Language of document : ECLI:EU:C:2022:325

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 28 avril 2022 (1)

Affaire C677/20

Industriegewerkschaft Metall (IG Metall),

ver.di - Vereinte Dienstleistungsgewerkschaft

contre

SAP SE,

SE-Betriebsrat der SAP SE,

en présence de

Konzernbetriebsrat der SAP SE,

Deutscher Bankangestellten-Verband eV,

Christliche Gewerkschaft Metall (CGM),

Verband angestellter Akademiker und leitender Angestellter der chemischen Industrie eV

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Société européenne constituée par transformation – Société européenne de forme dualiste – Implication des travailleurs – Élection de représentants des travailleurs en tant que membres du conseil de surveillance – Scrutin distinct pour les représentants des travailleurs proposés par les syndicats »






I.      Introduction

1.        La directive 2001/86/CE du Conseil, du 8 octobre 2001, complétant le statut de la Société européenne pour ce qui concerne l’implication des travailleurs (2) (ci-après la « directive SE ») est le fruit de plus de 30 années de négociations, puisque le premier projet de création d’une société européenne (ci-après la « SE »), au moyen d’un règlement, a été proposé par la Commission européenne en 1970. Les négociations ont longtemps achoppé sur deux points : la structure dualiste ou moniste de la société et l’implication des travailleurs. Après que le projet a été scindé en deux propositions en 1989 – la première, de règlement portant statut de la société européenne (3) et, la seconde, de directive complétant le statut de la société européenne pour ce qui concerne la place des travailleurs (4) –, un compromis a finalement été trouvé. Il en a résulté la possibilité de création d’une SE par transformation d’une société anonyme, constituée selon le droit d’un État membre, si elle a depuis au moins deux ans une société filiale relevant du droit d’un autre État membre (5). Cette nouvelle quatrième possibilité de création d’une SE, à côté de la fusion, de la création d’une SE holding ainsi que de la création d’une SE filiale, a conduit à l’ajout de dispositions dans la directive SE afin de garantir que cette transformation de société ne soit pas utilisée pour contourner un mécanisme national d’implication des travailleurs existant dans la société devant être transformée. Parmi ces dispositions se trouve l’article 4, paragraphe 4, de la directive SE, dont l’interprétation est sollicitée par la présente demande de décision préjudicielle. Il s’agit à n’en pas douter de l’un des points névralgiques du compromis, accepté à l’unanimité à la suite du changement de base juridique pour cette directive, puisque cet article est destiné à garantir « pour tous les éléments de l’implication des travailleurs, un niveau au moins équivalent à celui qui existe dans la société qui doit être transformée en SE ».

2.        Dès lors que le droit allemand prévoit un scrutin spécifique pour élire un certain nombre de représentants des syndicats parmi les représentants des travailleurs au sein d’un conseil de surveillance d’une « Aktiengesellschaft » (société anonyme), cette spécificité fait-elle partie des éléments devant être conservés en cas de transformation de cette « Aktiengesellschaft » (société anonyme) en SE ou peut-elle faire l’objet d’une négociation entre les organes compétents de la société à transformer et le groupe spécial de négociation (ci-après le « GSN »), qui est l’instrument instauré par la directive SE pour élaborer les modalités de l’implication des travailleurs au sein de la future SE, en tenant compte des législations et pratiques nationales, puisqu’une unification des régimes n’a pas été retenue par le législateur de l’Union européenne ?

3.        Je proposerai de répondre que l’autonomie de négociation du GSN ne permet pas de porter atteinte à l’existence d’un scrutin distinct pour élire, aux fonctions de représentants des travailleurs au sein du conseil de surveillance, une certaine proportion de candidats présentés par les syndicats, lorsque cette spécificité existe et est impérative dans le droit national applicable à la société devant être transformée.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

4.        Les considérants 3, 5, 7, 8, 10, 18 et 19 de la directive SE se lisent comme suit :

« (3)      Afin de promouvoir les objectifs sociaux de [l’Union], il y a lieu d’arrêter des dispositions spéciales, notamment en ce qui concerne l’implication des travailleurs, visant à garantir que la création d’une SE n’entraîne pas la disparition ou l’affaiblissement du régime d’implication des travailleurs, existant dans les sociétés participant à la création d’une SE. Cet objectif devrait être poursuivi par la création, dans ce domaine, d’une réglementation complétant les dispositions du règlement [no 2157/2001].

[...]

(5)      La grande diversité des règles et pratiques existant dans les États membres en ce qui concerne la manière dont les représentants des salariés sont impliqués dans le processus de prise de décision des sociétés rend inopportune la mise en place d’un modèle européen unique d’implication des salariés, applicable à la SE.

[...]

(7)      Lorsque des droits de participation existent à l’intérieur d’une ou de plusieurs sociétés constituant une SE, ces droits devraient être préservés par voie de transfert à la SE dès sa constitution, à moins que les parties n’en décident autrement.

(8)      Les procédures concrètes d’information et de consultation des travailleurs au niveau transnational ainsi que, le cas échéant, de leur participation, applicables à chaque SE, devraient être définies en priorité par un accord conclu entre les parties concernées ou, en l’absence d’un tel accord, par l’application d’un ensemble de règles subsidiaires.

[...]

(10)      Les règles de vote au sein du groupe spécial représentant les travailleurs aux fins de négociation, notamment pour la conclusion d’accords prévoyant un niveau de participation inférieur à celui qui existait dans une ou plusieurs des sociétés participantes, devraient être proportionnées au risque de disparition ou d’affaiblissement des systèmes et des pratiques de participation existants. Ce risque est plus important dans le cas d’une SE créée par voie de transformation ou de fusion plutôt que par voie de création d’une société holding ou d’une filiale commune.

[...]

(18)      La garantie des droits acquis des travailleurs en matière d’implication dans les décisions prises par l’entreprise est un principe fondamental et l’objectif déclaré de la présente directive. Les droits des travailleurs existant avant la constitution des SE devraient être à la base de l’aménagement de leurs droits en matière d’implication dans la SE (principe “avant-après”). Cette manière de voir devrait s’appliquer en conséquence non seulement à la constitution initiale d’une SE mais aussi aux modifications structurelles introduites dans une SE existante ainsi qu’aux sociétés concernées par les processus de modifications structurelles.

(19)      Les États membres devraient être en mesure de prévoir que les représentants de syndicats peuvent être membres d’un groupe spécial de négociation, qu’ils soient ou non employés par une société participant à la constitution d’une SE. Dans ce contexte, les États membres devraient notamment pouvoir instituer ce droit dans les cas où les représentants de syndicats ont le droit, en vertu de la législation nationale, de siéger et de voter au sein des organes de surveillance ou d’administration de la société. »

5.        L’article 1er de la directive SE, intitulé « Objet », prévoit :

« 1.      La présente directive régit l’implication des travailleurs dans les affaires des sociétés anonymes européennes (Societas Europaea, ci‑après dénommée “SE”), visées au [règlement no 2157/2001].

2.      À cet effet, des modalités relatives à l’implication des travailleurs sont arrêtées dans chaque SE conformément à la procédure de négociation visée aux articles 3 à 6 ou, dans les circonstances prévues à l’article 7, conformément à l’annexe. »

6.        Aux termes de l’article 2 de la directive SE, intitulé « Définitions » :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

e)      “représentants des travailleurs”, les représentants des travailleurs prévus par la législation et/ou la pratique nationales ;

f)      “organe de représentation”, l’organe représentant les travailleurs, institué par les accords visés à l’article 4 ou conformément aux dispositions de l’annexe, afin de mettre en œuvre l’information et la consultation des travailleurs d’une SE et de ses filiales et établissements situés dans [l’Union] et, le cas échéant, d’exercer les droits de participation liés à la SE ;

g)      “groupe spécial de négociation”, le groupe constitué conformément à l’article 3 afin de négocier avec l’organe compétent des sociétés participantes la fixation de modalités relatives à l’implication des travailleurs au sein de la SE ;

h)      “implication des travailleurs”, l’information, la consultation, la participation et tout autre mécanisme par lequel les représentants des travailleurs peuvent exercer une influence sur les décisions à prendre au sein de l’entreprise ;

[...]

k)      “participation”, l’influence qu’a l’organe représentant les travailleurs et/ou les représentants des travailleurs sur les affaires d’une société :

–        en exerçant leur droit d’élire ou de désigner certains membres de l’organe de surveillance ou d’administration de la société [...]

–        [...] »

7.        L’article 3 de la directive SE, figurant à la section II, intitulée « Procédure de négociation », dispose :

« 1.      Lorsque les organes de direction ou d’administration des sociétés participantes établissent le projet de constitution d’une SE, ils prennent, dès que possible après la publication du projet [...] de transformation en une SE, les mesures nécessaires [...] pour engager des négociations avec les représentants des travailleurs des sociétés sur les modalités relatives à l’implication des travailleurs dans la SE.

2.      À cet effet, un groupe spécial de négociation représentant les travailleurs des sociétés participantes ou des filiales ou établissements concernés est créé conformément aux dispositions ci-après :

[...]

b)      Les États membres déterminent le mode d’élection ou de désignation des membres du groupe spécial de négociation qui doivent être élus ou désignés sur leur territoire. Ils prennent les mesures nécessaires pour que, dans la mesure du possible, ces membres comprennent au moins un représentant de chaque société participante qui emploie des travailleurs dans l’État membre concerné. Ces mesures ne doivent pas augmenter le nombre total de membres.

Les États membres peuvent prévoir que ces membres peuvent comprendre des représentants de syndicats, qu’ils soient ou non employés par une société participante ou une filiale ou un établissement concerné.

[...]

3.      Le groupe spécial de négociation et les organes compétents des sociétés participantes fixent, par un accord écrit, les modalités relatives à l’implication des travailleurs au sein de la SE.

[...]

4.      Sous réserve du paragraphe 6, le groupe spécial de négociation prend ses décisions à la majorité absolue de ses membres, à condition que cette majorité représente également la majorité absolue des travailleurs. Chaque membre dispose d’une voix. Toutefois, si le résultat des négociations devait entraîner une réduction des droits de participation, la majorité requise pour pouvoir décider d’adopter un tel accord est constituée par les voix des deux tiers des membres du groupe spécial de négociation représentant au moins les deux tiers des travailleurs, ce chiffre incluant les voix de membres représentant des travailleurs employés dans au moins deux États membres,

–        dans le cas d’une SE constituée par voie de fusion, si la participation concerne au moins 25 % du nombre total de travailleurs employés par les sociétés participantes, ou

–        dans le cas d’une SE constituée par création d’une société holding ou par constitution d’une filiale, si la participation concerne au moins 50 % du nombre total des travailleurs des sociétés participantes.

On entend par réduction des droits de participation une proportion de membres des organes de la SE au sens de l’article 2, point k), inférieure à la proportion la plus haute existant au sein des sociétés participantes.

[...] »

8.        L’article 4 de la directive SE, portant sur le contenu de l’accord sur les modalités d’implication des travailleurs au sein de la SE, se lit comme suit :

« 1.      Les organes compétents des sociétés participantes et le groupe spécial de négociation négocient dans un esprit de coopération en vue de parvenir à un accord sur les modalités relatives à l’implication des travailleurs au sein de la SE.

2.      Sans préjudice de l’autonomie des parties, et sous réserve du paragraphe 4, l’accord visé au paragraphe 1 conclu entre les organes compétents des sociétés participantes et le groupe spécial de négociation fixe :

[...]

g)      si, au cours des négociations, les parties décident d’arrêter des modalités de participation, la teneur de ces dispositions, y compris (le cas échéant) le nombre de membres de l’organe d’administration ou de surveillance de la SE que les travailleurs auront le droit d’élire, de désigner, de recommander ou à la désignation desquels ils pourront s’opposer, les procédures à suivre pour que les travailleurs puissent élire, désigner ou recommander ces membres ou s’opposer à leur désignation, ainsi que leurs droits ;

[...]

3.      L’accord n’est pas soumis, sauf dispositions contraires de cet accord, aux dispositions de référence visées à l’annexe.

4.      Sans préjudice de l’article 13, paragraphe 3, point a), dans le cas d’une SE constituée par transformation, l’accord prévoit, pour tous les éléments de l’implication des travailleurs, un niveau au moins équivalent à celui qui existe dans la société qui doit être transformée en SE. »

9.        L’article 7 de la directive SE, intitulé « Dispositions de référence », énonce aux paragraphes 1 et 2 :

« 1.      Afin de réaliser l’objectif visé à l’article 1er, les États membres fixent, sans préjudice du paragraphe 3 ci-après, les dispositions de référence sur l’implication des travailleurs, qui doivent satisfaire aux dispositions de l’annexe.

Les dispositions de référence prévues par la législation de l’État membre dans lequel le siège de la SE sera situé sont applicables à compter de la date d’immatriculation de la SE :

a)      lorsque les parties en conviennent ainsi, ou

b)      lorsque, dans le délai visé à l’article 5, aucun accord n’a été conclu et :

–        que l’organe compétent de chacune des sociétés participantes décide d’accepter l’application des dispositions de référence relatives à la SE et de poursuivre ainsi l’immatriculation de la SE, et

–        que le groupe spécial de négociation n’a pas pris la décision prévue à l’article 3, paragraphe 6.

2.      En outre, les dispositions de référence fixées par la législation nationale de l’État membre d’immatriculation conformément à la partie 3 de l’annexe ne s’appliquent que :

a)      dans le cas d’une SE constituée par transformation, si les règles d’un État membre relatives à la participation des travailleurs dans l’organe d’administration ou de surveillance s’appliquaient à une société transformée en SE ;

[...]

S’il y avait plus d’une forme de participation au sein des différentes sociétés participantes, le groupe spécial de négociation décide laquelle de ces formes doit être instaurée dans la SE. Les États membres peuvent fixer des règles qui sont applicables en l’absence de décision en la matière pour une SE immatriculée sur leur territoire. Le groupe spécial de négociation informe les organes compétents des sociétés participantes des décisions prises au titre du présent paragraphe. »

10.      Aux termes de l’article 11 de la directive SE, relatif au détournement de procédure :

« Les États membres prennent les mesures appropriées, dans le respect du droit [de l’Union], pour éviter l’utilisation abusive d’une SE aux fins de priver les travailleurs de droits en matière d’implication des travailleurs ou refuser ces droits. »

11.      L’article 13, paragraphes 3 et 4, de la directive SE prévoit :

« 3.      La présente directive ne porte pas atteinte :

a)      aux droits existants des travailleurs en matière d’implication prévus dans les États membres par la législation et/ou par la pratique nationales, dont bénéficient les travailleurs de la SE et de ses filiales et établissements, en dehors de la participation au sein des organes de la SE ;

b)      aux dispositions en matière de participation dans les organes, qui sont prévues par la législation et/ou par la pratique nationales et applicables aux filiales de la SE.

4.      Afin de préserver les droits visés au paragraphe 3, les États membres peuvent prendre les mesures nécessaires pour garantir le maintien, après l’immatriculation de la SE, des structures de représentation des travailleurs dans les sociétés participantes qui cesseront d’exister en tant qu’entités juridiques distinctes. »

12.      L’annexe de la directive SE contient les dispositions de référence visées à l’article 7 de celle-ci. La partie 3 de cette annexe, intitulée « Dispositions de référence pour la participation », se lit comme suit :

« La participation des travailleurs dans la SE est régie par les dispositions suivantes :

a)      Dans le cas d’une SE constituée par transformation, si les règles d’un État membre relatives à la participation des travailleurs dans l’organe d’administration ou de surveillance s’appliquaient avant l’immatriculation, tous les éléments de la participation des travailleurs continuent de s’appliquer à la SE. Le point b) s’applique mutatis mutandis à cette fin.

b)      Dans les autres cas de constitution d’une SE, les travailleurs de la SE, de ses filiales et établissements et/ou leur organe de représentation ont le droit d’élire, de désigner, de recommander ou de s’opposer à la désignation d’un nombre de membres de l’organe d’administration ou de surveillance de la SE égal à la plus élevée des proportions en vigueur dans les sociétés participantes concernées avant l’immatriculation de la SE.

Si aucune des sociétés participantes n’était régie par des règles de participation avant l’immatriculation de la SE, elle n’est pas tenue d’instaurer des dispositions en matière de participation des travailleurs.

L’organe de représentation décide de la répartition des sièges au sein de l’organe d’administration ou de surveillance entre les membres représentant les travailleurs des différents États membres, ou de la façon dont les travailleurs de la SE peuvent recommander la désignation des membres de ces organes ou s’y opposer, en fonction de la proportion des travailleurs de la SE employés dans chaque État membre. Si les travailleurs d’un ou plusieurs États membres ne sont pas couverts par ce critère proportionnel, l’organe de représentation désigne un membre originaire d’un de ces États membres, notamment de l’État membre du siège statutaire de la SE lorsque cela est approprié. Chaque État membre peut déterminer comment les sièges qui lui sont attribués au sein de l’organe d’administration ou de surveillance vont être répartis.

[...] »

B.      Le droit allemand

1.      Le MitbestG

13.      L’article 7 du Gesetz über die Mitbestimmung der Arbeitnehmer (loi sur la cogestion des salariés) (6), du 4 mai 1976, tel que modifié par la loi du 24 avril 2015 (7), dispose :

« (1)      Le conseil de surveillance d’une entreprise,

1.      n’employant généralement pas plus de 10 000 travailleurs, se compose de six représentants des actionnaires et de six représentants des travailleurs ;

2.      comprenant généralement plus de 10 000 travailleurs, mais pas plus de 20 000 travailleurs, se compose de huit représentants des actionnaires et de huit représentants des travailleurs ;

3.      employant généralement plus de 20 000 travailleurs, se compose de dix représentants des actionnaires et de dix représentants des travailleurs.

[...]

(2)      Parmi les membres du conseil de surveillance représentant les travailleurs figurent

1.      lorsque ce conseil de surveillance comporte six représentants des travailleurs, quatre travailleurs de l’entreprise et deux représentants des syndicats ;

2.      lorsque ce conseil de surveillance comporte huit représentants des travailleurs, six travailleurs de l’entreprise et deux représentants des syndicats ;

3.      lorsque ce conseil de surveillance comporte dix représentants des travailleurs, sept travailleurs de l’entreprise et trois représentants des syndicats.

[...]

(5)      Les syndicats visés au paragraphe 2 doivent être représentés dans l’entreprise même ou dans une autre entreprise dont les travailleurs participent à l’élection des membres du conseil de surveillance de l’entreprise en vertu de la présente loi. »

14.      L’article 16 du MitbestG prévoit, en ce qui concerne l’élection des représentants des syndicats au conseil de surveillance :

« (1)      Les délégués élisent les membres du conseil de surveillance chargés de représenter les syndicats conformément à l’article 7, paragraphe 2 au scrutin secret et dans le respect des principes du scrutin proportionnel [...]

(2)      L’élection se déroule sur la base des candidatures proposées par les syndicats représentés dans l’entreprise elle‑même ou dans une autre entreprise dont les travailleurs participent à l’élection des membres du conseil de surveillance de l’entreprise en vertu de la présente loi. [...] »

2.      Le SEBG

15.      Le Gesetz über die Beteiligung der Arbeitnehmer in einer Europäischen Gesellschaft (loi sur l’implication des salariés au sein d’une société européenne) (8), du 22 décembre 2004, tel que modifié par la loi du 20 mai 2020 (9), dans sa version en vigueur depuis le 1er mars 2020, énonce à son article 2, paragraphes 8 et 12, les définitions suivantes :

« (8)      L’implication des travailleurs désigne toute procédure, y compris l’information, la consultation et la participation, par laquelle les représentants des travailleurs peuvent exercer une influence sur les décisions à prendre au sein de l’entreprise.

[...]

(12)      On entend par “participation”, l’influence des travailleurs sur les affaires d’une société

1.      en exerçant leur droit d’élire ou de désigner une partie des membres de l’organe de surveillance ou d’administration de la société [...] »

16.      L’article 21 du SEBG, intitulé « Contenu de l’accord », prévoit :

« (1)      Sans préjudice de l’autonomie des parties par ailleurs et sous réserve du paragraphe 6, l’accord écrit entre la direction et le groupe spécial de négociation fixe :

[...]

(3)      Si un accord de participation est conclu entre les parties, il convient d’en préciser le contenu. Il convient notamment de convenir :

1.      du nombre de membres de l’organe de surveillance ou d’administration de la SE, qui peuvent élire ou désigner les travailleurs ou dont ils peuvent recommander ou refuser leur désignation ;

2.      de la procédure permettant aux travailleurs d’élire ou de désigner ces membres ou bien de recommander ou de refuser leur désignation, et

3.      des droits de ces membres.

[...]

(6)      Sans préjudice de l’articulation entre la présente loi et d’autres dispositions relatives à la participation des travailleurs dans la société, dans le cas d’une SE constituée par transformation, l’accord prévoit, pour tous les éléments de l’implication des travailleurs, un niveau au moins équivalent à celui qui existe dans la société qui doit être transformée en SE. [...] »

III. Le litige au principal et la question préjudicielle

17.      En 2014, une société anonyme de droit allemand s’est transformée en SE à système dualiste, dénommée SAP SE, après avoir conclu un accord avec le GSN concernant l’implication des travailleurs dans cette société (ci-après l’« accord d’implication »).

18.      Avant la transformation, le conseil de surveillance de la société, conformément à l’article 7, paragraphes 1 et 2, du MitbestG, était composé de huit membres représentant les actionnaires et de huit membres représentant les travailleurs. Parmi les représentants des travailleurs, deux étaient des représentants des syndicats, élus lors d’un scrutin distinct de celui aboutissant à l’élection des six autres représentants des travailleurs.

19.      Après la transformation, conformément à l’accord d’implication, la société SAP SE dispose d’un conseil de surveillance de dix-huit membres dont neuf membres sont des représentants des travailleurs. Le point 3.1 de la partie II de l’accord d’implication prévoit que seuls les travailleurs du groupe SAP ou des représentants des syndicats représentés au sein du groupe peuvent être proposés ou désignés comme représentants des travailleurs au conseil de surveillance. Le point 3.3 de cette partie de l’accord donne un droit exclusif de proposition d’une partie des représentants des travailleurs attribués à l’Allemagne au profit des syndicats, ces représentants syndicaux faisant l’objet d’une élection par un scrutin distinct.

20.      Alors que SAP SE envisageait de réduire son conseil de surveillance à douze membres, les syndicats ont contesté les dispositions du point 3.4 de ladite partie de l’accord prévoyant que, en cas de conseil de surveillance composé de douze membres, les représentants des travailleurs correspondant aux quatre premiers sièges attribués à l’Allemagne sont élus par les travailleurs employés en Allemagne et que les syndicats représentés au sein du groupe peuvent proposer des candidats pour une partie des sièges attribués à l’Allemagne, sans toutefois bénéficier d’un scrutin distinct pour l’élection de leurs candidats. Ces syndicats estiment que ces dispositions sont contraires à l’article 21, paragraphe 6, du SEBG, faute de prévoir, à leur bénéfice, un droit de proposition exclusif, garanti par un scrutin distinct, de représentants des travailleurs au conseil de surveillance. En revanche, SAP SE estime que le droit exclusif desdits syndicats de proposer des candidats, prévu à l’article 7, paragraphe 2, combiné à l’article 16, paragraphe 2, du MitbestG, n’est pas protégé par l’article 21, paragraphe 6, du SEBG.

21.      Saisie d’un pourvoi dirigé contre la décision de première instance ayant rejeté le recours des syndicats, dont notamment Industriegewerkschaft Metall (ci-après « IG Metall ») et Vereinte Dienstleistungsgewerkschaft (ci-après « ver.di »), la juridiction de renvoi s’interroge sur la validité des règles de désignation des membres représentant les travailleurs d’un conseil de surveillance réduit à douze membres, prévues par l’accord d’implication, au regard de l’article 21, paragraphe 6, du SEBG et de l’article 4, paragraphe 4, de la directive SE.

22.      Elle expose, en premier lieu, que les dispositions contestées de l’accord d’implication ne sont pas compatibles avec l’interprétation, selon les méthodes pertinentes d’interprétation du droit national, de l’article 21, paragraphe 6, du SEBG qui a transposé l’article 4, paragraphe 4, de la directive SE.

23.      En effet, la juridiction de renvoi estime que l’autonomie reconnue aux parties pour aboutir à un accord d’implication est soumise, en cas de création d’une SE par transformation d’une société anonyme, au respect, pour tous les éléments de l’implication des travailleurs, d’un niveau au moins équivalent à celui qui existe dans la société devant être transformée. Elle ajoute que ces éléments de l’implication des travailleurs doivent être déterminés sur la base du droit national pertinent en fonction des procédures d’implication dans la société à transformer. Elle estime que les éléments procéduraux caractérisant de manière déterminante l’influence des travailleurs dans la société à transformer doivent être garantis qualitativement de manière équivalente dans l’accord d’implication applicable à la SE. Cette juridiction précise que la procédure de scrutin distinct pour les représentants des travailleurs pouvant être extérieurs à la société, proposés par les syndicats et représentés dans la société à transformer ou dans une autre entreprise dont les travailleurs participent à l’élection des membres du conseil de surveillance, fait partie des éléments procéduraux caractérisant l’influence des travailleurs et que, à ce titre, elle doit être garantie par une mesure qualitativement équivalente dans l’accord d’implication. Ladite juridiction indique que la garantie du maintien de l’équivalence de l’implication porte également sur le nombre de représentants des syndicats devant être élus par scrutin distinct et que ce droit exclusif de proposition devrait être ouvert à tous les syndicats, et pas seulement aux syndicats allemands. Elle ajoute que ce scrutin distinct permet l’élection de personnes ayant un niveau élevé de connaissance des conditions et des besoins de l’entreprise, tout en disposant d’une expertise externe et d’une indépendance. La même juridiction en conclut que le mécanisme prévu par l’accord d’implication en cas de conseil de surveillance de douze membres, en ne prévoyant pas un scrutin spécifique pour élire les candidats proposés par les syndicats, ne garantit pas suffisamment la présence d’un candidat des syndicats au sein du conseil de surveillance et ne serait donc pas conforme à l’article 21, paragraphe 6, du SEBG.

24.      En second lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur la conformité de cette interprétation de son droit national au regard des exigences de l’article 4, paragraphe 4, de la directive SE.

25.      En effet, cette juridiction estime que, si cet article de la directive SE devait être fondé sur une conception différente du niveau de protection uniforme et moins élevé dans l’ensemble de l’Union, elle serait tenue de procéder à une interprétation conforme au droit de l’Union de l’article 21, paragraphe 6, du SEBG.

26.      Dans ces conditions, le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 21, paragraphe 6, du [SEBG], dont il résulte, en cas de constitution par transformation d’une [SE] établie en Allemagne, qu’il convient d’assurer, pour une partie donnée des membres du conseil de surveillance représentant les travailleurs, une procédure de sélection spécifique aux candidats proposés par les syndicats, est-il conforme à l’article 4, paragraphe 4, de la [directive SE] ? »

27.      IG Metall, ver.di, SAP SE, le Konzernbetriebsrat der SAP SE (comité d’entreprise de groupe de SAP SE), le gouvernement allemand ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites. Ces parties, à l’exception du comité d’entreprise de groupe de SAP SE, ont présenté leurs observations orales, tout comme le gouvernement luxembourgeois, lors de l’audience qui s’est tenue le 7 février 2022.

IV.    Analyse

28.      Avant d’aborder la question posée par la juridiction de renvoi, il convient de présenter des observations au sujet de la validité de l’article 4, paragraphe 4, de la directive SE au regard du droit primaire et, plus précisément, au regard de l’article 49 TFUE sur la liberté d’établissement, ainsi que des articles 16, 17 et 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En effet, SAP SE soutient que cet article 4, paragraphe 4, de la directive SE entrave ces libertés et droits de façon non nécessaire pour atteindre les objectifs du règlement no 2157/2001 ainsi que de la directive SE de réaliser le marché intérieur et de promouvoir les objectifs communautaires dans le domaine social, alors que ceux-ci pourraient être satisfaits de la même façon par les autres règles touchant à la procédure de négociation de l’accord d’implication ainsi que par l’existence des dispositions de référence applicables en cas d’échec des négociations.

29.      Sur ces points, je rappelle que la Cour a jugé, d’une part, qu’il incombe exclusivement à la juridiction de renvoi de définir l’objet des questions qu’elle entend poser et, d’autre part, que l’article 267 TFUE n’ouvre pas de voie de recours aux parties à un litige pendant devant le juge national, de sorte que la Cour ne saurait être tenue d’apprécier la validité du droit de l’Union pour le seul motif que cette question a été invoquée devant elle par l’une de ces parties dans ses observations écrites (10).

30.      En l’espèce, la question préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 4, de la directive SE, sans que la juridiction de renvoi indique avoir des doutes sur la validité de cette disposition ou que la question de cette validité ait été posée devant elle. Il n’y a donc pas lieu pour la Cour de se prononcer sur ladite validité.

31.      Sur le fond, cette juridiction s’interroge, en substance, sur le point de savoir si le scrutin spécifique pour élire les représentants des syndicats au sein du conseil de surveillance d’une SE issue de la transformation d’une société anonyme de droit allemand doit être maintenu, par application de l’article 4, paragraphe 4, de la directive SE, ou s’il peut être écarté par la négociation de l’accord d’implication visé à l’article 4, paragraphe 1 de la directive SE.

A.      Rappel succinct des règles applicables à la création d’une SE par transformation

32.      Pour mémoire, l’unanimité requise pour l’adoption de la directive SE n’a pas permis d’aboutir à une harmonisation, voire à une uniformisation, des régimes d’implication des travailleurs au sein des sociétés constituées selon le droit des États membres. La directive SE a néanmoins procédé à une définition de l’implication des travailleurs qui comprend trois volets principaux : « l’information, la consultation, la participation et tout autre mécanisme par lequel les représentants des travailleurs peuvent exercer une influence sur les décisions à prendre au sein de l’entreprise » (11). De même, la directive SE a qualifié la participation comme étant « l’influence qu’a l’organe représentant les travailleurs et/ou les représentants des travailleurs sur les affaires d’une société en exerçant leur droit d’élire [...] certains membres de l’organe de surveillance [...] de la société [...] » (12).

33.      À défaut d’harmonisation des modes d’implication, est favorisée la négociation entre les organes compétents de la société et le GSN, représentant les travailleurs des entités concernées par la création de la SE, pour aboutir à un accord d’implication devant contenir un certain nombre d’éléments, dont notamment, si la participation des travailleurs prend la forme d’une élection de représentants de ces travailleurs au sein du conseil de surveillance, comme en l’espèce, le nombre de ces représentants au sein du conseil et les procédures à suivre pour les élire (13). Cette négociation est, néanmoins, enserrée dans un principe « avant-après », énoncé au considérant 18 de la directive SE de la façon suivante : « [l]es droits des travailleurs existant avant la constitution des SE devraient être à la base de l’aménagement de leurs droits en matière d’implication dans la SE ». Ce considérant prévoit, en outre, un principe de garantie des droits acquis des travailleurs en matière d’implication.

34.      En l’absence d’accord, sont applicables à la SE des dispositions de référence prévues par la législation de l’État membre dans lequel elle est immatriculée (14) et conformes aux principes fixés à l’annexe de la directive SE. Parmi ces principes figure, en cas de transformation, la règle selon laquelle, « si les règles d’un État membre relatives à la participation des travailleurs dans l’organe [...] de surveillance s’appliquaient avant l’immatriculation, tous les éléments de la participation des travailleurs continuent de s’appliquer à la SE. Le point b) s’applique mutatis mutandis à cette fin » (15). Le point b) de la partie 3 de l’annexe de la directive SE énonce que, « [d]ans les autres cas de constitution d’une SE, les travailleurs de la SE, de ses filiales et établissements [...] ont le droit d’élire [...] un nombre de membres de l’organe [...] de surveillance de la SE égal à la plus élevée des proportions en vigueur dans les sociétés participantes concernées avant l’immatriculation de la SE ».

35.      En outre, il est important de relever que la création par transformation d’une SE est entourée de garde-fous supplémentaires par rapport aux trois autres modalités de création. Ainsi, en premier lieu, en cas de transformation, il n’est possible ni de renoncer à entamer des négociations au sein du GSN ni de les clore, sans que les dispositions de référence soient applicables (16). En conséquence, en cas de transformation d’une société soumise à participation, soit les négociations aboutissent à un accord d’implication respectant les exigences de l’article 4, paragraphe 4, de la directive SE, soit les dispositions de référence spécifiques à la transformation s’appliquent. En deuxième lieu, en cas de transformation, il n’est pas possible au GSN de voter une réduction des droits de participation, réduction entendue comme « une proportion de membres des organes de la SE au sens de l’article 2, point k), inférieure à la proportion la plus haute existant au sein des sociétés participantes » (17). En troisième lieu, le règlement no 2157/2001 prévoit également deux protections en cas de création par transformation : d’une part, l’interdiction de transfert de siège social à l’occasion de la transformation (article 37, paragraphe 3, de ce règlement) et, d’autre part, la possibilité pour les États membres de subordonner une transformation au vote favorable d’une majorité qualifiée ou de l’unanimité des membres au sein de l’organe de la société à transformer dans lequel la participation des travailleurs est organisée (article 37, paragraphe 8, dudit règlement).

36.      C’est dans cet environnement que doit être interprété l’article 4, paragraphe 4, de la directive SE. Cette interprétation porte sur deux éléments distincts : d’une part, « tous les éléments de l’implication des travailleurs » et, d’autre part, « un niveau au moins équivalent à celui qui existe dans la société qui doit être transformée en SE ». Je commencerai mon analyse par le second élément.

B.      L’interprétation de l’expression « un niveau au moins équivalent à celui qui existe dans la société qui doit être transformée en SE »

37.      En premier lieu, ce second élément renvoie indéniablement au droit national applicable à l’implication des travailleurs dans la société à transformer.

38.      Cela ne signifie pas pour autant que la totalité des règles applicables à cette société va continuer à s’appliquer à la SE. En effet, seule l’application des dispositions de référence en cas d’échec des négociations permettra le maintien, sans changement, des règles applicables jusque-là à la société devant être transformée, puisque, selon les dispositions de référence de la partie 3 de l’annexe de la directive SE présentées précédemment, en cas de transformation, tous les éléments de la participation des travailleurs continuent à s’appliquer en vertu du point a) de cette partie 3, notamment la plus élevée des proportions des représentants des travailleurs au sein du conseil de surveillance, en vertu du point b) de ladite partie 3, qui est applicable mutatis mutandis. En conséquence, contrairement à ce qu’affirme SAP SE, il existe bien une prime à la négociation puisque le GSN pourra s’écarter du droit national, dans la mesure permise par l’interprétation de l’autre élément de l’article 4, paragraphe 4, de la directive SE.

39.      En second lieu, le même raisonnement doit être tenu pour la garantie de l’absence de disparition ou d’affaiblissement du régime d’implication ainsi que des droits acquis des travailleurs en matière d’implication et pour l’application du principe « avant-après », énoncés aux considérants 3 et 18 de la directive SE.

C.      L’interprétation de l’expression « tous les éléments de l’implication »

40.      Il pourrait être tentant de suivre le raisonnement de SAP SE. Cette société propose une interprétation uniforme au niveau de l’Union de ces « éléments » comme ne portant, en matière de participation, que sur la proportion et l’influence des représentants des travailleurs au sein du conseil de surveillance, sans exiger de scrutin spécifique pour les représentants syndicaux. En effet, cette interprétation peut s’appuyer sur divers éléments.

41.      D’une part, au sens strict, la directive SE ne protège pas les droits des syndicats, mais ceux des travailleurs, puisque les syndicats ne sont mentionnés explicitement dans la directive SE qu’à l’égard de la constitution du GSN (18). Toutefois, cette seule mention peut s’expliquer par le fait que, pour cette constitution, il n’existe pas de règles nationales par hypothèse et qu’il a fallu prévoir la participation expresse des syndicats, dont le rôle est prévu par certains droits nationaux.

42.      D’autre part, la réduction des droits de participation, lorsqu’elle est évoquée dans la directive SE, est envisagée comme une baisse de la proportion des représentants des travailleurs au sein des sociétés participantes (19). De manière analogue, la directive (UE) 2017/1132 (20), prévoit que, en cas de transformation transfrontalière, les règles de l’État membre de destination en matière de participation des travailleurs ne s’appliquent pas si le droit de l’État membre de destination ne prévoit pas « au moins le même niveau de participation des travailleurs que celui qui s’applique à la société concernée avant la transformation transfrontalière, mesuré en fonction de la proportion des représentants des travailleurs parmi les membres de l’organe d’administration ou de surveillance » (21). La même rédaction est retenue pour les scissions transfrontalières (22) et pour les fusions transfrontalières (23).

43.      Ainsi, dans ces hypothèses, le niveau de participation est évalué en proportion de représentants de travailleurs au sein de l’organe concerné. Si l’on peut en tirer la conclusion que la proportion fait partie des éléments protégés de la participation, cela ne suffit pas, en revanche, à exclure le fait que d’autres éléments de cette participation puissent être protégés de la même façon, à condition qu’ils aient un impact sur l’influence des travailleurs dans la marche de la société.

44.      En effet, dans les cas visés à la directive 2017/1132, cette référence à la proportion intervient à un moment du processus où il est nécessaire de déterminer, en premier lieu, le droit applicable à l’opération en ce qui concerne les droits de participation et, en second lieu, si les négociations par l’intermédiaire d’un GSN doivent être enclenchées pour déterminer ces droits, ce qui nécessite un critère objectif, non susceptible de discussions.

45.      Quant à la référence à cette proportion à l’article 3, paragraphe 4, in fine, de la directive SE, elle n’est pas suffisante non plus pour exclure le fait que d’autres éléments de la participation puissent être protégés, puisque cet article concerne les autres modes de création de la SE. Cela est parfaitement cohérent avec le fait que les dispositions de référence pour ces modes de création ne protègent que la proportion (24).

46.      De plus, la rédaction elle-même étant particulièrement large, à savoir « tous les éléments de l’implication des travailleurs », elle ne peut conduire à retenir que seule une proportion au sein du conseil de surveillance serait protégée, alors même que le contenu de l’accord d’implication doit porter non seulement sur le nombre de représentants des travailleurs au sein de ce conseil, mais également sur les procédures à suivre pour l’élection de ces derniers (25).

47.      Si certains éléments procéduraux doivent bénéficier de la même protection que la proportion, je ne suis toutefois pas convaincu que tous les éléments procéduraux aient la même valeur, encore faut-il qu’ils aient une influence sur la marche de la société.

48.      Les syndicats requérants au principal partagent ce point de vue, puisqu’il est patent qu’ils n’ont pas contesté la réduction à douze membres du conseil de surveillance, alors que le nombre de membres de ce conseil est fonction de la taille de la société, sans dérogation, en droit allemand. Ils ont donc admis que le nombre de membres dudit conseil pouvait faire l’objet d’une négociation, comme ils ont admis à l’audience que plusieurs modalités de répartition des sièges des représentants des travailleurs pouvaient exister, à condition que soit respecté le scrutin distinct pour élire les candidats des syndicats (proportion à appliquer seulement sur les sièges attribués à l’Allemagne (26) ou proportion globale en permettant à tous les syndicats des entités concernées de se répartir les sièges réservés à ceux-ci (27)).

49.      Dès lors, il faudrait que l’élément procédural ait une influence sur la prise de décision au sein de l’organe concerné puisque, nous l’avons vu, la participation des travailleurs est définie comme l’influence des représentants des travailleurs sur les affaires d’une société (28). Ainsi, ce critère de l’influence permettrait de comprendre que le nombre total de membres du conseil de surveillance puisse faire l’objet d’une négociation si la proportion est respectée.

50.      Toutefois, ledit critère est plus délicat à manier lorsqu’il est question de protéger ou non le scrutin spécifique dont bénéficient les syndicats, puisque cela revient à porter un jugement de valeur sur l’apport des représentants syndicaux par rapport aux autres représentants des travailleurs au sein du conseil de surveillance. Tant la juridiction de renvoi qu’IG Metall et ver.di font état d’une doctrine allemande divisée en la matière, même si les trois concluent que la participation des travailleurs est améliorée par la participation de représentants syndicaux. En conséquence, il n’est pas envisageable d’en faire un élément appréciable au cas par cas et la seule façon d’éviter ce jugement de valeur est de s’en remettre à l’appréciation portée par le droit national.

51.      Par ailleurs, les syndicats et le gouvernement allemand proposent le critère de l’élément caractéristique de la procédure au niveau national de la participation des travailleurs pour permettre de distinguer les éléments ne pouvant faire l’objet d’une négociation. Ce critère me semble à même d’illustrer l’idée que l’influence, lorsqu’elle est liée à des éléments qualitatifs, ne peut faire l’objet d’une appréciation ou d’une négociation au cas par cas, mais doit être évaluée en fonction des choix opérés en droit interne, tant qu’une harmonisation ne sera pas réalisée au niveau de l’Union. En effet, il est nécessaire que le GSN ait des indications claires sur ce qui relève de sa liberté de négociation et ce qui doit être conservé des règles nationales.

52.      Dès lors, il est indéniable que le scrutin spécifique pour les représentants des syndicats est un élément caractéristique du régime de participation en Allemagne et qu’il ne peut faire l’objet d’une négociation.

53.      Il me semble que l’interprétation retenue de l’article 4, paragraphe 4, de la directive SE s’appliquera, du fait de la reprise des mêmes termes, aux sociétés coopératives européennes (29) et, par renvoi à cette disposition, aux scissions (30) et transformations (31) transfrontalières.

54.      Même si la juridiction de renvoi n’interroge pas directement la Cour sur les questions d’extension de ce droit à un scrutin distinct à l’ensemble des travailleurs concernés par la transformation, d’ouverture de ce scrutin à d’autres syndicats que les syndicats allemands et de possibilité de présenter des candidats des syndicats, qu’ils soient ou non employés dans une entité concernée, ces questions sont sous-jacentes car elles apparaissent dans la motivation de sa décision. Dès lors, il me semble intéressant d’y répondre brièvement, et ce d’autant que les réponses peuvent se déduire de la directive SE et de la jurisprudence de la Cour.

55.      Tout d’abord, la Cour a déjà jugé qu’il résultait de « la directive SE que la garantie des droits acquis voulue par le législateur de l’Union implique non seulement le maintien des droits acquis des travailleurs dans les sociétés participant à la fusion, mais aussi l’extension de ces droits à l’ensemble des travailleurs concernés » (32). Ainsi, il me paraît clair que l’ensemble des travailleurs devrait pouvoir bénéficier de ce scrutin spécifique, même si le droit national ne le permet pas en tant que tel (33). En outre, l’accord d’implication peut déterminer les modalités précises d’élection des représentants des travailleurs. Cela pourrait conduire le GSN, dans le cadre de la négociation, à accepter que d’autres syndicats que les syndicats allemands puissent présenter des candidats, sans que cela résulte ni d’une obligation de la directive SE ni, par hypothèse, du droit national. Enfin, au regard de la position prise dans la directive SE permettant la participation au GSN de représentants syndicaux non employés dans une entité concernée par la transformation (34), et dans la mesure où c’est le cas dans le droit national de la société à transformer, les candidats des syndicats pourraient être des candidats non employés dans une telle entité.

56.      Ainsi, l’article 4, paragraphe 4, de la directive SE doit être interprété en ce sens que l’accord relatif à l’implication des travailleurs dans une SE créée par transformation doit prévoir un scrutin distinct pour élire, aux fonctions de représentants des travailleurs au sein du conseil de surveillance, une certaine proportion de candidats présentés par les syndicats, lorsque cette spécificité existe et est impérative dans le droit national applicable à la société devant être transformée.

V.      Conclusion

57.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail, Allemagne) de la manière suivante :

L’article 4, paragraphe 4, de la directive 2001/86/CE du Conseil, du 8 octobre 2001, complétant le statut de la Société européenne pour ce qui concerne l’implication des travailleurs doit être interprété en ce sens que l’accord relatif à l’implication des travailleurs dans une société européenne créée par transformation doit prévoir un scrutin distinct pour élire, aux fonctions de représentants des travailleurs au sein du conseil de surveillance, une certaine proportion de candidats présentés par les syndicats, lorsque cette spécificité existe et est impérative dans le droit national applicable à la société devant être transformée.


1      Langue originale : le français.


2      JO 2001, L 294, p. 22.


3      Voir proposition de règlement (CEE) du Conseil portant statut de la société européenne [COM(89) 268 final – SYN 218], présentée par la Commission le 16 octobre 1989.


4      Voir proposition de directive du Conseil complétant le statut de la société européenne pour ce qui concerne la place des travailleurs [COM(89) 268 final – SYN 219], présentée par la Commission le 25 août 1989.


5      Voir article 2, paragraphe 4, du règlement (CE) no 2157/2001 du Conseil, du 8 octobre 2001, relatif au statut de la société européenne (SE) (JO 2001, L 294, p. 1).


6      BGBl. 1976 I, p. 1153.


7      BGBl. 2015 I, p. 642, ci-après le « MitbestG ».


8      BGBl. 2004 I, p. 3686.


9      BGBl. 2020 I, p. 1044, ci-après le « SEBG ».


10      Voir arrêt du 5 mai 2011, MSD Sharp & Dohme (C‑316/09, EU:C:2011:275, points 21 et 23, ainsi que jurisprudence citée).


11      Article 2, point h), de la directive SE.


12      Article 2, point k), de la directive SE.


13      Voir article 4, paragraphe 2, sous g), de la directive SE.


14      Voir article 7, paragraphe 1, de la directive SE.


15      Partie 3, point a), de l’annexe de la directive SE.


16      Voir article 3, paragraphe 6, de la directive SE.


17      Article 3, paragraphe 4, de la directive SE.


18      Voir article 3, paragraphe 2, sous b), et considérant 19 de la directive SE.


19      Voir article 3, paragraphe 4, in fine, de la directive SE.


20      Directive du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, relative à certains aspects du droit des sociétés (JO 2017, L. 169, p. 46), telle que modifiée par la directive (UE) 2019/2121 du Parlement européen et du Conseil, du 27 novembre 2019 (JO 2019, L 321, p. 1) (ci-après la « directive 2017/1132).


21      Article 86 terdecies, paragraphe 2, sous a), de la directive 2017/1132.


22      Voir article 160 terdecies, paragraphe 2, sous a), de la directive 2017/1132.


23      Voir article 133, paragraphe 2, sous a), de la directive 2017/1132.


24      Voir partie 3, point b), de l’annexe de la directive SE.


25      Voir article 4, paragraphe 2, sous g), de la directive SE.


26      Ce qui serait conforme à la logique régissant le troisième alinéa du point b), in fine, de la partie 3 de l’annexe de la directive SE (dispositions de référence) indiquant que « [c]haque État membre peut déterminer comment les sièges qui lui sont attribués au sein de l’organe d’administration ou de surveillance vont être répartis ».


27      Ce qui serait plus dans la logique suivie dans l’arrêt du 20 juin 2013, Commission/Pays-Bas (C‑635/11, EU:C:2013:408, points 40 et 41), interprétant le principe « avant-après » comme imposant l’extension des droits de participation à l’ensemble des travailleurs concernés par la création d’une SE.


28      Voir article 2, sous k), de la directive SE.


29      Voir article 4, paragraphe 4, de la directive 2003/72/CE du Conseil, du 22 juillet 2003, complétant le statut de la société coopérative européenne pour ce qui concerne l’implication des travailleurs (JO 2003, L 207, p. 25).


30      Voir article 160 terdecies, paragraphe 2, sous b), de la directive 2017/1132.


31      Voir article 86 terdecies, paragraphe 2, sous b), de la directive 2017/1132.


32      Arrêt du 20 juin 2013, Commission/Pays-Bas (C‑635/11, EU:C:2013:408, point 41).


33      Voir faits de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 18 juillet 2017, Erzberger (C‑566/15, EU:C:2017:562), selon lesquels le droit allemand de participation ne pouvait être étendu en dehors du territoire allemand.


34      Voir considérant 19 et article 3, paragraphe 2, sous b), de la directive SE.