Language of document : ECLI:EU:T:2005:382

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

27 octobre 2005 (*)

« Recours en carence – Plainte concernant l’appellation d’origine protégée ‘Salers’ – Règlement (CE) n° 828/2003 – Prise de position de la Commission – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire T-89/05,

Groupement agricole d’exploitation en commun reconnu Salat Jean et Michel (GAEC Salat), établi à Farges (France), représenté par Me F. Delpeuch, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme F. Clotuche-Duvieusart, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours en carence visant à faire constater que la Commission s’est abstenue de statuer sur la plainte déposée par le requérant contre la République française,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. H. Legal, président, Mme P. Lindh et M. V. Vadapalas, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Faits à l’origine du litige

1       Le GAEC Salat a pour activités l’élevage de vaches de race Salers et la production de fromage de tradition Salers.

2       La dénomination « Salers » a été enregistrée en tant qu’appellation d’origine protégée (AOP) par le règlement (CE) n° 1107/96 de la Commission, du 12 juin 1996, relatif à l’enregistrement des indications géographiques et des appellations d’origine au titre de la procédure prévue à l’article 17 du règlement (CEE) nº 2081/92 du Conseil (JO L 148, p. 1).

3       Le 28 février 2000, les autorités françaises ont demandé la modification du cahier des charges de l’AOP « Salers », afin de préciser les exigences relatives à cette dénomination. Ces exigences ont été également définies par le décret du Premier ministre français du 14 mars 2000, relatif à l’appellation d’origine contrôlée (AOC) « Salers ».

4       Le cahier des charges relatif à la dénomination « Salers » a été modifié par le règlement (CE) n° 828/2003 de la Commission, du 14 mai 2003, modifiant des éléments du cahier des charges de seize dénominations figurant à l’annexe du règlement n° 1107/96 (JO L 120, p. 3).

5       Par lettre du 15 octobre 2004, enregistrée par le secrétariat général de la Commission le 26 octobre 2004, le requérant a dénoncé à la Commission une prétendue violation du droit communautaire commise par la République française du fait de l’adoption du décret du 14 mars 2000 et de la demande de modification du cahier des charges de l’AOP « Salers ». En substance, il a critiqué le fait que ces actes aient permis l’usage de l’AOP et de l’AOC « Salers » pour des fromages provenant du lait de vaches autres que celles de race Salers, tandis que certains autres fromages bénéficiant de l’AOC, par exemple le Laguiole, demeuraient fabriqués exclusivement à partir du lait de vaches de races locales.

6       La Commission a répondu au requérant, le 16 décembre 2004, que sa lettre n’avait pas été enregistrée en tant que plainte, l’AOP « Salers » étant à cette date régie par le règlement n° 828/2003.

 Procédure et conclusions des parties

7       Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 février 2005, le requérant a introduit le présent recours.

8       Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 3 mai 2005, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

9       Le requérant a présenté ses observations sur cette exception le 21 juin 2005.

10     Dans sa requête, le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal constater que la Commission s’est illégalement abstenue de statuer sur sa plainte.

11     Dans son exception d’irrecevabilité, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours comme irrecevable ;

–       condamner le requérant aux dépens.

12     Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       déclarer le recours recevable ;

–       subsidiairement, examiner le recours comme un recours en manquement au titre de l’article 226 CE.

 Sur la recevabilité

13     En vertu de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, si une partie le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité sans engager le débat au fond. Conformément au paragraphe 3 du même article, la suite de la procédure est orale, sauf décision contraire du Tribunal.

14     En outre, aux termes de l’article 111 du règlement de procédure, lorsque le Tribunal est saisi d’un recours manifestement irrecevable, il peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

15     En l’espèce, le Tribunal estime qu’il est suffisamment éclairé par le dossier et qu’il n’y a pas lieu d’ouvrir la procédure orale.

 Arguments des parties

16     La Commission soulève trois fins de non-recevoir tirées, respectivement, du manque de clarté de la requête, de l’absence de mise en demeure au sens de l’article 232, deuxième alinéa, CE et de l’irrecevabilité d’un recours visant à faire constater la carence de la Commission à agir en manquement contre un État membre. En outre, la Commission fait valoir que le recours en carence est dépourvu d’objet, son courrier du 16 décembre 2004 constituant une prise de position sur la plainte du requérant.

17     Le requérant rétorque que sa requête est claire, notamment dans la mesure où il reprend tous les griefs contenus dans sa plainte. Le recours serait recevable en application, par analogie, de la jurisprudence relative au rejet d’une plainte fondée sur les articles 81 CE, 82 CE et 86, paragraphe 3, CE.

 Appréciation du Tribunal

18     Par son recours, le requérant demande au Tribunal de constater, en vertu de l’article 232 CE, que la Commission s’est abstenue de prendre position sur sa lettre du 15 octobre 2004.

19     Il résulte de la jurisprudence que les conditions de recevabilité d’un recours en carence, fixées par l’article 232 CE, ne sont pas remplies lorsque l’institution défenderesse, invitée à agir, a pris position sur cette invitation avant l’introduction du recours (arrêt de la Cour du 1er avril 1993, Pesqueras Echebastar/Commission, C‑25/91, Rec. p. I‑1719, point 11).

20     Il ressort du dossier que la Commission a, par lettre du 16 décembre 2004, répondu à la lettre du requérant du 15 octobre 2004 en indiquant que ladite lettre n’avait pas été enregistrée en tant que plainte, l’AOP « Salers » étant à cette date régie par le règlement n° 828/2003 et le cahier des charges relatif à cette dénomination ne pouvant être modifié qu’à la demande des autorités françaises.

21     La Commission a ainsi pris position sur le contenu de la lettre du requérant.

22     La circonstance que cette prise de position ne donne pas satisfaction au requérant est à cet égard indifférente. En effet, l’article 232 CE vise la carence par l’abstention de statuer ou de prendre position et non l’adoption d’un acte différent de celui que les intéressés auraient souhaité ou estimé nécessaire (arrêt de la Cour du 24 novembre 1992, Buckl e.a./Commission, C‑15/91 et C‑108/91, Rec. p. I‑6061, points 16 et 17).

23     Dès lors, le requérant a introduit son recours en carence alors même que la défenderesse avait pris position au sens de l’article 232, deuxième alinéa, CE. Le recours en carence doit donc être rejeté comme manifestement irrecevable.

24     À titre surabondant, il convient de rappeler que, si la demande du requérant peut être interprétée comme tendant à obtenir du Tribunal qu’il constate la carence de la Commission d’engager la procédure en manquement à l’encontre de la République française, une telle demande est manifestement irrecevable. En effet, les particuliers ne peuvent se prévaloir de l’article 232, troisième alinéa, CE qu’en vue de faire constater l’abstention d’adopter, en violation du traité, des actes, autres que des recommandations ou des avis, dont ils seraient les destinataires ou qui les concerneraient directement et individuellement (arrêt de la Cour du 26 novembre 1996, T.Port, C‑68/95, Rec. p. I‑6065, points 58 et 59).

25     Or, dans le cadre de la procédure en constatation de manquement régie par l’article 226 CE, les seuls actes que la Commission peut être amenée à prendre sont adressés aux États membres (ordonnances du Tribunal du 29 novembre 1994, Bernardi/Commission, T‑479/93 et T‑559/93, Rec. p. II‑1115, point 31, et du 19 février 1997, Intertronic/Commission, T‑117/96, Rec. p. II‑141, point 32). En outre, il résulte du système de l’article 226 CE que ni l’avis motivé, qui ne constitue qu’une phase préalable au dépôt éventuel d’un recours en constatation de manquement devant la Cour, ni la saisine de la Cour par le dépôt effectif d’un tel recours ne sauraient constituer des actes concernant directement les particuliers.

26     À cet égard, la référence faite par le requérant à la jurisprudence relative à la position procédurale des plaignants dans le cadre d’une procédure engagée au titre du règlement nº 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204) est inopérante, la plainte en cause n’étant pas fondée sur lesdites dispositions du traité.

27     Est également inopérante l’invocation de la jurisprudence relative aux lettres par lesquelles la Commission informe un particulier qu’elle n’envisage pas d’agir au titre de l’article 86, paragraphe 3, CE. En effet, cet article et l’article 226 CE poursuivent des buts différents et les procédures qu’ils prévoient sont soumises à des règles différentes (ordonnance du Tribunal du 19 septembre 2005, Aseprofar et Edifa/Commission, T‑247/04, non encore publiée au Recueil, point 57).

28     Enfin, s’agissant de la demande subsidiaire du requérant, tendant à ce que le Tribunal examine le présent recours comme un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, il suffit de rappeler que le Tribunal n’a pas compétence pour statuer sur de tels recours. En outre, il résulte des dispositions combinées de l’article 44, paragraphe 1, et de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure que l’objet de la demande doit être déterminé dans la requête. La demande en cause, formulée pour la première fois dans le cadre d’observations sur une exception d’irrecevabilité, modifie l’objet initial de la requête et doit, dès lors, être rejetée comme irrecevable (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 14 février 2005, Ravailhe/Comité des régions, T‑406/03, non encore publiée au Recueil, points 53 et 54).

29     Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le présent recours comme manifestement irrecevable, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres fins de non-recevoir soulevées par la Commission, tirées du manque de clarté de la requête et de l’absence de mise en demeure au sens de l’article 232, deuxième alinéa, CE.

 Sur les dépens

30     Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter les dépens exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme manifestement irrecevable.

2)      Le requérant est condamné aux dépens.



Fait à Luxembourg, le 27 octobre 2005.



Le greffier

 

       Le président



E. Coulon

 

       H. Legal


* Langue de procédure : le français.