Language of document : ECLI:EU:T:2013:546


DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

16 octobre 2013 (*)

« Référé – Aides d’État – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération ainsi que l’annulation des paiements en cours – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑462/13 R,

Comunidad Autónoma del País Vasco,

Itelazpi, SA, établie à Zamudio (Espagne),

représentées par Mes J. Buendía Sierra, A. Lamadrid de Pablo, M. Muñoz de Juan et N. Ruiz García, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. É. Gippini Fournier, B. Stromsky et Mme P. Němečková, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution des articles 3 et 4 de la décision C (2013) 3204 final de la Commission, du 19 juin 2013, concernant l’aide d’État SA.28599 (C 23/2010) (ex NN 36/2010, ex CP 163/2009) mise à exécution par le Royaume d’Espagne en faveur du déploiement de la télévision numérique terrestre dans les zones éloignées et les moins urbanisées (hormis en Castille-la-Manche),

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        La présente affaire concerne des aides d’État qui auraient été accordées par les autorités espagnoles dans le cadre du passage de la radiodiffusion analogique à la radiodiffusion numérique en Espagne. Cette numérisation – qui peut techniquement être effectuée par le biais des plateformes terrestres, satellitaires ou câblées – permet une utilisation plus efficace du spectre de fréquences radio. Dans la radiodiffusion numérique, le signal résiste mieux aux interférences et le signal de télévision peut être accompagné d’une série de services complémentaires qui donnent une valeur ajoutée à la programmation. En outre, le processus de numérisation permet d’obtenir le soi-disant « dividende numérique », c’est-à-dire des fréquences libérées, puisque les technologies de la télévision numérique terrestre (ci-après la « TNT ») occupent un spectre bien moins large que les technologies analogiques. C’est en raison de ces avantages que la Commission européenne a encouragé, dès 2002, la numérisation dans l’Union européenne.

2        Après plusieurs décennies d’existence de la télévision analogique en Espagne, les autorités espagnoles ont décidé, en 2005, de favoriser le passage à la TNT dans les régions reculées du pays. Ce changement nécessitait la modernisation des centres de transmission existants et la construction de nouveaux centres ; en outre, devaient être assurés l’exploitation et l’entretien de la nouvelle infrastructure de la TNT. Ainsi, au cours de la période 2005-2008, les autorités espagnoles ont adopté une série de mesures destinées à gérer le passage de la télévision analogique à la TNT. À cette fin, le territoire espagnol a été divisé en trois zones distinctes :

–        dans la zone I, qui comprend la grande majorité de la population espagnole et qui a été considérée comme commercialement rentable, le coût du passage au numérique était supporté par les radiodiffuseurs publics et privés ;

–        dans la zone II, qui comprend des régions lointaines et peu urbanisées représentant quelque 2,5 % de la population nationale, les radiodiffuseurs, à défaut d’intérêt commercial, se sont refusés à investir dans la numérisation, ce qui a amené les autorités espagnoles à mettre en place un financement public ;

–        dans la zone III, englobant 1,5 % de la population nationale, la topographie exclut la transmission numérique terrestre, de sorte que le choix s’est porté sur la plateforme satellitaire.

3        La présente affaire ne porte que sur le financement public accordé par les autorités espagnoles pour soutenir le processus de numérisation terrestre dans la zone II, et plus particulièrement sur le financement de ce processus à l’intérieur des régions du Pays basque qui sont situées dans la zone II.

4        Au Pays basque, la première requérante, la Comunidad Autónoma del País Vasco, exerce ses compétences en position d’autonomie législative et financière par rapport à l’État central, conformément aux dispositions de la constitution espagnole. Ces compétences portent, notamment, sur la création et l’entretien de sa radio et de sa télévision au Pays basque, y compris les services de transport et de diffusion du signal radiotélévisuel. Le déploiement, l’entretien et l’exploitation du réseau de télévision ont été confiés à la seconde requérante, Itelazpi, SA, une entreprise publique appartenant à 100 % au gouvernement basque, ce dernier lui ayant octroyé des aides pour soutenir le processus de numérisation terrestre.

5        À la suite d’une plainte déposée par un opérateur de plateforme satellitaire, la Commission a ouvert, en 2010, une enquête approfondie sur les éventuelles aides d’État mises en œuvre dans ladite zone II. Selon la Commission, la procédure administrative a révélé que les mesures espagnoles en cause finançaient exclusivement la numérisation de la technologie de transmission terrestre, alors que les autres plateformes de transmission n’ont de facto pas pu profiter dudit financement, et ce bien que la plateforme satellitaire fût disponible et appropriée pour couvrir le territoire.

6        À l’issue de la procédure administrative, la Commission a adopté, le 19 juin 2013, la décision C (2013) 3204 final concernant l’aide d’État SA.28599 (C 23/2010) (ex NN 36/2010, ex CP 163/2009) mise à exécution par le Royaume d’Espagne en faveur du déploiement de la TNT dans les zones éloignées et les moins urbanisées (hormis en Castille-la-Manche) (ci-après la « décision attaquée »). Aux termes de la décision attaquée, l’aide d’État pour le déploiement de la TNT dans la zone II a été octroyée au cours des années 2008 et 2009 par les communautés autonomes et les municipalités, qui ont versé aux bénéficiaires des fonds provenant du budget central et de leurs budgets respectifs ; en outre, depuis 2009, les communautés autonomes ont octroyé une aide de façon continue pour l’entretien et l’exploitation des réseaux de ladite zone. Selon la Commission, l’aide d’État en cause, d’un montant d’environ 260 millions d’euros, favorisait la technologie numérique terrestre au détriment d’autres technologies, les opérateurs de plateformes terrestres ayant bénéficié d’un avantage sélectif par rapport à leurs concurrents utilisant d’autres technologies.

7        En conséquence, la Commission a constaté, aux termes de l’article 1er de la décision attaquée, que l’aide d’État octroyée aux opérateurs de plateformes terrestres de télévision pour le déploiement, l’entretien et l’exploitation du réseau de la TNT dans la zone II, d’une part, avait été accordée en violation de l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE et, d’autre part, était incompatible avec le marché intérieur, à l’exception de l’aide versée en conformité avec le critère de la neutralité technologique. Dans l’article 2 et le considérant 196 de la décision attaquée, la Commission a précisé, en substance, qu’une aide individuelle accordée dans le cadre du régime d’aides mentionné à l’article 1er n’était pas considérée comme incompatible, lorsqu’elle remplissait les conditions fixées par la réglementation relative aux aides de minimis.

8        En vertu de l’article 3, paragraphes 1 et 4, de la décision attaquée, le Royaume d’Espagne est obligé, d’une part, de récupérer auprès des opérateurs de plateformes terrestres de télévision l’aide d’État déclarée incompatible qui leur avait été versée dans le cadre du régime d’aides mentionné à l’article 1er et, d’autre part, d’annuler tous les paiements en cours au titre dudit régime à compter de la date de notification de la décision attaquée. Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée, la récupération de l’aide d’État versée dans le cadre du régime d’aides mentionné à l’article 1er doit être immédiate et effective. Conformément à son article 4, paragraphe 2, la décision attaquée doit être exécutée par les autorités espagnoles dans un délai expirant le 20 octobre 2013.

9        La décision attaquée a été notifiée au Royaume d’Espagne le 20 juin 2013.

 Procédure et conclusions des parties

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 août 2013, les requérantes, ont introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée. Par requête introduite le même jour, le Royaume d’Espagne a également formé un recours en annulation de la décision attaquée, assorti d’une demande de sursis à exécution.

11      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, les requérantes ont introduit la présente demande en référé, dans laquelle elles concluent, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution des articles 3 et 4 de la décision attaquée, au titre de l’article 105, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, jusqu’à ce qu’il soit statué sur la présente demande en référé et, en tout état de cause, jusqu’à l’adoption de la décision mettant fin au litige principal ;

–        condamner la Commission aux dépens.

12      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 18 septembre 2013, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé comme partiellement ou totalement irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, la rejeter comme non fondée ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

13      Par mémoire du 20 septembre 2013, SES Astra SA, qui avait déposé une plainte devant la Commission (voir point 5 ci-dessus), a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Par mémoire du 27 septembre 2013, les requérantes se sont opposées à cette demande, alors que la Commission n’a pas soulevé d’objections.

14      Les requérantes ont répliqué aux observations de la Commission par mémoire du 26 septembre 2013. La Commission a pris définitivement position sur celui-ci par mémoire du 3 octobre 2013.

 En droit

15      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire des mesures provisoires (voir ordonnance du président du Tribunal du 17 janvier 2013, Slovénie/Commission, T‑507/12 R, non publiée au Recueil, point 6, et la jurisprudence citée).

16      En outre, l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le juge des référés peut ordonner le sursis à exécution et d’autres mesures provisoires s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient prononcés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal [ordonnance du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 22]. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

17      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour Commission/Atlantic Container Line e.a., précitée, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

18      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

19      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

20      Afin d’établir l’urgence, les requérantes font valoir qu’un rejet de la demande en référé causerait à Itelazpi un préjudice irréparable non seulement pour la survie de l’entreprise, mais également pour l’exécution du service public, à savoir le transport et la diffusion de signaux de radio et de télévision, qui lui est confié sur le territoire basque situé dans la zone II. L’exécution immédiate de l’ordre de rembourser l’aide reçue à hauteur de 14,7 millions d’euros, majorés d’intérêts, signifierait pour Itelazpi – société publique ayant un chiffre d’affaires de 14,8 millions d’euros en 2012 – qu’elle serait acculée à la cessation de paiements et courrait le risque grave, certain et imminent de disparaître. En outre, l’exécution immédiate de l’ordre d’annuler les paiements approuvés, mais non encore effectués, impliquerait la cessation du service public susmentionné, puisque ces paiements sont la contrepartie de la prestation dudit service.

21      Selon les requérantes, dans la mesure où l’annulation desdits paiements priverait Itelazpi des ressources nécessaires pour continuer de fournir le service public qui lui a été confié, l’exécution immédiate de cet ordre causerait un préjudice grave et irréparable également à la Comunidad Autónoma del País Vasco, du fait qu’elle ne pourrait plus offrir à tous ses citoyens l’accès à la TNT, ce qui priverait inévitablement les habitants des régions de la zone II, soit environ 10 % de la population basque, de télévision et, partant, de leur droit constitutionnel à l’information.

22      La Commission considère, en revanche, que la condition relative à l’urgence n’est pas remplie en l’espèce.

23      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires. Il appartient à cette partie d’apporter la preuve sérieuse qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours principal sans avoir à subir personnellement un préjudice de cette nature. Si l’imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue, sa réalisation doit néanmoins être prévisible avec un degré de probabilité suffisant. La partie qui sollicite les mesures provisoires demeure, en tout état de cause, tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un préjudice grave et irréparable et permettre au juge des référés d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées, étant entendu qu’un préjudice de nature purement hypothétique, en ce qu’il est fondé sur la survenance d’événements futurs et incertains, ne saurait justifier l’octroi de mesures provisoires (voir ordonnance du président du Tribunal du 19 septembre 2012, Grèce/Commission, T‑52/12 R, non encore publiée au Recueil, point 36, et la jurisprudence citée).

24      En l’espèce, la Comunidad Autónoma del País Vasco étant une entité territoriale infra-étatique de droit public, il importe de relever qu’une telle entité est par nature appelée à fournir des services publics dans le cadre desquels elle est responsable de la sauvegarde des infrastructures et intérêts économiques, sociaux et culturels considérés comme généraux sur le plan régional. Par conséquent, elle peut demander l’octroi de mesures provisoires en alléguant que la mesure contestée risque de compromettre sérieusement l’accomplissement de ses missions de service public, en affectant un secteur de son économie, notamment lorsque celle-ci est susceptible d’avoir des répercussions défavorables sur le niveau de l’emploi et sur le coût de la vie (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 17 février 2011, Comunidad Autónoma de Galicia/Commission, T‑520/10 R, non publiée au Recueil, point 62).

25      Il s’ensuit que la Comunidad Autónoma del País Vasco, dont les compétences portent sur la création et l’entretien de la radio et de la télévision au Pays basque, y compris les services publics de transport et de diffusion du signal radiotélévisuel, est recevable – au même titre que la société Itelazpi, chargée de la prestation technique de ces services – à demander le sursis à exécution des articles 3 et 4 de la décision attaquée. Toutefois, les deux requérantes ne pouvant utilement invoquer que des préjudices qu’elles risquent de subir à titre personnel (voir point 23 ci-dessus), il convient d’interpréter leur demande en ce sens qu’elle vise à obtenir le sursis à l’exécution desdites dispositions dans la seule mesure où elles concernent les régions basques situées dans la zone II. Par ailleurs, l’argumentation présentée au soutien de la demande en référé est limitée aux préjudices que subiraient les requérantes au regard à ces régions.

26      Quant au fond, il y a lieu d’examiner si les requérantes ont avancé des circonstances de nature à établir l’urgence à octroyer le sursis à exécution demandé en démontrant, avec une probabilité suffisante, qu’une exécution immédiate des articles 3 et 4 de la décision attaquée risquerait de compromettre sérieusement l’accomplissement des missions incombant tant au gouvernement basque qu’à Itelazpi, en ce qu’elle condamnerait celle-ci en définitive à la mise en liquidation, avec pour conséquence l’interruption du service de la TNT dans les régions basques situées dans la zone II et l’impossibilité pour les citoyens basques concernés d’accéder aux informations télévisées.

27      Dans ce contexte, il convient de rappeler que l’exécution immédiate des articles 3 et 4 de la décision attaquée consisterait, d’une part, en la récupération immédiate, auprès d’Itelazpi, des sommes qui lui avaient été versées en application du régime d’aides d’État litigieux pour les services de déploiement, d’entretien et d’exploitation du réseau de la TNT sur le territoire relevant de sa compétence et, d’autre part, en l’annulation immédiate de tous les paiements en cours qu’Itelazpi perçoit au titre dudit régime en contrepartie de la prestation continue desdits services et, notamment, pour l’entretien des centres d’émission qu’elle assure.

28      Il s’avère donc que les préjudices allégués par les requérantes reposent, dans leur intégralité, sur la prémisse selon laquelle ils seraient causés par la mise en liquidation d’Itelazpi et par son incapacité subséquente d’assurer les services susmentionnés.

29      À cet égard, il y a lieu de relever que la décision attaquée n’impose aucune obligation directe à Itelazpi en ce qui concerne le remboursement des prétendues aides d’État. La décision attaquée n’intervient pas non plus directement dans les relations bilatérales entre le gouvernement basque et Itelazpi, en ce qui concerne l’annulation des paiements versés en contrepartie de la prestation continue des services fournis par Itelazpi audit gouvernement. C’est aux autorités espagnoles, seules destinataires de la décision attaquée, qu’il appartient d’exiger la restitution, par Itelazpi, des prétendues aides d’État et d’annuler lesdits paiements. Conformément à l’article 288, quatrième alinéa, TFUE, la décision attaquée est donc obligatoire à l’égard des seules autorités espagnoles. Il s’ensuit que la décision attaquée ne peut juridiquement, à elle seule, être considérée comme susceptible de contraindre Itelazpi à restituer les aides d’État litigeuses et à renoncer aux versements dus en contrepartie des services qu’elle fournit au Pays basque. Ainsi, aussi longtemps que les autorités espagnoles, plus particulièrement les autorités compétentes basques, n’auront pris aucune mesure juridiquement contraignante visant à l’exécution de la décision attaquée, en ce qu’elle ordonne impérativement le remboursement des aides d’État litigieuses ou procède à l’annulation immédiate de tous les paiements en cours, en résiliant le rapport de droit en vertu duquel Itelazpi fournit ses services rémunérés, le risque d’une liquidation d’Itelazpi ne saurait être considéré comme suffisamment imminent pour justifier l’octroi du sursis à exécution sollicité (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 29 août 2013, France/Commission, T‑366/13 R, non publiée au Recueil, point 29, et la jurisprudence citée).

30      Or, force est de constater que les requérantes ont indiqué, dans la demande en référé, que « les mesures tendant à la récupération n’[avaient] pas encore été finalisées ». Dans leurs dernières écritures, elles ont précisé que, les autorités publiques ayant introduit un recours en annulation contre la décision attaquée et demandé des mesures provisoires, il paraissait clair que « les autorités espagnoles [n’allaient] pas adopter de mesures nationales juridiquement contraignantes visant à l’exécution de [cette] décision, tant que le Tribunal ne se sera[it] pas prononcé ». En effet, selon les requérantes, « le contraire reviendrait évidemment à priver d’objet la procédure dont il s’agit en l’espèce ».

31      Il s’ensuit que les requérantes ont expressément admis qu’Itelazpi n’avait à craindre, depuis l’adoption de la décision attaquée, aucune mesure juridiquement contraignante visant soit à recouvrer les prétendues aides qui lui avaient été versées soit à annuler les paiements en cours qu’elle percevait en contrepartie de ses services continus. Par conséquent, le risque de subir les préjudices allégués par les requérantes ne saurait être considéré comme suffisamment imminent pour établir l’urgence.

32      Cette conclusion n’est pas infirmée par l’argumentation des requérantes selon laquelle Itelazpi aurait dépassé le délai pour introduire un recours en annulation, si elle avait dû attendre l’adoption de mesures nationales contraignantes, ce qui l’aurait privée de la possibilité de saisir le Tribunal. En effet, rien n’aurait empêché les requérantes de respecter le délai fixé par l’article 263, sixième alinéa, TFUE pour leur recours en annulation, tout en attendant l’adoption de mesures nationales d’exécution de la décision attaquée avant d’introduire une demande en référé dirigée contre cette décision. À cet égard, il suffit de rappeler que la partie qui envisage d’assortir son recours principal d’une demande de mesures provisoires peut le faire à tout moment pendant la durée de la procédure principale, comme le démontrent, par exemple, les affaires ayant donné lieu aux ordonnances du président du Tribunal du 15 mai 2013, Allemagne/Commission (T‑198/12 R, non encore publiée au Recueil, points 16 et 17), et du 5 juillet 2013, Zweckverband Tierkörperbeseitigung/Commission (T‑309/12 R, non publiée au Recueil, points 14 et 17), dans lesquelles les demandes en référé ont été déposées, respectivement, neuf et dix mois après l’introduction des recours en annulation.

33      Par ailleurs, à supposer que les autorités basques aient adopté des mesures juridiquement contraignantes à l’encontre d’Itelazpi, il convient d’examiner si cette dernière pourrait saisir les juridictions nationales pour s’y opposer utilement en vue d’éviter une éventuelle mise en liquidation.

34      En effet, selon une jurisprudence bien établie, lorsqu’une entreprise bénéficiaire d’une aide d’État est confrontée à une décision de la Commission adressée à un État membre et ordonnant la récupération de cette aide, la circonstance qu’il existe des voies de recours internes permettant à ladite entreprise de se défendre contre les mesures de recouvrement au niveau national est susceptible de permettre à ladite entreprise d’éviter un préjudice grave et irréparable résultant du remboursement de ladite aide (voir ordonnance France/Commission, précitée, point 44, et la jurisprudence citée).

35      Cette jurisprudence, qui ne saurait être limitée aux seules mesures de recouvrement d’aides déjà versées, mais doit être étendue aux mesures annulant le versement d’aides en cours, confère ainsi à la procédure de référé devant le juge de l’Union un caractère subsidiaire par rapport à la procédure susceptible d’être engagée devant le juge des référés national, à condition toutefois que la procédure nationale permette à cette entreprise d’éviter effectivement de subir un préjudice grave et irréparable (ordonnance France/Commission, précitée, point 45).

36      En l’espèce, les requérantes n’ont pas établi, ni même prétendu, que les voies de recours internes que le droit national espagnol offre à Itelazpi pour s’opposer aux mesures de recouvrement et d’annulation contraignantes ne lui permettraient pas d’éviter sa mise en liquidation, en invoquant devant le juge national, notamment, sa situation financière individuelle et son implication dans la fourniture du service de la TNT au Pays basque. En particulier, dans leurs dernières écritures, elles n’ont fourni aucune explication du droit processuel espagnol en réaction à l’argument avancé par la Commission dans ses observations selon lequel le droit espagnol prévoyait effectivement des voies de recours appropriées à la situation d’Itelazpi. Le juge des référés ne peut donc que constater l’absence de démonstration de l’imperfection des voies de recours espagnoles en la matière.

37      Dans leurs dernières écritures, les requérantes ont encore allégué que la position d’Itelazpi, en tant qu’entreprise publique appartenant à 100 % au gouvernement basque et chargée par celui-ci de la prestation du service public litigieux, était indissociable de celle de la Comunidad Autónoma del País Vasco qui lui a versé les prétendues aides d’État, les requérantes constituant en ce sens les « deux faces d’une même monnaie ».

38      Pour autant que cette argumentation doive être comprise en ce sens qu’il serait impossible pour Itelazpi de se retourner, devant la justice espagnole, contre l’entité infra-étatique qui l’a créée, à savoir la Comunidad Autónoma del País Vasco, pour s’opposer aux mesures de recouvrement et d’annulation adoptées par celle-ci, il convient de rappeler que les requérantes se sont abstenues d’expliciter les règles juridiques espagnoles qui excluraient, à leur avis, la saisine par Itelazpi du juge national dans les circonstances du cas d’espèce. Un tel exposé concret et détaillé par les requérantes aurait été d’autant plus nécessaire, d’une part, qu’aucune disposition du droit de l’Union n’exempte les entreprises publiques, même si elles sont entièrement contrôlées par l’État, de l’application des règles du traité FUE relatives aux aides d’État, notamment de celles concernant leur récupération, et, d’autre part, que la jurisprudence connaît des exemples de litiges opposant, devant le juge national, des entreprises publiques à « leurs » autorités nationales qui leur avaient adressé des mesures visant le recouvrement d’aides d’État. À cet égard, il suffit de renvoyer à l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance Zweckverband Tierkörperbeseitigung/Commission (précitée, points 1, 12, 13 et 16), dans laquelle des collectivités territoriales avaient créé une association de droit public pour lui confier un service public (élimination de cadavres d’animaux), dont le financement par ces collectivités, qui étaient toutes membres de ladite association, a été qualifié par la Commission d’aide d’État incompatible avec le marché intérieur. Or, rien n’a empêché l’association et ses membres de se poursuivre réciproquement devant les juridictions nationales compétentes en matière de recouvrement de cette aide.

39      Il résulte de tout ce qui précède que la condition relative à l’urgence ne saurait être considérée comme remplie.

40      Cette conclusion n’est pas infirmée par la circonstance que les autorités espagnoles et les services de la Commission ont apparemment engagé des négociations en vue de trouver une solution, compatible avec le droit de l’Union, qui permettrait de garantir la continuité des émissions de télévision dans la zone II pendant la période transitoire strictement nécessaire pour l’organisation, jugée indispensable par la Commission, de marchés publics technologiquement neutres. En effet, contrairement à l’affirmation des requérantes, la Commission, en indiquant que « l’on pourrait parfaitement concevoir des solutions provisoires, dans le respect du droit de l’Union, pour maintenir le fonctionnement des centres de transmission », ne reconnaît nullement la présence de l’urgence, ou même d’un fumus boni juris, en l’espèce. À cet égard, il convient de faire une distinction nette entre, d’une part, la décision attaquée qui doit être mise en œuvre à défaut, pour les requérantes, d’avoir établi la réunion des conditions justifiant un sursis à exécution et, d’autre part, les tentatives susmentionnées qui ont été entamées, à l’initiative des autorités espagnoles, aux fins de trouver une solution alternative transitoire, ne serait-ce que dans l’hypothèse d’un rejet de la demande en référé que le Royaume d’Espagne a introduite dans l’affaire T-461/13 R (voir point 10 ci-dessus). Par conséquent, les négociations en cause n’ont aucune influence sur l’issue de la présente procédure.

41      Il résulte de tout ce qui précède que la demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la condition relative au fumus boni juris [ordonnance du président de la Cour du 25 octobre 2012, Hassan/Conseil, C‑168/12 P(R), non publiée au Recueil, point 31], ni de procéder à la mise en balance des intérêts en présence [ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, DSR-Senator Lines/Commission, C‑364/99 P (R), Rec. p. I‑8733, point 61].

42      Dans ces circonstances, il n’est pas besoin de statuer sur la demande d’intervention de SES Astra.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 16 octobre 2013.

Le greffier

 

       Le président

E.  Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’espagnol.