Language of document : ECLI:EU:T:2013:348

ARRÊT DU TRIBUNAL (chambre des pourvois)

9 juillet 2013 (*)

« Pourvoi – Fonction publique – Personnel de la BEI – Réexamen de l’arrêt du Tribunal – Rejet du recours en première instance comme irrecevable – Pensions – Augmentation de la cotisation au régime des pensions – Délai de recours – Délai raisonnable »

Dans l’affaire T‑234/11 P‑RENV‑RX,

ayant pour objet un pourvoi formé contre l’ordonnance du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne (première chambre) du 4 février 2011, Arango Jaramillo e.a./BEI (F‑34/10), et tendant à l’annulation de cette ordonnance,

Oscar Orlando Arango Jaramillo, agent de la Banque européenne d’investissement, demeurant à Luxembourg (Luxembourg), et les 34 autres agents de la Banque européenne d’investissement dont les noms figurent en annexe, représentés par Mes B. Cortese et C. Cortese, avocats,

parties requérantes,

l’autre partie à la procédure étant

Banque européenne d’investissement (BEI), représentée par MM. C. Gómez de la Cruz et T. Gilliams, en qualité d’agents, assistés de Me P.‑E. Partsch, avocat,

partie défenderesse en première instance,

LE TRIBUNAL (chambre des pourvois),

composé de M. M. Jaeger, président, Mme I. Pelikánová (rapporteur) et M. A. Dittrich, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

1        La présente procédure fait suite à l’arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 28 février 2013, Réexamen Arango Jaramillo e.a./BEI (C‑334/12 RX‑II), par lequel celle-ci, après avoir constaté que l’arrêt du Tribunal (chambre des pourvois) du 19 juin 2012, Arango Jaramillo e.a./BEI (T‑234/11 P, ci-après l’« arrêt réexaminé »), ayant pour objet un pourvoi formé contre l’ordonnance du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne (première chambre) du 4 février 2011, Arango Jaramillo e.a./BEI (F‑34/10, ci-après l’« ordonnance attaquée »), portait atteinte à la cohérence du droit de l’Union européenne, a annulé l’arrêt réexaminé et renvoyé l’affaire devant le Tribunal.

 Faits à l’origine du litige

2        Il ressort des points 2 à 4 de l’ordonnance attaquée, point 1 supra, que M. Oscar Orlando Arango Jaramillo et les 34 autres requérants dont les noms figurent en annexe sont des agents de la Banque européenne d’investissement (BEI). Depuis le 1er janvier 2007, les bulletins de rémunération des agents de la BEI ne sont plus édités dans leur présentation traditionnelle sur papier, mais sur support électronique. Les bulletins de rémunération sont désormais introduits chaque mois dans le système informatique Peoplesoft de la BEI et sont ainsi consultables par chaque agent à partir de son ordinateur professionnel.

3        Le samedi 13 février 2010, les bulletins de rémunération du mois de février 2010 ont été introduits dans le système informatique Peoplesoft. Ces bulletins mettaient en évidence, par rapport aux bulletins du mois de janvier 2010, une hausse du taux des contributions au régime des pensions, hausse résultant de décisions prises par la BEI dans le cadre de la réforme du régime des pensions de ses agents.

 Procédure en première instance et ordonnance attaquée

4        Le 26 mai 2010, les requérants ont introduit auprès du Tribunal de la fonction publique un recours, enregistré sous la référence F‑34/10, tendant, d’une part, à l’annulation de leurs bulletins de rémunération du mois de février 2010, en tant qu’ils révélaient les décisions de la BEI d’augmenter leurs cotisations au régime des pensions, et, d’autre part, à la condamnation de la BEI au versement d’un euro symbolique, à titre de réparation de leur préjudice moral.

5        Par acte séparé adressé au greffe du Tribunal de la fonction publique, la BEI a soulevé une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 78 du règlement de procédure dudit Tribunal et a demandé à ce dernier de statuer sur l’irrecevabilité du recours, sans engager le débat sur le fond.

6        Dans leurs observations sur l’exception d’irrecevabilité, les requérants ont notamment fait valoir que, au regard des circonstances particulières de l’espèce, en particulier de l’absence de toute disposition textuelle relative aux délais de recours des agents de la BEI, l’application stricte du délai de recours de droit commun de trois mois et dix jours aurait pour effet de porter atteinte à leur droit à un recours effectif (ordonnance attaquée, point 1 supra, point 18).

7        Par l’ordonnance attaquée, point 1 supra, adoptée en application de l’article 78 du règlement de procédure du Tribunal de la fonction publique, ledit Tribunal a, sans engager la procédure orale et sans joindre l’exception d’irrecevabilité au fond, rejeté le recours comme étant irrecevable du fait de sa tardiveté.

 Pourvoi devant le Tribunal

8        Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 28 avril 2011, les requérants ont formé un pourvoi, au titre de l’article 9 de l’annexe I du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, contre l’ordonnance attaquée, point 1 supra, lequel a été enregistré sous la référence T‑234/11 P.

9        Dans le cadre de ce pourvoi, les requérants ont demandé au Tribunal d’annuler cette ordonnance, de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la BEI dans l’affaire F‑34/10 et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal de la fonction publique, pour qu’il statue sur le fond.

10      Après avoir constaté qu’aucune demande de fixation d’une audience n’avait été présentée par les parties dans le délai d’un mois à compter de la signification de la clôture de la procédure écrite, le Tribunal a statué sur le litige sans phase orale.

11      À l’appui de leur pourvoi, les requérants ont invoqué trois moyens, le premier à titre principal et les deux autres à titre subsidiaire. Le premier moyen était tiré d’une erreur de droit dans l’interprétation de la notion de « délai raisonnable » pour l’introduction du recours en première instance, et notamment de la violation du principe de proportionnalité, ainsi que de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective. Le deuxième moyen était pris d’une erreur de droit dans l’interprétation des règles procédurales applicables, notamment celles relatives à l’existence d’un cas fortuit. Le troisième moyen était tiré d’une dénaturation des éléments soumis au Tribunal de la fonction publique pour prouver l’existence d’un cas fortuit, ainsi que d’une violation des règles relatives aux mesures d’instruction et d’organisation de la procédure en première instance.

12      Dans l’arrêt réexaminé, point 1 supra, le Tribunal a rejeté le pourvoi au motif que les moyens ainsi invoqués par les requérants étaient, pour partie, irrecevables et, pour le reste, non fondés.

13      Aux fins de rejeter le premier moyen du pourvoi, invoqué à titre principal, le Tribunal a jugé que le Tribunal de la fonction publique avait correctement appliqué à la situation des requérants, dans l’ordonnance attaquée, point 1 supra, une règle selon laquelle, par analogie avec le délai de recours prévu à l’article 91, paragraphe 3, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le « statut »), un délai de trois mois devait, en principe, être considéré comme raisonnable pour l’introduction, par un agent de la BEI, d’un recours en annulation d’un acte de cette dernière lui faisant grief (arrêt réexaminé, point 1 supra, point 27). Le Tribunal a, en outre, considéré que l’obligation qui était ainsi faite aux agents de la BEI d’introduire leur recours dans un délai précis ne pouvait être regardée comme portant atteinte à leur droit à un recours effectif ou au principe de proportionnalité (arrêt réexaminé, point 1 supra, point 41).

 Réexamen par la Cour

14      À la suite de la proposition du premier avocat général, la Cour (chambre spéciale prévue à l’article 123 ter du règlement de procédure de la Cour, dans sa version applicable à la date de la proposition) a considéré, par décision du 12 juillet 2012 (C‑334/12 RX), qu’il y avait lieu de procéder au réexamen. Aux termes de cette dernière décision, le réexamen devait porter sur les questions de savoir, d’une part, si l’arrêt réexaminé, point 1 supra, portait atteinte à l’unité ou à la cohérence du droit de l’Union en ce que le Tribunal, en tant que juridiction de pourvoi, avait interprété la notion de « délai raisonnable », dans le contexte de l’introduction d’un recours en annulation par les agents de la BEI à l’encontre d’un acte émanant de cette dernière qui leur faisait grief, comme un délai dont le dépassement emportait le caractère tardif et, partant, l’irrecevabilité du recours, sans que le juge de l’Union eût à tenir compte des circonstances particulières du cas d’espèce, et, d’autre part, si cette interprétation de la notion de « délai raisonnable » n’était pas de nature à porter atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif, affirmé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (JO 2010, C 83, p. 389).

15      Dans l’arrêt Réexamen Arango Jaramillo e.a./BEI, point 1 supra, la Cour a annulé l’arrêt réexaminé, point 1 supra, après avoir jugé que celui-ci portait effectivement atteinte à la cohérence du droit de l’Union en ce que le Tribunal, en qualité de juridiction de pourvoi, avait interprété la notion de « délai raisonnable », dans le contexte de l’introduction d’un recours en annulation par des agents de la BEI à l’encontre d’un acte émanant de cette dernière qui leur faisait grief, comme un délai d’une durée de trois mois dont le dépassement entraînait automatiquement le caractère tardif du recours et, partant, l’irrecevabilité de celui-ci, sans que le juge de l’Union ait été tenu de prendre en considération les circonstances du cas d’espèce.

16      Toutefois, considérant que la solution définitive de la question de la recevabilité du recours des requérants, en particulier le point de savoir si ce recours avait été introduit dans un délai raisonnable, au sens de la jurisprudence qui est conforme au principe du droit à un recours effectif, ne découlait pas des constatations de fait sur lesquelles était fondé l’arrêt réexaminé, point 1 supra, la Cour a jugé ne pas pouvoir statuer elle-même définitivement sur le litige, en vertu de l’article 62 ter du statut de la Cour. Par conséquent, tout en statuant sur les dépens afférents à la procédure de réexamen, la Cour a renvoyé l’affaire devant le Tribunal, aux fins de l’appréciation, au regard de l’ensemble des circonstances propres de l’affaire, du caractère raisonnable du délai dans lequel les requérants avaient introduit leur recours devant le Tribunal de la fonction publique.

 Sur l’affaire renvoyée après réexamen

 Procédure

17      Conformément à l’article 121 bis du règlement de procédure du Tribunal, l’arrêt Réexamen Arango Jaramillo e.a./BEI, point 1 supra, a eu pour effet de saisir de nouveau le Tribunal de la présente affaire.

18      Par lettre du 1er mars 2013, le greffe du Tribunal a, conformément à l’article 121 quater, paragraphe 1, du règlement de procédure, invité les parties à présenter, dans un délai d’un mois à compter de la signification de l’arrêt Réexamen Arango Jaramillo e.a./BEI, point 1 supra, leurs observations écrites sur les conclusions à tirer de ce dernier pour la solution du litige.

19      Le 22 mars et le 16 avril 2013, respectivement, la BEI et les requérants ont déposé leurs observations au greffe du Tribunal.

20      Dans ses observations, la BEI conclut à ce que le Tribunal :

–        à titre principal, renvoie l’affaire au Tribunal de la fonction publique ;

–        à titre subsidiaire, rejette le pourvoi, après avoir confirmé le caractère irrecevable du recours introduit par les requérants devant le Tribunal de la fonction publique du fait de sa tardiveté, motif pris de ce que ce recours a été introduit dans un délai qui n’apparaît pas raisonnable au regard de l’ensemble des circonstances propres de l’affaire, et condamne les requérants aux dépens afférents à la procédure de pourvoi.

21      Dans leurs observations, les requérants concluent à ce que le Tribunal :

–        accueille le premier moyen du pourvoi et annule, sur ce fondement, l’ordonnance attaquée, point 1 supra, motif pris de ce que leur recours devant le Tribunal de la fonction publique a été introduit dans un délai raisonnable au regard de l’ensemble des circonstances propres de l’affaire ;

–        renvoie l’affaire au Tribunal de la fonction publique pour qu’il statue sur le fond du recours ainsi que sur les dépens afférents à la procédure en première instance ;

–        condamne la BEI aux dépens afférents à la procédure de pourvoi.

 En droit

22      Par l’effet de l’arrêt Réexamen Arango Jaramillo e.a./BEI, point 1 supra, le Tribunal est de nouveau saisi du pourvoi visé au point 8 ci-dessus et doit réexaminer les trois moyens invoqués par les requérants à l’appui de ce dernier, tels que rappelés au point 11 ci-dessus, en tirant toutes les conclusions que ledit arrêt impose pour la solution du litige.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit dans l’interprétation de la notion de « délai raisonnable » pour l’introduction du recours en première instance, et notamment de la violation du principe de proportionnalité, ainsi que de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective

23      Le premier moyen est articulé, en substance, en deux branches. La première branche est tirée d’une erreur de droit dans l’interprétation de la notion de « délai raisonnable » pour l’introduction du recours en première instance. La seconde branche est prise d’une violation du principe de proportionnalité ainsi que du droit à une protection juridictionnelle effective.

24      Par la première branche du premier moyen, les requérants font grief au Tribunal de la fonction publique d’avoir, dans l’ordonnance attaquée, point 1 supra, commis une erreur de droit en ce qu’il a rejeté leur recours comme étant irrecevable, motif pris de ce que, en substance, le délai de trois mois, dix jours et quelques secondes pour le dépôt de la requête en première instance au greffe du Tribunal de la fonction publique n’était pas un délai raisonnable. Ce faisant, le Tribunal de la fonction publique aurait donné à la jurisprudence concernant les délais de recours des agents de la BEI (arrêts du Tribunal du 23 février 2001, De Nicola/BEI, T‑7/98, T‑208/98 et T‑109/99, RecFP p. I‑A‑49 et II‑185, point 99, et du 6 mars 2001, Dunnett e.a./BEI, T‑192/99, Rec. p. II‑813, points 53 et 58) une portée qui lui serait étrangère, en abandonnant de facto le principe du respect d’un délai raisonnable, par sa nature même flexible et ouvert à la mise en balance concrète des intérêts en jeu, pour y substituer un délai précis, d’application stricte et généralisée, de trois mois. En outre, le Tribunal de la fonction publique n’aurait pas tenu compte des documents ou des témoignages produits devant lui, qui auraient démontré que, d’une part, dans le délai de trois mois et dix jours, des copies conformes de la requête en première instance avaient été reçues, par messagerie électronique, par d’autres destinataires connectés à des serveurs différents de celui de l’envoi, et que, d’autre part, une panne électrique était survenue dans les locaux professionnels de leurs avocats, le soir de l’envoi de la requête en première instance, qui s’était terminée à peu près une dizaine de minutes avant minuit, retardant ledit envoi. De plus, le Tribunal de la fonction publique aurait omis de tenir compte des circonstances particulières du cas d’espèce et, notamment, du fait que la BEI avait, de manière coupable, omis d’exercer sa responsabilité réglementaire en fixant un délai de recours précis et fiable et qu’elle avait adopté les décisions attaquées, revêtant la forme des bulletins de rémunération du mois de février 2010, sur le fondement d’une réglementation qui n’avait pas encore été publiée et qui ne l’était toujours pas au jour de l’introduction du recours.

25      Par la seconde branche du premier moyen, les requérants soutiennent que le Tribunal de la fonction publique a, dans l’ordonnance attaquée, point 1 supra, méconnu leur droit à une protection juridictionnelle effective et violé le principe de proportionnalité qui doit inspirer l’application des dispositions ou des principes de droit dès lors qu’ils restreignent le droit d’accès à un tribunal. En s’éloignant de sa jurisprudence antérieure, fondée sur une application, souple et favorable aux requérants, du principe du respect d’un délai de recours raisonnable, le Tribunal de la fonction publique aurait contredit l’exigence fondamentale d’une mise en balance adéquate du droit du justiciable à une protection juridictionnelle effective et de l’exigence de sécurité juridique. Cette contradiction apparaîtrait de manière évidente dans les circonstances particulières au cas d’espèce, telles que décrites au point 24 ci-dessus. Au vu de ces circonstances particulières, l’application stricte et généralisée d’un délai précis de trois mois, non fixé par un texte et ne ressortant pas davantage d’une jurisprudence claire et constante, apparaîtrait comme une restriction excessive à leur droit d’accès à un tribunal, tel que garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux. En outre, elle serait disproportionnée par rapport au but poursuivi par le principe du respect d’un délai raisonnable, à savoir assurer la stabilité des actes de la BEI.

26      La BEI conteste les arguments avancés par les requérants et conclut, en substance, au rejet du premier moyen, pris en ses deux branches, comme étant irrecevable et, en tout état de cause, comme étant non fondé. Sous couvert du premier moyen, les requérants entendraient soumettre au contrôle du juge du pourvoi des appréciations factuelles du Tribunal de la fonction publique figurant dans l’ordonnance attaquée, point 1 supra, ce qui échapperait à la compétence de ce juge. En tout état de cause, le premier moyen ne serait pas fondé. En effet, il ressortirait de la jurisprudence que le délai raisonnable pour l’introduction d’un recours par un agent de la BEI serait un délai fixe de trois mois, augmenté d’un délai de distance forfaitaire de dix jours, découlant, par analogie, des dispositions du statut relatives aux voies de recours. En outre, il ressortirait de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de celle du juge de l’Union que les règles instituant des délais de recours pourraient être conciliées tant avec le principe de proportionnalité qu’avec le droit à une protection juridictionnelle effective.

27      Dans la mesure où la BEI conteste la recevabilité du premier moyen, pris en ses deux branches, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le juge de première instance est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits. Lorsque le juge de première instance a constaté ou apprécié les faits, le juge du pourvoi est compétent pour exercer un contrôle sur la qualification juridique de ces faits et les conséquences de droit qui en ont été tirées par le juge de première instance (arrêt du Tribunal du 2 juillet 2010, Kerstens/Commission, T‑266/08 P, point 37) ; voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 6 avril 2006, General Motors/Commission, C‑551/03 P, Rec. p. I‑3173, point 51, et du 21 septembre 2006, JCB Service/Commission, C‑167/04 P, Rec. p. I‑8935, point 106).

28      Par le premier moyen, les requérants ne contestent pas les constatations factuelles opérées par le Tribunal de la fonction publique dans l’ordonnance attaquée, point 1 supra, et portant sur le délai dans lequel le recours en première instance a été introduit, mais les conclusions que ledit tribunal a tirées de ces dernières constatations, à savoir que le délai dans lequel le recours a été introduit ne pouvait être qualifié de « raisonnable ». Or, la question de savoir si le Tribunal de la fonction publique a pu conclure à bon droit, à partir des faits de l’espèce, que les requérants n’avaient pas introduit leur recours dans un délai raisonnable constitue une question de droit qui est soumise au contrôle du juge du pourvoi.

29      Par conséquent, la fin de non-recevoir soulevée par la BEI à l’encontre du premier moyen doit être rejetée comme étant non fondée.

30      Aux fins de l’examen au fond de la première branche du premier moyen, tirée d’une erreur de droit dans l’interprétation de la notion de « délai raisonnable » pour l’introduction du recours en première instance, il convient de relever que ni le traité FUE ni le règlement du personnel de la BEI, arrêté par son conseil d’administration, conformément à l’article 29 du règlement intérieur de la BEI, ne contiennent d’indications sur le délai de recours applicable aux litiges entre la BEI et ses agents. La conciliation entre, d’une part, le droit à une protection juridictionnelle effective, qui constitue un principe général du droit de l’Union et requiert que le justiciable dispose d’un délai suffisant pour évaluer la légalité de l’acte lui faisant grief et préparer, le cas échéant, sa requête, et, d’autre part, l’exigence de la sécurité juridique, qui veut que, après l’écoulement d’un certain délai, les actes pris par les instances de l’Union deviennent définitifs, impose cependant que ces litiges soient portés devant le juge de l’Union dans un délai raisonnable (voir arrêts De Nicola/BEI, point 24 supra, points 97 à 99, et la jurisprudence citée, et Dunnett e.a./BEI, point 24 supra, points 51 à 53, et la jurisprudence citée ; ordonnance du président du Tribunal du 6 décembre 2002, D/BEI, T‑275/02 R, RecFP p. I‑A‑259 et II‑1295, points 31 et 32).

31      Conformément à la jurisprudence, le caractère « raisonnable » d’un délai, qu’il s’agisse de la durée d’une procédure administrative ou juridictionnelle ou d’une question de délai, qui, comme en l’espèce, influe directement sur la recevabilité d’un recours, doit toujours être apprécié en fonction de l’ensemble des circonstances de l’espèce et, notamment, de l’enjeu du litige pour l’intéressé, de la complexité de l’affaire et du comportement des parties en présence (voir arrêt Réexamen Arango Jaramillo e.a./BEI, point 1 supra, points 28 à 37, et la jurisprudence citée). Il s’ensuit, en général, que la notion de délai raisonnable ne peut être entendue comme un délai de forclusion spécifique et, en particulier, que le délai de trois mois prévu à l’article 91, paragraphe 3, du statut ne peut s’appliquer par analogie en tant que délai de forclusion aux agents de la BEI lorsqu’ils introduisent un recours en annulation à l’encontre d’un acte émanant de cette dernière qui leur fait grief (voir arrêt Réexamen Arango Jaramillo e.a./BEI, point 1 supra, point 39, et la jurisprudence citée).

32      Par conséquent, le seul fait qu’un agent de la BEI ait introduit un recours en annulation d’un acte de cette dernière qui lui fait grief dans un délai qui excède trois mois et dix jours ne suffit pas à conclure au caractère tardif de ce recours, le juge de l’Union devant, en tout état de cause, vérifier le caractère raisonnable du délai en fonction des circonstances propres de l’affaire.

33      Le seul fait que, dans les arrêts De Nicola/BEI, point 24 supra (points 118 à 120), et Dunnett e.a./BEI, point 24 supra (points 57 et 58), le Tribunal ait considéré que des délais ne dépassant pas trois mois et dix jours étaient raisonnables n’implique pas que des délais plus longs n’auraient pas pu être qualifiés de « raisonnables », au regard des circonstances propres aux affaires en cause, le juge de l’Union s’étant borné à se prononcer sur les cas concrets portés devant lui, sans examiner la question de savoir si des délais plus longs auraient encore pu être considérés comme étant raisonnables. Inversement, le fait que, dans l’ordonnance D/BEI, point 30 supra (points 38 à 40), le président du Tribunal ait considéré qu’un délai de cinq mois n’était pas raisonnable au regard des circonstances de la cause ne permet pas de conclure qu’un délai plus court, mais qui aurait néanmoins dépassé le délai de trois mois et dix jours, n’aurait pas pu être qualifié de « raisonnable » ou a fortiori que, dans d’autres circonstances, un tel délai n’aurait pas pu être considéré comme étant raisonnable.

34      En l’espèce, le Tribunal de la fonction publique a jugé que le recours en première instance n’avait pas été introduit dans un délai raisonnable et devait, par conséquent, être rejeté comme étant irrecevable du fait de sa tardiveté, au seul motif qu’il avait été introduit quelques secondes ou fractions de seconde après l’expiration d’un délai de trois mois, augmenté du délai de distance forfaitaire de dix jours prévu à l’article 100, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal de la fonction publique, qui correspondait, par analogie, au délai de recours prévu à l’article 91, paragraphe 3, du statut. En interprétant ainsi la notion de « délai raisonnable », dans le contexte de l’introduction d’un recours en annulation par des agents de la BEI à l’encontre d’un acte de cette dernière qui leur faisait grief, comme un délai de trois mois et dix jours dont le dépassement entraînait automatiquement le caractère tardif du recours et, partant, l’irrecevabilité de celui-ci, sans prendre en considération, comme il y était légalement tenu, les circonstances du cas d’espèce et, notamment, l’enjeu du litige pour les requérants, la complexité de l’affaire et le comportement respectif de la BEI et des requérants, le Tribunal de la fonction publique a entaché l’ordonnance attaquée, point 1 supra, d’une erreur de droit (voir, en ce sens et par analogie, arrêt Réexamen Arango Jaramillo e.a./BEI, point 1 supra, points 22, 27, 28, 46 et 54).

35      Il y a donc lieu d’accueillir la première branche du premier moyen, tirée d’une erreur de droit commise par le Tribunal de la fonction publique, dans l’ordonnance attaquée, point 1 supra, dans l’interprétation de la notion de « délai raisonnable » pour l’introduction du recours en première instance.

36      Par conséquent, et sans même qu’il soit besoin de statuer sur la seconde branche du premier moyen et sur les deuxième et troisième moyens, il y a lieu de faire droit aux conclusions du pourvoi et d’annuler l’ordonnance attaquée, point 1 supra.

 Sur le renvoi de l’affaire devant le Tribunal de la fonction publique

37      Conformément à l’article 13, paragraphe 1, de l’annexe I du statut de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé, le Tribunal annule la décision du Tribunal de la fonction publique et statue lui-même sur le litige. Il renvoie l’affaire devant le Tribunal de la fonction publique pour qu’il statue lorsque le litige n’est pas en état d’être jugé.

38      Le Tribunal de la fonction publique n’a, dans l’ordonnance attaquée, point 1 supra, pas procédé à l’ensemble des appréciations légalement requises pour statuer sur le caractère raisonnable du délai de recours et, partant, sur la recevabilité de ce recours. Pour cette même raison, la solution définitive de la question de la recevabilité du recours des requérants ne découle pas des appréciations de fait sur lesquelles l’ordonnance attaquée, point 1 supra, était fondée. Dans ces circonstances, le présent litige n’est pas en état d’être jugé. Il y a donc lieu de renvoyer l’affaire devant le Tribunal de la fonction publique, aux fins qu’il statue de nouveau sur le recours.

 Sur les dépens

39      L’affaire étant renvoyée devant le Tribunal de la fonction publique, il convient de réserver les dépens afférents à la présente procédure de pourvoi.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (chambre des pourvois)

déclare et arrête :

1)      L’ordonnance du Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne (première chambre) du 4 février 2011, Arango Jaramillo e.a./BEI, est annulée.

2)      L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de la fonction publique.

3)      Les dépens sont réservés.

Jaeger

Pelikánová

Dittrich

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 juillet 2013.

Signatures

Annexe

María Esther Badiola, demeurant àLuxembourg (Luxembourg),

Marcella Bellucci, demeurant à Luxembourg,

Stefan Bidiuc, demeurant à Grevenmacher (Luxembourg),

Raffaella Calvi, demeurant à Schuttrange (Luxembourg),

Maria José Cerrato, demeurant à Luxembourg,

Sara Confortola, demeurant à Vérone (Italie),

Carlos D’Anglade, demeurant à Luxembourg,

Nuno Da Fonseca Pestana Ascenso Pires, demeurant à Luxembourg,

Andrew Davie, demeurant à Medernach (Luxembourg),

Marta De Sousa e Costa Correia, demeurant à Itzig (Luxembourg),

Nausica Di Rienzo, demeurant à Luxembourg,

José Manuel Fernandez Riveiro, demeurant à Sandweiler (Luxembourg),

Eric Gällstad, demeurant à Rameldange (Luxembourg),

Andres Gavira Etzel, demeurant à Luxembourg,

Igor Greindl, demeurant à Luxembourg,

José Doramas Jorge Calderón, demeurant à Luxembourg,

Monica Lledó Moreno, demeurant à Sandweiler,

Antonio Lorenzo Ucha, demeurant à Luxembourg,

Juan Antonio Magaña-Campos, demeurant à Luxembourg,

Petia Manolova, demeurant à Bereldange (Luxembourg),

Ferran Minguella Minguella, demeurant à Gonderange (Luxembourg),

Barbara Mulder-Bahovec, demeurant à Luxembourg,

István Papp, demeurant à Luxembourg,

Stephen Richards, demeurant à Blaschette (Luxembourg),

Lourdes Rodriguez Castellanos, demeurant à Sandweiler,

Daniela Sacchi, demeurant à Mondorf-les-Bains (Luxembourg),

Maria Teresa Sousa Coutinho da Silveira Ramos, demeurant à Almargem do Bispo (Portugal),

Isabelle Stoffel, demeurant à Mondorf-les-Bains,

Fernando Torija, demeurant à Luxembourg,

María del Pilar Vargas Casasola, demeurant à Luxembourg,

Carolina Vento Sánchez, demeurant à Luxembourg,

Pé Verhoeven, demeurant à Bruxelles (Belgique),

Sabina Zajc, demeurant à Contern (Luxembourg),

Peter Zajc, demeurant à Contern.


* Langue de procédure : le français.