Language of document : ECLI:EU:C:2007:731

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JÁN. MazÁk

présentées le 29 novembre 2007 (1)

Affaire C‑352/06

Brigitte Bosmann

contre

Bundesagentur für Arbeit - Familienkasse Aachen

[demande de décision préjudicielle formée par le Finanzgericht Köln (Allemagne)]

«Article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement (CEE) nº 1408/71 – Article 10 du règlement (CEE) nº 574/72 – Droit d’allocation pour enfants à charge – Suspension des prestations versées dans l’État de résidence – Droit à des prestations de même nature dans l’État d’emploi»






I –    Introduction

1.        Par décision du 10 août 2006, reçue au greffe de la Cour le 25 août 2006, le Finanzgericht Köln (tribunal des finances de Cologne) (Allemagne), a saisi la Cour de quatre questions préjudicielles en vertu de l’article 234 CE. Ces questions concernent l’interprétation de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement (CEE) nº 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (2), tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005 (3) (ci-après le «règlement n° 1408/71»), ainsi que de l’article 10 du règlement (CEE) nº 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement nº 1408/71, tel que modifié par le règlement n° 647/2005 (4) (ci-après le «règlement nº 574/72»).

2.        Ces questions ont été soulevées à l’occasion d’une action exercée par Mme Brigitte Bosmann, ressortissante belge résidant en Allemagne et exerçant une activité salariée aux Pays-Bas, contre la Bundesagentur für Arbeit (l’Agence fédérale du travail), contestant le refus de cette dernière de lui accorder le bénéfice des allocations familiales pour ses deux enfants à charge, au motif que son droit aux allocations familiales relève exclusivement du droit de l’État où elle travaille, en l’occurrence du droit des Pays-Bas.

3.        La juridiction de renvoi cherche essentiellement à savoir si, lorsqu’un salarié ne remplit pas les conditions lui ouvrant droit au bénéfice des allocations familiales dans son État d’emploi en raison de l’âge de ses enfants, il est possible d’appliquer le droit de l’État de résidence, en vertu duquel ce salarié peut éventuellement prétendre aux allocations familiales.

II – Cadre juridique

A –    Droit communautaire

1.      Le règlement n° 1408/71

4.        L’article 13 du règlement n° 1408/71, intitulé «Règles générales», dispose ce qui suit en ses parties pertinentes relatives à la désignation du droit applicable:

«1.      Sous réserve des articles 14 quater et 14 septies, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent titre.

2. Sous réserve des articles 14 à 17:

a)       la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre est soumise à la législation de cet État, même si elle réside sur le territoire d’un autre État membre ou si l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d’un autre État membre;

[…]»

5.        Aux termes de l’article 73 du règlement n° 1408/71, intitulé «Travailleurs salariés ou non salariés dont les membres de la famille résident dans un État membre autre que l’État compétent»:

«Le travailleur salarié ou non salarié soumis à la législation d’un État membre a droit, pour les membres de sa famille qui résident sur le territoire d’un autre État membre, aux prestations familiales prévues par la législation du premier État, comme s’ils résidaient sur le territoire de celui-ci, sous réserve des dispositions de l’annexe VI.»

2.      Le règlement n° 574/72

6.        L’article 10, paragraphe 1, du règlement n° 574/72, qui fixe les règles applicables aux travailleurs salariés ou non salariés en cas de cumul de droits à prestations ou à allocations familiales, dispose:

«a)       Le droit aux prestations ou allocations familiales dues en vertu de la législation d’un État membre selon laquelle l’acquisition du droit à ces prestations ou allocations n’est pas subordonnée à des conditions d’assurance, d’emploi ou d’activité non salariée est suspendu lorsque, au cours d’une même période et pour le même membre de la famille, des prestations sont dues soit en vertu de la seule législation nationale d’un autre État membre, soit en application des articles 73, 74, 77 ou 78 du règlement, et ce jusqu’à concurrence du montant de ces prestations.

b)       Toutefois, si une activité professionnelle est exercée sur le territoire du premier État membre:

i)       dans le cas des prestations dues, soit en vertu de la seule législation nationale d’un autre État membre, soit en vertu des articles 73 ou 74 du règlement, par la personne ayant droit aux prestations familiales ou par la personne à qui elles sont servies, le droit aux prestations familiales dues, soit en vertu de la seule législation nationale de cet autre État membre, soit en vertu de ces articles, est suspendu jusqu’à concurrence du montant des prestations familiales prévu par la législation de l’État membre sur le territoire duquel réside le membre de la famille. Les prestations versées par l’État membre sur le territoire duquel réside le membre de la famille sont à la charge de cet État membre;

[…]»

B –    Droit national

7.        Le droit aux allocations familiales allemandes est régi par les articles 62 et 63 de la loi allemande relative à l’impôt sur le revenu (Einkommensteuergesetz, ci-après l’«EStG»). Les dispositions pertinentes de cette loi sont les suivantes en l’espèce.

8.        Aux termes de son article 62, paragraphe 1, point 1:

«Toute personne ayant en Allemagne un domicile ou sa résidence habituelle a droit, en faveur des enfants au sens de l’article 63, aux allocations familiales conformément à la présente loi.»

9.        Aux termes de son article 63, paragraphe 1, première phrase, point 1:

«Sont pris en compte comme enfants, les enfants au sens de l’article 32, paragraphe 1.»

10.      Aux termes de son article 32, paragraphe 1, point 1:

«Par enfants, on entend les enfants liés au contribuable au premier degré.»

L’article 32, paragraphe 4, première phrase, point 2, sous a), dispose:

«À compter de l’âge de 18 ans, un enfant n’est pris en compte que s’il a moins de 27 ans et suit une formation à vocation professionnelle.»

III – Faits, procédure et questions déférées

11.      Mme Bosmann est Belge et vit depuis de nombreuses années en Allemagne. Elle est la mère de deux enfants, Caroline et Thomas, qu’elle élève seule; ils vivent dans leur domicile familial en Allemagne et étudient actuellement dans ce pays. Leurs revenus et ressources personnels sont inférieurs au plafond permettant de bénéficier des allocations familiales en Allemagne.

12.      Selon la décision de renvoi, il est constant entre les parties au principal que Mme Bosmann aurait normalement droit aux allocations familiales allemandes conformément à l’EStG, raison pour laquelle elles lui avaient d’ailleurs initialement été accordées en raison de ses deux enfants.

13.       Toutefois, le 1er septembre 2005, Mme Bosmann est devenue salariée aux Pays-Bas, à la suite de quoi la Bundesagentur, par décision du 18 octobre 2005, a mis fin au versement des allocations familiales pour les enfants à partir d’octobre 2005.

14.      Le recours gracieux formé par Mme Bosmann contre la décision initiale a été rejeté le 10 novembre 2005 par la Bundesagentur, notamment sur le fondement de l’article 10 du règlement n° 574/72 et au motif que, Mme Bosmann étant salariée, son droit éventuel aux allocations familiales n’était plus soumis qu’aux dispositions de son État d’emploi, soit en l’occurrence les Pays-Bas. La Bundesagentur a estimé à cet égard que la circonstance que cet État ne verse pas d’allocations familiales pour les enfants âgés de plus de 18 ans était indifférente à cet égard.

15.      Dans son recours au principal, Mme Bosmann fait valoir que, ce refus de versement d’allocations familiales étant une violation claire du droit à la libre circulation des personnes, les décisions du 18 octobre 2005 et du 10 novembre 2005 doivent être annulées.

16.      Dans la décision de renvoi, le Finanzgericht Köln relève que, si l’on appliquait uniquement l’EStG en faisant abstraction du droit communautaire, la demanderesse aurait droit aux allocations familiales pour ses deux enfants. En l’état actuel des choses, le droit de Mme Bosmann aux allocations familiales est en principe exclu par le droit communautaire, en particulier par l’article 13, paragraphes 1 et 2, sous a), du règlement n° 1408/71 et par l’article 10 du règlement n° 574/72, en vertu desquels, selon la juridiction de renvoi (5), Mme Bosmann est soumise exclusivement au droit des Pays-Bas, en application duquel, du fait de l’âge de ses enfants, elle n’a droit à aucune allocation familiale ou autre prestation comparable.

17.      Le Finanzgericht Köln demande si cette situation juridique est compatible avec le droit à la libre circulation établi à l’article 39 CE ou même avec les principes généraux du droit communautaire, en particulier les principes d’égalité et de non-discrimination en raison du sexe (6).

18.      À cet égard, la juridiction de renvoi souligne notamment que, puisque la question de la conformité au droit communautaire primaire d’une disposition d’harmonisation telle que le règlement n° 1408/71 échappe en principe au domaine de la procédure préjudicielle, elle ne demande pas le contrôle de la légalité dudit règlement, mais demande s’il peut, à la lumière des libertés fondamentales, être interprété de manière restrictive.

19.      Dans ce contexte, le Finanzgericht Köln a décidé de surseoir à statuer et de déférer les questions préjudicielles suivantes à la Cour:

«1)      L’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté doit-il être interprété de manière restrictive en ce sens qu’il ne s’oppose pas au droit aux allocations familiales, dans l’État de résidence (République fédérale d’Allemagne), d’une mère élevant seule ses enfants, laquelle, en raison de l’âge de ces derniers, ne perçoit pas d’allocations familiales dans son État d’emploi (Royaume des Pays-Bas)?

2)      En cas de réponse négative à la première question:

L’article 10 du règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil du 21 mars 1972 fixant les modalités d’application du règlement (CEE) n° 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté doit-il être interprété de manière restrictive en ce sens qu’il ne s’oppose pas au droit aux allocations familiales, dans l’État de résidence (République fédérale d’Allemagne), d’une mère élevant seule ses enfants, laquelle, en raison de l’âge de ces derniers, ne perçoit pas d’allocations familiales dans son État d’emploi (Royaume des Pays-Bas)?

3)      En cas de réponse négative aux première et deuxième questions:

Le droit d’une mère travaillant et élevant seule ses enfants à bénéficier de l’application des règles plus favorables de son État de résidence en matière d’octroi d’allocations familiales découle-t-il directement du traité CE ou des principes généraux du droit?

4)      La réponse aux questions précédentes dépend-elle du point de savoir si l’intéressée retourne au foyer familial après chaque journée de travail?»

IV – Analyse juridique

A –    Principaux moyens des parties

20.      Dans la présente affaire, des observations écrites ont été présentées par les gouvernements allemand et espagnol, par la Commission des Communautés européennes et par Mme Bosmann.

21.      Le gouvernement allemand estime que l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1408/71 doit être interprété en ce sens qu’il fait obstacle au droit aux allocations familiales dans un cas tel que celui de l’espèce. Les allocations familiales allemandes constituent une prestation familiale au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous h), du règlement n° 1408/71. Selon le gouvernement allemand, il résulte des termes clairs de l’article 13, paragraphe 1, de ce règlement que les personnes auxquelles il s’applique sont soumises à la législation d’un seul État membre.

22.      Le gouvernement allemand considère que toute autre interprétation serait contraire à la finalité du règlement n° 1408/71, telle que définie par la jurisprudence de la Cour (7), finalité qui consiste à ce que les intéressés soient soumis au régime de la sécurité sociale d’un seul État membre. En outre, il résulte de la jurisprudence de la Cour que le principe selon lequel l’application du règlement n° 1408/71 ne peut entraîner la perte de droits acquis exclusivement en application d’une législation nationale ne s’applique pas aux règles de détermination du droit applicable établies au titre II dudit règlement (8).

23.      Pour le gouvernement allemand, le libellé clair de l’article 10 du règlement nº 574/72 appelle également une réponse négative à la deuxième question. Le gouvernement allemand considère que cet article n’est pas applicable en l’espèce: puisque la demanderesse est salariée dans un seul État membre et vit dans un autre État membre, il ne peut y avoir aucun cumul de droits à prestations familiales.

24.      En ce qui concerne la troisième question, le gouvernement allemand soutient que, contrairement à l’avis exprimé par le Finanzgericht Köln dans sa décision de renvoi, il est tout à fait possible d’examiner dans le cadre d’un renvoi préjudiciel la conformité d’un acte tel que le règlement n° 1408/71 au droit communautaire primaire. Le gouvernement allemand soutient toutefois que l’article 13 dudit règlement n’enfreint ni le droit à la libre circulation établi à l’article 39 CE ni les principes généraux d’égalité de traitement ou de non‑discrimination en raison du sexe mentionnés dans la décision de renvoi.

25.      Enfin, en ce qui concerne la quatrième question, le gouvernement allemand considère que, eu égard à l’article 13 du règlement n° 1408/71, qui fait référence à l’État d’emploi, le fait que le salarié retourne quotidiennement dans son État de résidence est indifférent.

26.      Le gouvernement espagnol estime que le problème essentiel ne réside pas dans l’interprétation de l’article 13 du règlement n° 1408/71, mais plutôt dans la question de la conformité de cet article à l’article 39 CE et aux principes d’égalité de traitement et de non-discrimination en raison du sexe.

27.      Il fait valoir que les dispositions allemandes relatives aux allocations familiales, qui sont fondées sur une interprétation littérale du règlement n° 1408/71 et en application desquelles Mme Bosmann a cessé de percevoir des allocations familiales du chef de ses enfants, l’ont clairement placée dans une situation défavorable qui pouvait la dissuader d’exercer son droit à la libre circulation. Le gouvernement espagnol estime que ces dispositions ne sont pas justifiées et qu’elles ne sont pas propres à garantir la réalisation de l’objectif qu’elles poursuivent.

28.      Le gouvernement espagnol en conclut, sur le fondement de la jurisprudence de la Cour relative à la libre circulation des personnes (9), que, dans la mesure où les dispositions pertinentes des règlements nos 1408/71 et 574/72 ont pour effet de faire perdre à un travailleur salarié, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, le bénéfice des allocations familiales, ces dispositions sont contraires à l’article 39 CE.

29.      Selon la Commission, il convient de répondre aux première et deuxième questions que, dans une situation telle que celle dont doit juger la juridiction de renvoi, les dispositions combinées de l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1408/71 et de l’article 10, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 574/72 ne s’opposent pas au droit aux allocations familiales dans l’État de résidence.

30.       S’appuyant principalement sur l’arrêt McMenamin et sur les conclusions de l’avocat général Darmon dans cette affaire (10), la Commission soutient que non seulement l’article 13 du règlement n° 1408/71 est applicable en l’espèce, mais également l’article 10, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 574/72. La Commission estime que l’article 73 du règlement n° 1408/71 dispose uniquement que le droit de l’État d’emploi doit s’appliquer: il ne précise ni si une prestation est effectivement due ni la personne qui en est éventuellement redevable. Dans ce contexte, l’article 10, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 574/72 doit être interprété en ce sens que, malgré la compétence de l’État d’emploi, le droit à allocations familiales découlant de la législation de l’État de résidence peut perdurer. Selon la Commission, dès lors que, dans le litige soumis à la juridiction de renvoi, la «prestation due» dans l’État d’emploi est nulle, le droit aux allocations familiales allemandes n’est de facto pas suspendu et ces allocations devront être intégralement versées. La Commission souligne en outre que, si l’article 10, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 574/72 n’était pas applicable à une situation telle que celle de l’espèce, parce qu’il n’existe pas de cumul de droits, il en irait de même pour les articles 13 et 73 du règlement n° 1408/71.

31.      La Commission considère que le point de vue du gouvernement allemand aboutirait à une situation contraire au principe selon lequel l’application du règlement n° 1408/71 ne peut entraîner la perte de droits acquis exclusivement en application d’une législation nationale, et entraînerait des contradictions injustifiables.

32.      À cet égard, la Commission approuve les arguments exposés par la juridiction de renvoi dans sa demande de décision préjudicielle, selon lesquels un parent élevant seul ses enfants, vivant dans un État membre et travaillant dans un autre, serait moins bien traité qu’un parent isolé travaillant à la fois dans son État de résidence et dans un autre État membre et que, plus généralement, une mère seule serait moins bien traitée qu’une mère vivant en couple.

33.      Mme Bosmann est, pour l’essentiel, d’accord avec la Commission et soutient que le refus par les autorités allemandes de lui accorder les allocations familiales est contraire à l’article 39 CE ainsi qu’au principe d’égalité.

B –    Appréciation

1.      Observations liminaires

34.      Avant d’entamer l’analyse, il semble utile de délimiter les problèmes soulevés par les questions déférées.

35.      Relevons avant toute chose qu’il est constant que les faits du litige au principal relèvent ratione personae et ratione materiae du règlement n° 1408/71, autrement dit, plus précisément, que Mme Bosmann peut être considérée comme un «travailleur salarié» au sens de l’article 2, paragraphe 1, dudit règlement, lu en combinaison avec l’article 1er, sous a), de celui-ci, et que les allocations familiales allemandes peuvent être qualifiées de «prestations familiales» au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous h), de ce même règlement.

36.      En ce qui concerne, ensuite, le contexte du litige au principal, relevons qu’il concerne le refus par les autorités de l’État de résidence de Mme Bosmann – en l’espèce, la Bundesagentur – de lui accorder le bénéfice des allocations familiales du chef de ses enfants, au motif qu’il résulte des règlements n° 1408/71 et n° 574/72 que Mme Bosmann relève, à cet égard, du droit de son État d’emploi, à savoir les Pays-Bas. Cette analyse est contestée par Mme Bosmann dans le litige au principal, qui invoque principalement une violation de son droit de circuler librement et du principe de l’égalité de traitement.

37.      Partageant apparemment le point de vue de Mme Bosmann, la juridiction de renvoi se demande si la thèse juridique selon laquelle l’application des règlements n° 1408/71 et n° 574/72 à des faits tels que ceux du litige au principal fait obstacle au droit aux allocations familiales en Allemagne, l’État de résidence, est compatible avec le droit à la libre circulation et avec les principes généraux de droit communautaire de l’égalité de traitement et de l’interdiction de la discrimination fondée sur le sexe. La juridiction de renvoi présume cependant à tort (11) sur ce point que la validité d’un acte communautaire tel que le règlement n° 1408/71 au regard de ces règles et principes de droit communautaire primaire ne saurait être examinée dans le cadre d’une procédure préjudicielle et demande par conséquent si les règlements n° 1408/71 et n° 574/72 peuvent être «interprétés de manière restrictive», de manière à ne pas exclure le droit aux prestations familiales dans l’État de résidence ou si ce droit peut être directement déduit du traité ou des principes généraux du droit.

38.      Dans ce contexte, il apparaît que les trois premières questions, qu’il est utile d’examiner conjointement, visent essentiellement à savoir si, en vertu des règlements n° 1408/71 et n° 574/72 et compte tenu du principe de libre circulation et du principe d’égalité, le droit de l’État de résidence – en application duquel l’intéressée aurait droit aux allocations familiales – peut être appliqué dans une situation telle que celle du litige au principal.

39.      Pour proposer une réponse à cette question, nous examinerons tout d’abord le droit aux allocations familiales dans une situation telle que celle du litige au principal à la lumière des seules dispositions des règlements n° 1408/71 et n° 574/72. Relevons à cet égard que, selon une jurisprudence constante, en vue de fournir une réponse utile à la juridiction qui est à l’origine d’un renvoi préjudiciel, la Cour peut prendre en considération des normes de droit communautaire autres que celles auxquelles le juge national a fait référence dans ses questions préjudicielles – qui sont en l’espèce l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement nº 1408/71 et l’article 10 du règlement nº 574/72 (12).

40.      Nous aborderons ensuite plus spécialement les questions soulevées en l’espèce relativement à l’article 39 CE et aux principes généraux d’égalité et de non-discrimination.

41.      Enfin, nous examinerons la quatrième question concernant l’incidence du retour au foyer familial à la fin de chaque journée de travail, qui peut faire l’objet d’une réponse séparée.

2.      Le droit applicable

42.      Pour commencer, rappelons que le titre II du règlement n° 1408/71 – dont fait partie l’article 13 – contient les règles générales de détermination du droit applicable aux travailleurs salariés qui font usage, dans différentes circonstances, de leur droit à la libre circulation (13).

43.      Ces dispositions ont pour but d’éviter, notamment, l’application simultanée de plusieurs législations nationales et les complications qui peuvent en résulter (14). Ainsi, l’article 13, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 établit le principe selon lequel le travailleur auquel le règlement est applicable n’est soumis à la législation que d’un seul État membre (15), qui doit être déterminé conformément aux dispositions du titre II dudit règlement.

44.      À cet égard, l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1408/71 établit clairement que, lorsque l’intéressé exerce une activité salariée sur le territoire d’un État membre et réside sur le territoire d’un autre État membre, c’est la législation de l’État dans lequel il est salarié qui s’applique (règle de la lex loci laboris).

45.      Relevons toutefois que certaines prestations relèvent des dispositions plus spécifiques du titre III du règlement n° 1408/71. En ce qui concerne des prestations familiales telles que celles en cause au principal, qui relèvent du chapitre 7 dudit règlement, l’article 73 dispose qu’un travailleur soumis à la législation d’un État membre a droit, pour les membres de sa famille qui résident sur le territoire d’un autre État membre, aux prestations familiales prévues par la législation du premier État, comme s’ils résidaient sur le territoire de celui-ci.

46.      Dès lors, l’article 73 du règlement n° 1408/71 confirme que, conformément à la règle énoncée à l’article 13, paragraphe 2, sous a), du même règlement, le droit aux allocations familiales du chef des membres de la famille est régi par la législation de l’État membre dans lequel le travailleur est occupé (16).

47.      Il résulte donc clairement des dispositions combinées des articles 13 et 73 du règlement n° 1408/71 que, en vertu du système de coordination établi par celui‑ci, dans un cas tel que celui de l’espèce, dans lequel le salarié et les membres de sa famille ne résident pas dans l’État membre d’emploi, le droit aux allocations familiales est soumis à la législation de ce dernier.

48.      Il est vrai que, comme la Commission et Mme Bosmann l’ont souligné, le règlement n° 1408/71 ne fait pas toujours obstacle à l’application du droit d’un État membre autre que l’État d’emploi, en particulier de l’État de résidence, puisque la règle établie en son article 13 – selon laquelle un salarié est soumis à la législation de l’État membre d’emploi – n’exclut pas que des prestations déterminées soient régies par des règles plus spécifiques du même règlement (17).

49.      Par conséquent, l’application des dispositions anti-cumul de l’article 10 du règlement n° 574/72, citées dans les questions préjudicielles déférées à la Cour, ou de l’article 76 du règlement n° 1408/71 peut entraîner une inversion des priorités en faveur de la compétence de l’État membre de résidence (lex loci domicilii), et donc l’éventualité d’un droit aux allocations dans cet État et d’une suspension des allocations dues par l’État membre d’emploi (18).

50.      Tel était le cas dans l’affaire McMenamin, invoquée par la Commission (19). Cet arrêt concernait un litige dans lequel deux conjoints travaillaient dans deux États membres différents dont la législation prévoyait le paiement d’allocations similaires. La Cour a donc tranché ce litige à la lumière des dispositions anti-cumul établies à l’article 76 du règlement n° 1408/71 et à l’article 10 du règlement n° 574/72 et a jugé que l’exercice, par une personne ayant la garde des enfants, et plus spécialement par le conjoint du bénéficiaire visé à l’article 73 du règlement n° 1408/71, d’une activité professionnelle dans l’État membre de résidence des enfants suspend le droit aux allocations prévues à l’article 73 du règlement n° 1408/71, jusqu’à concurrence du montant des allocations de même nature effectivement versées par l’État de résidence (20).

51.      Soulignons toutefois que, dans un tel cas, le fait générateur de l’inversion des priorités en faveur de la compétence de l’État de résidence sur le fondement de la règle établie à l’article 10, paragraphe 1, sous b), i), du règlement n° 574/72 est qu’une activité professionnelle est exercée dans l’État de résidence – dans l’arrêt McMenamin, par le conjoint de la personne bénéficiant des allocations prévues à l’article 73 du règlement n° 1408/71 (21).

52.      Cela s’applique également aux arrêts Dodl et Oberhollenzer (22) et Weide (23).

53.      À l’inverse, aucun élément des faits du litige au principal décrits par la juridiction de renvoi n’entraîne selon nous l’application du droit de l’État de résidence sur le fondement des dispositions anti-cumul établies aux règlements nos 1408/71 et 574/72.

54.      En particulier, ni Mme Bosmann elle-même (24) ni un conjoint n’exercent d’activité professionnelle dans l’État de résidence et rien n’indique que son cas devrait être régi exclusivement par l’article 73 du règlement n° 1408/71. Par conséquent, contrairement à la thèse quelque peu artificielle défendue par la Commission, il n’existe selon nous aucun cumul de droits au sens des règlements nos 1408/71 et 574/72 susceptible d’entraîner, d’une part, l’inversion des priorités en faveur de l’État de résidence et, d’autre part, en application de l’article 10, paragraphe 1, sous a), de ce dernier règlement, le paiement de l’intégralité des allocations familiales allemandes (l’argument de la Commission sur ce dernier point étant que le montant des allocations versées dans l’État d’emploi est nul en l’espèce et que, conformément à cette disposition, les allocations devraient être suspendues jusqu’à concurrence de ce montant).

55.      Il suit de là qu’en l’espèce Mme Bosmann est soumise exclusivement au régime de sécurité sociale néerlandais.

3.      Applicabilité du droit néerlandais – question de la compétence

56.      En outre, il nous semble que le nœud du présent renvoi préjudiciel réside dans la distinction à établir entre la question de la compétence d’un État membre à l’égard d’une allocation en particulier et la question du droit effectif à une allocation.

57.      La question de la compétence relève du règlement n° 1408/71. Il résulte d’une jurisprudence constante que ce règlement met simplement en place un système de coordination qui ne fait que déterminer la ou les législations applicables à différentes situations (25). Comme la Cour l’a souligné à plusieurs occasions, ses dispositions ne confèrent pas elles-mêmes un droit à des prestations familiales (26).

58.      Les prestations familiales sont en réalité allouées sur la base des dispositions nationales pertinentes (27). Il appartient aux États membres de définir le contenu de leur régime de sécurité sociale et, en particulier, de déterminer les conditions de fond ouvrant droit aux allocations (28).

59.      Une fois déterminée la législation applicable à un salarié (la question du droit applicable précède logiquement celle du droit aux allocations) sur le fondement du règlement n° 1408/71, la question du droit éventuel de ce salarié aux allocations est soumise à cette législation, qui peut naturellement varier d’un État membre à l’autre en raison du fait qu’en droit communautaire les régimes de sécurité sociale sont uniquement coordonnés et non harmonisés (29).

60.      Bien sûr, la détermination du droit applicable conformément au règlement n° 1408/71 peut avoir pour effet qu’un travailleur migrant ne bénéficie d’aucun droit à telle ou telle prestation, parce qu’il ne remplit pas les conditions spécifiées par le régime de sécurité sociale applicable. Soulignons toutefois, à cet égard, que ce règlement n’a pas pour but de garantir de manière générale que les salariés auxquels il s’applique aient droit à des allocations, mais d’empêcher qu’ils soient privés de protection en matière de sécurité sociale, «faute de législation qui leur serait applicable» (30).

61.      Vu sous cet angle, il convient de remarquer que, en ce qui concerne les faits du litige au principal, à y regarder de plus près, il n’y a pas de conflit (négatif) de compétences.

62.      En d’autres termes, conformément aux articles 13 et 73 du règlement n° 1408/71, l’applicabilité du droit néerlandais (le droit de l’État d’emploi) n’a pas été niée en l’espèce; cette applicabilité n’a pas non plus été subordonnée à un critère de résidence.

63.      Par conséquent, de toute évidence, ce n’est pas l’absence de droit applicable qui fait problème en l’espèce, ni le fait que plusieurs droits nationaux pourraient légitimement être considérés comme étant concurremment applicables.

64.      Le cœur du problème concerne plutôt le droit substantiel et la titularité; en effet, Mme Bosmann ne peut prétendre aux allocations familiales dans son État membre d’emploi, parce que l’une des conditions permettant d’en bénéficier en droit néerlandais (la condition d’âge relative aux enfants) n’est pas remplie, alors que, sur ce point, le droit allemand serait plus favorable en ce que les allocations familiales y sont également dues pour les enfants âgés de 18 ans et plus.

65.      Comme il appert des considérations précédemment exposées, cette situation n’est toutefois pas en principe de nature à aller à l’encontre du système de règles de conflit (31) créé en vertu du règlement n° 1408/71 ou à le priver de son effet utile. En particulier, le système de coordination mis en place par ce règlement ne détermine pas le droit applicable en fonction d’un principe selon lequel les personnes qui vivent ou travaillent dans deux ou plusieurs pays devraient être soumises à la législation qui leur est la plus favorable (32).

66.      Il apparaît par conséquent que le refus de l’État de résidence d’octroyer des allocations familiales dans un cas tel que celui de l’espèce est conforme à la fois au règlement n° 1408/71 et au règlement n° 574/72. Reste encore à examiner, plus spécialement, si cette situation est, comme le soutient Mme Bosmann, contraire à l’article 39 CE et au principe d’égalité de traitement.

4.      Libre circulation et non-discrimination

67.      Comme l’a souligné, en particulier, le gouvernement espagnol en l’espèce, une personne qui, comme Mme Bosmann, a fait usage du droit à la libre circulation des travailleurs et qui a exercé une activité professionnelle dans un État membre autre que celui de résidence, relève du champ d’application de l’article 39 CE (33).

68.      L’article 39 CE – mis en œuvre, en ce qui concerne la sécurité sociale des travailleurs migrants, par l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1408/71 – prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité des bénéficiaires des régimes de sécurité sociale, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (34).

69.      En second lieu, il résulte clairement d’une jurisprudence constante que les dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes visent à faciliter, pour les ressortissants communautaires, l’exercice d’activités professionnelles de toute nature sur l’ensemble du territoire de la Communauté et s’opposent aux mesures qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu’ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d’un autre État membre (35).

70.      Relevons, à cet égard, que l’objectif du règlement n° 1408/71 est d’assurer, ainsi que l’énoncent ses deuxième et quatrième considérants, la libre circulation des travailleurs salariés et non salariés dans la Communauté européenne, tout en respectant les caractéristiques propres aux législations nationales de sécurité sociale. À cet effet, ainsi qu’il résulte de ses cinquième, sixième et dixième considérants, ce règlement retient pour principe l’égalité de traitement des travailleurs au regard des différentes législations nationales et vise à garantir au mieux l’égalité de traitement de tous les travailleurs occupés sur le territoire d’un État membre ainsi qu’à ne pas pénaliser les travailleurs qui exercent leur droit à la libre circulation (36).

71.      Toutefois, comme nous l’avons déjà noté plus haut, c’est uniquement en élaborant un système de coordination, comme le prévoit l’article 42 CE, que le règlement n° 1408/71 contribue à faciliter l’exercice de la liberté de circulation des personnes et la garantie de l’égalité de traitement (37). Les différences de fond et de procédure entre les régimes de sécurité sociale de chaque État membre, et partant dans les droits des personnes qui y travaillent, ne sont donc pas touchées par le traité (38).

72.      En conséquence, comme la Cour l’a jugé de manière répétée, le traité ne garantit pas à un travailleur que l’extension de ses activités dans plus d’un État membre ou leur transfert dans un autre État membre soient neutres en matière de sécurité sociale. Compte tenu des disparités entre les régimes de sécurité sociale des différents États membres, une telle extension ou un tel transfert peuvent, selon les cas, être plus ou moins avantageux ou désavantageux pour le travailleur sur le plan de la protection sociale (39).

73.      Par conséquent, faute d’harmonisation du droit de la sécurité sociale, les dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes n’empêchent pas certaines restrictions de la libre circulation, c’est-à-dire des restrictions résultant de disparités persistantes entre les régimes de sécurité sociale des États membres et qui sont inhérentes à un système visant à une simple coordination des législations nationales (40).

74.      Ce raisonnement doit précisément s’appliquer également aux différences de traitement qui découlent simplement de disparités légitimes entre le droit de la sécurité sociale des différents États membres et qui ne sauraient donc être considérées comme contraires au principe d’égalité (41).

75.      Dès lors, il convient de noter tout d’abord qu’accepter un emploi aux Pays‑Bas était effectivement défavorable à Mme Bosmann en ce que cette décision entraînait, conformément au principe d’application du droit de l’État d’emploi inscrit dans le règlement n° 1408/71, l’application de la législation néerlandaise, qui ne prévoit pas d’allocations familiales du chef d’enfants ayant l’âge de ceux de Mme Bosmann, alors qu’elle aurait eu droit aux allocations familiales allemandes si elle avait été salariée en Allemagne.

76.      Nous estimons cependant, quant à nous, que ce désavantage doit être imputé aux différences substantielles existant, en matière d’allocations familiales, entre les régimes de sécurité sociale d’Allemagne et des Pays-Bas, en ce qui concerne, en particulier, la condition d’ouverture des droits liée à l’âge des enfants. Par suite, un tel désavantage ne saurait constituer une violation de la liberté de circulation garantie par le traité.

77.      En second lieu, en ce qui concerne la question de la discrimination soulevée par Mme Bosmann et la juridiction de renvoi, il est également clair que le système de coordination établi par le règlement n° 1408/71 ne garantit pas (et ne peut garantir) une égalité de traitement à tous égards. Comme l’avocat général Sharpston l’a souligné dans ses conclusions dans l’affaire Gouvernement de la Communauté française et Gouvernement wallon (C-212/06), dans la mesure où l’article 13, paragraphe 2, sous a), prévoit, en règle générale, que la législation applicable est la lex loci laboris, l’État membre dans le territoire duquel l’égalité doit être réalisée sera donc normalement l’État où se situe le lieu de travail (42).

78.      Ainsi, lorsque, comme en l’espèce, cette règle est mise en œuvre, le travailleur migrant doit être traité sur un pied d’égalité avec tous les autres travailleurs occupés sur le territoire de cet État.

79.      Cela semble être le cas en l’espèce, puisque le droit néerlandais ne reconnaît pas en général de droit aux allocations familiales du chef d’enfants ayant l’âge de ceux de Mme Bosmann; cette dernière est donc traitée à cet égard de la même manière que les personnes qui travaillent et résident aux Pays-Bas.

80.      Mme Bosmann ne saurait prétendre qu’une personne dans sa situation, qui réside dans un État membre et ne fait qu’exercer un travail salarié dans un autre État membre, subit une discrimination par rapport aux personnes exerçant également une activité professionnelle dans l’État membre de résidence ou par rapport aux personnes dont le conjoint est salarié dans cet État. Selon nous, dans un système de coordination fondé sur le principe de la lex loci laboris et du critère du lieu d’emploi, les situations comparées dans cet argument sont objectivement différentes (43); par conséquent, ces situations peuvent également conduire à des résultats différents en ce qui concerne l’applicabilité du droit de l’État de résidence et donc en ce qui concerne le droit aux allocations familiales dans cet État.

81.      Dès lors, l’application de l’article 13 du règlement n° 1408/71 et, en particulier, des principes qui y apparaissent (lex loci laboris et applicabilité du droit d’un seul État membre), par laquelle un salarié se trouvant dans une situation telle que celle de la requérante au principal n’a pas droit aux allocations familiales dans l’État membre de résidence et ne peut recevoir d’allocations familiales dans l’État d’emploi en raison de l’âge de ses enfants, est compatible avec la liberté de circulation et le principe d’égalité.

82.      Par ces motifs, il apparaît clairement que, en vertu des règlements nos 1408/71 et 574/72 et compte tenu du droit à la libre circulation et à l’égalité de traitement, une personne se trouvant dans une situation telle que celle faisant l’objet du litige au principal ne peut prétendre à l’application du droit de l’État dans lequel elle réside de manière à percevoir les allocations familiales que celui‑ci prévoit.

5.      Pertinence du retour quotidien du salarié au foyer familial

83.      En ce qui concerne la quatrième question, il suffira de relever, comme l’a suggéré le gouvernement allemand, que l’article 13, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1408/71 dispose que la législation de l’État d’emploi s’applique dès lors qu’une personne réside dans un État membre et exerce une activité salariée sur le territoire d’un autre État membre. Le principe de la lex loci laboris s’applique donc indépendamment de la question de savoir si le salarié concerné retourne au foyer familial après chaque journée de travail, cette circonstance étant en réalité aléatoire et sans conséquence juridique en l’espèce.

V –    Conclusions

84.      Par ces motifs, nous proposons à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles qui lui ont été déférées par le Finanzgericht Köln:

«En vertu du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, tel que modifié par le règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil du 13 avril 2005, ainsi que du règlement (CEE) nº 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d’application du règlement nº 1408/71, tel que modifié lui aussi par le règlement n° 647/2005, et compte tenu du droit à la libre circulation et à l’égalité de traitement, une personne se trouvant dans une situation telle que celle faisant l’objet du litige dont a été saisie la juridiction de renvoi ne saurait prétendre à l’application du droit de l’État dans lequel elle réside de manière à percevoir les allocations familiales que celui‑ci prévoit, indépendamment du fait que cette personne retourne au foyer familial après chaque journée de travail.»


1 – Langue originale: l’anglais.


2 – JO L 149, p. 2.


3 – Règlement modifiant le règlement n° 1408/71 et le règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil fixant les modalités d’application du règlement n° 1408/71 (JO L 117, p. 1).


4 – JO L 74, p. 1.


5 – Elle renvoie, à cet égard, à l’arrêt du Bundesfinanzhof du 13 août 2002 (VIII R 61/00, BStBl‑II 2002, p. 869) et à l’arrêt du 7 juin 2005, Dodl et Oberhollenzer (C‑543/03, Rec. p. I‑5049).


6 – La juridiction de renvoi examine, à cet égard, les arrêts du 10 juillet 1986, Luijten (60/85, Rec. p. 2365); du 20 septembre 1988, Espagne/Conseil (203/86, Rec. p. 4563); du 15 décembre 1995, Bosman (C-415/93, Rec. p. I-4921); du 17 avril 1997, EARL de Kerlast (C-15/95, Rec. p. I‑1961), et du 13 décembre 2001, DaimlerChrysler (C-324/99, Rec. p. I-9897).


7 – Il se réfère, en particulier, à l’arrêt du 12 juin 1986, Ten Holder (302/84, Rec. p. 1821, points 19 à 21).


8 – Arrêt Luitjen, précité note 6, point 15.


9 – Il se réfère, à cet égard, en particulier, aux arrêts du 17 mars 2005, Kranemann (C‑109/04, Rec. p. I-2421); du 16 février 2006, Öberg (C-185/04, Rec. p. I‑1453), et du 30 mars 2006, Mattern et Cikotic (C-10/05, Rec. p. I-3145).


10 – Arrêt du 9 décembre 1992 (C-119/91, Rec. p. I-6393) et conclusions de l’avocat général Darmon dans cette affaire.


11 – Il suffit, en ce qui concerne le règlement n° 1408/71, de se reporter par exemple à l’arrêt du 19 mars 2002, Hervein e.a. (C-393/99 et C-394/99, Rec. p. I-2829).


12 – Voir, à cet effet, notamment, arrêt du 7 juillet 2005, Weide (C-153/03, Rec. p. I‑6017, point 25).


13 – Voir, à cet effet, notamment arrêt Hervein e.a., précité note 11, point 52.


14 – Voir ordonnance du 20 octobre 2000, Vogler (C-242/99, Rec. p. I-9083, point 26), et arrêt du 20 janvier 2005, Laurin Effing (C-302/02, Rec. p. I-553, point 38).


15 – Voir, à cet égard, notamment, ordonnance Vogler, précitée note 14, point 19.


16 – Voir, à cet effet, arrêt Dodl et Oberhollenzer, précité note 5, points 47 et 48.


17 – Voir, par exemple, arrêt McMenamin, précité note 10, point 14. Pour un raisonnement analogue concernant l’article 73 du règlement n° 1408/71, voir arrêt Dodl et Oberhollenzer, précité note 5, point 49.


18 – Voir, à cet effet, arrêt Weide, précité note 12, point 28.


19 – Arrêt précité note 10.


20 – Ibidem, points 15 et 27.


21 – Ibidem, points 18, 24 et 25.


22 – Arrêt précité note 5, point 60.


23 – Arrêt précité note 12, point 33.


24 – Pour un exemple de cas dans lequel une personne (un travailleur indépendant) est soumise à la législation de l’État membre de résidence du fait qu’elle poursuit une partie de son activité sur le territoire de cet État, voir ordonnance Vogler, précitée note 14, point 19.


25 – Voir, à cet effet, par exemple, arrêt Hervein e.a., précité note 11, point 52.


26 – Voir, par exemple, arrêts du 12 juin 1997, Merino García (C-266/95, Rec. p. I‑3279, point 29), et du 11 juin 1998, Kuusijärvi (C-275/96, Rec. p. I-3419, point 29).


27 – Voir arrêt Merino García, précité note 26, point 29.


28 – Voir, à cet égard, arrêts Hervein e.a., précité note 11, point 53, et Kuusijärvi, précité note 26, point 29.


29 – Voir arrêt Hervein e.a., précité note 11, point 52.


30 – Voir arrêt Kuusijärvi, précité note 26, point 28.


31 – Voir, par exemple, arrêt Ten Holder, précité note 7, point 21.


32 – Voir, à cet effet, arrêt Hervein e.a., précité note 11, point 51.


33 – Voir, notamment, arrêt Öberg, précité note 9, point 11.


34 – Voir, notamment, arrêts du 21 septembre 2000, Borawitz (C-124/99, Rec. p. I‑7293, point 24), et du 18 janvier 2007, Celozzi (C-332/05, Rec. p. I-563, point 23).


35 – Voir, notamment, arrêts du 11 septembre 2007, Commission/Allemagne (C-318/05, Rec. p. I‑6957, point 114); Öberg, précité note 9, point 14, et Bosman, précité note 6, point 94.


36 – Voir, notamment, arrêt du 9 mars 2006, Piatkowski (C-493/04, Rec. p. I-2369, point 19 et jurisprudence citée).


37 – Voir arrêt du 8 mars 2001, Commission/Allemagne (C-68/99, Rec. p. I-1865, points 22 et 23).


38 – Voir, par exemple, arrêt du 15 janvier 1986, Pinna (41/84, Rec. p. 1, point 20).


39 – Voir, à cet effet, arrêts Piatkowski, précité note 36, point 34, et Hervein e.a., précité note 11, point 51.


40 – Il ressort, toutefois, de cette jurisprudence que cela est vrai seulement dans la mesure où les règles communautaires découlant de l’article 42 CE n’ajoutent pas des disparités supplémentaires à celles qui résultent déjà du défaut d’harmonisation des législations nationales: voir en ce sens, notamment, arrêt Pinna, précité note 38, points 20 et 21.


41 – Pour un raisonnement similaire suivi par la Cour en matière de fiscalité directe, voir arrêt du 25 octobre 2007, Porto Antico di Genova (C-427/05, non encore publié au Recueil, point 20).


42 – Affaire pendante devant la Cour, point 77.


43 – Le principe de non-discrimination exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale. Voir, à cet effet, notamment, arrêts du 17 juillet 1997, National Farmers’ Union e.a. (C-354/95, Rec. p. I-4559, point 61), et du 2 octobre 2003, Garcia Avello (C-148/02, Rec. p. I-11613, point 31).