Language of document : ECLI:EU:C:2008:85

ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

14 février 2008 (*)

«Libre circulation des marchandises – Article 28 CE – Mesures d’effet équivalent – Directive 2000/31/CE – Réglementation nationale interdisant la vente par correspondance de vidéogrammes n’ayant pas fait l’objet, par l’autorité compétente, d’un contrôle et d’une classification aux fins de la protection des mineurs et ne comportant pas d’indication, émanant de cette autorité, de l’âge à partir duquel ces vidéogrammes peuvent être vus – Vidéogrammes importés d’un autre État membre ayant été contrôlés et classifiés par l’autorité compétente de cet État et comportant une indication d’âge limite – Justification – Protection de l’enfant – Principe de proportionnalité»

Dans l’affaire C‑244/06,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Landgericht Koblenz (Allemagne), par décision du 25 avril 2006, parvenue à la Cour le 31 mai 2006, dans la procédure

Dynamic Medien Vertriebs GmbH

contre

Avides Media AG,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas (rapporteur), président de chambre, MM. U. Lõhmus, J. Klučka, A. Ó Caoimh et Mme P. Lindh, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. J. Swedenborg, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 2 mai 2007,

considérant les observations présentées:

–        pour Dynamic Medien Vertriebs GmbH, par Mes W. Konrad et F. Weber, Rechtsanwälte,

–        pour Avides Media AG, par Me C. Grau, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. M. Lumma et C. Blaschke ainsi que par Mme C. Schulze-Bahr, en qualité d’agents,

–        pour l’Irlande, par M. D. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de M. P. McGarry, BL,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme V. Jackson, en qualité d’agent, assistée de M. M. Hoskins, barrister,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par M. B. Schima, en qualité d’agent,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 septembre 2007,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 28 CE et 30 CE ainsi que de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique») (JO L 178, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Dynamic Medien Vertriebs GmbH (ci-après «Dynamic Medien») à Avides Media AG (ci-après «Avides Media»), deux sociétés de droit allemand, au sujet de la vente par cette dernière, en Allemagne et par correspondance sur l’Internet, de vidéogrammes provenant du Royaume-Uni, n’ayant pas fait l’objet, par une autorité régionale supérieure ou un organisme national d’autorégulation volontaire, d’un contrôle et d’une classification aux fins de la protection des mineurs et ne comportant pas d’indication, émanant de cette autorité ou de cet organisme, de l’âge à partir duquel ces vidéogrammes peuvent être vus.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3        Selon son article 1er, paragraphe 1, la directive 2000/31 a pour objectif de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en assurant la libre circulation des services de la société de l’information entre les États membres.

4        L’article 2, sous h), de ladite directive définit la notion de «domaine coordonné» comme «les exigences prévues par les systèmes juridiques des États membres et applicables aux prestataires des services de la société de l’information ou aux services de la société de l’information, qu’elles revêtent un caractère général ou qu’elles aient été spécifiquement conçues pour eux».

5        Il est précisé audit article 2, sous h), ii), que le domaine coordonné ne couvre pas les exigences telles que celles applicables aux biens en tant que tels ni celles applicables à la livraison de biens. Pour ce qui est des exigences relatives aux biens, le vingt-et-unième considérant de la directive 2000/31 mentionne les normes en matière de sécurité, les obligations en matière d’étiquetage et la responsabilité du fait des produits.

6        L’article 3, paragraphe 2, de la même directive dispose que les États membres ne peuvent, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre circulation des services de la société de l’information en provenance d’un autre État membre. Le paragraphe 4 de ce même article 3 prévoit cependant que, sous certaines conditions, lesdits États peuvent prendre, à l’égard d’un service donné de la société de l’information, des mesures nécessaires pour des raisons telles que l’ordre public, notamment la protection des mineurs, ainsi que la protection de la santé publique et des consommateurs.

7        La directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 1997, concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à distance (JO L 144, p. 19), a pour objet, selon son article 1er, l’harmonisation des dispositions applicables dans les États membres à de tels contrats, conclus entre les consommateurs et les fournisseurs.

 La réglementation nationale

8        L’article 1er, paragraphe 4, de la loi sur la protection des mineurs (Jugendschutzgesetz), du 23 juillet 2002 (BGBl. 2002 I, p. 2730), définit la vente par correspondance comme «toute opération à titre onéreux effectuée par commande et envoi d’une marchandise par voie postale ou électronique sans contact personnel entre le livreur et l’acheteur ou sans qu’il soit garanti, par des mesures techniques ou autres, que l’expédition ne sera pas livrée à des enfants ou à des adolescents».

9        L’article 12, paragraphe 1, de la loi sur la protection des mineurs prévoit que les cassettes vidéo préenregistrées et autres supports de données transmissibles programmés avec des films ou des jeux pour être reproduits ou joués sur écran (supports d’images) ne peuvent être rendus publiquement accessibles à un enfant ou à une personne adolescente que si les programmes ont été autorisés pour leur tranche d’âge et marqués par l’autorité suprême du Land ou par une organisation d’autorégulation volontaire dans le cadre de la procédure visée à l’article 14, paragraphe 6, de cette même loi ou s’il s’agit de programmes d’information, d’instruction et d’enseignement qui ont été indiqués comme «programme d’information» ou «programme éducatif» par le fournisseur.

10      Le paragraphe 3 dudit article 12 dispose que «les supports d’images sur lesquels l’autorité suprême du Land ou une organisation d’autorégulation volontaire n’a pas apposé de marquage ou a apposé la mention ‘interdit aux mineurs’ conformément à l’article 14, paragraphe 2, dans le cadre de la procédure visée à l’article 14, paragraphe 6, ou qui n’ont pas été étiquetés par le fournisseur conformément à l’article 14, paragraphe 7, ne peuvent

1.      être proposés, cédés ou rendus autrement accessibles à un enfant ou à un adolescent,

2.      être proposés ou cédés dans le commerce de détail hors des locaux commerciaux, dans des kiosques ou d’autres points de vente dans lesquels les clients n’entrent pas habituellement, ou par correspondance.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

11      Avides Media vend des supports vidéo et audio par correspondance au moyen de son site sur l’Internet et d’une plateforme de commerce électronique.

12      Le litige au principal porte sur l’importation par cette société, du Royaume-Uni vers l’Allemagne, de bandes dessinées japonaises appelées «animes» dans leur version sur DVD ou cassette vidéo. Celles-ci ont fait l’objet, avant leur importation, d’un contrôle par la British Board of Film Classification (commission britannique de classification des films, ci-après la «BBFC»). Cette dernière a vérifié, en faisant application des dispositions relatives à la protection des mineurs en vigueur au Royaume-Uni, quel est le public auquel s’adressent ces vidéogrammes et a classé ceux-ci dans la catégorie «interdit aux moins de 15 ans». Ces vidéogrammes comportent un autocollant de la BBFC indiquant qu’ils peuvent être vus par des adolescents de 15 ans ou plus.

13      Dynamic Medien, qui est un concurrent d’Avides Media, a engagé une procédure en référé devant le Landgericht Koblenz, visant à faire interdire à cette dernière société la vente par correspondance de tels vidéogrammes. Selon elle, la loi sur la protection des mineurs interdit la vente par correspondance de vidéogrammes n’ayant pas fait l’objet, en Allemagne, d’un contrôle en application de cette loi et ne comportant pas d’indication relative à l’âge à partir duquel ceux-ci peuvent être vus résultant d’une décision de classement émanant d’une autorité régionale supérieure ou d’un organisme national d’autorégulation (ci-après l’«autorité compétente»).

14      Par décision du 8 juin 2004, ladite juridiction a considéré que la vente par correspondance de vidéogrammes portant uniquement une indication d’âge limite émanant de la BBFC est contraire aux dispositions de la loi sur la protection des mineurs et constitue un comportement anticoncurrentiel. Le 21 décembre 2004, l’Oberlandesgericht Koblenz, statuant en référé, a confirmé cette décision.

15      Saisi du litige au fond et s’interrogeant sur la conformité de l’interdiction prévue par la loi sur la protection des mineurs avec les dispositions tant de l’article 28 CE que de la directive 2000/31, le Landgericht Koblenz a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«[1)] Le principe de libre circulation des marchandises au sens de l’article 28 CE s’oppose-t-il à une disposition juridique allemande interdisant la vente par correspondance de vidéogrammes (DVD, cassettes vidéo) ne comportant aucune mention indiquant qu’ils ont été soumis au contrôle allemand relatif à la protection des mineurs?

[2)]      En particulier: ‘[l’]interdiction de la vente par correspondance de tels vidéogrammes représente-t-elle une mesure d’effet équivalent au sens de l’article 28 CE?

[3)]      Dans l’affirmative: [p]areille interdiction est-elle également justifiée au regard de l’article 30 CE et en tenant compte de la directive [2000/31] lorsque le vidéogramme a été soumis à un contrôle relatif à la protection des mineurs par un autre État membre […] et qu’il comporte un étiquetage en ce sens, ou un tel contrôle par un autre État membre […] représente-t-il une mesure moins contraignante au sens de cette disposition?»

 Sur les question préjudicielles

 Observations liminaires

16      Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande si le principe de la libre circulation des marchandises au sens des articles 28 CE à 30 CE, ce dernier étant lu, le cas échéant, en combinaison avec les dispositions de la directive 2000/31, s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit la vente et la cession par correspondance de vidéogrammes qui n’ont pas fait l’objet, par l’autorité compétente, d’un contrôle ainsi que d’une classification aux fins de la protection des mineurs et qui ne comportent pas d’indication, émanant de cette autorité, de l’âge à partir duquel ils peuvent être vus.

17      Pour ce qui est du cadre juridique national dans lequel s’inscrit la demande de décision préjudicielle, le gouvernement allemand soutient que l’interdiction de vente par correspondance de vidéogrammes non contrôlés n’est pas absolue. En réalité, ce type de vente serait conforme au droit national lorsqu’il est garanti que la commande a été effectuée par un adulte et que la livraison du produit en cause à des enfants ou à des adolescents est empêchée de manière efficace.

18      Dans ce contexte, se pose la question de la définition, dans l’ordre juridique national, de la notion de vente par correspondance. En effet, il ressort du dossier que cette notion est définie, à l’article 1er, paragraphe 4, de la loi sur la protection des mineurs, comme «toute opération à titre onéreux effectuée par commande et envoi d’une marchandise par voie postale ou électronique sans contact personnel entre le livreur et l’acheteur ou sans qu’il soit garanti, par des mesures techniques ou autres, que l’expédition ne sera pas livrée à des enfants ou à des adolescents».

19      Cependant, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, sur l’interprétation des dispositions nationales ni de juger si l’interprétation que donne la juridiction de renvoi de celles-ci est correcte (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2000, Corsten, C‑58/98, Rec. p. I-7919, point 24). En effet, il incombe à la Cour de prendre en compte, dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions communautaires et nationales, le contexte factuel et réglementaire, tel que défini par la décision de renvoi, dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles (voir arrêts du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner, C-475/99, Rec. p. I-8089, point 10; du 2 juin 2005, Dörr et Ünal, C‑136/03, Rec. p. I-4759, point 46, ainsi que du 22 juin 2006, Conseil général de la Vienne, C‑419/04, Rec. p. I-5645, point 24).

20      Dans de telles conditions, il y a lieu de répondre à la demande de décision préjudicielle en partant de la prémisse, qui est celle de la juridiction de renvoi, selon laquelle la réglementation en cause au principal interdit toute vente par correspondance de vidéogrammes n’ayant pas fait l’objet, par l’autorité compétente, d’un contrôle ainsi que d’une classification aux fins de la protection des mineurs et ne comportant pas une indication, émanant de celle-ci, afférente à l’âge à partir duquel ils peuvent être vus.

21      En outre, il convient de relever qu’il apparaît, au regard des éléments figurant dans le dossier, que la réglementation en cause au principal s’applique non seulement aux fournisseurs établis sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne, mais également à ceux dont le siège est situé dans d’autres États membres.

22      Quant aux dispositions du droit communautaire applicables dans des circonstances telles que celles du litige au principal, il convient de constater que certains aspects relatifs à la vente de vidéogrammes par correspondance sont susceptibles de relever du champ d’application de la directive 2000/31. Cependant, ainsi qu’il ressort de l’article 2, sous h), ii), de cette directive, celle-ci ne régit pas les exigences applicables aux biens en tant que tels. Il en va de même pour ce qui est de la directive 97/7.

23      Les règles nationales relatives à la protection des mineurs lors de la vente de biens par correspondance n’ayant pas fait l’objet d’une harmonisation au niveau communautaire, il convient d’apprécier la réglementation en cause au principal au regard des articles 28 CE et 30 CE.

 Sur l’existence d’une restriction à la libre circulation des marchandises

24      Avides Media, le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission des Communautés européennes considèrent que la réglementation en cause au principal constitue une mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives interdite, en principe, par l’article 28 CE. Selon ces deux derniers, ledit régime serait cependant justifié pour des raisons relatives à la protection des mineurs.

25      Dynamic Medien, le gouvernement allemand et l’Irlande soutiennent que la réglementation en cause au principal concerne une modalité de vente au sens de l’arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C‑267/91 et C‑268/91, Rec. p. I‑6097). Étant indistinctement applicable aux produits nationaux ainsi qu’aux produits importés et affectant de la même manière, en droit et en fait, la commercialisation de ces deux types de produits, elle ne relèverait pas de l’interdiction prévue à l’article 28 CE.

26      Selon une jurisprudence constante, toute réglementation commerciale des États membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire doit être considérée comme une mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives et, à ce titre, elle est interdite par l’article 28 CE (voir, notamment, arrêts du 11 juillet 1974, Dassonville, 8/74, Rec. p. 837, point 5; du 19 juin 2003, Commission/Italie, C‑420/01, Rec. p. I-6445, point 25, et du 8 novembre 2007, Ludwigs-Apotheke, C‑143/06, non encore publié au Recueil, point 25).

27      Bien qu’une mesure n’ait pas pour objet de régler les échanges de marchandises entre les États membres, ce qui est déterminant c’est son effet, actuel ou potentiel, sur le commerce intracommunautaire. En application de ce critère, constituent des mesures d’effet équivalent les entraves à la libre circulation des marchandises résultant, en l’absence d’harmonisation des législations nationales, de l’application à des marchandises en provenance d’autres États membres, où elles sont légalement fabriquées et commercialisées, de règles relatives aux conditions auxquelles doivent répondre ces marchandises (telles que celles qui concernent leur dénomination, leur forme, leurs dimensions, leur poids, leur composition, leur présentation, leur étiquetage, leur conditionnement), même si ces règles sont indistinctement applicables à tous les produits, dès lors que cette application ne peut être justifiée par un but d’intérêt général de nature à primer les exigences de la libre circulation des marchandises (voir, en ce sens, arrêt du 20 février 1979, Rewe-Zentral, dit «Cassis de Dijon», 120/78, Rec. p. 649, points 6, 14 et 15; du 26 juin 1997, Familiapress, C-368/95, Rec. p. I-3689, point 8, ainsi que du 11 décembre 2003, Deutscher Apothekerverband, C‑322/01, Rec. p. I‑14887, point 67).

28      Dans sa jurisprudence, la Cour a également qualifié de mesures d’effet équivalent, interdites par l’article 28 CE, les dispositions nationales soumettant un produit, légalement fabriqué et commercialisé dans un autre État membre, à des contrôles supplémentaires, sous réserve des exceptions prévues ou admises par le droit communautaire (voir, notamment, arrêts du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, C‑390/99, Rec. p. I-607, points 36 et 37, ainsi que du 8 mai 2003, ATRAL, C‑14/02, Rec. p. I-4431, point 65).

29      En revanche, n’est pas susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce entre les États membres, au sens de la jurisprudence inaugurée par l’arrêt Dassonville, précité, l’application à des produits en provenance d’autres États membres de dispositions nationales qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente, pour autant qu’elles s’appliquent à tous les opérateurs concernés exerçant leur activité sur le territoire national et qu’elles affectent de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et de ceux en provenance d’autres États membres (voir, notamment, arrêts Keck et Mithouard, précité, point 16; du 15 décembre 1993, Hünermund e.a., C‑292/92, Rec. p. I‑6787, point 21, ainsi que du 28 septembre 2006, Ahokainen et Leppik, C-434/04, Rec. p. I-9171, point 19). En effet, dès lors que ces conditions sont remplies, l’application de réglementations de ce type à la vente des produits en provenance d’un autre État membre et répondant aux règles édictées par cet État n’est pas de nature à empêcher leur accès au marché ou à le gêner davantage qu’elle ne gêne celui des produits nationaux (voir arrêt Keck et Mithouard, précité, point 17).

30      Par la suite, la Cour a qualifié de dispositions régissant des modalités de vente au sens de l’arrêt Keck et Mithouard, précité, des dispositions concernant, en particulier, certaines méthodes de commercialisation (voir, notamment, arrêts Hünermund e.a., précité, points 21 et 22; du 13 janvier 2000, TK-Heimdienst, C‑254/98, Rec. p. I-151, point 24, ainsi que du 23 février 2006, A-Punkt Schmuckhandel, C‑441/04, Rec. p. I‑2093, point 16).

31      Il ressort du point 15 de l’arrêt du 29 juin 1995, Commission/Grèce (C‑391/92, Rec. p. I-1621), que constitue une modalité de vente, au sens de la jurisprudence citée au point 29 du présent arrêt, une réglementation qui restreint la commercialisation de produits à certains points de vente et qui a pour effet de limiter la liberté commerciale des opérateurs économiques sans porter sur les caractéristiques des produits visés eux-mêmes. Ainsi, la nécessité d’adapter les produits en question aux règles en vigueur dans l’État membre de commercialisation exclut qu’il s’agisse d’une telle modalité (voir arrêt Canal Satélite Digital, précité, point 30). Il en est ainsi notamment en ce qui concerne la nécessité de modifier l’étiquette des produits importés (voir, notamment, arrêts du 3 juin 1999, Colim, C‑33/97, Rec. p. I-3175, point 37, ainsi que du 18 septembre 2003, Morellato, C-416/00, Rec. p. I‑9343, points 29 et 30).

32      En l’occurrence, il convient de constater que la réglementation en cause au principal ne constitue pas une modalité de vente au sens de la jurisprudence inaugurée par l’arrêt Keck et Mithouard, précité.

33      En effet, ladite réglementation n’interdit pas la vente par correspondance de vidéogrammes. Elle prévoit que, pour pouvoir être commercialisés par ce moyen, ceux-ci doivent faire l’objet d’une procédure nationale de contrôle et de classification aux fins de la protection des mineurs, et ce indépendamment de la question de savoir si une procédure analogue a déjà eu lieu dans l’État membre d’exportation desdits vidéogrammes. En outre, cette réglementation fixe une condition à laquelle ces derniers doivent satisfaire, à savoir celle relative à leur marquage.

34      Force est de constater qu’une telle réglementation est de nature à rendre l’importation de vidéogrammes provenant d’États membres autres que la République fédérale d’Allemagne plus difficile et plus coûteuse, de sorte qu’elle est susceptible de dissuader certains intéressés de commercialiser de tels vidéogrammes dans ce dernier État membre.

35      Il résulte de ce qui précède que la réglementation en cause au principal constitue une mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives au sens de l’article 28 CE, en principe incompatible avec les obligations résultant de celui-ci, à moins qu’elle ne puisse être objectivement justifiée.

 Sur la justification éventuelle de la réglementation en cause au principal

36      Le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission considèrent que la réglementation en cause au principal est justifiée dans la mesure où elle vise à protéger les mineurs. Cet objectif serait lié notamment à la moralité publique et à l’ordre public, justifications reconnues à l’article 30 CE. En outre, les directives 97/7 et 2000/31 autoriseraient expressément l’imposition de restrictions au nom de l’intérêt général.

37      Dynamic Medien, le gouvernement allemand et l’Irlande se rallient à cette position dans l’hypothèse où il serait établi que ladite réglementation n’échappe pas à l’interdiction prévue à l’article 28 CE. Le gouvernement allemand fait valoir que celle-ci poursuit des fins d’ordre public et permet de garantir que les jeunes puissent développer leur sens de la responsabilité personnelle et leur sociabilité. Par ailleurs, la protection des mineurs serait un objectif en étroite relation avec la garantie du respect de la dignité humaine. L’Irlande invoque également l’exigence impérative de protection des consommateurs reconnue par l’arrêt Cassis de Dijon, précité.

38      Avides Media considère que la réglementation en cause au principal est disproportionnée dans la mesure où elle a pour effet d’interdire systématiquement la vente par correspondance de vidéogrammes ne comportant pas le marquage qu’elle a prévu, et ce indépendamment de la question de savoir si les vidéogrammes concernés avaient ou non fait l’objet, dans un autre État membre, d’un contrôle aux fins de la protection des mineurs. Le droit allemand ne prévoirait pas non plus de procédure simplifiée dans le cas où un tel contrôle aurait effectivement eu lieu.

39      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la protection des droits de l’enfant est reconnue par différents instruments internationaux auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré, tels que le pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 19 décembre 1966 et entré en vigueur le 23 mars 1976, et la convention relative aux droits de l’enfant, adoptée par ladite Assemblée le 20 novembre 1989 et entrée en vigueur le 2 septembre 1990. La Cour a déjà eu l’occasion de rappeler que ces instruments internationaux figurent au nombre de ceux concernant la protection des droits de l’homme dont elle tient compte pour l’application des principes généraux du droit communautaire (voir, notamment, arrêt du 27 juin 2006, Parlement/Conseil, C‑540/03, Rec. p. I‑5769, point 37).

40      Dans ce contexte, il convient de relever que, en vertu de l’article 17 de la convention relative aux droits de l’enfant, les États parties reconnaissent l’importance de la fonction remplie par les médias et veillent à ce que l’enfant ait accès à une information et à des matériels provenant de sources nationales et internationales diverses, notamment ceux qui visent à promouvoir son bien-être social, spirituel et moral ainsi que sa santé physique et mentale. Le même article, sous e), précise que lesdits États favorisent l’élaboration de principes directeurs appropriés destinés à protéger l’enfant contre l’information et les matériels qui nuisent à son bien-être.

41      La protection de l’enfant est également consacrée dans des instruments élaborés dans le cadre de l’Union européenne, tels que la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO C 364, p. 1), dont l’article 24, paragraphe 1, dispose que les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être (voir, en ce sens, arrêt Parlement/Conseil, précité, point 58). Par ailleurs, le droit des États membres de prendre les mesures nécessaires pour des raisons relatives à la protection des mineurs est reconnu par certains instruments du droit communautaire, tels que la directive 2000/31.

42      Si la protection de l’enfant constitue un intérêt légitime de nature à justifier, en principe, une restriction à une liberté fondamentale garantie par le traité CE, telle que la libre circulation des marchandises (voir, par analogie, arrêt du 12 juin 2003, Schmidberger, C-112/00, Rec. p. I‑5659, point 74), il n’en demeure pas moins que de telles restrictions ne peuvent être justifiées que si elles sont propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint (voir, en ce sens, arrêts du 14 octobre 2004, Omega, C‑36/02, Rec. p. I-9609, point 36, ainsi que du 11 décembre 2007, International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union, C‑438/05, non encore publié au Recueil, point 75).

43      Il ressort de la décision de renvoi que la réglementation nationale en cause au principal vise à protéger l’enfant contre l’information et les matériels qui nuisent à son bien-être.

44      À cet égard, il convient de relever qu’il n’est pas indispensable que les mesures restrictives édictées par les autorités d’un État membre pour protéger les droits de l’enfant, visées aux points 39 à 42 du présent arrêt, correspondent à une conception partagée par l’ensemble des États membres en ce qui concerne le niveau et les modalités de cette protection (voir, par analogie, arrêt Omega, précité, point 37). Cette conception pouvant varier d’un État membre à l’autre selon des considérations notamment d’ordre moral ou culturel, il y a lieu de reconnaître aux États membres une marge d’appréciation certaine.

45      S’il est vrai qu’il appartient à ces derniers, à défaut d’harmonisation communautaire, d’apprécier le niveau auquel ils entendent assurer la protection de l’intérêt en cause, il n’en demeure pas moins que ce pouvoir d’appréciation doit être exercé dans le respect des obligations découlant du droit communautaire.

46      Si la réglementation en cause au principal correspond au niveau de protection de l’enfant que le législateur allemand a entendu assurer sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne, encore faut-il que les moyens que celle-ci met en œuvre soient propres à garantir la réalisation de cet objectif et qu’ils n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci.

47      Il ne fait aucun doute que l’interdiction de la vente et de la cession par correspondance de vidéogrammes qui n’ont pas fait l’objet, par l’autorité compétente, d’un contrôle ainsi que d’une classification aux fins de la protection des mineurs et qui ne comportent pas d’indication, émanant de cette autorité, de l’âge à partir duquel ils peuvent être vus constitue une mesure de nature à protéger l’enfant contre l’information et les matériels qui nuisent à son bien-être.

48      Pour ce qui est de la portée matérielle de l’interdiction en cause, il convient de relever que la loi sur la protection des mineurs ne s’oppose pas à toute forme de commercialisation de vidéogrammes non contrôlés. En effet, il ressort de la décision de renvoi qu’il est loisible d’importer et de vendre aux adultes de tels vidéogrammes par des canaux de distribution impliquant un contact personnel entre le livreur et l’acheteur et permettant ainsi de veiller à ce que les enfants n’aient pas accès à ces vidéogrammes. Eu égard à ces éléments, il apparaît que la réglementation en cause au principal ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi par l’État membre concerné.

49      Quant à la procédure de contrôle instaurée par le législateur national pour protéger l’enfant contre l’information et les matériels qui nuisent à son bien-être, la seule circonstance qu’un État membre a opté pour des modalités de protection différentes de celles adoptées par un autre État membre ne saurait avoir d’incidence sur l’appréciation de la proportionnalité des dispositions nationales prises en la matière. Celles-ci doivent seulement être appréciées au regard de l’objectif en cause et du niveau de protection que l’État membre concerné entend assurer (voir, par analogie, arrêts du 21 septembre 1999, Läärä e.a., C-124/97, Rec. p. I-6067, point 36, et Omega, précité, point 38).

50      Toutefois, une telle procédure de contrôle doit être aisément accessible, doit pouvoir être menée à terme dans des délais raisonnables et, si elle débouche sur un refus, la décision de refus doit pouvoir faire l’objet d’un recours juridictionnel (voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 1992, Commission/France, C-344/90, Rec. p. I‑4719, point 9, ainsi que du 5 février 2004, Greenham et Abel, C-95/01, Rec. p. I-1333, point 35).

51      En l’occurrence, il semble ressortir des observations présentées par le gouvernement allemand devant la Cour que la procédure de contrôle, de classification et de marquage de vidéogrammes établie par la réglementation en cause au principal remplit les conditions citées au point précédent. Cependant, il incombe à la juridiction de renvoi, qui est saisie de l’affaire au principal et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, de vérifier si tel est le cas.

52      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 28 CE ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit la vente et la cession par correspondance de vidéogrammes qui n’ont pas fait l’objet, par l’autorité compétente, d’un contrôle ainsi que d’une classification aux fins de la protection des mineurs et qui ne comportent pas d’indication, émanant de cette autorité, de l’âge à partir duquel ils peuvent être vus, sauf s’il apparaît que la procédure de contrôle, de classification et de marquage de vidéogrammes établie par cette réglementation n’est pas aisément accessible ou ne peut pas être menée à terme dans des délais raisonnables ou bien que la décision de refus ne peut pas faire l’objet d’un recours juridictionnel.

 Sur les dépens

53      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

L’article 28 CE ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit la vente et la cession par correspondance de vidéogrammes qui n’ont pas fait l’objet, par une autorité régionale supérieure ou un organisme national d’autorégulation volontaire, d’un contrôle ainsi que d’une classification aux fins de la protection des mineurs et qui ne comportent pas d’indication, émanant de cette autorité ou de cet organisme, de l’âge à partir duquel ils peuvent être vus, sauf s’il apparaît que la procédure de contrôle, de classification et de marquage de vidéogrammes établie par cette réglementation n’est pas aisément accessible ou ne peut pas être menée à terme dans des délais raisonnables ou bien que la décision de refus ne peut pas faire l’objet d’un recours juridictionnel.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.