Language of document : ECLI:EU:T:2013:604

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

21 novembre 2013(*)

« Marque communautaire – Procédure de déchéance – Marque communautaire verbale RECARO – Usage sérieux de la marque – Article 15, paragraphe 15, sous a), du règlement (CE) n° 207/2009 – Nature de l’usage de la marque – Recevabilité de nouveaux éléments de preuve – Article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009 – Obligation de motivation – Article 75 du règlement n° 207/2009 »

Dans l’affaire T‑524/12,

Recaro Holding GmbH, anciennement Recaro Beteiligungs-GmbH, établie à Stuttgart (Allemagne), représentée par Me J. Weiser, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par M. J. Crespo Carrillo, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI ayant été,

Certino Mode SL, établie à Elche (Espagne),

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la première chambre de recours de l’OHMI du 6 septembre 2012 (affaire R 1761/2011-1), relative à une procédure de déchéance entre Recaro Beteiligungs-GmbH et Certino Mode, SL,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. M. van der Woude (rapporteur), président, Mme I. Wiszniewska-Białecka et M. I. Ulloa Rubio, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 3 décembre 2012,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 27 mars 2013,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai d’un mois à compter de la signification de la clôture de la procédure écrite et ayant dès lors décidé, sur rapport du juge rapporteur et en application de l’article 135 bis du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Le 25 juin 1999, Certino Mode SL, (ci-après le « titulaire de la marque communautaire ») a obtenu auprès de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) l’enregistrement de la marque verbale RECARO, sur le fondement du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1)]. Cette marque a été enregistrée sous le numéro 73434.

2        Les produits visés par l’enregistrement relèvent des classes 10 et 25 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 10 : « Chaussures orthopédiques » ;

–        classe 25 : « Chaussures (à l’exception des chaussures orthopédiques) ».

3        Le 16 septembre 2009, la requérante, Recaro Beteiligungs-GmbH, a présenté une demande de déchéance de la marque contestée en vertu de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009. Dans cette demande, la requérante a soutenu que la marque contestée n’avait pas fait l’objet d’un usage sérieux.

4        Les 22 janvier, 21 juin 2010 et 10 janvier 2011, le titulaire de la marque communautaire  a fourni des éléments de preuve en vue de démontrer l’usage sérieux de la marque contestée. La requérante a présenté des observations sur les éléments produits par le titulaire de la marque communautaire  les 30 mars et 8 novembre 2010.

5        Par décision du 29 juin 2011, la division d’annulation a adopté une décision par laquelle elle a considéré que la marque contestée n’avait pas fait l’objet d’un usage sérieux et a prononcé la déchéance de l’intégralité de la marque contestée.

6        Le 25 août 2011, le titulaire de la marque communautaire  a introduit un recours auprès de l’OHMI, au titre des articles 58 à 64 du règlement n° 207/2009, contre la décision de la division d’annulation. Le titulaire de la marque communautaire  a insisté sur l’usage sérieux de la marque contestée et a fourni des éléments de preuve supplémentaires.

7        Par décision du 6 septembre 2012 (ci-après la « décision attaquée »), la première chambre de recours a partiellement fait droit au recours, en maintenant la validité de l’enregistrement de la marque contestée pour les « chaussures (à l’exception des chaussures orthopédiques) », relevant de la classe 25, et en rejetant le recours par rapport aux « chaussures orthopédiques », relevant de la classe 10.

8        Dans la décision attaquée, la chambre de recours a considéré, d’abord, que les éléments de preuve fournis par le titulaire de la marque communautaire  pour la première fois devant elle étaient recevables sur le fondement de l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009 et en se référant à la règle 50, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement n° 40/94 du Conseil sur la marque communautaire (JO 1995, L 303, p. 1).

9        Ensuite, la chambre de recours a souligné que le fait que le titulaire de la marque communautaire  soit un intermédiaire et qu’il intervienne, de ce fait, au stade initial de la chaîne de production et de distribution, n’était pas en soi un obstacle à l’établissement de l’existence de l’usage sérieux de la marque contestée.

10      Enfin, la chambre de recours a constaté que les commandes reçues des deux acheteurs et les ordres de production envoyés à un fabricant de chaussures montraient de manière non équivoque l’usage de la marque contestée pour des chaussures dans des quantités significatives tout au long de la période pertinente. D’autres éléments, tels que la présence du titulaire de la marque communautaire  à des salons commerciaux et un article concernant ses produits, ont également été retenus par la chambre de recours comme démontrant l’usage de la marque contestée. En revanche, la chambre de recours a estimé, à l’instar de la division d’annulation, que les preuves étaient insuffisantes pour démontrer l’usage de la marque concernée pour les « chaussures orthopédiques », relevant de la classe 10.

 Conclusions des parties

11      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        réformer la décision attaquée afin que sa demande de déchéance soit accueillie dans son ensemble ;

–        à titre subsidiaire, annuler la décision attaquée en ce qu’elle autorise l’enregistrement de la marque contestée pour les « chaussures », relevant de la classe 25 ;

–        condamner l’OHMI à supporter les dépens encourus lors de la présente procédure et lors de la procédure devant la chambre de recours.

12      L’OHMI conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

13      À l’appui de son recours, la requérante invoque trois moyens. Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009, lu en combinaison avec l’article 15 du même règlement, en ce que la chambre de recours n’aurait pas dû constater l’existence d’un usage sérieux de la marque contestée pour les « chaussures » relevant de la classe 25. Le deuxième moyen est tiré de la violation de l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009, lu en combinaison avec la règle 50, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95, en ce que la chambre de recours ne pouvait pas se fonder sur ces dispositions pour admettre des éléments de preuve présentés pour la première fois devant elle. Par son troisième moyen, tiré de la violation de l’article 75, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009, la requérante fait valoir que la chambre de recours, en ne se prononçant pas sur la pertinence des éléments de preuves présentés tardivement, n’a pas satisfait à son obligation de motivation.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009, lu en combinaison avec l’article 15 du même règlement, concernant l’usage sérieux de la marque contestée

14      Au soutien de son premier moyen, la requérante fait valoir, en substance, cinq griefs concernant, premièrement, le défaut de preuve d’un usage extérieur orienté vers les consommateurs finaux, deuxièmement, l’usage de la marque contestée comme marque en liaison avec les produits pour lesquels elle a été enregistrée, troisièmement, l’usage de la marque contestée sous sa forme enregistrée, quatrièmement, l’importance quantitative de l’usage et, cinquièmement, l’absence de valeur probante des éléments de preuve présentés par le titulaire de la marque communautaire  pour la première fois au stade de la procédure devant la chambre de recours.

15      Le Tribunal examinera ces cinq griefs à la lumière des règles et principes suivants.

16      L’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009 prévoit ce qui suit :

« [le] titulaire de la marque communautaire est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l’OHMI ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon :

a)       si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l[‘Union] pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage […] »

17      Aux termes de l’article 15, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009, la preuve de l’usage sérieux d’une marque comprend également la preuve de l’utilisation de celle-ci sous une forme qui diffère par des éléments n’altérant pas le caractère distinctif de la marque dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée.

18      Selon la règle 22, paragraphe 2, du règlement n° 2868/95, qui s’applique mutatis mutandis aux procédures de déchéance conformément à la règle 40, paragraphe 5, du même règlement, la preuve de l’usage d’une marque doit porter sur le lieu, la durée, l’importance et la nature de l’usage qui a été fait de la marque [arrêts du Tribunal du 8 juillet 2004, Sunrider/OHMI – Espadafor Caba (VITAFRUIT), T‑203/02, Rec. p. II‑2811, point 37, et du 10 septembre 2008, Boston Scientific/OHMI – Terumo (CAPIO), T‑325/06, non publié au Recueil, point 27].

19      Selon la jurisprudence, une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque (arrêt de la Cour du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, Rec. p. I‑2439, point 43).

20      Pour examiner, dans un cas d’espèce, le caractère sérieux de l’usage d’une marque antérieure, il convient de procéder à une appréciation globale en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce. Cette appréciation implique une certaine interdépendance des facteurs pris en compte. Ainsi, un faible volume de produits commercialisés sous ladite marque peut être compensé par une forte intensité ou une grande constance dans le temps de l’usage de cette marque et inversement [arrêts du Tribunal VITAFRUIT, précité, point 42, et arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, MFE Marienfelde/OHMI – Vétoquinol (HIPOVITON), T‑334/01, Rec. p. II‑2787, point 36].

21      L’usage sérieux d’une marque ne peut pas être démontré par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une utilisation effective et suffisante de la marque sur le marché concerné [arrêts du Tribunal du 12 décembre 2002, Kabushiki Kaisha Fernandes/OHMI – Harrison (HIWATT), T‑39/01, Rec. p. II‑5233, point 47, et du 6 octobre 2004, Vitakraft-Werke Wührmann/OHMI – Krafft (VITAKRAFT), T‑356/02, Rec. p. II‑3445, point 28].

–       Sur le défaut de preuve d’un usage extérieur orienté vers les consommateurs finaux

22      La requérante estime, en substance, que les preuves avancées par le titulaire de la marque communautaire  ne sauraient démontrer l’existence d’un usage sérieux de la marque contestée, dans la mesure où ces preuves ne se rapportent pas à des ventes à des consommateurs finaux. Les commandes et factures produites par le titulaire de la marque communautaire  s’adresseraient à des sociétés tierces, mais ne prouveraient pas que celles-ci aient distribué les produits en cause sous la marque RECARO aux consommateurs finaux. Il en irait de même pour les autres éléments mis en avant par le titulaire de la marque communautaire, tels qu’un article publié sur Internet. Dans la mesure où le titulaire de la marque communautaire  n’aurait fourni aucun élément, tel que du matériel publicitaire ou une facture libellée au nom de consommateurs finaux, prouvant une distribution effective des produits en cause sous la marque contestée aux consommateurs finaux, les conclusions de la chambre de recours seraient purement spéculatives.

23      L’OHMI conteste les arguments de la requérante.

24      La requérante observe à juste titre que l’usage sérieux d’une marque exige que celle-ci soit utilisée publiquement et vers l’extérieur (arrêt VITAFRUIT, précité, point 39 ; voir également, en ce sens, arrêt Ansul, précité, point 37). Il est également exact que l’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque doit reposer sur l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l’étendue et la fréquence de l’usage de la marque (voir arrêt VITAFRUIT, précité, point 40, et la jurisprudence citée).

25      Toutefois, l’OHMI précise à bon droit que cet usage extérieur ne signifie pas qu’il s’agit nécessairement d’un usage orienté vers les consommateurs finaux. En effet, l’usage effectif de la marque se rapporte au marché sur lequel le titulaire de la marque communautaire  exerce ses activités commerciales et sur lequel il espère exploiter sa marque. Le raisonnement proposé par la requérante se fonde sur l’hypothèse erronée selon laquelle les marques utilisées dans les seuls rapports entre sociétés ne sauraient bénéficier de la protection du règlement n° 207/2009. Il convient de relever à cet égard que le public pertinent auquel les marques ont vocation à s’adresser ne comprend pas uniquement des consommateurs finaux, mais également des spécialistes, des clients industriels et d’autres utilisateurs professionnels [arrêt du Tribunal du 20 avril 2005, Faber Chimica/OHMI – Industrias Quimicas Naber (Faber), T‑211/03, Rec. p. II‑1297, point 24].

26      En l’espèce, il est constant que le titulaire de la marque communautaire est actif comme intermédiaire et que son activité consiste à identifier des acheteurs professionnels, tels que les sociétés de distribution BR et BE, auxquelles il vend des chaussures qu’il a fait fabriquer par des producteurs, tels que les sociétés EC et AN. Il n’est pas contesté non plus que ces sociétés de distribution et de production ne font pas partie du même groupe que le titulaire de la marque communautaire. En supposant que la marque contestée a effectivement été utilisée dans le cadre de transactions commerciales avec ces sociétés, ce qui sera examiné dans le cadre des griefs suivants, les ventes du titulaire de la marque communautaire  sont susceptibles d’établir un usage public et extérieur de la marque contestée [voir, en ce sens, arrêts du Tribunal VITAFRUIT, précité, point 50 et du 17 février 2011, J & F Participações/OHMI – Plusfood Wrexham (Friboi), T‑324/09, non publié au Recueil, points 30 à 33]. Dans ces conditions, le fait que le titulaire de la marque communautaire  n’a pas entretenu de rapports directs avec les consommateurs finaux et que sa présence à des foires commerciales s’est limitée à des foires pour professionnels, telles que celles organisées par Expo Riva Shuh en 2006 et en 2008, est sans conséquence.

27      En toute hypothèse, il convient également de relever que le titulaire de la marque contestée a conclu en 2009 un contrat de licence permettant à la société EC de fabriquer, de commercialiser et de vendre en Espagne une série de produits sous la marque RECARO. Les articles 3 et 10 de ce contrat, que le titulaire de la marque communautaire  avait déjà présentés devant la division d’annulation, imposent à EC plusieurs obligations en matière de publicité, de promotion et de commercialisation au travers d’un réseau de distribution. Il en résulte que la marque contestée est également destinée à la vente aux consommateurs finaux, contrairement à ce que soutient la requérante.

28      Il convient dès lors de rejeter le premier grief comme étant non fondé.

–       Sur l’usage de la marque contestée en tant que marque et en liaison avec les produits pour lesquels elle a été enregistrée

29      En s’appuyant sur la décision de la division d’annulation du 29 juin 2011, la requérante soutient qu’il n’existe pas de preuve que la marque contestée a effectivement été utilisée en tant que marque, ni qu’elle a été associée à un produit identifié sur le marché, notamment pour les produits couverts par l’enregistrement de la marque contestée. La chambre de recours se serait livrée à des considérations spéculatives en estimant que certaines commandes et factures ainsi qu’un article publié sur Internet et relatif aux produits du titulaire de la marque communautaire  démontraient que la marque contestée était utilisée pour des « chaussures », relevant de la classe 25 et non pour des produits de classes différentes, tels que des chaussures de protection ou des chaussettes dont les pointures correspondent à celles des chaussures et qui sont également vendues par paires. La chambre de recours aurait notamment dénaturé les propos de M. G., un directeur des ventes, cité dans ledit article.

30      L’OHMI conteste les arguments mis en avant par la requérante.

31      À cet égard, il convient de rappeler que la question de savoir si une marque a fait l’objet d’un usage sérieux doit être appréciée globalement en prenant en compte l’ensemble des éléments disponibles (voir, en ce sens, arrêt VITAFRUIT, précité, points 40 et 42, et la jurisprudence citée). Il ne s’agit donc pas d’analyser chacune des preuves de façon isolée, mais de les analyser conjointement, afin d’en identifier le sens le plus probable et cohérent.

32      En l’espèce, il convient de constater qu’aucun des éléments de preuve analysés par la chambre de recours ne vient étayer l’affirmation de la requérante selon laquelle les produits concernés seraient des chaussettes ou des chaussures de protection. Le seul élément qui pourrait aller dans le sens suggéré par la requérante concerne une allusion à une chaussure ou à un chausson orthopédique dans les confirmations de commande par la société BR pour des paires de chaussures désignées par la référence Reca J Orthomuil.

33      En revanche, tous les autres éléments du faisceau de preuves analysés par la chambre de recours pointent vers l’utilisation de la marque contestée pour des « chaussures », relevant de la classe 25.

34      Premièrement, s’il est vrai que les bons de commandes émis par la société BE ne précisent pas explicitement que les articles commandés sous la marque RECARO sont des chaussures, il n’en demeure pas moins que ces bons de commande définissent, entres autres spécifications, le nombre de paires, les couleurs (telles que « moca », « camel » ou « black »), les pointures, les prix et le type de semelle. Il en va de même pour les bons de commandes émis par la société BR qui précisent également le type d’article (Botttien ou Orthomuil), les couleurs (telles que « black », « brown », « navy »), les pointures, les prix et le nombre de paires. En outre, les spécifications mentionnées sur les bons de commande des sociétés BE et BR correspondent à celles contenues dans les commandes de production que le titulaire de la marque communautaire  a adressées aux sociétés de fabrication EC et AN et qui mentionnent explicitement la marque RECARO. Il en va de même pour les factures adressées par EC au titulaire.

35      Deuxièmement, selon ses deux premiers considérants, le contrat de licence conclu entre le titulaire de la marque communautaire  et EC en 2009 concerne la fabrication, la distribution et la vente d’une série de produits de chaussures (calzado) en Espagne sous la marque RECARO.

36      Troisièmement, contrairement à ce que soutient la requérante, les déclarations du directeur des ventes du titulaire, M. G., citées dans un article publié sur Internet, confirment que les relations commerciales que le titulaire de la marque communautaire  entretenait avec ses partenaires portaient sur des chaussures vendues sous la marque RECARO. En effet, il indique non seulement que le titulaire de la marque communautaire  se consacre aux chaussures de loisirs sous la marque RECARO, mais il précise également que les sandales avec une semelle en caoutchouc sont le modèle le plus vendu.

37      Quatrièmement, les images prises de magazines, de catalogues et de dépliants, auxquelles la décision de la division d’annulation fait référence, montrent l’utilisation de la marque RECARO sur plusieurs modèles de chaussures. Même si certaines images ne sont pas datées ou sont antérieures à la période pertinente et bien que leur contexte commercial ne soit pas clair, elles constituent néanmoins un élément supplémentaire qui corrobore les autres éléments de preuve mentionnés ci-dessus [voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 29 février 2012, Certmedica International et Lehning entreprise/OHMI – Lehning entreprise et Certmedica International (L112), T‑77/10 et T‑78/10, non publié au Recueil, points 57 et 58].

38      Il s’ensuit que la chambre de recours n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant que les preuves fournies par le titulaire de la marque communautaire  démontraient, d’une part, l’utilisation de la marque contestée en tant que marque dans le cadre de transactions commerciales, et, d’autre part, l’usage de la marque contestée pour des « chaussures » relevant de la classe 25. Le second grief de la requérante doit donc être rejeté comme étant non fondé.

–       Sur l’usage de la marque contestée sous sa forme enregistrée

39      Selon la requérante, le titulaire de la marque communautaire  n’aurait pas apporté de preuve de l’usage de la marque contestée sur des produits vendus sur le marché dans sa forme enregistrée. À cet égard, la requérante observe l’absence de photographies ou de publicités de chaussures montrant la forme sous laquelle la marque a été utilisée. Par ailleurs, l’utilisation du terme « reca » sur les bons de commandes émis par la société BR ne saurait être considérée comme une utilisation de la marque RECARO dans sa forme enregistrée. La requérante estime, en effet, que les termes « reca » et « recaro » ont un caractère distinctif différent.

40      L’OHMI rejette les arguments de la requérante.

41      L’article 15, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009 prévoit que l’usage de la marque doit s’effectuer sous une forme qui n’altère pas le caractère distinctif de la marque telle qu’enregistrée. En effet, un usage sérieux nécessite que la marque soit utilisée telle qu’enregistrée (arrêts Ansul, précité, point 37, et VITAFRUIT, précité, point 39). L’usage ne doit pas altérer le caractère distinctif de la marque enregistrée [arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Laboratorios RTB/OHMI – Giorgio Beverly Hills (GIORGIO AIRE), T‑156/01, Rec. p. II‑2789, point 44].

42      En l’espèce, il convient de constater, d’abord, que la marque contestée est une marque verbale. L’OHMI observe, à juste titre, que la présentation précise d’une telle marque en termes de polices de caractères ou de couleurs a donc, en principe, peu d’importance. En effet, la représentation concrète d’une marque verbale n’est généralement pas de nature à modifier le caractère distinctif de ladite marque telle qu’enregistrée.

43      Il y a lieu de constater, ensuite, que la requérante ne soutient pas que le titulaire de la marque communautaire a présenté la marque contestée d’une façon telle qu’il en aurait altéré le caractère distinctif mais plutôt qu’il n’existe pas de preuve d’un usage sous sa forme enregistrée. Il n’existe toutefois aucune indication ou raison de supposer que le titulaire de la marque communautaire  aurait généralement présenté la marque contestée sous une forme qui modifierait son caractère distinctif. Au contraire, hormis les bons de commande de BR, les autres éléments de preuve fournis par le titulaire de la marque communautaire  se réfèrent explicitement à la marque contestée sous une forme neutre, sans représentation graphique ou éléments complémentaires. De plus, les images prises de magazines, de catalogues et de dépliants démontrent l’usage de la marque RECARO sur plusieurs modèles de chaussures dans une forme qui n’altère pas son caractère distinctif. Ainsi que constaté au point 37 ci-dessus, si la valeur probante de ces images est certes limitée, elle constitue néanmoins un élément supplémentaire qui corrobore les autres éléments de preuve.

44      Enfin, s’agissant des bons de commande de BR, la chambre de recours pouvait à bon droit conclure que l’utilisation du terme « reca » dans ces commandes n’était qu’une abréviation du terme « recaro », dans la mesure où les commandes correspondantes, que le titulaire de la marque communautaire  a envoyées aux fabricants pour la production des chaussures en question, font état de la marque RECARO (voir point 34 ci-dessus). Il en va de même pour les factures que ces sociétés ont adressées au titulaire.

45      Dans ces conditions, le troisième grief doit être rejeté comme étant non fondé.

–       Sur l’importance de l’usage

46      La requérante soulève que les éléments de preuve présentés par le titulaire de la marque communautaire ne démontrent pas l’importance de l’usage de la marque contestée. Selon la requérante, le titulaire de la marque communautaire  aurait dû préciser le volume ou le chiffre d’affaires des ventes aux consommateurs finaux.

47      L’OHMI conteste l’argumentation de la requérante.

48      À cet égard, il convient de rappeler que l’argument de la requérante selon lequel seules les ventes aux consommateurs finaux seraient pertinentes pour démontrer l’usage sérieux d’une marque a déjà été rejeté ci-dessus (voir point 28 ci-dessus). Partant, il ne saurait être exigé non plus d’un titulaire de la marque communautaire que l’importance quantitative de cet usage se réfère uniquement à ce genre de ventes.

49      Ensuite, il y a lieu d’observer que le titulaire de la marque communautaire  a fourni de nombreux bons de commandes relatifs à ses activités d’intermédiaire. Ces documents se réfèrent à des milliers de paires de chaussures et visent des transactions représentant plusieurs centaines de milliers d’euros.

50      Le quatrième grief de la requérante est donc dépourvu de tout fondement et doit être rejeté comme infondé.

–       Sur les éléments de preuve introduits au stade du recours

51      La requérante estime que les éléments de preuve fournis par le titulaire de la marque communautaire  lors de la procédure devant la chambre de recours n’ont pas de valeur probante et sont donc insuffisants pour prouver un usage sérieux de la marque contestée.

52      L’OHMI conteste cette argumentation.

53      À cet égard, il suffit de constater que, pour apprécier l’usage sérieux de la marque contestée, la chambre de recours a fondé la décision attaquée sur un faisceau d’indices, qui, selon le point 19 de la décision attaquée, comprend tant les documents déjà produits devant la division d’annulation que les documents additionnels. En outre, il ressort des points 20 à 28 de la décision attaquée que la chambre de recours a attaché une importance particulière aux documents énumérés au point 19. Les documents produits pour la première fois lors de la procédure de recours ne font pas partie de cette liste.

54      Or, dans la mesure où la requérante est restée en défaut de démontrer, dans le cadre de ses quatre premiers griefs, que l’analyse de la chambre de recours concernant l’usage sérieux de la marque contestée, fondée sur les documents énumérés au point 19 de la décision attaquée, était erronée, le présent grief ne saurait, en tout état de cause, mener à l’annulation de la décision attaquée.

55      Il s’ensuit que le cinquième grief de la requérante doit être rejeté comme étant inopérant.

56      Il convient dès lors de rejeter le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009, lu en combinaison avec la règle 50, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95

57      La requérante soutient que la chambre de recours n’aurait pas dû tenir compte des éléments de preuve déposés par le titulaire de la marque communautaire  pour la première fois au stade du recours. La chambre de recours ne pouvait pas s’appuyer sur l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009, en combinaison avec la règle 50, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95 pour accueillir ces éléments. Selon la requérante, cette dernière règle ne serait applicable qu’aux procédures d’opposition. Elle ne serait pas applicable aux procédures d’annulation fondées sur l’absence d’usage sérieux d’une marque.

58      L’OHMI conteste les arguments de la requérante.

59      Selon l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009, l’OHMI peut ne pas tenir compte des faits que les parties n’ont pas invoqués en temps utile. La chambre de recours dispose donc d’une marge d’appréciation pour admettre ou refuser des éléments de faits produits hors délai tout en motivant sa décision sur ce point [voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 13 mars 2007, OHMI/Kaul, C‑29/05 P, Rec. p. I‑2213, points 42 et 43 ; du Tribunal du 22 septembre 2011, Cesea Group/OHMI – Mangini & C. (Mangiami), T‑250/09, non publié au Recueil, point 18, et du 23 novembre 2011, Geemarc Telecom/OHMI – Audioline (AMPLIDECT), T‑59/10, non publié au Recueil, points 14 et 15].

60      L’article 76 du règlement n° 207/2009 s’applique à tous les types de procédures devant l’Office et ne fait aucune distinction entre les procédures d’opposition et les procédures de déchéance ou de nullité.

61      En ce qui concerne la règle 50, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95, il convient d’observer, d’abord, qu’il s’agit d’un règlement d’exécution de la Commission qui ne saurait déroger au règlement de base du Conseil, à savoir le règlement n° 207/2009, y compris son article 76.

62      Il y a lieu de constater, ensuite, que, contrairement à ce qu’affirme la requérante, la portée de la règle 50, paragraphe 1, n’est aucunement limitée aux procédures d’opposition. En effet, la première phrase de cette règle prévoit, en termes généraux et sans précision quant à la nature de la procédure en cause que, sauf disposition contraire, la chambre de recours bénéficie des mêmes dispositions procédurales que l’instance qui a rendu la décision attaquée. Les deux phrases suivantes apportent des précisions sur les délais applicables aux procédures d’opposition, mais ne se prononcent pas sur les délais applicables aux autres procédures.

63      Il s’ensuit que la règle 50, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95 n’a aucune incidence sur la marge d’appréciation dont jouit la chambre de recours en vertu de l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009.

64      Enfin, il n’existe aucun intérêt public qui justifierait la limitation de ce pouvoir d’appréciation aux procédures d’opposition. Au contraire, il est dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice que la chambre de recours puisse décider en pleine connaissance de cause lorsqu’elle statue dans le cadre d’une procédure de déchéance ou de nullité, au sens de la section 5 du titre VI du règlement n° 207/2009, et ce d’autant plus que cette procédure s’applique également aux causes de nullité absolue qui sont visées aux articles 7 et 52 dudit règlement et qui incluent la protection de l’intérêt public.

65      Contrairement aux arguments de la requérante, la chambre de recours pouvait donc à juste titre s’appuyer sur l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009 et la règle 50, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95, pour admettre les éléments de preuve qui n’avaient pas été produits devant la division d’annulation.

66      Par ailleurs, il convient de constater que la chambre de recours en faisant usage de sa marge d’appréciation en vertu de l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009 a correctement motivé, au point 15 de la décision attaquée, sa décision de prendre en considération les éléments de preuve additionnels avancés au stade du recours, dans la mesure où elle a estimé que ces derniers étaient complémentaires des éléments avancés précédemment et donc pertinents pour la solution du litige.

67      Il convient donc de rejeter le deuxième moyen comme étant non fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’article 75, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009.

68      La requérante fait valoir que la chambre de recours a violé son obligation de motivation, prévue par l’article 75, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009, en n’exposant pas comment elle a apprécié la valeur probante des éléments de preuve fournis par le titulaire de la marque communautaire pour la première fois au stade du recours.

69       L’OHMI conteste les arguments de la requérante.

70      Il convient de rappeler que l’obligation de motivation consacrée à l’article 75 du règlement n° 207/2009 a la même portée que celle découlant de l’article 296 TFUE (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 21 octobre 2004, KWS Saat/OHMI, C‑447/02 P, Rec. p. I‑10107, point 64, et ordonnance de la Cour du 9 décembre 2008, Enercon/OHMI, C‑20/08 P, non publié au Recueil point 29). Selon une jurisprudence bien établie, la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. Toutefois, il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt KWS Saat/OHMI, précité, point 65). Il suffit que la chambre de recours expose les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de la décision [voir arrêt du Tribunal du 29 septembre 2011, New Yorker SHK Jeans/OHMI – Vallis K. – Vallis A. (FISHBONE), T‑415/09, non publié au Recueil, point 40, et la jurisprudence citée].

71      S’agissant de la motivation de la décision attaquée, il ressort du point 19 de la décision attaquée que la chambre de recours a fondé son analyse sur l’ensemble des documents mis à sa disposition. La chambre de recours s’est ainsi livrée à l’appréciation globale, requise par la jurisprudence citée au point 20 ci-dessus. Les points 20 à 28 de la décision attaquée font apparaître sommairement, mais clairement, les motifs et circonstances factuelles que la chambre de recours a retenus pour justifier sa décision. En ayant procédé de cette façon, elle n’était pas tenue d’expliquer la valeur probante de chaque élément du faisceau d’indices sur lequel elle a fondé sa décision, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 70 ci-dessus. Il convient également de souligner que cette motivation a permis à la requérante de comprendre la décision attaquée et d’introduire un recours contestant son bien‑fondé, y compris s’agissant des éléments introduits lors de la procédure devant la chambre de recours, ainsi qu’il ressort du cinquième grief du premier moyen. Le Tribunal a également pu exercer son contrôle.

72      Il convient, dès lors, de rejeter le troisième moyen comme étant non fondé.

73      Partant, aucun des moyens soulevés par la requérante au soutien de ses conclusions en annulation et en réformation n’étant fondé, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

74      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

75      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’OHMI.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Recaro Holding GmbH est condamnée aux dépens.

van der Woude

Wiszniewska-Białecka

Ulloa Rubio

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 novembre 2013.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.