bank Tejarat a également soutenu les activités de filiales et de sous-unités du Corps des gardiens de la révolution islamique (IRGC), de l’Organisation des industries de la défense désignée par les Nations unies et du MODAFL désigné par les Nations unies.»

 Procédure et conclusions des parties

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 avril 2012, la requérante a introduit le présent recours.

11      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 28 septembre 2012, la requérante a adapté ses chefs de conclusions à la suite de l’adoption du règlement d’exécution n° 709/2012.

12      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé, le 24 octobre 2013, d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal, a notamment invité le Conseil à préciser s’il disposait d’éléments supplémentaires étayant le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la requérante et à les lui communiquer, le cas échéant.

13      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 3 décembre 2013, Provincial Investment Companies Association, Saba Tamin Investment Company, Razavi Economic Organisation, Razavi International Capital Growth Plan Co., Omran Razavi International Co., Centre of Individual Shareholders, Sherkat Bazargani Tadarokat Karamad Pooya Abrisham, National Investment Company of Iran et Tadbirgarane Fardaye Omid ont demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de la requérante.

14      Par lettre du 5 décembre 2013, le Conseil a répondu à l’invitation du Tribunal du 24 octobre 2013. Il a indiqué que son dossier ne contenait pas d’éléments autres que la proposition d’adoption des mesures restrictives, communiquée auparavant à la requérante et annexée au mémoire en défense.

15      Par lettre du 24 février 2014, le Conseil a entendu présenter un complément à sa lettre du 5 décembre 2013. Il a indiqué, à cet égard, que le bien‑fondé des mesures restrictives visant la requérante était établi par les informations contenues dans la lettre que cette dernière lui avait adressée le 4 mars 2013.

16      Par lettre du 26 mars 2014, la requérante a présenté ses observations sur la lettre du Conseil du 24 février 2014. D’une part, elle a soutenu que cette dernière lettre était tardive et, partant, irrecevable. D’autre part, elle a exposé que sa lettre au Conseil du 4 mars 2013 n’établissait pas le bien‑fondé des mesures restrictives la visant, étant donné qu’elle n’y avait pas reconnu avoir apporté un appui à la prolifération nucléaire et que le contenu de la lettre ne corroborait pas les allégations retenues contre elle par le Conseil.

17      Par ordonnance du 5 mai 2014, le Tribunal (première chambre) a rejeté la demande d’intervention visée au point 13 ci‑dessus.

18       Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l’audience du 17 juin 2014.

19      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler, avec effet immédiat, d’une part, le point I B 2 de l’annexe I du règlement d’exécution n° 54/2012, le point I B 105 de l’annexe IX du règlement n° 267/2012 et le point 5 de l’annexe II du règlement d’exécution n° 709/2012 (ci-après, pris ensemble, les « règlements attaqués ») et, d’autre part, le point I B 2 de l’annexe I de la décision 2012/35 (ci-après, pris ensemble avec les règlements attaqués, les « actes attaqués »), pour autant que ces actes la concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

20      La requérante a, en outre, conclu dans la requête à ce qu’il plaise au Tribunal de déclarer que l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413 et l’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 267/2012 ne lui étaient pas applicables. Elle s’est, toutefois, désistée de ce chef de conclusions dans la réplique.

21      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

22      Le Conseil demande, en outre, que, dans l’hypothèse de l’annulation des actes attaqués, les effets de la décision 2012/35 soient maintenus jusqu’à la prise d’effet de l’annulation des règlements attaqués.

 En droit

23      Au soutien de ses chefs de conclusions, la requérante invoque trois moyens. Le premier moyen est tiré d’un défaut de base juridique et d’une erreur d’appréciation qu’aurait commise le Conseil en ayant adopté des mesures restrictives la visant. Le deuxième moyen est tiré d’une violation de ses droits et libertés fondamentaux et du principe de proportionnalité. Le troisième moyen est tiré d’une violation des exigences procédurales applicables.

24      La requérante présente, en outre, une série d’arguments au soutien de sa demande visant à ce que les actes attaqués soient annulés avec effet immédiat.

25      Le Conseil conteste le bien-fondé des moyens et arguments de la requérante.

 Sur le premier moyen, tiré d’un défaut de base juridique et d’une erreur d’appréciation qu’aurait commise le Conseil en ayant adopté des mesures restrictives visant la requérante

26      La requérante soutient que, en adoptant des mesures restrictives la visant, le Conseil a omis de se fonder sur une base juridique valable et a commis une erreur d’appréciation.

27      D’une part, la requérante précise que, contrairement à ce que le Conseil a allégué dans la décision 2012/35 et dans le règlement d’exécution n° 54/2012, elle n’est pas une banque appartenant à l’État iranien, la participation de ce dernier à son capital n’étant que minoritaire.

28      D’autre part, la requérante conteste le bien‑fondé des autres allégations retenues contre elle et constate que, nonobstant la charge de la preuve qui incombe au Conseil selon la jurisprudence, ce dernier n’a pas présenté d’éléments de preuve ou d’informations pour les étayer. Dans ces circonstances, elle estime que les allégations retenues par le Conseil ne justifient pas l’adoption des mesures restrictives la visant.

29      Le Conseil conteste le bien-fondé des arguments de la requérante. Il estime que, en ayant fourni les services financiers décrits dans la motivation des actes attaqués, la requérante a apporté un appui à la prolifération nucléaire et a aidé d’autres personnes et entités à enfreindre les mesures restrictives les visant ou à s’y soustraire. Par conséquent, la requérante remplirait des critères justifiant l’adoption des mesures restrictives à son égard.

30      Dans ce contexte, le Conseil soutient que, compte tenu de la nature clandestine des comportements liés à la prolifération nucléaire reprochés à la requérante, les informations et les éléments de preuve pertinents sont confidentiels, de sorte qu’ils ne peuvent pas être divulgués. Cela étant, les comportements en question auraient été décrits d’une manière suffisamment précise dans la motivation des actes attaqués.

31      De même, le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la requérante serait attesté par des éléments d’informations qu’elle a elle-même présentés et par des éléments qui ne sont pas contestés par elle.

32      À cet égard, d’une part, le Conseil soutient qu’il ressort de la lettre de la requérante du 4 mars 2013 que son conseil d’administration a adopté, le 29 juin 2010, une notice en vertu de laquelle la requérante ne devait pas réaliser des transactions avec des entités visées par des mesures restrictives et devait bloquer leurs comptes bancaires. Selon le Conseil, en évoquant ladite notice, la requérante a admis elle-même que, ne disposant pas de règles internes en la matière avant le 29 juin 2010, elle fournissait des services financiers à de telles entités jusqu’à cette date.

33      D’autre part, il ressortirait de l’annexe de la lettre de la requérante du 4 mars 2013 qu’elle détenait, au moment de l’adoption des mesures restrictives la visant, des comptes auprès de la filiale de la Bank Sepah à Rome (Italie) et auprès de l’Europäisch-Iranische Handelsbank à Hambourg (Allemagne). Or, ces banques ont elles-mêmes été visées par des mesures restrictives antérieurement, ce qui implique que la requérante était tenue de ne pas réaliser de transactions avec elles.

34      Le Conseil estime que, au vu du contexte général pertinent, et notamment du fait que la République islamique d’Iran a besoin des services financiers fournis par des banques telles que la requérante pour réaliser les activités liées à la prolifération nucléaire, les deux circonstances susmentionnées permettent de conclure, avec un degré de certitude suffisant, que la requérante a apporté un appui à la prolifération nucléaire, et ce d’autant plus que l’État iranien est un actionnaire de la requérante. Le Conseil estime, partant, que les mesures restrictives visant cette dernière sont justifiées.

35      Ainsi que la Cour l’a rappelé lors du contrôle de mesures restrictives, les juridictions de l’Union européenne doivent, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité FUE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, Rec, EU:C:2013:775, point 58 et jurisprudence citée).

36      Au rang de ces droits fondamentaux figure, notamment, le droit à une protection juridictionnelle effective (voir arrêt Conseil/Fulmen et Mahmoudian, point 35 supra, EU:C:2013:775, point 59 et jurisprudence citée).

37      L’effectivité du contrôle juridictionnel, garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, exige notamment que le juge de l’Union s’assure que l’acte en question, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ledit acte, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir ce même acte, sont étayés (voir, en ce sens, arrêt Conseil/Fulmen et Mahmoudian, point 35 supra, EU:C:2013:775, point 64 et jurisprudence citée).

38      À cette fin, il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (voir arrêt Conseil/Fulmen et Mahmoudian, point 35 supra, EU:C:2013:775, point 65 et jurisprudence citée).

39      C’est, en effet, à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (voir arrêt Conseil/Fulmen et Mahmoudian, point 35 supra, EU:C:2013:775, point 66 et jurisprudence citée).

40      En l’espèce, en réponse à l’invitation du Tribunal du 24 octobre 2013, le Conseil a répondu, dans un premier temps, par la lettre du 5 décembre 2013, que son dossier ne contenait pas d’éléments autres que la proposition d’adoption des mesures restrictives, communiquée auparavant à la requérante et annexée au mémoire en défense.

41      Par la suite, dans sa lettre du 24 février 2014 et lors de l’audience, le Conseil a invoqué les arguments tirés de la lettre de la requérante du 4 mars 2013, résumés aux points 31 à 34 ci‑dessus.

42      En premier lieu, il convient de relever que la proposition d’adoption des mesures restrictives annexée au mémoire en défense ne contient que les allégations qui ont été reprises dans la motivation des actes attaqués et n’étaye pas leur bien‑fondé par un quelconque élément supplémentaire. Partant, elle ne saurait, en tant que telle, justifier l’adoption des mesures restrictives visant la requérante.

43      En deuxième lieu, il y a lieu de rappeler que, selon l’article 46, paragraphe 1, du règlement de procédure, le mémoire en défense contient les offres de preuve.

44      En vertu de l’article 48, paragraphe 1, du même règlement :

« Les parties peuvent encore faire des offres de preuve à l’appui de leur argumentation dans la réplique et la duplique. Elles motivent le retard apporté à la présentation de leurs offres de preuve. »

45      Cet article autorise une proposition d’offres de preuve en dehors, notamment, de la situation visée à l’article 46, paragraphe 1, du règlement de procédure. Par analogie, le Tribunal admet que certaines offres de preuve soient déposées postérieurement à la duplique, si l’auteur de l’offre ne pouvait, avant la clôture de la procédure écrite, disposer des preuves en question ou si les productions tardives de son adversaire justifient que le dossier soit complété de façon à assurer le respect du principe du contradictoire (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2005, Gaki-Kakouri/Cour de justice, C‑243/04 P, EU:C:2005:238, point 32).

46      S’agissant d’une exception aux règles régissant le dépôt des offres de preuve, l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure impose aux parties de motiver le retard apporté à la présentation de leurs offres de preuve. Une telle obligation implique que soit reconnu au juge le pouvoir de contrôler le bien-fondé de la motivation du retard apporté à la production de ces offres de preuve et, selon le cas, le contenu de ces dernières ainsi que, si la demande n’est pas fondée à suffisance de droit, le pouvoir de les écarter. A fortiori en est-il de même en ce qui concerne les offres de preuve présentées postérieurement au dépôt de la duplique (arrêt Gaki-Kakouri/Cour de justice, point 45 supra, EU:C:2005:238, point 33)

47      En l’espèce, la lettre de la requérante du 4 mars 2013, qui a été présentée au Tribunal pour la première fois en annexe à la lettre du Conseil du 24 février 2014, est, certes, postérieure au dépôt de la duplique, intervenu le 15 novembre 2012.

48      Toutefois, elle a été notifiée au Conseil, au plus tard, le 11 mars 2013, c’est-à-dire plus de sept mois avant l’invitation du Tribunal du 24 octobre 2013.

49      Dans ces circonstances, le Conseil aurait pu présenter la lettre de la requérante du 4 mars 2013 en tant que preuve dans sa première réponse à l’invitation du Tribunal du 24 octobre 2013, déposée le 5 décembre 2013. Tel est d’autant plus le cas que ladite invitation visait spécifiquement des éléments supplémentaires étayant le bien‑fondé des motifs retenus à l’encontre de la requérante.

50      Interrogé sur ce point lors de l’audience, le Conseil n’a pas présenté de motifs particuliers justifiant le retard apporté à la présentation de la lettre de la requérante du 4 mars 2013, dès lors qu’il s’est borné à relever que les informations pertinentes qui y étaient contenues avaient échappé à l’époque à l’attention de ses agents.

51      Dans ces circonstances, en vertu de l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure, la lettre de la requérante du 4 mars 2013 ne peut pas être prise en considération par le Tribunal. Par voie de conséquence, le même constat est applicable aux arguments résumés aux points 31 à 34 ci‑dessus, fondés sur ladite lettre.

52      En troisième lieu, en tout état de cause, lesdits arguments n’établissent pas le bien‑fondé des mesures restrictives visant la requérante, dès lors qu’ils ne démontrent pas qu’elle a apporté un appui à la prolifération nucléaire ou aidé d’autres personnes et entités à enfreindre les mesures restrictives les visant ou à s’y soustraire.

53      Ainsi, la notice adoptée par le conseil d’administration de la requérante le 29 juin 2010 n’étaye pas les conclusions que le Conseil en tire. En effet, cette notice, rédigée en des termes généraux et prospectifs, interdit la réalisation des transactions avec des entités visées par des mesures restrictives et impose le blocage de leurs comptes. En revanche, contrairement à ce que prétend le Conseil, au vu du libellé de la notice et du contexte de son adoption, il ne saurait être considéré que la requérante a admis avoir apporté un appui à la prolifération nucléaire ou aidé d’autres personnes et entités à enfreindre les mesures restrictives les visant ou à s’y soustraire. En particulier, la notice ne permet pas de conclure que des services financiers aient été effectivement fournis par la requérante à des entités visées par des mesures restrictives, voire d’identifier, avec un quelconque degré de précision, les entités et services concernés.

54      De même, il ressort, certes, d’un tableau annexé à la lettre de la requérante du 4 mars 2013 qu’elle détient des comptes auprès de la filiale de la Bank Sepah à Rome et auprès de l’Europäisch-Iranische Handelsbank à Hambourg, ces dernières étant visées par des mesures restrictives.

55      Toutefois, le fait qu’une entité dispose de comptes auprès des banques visées par des mesures restrictives adoptées à l’encontre de l’Iran n’établit pas, à lui seul, qu’elle a apporté un appui à la prolifération nucléaire ou aidé d’autres personnes et entités à enfreindre les mesures restrictives les visant ou à s’y soustraire.

56      Or, en l’espèce, d’une part, le Conseil n’a pas présenté d’éléments suggérant que les comptes de la requérante auprès de la filiale de la Bank Sepah et auprès de l’Europäisch-Iranische Handelsbank étaient liés, de quelque manière que ce soit, à la prolifération nucléaire ou aux efforts ayant pour but d’enfreindre les mesures restrictives visant les deux banques ou des entités tierces ou de soustraire ces dernières auxdites mesures.

57      D’autre part, il y a lieu de relever que le fait pour la requérante d’ouvrir ou d’utiliser des comptes auprès de la Bank Sepah ou de l’Europäisch-Iranische Handelsbank après l’adoption des mesures restrictives visant ces dernières constituerait une infraction aux mêmes mesures. Toutefois, rien dans le tableau fourni par la requérante ne suggère que les comptes en question aient été ouverts ou utilisés après l’adoption des mesures restrictives visant les deux banques. Cette hypothèse est même hautement improbable, étant donné que l’adoption des mesures restrictives par le Conseil visant un établissement bancaire situé dans l’Union, tel que la filiale de la Bank Sepah et l’Europäisch-Iranische Handelsbank, restreint considérablement la possibilité pour cet établissement de réaliser des opérations bancaires, en ce compris l’ouverture des comptes et la réception des paiements de la part de tiers.

58      Partant, le fait que la requérante dispose de comptes auprès de la filiale de la Bank Sepah à Rome et auprès de l’Europäisch-Iranische Handelsbank à Hambourg n’établit pas qu’elle a apporté un appui à la prolifération nucléaire ou aidé d’autres personnes et entités à enfreindre les mesures restrictives les visant ou à s’y soustraire.

59      En quatrième lieu, il ressort du dossier que, depuis sa privatisation partielle en 2009, la requérante n’est plus détenue majoritairement par l’État iranien, la participation de ce dernier au capital de la requérante étant de 20,4 % au 5 mars 2013. Ainsi, en l’absence d’arguments concrets de la part du Conseil, la composition de l’actionnariat de la requérante ne permet pas non plus de considérer qu’elle a apporté un appui à la prolifération nucléaire ou aidé d’autres personnes et entités à enfreindre les mesures restrictives les visant ou à s’y soustraire.

60      Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que les allégations invoquées par le Conseil ne sont pas susceptibles de justifier les mesures restrictives visant la requérante.

61      Partant, il convient d’accueillir le premier moyen et d’annuler, par conséquent, le point I B 2 de l’annexe I de la décision 2012/35, le point I B 2 de l’annexe I du règlement d’exécution n° 54/2012, le point I B 105 de l’annexe IX du règlement n° 267/2012 et le point 5 de l’annexe II du règlement d’exécution n° 709/2012, pour autant que ces actes concernent la requérante, sans qu’il soit nécessaire d’examiner ses autres moyens.

 Sur les effets dans le temps de l’annulation des actes attaqués

62      La requérante demande que les actes attaqués soient annulés avec effet immédiat, nonobstant l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. Elle explique, à cet égard, que la décision du Conseil de l’inclure dans la liste des entités visées par des mesures restrictives, qui se rapproche des règlements antidumping instituant des droits sur les produits de producteurs nommément désignés, constitue une décision plutôt qu’un règlement, ce qui serait corroboré par le fait qu’elle doit faire l’objet d’une notification individuelle. Elle estime que sa position est corroborée par l’ordonnance du 19 juillet 2012, Akhras/Conseil [C‑110/12 P(R), EU:C:2012:507]. Par ailleurs, la finalité de l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour, à savoir éviter des effets perturbateurs potentiels liés au renversement subséquent de l’annulation des règles générales, ne serait pas applicable aux actes tels que les actes attaqués en l’espèce.

63      Le Conseil répond que, selon la jurisprudence, les actes par lesquels des mesures restrictives visant des personnes ou des entités déterminées sont adoptées ou maintenues ont une portée générale, ce qui implique qu’ils ont la nature d’un règlement et que l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour leur est applicable. Par ailleurs, il soutient que, dans l’hypothèse de l’annulation des actes attaqués, et afin de maintenir la cohérence entre ces derniers, il convient de maintenir les effets de la décision 2012/35 jusqu’à la prise d’effet de l’annulation des règlements attaqués.

64      À titre liminaire, il y a lieu de remarquer que le règlement d’exécution n° 54/2012, qui a modifié la liste de l’annexe VIII du règlement n° 961/2010, ne produit plus d’effets juridiques à la suite de l’abrogation de ce dernier règlement, opérée par le règlement n° 267/2012. Par conséquent, l’annulation du règlement d’exécution n° 54/2012 ne peut concerner que les effets que cet acte a produits entre la date de son entrée en vigueur et la date de son abrogation.

65      S’agissant du règlement n° 267/2012 et du règlement d’exécution n° 709/2012, il doit être rappelé que, en vertu de l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour, par dérogation à l’article 280 TFUE, les décisions du Tribunal annulant un règlement ne prennent effet qu’à compter de l’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, dudit statut ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, à compter du rejet de celui-ci.

66      Or, les actes arrêtant des mesures restrictives individuelles, tels que le règlement n° 267/2012 et le règlement d’exécution n° 709/2012, s’apparentent, à la fois, à des actes de portée générale, dans la mesure où ils interdisent à une catégorie de destinataires déterminés de manière générale et abstraite, notamment, de mettre des fonds et des ressources économiques à la disposition des personnes et des entités dont les noms figurent sur les listes contenues dans leurs annexes, et à un faisceau de décisions individuelles à l’égard de ces personnes et entités (voir, par analogie, arrêt du 23 avril 2013, Gbagbo/Conseil, C‑478/11 P à C‑482/11 P, Rec, EU:C:2013:258, point 56).

67      Dans ce contexte, la circonstance que les personnes et entités faisant l’objet des mesures restrictives qu’impose le règlement n° 267/2012 sont nommément désignées à l’annexe IX dudit règlement, telle que modifiée par le règlement d’exécution n° 709/2012, n’implique pas que ces actes n’auraient pas une portée générale au sens de l’article 288, deuxième alinéa, TFUE et qu’ils ne sauraient être qualifiés de règlement (voir, par analogie, arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, Rec, EU:C:2008:461, point 241).

68      En effet, l’interdiction de mettre des fonds et des ressources économiques à la disposition des personnes ou entités concernées s’adresse à quiconque est susceptible de détenir matériellement les fonds ou les ressources économiques en question (voir, par analogie, arrêt Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, point 67 supra, EU:C:2008:461, point 244).

69      En outre, le caractère réglementaire du règlement n° 267/2012, de son annexe IX et des actes qui la modifient, est corroboré par le fait que son article 51, second alinéa, prévoit qu’il est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre, ce qui correspond aux effets d’un règlement tels que prévus à l’article 288 TFUE (voir, par analogie, arrêt du 16 novembre 2011, Bank Melli Iran/Conseil, C‑548/09 P, Rec, EU:C:2011:735, point 45).

70      S’agissant des arguments de la requérante, la nature à la fois réglementaire et décisionnelle du règlement n° 267/2012 et du règlement d’exécution n° 709/2012 différencie ces actes des règlements antidumping. Par ailleurs, elle explique la circonstance selon laquelle l’inscription d’une personne ou entité dans l’annexe IX du règlement n° 267/2012 doit faire l’objet d’une communication individuelle.

71      En outre, il convient de relever que, au point 29 de l’ordonnance Akhras/Conseil, point 62 supra (EU:C:2012:507), le président de la Cour n’a pas examiné, de manière détaillée, l’applicabilité de l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour aux règlements imposant des mesures restrictives, dès lors qu’il s’est borné à constater que, si les arguments présentés sur ce point par le requérant dans l’affaire ayant donné lieu à ladite ordonnance n’apparaissaient pas « dénués de fondement », ils étaient, en revanche, inopérants.

72      Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour est applicable au règlement n° 267/2012 et au règlement d’exécution n° 709/2012, compte tenu de leur caractère réglementaire et nonobstant leur aspect décisionnel concomitant. Par conséquent, ces derniers actes ne peuvent pas être annulés avec effet immédiat.

73      Partant, le Conseil disposera d’un délai de deux mois, augmenté du délai de distance de dix jours, à compter de la notification de l’arrêt à intervenir, pour remédier aux violations constatées en adoptant, le cas échéant, de nouvelles mesures restrictives à l’égard de la requérante. En l’espèce, le risque d’une atteinte sérieuse et irréversible à l’efficacité des mesures restrictives qu’impose le règlement n° 267/2012 n’apparaît pas suffisamment élevé, compte tenu de l’importante incidence de ces mesures sur les droits et les libertés de la requérante, pour justifier le maintien des effets dudit règlement à l’égard de cette dernière pendant une période allant au-delà de celle prévue à l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour (voir, par analogie, arrêt du 16 septembre 2011, Kadio Morokro/Conseil, T‑316/11, EU:T:2011:484, point 38).

74      En dernier lieu, en ce qui concerne les effets dans le temps de l’annulation de la décision 2010/413, telle que modifiée par la décision 2012/35, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 264, second alinéa, TFUE, le Tribunal peut, s’il l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets de l’acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs. En l’espèce, l’existence d’une différence entre la date d’effet de l’annulation du règlement n° 267/2012 et du règlement d’exécution n° 709/2012 et celle de la décision 2010/413, telle que modifiée par la décision 2012/35, serait susceptible d’entraîner une atteinte sérieuse à la sécurité juridique, ces deux actes infligeant à la requérante des mesures identiques. Par conséquent, les effets de la décision 2010/413, telle que modifiée par la décision 2012/35, doivent être maintenus, en ce qui concerne la requérante, jusqu’à la prise d’effet de l’annulation du règlement n° 267/2012 et du règlement d’exécution n° 709/2012 (voir, par analogie, arrêt Kadio Morokro/Conseil, point 73 supra, EU:T:2011:484, point 39).

 Sur les dépens

75      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En l’espèce, le Conseil ayant succombé pour l’essentiel, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Sont annulés, pour autant qu’ils concernent la Bank Tejarat :

–        le point I B 2 de l’annexe I de la décision 2012/35/PESC du Conseil, du 23 janvier 2012, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran ;

–        le point I B 2 de l’annexe I du règlement d’exécution (UE) n° 54/2012 du Conseil, du 23 janvier 2012, mettant en œuvre le règlement (UE) n° 961/2010 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran ;

–        le point I B 105 de l’annexe IX du règlement (UE) n° 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (UE) n° 961/2010 ;

–        le point 5 de l’annexe II du règlement d’exécution (UE) n° 709/2012 du Conseil, du 2 août 2012, mettant en œuvre le règlement n° 267/2012.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Les effets de la décision 2010/413/PESC du Conseil, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC, telle que modifiée par la décision 2012/35, sont maintenus en ce qui concerne la Bank Tejarat jusqu’à la prise d’effet de l’annulation du règlement n° 267/2012 et du règlement d’exécution n° 709/2012.

4)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

Kanninen

Pelikánová

Buttigieg

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 janvier 2015.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.