Language of document : ECLI:EU:C:2022:1038

ORDONNANCE DE LA COUR (neuvième chambre)

21 décembre 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 94 du règlement de procédure de la Cour – Exigence d’indication du lien entre les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est demandée et la législation nationale applicable au litige au principal – Absence de précisions suffisantes – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire C‑250/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), par décision du 31 mars 2022, parvenue à la Cour le 11 avril 2022, dans la procédure

Fallimento Villa di Campo Srl

contre

Agenzia delle Entrate,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme L. S. Rossi, présidente de chambre, MM. J.‑C. Bonichot (rapporteur) et S. Rodin, juges,

avocate générale : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 8, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1, ci-après la « sixième directive »), ainsi que de l’article 19 de la directive 2006/112 CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p.1, ci-après la « directive TVA »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Fallimento Villa di Campo Srl à l’Agenzia delle Entrate (administration fiscale, Italie) au sujet de la requalification d’un contrat de vente d’un complexe hôtelier en cession d’entreprise.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Aux termes de l’article 5, paragraphe 8, de la sixième directive :

« Les États membres peuvent considérer que, à l’occasion de la transmission, à titre onéreux ou à titre gratuit ou sous forme d’apport à une société, d’une universalité totale ou partielle de biens, aucune livraison de biens n’est intervenue et que le bénéficiaire continue la personne du cédant. Les États membres peuvent prendre, le cas échéant, les dispositions nécessaires pour éviter des distorsions de concurrence dans le cas où le bénéficiaire n’est pas un assujetti total. »

4        En vertu de l’article 19 de la directive TVA :

« Les États membres peuvent considérer que, à l’occasion de la transmission, à titre onéreux ou à titre gratuit ou sous forme d’apport à une société, d’une universalité totale ou partielle de biens, aucune livraison de biens n’est intervenue et que le bénéficiaire continue la personne du cédant.

Les États membres peuvent prendre les dispositions nécessaires pour éviter des distorsions de concurrence dans le cas où le bénéficiaire n’est pas un assujetti total. Ils peuvent aussi prendre toutes mesures utiles pour éviter que l’application de cet article rende la fraude ou l’évasion fiscales possibles. »

5        L’article 94 du règlement de procédure de la Cour dispose :

« Outre le texte des questions posées à la Cour à titre préjudiciel, la demande de décision préjudicielle contient :

a)      un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées ;

b)      la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente ;

c)      l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal. »

 Le droit italien

6        Aux termes de l’article 20 du decreto del Presidente della Repubblica n. 131 – Approvazione del testo unico delle disposizioni concernenti l’imposta di registro (décret du président de la République no 131/1986 concernant le droit d’enregistrement), du 26 avril 1986 (supplément ordinaire à la GURI no 99, du 30 avril 1986), dans sa version applicable au litige (ci-après le « TUR ») :

« [Le droit d’enregistrement] est perçu selon la nature intrinsèque et les effets juridiques des actes présentés à l’enregistrement, même si le titre ou la forme apparente n’y correspond pas, sur la base des éléments qui ressortent de l’acte lui-même, indépendamment des éléments extratextuels et des actes qui lui sont rattachés, sous réserve des dispositions des articles suivants. »

7        L’article 40 du TUR dispose :

« 1. Pour les actes portant sur des livraisons de biens et des prestations de services soumises à la taxe sur la valeur ajoutée, [le droit d’enregistrement] s’applique de manière fixe. Sont également considérées comme soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons et prestations pour lesquelles la taxe n’est pas due en vertu de l’article 7 du [décret du président de la République no 633/1972] et celles visées à l’article 21, sixième alinéa, à l’exception des opérations exonérées en vertu de l’article 10, points 8), 8 bis) et 27 quinquies), du même décret.

2. Pour les opérations visées à l’article 11 du [décret du président de la République no 633/1972], la taxe s’applique à la livraison ou à la prestation non soumise à la taxe sur la valeur ajoutée. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

8        Fallimento Villa di Campo est une société de droit italien exerçant une activité hôtelière.

9        Le 14 mars 2006, cette société a conclu un contrat avec Campo Srl par lequel elle a acheté à cette dernière les immeubles d’un complexe hôtelier, y compris les biens meubles attachés de manière permanente aux immeubles cédés.

10      À la suite d’un contrôle, l’administration fiscale a considéré que cette opération constituait non pas une livraison de biens soumise à la TVA mais une cession d’entreprise, ce qui a, en pratique, entraîné la taxation de cette opération aux droits d’enregistrement et la récupération de la TVA initialement déduite par Fallimento Villa di Campo.

11      Il ressort de l’ordonnance de renvoi que, pour procéder à cette requalification, l’administration fiscale s’est fondée sur un faisceau d’indices extérieurs au contrat au principal, parmi lesquels le fait que le complexe immobilier objet de la vente avait continué à être exploité en tant qu’hôtel par la société cessionnaire après la cession, le fait que cette société avait reçu de la cédante, quelques mois avant la cession, les équipements et les biens mobiliers qui garnissaient les immeubles cédés, ainsi que le fait que la société cessionnaire et la société cédante appartenaient toutes deux à la même personne, associée unique de celles-ci.

12      Fallimento Villa di Campo a contesté devant la Commissione tributaria di primo grado de Trente (commission fiscale de première instance de Trente, Italie) son assujettissement aux droits d’enregistrement au titre de l’opération en cause au principal, faisant notamment valoir que la prise en compte, par l’administration fiscale, d’éléments extérieurs au contrat était contraire à l’article 20 du TUR. Son recours ayant été rejeté en première instance puis, en appel, par la Commissione tributaria di secondo grado de Trente (commission fiscale d’appel de Trente, Italie), elle a saisi la juridiction de renvoi d’un pourvoi en cassation.

13      C’est dans ces conditions que la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 5, paragraphe 8, de la [sixième directive] et l’article 19 de la directive [TVA] s’opposent-ils à une disposition nationale telle que l’article 20 du décret du président de la république no 131 du 26 avril 1986, tel que modifié par l’article 1er, paragraphe 87, sous a), points 1 et 2, de la loi no 205, du 27 décembre 2017, et par l’article 1er, paragraphe 1084, de la loi no 145, du 30 décembre 2018, qui impose à l’administration fiscale de qualifier l’opération effectuée entre les parties exclusivement sur la base des éléments textuels contenus dans le contrat et interdit le recours à des éléments extérieurs à ce texte (même s’ils sont objectivement présents et prouvés), entraînant ainsi l’impossibilité absolue pour l’administration fiscale de prouver que la prestation économique, qui constitue une cession d’entreprise, en soi indissociable, a été, en réalité, artificiellement décomposée en plusieurs prestations – les cessions multiples de biens – ce qui a entraîné, à son tour, la déduction de la TVA sans que les conditions prévues par le droit de l’Union [...] soient respectées ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

14      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsqu’une demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

15      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

16      Selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

17      Dès lors que la décision de renvoi sert de fondement à cette procédure, la juridiction nationale est tenue d’expliciter, dans la décision de renvoi elle-même, le cadre factuel et réglementaire du litige au principal et de fournir les explications nécessaires sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation, ainsi que sur le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis [voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2020, C.F. (Contrôle fiscal), C‑430/19, EU:C:2020:429, point 23 et jurisprudence citée].

18      À cet égard, il importe de souligner également que les informations contenues dans les décisions de renvoi doivent permettre, d’une part, à la Cour d’apporter des réponses utiles aux questions posées par la juridiction nationale et, d’autre part, aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés d’exercer le droit qui leur est conféré par l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne de présenter des observations. Il incombe à la Cour de veiller à ce que ce droit soit sauvegardé, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Irish Ferries, C‑570/19, EU:C:2021:664, point 134 et jurisprudence citée).

19      Ces exigences cumulatives concernant le contenu d’une décision de renvoi figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement (ordonnance du 3 juillet 2014, Talasca, C‑19/14, EU:C:2014:2049, point 21, ainsi que arrêt du 9 septembre 2021, Toplofikatsia Sofia e.a., C‑208/20 et C‑256/20, EU:C:2021:719, point 20 et jurisprudence citée). Ces exigences sont, en outre, rappelées aux points 13, 15 et 16 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1).

20      En l’occurrence, l’ordonnance de renvoi ne répond manifestement pas à l’exigence posée à l’article 94, sous c), du règlement de procédure.

21      En effet, par son unique question, la juridiction de renvoi, demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 8, de la sixième directive et l’article 19 de la directive TVA s’opposent à une réglementation nationale, telle que l’article 20 du TUR, qui exclut la possibilité de prendre en compte des éléments de contexte extérieurs au contrat pour qualifier une opération aux fins de son imposition aux droits d’enregistrement.

22      Il est vrai que, pour qualifier une opération de « transmission [...] d’une universalité totale ou partielle de biens », au sens de l’article 5, paragraphe 8, de la sixième directive ou de l’article 19 de la directive TVA, il convient de procéder à une appréciation globale de toutes les circonstances de l’espèce, pouvant inclure la prise en compte des intentions des parties à condition qu’elles soient étayées par des éléments objectifs (voir, en ce sens, arrêts du 10 novembre 2011, Schriever, C‑444/10, EU:C:2011:724, points 32 et 38, ainsi que du 19 décembre 2018, Mailat, C‑17/18, EU:C:2018:1038, points 16 et 26), et que la prise en compte d’éléments de contexte s’impose particulièrement lorsqu’est en cause une opération artificiellement décomposée (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2021, Frenetikexito, C‑581/19, EU:C:2021:167, points 38 et 39).

23      Toutefois, force est de constater que la juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité avec ces dispositions, telles qu’interprétées par la Cour, de la réglementation nationale en matière de droits d’enregistrement, qui ne constituent pas une contribution harmonisée au sein de l’Union européenne.

24      S’agissant d’une situation qui ne relève pas du champ d’application des actes de l’Union concernés, il appartient à la juridiction de renvoi de fournir les éléments permettant à la Cour de vérifier que les dispositions de ces actes ont été rendues applicables à une telle situation par le droit national, de manière directe et inconditionnelle, au sens de la jurisprudence de la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 19 octobre 2017, Solar Electric Martinique, C‑303/16, EU:C:2017:773, points 27 et 32 ainsi que jurisprudence citée). En l’occurrence, l’ordonnance de renvoi précise que la qualification de cession d’entreprise de l’opération en cause au principal, retenue, notamment, par l’administration fiscale et à laquelle la juridiction de renvoi paraît se rallier au vu du libellé de la question posée, exclut son assujettissement à la TVA. Cet élément est, toutefois, insuffisant pour mettre la Cour en mesure de comprendre le lien entre, d’une part, l’article 5, paragraphe 8, de la sixième directive et l’article 19 de la directive TVA, dont l’interprétation est demandée, et, d’autre part, le champ d’application de la réglementation nationale en matière de droits d’enregistrement qui est applicable au litige au principal.

25      Il s’ensuit que, faute pour la juridiction de renvoi d’exposer suffisamment en quoi l’interprétation de l’article 5, paragraphe 8, de la sixième directive et de l’article 19 de la directive TVA est pertinente pour l’application de l’article 20 du TUR, la Cour ne peut pas apprécier dans quelle mesure une réponse à la question posée est nécessaire pour permettre à cette juridiction de rendre sa décision.

26      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la présente demande de décision préjudicielle est, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, manifestement irrecevable.

27      Il convient cependant de rappeler que la juridiction de renvoi conserve la faculté de soumettre une nouvelle demande de décision préjudicielle en fournissant à la Cour l’ensemble des éléments permettant à celle-ci de statuer (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2019, Călin, C‑676/17, EU:C:2019:700, point 41 et jurisprudence citée).

 Sur les dépens

28      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :

La demande de décision préjudicielle introduite par la Corte suprema di Cassazione (Cour de cassation, Italie), par décision du 31 mars 2022, est manifestement irrecevable.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.