Language of document : ECLI:EU:T:2004:218

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

8 juillet 2004 (*)

« Concurrence – Ententes – Marchés des tubes en acier sans soudure – Durée de l’infraction – Amendes »

Dans l’affaire T-44/00,

Mannesmannröhren-Werke AG, établie à Mülheim an der Ruhr (Allemagne), représentée par Me M. Klusmann, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. M. Erhart et A. Whelan, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2003/382/CE de la Commission, du 8 décembre 1999, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE (Affaire IV/E-1/35.860-B – Tubes d’acier sans soudure) (JO 2003, L 140, p. 1), ou, à titre subsidiaire, une demande de réduction du montant de l’amende infligée à la requérante,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre),

composé de MM. N. J. Forwood, président, J. Pirrung et A. W. H. Meij, juges,

greffier : M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience des 19, 20 et 21 mars 2003,

rend le présent

Arrêt

 Faits et procédure

1       La présente affaire concerne la décision 2003/382/CE de la Commission, du 8 décembre 1999, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE (Affaire IV/E-1/35.860-B – Tubes d’acier sans soudure) (JO 2003, L 140, p. 1, ci‑après la « décision attaquée »).

2       La Commission a adressé la décision attaquée à huit entreprises productrices de tubes en acier au carbone sans soudure (ci-après les « entreprises destinataires de la décision attaquée »). Parmi ces entreprises figurent quatre sociétés européennes (ci-après les « producteurs européens » ou les « producteurs communautaires ») : Mannesmannröhren-Werke AG (ci‑après « Mannesmann » ou la « requérante »), Vallourec SA, Corus UK Ltd (anciennement British Steel plc, puis British Steel Ltd, ci-après « Corus ») et Dalmine SpA. Les quatre autres destinataires de la décision attaquée sont des sociétés japonaises (ci-après les « producteurs japonais ») : NKK Corp., Nippon Steel Corp. (ci‑après « Nippon »), Kawasaki Steel Corp. (ci‑après « Kawasaki ») et Sumitomo Metal Industries Ltd (ci‑après « Sumitomo »).

 Procédure administrative

3       Par décision du 17 novembre 1994, l’Autorité de surveillance de l’Association européenne de libre‑échange (AELE), agissant au titre de l’article 8, paragraphe 3, du protocole 23 de l’accord sur l’Espace économique européen, approuvé par la décision 94/1/CECA, CE du Conseil et de la Commission, du 13 décembre 1993, relative à la conclusion de l’accord sur l’Espace économique européen entre les Communautés européennes, leurs États membres et la République d’Autriche, la République de Finlande, la République d’Islande, la Principauté de Liechtenstein, le Royaume de Norvège, le Royaume de Suède et la Confédération suisse (JO 1994, L 1, p. 1, ci-après l’« accord EEE »), a autorisé son membre en charge des affaires de concurrence à demander à la Commission de procéder, sur le territoire de la Communauté, à une enquête ayant pour objet l’existence éventuelle de pratiques anticoncurrentielles concernant les tubes en acier au carbone utilisés pour des opérations de sondage et de transport par l’industrie pétrolière norvégienne.

4       Par décision non publiée du 25 novembre 1994 (Affaire IV/35.304, ci-après la « décision du 25 novembre 1994 »), reprise à la page 3 du dossier administratif de la Commission et adoptée sur la double base juridique de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), et de la décision de l’Autorité de surveillance AELE du 17 novembre 1994, la Commission a décidé de procéder à une enquête. Cette enquête devait porter sur les pratiques mentionnées dans la décision de l’Autorité de surveillance AELE du 17 novembre 1994, dans la mesure où elles étaient susceptibles de violer non seulement l’article 53 de l’accord EEE, mais également l’article 81 CE. La Commission a adressé la décision du 25 novembre 1994 à huit sociétés dont Mannesmann, Corus, Vallourec et Sumitomo Deutschland GmbH, société du groupe Sumitomo. Les 1er et 2 décembre 1994, des fonctionnaires de la Commission et des représentants des autorités de la concurrence des États membres concernés ont procédé à des vérifications auprès de ces entreprises, sur la base de ladite décision.

5       Par décision du 6 décembre 1995, l’Autorité de surveillance AELE a constaté que, le commerce entre États membres de la Communauté étant affecté de manière significative par l’affaire pendante devant elle, celle-ci relevait de la compétence de la Commission en vertu de l’article 56, paragraphe 1, sous c), de l’accord EEE. L’Autorité de surveillance AELE a donc décidé de transmettre ce dossier à la Commission, en application de l’article 10, paragraphe 3, du protocole 23 de l’accord EEE. À compter de cette date, la Commission a désigné l’affaire sous un nouveau numéro (IV/E‑1/35.860).

6       Entre le mois de septembre 1996 et le mois de décembre 1997, la Commission a procédé à des vérifications complémentaires, au titre de l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 17, auprès de Vallourec, de Dalmine et de Mannesmann. En particulier, elle a effectué une vérification auprès de Vallourec le 17 septembre 1996, à l’occasion de laquelle le président de Vallourec Oil & Gas, M. Verluca, a fait la déclaration reprise à la page 6356 du dossier de la Commission (ci-après la « déclaration de M. Verluca du 17 septembre 1996 »), sur laquelle la Commission se fonde dans la décision attaquée. Par la suite, la Commission a adressé des demandes de renseignements, en vertu de l’article 11 du règlement n° 17, à toutes les entreprises destinataires de la décision attaquée ainsi qu’à certaines autres entreprises.

7       Dalmine ainsi que les sociétés argentines Siderca SAIC (ci-après « Siderca ») et Techint Group ayant refusé de communiquer certains des renseignements demandés, une décision de la Commission du 6 octobre 1997 [C(1997) 3036, IV/35.860, tubes d’acier, non publiée], adoptée au titre de l’article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17, leur a été adressée. Siderca et Dalmine ont introduit des recours en annulation à l’encontre de cette décision devant le Tribunal. Le recours en annulation formé par Dalmine a été déclaré manifestement irrecevable par ordonnance du Tribunal du 24 juin 1998, Dalmine/Commission (T‑596/97, Rec. p. II-2383), tandis que le recours en annulation formé par Siderca a été radié, à la suite du désistement de cette dernière, par ordonnance du Tribunal du 7 juin 1998, Siderca/Commission (T‑8/98, non publiée au Recueil).

8       Mannesmann a également refusé de fournir certains des renseignements demandés par la Commission. Malgré l’adoption à son égard par la Commission d’une décision le 15 mai 1998 [C(1998) 1204, IV/35.860, tubes d’acier, non publiée], au titre de l’article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17, Mannesmann a maintenu ce refus. Mannesmann a également introduit un recours devant le Tribunal contre cette décision. Par arrêt du 20 février 2001, Mannesmannröhren-Werke/Commission (T‑112/98, Rec. p. II-729), le Tribunal a partiellement annulé la décision en cause et rejeté le recours pour le surplus.

9       En janvier 1999, la Commission a adopté deux communications des griefs, concernant, l’une, les tubes en acier au carbone soudés et, l’autre, les tubes en acier au carbone sans soudure. Elle a ainsi scindé l’affaire en deux, l’affaire IV/E‑1/35.860-A concernant les tubes en acier au carbone soudés et l’affaire IV/E‑1/35.860‑B concernant les tubes en acier au carbone sans soudure.

10     Dans l’affaire relative aux tubes en acier au carbone sans soudure, la Commission a adressé sa communication des griefs (ci-après la « CG ») aux huit entreprises destinataires de la décision attaquée ainsi qu’à Siderca et à la société mexicaine Tubos de Acero de México SA. Ces entreprises ont eu accès au dossier que la Commission a constitué dans cette affaire entre le 11 février et le 20 avril 1999. En outre, par lettres du 11 mai 1999, la Commission a envoyé copie des décisions de novembre 1994 relatives aux vérifications auprès des entreprises qui n’en étaient pas destinataires et qui, de ce fait, n’en avaient pas eu connaissance.

11     Après avoir présenté leurs observations écrites, les destinataires des deux communications des griefs ont été entendus par la Commission le 9 juin 1999 dans l’affaire des tubes en acier au carbone soudés et le 10 juin 1999 dans l’affaire des tubes en acier au carbone sans soudure. En juillet 1999, la Commission a informé les destinataires de la communication des griefs dans l’affaire IV/E‑1/35.860-A, concernant les tubes en acier au carbone soudés, qu’elle avait abandonné l’affaire relative à ces produits. En revanche, elle a poursuivi l’affaire IV/E‑1/35.860‑B.

12     C’est dans ces circonstances que, le 8 décembre 1999, la Commission a adopté la décision attaquée.

 Produits en cause

13     Les produits en cause dans l’affaire IV/E-1/35.860-B sont les tubes en acier au carbone sans soudure utilisés par l’industrie pétrolière et gazière, parmi lesquels figurent deux grandes catégories de produits.

14     La première catégorie de produits comprend les tubes de sondage, communément dénommés « Oil Country Tubular Goods » ou « OCTG ». Ces tubes peuvent être vendus sans filetage (les « tubes lisses ») ou filetés. Le filetage est une opération destinée à permettre la jonction des tubes OCTG. Il peut être réalisé conformément aux standards édictés par l’American Petroleum Institute (API) (les tubes filetés selon cette méthode sont dénommés ci-après les « tubes OCTG standard ») ou selon des techniques spéciales, généralement brevetées. Dans ce dernier cas, on parle de filetage ou, le cas échéant, de « joints » « de première qualité » ou « premium » (les tubes filetés selon cette méthode sont dénommés ci‑après les « tubes OCTG premium »).

15     La seconde catégorie de produits est constituée par les tuyaux de transport du pétrole et du gaz (« line pipe ») en acier au carbone sans soudure, parmi lesquels on distingue, d’une part, ceux qui sont fabriqués conformément à des normes standardisées et, d’autre part, ceux qui sont fabriqués sur mesure pour la réalisation de projets spécifiques (ci-après les « tuyaux de transport ‘projet’ »).

 Infractions retenues par la Commission dans la décision attaquée

16     Dans la décision attaquée, la Commission a estimé, en premier lieu, que les huit entreprises destinataires de cette décision avaient conclu un accord ayant, entre autres éléments, pour objet le respect mutuel de leurs marchés nationaux (considérants 62 à 67 de la décision attaquée). Aux termes de cet accord, chaque entreprise s’interdisait de vendre des tubes OCTG standard et des tuyaux de transport « projet » sur le marché national d’une autre partie à l’accord. L’accord aurait été conclu dans le cadre de réunions entre producteurs communautaires et japonais connues sous le nom de « club Europe‑Japon ». Le principe du respect des marchés nationaux était désigné par l’expression « Règles fondamentales » (« Fundamentals »). À titre subsidiaire, la Commission a relevé que les Règles fondamentales avaient été effectivement respectées et, dès lors, que l’accord avait eu des effets anticoncurrentiels sur le marché commun (considérant 68 de la décision attaquée).

17     La Commission a estimé que cet accord tombait sous le coup de l’interdiction énoncée par l’article 81, paragraphe 1, CE (considérant 109 de la décision attaquée). En conséquence, la Commission a constaté, à l’article 1er de la décision attaquée, l’existence d’une infraction à cette disposition et a imposé des amendes aux huit entreprises destinataires.

18     S’agissant de la durée de l’infraction, la Commission a considéré que, bien que le club Europe-Japon se soit réuni dès 1977 (considérant 55 de la décision attaquée), il convenait de retenir l’année 1990 comme point de départ de l’infraction aux fins de la fixation du montant des amendes, eu égard à l’existence, entre 1977 et 1990, d’accords d’autolimitation des exportations conclus entre la Communauté européenne et le Japon (ci-après les « accords d’autolimitation ») (considérant 108 de la décision attaquée). D’après la Commission, l’infraction a pris fin en 1995 (considérants 96 et 97 de la décision attaquée).

19     Aux fins de la fixation du montant des amendes infligées aux huit entreprises destinataires de la décision attaquée, la Commission a qualifié l’infraction de très grave au motif que l’accord en cause visait le respect des marchés nationaux et portait ainsi atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur (considérants 161 et 162 de la décision attaquée). En revanche, elle a relevé que les ventes de tubes en acier au carbone sans soudure par les entreprises destinataires, dans les quatre États membres concernés, ne s’élevaient qu’à environ 73 millions d’euros par an. En conséquence, la Commission a fixé le montant de l’amende au titre de la gravité de l’infraction à 10 millions d’euros pour chacune des huit entreprises destinataires de la décision attaquée. Celles-ci étant toutes de grande dimension, la Commission a estimé qu’il n’y avait pas lieu de procéder, à ce titre, à une différenciation entre les montants retenus (considérants 162, 163 et 165 de la décision attaquée).

20     Estimant que l’infraction était de moyenne durée, la Commission a appliqué une majoration de 10 % par année de participation à l’infraction par rapport au montant retenu au titre de la gravité, pour fixer le montant de base de l’amende infligée à chaque entreprise en cause (considérant 166 de la décision attaquée). Cependant, compte tenu de ce que le secteur des tubes en acier a connu une situation de crise de longue durée et eu égard au fait que la situation de ce secteur s’est détériorée à partir de 1991, la Commission a minoré lesdits montants de base de 10 % au titre des circonstances atténuantes (considérants 168 et 169 de la décision attaquée). Enfin, la Commission a appliqué une réduction de 40 % du montant de l’amende infligée à Vallourec, ainsi qu’une réduction de 20 % du montant de l’amende infligée à Dalmine, au titre du point D 2 de la communication 96/C 207/04 de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la « communication sur la coopération »), pour tenir compte du fait que ces deux entreprises avaient coopéré avec la Commission au stade de la procédure administrative (considérants 170 à 173 de la décision attaquée).

21     Le montant de l’amende infligée à chaque entreprise en cause, qui résulte du calcul exposé aux deux points précédents, est indiqué à l’article 4 de la décision attaquée (voir point 33 ci-après).

22     En second lieu, la Commission a estimé, à l’article 2 de la décision attaquée, que les contrats conclus entre les producteurs communautaires et concernant la vente de tubes lisses sur le marché britannique constituaient des comportements infractionnels (considérant 116 de la décision attaquée). Cependant, elle n’a pas imposé d’amende supplémentaire au titre de cette infraction au motif que lesdits contrats ne constituaient en définitive qu’un moyen de mise en oeuvre du principe du respect des marchés nationaux décidé dans le cadre du club Europe‑Japon (considérant 164 de la décision attaquée).

 Faits essentiels retenus par la Commission dans la décision attaquée

23     Le club Europe-Japon s’est réuni à partir de 1977, au rythme d’environ deux fois par an, et ce jusqu’en 1994 (considérant 60 de la décision attaquée). En particulier, la Commission a relevé que, d’après la déclaration de M. Verluca du 17 septembre 1996, de telles réunions ont notamment eu lieu le 14 avril 1992 à Florence, le 23 octobre 1992 à Tokyo, le 19 mai 1993 à Paris, le 5 novembre 1993 à Tokyo et le 16 mars 1994 à Cannes. Par ailleurs, la Commission a fait valoir que la note de Vallourec intitulée « Quelques informations à l’occasion du club Europe‑Japon » du 4 novembre 1991, reprise à la page 4350 du dossier de la Commission, et celle du 24 juillet 1990, reprise à la page 15586 du dossier, intitulée « Réunion du 24.7.90 avec British Steel », précisent que des réunions du club Europe‑Japon se sont également tenues en 1989 et en 1991.

24     L’accord convenu au sein du club Europe-Japon reposait sur trois volets, le premier étant les Règles fondamentales relatives au respect des marchés nationaux (évoquées au point 16 ci‑dessus), lesquelles constituent l’infraction retenue à l’article 1er de la décision attaquée, le deuxième étant la fixation des prix pour les appels d’offres et de prix minimaux pour les « marchés spéciaux » (« special markets ») et le troisième étant le partage des autres marchés mondiaux, à l’exclusion du Canada et des États-Unis d’Amérique, au moyen de clés de répartition (les « sharing keys ») (considérant 61 de la décision attaquée). La Commission fonde sa conclusion quant à l’existence des Règles fondamentales sur un faisceau d’indices documentaires énumérés aux considérants 62 à 67 de la décision attaquée ainsi que sur le tableau figurant au considérant 68 de celle-ci. Il ressortirait de ce tableau que la part du producteur national dans les livraisons de tubes OCTG et de tuyaux de transport effectuées par les destinataires de la décision attaquée au Japon et sur le marché domestique de chacun des quatre producteurs communautaires était très élevée. La Commission en déduit que, dans l’ensemble, les marchés nationaux étaient effectivement respectés par les parties à l’accord. S’agissant des deux autres volets de l’accord en cause, la Commission décrit les éléments de preuve qui s’y rapportent aux considérants 70 à 77 de la décision attaquée.

25     Lorsque Corus a envisagé, en 1990, la cessation de ses activités de production de tubes lisses, les producteurs communautaires se seraient interrogés sur la pérennité du principe du respect des marchés nationaux dans le cadre des Règles fondamentales décrites ci-dessus en ce qui concerne le marché du Royaume-Uni. C’est dans ces circonstances que Vallourec et Corus auraient lancé l’idée de « Règles fondamentales améliorées » (« fundamentals improved »), lesquelles auraient visé à maintenir en l’état les restrictions à l’accès des producteurs japonais au marché britannique, en dépit du retrait de Corus. Au cours du mois de juillet 1990, à l’occasion de la reconduction du contrat de licence portant sur la technique de filetage VAM, Vallourec et Corus se seraient ainsi accordées pour réserver l’approvisionnement de cette dernière en tubes lisses à Vallourec, à Mannesmann et à Dalmine (considérant 78 de la décision attaquée).

26     En avril 1991, Corus a fermé son usine de Clydesdale (Royaume‑Uni), qui assurait environ 90 % de sa production de tubes lisses. Corus a alors conclu des contrats d’approvisionnement en tubes lisses, d’une durée initiale de cinq ans et renouvelables tacitement sous réserve d’un préavis de douze mois, avec Vallourec (le 24 juillet 1991), Dalmine (le 4 décembre 1991) et Mannesmann (le 9 août 1993) (ci-après les « contrats d’approvisionnement »). Ces trois contrats, qui sont repris aux pages 12867, 12910 et 12948 du dossier de la Commission, allouent à chacune des entreprises bénéficiaires une quotité d’approvisionnement fixée, respectivement, à 40 %, à 30 % et à 30 % des besoins de Corus (considérants 79 à 82 de la décision attaquée), hormis pour les tubes de faible diamètre.

27     En 1993, trois facteurs auraient conduit à un réexamen des principes de fonctionnement du club Europe-Japon. Il s’agirait, en premier lieu, de la restructuration de l’industrie sidérurgique européenne. Au Royaume-Uni, Corus a envisagé en effet de cesser ses dernières activités de production de tubes filetés sans soudure. En Belgique, la société New Tubemeuse (ci-après « NTM »), dont l’activité était principalement orientée vers l’exportation à destination du Moyen‑Orient et de l’Extrême-Orient, a été liquidée le 31 décembre 1993. Il s’agirait, en deuxième lieu, de l’accès des producteurs d’Amérique latine au marché communautaire, qui menaçait de remettre en cause les répartitions de marché convenues dans le cadre du club Europe-Japon. En troisième et dernier lieu, sur le marché mondial des tubes destinés aux activités d’extraction et d’exploitation pétrolière et gazière, les tubes soudés auraient bénéficié d’une croissance significative, bien que de fortes disparités régionales demeurent (considérants 83 et 84 de la décision attaquée).

28     Ce serait dans ce contexte que les membres du club Europe-Japon se sont rencontrés à Tokyo, le 5 novembre 1993, pour tenter d’arriver à un nouvel accord de répartition des marchés avec les producteurs d’Amérique latine. Le contenu de l’accord arrêté à cette occasion serait reflété dans un document remis à la Commission le 12 novembre 1997, par un informateur tiers à la procédure, et repris à la page 7320 du dossier de la Commission, qui contient notamment une « clé de répartition » (« sharing key ») (ci-après le « document Clé de répartition »). Aux dires de l’informateur, la source dudit document serait un agent commercial d’un des participants à ladite réunion. S’agissant notamment des conséquences de la restructuration de l’industrie européenne, la fermeture de NTM aurait permis aux producteurs communautaires d’obtenir des concessions de la part des producteurs japonais et latino-américains, principaux bénéficiaires du retrait de NTM des marchés d’exportation (considérants 85 à 89 de la décision attaquée).

29     De son côté, Corus a pris la décision définitive de mettre un terme à ses dernières activités de production de tubes sans soudure. Le 22 février 1994, Vallourec a pris le contrôle des sites de filetage et de production des tubes de Corus et créé, à cet effet, la société Tubular Industries Scotland Ltd (ci-après « TISL »). Le 31 mars 1994, TISL a repris les contrats d’approvisionnement en tubes lisses que Corus avait conclus avec Dalmine et Mannesmann. Le 24 avril 1997, le contrat ainsi conclu avec Mannesmann était encore en vigueur. Le 30 mars 1999, Dalmine a résilié le contrat d’approvisionnement avec TISL (considérants 90 à 92 de la décision attaquée).

30     La Commission a estimé que, par ces contrats, les producteurs communautaires s’étaient attribué des quotités d’approvisionnement en tubes lisses pour le marché britannique, lequel représente plus de la moitié de la consommation communautaire de tubes OCTG. Elle a donc conclu qu’il s’agissait là d’une entente prohibée par l’article 81, paragraphe 1, CE (voir point 22 ci-dessus).

 Dispositif de la décision attaquée

31     Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée, les huit entreprises destinataires de celle-ci « […] ont enfreint les dispositions de l’article 81, paragraphe 1, du traité CE, en participant [...] à un accord prévoyant, entre autres, le respect de leur marché national respectif pour les tubes OCTG […] standard et les [tuyaux de transport ‘projet’] sans soudure ».

32     L’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée dispose que l’infraction a duré de 1990 à 1995 pour Mannesmann, Vallourec, Dalmine, Sumitomo, Nippon, Kawasaki Steel Corp. et NKK Corp. S’agissant de Corus, il est indiqué que l’infraction a duré de 1990 à février 1994.

33     Les autres dispositions pertinentes du dispositif de la décision attaquée sont rédigées comme suit :

« Article 2

1.      [Mannesmann], Vallourec […], [Corus] et Dalmine […] ont enfreint les dispositions de l’article 81, paragraphe 1, du traité CE, en concluant, dans le cadre de l’infraction mentionnée à l’article 1er, des contrats qui ont résulté en une répartition des fournitures de tubes OCTG lisses à [Corus] (Vallourec […] à partir de 1994).

2.      Pour [Corus], l’infraction a duré du 24 juillet 1991 à février 1994. Pour [Vallourec], l’infraction a duré du 24 juillet 1991 au 30 mars 1999. Pour [Dalmine], l’infraction a duré du 4 décembre 1991 au 30 mars 1999. Pour [Mannesmann], l’infraction a duré du 9 août 1993 au 24 avril 1997.

[...]

Article 4

Les amendes suivantes sont infligées aux entreprises énumérées à l’article premier, en raison de l’infraction constatée audit article :

(1)   [Mannesmann] 13 500 000 euros

(2)   Vallourec […]                   8 100 000 euros

(3)   [Corus]                   12 600 000 euros

(4)   Dalmine […]                   10 800 000 euros

(5)   Sumitomo […]          13 500 000 euros

(6)   Nippon […]                   13 500 000 euros

(7)   Kawasaki Steel Corp. […] 13 500 000 euros

(8)   NKK Corp. […]          13 500 000 euros

[...] »

 Procédure devant le Tribunal

34     Par sept requêtes déposées au greffe du Tribunal entre le 28 février et le 3 avril 2000, Mannesmann, Corus, Dalmine, NKK Corp., Nippon, Kawasaki et Sumitomo ont introduit un recours contre la décision attaquée.

35     Par ordonnance du 18 juin 2002, il a été décidé, les parties entendues, de joindre les sept affaires aux fins de la procédure orale, conformément à l’article 50 du règlement de procédure du Tribunal. À la suite de cette jonction, les requérantes dans les sept affaires ont pu consulter l’ensemble des dossiers relatifs à la présente procédure au greffe du Tribunal. Des mesures d’organisation de la procédure ont également été adoptées.

36     Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience des 19, 20 et 21 mars 2003.

 Conclusions des parties

37     La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       annuler la décision attaquée ;

–       subsidiairement, réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée ;

–       condamner la Commission aux dépens.

38     La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours ;

–       condamner la requérante aux dépens.

 Sur la demande d’annulation de la décision attaquée

39     À l’appui de sa demande en annulation, la requérante soulève, tout d’abord, une série de moyens visant à mettre en cause la régularité de la procédure administrative. Elle invoque, ensuite, une violation de l’article 81, paragraphe 1, CE en ce que la Commission n’aurait pas établi à suffisance de droit l’existence de l’infraction reprochée à l’article 1er de la décision attaquée, d’une part, et à l’article 2 de la décision attaquée, d’autre part.

 Sur les moyens tirés de vices de procédure

 Sur le moyen tiré d’une violation des droits de la défense en ce que la Commission aurait refusé à la requérante l’accès à certains éléments du dossier

–       Arguments des parties

40     La requérante soutient qu’elle n’a pas eu accès à l’ensemble du dossier administratif. La Commission ne lui aurait pas permis de prendre connaissance des pièces transmises par l’Autorité de surveillance AELE, en se retranchant derrière le caractère interne de ces documents, sans autre explication ni examen de leur contenu. Mannesmann estime ainsi qu’elle a pu être privée de certaines pièces à décharge.

41     En outre, Mannesmann reproche à la Commission de ne pas avoir respecté la procédure décrite au point II A de la communication 97/C 23/03 de la Commission relative aux règles de procédure interne pour le traitement des demandes d’accès au dossier dans les cas d’application des articles [81] et [82] du traité CE, des articles 65 et 66 du traité CECA et du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil (JO 1997, C 23, p. 3, ci-après la « communication relative à l’accès au dossier »). En vertu de cette communication, le conseiller-auditeur serait tenu de contrôler le classement des documents du dossier et, le cas échéant, de vérifier leur qualification de documents internes. Cette obligation de contrôle serait indépendante de toute initiative de la part des entreprises. Mannesmann estime ainsi ne pas être en mesure de déterminer si la CG et le dossier administratif contiennent ou non l’intégralité des pièces à décharge.

42     Par ailleurs, Mannesmann reproche à la Commission de ne pas lui avoir communiqué une liste de tous les documents figurant dans le dossier, pour lui permettre de demander à prendre connaissance de certaines pièces (arrêts du Tribunal du 29 juin 1995, Solvay/Commission, T-30/91, Rec. p. II‑1775, points 89 et 93 à 95, et ICI/Commission, T-36/91, Rec. p. II-1847, points 99 et 103 à 105). La Commission serait par ailleurs tenue d’identifier sur cette liste les pièces à caractère interne (arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, dit « Ciment », T-25/95, T‑26/95, T-30/95 à T-32/95, T-34/95 à T‑39/95, T-42/95 à T-46/95, T-48/95, T‑50/95 à T-65/95, T-68/95 à T-71/95, T‑87/95, T‑88/95, T-103/95 et T-104/95, Rec. p. II-491, points 168 et 186). La Commission aurait ainsi violé les droits de la défense. Une telle violation ne pourrait être « régularisée » devant le Tribunal (arrêt Solvay/Commission, précité, point 98).

43     À l’audience, Mannesmann a invoqué, par analogie, le règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43).

44     La Commission rétorque qu’il est de jurisprudence constante qu’elle n’est pas tenue de donner accès à ses documents internes (arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T‑7/89, Rec. p. II-1711, point 54 ; du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T-65/89, Rec. p. II‑389, et arrêt Ciment, point 42 supra, point 420). Ces documents ne pourraient, du fait de leur nature, être invoqués à titre de preuves d’une infraction (voir point I A 3 de la communication relative à l’accès au dossier). En tout état de cause, Mannesmann n’aurait pas démontré que la décision attaquée repose sur des documents auxquels elle n’a pas eu accès.

45     La Commission estime que la qualification des pièces en cause de documents internes ne fait pas de doute. Conformément aux dispositions du point II A 2, sous c), de la communication relative à l’accès au dossier, la correspondance entre la Commission et une autorité publique tierce, telle que l’Autorité de surveillance AELE, relèverait de la notion de document interne.

46     S’agissant du respect par le conseiller-auditeur de son obligation de contrôle des documents figurant dans le dossier, Mannesmann n’apporterait aucune preuve à l’appui de ses allégations. La Commission souligne, en outre, que Mannesmann n’a pas fait usage de la faculté, prévue au point II A 2 de la communication relative à l’accès au dossier, de demander au conseiller-auditeur de certifier la qualité de documents internes des pièces en question.

47     Enfin, la Commission récuse la thèse selon laquelle elle est tenue de communiquer aux entreprises une liste des documents internes figurant dans le dossier.

–       Appréciation du Tribunal

48     Le point II A 2 de la communication relative à l’accès au dossier est libellé comme suit :

« Pour des raisons de simplification et d’efficacité administratives, les documents internes seront dorénavant classés dans le recueil des documents internes relatifs au cas sous instruction (non accessible) contenant tous les documents internes par ordre chronologique. Ce classement se fera sous le contrôle du conseiller-auditeur qui peut, en tant que de besoin, certifier la qualité de ‘documents internes’ des pièces qui y sont rassemblées.

Constituent par exemple des documents internes :

[…]

c) la correspondance concernant une affaire avec d’autres autorités publiques (19) ;

[...] »

49     La note en bas de page n° 19 de la communication relative à l’accès au dossier précise :

« Il convient de protéger la confidentialité des documents émanant des autorités publiques ; cette règle vaut non seulement pour les documents des autorités compétentes en matière de concurrence, mais également pour ceux d’autres autorités publiques, d’un État membre ou d’un pays tiers […] Il y a lieu toutefois de distinguer entre les appréciations ou commentaires de ces autres autorités publiques pour lesquelles il y a une protection absolue et les pièces concrètes qu’elles ont pu fournir, ces dernières n’étant pas toujours couvertes par l’exception […] »

50     Il y a lieu de relever qu’il résulte du libellé du point II A 2 de la communication relative à l’accès au dossier que le contrôle exercé par le conseiller-auditeur pour vérifier le caractère interne des documents figurant dans le dossier n’est pas une étape systématique de la procédure administrative, contrairement à ce que prétend Mannesmann. En effet, étant donné que le conseiller-auditeur « peut » effectuer une telle vérification « en tant que de besoin » selon les termes dudit point, il y a lieu de conclure que, dans le cas où la qualification de certains documents de « documents internes » n’est pas ou, le cas échéant, n’est plus contestée, une vérification de sa part n’est pas nécessaire. Une interprétation contraire alourdirait de façon disproportionnée la charge de travail de la Commission dans le cadre de la procédure administrative et irait à l’encontre de l’objectif selon lequel cette méthode de classement a été adoptée pour « [d]es raisons de simplification et d’efficacité administratives ». Dès lors, il importe d’établir si, dans le cadre de la procédure administrative, Mannesmann a demandé à ce que le conseiller-auditeur vérifie le caractère interne des documents communiqués à la Commission par l’Autorité de surveillance AELE et qualifiés de documents internes.

51     À cet égard, il convient de relever que Mannesmann a adressé une demande d’accès aux documents en question par lettre du 12 mars 1999, annexée à la requête. Toutefois, cette demande a été rejetée par la Commission par lettre du 22 mars 1999, annexée également à la requête, au motif que ces documents étaient effectivement des documents internes au sens du point II A de la communication relative à l’accès au dossier (voir, en particulier, point II A 2 de ladite communication).

52     La Commission a indiqué dans son mémoire en défense, sans être contredite à cet égard par Mannesmann, que celle-ci n’a pas contesté ultérieurement le refus d’accès contenu dans la lettre du 22 mars 1999 en demandant au conseiller‑auditeur de vérifier l’exactitude et le bien-fondé de la réponse de la Commission. En effet, Mannesmann s’est bornée à soutenir, dans son mémoire en réplique, qu’il ne lui incombait pas de saisir le conseiller-auditeur d’une nouvelle demande. Il ressort d’ailleurs d’un passage du rapport du conseiller-auditeur cité par la Commission dans sa réponse à une question écrite du Tribunal qu’« aucune question relative aux droits de la défense au sens strict et, en particulier, aucune question relative à l’accès au dossier n’a été soulevée […] » par les parties.

53     Il y a lieu de considérer que Mannesmann n’ayant pas demandé, après avoir reçu la lettre du 22 mars 1999, que la qualification des documents figurant aux pages 1 à 350 du dossier administratif de la Commission de documents internes soit vérifiée, il n’était pas nécessaire que le conseiller-auditeur procède à une telle vérification en l’espèce. En effet, dans l’hypothèse où la Commission rejette par écrit une demande d’accès à certaines pièces d’un dossier au motif qu’il s’agit de documents internes, il y a lieu de considérer qu’il appartient ensuite à l’auteur de la demande d’accès de réitérer celle-ci en mettant en doute le caractère interne desdits documents s’il souhaite que le conseiller-auditeur intervienne pour examiner cette question.

54     Quant au grief de Mannesmann selon lequel la Commission ne lui a pas fourni une liste de tous les documents figurant dans son dossier, y compris les documents internes, il ne découle pas de la jurisprudence invoquée par Mannesmann à l’appui de sa thèse que le fait pour la Commission de ne pas fournir une telle liste aux parties au stade de la procédure administrative constitue en lui-même une violation des droits de la défense. En effet, dans les arrêts Solvay/Commission, point 42 supra (points 89 et 93 à 95), et ICI/Commission, point 42 supra (points 99 et 103 à 105), le Tribunal a uniquement examiné la question de la nécessaire mise en balance du droit d’accès aux documents à charge et à décharge avec la protection des secrets d’affaires des entreprises et non avec la protection des documents internes. En outre, s’il ressort de l’arrêt Ciment, point 42 supra (points 5, 168 et 186), que le Tribunal a demandé à la Commission, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, de produire une description des documents internes dont le contenu n’avait pas été spécifié, même de manière sommaire, sur la liste fournie aux parties au stade de la procédure administrative, il n’a pas déduit de cette circonstance que la Commission avait commis une violation des droits de la défense.

55     En toute hypothèse, il convient de relever que les droits de la défense ne sont violés du fait d’une irrégularité procédurale que dans la mesure où celle-ci a eu une incidence concrète sur la possibilité pour les entreprises mises en cause de se défendre (voir, en ce sens, arrêt Ciment, point 42 supra, points 852 à 860).

56     Or, en l’espèce, le Tribunal a demandé à la Commission, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, de produire une liste indiquant le contenu des pages 1 à 350 de son dossier administratif. Il ressort de cette liste que tous les documents en cause apparaissent comme étant des documents internes et non comme étant des éléments de preuve à charge ou à décharge, en ce sens qu’ils ne sauraient établir que l’une ou l’autre des entreprises en cause a commis, ou non, une infraction, de sorte que ni l’absence de vérification par le conseiller-auditeur du caractère interne desdits documents ni le refus de la Commission de produire une liste comprenant une description de ceux‑ci n’ont pu affecter la possibilité de Mannesmann de se défendre, et, partant, violer ses droits de la défense. En effet, Mannesmann n’a pas soutenu à l’audience après avoir reçu une copie de cette liste, contrairement à ce qu’elle prétendait avant de la recevoir, que certains des documents qui y sont énumérés n’étaient pas, en réalité, des documents internes.

57     À la lumière du point précédent, il y a lieu de rejeter également l’argumentation avancée par Mannesmann à l’audience et fondée par analogie sur le règlement n° 1049/2001. En effet, à supposer même que Mannesmann ait pu démontrer qu’elle avait un droit d’accès aux documents en question, le fait d’y avoir accès ne lui aurait pas permis de mieux se défendre dans le cadre de la procédure menée par la Commission. En conséquence, cette argumentation ne saurait justifier l’annulation de la décision attaquée en toute hypothèse.

58     Force est de constater d’ailleurs que le règlement n° 1049/2001 ainsi que la décision 94/90/CECA, CE, Euratom de la Commission, du 8 février 1994, relative à l’accès du public aux documents de la Commission (JO L 46, p. 58), qu’il remplace prévoient que le demandeur d’accès doit effectuer des démarches procédurales spécifiques, en particulier une demande formelle initiale et une demande confirmative en cas de refus, afin d’invoquer leurs dispositions sur le fond. Mannesmann n’ayant pas en l’espèce suivi cette voie procédurale, elle ne saurait la contourner en demandant l’application par analogie desdites dispositions de fond.

59     Il résulte de ce qui précède que le présent moyen doit être rejeté.

 Sur le caractère prétendument insuffisant du délai de réponse à la CG

–       Arguments des parties

60     Mannesmann estime ne pas avoir bénéficié d’un délai suffisant pour répondre à la CG. La Commission aurait omis de prendre en considération les particularités de l’espèce lorsqu’elle a fixé ledit délai. Celui-ci aurait commencé à courir le 11 février 1999, date à laquelle les destinataires de la décision attaquée ont eu accès au dossier, et aurait expiré le 20 avril suivant. En dépit de l’importance du volume du dossier et bien que certaines pièces aient été rédigées dans des langues non usuelles, la Commission aurait rejeté, sans motivation particulière, le 22 mars 1999, sa demande tendant à l’octroi d’un délai supplémentaire. Par ailleurs, du fait de l’existence d’une enquête connexe, Mannesmann estime avoir été contrainte de se défendre dans deux affaires tout en ne disposant, pour ce faire, que de délais extrêmement brefs. Parmi les destinataires de la décision attaquée, elle aurait été la seule à être confrontée à une telle situation. Elle estime, en conséquence, avoir subi un traitement discriminatoire.

61     La Commission rejette ces allégations. Tous les destinataires de la CG auraient disposé de deux mois à compter de sa notification, à savoir le 3 février 1999, pour préparer leur réponse. À la demande de Mannesmann, la Commission aurait par ailleurs, par lettre du 22 mars 1999, reporté au 20 avril 1999 la date de dépôt des observations en réponse à la CG. Une mesure de cette nature ne serait pas soumise aux exigences de motivation prévues à l’article 253 CE. La Commission estime que le délai d’environ deux mois et demi dont a bénéficié Mannesmann pour préparer sa réponse était suffisant. À cet égard, elle se réfère, notamment, à l’arrêt Ciment, point 42 supra (points 654 et 655).

–       Appréciation du Tribunal

62     Il y a lieu de rappeler d’abord que l’article 11, paragraphe 1, du règlement n° 99/63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l’article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil (JO 127, p. 2268), applicable à la date d’envoi de la CG à la requérante, et l’article 14 du règlement (CE) n° 2842/1998 de la Commission, du 22 décembre 1998, relatif à l’audition dans certaines procédures fondées sur les articles [81] et [82] du traité CE (JO L 354, p. 18), applicable postérieurement au 31 janvier 1999, qui visent tous les deux à garantir aux destinataires d’une CG un délai suffisant pour l’exercice utile de leurs droits de la défense, prévoient que la Commission doit en fixant ce délai, d’une durée minimale de deux semaines, prendre en considération le temps nécessaire à l’établissement des observations ainsi que l’urgence de l’affaire. Le délai accordé doit être apprécié concrètement en fonction de la difficulté du cas d’espèce (arrêt Ciment, point 42 supra, point 653, et la jurisprudence citée).

63     Comme l’a relevé la Commission dans son mémoire en défense, il ressort du point 207 de son XXIIIe Rapport sur la politique de concurrence, de 1993, que, dans les affaires d’importance moyenne, un délai général de deux mois sera accordé et, dans les affaires compliquées, un délai de trois mois, ces délais étant prolongés le cas échéant pour tenir compte des périodes de vacances. En revanche, il est précisé, à la fin du même point, que, contrairement à ce qui ressort de la pratique antérieure, ces délais relativement longs ne seront, « en principe », pas prolongés.

64     En l’espèce, la Commission a accordé à la requérante, par sa lettre du 21 janvier 1999 à laquelle était annexée la CG, un délai de deux mois à partir de la date de notification de celle-ci en application du règlement n° 99/63. Mannesmann ayant demandé un délai supplémentaire de deux mois par lettre du 12 mars 1999, la Commission a accordé, par sa lettre du 22 mars 1999, un délai supplémentaire de 17 jours pour répondre à la CG, en plus du délai de deux mois accordé dans sa lettre initiale, accompagnant la CG, en date du 21 janvier 1999.

65     En ce qui concerne la date de départ à prendre en compte afin de calculer la durée de la période dont les destinataires de la CG ont disposé pour formuler des observations sur celle-ci, il convient de relever que tous les documents les plus importants du dossier, soit 32 documents au total, ont été annexés à la CG. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les destinataires de la CG ont pu commencer utilement leur analyse de celle-ci dès sa notification, intervenue le 3 février 1999 en ce qui concerne Mannesmann, comme le relève la Commission, et non pas à partir de la date à laquelle ils ont eu accès à l’ensemble du dossier, soit le 11 février 1999, comme le prétend Mannesmann. Il s’ensuit que le fait pour la Commission d’avoir accordé un délai supplémentaire jusqu’au 20 avril 1999 a représenté une prorogation de 17 jours du délai initialement accordé.

66     S’il est question dans la présente affaire d’un dossier volumineux, comptant plus de 15 000 pages, c’est à juste titre que la Commission a rappelé qu’un dossier de cette taille n’est pas exceptionnel dans le cadre des enquêtes en matière de concurrence. Il y a lieu de constater que la présente affaire ne saurait être assimilée, en termes de complexité factuelle, à celle ayant donné lieu à l’arrêt Ciment, point 42 supra, dans laquelle la communication des griefs a été adressée à 76 entreprises et associations d’entreprises (points 3, 4 et 654 de l’arrêt) et dans le cadre de laquelle un délai de quatre mois au total a été accordé, à la suite de deux prorogations, aux entreprises en cause pour qu’elles formulent leurs observations sur la communication des griefs. En l’espèce, Mannesmann n’a avancé aucun élément spécifique de nature à démontrer que la présente affaire était particulièrement importante et/ou complexe.

67     Quant à l’argument tiré du fait que Mannesmann a dû répondre à des communications des griefs dans deux affaires parallèles (Affaires IV/E‑1/35.860‑B et IV/E-1/35.860-A), la Commission a fait observer, dans son mémoire en défense, que les deux affaires en question étaient « étroitement liées et se chevauch[ai]ent en bien des points, tant en ce qui concerne les griefs que les documents en cause ». De plus, la Commission a souligné que les deux communications des griefs ont également été adressées à Corus et aux producteurs japonais. Or, il importe de relever que Mannesmann n’a pas contesté ces observations sur le plan factuel, se bornant à s’interroger, dans son mémoire en réplique, sur la raison pour laquelle la Commission n’a pas adressé une seule communication des griefs aux entreprises en cause si les liens entre les deux affaires étaient aussi étroits, observation qui est dénuée de pertinence dans le présent contexte. Il convient donc de constater que les affaires faisant l’objet des deux communications des griefs présentaient un nombre significatif de similarités, de sorte que le fait pour Mannesmann d’avoir dû présenter des observations dans les deux affaires en parallèle n’a pas représenté une charge additionnelle de travail importante pour elle.

68     À la lumière de ce qui précède, le délai global de deux mois et demi, qui a été accordé à Mannesmann, était suffisant pour lui permettre de formuler ses observations et, partant, de se défendre utilement (voir, à titre d’exemple, arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, points 94 à 99).

69     Quant à l’argument de Mannesmann selon lequel elle aurait été victime d’une violation du principe d’égalité de traitement, il y a lieu de considérer que, pour autant que les délais accordés soient suffisants pour permettre aux parties de se défendre, ces délais peuvent être fixés de manière forfaitaire et n’ont pas besoin d’être proportionnels au travail de préparation requis dans chaque cas individuel.

70     À cet égard, il convient de rappeler, à titre d’analogie, que l’article 230, cinquième alinéa, CE prévoit qu’un recours en annulation doit être formé dans un délai de deux mois qui, conformément à une jurisprudence constante, ne peut être prorogé quelles que soient les circonstances, et dont le non-respect a pour conséquence automatique l’irrecevabilité du recours à la seule exception limitée d’un cas de force majeure (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 21 mars 2002, Laboratoire Monique Rémy/Commission, T‑218/01, Rec. p. II-2139, confirmée sur pourvoi par ordonnance de la Cour du 30 janvier 2003, Laboratoire Monique Rémy/Commission, C‑176/02 P, non publiée). Dans ces conditions, la fixation de délais forfaitaires ne saurait être considérée comme pouvant constituer, en soi, une violation du principe d’égalité de traitement en droit communautaire (voir également, à cet égard, arrêt Ciment, point 42 supra, point 654).

71     Ainsi, le fait que d’autres destinataires des communications des griefs en cause en l’espèce aient bénéficié du même délai pour répondre à une seule communication des griefs que celui accordé à Mannesmann pour répondre aux deux communications ne saurait être considéré comme illégal, dès lors que le délai accordé à Mannesmann a été jugé suffisant.

72     Enfin, concernant le prétendu défaut de motivation du refus d’accorder deux mois supplémentaires à Mannesmann pour qu’elle présente ses observations, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. À cet égard, il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt de la Cour du 9 janvier 2003, Petrotub et Republica/Conseil, C‑76/00 P, Rec. p. I-79, point 81, et la jurisprudence citée).

73     À cet égard, il convient de rappeler que le XXIIIe Rapport sur la politique de concurrence prévoit, à son point 207, qu’en principe un délai de deux mois sera accordé pour répondre à la communication des griefs dans les affaires d’importance moyenne (voir point 63 ci-dessus). Dès lors, il y a lieu de déduire que, en accordant en l’espèce un délai de deux mois, la Commission a nécessairement considéré que l’importance de la présente affaire était « moyenne » et que le délai accordé était donc suffisant, en principe, pour permettre aux destinataires de la CG de présenter des observations. C’est à la lumière de cette constatation que doit être examinée la motivation de la décision refusant d’accorder le délai supplémentaire sollicité.

74     En l’espèce, il y a lieu de considérer que le refus de la Commission d’accorder le délai supplémentaire de deux mois sollicité ne devait pas faire l’objet d’une motivation particulière. La Commission ayant pris position sur l’importance de l’affaire, conformément au point 207 du XXIIIe Rapport sur la politique de concurrence, il convient de relever que, en accordant à Mannesmann 17 jours supplémentaires, tout en indiquant qu’il n’était « pas possible » d’accorder le délai de deux mois qu’elle sollicitait, l’institution a implicitement confirmé son analyse initiale. Le délai supplémentaire accordé doit, eu égard à la politique restrictive de la Commission à l’égard des prorogations des délais de réponse aux communications des griefs, énoncée audit point 207, être considéré comme une concession faite par la Commission à Mannesmann. Il en découle que cette entreprise ne saurait tirer un moyen en annulation de l’absence d’une motivation particulière de la décision portant refus de lui octroyer le délai sollicité.

75     Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que tous les griefs soulevés par Mannesmann à l’encontre du refus de la Commission de lui accorder le délai supplémentaire qu’elle avait sollicité doivent être rejetés.

 Sur l’utilisation du document Clé de répartition en tant que pièce à charge

–       Arguments des parties

76     Mannesmann s’oppose à la recevabilité en tant que preuve du document Clé de répartition. Elle précise que la Commission s’est principalement appuyée sur ce document pour constater l’existence des infractions visées aux articles 1er et 2 de la décision attaquée. La Commission n’ayant pas divulgué l’identité de l’auteur dudit document, l’authenticité et la force probante de celui-ci seraient sujettes à caution.

77     La Commission aurait dû, à tout le moins, préciser les circonstances dans lesquelles elle s’était procurée ce document, invoqué à titre de preuve directe d’un acte illicite. Conformément aux principes inhérents à l’État de droit, ce ne serait qu’en présence de cette précision que la personne à l’encontre de laquelle une telle preuve est invoquée serait en mesure d’assurer sa défense (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche, 85/76, Rec. p. 461).

78     Aucune des entreprises concernées n’aurait reconnu l’authenticité de cette pièce, contrairement à ce qui avait été constaté dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour du 7 novembre 1985, Adams/Commission (145/83, Rec. p. 3539), dans le cadre de laquelle la crédibilité de l’informateur de la Commission ne faisait aucun doute. Faute pour la Commission de démontrer l’authenticité du document Clé de répartition, elle ne pourrait l’utiliser à l’encontre de Mannesmann. Cette violation des droits de la défense justifierait l’annulation de la décision attaquée.

79     Quand bien même l’utilisation de ce document serait licite, Mannesmann conteste sa valeur probante. Premièrement, le document Clé de répartition serait contredit par d’autres éléments recueillis au cours de l’enquête. Ainsi, au considérant 86 de la décision attaquée, la Commission aurait estimé que le document Clé de répartition contredisait expressément les déclarations de Vallourec, alors même que celles-ci ont largement contribué à établir les faits. Deuxièmement, le document Clé de répartition serait contredit par le fait que les entreprises Siderca et Tubos de Acero de México SA ont vraisemblablement livré des tubes en Europe. Il ne serait donc pas possible d’établir en quoi ce document peut constituer une preuve de l’infraction reprochée.

80     La Commission rappelle qu’elle est tenue au respect du secret professionnel, en vertu de l’article 287 CE, et qu’elle doit également, au risque de limiter son action, garantir l’anonymat à ses informateurs. L’intérêt des entreprises à connaître l’origine de certains documents devrait être concilié avec l’intérêt public attaché à la poursuite des ententes illicites et la protection due aux informateurs (arrêt Adams/Commission, point 78 supra, point 34). En l’espèce, les droits de la défense auraient été respectés. Mannesmann n’aurait pas démontré en quoi le caractère anonyme dudit document porterait atteinte aux droits de la défense.

–       Appréciation du Tribunal

81     Il y a lieu de relever d’abord que la Commission s’appuie dans une très large mesure, dans les considérants de la décision attaquée consacrés à l’existence de l’infraction constatée à son article 1er, sur la déclaration de M. Verluca du 17 septembre 1996 (voir, en particulier, considérants 56 à 58, 60 à 62 et 131), telle que complétée par sa déclaration du 14 octobre 1996, et par le document intitulé « Vérification auprès de Vallourec » (ci-après, pris ensemble, les « déclarations de M. Verluca »). Si la Commission s’appuie également dans ce contexte, en particulier aux considérants 85 et 86 de la décision attaquée, sur le document Clé de répartition, il y a lieu de considérer que ce dernier est d’une importance moindre dans l’économie générale de la décision attaquée que les déclarations de M. Verluca.

82     Par conséquent, il convient de rejeter d’emblée l’argument de Mannesmann aux termes duquel la Commission s’est principalement appuyée sur ce document pour constater l’existence de l’infraction visée à l’article 1er de la décision attaquée. Quant à l’existence de l’infraction retenue à l’article 2 de la décision attaquée, les déclarations de M. Verluca et le document Clé de répartition ne sont pertinents que de manière très indirecte.

83     Au considérant 85 de la décision attaquée, la Commission indique que le document Clé de répartition lui a été remis le 12 novembre 1997 par une personne tierce à la procédure. Elle l’invoque, notamment, pour étayer sa description de l’évolution des relations au sein du club Europe-Japon à partir de la fin de l’année 1993. La source dudit document serait, d’après l’informateur, un agent commercial de l’un des participants à ce club. Selon la Commission, ce document atteste que les contacts noués avec les producteurs d’Amérique latine ont été partiellement couronnés de succès et elle relève que le tableau qui y figure indique la répartition des marchés mentionnés entre les producteurs européens, japonais et latino-américains. En particulier, ce document prévoit une part de marché de 100 % pour les producteurs européens en Europe et une part de marché de 100 % pour les producteurs japonais au Japon. En ce qui concerne les autres marchés, les producteurs européens auraient, notamment, une part de 0 % en Extrême-Orient, de 20 % au Moyen-Orient et de 0 % en Amérique latine.

84     Il convient de relever d’abord, en ce qui concerne la recevabilité du document Clé de répartition en tant que preuve de l’infraction visée à l’article 1er de la décision attaquée, que le principe qui prévaut en droit communautaire est celui de la libre administration des preuves et que le seul critère pertinent pour apprécier les preuves produites réside dans leur crédibilité (conclusions du juge M. Vesterdorf faisant fonction d’avocat général sous l’arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T‑1/89, Rec. p. II-867, II-869, II-954 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 23 mars 2000, Met-Trans et Sagpol, C‑310/98 et C‑406/98, Rec. p. I‑1797, point 29, et arrêt du Tribunal du 7 novembre 2002, Vela et Tecnagrind/Commission, T‑141/99, T‑142/99, T‑150/99 et T‑151/99, Rec. p. II‑4547, point 223). De plus, il peut être nécessaire pour la Commission de protéger l’anonymat des informateurs (voir, en ce sens, arrêt Adams/Commission, point 78 supra, point 34) et cette circonstance ne saurait suffire à obliger la Commission à écarter une preuve en sa possession.

85     Par conséquent, si les arguments de Mannesmann peuvent être pertinents pour apprécier la crédibilité et, partant, la force probante du document Clé de répartition, il n’y a pas lieu de considérer que celui-ci est une preuve irrecevable qu’il y a lieu d’écarter du dossier.

86     Par ailleurs, dans la mesure où Mannesmann tire de ses arguments relatifs à l’admissibilité dudit document un grief relatif à la crédibilité de ce document, force est de constater que cette crédibilité est nécessairement réduite par le fait que le contexte entourant sa rédaction est largement inconnu et que les affirmations de la Commission à cet égard ne peuvent être vérifiées (voir point 83 ci-dessus).

87     Toutefois, dans la mesure où le document Clé de répartition contient des informations spécifiques qui correspondent à celles contenues dans d’autres documents, notamment dans les déclarations de M. Verluca, il y a lieu de considérer que ces éléments peuvent se renforcer mutuellement.

88     À cet égard, il convient de relever, en particulier, que la déclaration de M. Verluca du 17 septembre 1996 fait état d’une clé de répartition « initiale » applicable aux « appels d’offres internationaux » et visant les contrats conclus entre les producteurs japonais et européens, de sorte que l’existence d’une telle répartition dans le cadre du club Europe-Japon est établie de manière suffisante. De plus, il ressort de la note interne de Vallourec du 27 janvier 1994, reprise à la page 4822 du dossier de la Commission, intitulée « Compte-rendu de l’entretien avec JF à Bruxelles le 25/1 », que Vallourec devait, pour rester « dans le cadre du système […] s’interdire [l’Extrême-Orient], l’Amérique du Sud, se limiter au Moyen‑Orient au point de partager 20 % du marché à 3 ». Lorsque la Commission a demandé à M. Verluca de commenter ces deux documents, ce dernier a indiqué qu’ils se rapportaient à une tentative de modifier, en 1993, les clés de répartition applicables pour tenir compte des ventes des producteurs d’Amérique latine ainsi que des « positions acquises » sur les différents marchés.

89     Mannesmann relève que le document Clé de répartition contredit l’affirmation de M. Verluca, reprise dans le document Vérification auprès de Vallourec (au point 1.3), quant à la question de savoir si les producteurs d’Amérique latine ont répondu favorablement aux approches des producteurs européens à la fin de l’année 1993, ce qui remettrait en cause la fiabilité de ces deux éléments de preuve. En effet, la Commission a affirmé au considérant 86 de la décision attaquée, sur la base du document Clé de répartition, que « les contacts noués avec les Latino‑américains ont été partiellement couronnés de succès » et reconnaît elle-même que cette affirmation est en contradiction avec l’affirmation de M. Verluca, reprise dans le document Vérification auprès de Vallourec, selon laquelle « [l]e club Europe-Japon n’incluait pas les producteurs sud-américains […] des contacts exploratoires ont eu lieu à la fin de 1993 avec ceux-ci dans le but d’aboutir à un équilibre reflétant les positions acquises (environ 20 % au Moyen‑Orient pour les Européens). Il est devenu, très rapidement, manifeste que ces essais ne pouvaient aboutir ».

90     Il convient de relever cependant que, d’après le document Clé de répartition, les producteurs latino-américains ont accepté la clé de répartition proposée « sauf pour le marché européen », sur lequel les affaires devraient être examinées « cas par cas » dans un esprit de coopération. La Commission a donc conclu, au considérant 94 de la décision attaquée, que les producteurs d’Amérique latine n’avaient pas accepté que le marché européen soit réservé aux producteurs européens.

91     Il ressort des diverses notes de Vallourec, invoquées dans la décision attaquée, ainsi que du document, repris à la page 4902 du dossier de la Commission, intitulé « Note pour les présidents » (« Paper for Presidents »), et du document « g) Japonais » (« g) Japanese » document), repris à la page 4909 du dossier de la Commission, que, du point de vue des producteurs européens, l’un des objectifs essentiels de leurs contacts avec les producteurs japonais était la protection de leurs marchés domestiques, notamment le maintien du statut domestique du marché du Royaume-Uni après la fermeture par Corus de son usine à Clydesdale. Si la contradiction relevée au point 89 ci-dessus affaiblit certainement la valeur probante du document Clé de répartition ainsi que, dans une certaine mesure, celle des déclarations de M. Verluca, sa signification est fortement relativisée par la circonstance relevée au début du présent point. En effet, à supposer même que les producteurs d’Amérique latine aient accepté d’appliquer une clé de répartition sur d’autres marchés que le marché européen, force est de relever que les négociations avec ces producteurs ont substantiellement échoué du point de vue des Européens, de sorte que l’appréciation négative de M. Verluca quant à leur issue correspond effectivement à la description figurant dans le document Clé de répartition sur ce point crucial.

92     Il y a lieu de conclure que la contradiction entre les affirmations de M. Verluca dans une de ces déclarations et le document Clé de répartition, relevée par la Commission elle-même au considérant 86 de la décision attaquée, ne réduit pas substantiellement la crédibilité de ces deux éléments de preuve.

93     Enfin, force est de constater, à la lumière de la qualification émise par les producteurs d’Amérique latine en ce qui concerne l’Europe d’après le document Clé de répartition lui-même (voir point 90 ci-dessus), que la circonstance, alléguée par Mannesmann, selon laquelle ces producteurs ont vendu des tubes en Europe ne met nullement en cause la fiabilité dudit document, à supposer même qu’elle soit établie.

94     Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le document Clé de répartition conserve une certaine valeur probante pour corroborer, dans le cadre d’un faisceau d’indices concordants retenu par la Commission, certaines des affirmations essentielles figurant dans les déclarations de M. Verluca par rapport à l’existence d’un accord de partage des marchés affectant les tubes OCTG sans soudure. En effet, il ressort de cet élément de preuve que les producteurs japonais, d’une part, et les producteurs européens, d’autre part, ont accepté le principe selon lequel ils ne devaient pas vendre certains tubes en acier sans soudure sur le marché domestique des autres producteurs dans le cadre d’appels d’offres « ouverts ». Ce document confirme également l’existence d’une clé de répartition des marchés dans différentes régions du monde et renforce dès lors la crédibilité des déclarations de M. Verluca dans la mesure où celles-ci font également référence à cette notion.

95     Il s’ensuit que les griefs soulevés par Mannesmann pour contester l’utilisation du document Clé de répartition doivent être rejetés.

 Sur la prétendue violation des droits de la défense résultant d’une discordance entre la CG et la décision attaquée quant à l’infraction visée à l’article 2 de cette dernière

–       Arguments des parties

96     Selon Mannesmann, il existe une divergence entre la CG et la décision attaquée. Dans la CG, la Commission aurait en effet déclaré que les contrats d’approvisionnement conclus par Corus avec Vallourec, Dalmine et Mannesmann relevaient d’une entente illicite, dont l’objet était de partager le marché des tubes en acier sans soudure achetés par Corus, l’entreprise dominante sur le marché britannique des tubes OCTG. Ces contrats se rattacheraient ainsi à l’infraction ultérieurement retenue à l’article 2 de la décision attaquée (voir points 147 à 151 de la CG). En revanche, dans la décision attaquée, la Commission aurait estimé que ces contrats constituaient une mesure de cloisonnement du marché britannique à l’égard des entreprises japonaises et, partant, un élément constitutif de l’infraction visée à l’article 1er de la décision attaquée (considérant 147). Mannesmann aurait dû être entendue sur une modification aussi substantielle des griefs (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, points 9, 14 et 16). En l’absence d’une telle audition, ses droits de la défense auraient été irrémédiablement compromis (arrêt Solvay/Commission, point 42 supra, points 89 et suivants).

97     La Commission récuse ces griefs au motif que l’exposé des faits et l’appréciation juridique contenus dans la décision attaquée correspondent pleinement à ceux qui figuraient déjà dans la CG.

–       Appréciation du Tribunal

98     Il convient de relever d’abord que les droits de la défense ne sont violés du fait d’une discordance entre la communication des griefs et la décision finale qu’à condition qu’un grief retenu dans celle-ci n’ait pas été exposé dans celle-là d’une manière suffisante pour permettre aux destinataires de se défendre (voir, en ce sens, arrêt Ciment, point 42 supra, points 852 à 860).

99     À cet égard, l’obligation de la Commission, dans le cadre d’une communication des griefs, se limite à exposer les griefs avancés et à énoncer, de manière claire, les faits sur lesquels elle se fonde ainsi que la qualification qui leur est donnée, afin que les destinataires de celle-ci puissent se défendre utilement (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C-62/86, Rec. p. I‑3359, point 29, et arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mo och Domsjö/Commission, T‑352/94, Rec. p. II‑1989, point 63).

100   À cet égard, il y a lieu de constater que la qualification juridique des faits retenue dans la communication des griefs ne peut être, par définition, que provisoire, et une décision ultérieure de la Commission ne saurait être annulée au seul motif que les conclusions définitives tirées de ces faits ne correspondent pas de manière précise à cette qualification intermédiaire. En effet, la Commission doit entendre les destinataires d’une communication des griefs et, le cas échéant, tenir compte de leurs observations visant à répondre aux griefs retenus en modifiant son analyse, précisément pour respecter leurs droits de la défense.

101   En l’espèce, la seule différence pertinente entre la CG et la décision attaquée réside dans le fait que, dans cette dernière, la Commission a considéré, au considérant 164, que les contrats constitutifs de la deuxième infraction « ne constituaient en fait qu’un moyen de mise en œuvre » de la première, alors que, dans la CG, elle s’était bornée à faire valoir, au point 144, que le « but » des contrats d’approvisionnement était de maintenir le statut « domestique » du marché du Royaume-Uni au regard des Règles fondamentales, soit vis-à-vis des producteurs japonais, en renvoyant à l’égard de ces dernières au point 63 de la CG. Quant au considérant 147 de la décision attaquée, invoqué par Mannesmann dans ce contexte, il suffit de relever que sa teneur correspond à celle du point 144 de la CG dans la mesure où la Commission y relève que, « comme cela ressort des considérants 78 à 81, il y a eu un accord entre [Corus] et Vallourec […] pour que [Corus] s’approvisionne en tubes lisses auprès de [Mannesmann], Dalmine et Vallourec afin de préserver le caractère ‘national’ du marché britannique face aux entreprises japonaises ».

102   Il a été jugé au point 364 de l’arrêt du Tribunal de ce jour, JFE Engineering e.a./Commission, T-67/00, T-68/00, T-71/00 et T-78/00, non encore publié au Recueil, que la thèse retenue par la Commission dans la décision attaquée est erronée dans la mesure où les contrats constitutifs de la deuxième infraction avaient plus d’un seul objectif. Toutefois, à supposer même qu’il soit possible de discerner une différence d’analyse entre la CG et la décision attaquée à cet égard, il est manifeste que les destinataires de la CG ont eu l’occasion de présenter leurs observations sur la notion clé qui sous-tend l’approche de la Commission, à savoir l’idée selon laquelle les producteurs européens ont conclu les contrats constitutifs de la deuxième infraction notamment pour renforcer l’application des Règles fondamentales sur le marché offshore du Royaume-Uni.

103   Dans ces conditions, il n’y a pas eu de violation des droits de la défense à cet égard et, partant, le présent moyen doit être rejeté.

 Sur l’existence de l’infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE visée à l’article 1er de la décision attaquée

 Sur la prétendue contradiction entre l’article 1er et l’article 2 de la décision attaquée

–       Arguments des parties

104   Mannesmann estime que la décision attaquée est entachée d’une contradiction. La Commission aurait considéré que les entreprises destinataires de la décision attaquée s’étaient accordées sur des règles visant au respect des marchés nationaux dans le cadre du club Europe-Japon. Le seul élément de preuve invoqué à cet égard serait le tableau figurant au considérant 68 de la décision attaquée. Ce tableau présenterait les parts des producteurs nationaux, exprimées en pourcentage, dans les livraisons de tubes OCTG sans soudure à destination des pays concernés par le club Europe-Japon. Or, depuis 1991, Corus se serait approvisionnée en Allemagne, en France et en Italie, de telle sorte qu’il serait erroné de considérer que l’accès au marché britannique était réservé au producteur national.

105   Mannesmann fait grief à la Commission d’avoir conclu à l’existence d’une infraction consistant en un accord de respect des marchés nationaux (article 1er de la décision attaquée) sur la base des constatations relatives aux contrats d’approvisionnement de Corus faisant, quant à elles, l’objet de l’infraction visée à l’article 2 de la décision attaquée. Or, cette seconde infraction ne serait pas constituée. Les contrats d’approvisionnement conclus par Corus avec Dalmine, Vallourec et Mannesmann ne pourraient révéler une tendance au respect des marchés nationaux que s’ils sont examinés conjointement. Or, les livraisons des produits en cause en provenance de pays tiers, dont le Japon, représenteraient encore 20 % du marché britannique, de telle sorte qu’il ne saurait être question d’une protection effective de ce marché. Ainsi, les vices affectant la légalité de l’article 2 de la décision attaquée rejailliraient sur celle de l’article 1er.

106   La Commission récuse ces griefs qu’elle estime fondés sur une lecture erronée de la décision attaquée. Elle rappelle que l’article 1er de la décision attaquée constate que certaines entreprises ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE en participant à un accord prévoyant, notamment, le respect de leur marché national respectif. Pour sa part, l’article 2 de la décision attaquée tient Mannesmann responsable d’avoir, en violation de l’article 81 CE, conclu, « dans le cadre de l’infraction mentionnée à l’article premier », des contrats qui ont abouti à une répartition des fournitures de tubes OCTG lisses à Corus. L’article 2 viserait ainsi la protection du marché britannique à la suite du retrait de Corus.

–       Appréciation du Tribunal

107   L’argumentation avancée par Mannesmann dans le cadre du présent moyen est erronée et doit, dès lors, être rejetée dans la mesure où elle fait abstraction de la circonstance fondamentale selon laquelle l’infraction retenue à l’article 1er de la décision attaquée concerne le marché des tubes OCTG filetés (ainsi que celui des tuyaux de transport « projet ») et celle retenue à son article 2 celui, en amont, des tubes OCTG lisses.

108   Si l’article 1er de la décision attaquée précise, dans sa version allemande, que l’infraction qui y est constatée concerne les « tubes OCTG standard et les [tuyaux de transport ‘projet’] sans soudure », il ressort de l’économie générale de la décision attaquée que les tubes OCTG visés sont uniquement les tubes OCTG filetés standard. En particulier, la déclaration de M. Verluca du 17 septembre 1996, évoquée au considérant 56 de la décision attaquée comme la source de la définition du marché de produits en cause, limite le champ d’application de l’infraction aux « tubes filetés standard et [aux tuyaux de transport ‘projet’] ». Il s’ensuit que la référence audit considérant se rapporte aux tubes OCTG filetés API, c’est-à-dire aux tubes OCTG filetés « standard », et non aux tubes OCTG lisses. Cette interprétation de la portée de l’article 1er de la décision attaquée est confirmée par les trois autres versions linguistiques du texte de la décision attaquée qui font foi, dès lors que toutes ces versions précisent explicitement à l’article 1er qu’il s’agit des tubes OCTG filetés standard. Or, en cas de disparité entre les diverses versions linguistiques d’un texte communautaire, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (voir, par exemple, arrêt de la Cour du 9 mars 2000, EKW et Wein & Co., C‑437/97, Rec. p. I‑1157, point 42), et, en toute hypothèse, une version linguistique ne saurait prévaloir seule contre les autres versions linguistiques lorsque toutes celles-ci concordent avec une interprétation (arrêt du Tribunal du 29 septembre 1999, Neumann et Neumann‑Schölles/Commission, T‑68/97, RecFP p. I‑A‑193 et II‑1005, point 80 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission, C‑219/95 P, Rec. p. I‑4411, point 15, et la jurisprudence citée). À l’inverse, l’article 2 de la décision attaquée concerne, selon ses termes, uniquement les « fournitures de tubes OCTG lisses à [Corus] (Vallourec à partir de 1994) »

109   Il résulte de cette constatation que l’apparente contradiction alléguée par Mannesmann n’existe pas.

110   En réalité, il découle de la décision attaquée, lue dans son ensemble, que le marché britannique des tubes filetés, concerné par l’infraction constatée à l’article 1er de la décision attaquée, est resté un marché « national », au sens des Règles fondamentales, essentiellement parce que Corus a continué d’y commercialiser les tubes OCTG qu’elle filetait en utilisant des tubes lisses fournis par les trois autres producteurs européens à cette fin. Ainsi, une partie importante du marché britannique des tubes lisses, en amont, constituée par les besoins de Corus a été partagée, du moins à partir de 1993, entre Vallourec, Dalmine et Mannesmann. Il résulte de cette articulation entre les deux infractions qu’elles étaient non seulement compatibles l’une avec l’autre, mais, en outre, complémentaires.

111   En ce qui concerne les arguments spécifiques de Mannesmann concernant le marché britannique, en particulier son analyse du tableau figurant au considérant 68 de la décision attaquée, il convient de relever qu’il découle du texte même de l’article 81, paragraphe 1, CE, tel qu’interprété par une jurisprudence constante, que les accords entre entreprises sont interdits, indépendamment de tout effet, lorsqu’ils ont un objet anticoncurrentiel (voir, notamment, arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49/92 P, Rec. p. I-4125, point 123). Or, en l’espèce, la Commission s’est fondée à titre principal sur l’objet restrictif de l’accord sanctionné à l’article1er de la décision attaquée et a fait état, notamment aux considérants 62 à 67 de celle-ci, de nombreux éléments de preuve documentaires attestant, selon elle, tant de l’existence de cet accord que de son objet restrictif.

112   Ainsi, à supposer même que Mannesmann puisse démontrer que les chiffres contenus dans ledit tableau n’étayent pas de manière adéquate les affirmations de la Commission quant à la protection effective du marché britannique, cette circonstance serait sans incidence sur l’existence de l’infraction retenue à l’article 1er de la décision attaquée.

113   Par ailleurs, il ressort du considérant 62 de la décision attaquée, lequel se base à cet égard sur la déclaration de M. Verluca du 17 septembre 1996, que le marché offshore du Royaume-Uni n’était que « semi protégé ». Ainsi, la circonstance, invoquée par Mannesmann, selon laquelle le niveau de protection du marché britannique a été moindre, d’après le tableau figurant au considérant 68 de la décision attaquée, que sur les autres marchés nationaux concernés par l’accord de partage des marchés, n’infirme nullement l’analyse de la Commission.

114   À la lumière de ce qui précède, le présent moyen doit être rejeté.

 Sur les prétendues défaillances du raisonnement de la Commission concernant l’infraction retenue à l’article 1er de la décision attaquée

–       Arguments des parties

115   Au stade de la réplique, Mannesmann fait valoir que les constatations de fait et de droit relatives à l’infraction retenue à l’article 1er de la décision attaquée sont insuffisamment motivées. En premier lieu, la Commission aurait traité uniformément les aspects extracommunautaires et intracommunautaires des Règles fondamentales. Elle n’aurait pas distingué les dispositions visant l’accès des producteurs japonais au marché communautaire de celles relatives à l’accès des producteurs communautaires à leur marché national respectif. La Commission se serait appuyée sur les mêmes éléments (considérants 54, 63, 64, 66, 67, 129 et suivants de la décision attaquée) pour établir l’existence de ces deux aspects. Or, ces éléments ne porteraient que sur le volet externe des Règles fondamentales, à savoir l’accès des producteurs japonais au marché communautaire. Ils ne permettraient pas en revanche d’inférer l’existence d’accords visant au respect des marchés nationaux à l’intérieur de la Communauté.

116   En second lieu, Mannesmann reproche à la Commission, également dans le mémoire en réplique, de ne pas avoir démontré que l’accord relatif à l’accès au marché communautaire remplit les conditions énoncées à l’article 81, paragraphe 1, CE, relatives à l’affectation du commerce entre États membres et à l’existence de restrictions sensibles à la concurrence dans le marché commun.

117   Tout d’abord, faute d’avoir délimité avec précision le marché pertinent, la Commission n’aurait pas été en mesure d’apprécier si ces deux conditions étaient réunies.

118   Ensuite, Mannesmann soutient que les accords conclus avec les entreprises japonaises, tels que décrits par la Commission, ne peuvent avoir d’effet sensible sur la concurrence à l’intérieur du marché commun ou sur le commerce entre États membres. Mannesmann conteste les données retenues par la Commission, notamment aux annexes 1 à 4 de la décision attaquée. Elle affirme que, sur le marché mondial, les producteurs communautaires de tubes en acier sans soudure subissent une concurrence effective de la part de producteurs de pays tiers, ce que la Commission aurait d’ailleurs admis dans sa décision du 3 juin 1997 déclarant la compatibilité avec le marché commun d’une concentration (Affaire N IV/M.906 – Mannesmann/Vallourec) sur la base du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil (JO C 238, p. 15). Au considérant 103 de la décision attaquée, la Commission aurait en outre reconnu ne pas être en mesure de prouver l’existence d’un effet restrictif sur les prix et sur l’offre à l’intérieur du marché commun.

119   Enfin, compte tenu des caractéristiques du marché en cause, les entreprises visées par la décision attaquée ne pouvaient, selon Mannesmann, envisager de restreindre la concurrence au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE.

120   Selon la Commission, les arguments de Mannesmann se rapportant à la définition du marché pertinent et aux conditions d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, relatives à l’existence de restrictions sensibles à la concurrence ainsi qu’à l’existence d’une affectation du commerce entre États membres, constituent des moyens nouveaux. En application de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, tous ces moyens seraient irrecevables.

121   À titre subsidiaire, la Commission estime que ces moyens ne sont pas fondés. La définition du marché pertinent serait conforme à celle retenue dans la décision Mannesmann/Vallourec, susmentionnée, ainsi qu’il ressort des considérants 29 et suivants de la décision attaquée.

122   Selon la Commission, il ressort clairement de la décision attaquée que l’entente portait également sur la protection du marché domestique de chacun des quatre producteurs communautaires visés (considérants 62, 54, 66, 64 et 69 de la décision attaquée). Dès lors, l’accord en cause aurait été susceptible, par son objet, d’affecter le commerce entre États membres. Les conditions d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE seraient donc remplies, ainsi qu’il est établi au considérant 102 de la décision attaquée.

123   S’agissant ensuite des effets de l’accord susmentionné sur le commerce intracommunautaire, la Commission soutient qu’ils seraient manifestes, puisque chacun des producteurs européens jouissait, sur son marché domestique, d’une position dominante (voir tableau figurant au considérant 68 de la décision attaquée). En tout état de cause, compte tenu de l’objet de l’accord tel qu’établi au point précédent, l’analyse de ses effets ne serait pas nécessaire (arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, point 128, et du 30 janvier 1985, BNIC, 123/83, Rec. p. 391, point 22).

124   Quant au caractère sensible en l’espèce de l’incidence de l’accord sur le commerce intracommunautaire, la Commission rappelle que les ventes des producteurs communautaires en cause sur les marchés allemand, britannique, français et italien représentaient environ 15 % de la consommation totale de tubes OCTG et de tuyaux de transport dans la Communauté (considérant 106 de la décision attaquée). En raison des parts de marché détenues par les producteurs communautaires, il serait manifeste qu’un accord sur le respect des marchés allemand, britannique, français et italien affecte sensiblement le commerce entre États membres. Le fait que, rapporté au marché mondial, l’accord en cause n’affecte qu’un faible pourcentage des produits concernés serait dépourvu de pertinence à cet égard.

–       Appréciation du Tribunal

125   Il y a lieu de constater, d’abord, que les griefs de la requérante résumés ci-dessus sont effectivement irrecevables en vertu de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure dans la mesure où ils se rapportent à la question de savoir si l’infraction retenue à l’article 1er de la décision attaquée a eu une incidence appréciable sur les échanges entre États membres.

126   En effet, par lesdits arguments, soulevés pour la première fois dans le mémoire en réplique, Mannesmann reproche à la Commission d’avoir commis une erreur de droit ou d’appréciation en ce qui concerne l’une des conditions d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE et non un défaut de motivation, malgré ses affirmations à ce sujet au point 26 de sa réplique. Les moyens de fond n’étant pas d’ordre public, à la différence de ceux tirés de l’insuffisance de la motivation, il n’appartient pas au juge communautaire de les soulever d’office (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I-1719, point 67).

127   Il convient de relever, à toutes fins utiles, que le Tribunal a rejeté comme non fondés des arguments comparables à ceux avancés par Mannesmann à cet égard dans des affaires qui ont été jointes à la présente affaire aux fins de l’audience (arrêts du Tribunal de ce jour, Dalmine/Commission, T‑50/00, non encore publié au Recueil, en particulier les points 156 et 157, et JFE Engineering e.a./Commission, point 102 supra, en particulier les points 337 et 367 à 395).

128   Quant à l’argumentation relative à la prétendue absence de restrictions sensibles de la concurrence, qui relève également du fond et non pas de la motivation, il y a lieu de considérer qu’elle est recevable dans la mesure où elle amplifie les arguments déjà avancés dans la requête selon lesquels la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit que l’accord retenu à l’article 1er de la décision attaquée avait un objet ou des effets restrictifs de la concurrence au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE.

129   Sur le fond, il y a lieu de rappeler, d’abord, que, en l’espèce, la Commission s’est fondée, à titre principal, sur l’objet restrictif de l’accord sanctionné à l’article1er de la décision attaquée (voir point 111 ci-dessus).

130   À cet égard, des entreprises qui concluent un accord ayant pour but de restreindre la concurrence ne sauraient, en principe, échapper à l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE en prétendant que leur accord ne devait pas avoir d’incidence appréciable sur la concurrence.

131   En effet, l’accord sanctionné à l’article1er de la décision attaquée ayant eu pour but un partage des marchés entre les membres du club Europe-Japon, son existence n’avait un sens que si son objet était de restreindre la concurrence d’une manière appréciable, soit d’une manière qui leur était commercialement utile. Or, la Commission a établi à suffisance de droit que cet accord a effectivement existé.

132   Il s’ensuit que l’argumentation de Mannesmann selon laquelle la Commission n’a pas délimité le marché en cause avec précision est dénuée de pertinence. En effet, l’obligation d’opérer une délimitation de marché dans une décision adoptée en application de l’article 81 CE s’impose à la Commission uniquement lorsque, sans une telle délimitation, il n’est pas possible de déterminer si l’accord en cause est susceptible d’affecter le commerce entre États membres et a pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission, T-374/94, T-375/94, T-384/94 et T‑388/94, Rec. p. II‑3141, points 93 à 95 et 105). En principe, si l’objet même d’un accord est de restreindre la concurrence par un « partage de marchés », il n’est pas nécessaire de définir les marchés géographiques en cause de manière précise, dès lors que la concurrence actuelle ou potentielle sur les territoires concernés a nécessairement été restreinte, que ces territoires constituent des « marchés » au sens strict ou non.

133   Ainsi, à supposer même que Mannesmann puisse établir que la Commission a défini le marché concerné par l’infraction retenue à l’article 1er de la décision attaquée de manière insuffisante ou erronée en l’espèce, cette circonstance ne saurait avoir une incidence sur l’existence de cette infraction.

134   Il résulte de ce qui précède que les griefs résumés ci-dessus sont à rejeter sur le fond dans la mesure où ils se rapportent à la question de savoir si l’infraction retenue à l’article 1er de la décision attaquée a eu pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence d’une manière sensible.

 Sur l’existence de l’infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE visée à l’article 2 de la décision attaquée

 Arguments des parties

135   Mannesmann estime que la conclusion de la Commission selon laquelle les contrats relatifs à l’approvisionnement de Corus, conclus par cette dernière, Vallourec, Dalmine et Mannesmann, ont été conçus pour mettre en œuvre une stratégie commerciale commune et constituent une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

136   En premier lieu, Mannesmann soutient que les éléments de preuve avancés au soutien de la constatation de l’existence de l’infraction visée à l’article 2 de la décision attaquée concernent exclusivement Vallourec et Corus (considérants 78, 91, 110, 146 et 152 de la décision attaquée). La Commission n’aurait nullement établi la participation de Mannesmann à la mise en œuvre des Règles fondamentales conclues dans le cadre du club Europe-Japon. Dans la mesure où les griefs de la Commission à l’égard de Mannesmann se rapportent exclusivement aux contrats conclus par Corus avec des tiers, Mannesmann estime ne pas être en mesure de se défendre utilement. Elle sollicite donc du Tribunal qu’il procède aux mesures d’organisation de la procédure suivantes :

–       ordonner à la Commission de communiquer au Tribunal les documents invoqués par Corus dans l’affaire T-48/00 et concernant les faits constitutifs de l’infraction visée à l’article 2 de la décision attaquée ;

–       lui accorder le droit de prendre connaissance de ces documents, dans la mesure où ils ne sont pas confidentiels, et de prendre position sur ceux-ci par un mémoire ampliatif.

137   La Commission rejette les allégations de Mannesmann et affirme que la participation de cette dernière à l’infraction visée à l’article 2 a été démontrée à suffisance de droit aux considérants 146 à 155 de la décision attaquée.

138   En deuxième lieu, Mannesmann conteste l’affirmation de la Commission selon laquelle les contrats d’approvisionnement en tubes sans soudure conclus par Corus s’inscrivent dans le cadre d’une entente. Tout d’abord, si tel avait été le cas, Corus n’aurait pas attendu deux années supplémentaires pour conclure un contrat avec Mannesmann. En réalité, chacun des contrats d’approvisionnement aurait été conclu individuellement. Les similarités entre ces contrats s’expliqueraient par le fait que Corus, qui était partie à chacun d’eux, souhaitait les uniformiser.

139   Ensuite, des raisons objectives et légitimes expliqueraient la conclusion de ces contrats. La décision de Corus d’arrêter de produire certains types de tubes en acier, tout en conservant sa capacité de filetage des tubes sans soudure, était parfaitement fondée. Corus aurait conclu un contrat d’approvisionnement avec Vallourec car celle-ci maîtrisait la technique de filetage « VAM », indispensable pour pouvoir accéder au marché britannique des tubes OCTG premium. Mannesmann rappelle que les actions contentieuses qui l’opposaient à Vallourec quant aux droits de propriété industrielle des raccords « premium » VAM ont abouti au prononcé de décisions rendues au bénéfice de cette dernière, lui permettant ainsi de gagner des parts de marché au détriment de Mannesmann. Plutôt que de se retirer du marché offshore britannique, Mannesmann aurait alors choisi de se focaliser sur la vente de tubes lisses sans soudure, lesquels peuvent être filetés par ses clients. Par ailleurs, Vallourec n’était pas en mesure de satisfaire l’intégralité de la demande de Corus. Ce serait dans ce contexte que Mannesmann a livré des tubes sans soudure à Corus.

140   Enfin, Mannesmann rappelle que les contrats d’approvisionnement en cause ne concernent que les tubes d’un diamètre supérieur à cinq pouces et demi. Or, les seules entreprises établies dans la Communauté et capables de produire des tubes de cette dimension seraient Vallourec, Dalmine et Mannesmann. En faisant appel à ces trois entreprises et en diversifiant ainsi ses sources d’approvisionnement, Corus se mettait en mesure de se prémunir contre les risques d’augmentation des prix. La Commission ne saurait faire grief à cette entreprise d’avoir ainsi cherché à maximiser ses profits sur la vente de ses produits finals.

141   La Commission réfute cette interprétation. Elle affirme que le véritable objet des contrats d’approvisionnement en cause était de mettre en œuvre les Règles fondamentales, visant le respect des marchés nationaux, établies dans le cadre du club Europe-Japon (considérant 146 de la décision attaquée).

142   Ces contrats, renouvelés en 1993, s’inscriraient ainsi dans le cadre d’une entente contraire à l’article 81, paragraphe 1, CE. Ils prévoiraient une répartition de l’approvisionnement de Corus entre Vallourec, Dalmine et Mannesmann, respectivement à concurrence de 40 %, de 30 % et de 30 %. Bien que Corus ait conclu ces contrats à des dates différentes, ils constitueraient une infraction unique à l’article 81, paragraphe 1, CE. Quelle que puisse être l’importance de la maîtrise de la technique VAM, la Commission maintient que la participation de Mannesmann à une entente concernant les tubes en acier sans soudure est établie à suffisance de droit.

143   Qui plus est, aucun intérêt légitime de Corus ne lui imposait de conclure les contrats en cause. L’offre de tubes en acier sans soudure étant excédentaire, Corus n’aurait pas eu à craindre des difficultés d’approvisionnement ou des prix élevés. Quant à l’argument selon lequel il ne peut être reproché à Corus de vouloir maximiser ses bénéfices sur la vente des produits finals, la Commission réitère que la stratégie de cette entreprise s’inscrit dans le cadre d’une entente illicite.

144   En troisième lieu, Mannesmann soutient que les contrats d’approvisionnement de Corus ne contreviennent pas à l’article 81, paragraphe 1, CE. Elle fait observer, à cet égard, que les livraisons à Corus seraient largement inférieures aux seuils à partir desquels la Commission intervient en général à l’égard d’accords verticaux. À titre d’exemple, elle indique que le règlement (CE) n° 2790/1999 de la Commission, du 22 décembre 1999, concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (JO L 336 p. 21), prévoit que seules doivent être considérées comme des « obligations de non-concurrence » celles qui imposent à l’acheteur d’acquérir plus de 80 % de ses achats annuels auprès d’un même fournisseur. Lorsque ce seuil n’est pas atteint, ces accords seraient licites.

145   De l’avis de Mannesmann, le mode d’approvisionnement utilisé par Corus ne restreint pas la concurrence. En l’absence de toute exclusivité, la décision de Corus d’allouer à chacun de ses trois fournisseurs une quotité définie par rapport à son volume annuel d’achats ne fausserait pas la concurrence. L’offre de tubes en acier sans soudure serait excédentaire et les besoins de Corus prévisibles. Dans ces circonstances, Corus aurait pu raisonnablement allouer à ses fournisseurs une quotité d’achat plutôt que de stipuler dans ses contrats d’approvisionnement les quantités de marchandise requises.

146   Mannesmann ajoute que les prix des produits en cause étaient négociés individuellement, puis soumis à une formule de révision basée sur l’évolution du marché. De telles clauses d’indexation seraient courantes dans les contrats à long terme et justifiées par les fluctuations de prix caractérisant le secteur des tubes en acier. Ces contrats n’instauraient aucun échange d’informations confidentielles. Corus se serait limitée à transmettre à Mannesmann les correctifs issus de la formule de révision. Il ressortirait par ailleurs de la pratique décisionnelle de la Commission que celle-ci n’a jamais déclaré de telles clauses contraires à l’article 81, paragraphe 1, CE.

147   Quant aux autres stipulations des contrats en cause, Mannesmann soutient que la Commission aurait attaché une importance particulière aux clauses pénales, alors qu’elles sont dépourvues de pertinence au regard du droit communautaire de la concurrence. Le manque de sévérité de la peine contractuelle prévue en cas de défaillance dans la livraison des produits s’expliquerait par le caractère excédentaire de l’offre de ces produits, qui permettait à Corus de s’approvisionner facilement.

148   Dans son mémoire en réplique, Mannesmann soutient enfin que les deux conditions énoncées à l’article 81, paragraphe 1, CE, relatives, respectivement, au caractère sensible de l’affectation du commerce intracommunautaire et à la restriction de concurrence, font défaut en l’espèce. Il ressortirait des motifs de la décision attaquée (considérant 147) que les accords visés à son article 2 avaient pour objet de restreindre l’accès des producteurs japonais au marché britannique. Une entente de cette nature affecterait le commerce entre la Communauté et le Japon, mais serait sans conséquence sur le commerce entre États membres ou sur la concurrence à l’intérieur du marché commun.

149   En tout état de cause, les effets des accords visés à l’article 2 de la décision attaquée seraient négligeables par rapport à l’importance du commerce entre le Japon et la Communauté. Mannesmann reproche, à cet égard, à la Commission de ne pas avoir suffisamment analysé le marché en cause. Elle souligne que le marché britannique représente environ 2,5 % de la consommation mondiale de tubes OCTG, tubes sans soudure compris. Or, ces derniers ne représenteraient que 16 % du marché de tous les tubes OCTG (annexe 2 de la décision attaquée). La prétendue entente se situerait bien en deçà des seuils énoncés au point 9 de la communication 97/C 372/04 de la Commission concernant les accords d’importance mineure de 1997 qui ne sont pas visés par les dispositions de l’article [81], paragraphe 1, du traité [CE] (JO 1997, C 372 p. 13, ci‑après la « communication de 1997 »).

150   La Commission réfute ces arguments qu’elle juge peu crédibles. Elle rappelle que les contrats d’approvisionnement réservaient à Vallourec, à Dalmine et à Mannesmann une part fixe des livraisons de tubes en acier sans soudure à Corus, quelles que soient les quantités effectivement consommées par cette dernière. Ces entreprises n’avaient aucun intérêt à se faire concurrence sur le prix des tubes en acier sans soudure qui sont filetés au Royaume‑Uni.

151   Après avoir fait observer que le règlement n° 2790/1999 n’est pas applicable en l’espèce, la Commission précise qu’elle a apprécié la peine contractuelle prévue dans les contrats d’approvisionnement aux seules fins de vérifier si l’importance des délais de livraison a objectivement pu justifier la décision de Corus de s’approvisionner exclusivement auprès d’entreprises communautaires. Elle en a conclu que la clause relative aux délais de livraison n’avait été insérée qu’en vue d’écarter les producteurs japonais.

152   Enfin, la Commission excipe de l’irrecevabilité des moyens de Mannesmann concernant l’absence de caractère sensible des restrictions de concurrence et d’affectation du commerce entre États membres au motif qu’ils ont été soulevés tardivement. De même, ce ne serait qu’au stade de la réplique que Mannesmann aurait invoqué l’illégalité de l’article 2 de la décision attaquée au regard de la communication de 1997. Il s’agirait dans les deux cas de moyens nouveaux, irrecevables au titre de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure.

153   À titre subsidiaire, la Commission soutient que ces moyens ne sont pas fondés.

154   S’agissant de l’argument selon lequel il conviendrait de faire application de la communication de 1997, la Commission fait observer que, dans la mesure où la période de référence retenue pour l’imposition des amendes s’étend de 1990 à 1995, il y aurait eu lieu de demander plutôt l’application de la communication de la Commission, du 3 septembre 1986, concernant les accords d’importance mineure qui ne sont pas visés par les dispositions de l’article [81] du traité (JO 1986, C 231, p. 2). Or, le seuil de minimis de 5 % retenu par cette dernière communication ne viserait pas le marché mondial, mais le marché géographique pertinent sur le territoire de la Communauté. En l’espèce, les contrats d’approvisionnement représenteraient 78 à 84 % de la consommation sur le marché britannique et 13 à 24 % de la consommation sur le marché communautaire. Par ailleurs, les chiffres d’affaires des entreprises en cause excéderaient largement le seuil de 200 millions d’euros énoncé dans ladite communication. Au surplus, la Commission ajoute que les seuils de la communication de 1997 dont Mannesmann revendique l’application ne sont manifestement pas respectés en l’espèce.

155   Enfin, la Commission considère qu’une annulation éventuelle de l’article 2 de la décision attaquée serait sans incidence sur le montant de l’amende qui a été infligée à Mannesmann, l’infraction visée par cette disposition n’ayant donné lieu à aucune sanction autonome.

 Appréciation du Tribunal

156   À titre liminaire, il convient de relever que la demande de Mannesmann visant à la production par la Commission, dans la présente affaire, des documents déposés par Corus dans l’affaire T-48/00 est devenue sans objet dans la mesure où les sept affaires portant sur la légalité de la décision attaquée, dont la présente affaire et l’affaire T‑48/00, ont été jointes aux fins de l’audience, de sorte que toutes les requérantes ont eu l’occasion de consulter au greffe du Tribunal les mémoires et annexes déposés dans les autres affaires, sous réserve du traitement confidentiel de certaines pièces. Ainsi, Mannesmann a eu accès à tous les documents en question et a pu commenter, dans la mesure où elle le souhaitait, le contenu de ces documents à l’audience. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de faire droit à sa demande supplémentaire visant à lui permettre de présenter un nouveau mémoire à cette fin.

157   L’objet et l’effet des trois contrats d’approvisionnement sont décrits par la Commission au considérant 111 de la décision attaquée comme suit :

« L’objet de ces contrats était l’approvisionnement en tubes lisses du ‘leader’ du marché des OCTG dans la mer du Nord et leur but était de maintenir un producteur national au Royaume-Uni en vue d’obtenir un respect des ‘[Règles fondamentales]’ dans le cadre du club Europe‑Japon. Ces contrats ont eu pour objet et effet principal une répartition entre [Mannesmann], Vallourec et Dalmine de tous les besoins de leur concurrent [Corus] (Vallourec à partir de 1994). Ils faisaient dépendre les prix d’achat des tubes lisses des prix des tubes filetés par [Corus]. Ils comportaient aussi une limitation à la liberté d’approvisionnement de [Corus] (Vallourec à partir de février 1994) et obligeaient ce dernier à communiquer à ses concurrents les prix de vente pratiqués ainsi que les quantités vendues. Par ailleurs, [Mannesmann], Vallourec (jusqu’en février 1994) et Dalmine s’engageaient à livrer à un concurrent ([Corus], puis Vallourec à partir de mars 1994) des quantités inconnues à l’avance. »

158   Les termes des contrats d’approvisionnement produits devant le Tribunal, notamment celui conclu par Mannesmann avec Corus le 9 août 1993, confirment, en substance, les données factuelles invoquées dans ledit considérant 111 de la décision attaquée ainsi que dans ses considérants 78 à 82 et 153. Pris ensemble, ces contrats répartissent, du moins à partir du 9 août 1993, les besoins de Corus en tubes lisses entre les trois autres producteurs européens (40 % pour Vallourec, 30 % pour Dalmine et 30 % pour Mannesmann). En outre, chacun de ces contrats prévoit la fixation du prix payé par Corus pour les tubes lisses en fonction d’une formule mathématique qui prend en compte le prix obtenu par Corus pour ses tubes filetés.

159   Il découle de ces constatations que l’objet et/ou, à tout le moins, l’effet des contrats d’approvisionnement était de substituer une répartition négociée du bénéfice à tirer des ventes de tubes filetés pouvant être réalisées sur le marché britannique aux risques de la concurrence en ce qui concerne les quatre producteurs européens (voir, par analogie, en ce qui concerne les pratiques concertées, arrêt Ciment, point 42 supra, point 3150).

160   Par chacun des contrats d’approvisionnement, Corus a lié ses trois concurrents communautaires de manière telle que toute concurrence effective de leur part sur son marché domestique, ainsi que toute perspective d’une telle concurrence, a disparu, au prix du sacrifice de sa liberté d’approvisionnement. En effet, ces trois concurrents voyaient leurs ventes de tubes lisses diminuer si les ventes de tubes filetés réalisées par Corus devaient baisser. Par ailleurs, la marge bénéficiaire réalisée sur les ventes de tubes lisses que les trois fournisseurs se sont engagés à effectuer se réduisait également dans l’hypothèse d’une diminution du prix obtenu par Corus pour ses tubes filetés et pouvait même se transformer en perte. Dans ces conditions, il était pratiquement inconcevable que ces trois producteurs cherchent à livrer une concurrence effective à Corus sur le marché britannique des tubes filetés, notamment en ce qui concerne les prix (voir considérant 153 de la décision attaquée).

161   À l’inverse, en acceptant de conclure de tels contrats, chacun des trois concurrents communautaires de Corus s’est assuré une participation indirecte sur le marché domestique de cette dernière ainsi qu’une part des bénéfices qui en découlent. Pour obtenir ces avantages, ils ont renoncé, de fait, à la possibilité de vendre des tubes filetés sur le marché britannique ainsi que, à tout le moins à partir de la signature du troisième contrat, le 9 août 1993, allouant les 30 % restants à Mannesmann, à celle de fournir une proportion plus importante des tubes lisses achetés par Corus que celle qui a été allouée à chacun d’eux à l’avance.

162   De plus, les concurrents de Corus ont accepté l’obligation onéreuse, et partant commercialement anormale, de fournir à celle-ci des quantités de tubes qui n’étaient définies à l’avance que par référence aux ventes de tubes filetés réalisées par cette dernière. Cette obligation a renforcé l’interdépendance illicite entre ces producteurs et Corus, dans la mesure où ceux-là dépendaient, en tant que fournisseurs contractuellement liés, de la politique commerciale menée par celle‑ci.

163   Force est de constater que si les contrats d’approvisionnement n’avaient pas existé, les trois producteurs européens autres que Corus auraient normalement eu, abstraction faite des Règles fondamentales, un intérêt commercial réel ou à tout le moins potentiel à concurrencer celle-ci sur le marché britannique des tubes filetés de manière effective ainsi qu’à se concurrencer entre elles pour approvisionner Corus en tubes lisses.

164   À cet égard, il convient de relever, en outre, que chacun des contrats d’approvisionnement a été conclu pour une durée initiale de cinq ans. Cette durée relativement longue confirme et renforce le caractère anticoncurrentiel de ces contrats, en particulier dans la mesure où Mannesmann et les deux autres fournisseurs de Corus ont renoncé, de fait, à pouvoir exploiter de manière directe une éventuelle croissance du marché britannique des tubes filetés pendant cette période.

165   Quant à l’argument spécifique de Mannesmann selon lequel la formule de prix figurant dans les contrats est simplement une clause d’indexation, il convient de relever que la Commission a qualifié cette clause d’anticoncurrentielle parce qu’elle fixe le prix payé par Corus pour ses tubes lisses à chacun de ses fournisseurs en fonction du prix obtenu par elle pour ses tubes filetés, et ce de la même manière en ce qui concerne les trois fournisseurs. Force est de constater que, à supposer même que les prix de départ pour la fourniture de tubes lisses aient réellement été négociés de manière indépendante entre Corus et chacun de ses fournisseurs, le rapport de force commercial existant, d’une part, entre Corus et chacune de ces entreprises et, d’autre part, reflété par ces prix a été figé, et toute possibilité de concurrence sur les prix des tubes lisses achetés par Corus a été supprimée. Le choix du prix des tubes filetés vendus par Corus comme indice n’est pas neutre et rend la formule en cause très différente d’une clause d’indexation ordinaire. Comme il a été relevé au point 160 ci-dessus, ce choix a eu pour conséquence que les trois fournisseurs, qui produisaient également des tubes filetés eux-mêmes, ont perdu leur intérêt commercial à concurrencer Corus sur les prix sur le marché du Royaume-Uni.

166   Par ailleurs, comme le relève la Commission, la formule de fixation du prix des tubes lisses, prévue dans chacun des trois contrats d’approvisionnement, impliquait un échange illicite d’informations commerciales (voir considérant 153 de la décision attaquée ; voir, également, son considérant 111) qui doivent rester confidentielles sous peine de compromettre l’autonomie de la politique commerciale des entreprises concurrentes (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, T-141/94, Rec. p. II-347, point 403, et British Steel/Commission, T-151/94, Rec. p. II‑629, points 383 et suivants).

167   L’argumentation de Mannesmann, selon laquelle des informations confidentielles relatives aux quantités de tubes vendues par Corus et aux prix payés par les clients de celle-ci ne lui étaient pas divulguées, ne saurait la disculper dans les circonstances du cas d’espèce.

168   En ce qui concerne les quantités de tubes filetés vendues par Corus, il y a lieu de constater que ses fournisseurs, dont Mannesmann, pouvaient facilement les calculer, dès lors que chacun d’entre eux fournissait, en principe, un pourcentage fixe de ses besoins.

169   Il est en revanche exact, comme le relève Mannesmann, que Corus ne communiquait pas les prix qu’elle obtenait pour ses tubes filetés à ses cocontractants en tant que tel. Par conséquent, l’affirmation figurant au considérant 111 de la décision attaquée, selon laquelle les contrats d’approvisionnement « obligeaient [Corus] à communiquer à ses concurrents les prix de vente pratiqués », exagère la portée des obligations contractuelles à cet égard. Toutefois, la Commission a relevé, à juste titre, au considérant 153 de la décision attaquée et devant le Tribunal, que ces prix étaient en rapport mathématique avec le prix payé pour les tubes lisses, de sorte que les trois fournisseurs concernés recevaient des indications précises sur le sens, le moment et l’ampleur de toute fluctuation des prix des tubes filetés vendus par Corus.

170   Force est de constater non seulement que la communication de ces informations à des concurrents viole l’article 81, paragraphe 1, CE, mais que, de plus, la nature de cette violation est en substance la même, que ce soient les prix des tubes filetés eux-mêmes ou uniquement des informations concernant leur fluctuation qui ont fait l’objet de cette communication. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l’inexactitude relevée au point précédent est insignifiante dans le contexte plus large de l’infraction retenue à l’article 2 de la décision attaquée et que, par conséquent, elle n’a aucune incidence sur la constatation de l’existence de celle-ci.

171   Quant à l’argumentation de Mannesmann fondée sur le règlement n° 2790/1999, il convient de relever d’abord que ce règlement ne saurait s’appliquer directement en l’espèce, dès lors que la décision attaquée a été adoptée le 8 décembre 1999 et que son article 2 se rapporte, en ce qui concerne Mannesmann, à une période allant de 1993 à 1997, soit à une période antérieure à l’entrée en vigueur des dispositions pertinentes du règlement n° 2790/1999, le 1er juin 2000.

172   En outre, dans la mesure où ce règlement pourrait néanmoins être pertinent à titre indicatif en l’espèce, en ce qu’il constitue une prise de position de la Commission en décembre 1999 par rapport au caractère peu dommageable pour la concurrence des accords verticaux, il convient de relever que ce règlement fait application de l’article 81, paragraphe 3, CE. Or, il résulte de l’article 4 du règlement n° 17 que les accords entre entreprises ne peuvent bénéficier d’une exemption individuelle au titre de cette disposition que s’ils ont été notifiés à la Commission à cette fin, ce qui n’a pas été fait en l’espèce.

173   Il s’ensuit que la légalité des contrats en cause ne peut être apprécié qu’au seul regard de l’article 81, paragraphe 1, CE. Ainsi la circonstance, à la supposer établie, selon laquelle ces contrats remplissaient les conditions de fond de l’article 81, paragraphe 3, CE gouvernant l’octroi d’exemptions, à la lumière de la politique de la Commission ainsi qu’elle ressort de son règlement n° 2790/1999, est dénuée de pertinence en l’espèce. Au contraire, l’adoption de ce règlement en décembre 1999 confirme que, d’après la Commission, de tels accords violent, en principe, l’article 81, paragraphe 1, CE, dès lors qu’ils nécessitent l’application de l’article 81, paragraphe 3, CE. Par conséquent, l’argumentation de Mannesmann fondée sur le règlement n° 2790/1999 doit être rejetée.

174   Il y a lieu de constater, en outre, que, l’infraction retenue à l’article 2 de la décision attaquée étant constituée par les restrictions de concurrence contenues dans les contrats d’approvisionnement eux-mêmes, les considérations relevées ci‑dessus suffisent à établir son existence.

175   En effet, quel que soit le véritable degré de concertation entre les quatre producteurs européens, force est de constater que chacun d’eux a conclu un des contrats d’approvisionnement restreignant la concurrence et s’inscrivant dans l’infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE retenue à l’article 2 de la décision attaquée. Si l’article 2, paragraphe 1, de la décision attaquée indique que les contrats d’approvisionnement ont été conclus « dans le cadre de l’infraction mentionnée à l’article premier », il ressort clairement des termes du considérant 111 de la décision attaquée que c’est le fait d’avoir conclu ces contrats qui constitue en lui-même l’infraction constatée à l’article 2.

176   Ainsi, à supposer même que Mannesmann ait réussi à démontrer que la conclusion de son contrat de fourniture avec Corus était objectivement conforme à son intérêt commercial, cette circonstance n’infirmerait nullement la thèse de la Commission suivant laquelle cet accord était illégal. En effet, les pratiques anticoncurrentielles sont très souvent dans l’intérêt commercial individuel des entreprises, du moins à court terme.

177   À la lumière de ces constatations, il n’est pas nécessaire de résoudre le différend entre les parties relatif à la signification de la sanction prévue par les contrats en cas de non-livraison, à savoir la simple réduction correspondante de la part du fournisseur en cause, dès lors que l’argumentation avancée à cet égard par Mannesmann a pour but de démontrer qu’il était commercialement logique du point de vue de Corus de conclure les trois contrats d’approvisionnement ainsi rédigés. L’argumentation selon laquelle les seules entreprises établies dans la Communauté capables de produire des tubes de cette dimension étaient Vallourec, Dalmine et Mannesmann est également, pour la même raison, sans pertinence.

178   De même, les arguments de Mannesmann relatifs à la puissance commerciale de Vallourec, sur le marché des tubes filetés, résultant de son brevet pour le raccord premium « VAM » se rapportent essentiellement aux intérêts commerciaux ayant conduit Mannesmann à conclure un contrat d’approvisionnement pour les tubes lisses avec Corus et sont dès lors dénués de pertinence. Ces arguments pourraient au mieux relativiser, dans une certaine mesure, les affirmations de la Commission relatives à la suppression d’une concurrence effective de Mannesmann sur le marché britannique des tubes filetés, mais ils ne sauraient infirmer la constatation essentielle selon laquelle les parties aux contrats d’approvisionnement ont substitué une coopération, soit une certitude commerciale, aux risques de la concurrence en ce qui concerne les marchés britanniques des tubes lisses et filetés.

179   L’existence de l’infraction retenue à l’article 2 de la décision attaquée étant établie à suffisance de droit, il n’est pas strictement nécessaire d’examiner non plus le raisonnement de la Commission quant à la concertation entre les quatre producteurs européens (voir point 171 ci‑dessus). En particulier, il n’est pas besoin d’analyser à cette fin les arguments soulevés par Mannesmann à l’égard du faisceau d’indices extérieurs aux contrats d’approvisionnement invoqué par la Commission pour démontrer la réalité de cette concertation.

180   Toutefois, dans la mesure où le degré de concertation ayant existé entre les quatre producteurs communautaires en ce qui concerne l’infraction retenue à l’article 2 de la décision attaquée est pertinent pour l’examen de certains des autres moyens soulevés en l’espèce, il convient de l’examiner.

181   Il y a lieu de relever, dans ce contexte, que des comportements qui s’inscrivent dans un plan global et poursuivent un objectif commun peuvent être considérés comme relevant d’un accord unique (voir, en ce sens, arrêt Ciment, point 42 supra, point 4027). En effet, si la Commission démontre qu’une entreprise, lorsqu’elle a participé à des ententes, savait ou devait nécessairement savoir que, ce faisant, elle s’intégrait dans un accord unique, sa participation aux ententes concernées peut constituer l’expression de son adhésion à cet accord (voir, en ce sens, arrêt Ciment, point 42 supra, points 4068 et 4109).

182   À cet égard, le document Réflexions contrat VAM, daté du 23 mars 1990, est particulièrement pertinent. Sous l’intitulé « Scénario II », M. Verluca y indique la possibilité d’« obtenir des Japonais qu’ils n’interviennent pas sur [le] marché [britannique] et que le problème se règle entre Européens ». Il poursuit : « [d]ans ce cas, on partagerait effectivement les tubes lisses entre [Mannesmann], [Vallourec] et Dalmine ». Au paragraphe suivant, il relève qu’« on aurait probablement intérêt à lier les ventes de [Vallourec] à la fois au prix et au volume du VAM vendu par [Corus] ».

183   Étant donné que cette dernière proposition reflète avec précision les termes essentiels du contrat conclu entre Vallourec et Corus seize mois plus tard, il apparaît clairement que cette stratégie a effectivement été retenue par Vallourec et que ledit contrat a été signé pour la mettre en oeuvre.

184   De plus, le fait qu’un contrat pratiquement identique ait ensuite été signé entre Corus, d’une part, et chacun des autres membres européens du club Europe-Japon, d’autre part, soit Dalmine et, ensuite, Mannesmann, de sorte que les besoins de Corus en tubes lisses étaient effectivement répartis entre les trois autres membres du club Europe-Japon à partir d’août 1993, précisément comme M. Verluca l’avait envisagé, confirme que ces trois contrats ont dû être conclus dans le but de poursuivre la stratégie commune proposée dans le cadre de leur concertation au sein dudit club.

185   Cette conclusion est étayée par les éléments de preuve invoqués par la Commission dans la décision attaquée, notamment à son considérant 91, lequel est rédigé comme suit :

« Le 21 janvier 1993, [Corus] a envoyé à Vallourec (il est vraisemblable qu’il ait été envoyé aussi à [Mannesmann] et à Dalmine) une ébauche de propositions en vue d’un accord sur la restructuration du secteur des tubes sans soudure, qui serait discuté lors d’une réunion à Heathrow, le 29 janvier 1993, entre Mannesmann/Vallourec/Dalmine/[Corus] (page 4628 [du dossier de la Commission, soit la première page du document intitulé ‘Ébauche de propositions pour un accord de restructuration concernant les tubes sans soudure’]). Dans ce document, il est écrit : ‘[[Corus] a indiqué son intention de se retirer éventuellement du secteur des tubes sans soudure. Elle cherche à le faire d’une façon ordonnée et contrôlée, afin d’éviter toute rupture dans la fourniture de tubes à ses clients et d’aider les producteurs qui acquerront ce secteur à conserver les commandes [...] Des discussions ont eu lieu, au cours des six derniers mois, entre [Corus] et d’autres producteurs intéressés par l’acquisition d’actifs de [Corus], et celle-ci pense qu’il existe un consensus sur la ligne d’action décrite dans ce document]’. Une des propositions consistait à transférer à Vallourec les activités OCTG tout en maintenant les contrats d’approvisionnement en tubes lisses en vigueur entre [Corus] et Vallourec, [Mannesmann] et Dalmine, en gardant les mêmes proportions. Ce même jour, une réunion a eu lieu entre [Mannesmann] et [Corus] au cours de laquelle [Mannesmann] ‘[a accepté que Vallourec prenne la tête en ce qui concerne l’acquisition du secteur OCTG]’ ([p]age 4626 [du dossier de la Commission, soit la page unique d’une télécopie envoyée le 22 janvier 1993 par M. Davis de Corus à M. Patrier de Vallourec]). Le document de Dalmine intitulé [‘Système pour les tubes en acier sans soudure en Europe et évolution du marché’ (‘Seamless steel tube system in Europe and market evolution’) et repris à la page 2051 du dossier de la Commission ([p]age 2053 [du dossier de la Commission])], de mai-août 1993 faisait état de ce qu’une solution au problème [Corus] utile à tous ne pouvait être trouvée que dans un contexte européen ; le fait que Vallourec acquérait les installations de [Corus] était aussi admis par Dalmine. »

186   Il convient de relever, en outre, que, dans sa note « Réflexions stratégiques », citée au considérant 80 de la décision attaquée, Vallourec a envisagé explicitement la possibilité que Dalmine et Mannesmann se concertent avec elle pour fournir des tubes lisses à Corus. De plus, au considérant 59 de la décision attaquée, la Commission s’appuie sur le document « g) Japonais », notamment sur le calendrier qui figure à la quatrième page de celui-ci (page 4912 du dossier de la Commission), pour relever que les producteurs européens tenaient des réunions préparatoires avant de rencontrer les producteurs japonais, afin de coordonner leurs positions et d’émettre des propositions communes dans le cadre du club Europe-Japon.

187   Il découle des preuves documentaires invoquées par la Commission dans la décision attaquée et rappelées ci-dessus que les quatre producteurs communautaires se sont effectivement rencontrés pour coordonner leur position dans le cadre du club Europe-Japon avant les réunions intercontinentales de celui‑ci, à tout le moins en 1993. Il est également établi que la fermeture de l’entreprise de filetage de Corus à Clydesdale et sa reprise par Vallourec, ainsi que la fourniture en tubes lisses à cette entreprise par Dalmine et Mannesmann, ont fait l’objet des discussions lors de ces réunions. Dès lors, il est inconcevable que Mannesmann ait pu ignorer la teneur de la stratégie élaborée par Vallourec et le fait que son contrat d’approvisionnement avec Corus s’inscrivait dans un accord anticoncurrentiel plus large affectant aussi bien le marché des tubes filetés standard que celui des tubes lisses.

188   En ce qui concerne l’argument de Mannesmann selon lequel le troisième contrat d’approvisionnement, entre Corus et elle-même, a été conclu bien plus tard que les deux autres, de sorte que la Commission ne pouvait en déduire l’existence d’une infraction unique impliquant les quatre producteurs européens, il y a lieu de relever que l’absence de contrat d’approvisionnement entre Mannesmann et Corus avant 1993 ne saurait infirmer la thèse de la Commission. En effet, si la stratégie de partage des fournitures en tubes lisses n’a été mise en oeuvre pleinement qu’à partir du moment où Corus avait trois fournisseurs, la signature des deux autres contrats constituait une mise en oeuvre partielle de ce projet, en anticipation de sa réalisation complète.

189   Par ailleurs, comme la Commission l’a relevé devant le Tribunal, la référence, dans le document intitulé « Ébauche de propositions pour un accord de restructuration concernant les tubes sans soudure », en date du 21 janvier 1993, au fait que Mannesmann fournissait déjà des tubes lisses à Corus, loin d’être inconciliable avec la signature d’un contrat d’approvisionnement par Corus et Mannesmann en août 1993, comme le fait valoir Mannesmann, renforce l’analyse de la Commission. En effet, si la Commission n’a retenu, par prudence, l’existence de l’infraction visée par l’article 2 de la décision attaquée à l’encontre de Mannesmann qu’à partir du 9 août 1993 parce que sa signature d’un contrat d’approvisionnement avec Corus à cette date était une preuve certaine de sa participation à l’infraction, il découle de la référence évoquée ci‑dessus que, en réalité, Mannesmann fournissait Corus en tubes lisses dès janvier 1993.

190   Ainsi, il ressort des éléments de preuve invoqués par la Commission dans la décision attaquée que Vallourec a conçu la stratégie de protection du marché du Royaume-Uni et conclu un contrat d’approvisionnement avec Corus qui permettait, notamment, dans un premier temps de la mettre en oeuvre. Ensuite, Dalmine et Mannesmann se sont jointes à elles, ce dont atteste la conclusion par chacune de ces deux entreprises d’un contrat d’approvisionnement avec Corus.

191   Enfin, quant aux allégations relatives à l’absence d’une affectation sensible du commerce entre États membres, il convient de considérer qu’elles sont effectivement irrecevables en vertu de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure, conformément à l’argumentation de la Commission.

192   En effet, par lesdits arguments, soulevés pour la première fois dans le mémoire en réplique, Mannesmann reproche à la Commission des erreurs de droit ou d’appréciation en ce qui concerne l’une des conditions d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE. Les moyens de fond n’étant pas d’ordre public, il n’appartient pas au juge communautaire de les soulever d’office.

193   Il convient de relever, à toutes fins utiles, que le Tribunal a rejeté comme non fondés des arguments comparables à ceux avancés par Mannesmann dans des affaires qui ont été jointes à la présente affaire en vue de l’audience (arrêts Dalmine/Commission, point 127 supra, en particulier les points 156 et 157, et JFE Engineering e.a./Commission, point 102 supra, en particulier les points 367 à 374 et 386 à 395).

194   Quant à l’argumentation relative au caractère peu important des effets anticoncurrentiels du contrat conclu entre Mannesmann et Corus, il y a lieu de considérer qu’elle est recevable dans la mesure où elle constitue une ampliation des arguments déjà avancés dans la requête selon lesquels la Commission n’a pas démontré à suffisance de droit que les contrats d’approvisionnement sanctionnés par l’article 2 de la décision attaquée avaient un objet ou des effets restrictifs de la concurrence au sens de l’article 81 CE.

195   Sur le fond, il y a lieu de rappeler, d’abord, que, en l’espèce, la Commission s’est fondée non seulement sur les effets, mais également sur l’objet restrictifs de l’accord sanctionné à l’article2de la décision attaquée (voir considérant 111 de la décision attaquée ainsi que les points 157 et suivants ci-dessus).

196   À cet égard, des entreprises qui concluent un accord ayant notamment pour but de restreindre la concurrence ne sauraient, en principe, échapper à l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE en prétendant que leur accord ne devait pas avoir d’incidence appréciable sur la concurrence (voir également point 130 ci-dessus).

197   En effet, les contrats sanctionnés à l’article2de la décision attaquée ont été conçus, ainsi qu’il a été jugé aux points 179 et suivants ci-dessus, notamment pour partager les fournitures de tubes lisses à Corus qui était le « fournisseur principal » (« leader », voir considérant 111 de la décision attaquée) sur le marché du Royaume-Uni entre ses concurrents européens qui étaient également membres du club Europe-Japon. Ces contrats prévoyaient, en outre, la communication illégale par Corus d’informations commerciales. Ainsi, leur objet même comportait des restrictions significatives de la concurrence sur le marché du Royaume-Uni, qui était un marché distinct du fait de l’existence de l’infraction constatée à l’article 1er de la décision attaquée (arrêt Dalmine/Commission, point 127 supra, points 267 et 268), quels qu’aient pu être leurs effets.

198   En conséquence, les griefs résumés ci-dessus doivent être rejetés sur le fond dans la mesure où ils se rapportent à la question de savoir si l’infraction visée par l’article 2 de la décision attaquée a rempli le critère tenant à l’existence d’un objet ou d’effets restreignant la concurrence de manière sensible.

199   En outre, il y a lieu de considérer que l’argumentation de Mannesmann fondée sur la communication de 1997 est recevable malgré le fait qu’elle a été avancée pour la première fois dans le mémoire en réplique. En effet, Mannesmann se prévaut de cette communication en vue de renforcer son argument, déjà invoqué dans sa requête, suivant lequel les contrats d’approvisionnement n’étaient pas des accords anticoncurrentiels qui violaient l’article 81, paragraphe 1, CE.

200   Sur le fond, il y a lieu de relever, tout d’abord, que la communication de 1997 est applicable ratione temporis en l’espèce dès lors que la décision attaquée a été adoptée en 1999. Cette communication de 1997 constitue une prise de position de la Commission à cette date sur les accords qui doivent être considérés comme violant l’article 81, paragraphe 1, CE. Il convient de relever, en particulier, que la communication de 1997 fixe des seuils en termes de pourcentages, de sorte que, à la différence des communications antérieures qui fixent des seuils en valeur absolue, elle reflète une évolution de la politique et/ou de l’appréciation portée par la Commission et non une simple prise en compte de l’inflation. Dans ces conditions, c’est la communication de 1997 qui est pertinente pour l’appréciation de la décision attaquée et non celle de 1986, malgré le fait que les contrats en question ont été signés en 1991 et en 1993.

201   Toutefois, il convient de considérer que la communication de 1997 ne saurait être invoquée pour valider les contrats d’approvisionnement dans le cas d’espèce, dès lors que ces derniers ont contribué à la mise en oeuvre d’un accord anticoncurrentiel plus large concernant les tubes filetés, qui ne saurait être couvert par les termes de ladite communication (voir points 179 et suivants ci-dessus). En effet, l’objet et les effets anticoncurrentiels de ces contrats dépassent, pour partie, ceux qui résultent directement de leurs dispositions, de sorte qu’une application mécanique de la communication de 1997 aux seuls contrats ne tiendrait pas compte de manière adéquate de leur incidence sur les marchés en cause.

202   En toute hypothèse, les chiffres avancés par Mannesmann pour démontrer que la part de marché des entreprises en question est inférieure aux seuils retenus dans la communication de 1997 se rapportent au marché mondial des tubes OCTG. Or, la communication de 1997 précise que ce sont « les parts de marché détenues par l’ensemble des entreprises participantes » qui ne doivent dépasser le seuil pertinent « sur aucun des marchés concernés ».

203   À cet égard, si la définition figurant au considérant 35 de la décision attaquée retient un marché géographique « mondial » pour les tubes OCTG sans soudure, cette définition doit être lue à la lumière de la description détaillée des différents volets des accords conclus dans le cadre du club Europe‑Japon, notamment des Règles fondamentales. En effet, il ressort de la décision attaquée, prise dans son ensemble, notamment de ses considérants 53 à 77, que le comportement des producteurs japonais et européens sur chaque marché national ou, dans certains cas, sur le marché d’une certaine région du monde était déterminé par des règles spécifiques qui variaient d’un marché à l’autre et qui résultaient de négociations commerciales au sein du club Europe‑Japon.

204   Dans ces conditions, c’est la description détaillée de la situation existant sur chaque marché qui constitue la véritable analyse des marchés géographiques en cause dans la décision attaquée. Dès lors, il y a lieu d’interpréter le considérant 35 de la décision attaquée comme comportant une définition du marché géographique des tubes OCTG sans soudure tel qu’il devrait normalement exister compte tenu de considérations commerciales et économiques purement objectives, abstraction faite d’accords illicites ayant pour objet ou pour effet de le découper artificiellement.

205   Ainsi, il y a lieu de rejeter comme étant dénués de pertinence les arguments de Mannesmann relatifs au pourcentage réduit des ventes réalisées par Corus et elle‑même sur le marché mondial des tubes OCTG. À supposer qu’il soit opportun d’appliquer la communication de 1997, ce sont donc les parts sur le marché britannique, ou à tout le moins sur le marché communautaire, qu’il conviendrait de prendre en compte. Or, il ressort de la décision attaquée, notamment des chiffres retenus à ses considérants 68 et 113, que les parts de marché de la seule entreprise Corus, qui était partie à chacun des contrats d’approvisionnement, sur le marché britannique comme sur le marché communautaire, étaient nettement supérieures aux seuils fixés par la communication de 1997, que ce soit celui de 10 % du marché applicable aux accords verticaux ou celui de 5 % applicable aux accords horizontaux. Dès lors, il est manifeste que les contrats en question ne sont pas des accords d’importance mineure au sens de ladite communication de 1997.

206   À la lumière de ce qui précède, il y a lieu de conclure que la Commission a considéré à juste titre, dans la décision attaquée, que les contrats d’approvisionnement constituaient l’infraction retenue à l’article 2 de la décision attaquée et établissaient donc son existence à suffisance de droit. Il convient de relever également, à toutes fins utiles, que les éléments de preuve complémentaires retenus par la Commission confirment la justesse de sa thèse suivant laquelle ces contrats s’inscrivaient dans une politique commune plus large affectant le marché des tubes OCTG filetés standard.

 Sur la demande de réduction du montant de l’amende

 Sur les règles régissant le calcul de l’amende

 Arguments des parties

207   À titre liminaire, Mannesmann reproche à la Commission de ne pas avoir appliqué correctement les règles relatives à la détermination du montant des amendes, en particulier les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices pour le calcul des amendes »), et la communication sur la coopération. Elle invoque également, à cet égard, la pratique décisionnelle antérieure de la Commission qui aurait créé une confiance légitime dans son chef par rapport à la méthode de calcul et au niveau des amendes infligées par la Commission.

208   Dans son mémoire en réplique, la requérante ajoute que la décision attaquée ne se réfère pas expressément aux lignes directrices susmentionnées et, partant, n’est pas conforme aux exigences de motivation découlant de l’article 253 CE. En effet, selon Mannesmann, si lesdites lignes directrices n’étaient pas applicables en l’espèce, la Commission aurait dû se conformer à sa pratique décisionnelle antérieure et fixer le montant de l’amende par rapport au chiffre d’affaires réalisé par Mannesmann sur le marché pertinent. La Commission ne pourrait s’écarter de cette pratique antérieure sans expliciter les motifs de cette décision. Par ailleurs, s’il devait s’avérer que la Commission a implicitement appliqué les lignes directrices pour le calcul des amendes, Mannesmann estime que l’article 253 CE n’aurait, en tout état de cause, pas été respecté. En effet, dans un tel cas, la Commission aurait été tenue de faire figurer, dans la décision, les éléments retenus pour déterminer le montant de l’amende (arrêt Ciment, point 42 supra, points 4725 et suivants ; arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof/Commission, T‑347/94, Rec. p. II-1751, point 283).

209   La Commission rétorque que l’argumentation de la requérante, développée pour la première fois dans le mémoire en réplique, a trait à une prétendue violation de sa pratique décisionnelle antérieure aux lignes directrices pour le calcul des amendes. Il s’agirait d’un moyen nouveau, puisque Mannesmann avait initialement circonscrit son argumentation à la violation desdites lignes directrices. Ce moyen serait irrecevable en vertu de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure. Quant à la motivation de la décision attaquée, la Commission estime qu’elle est conforme aux exigences énoncées par la Cour dans l’arrêt du 16 novembre 2000, Cascades/Commission (C‑279/98 P, Rec. p. I‑9693, points 44 et suivants). La Commission se serait en effet prononcée sur la gravité de l’infraction (considérants 159 à 165 de la décision attaquée), sur sa durée (considérant 166 de la décision attaquée) ainsi que sur l’existence de circonstances atténuantes (considérant 169 de la décision attaquée) et sur l’application de la communication sur la coopération (considérant 174 de la décision attaquée). Enfin, la décision attaquée serait conforme aux lignes directrices pour le calcul des amendes.

 Appréciation du Tribunal

210   Il convient de relever d’abord que, dans le cadre d’un recours en annulation, le moyen tiré d’un défaut ou d’une insuffisance de motivation d’un acte communautaire constitue un moyen d’ordre public qui doit être soulevé d’office par le juge communautaire et qui, par conséquent, peut être invoqué par les parties à tout stade de la procédure (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 13 décembre 2001, Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, T‑45/98 et T‑47/98, Rec. p. II-3757, point 125). Dès lors, la circonstance selon laquelle le moyen tiré d’un défaut de motivation en ce qui concerne le mode de calcul des amendes n’a été soulevé pour la première fois que dans le mémoire en réplique n’emporte pas la conséquence que le Tribunal ne peut l’examiner en l’espèce.

211   À cet égard, selon une jurisprudence constante, l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications (arrêts de la Cour du 29 février 1996, Belgique/Commission, C‑56/93, Rec. p. I-723, point 86, et Commission/Sytraval et Brink’s France, point 126 supra, point 63). Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt Petrotub et Republica/Conseil, point 72 supra, point 81).

212   Par ailleurs, si la Commission jouit d’une marge d’appréciation pour fixer le montant des amendes (arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Martinelli/Commission, T‑150/89, Rec. p. II-1165 point 59, et, par analogie, arrêt du Tribunal du 21 octobre 1997, Deutsche Bahn/Commission, T‑229/94, Rec. p. II-1689, point 127), il y a lieu de constater qu’elle ne peut se départir des règles qu’elle s’est elle‑même imposées (arrêt Hercules Chemicals/Commission, point 44 supra, point 53, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Hercules Chemicals/Commission, C‑51/92 P, Rec. p. I-4235, et la jurisprudence citée). Ainsi, la Commission devait nécessairement tenir compte des termes des lignes directrices pour le calcul des amendes, en particulier des éléments qui y sont retenus de manière impérative.

213   En l’espèce, il ressort clairement d’une lecture des considérants 156 à 175 de la décision attaquée que la Commission a appliqué le mode de calcul prévu par les lignes directrices pour le calcul des amendes, comme elle était tenue de le faire en tout état de cause, conformément à la jurisprudence citée au point précédent. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l’absence de référence expresse aux lignes directrices pour le calcul des amendes dans la décision attaquée n’est pas de nature à entacher la légalité de celle‑ci d’un défaut de motivation. En effet, une telle référence n’aurait servi qu’à confirmer une circonstance qui devait être évidente pour Mannesmann en toute hypothèse, eu égard au contexte juridique exposé ci-dessus.

214   En conséquence, le moyen tiré d’un défaut de motivation à cet égard est rejeté.

215   Quant au moyen de Mannesmann tiré de la pratique décisionnelle antérieure de la Commission et de la confiance légitime qui en résulterait, il y a lieu de considérer d’abord qu’il est recevable, dès lors qu’il a été avancé, quoique de manière brève, dans sa requête, à savoir au point 74 de celle-ci dans le cadre de son argumentation relative à la question de la gravité de l’infraction. Dès lors, l’argumentation à ce sujet dans la réplique est à considérer comme une ampliation de ce moyen.

216   Ensuite, il convient de rappeler, en ce qui concerne ladite argumentation au fond, que, eu égard à la marge d’appréciation conférée par le règlement n° 17 à la Commission (voir, à cet égard, point 212 ci‑dessus), l’introduction par celle-ci d’une nouvelle méthode de calcul du montant des amendes, pouvant entraîner, dans certains cas, une augmentation du niveau des amendes, sans pour autant excéder la limite maximale fixée par le même règlement, ne peut être considérée comme une aggravation, avec effet rétroactif, des amendes telles qu’elles sont juridiquement prévues par l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 (voir, bien que sous pourvoi, arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T‑23/99, Rec. p. II-1705, point 235).

217   Il est sans pertinence, dès lors, de relever que le calcul du montant des amendes suivant la méthode exposée dans les lignes directrices pour le calcul de celles-ci peut amener la Commission à infliger des amendes plus élevées que dans sa pratique antérieure, notamment dans la mesure où il n’est pas tenu compte de manière systématique des différences de taille entre les entreprises. En effet, la Commission dispose d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence (voir point 212 ci-dessus et arrêt du Tribunal du 11 décembre 1996, Van Megen Sports/Commission, T-49/95, Rec. p. II‑1799, point 53). En outre, le fait que la Commission ait appliqué, dans le passé, des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait la priver de la possibilité d’élever ce niveau dans les limites indiquées par le règlement n° 17, si cela est nécessaire pour assurer la mise en oeuvre de la politique communautaire de concurrence (arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 96 supra, point 109 ; arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T‑12/89, Rec. p. II-907, point 309, et du 14 mai 1998, Europa Carton/Commission, T-304/94, Rec. p. II-869, point 89). L’application efficace des règles communautaires de la concurrence exige au contraire que la Commission puisse à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (arrêts Musique diffusion française e.a./Commission, précité, point 109, et LR AF 1998/Commission, point 216 supra, points 236 et 237).

218   Il résulte de ce qui précède que Mannesmann ne saurait se prévaloir de la pratique décisionnelle antérieure de la Commission et, dès lors, que le présent moyen doit être rejeté.

 Sur la détermination du montant de l’amende infligée à la requérante

219   Mannesmann invoque ensuite quatre griefs principaux relatifs à la détermination du montant de l’amende qui lui a été infligée.

 Sur la gravité de l’infraction retenue à l’article 1er de la décision attaquée

–       Arguments des parties

220   En premier lieu, la requérante conteste les appréciations de la Commission quant à la gravité de l’infraction visée par l’article 1er de la décision attaquée. Elle rappelle que la gravité d’une infraction doit être évaluée à la lumière de ses effets sur le marché (point 1 A des lignes directrices pour le calcul des amendes). À supposer même que les infractions en cause puissent être considérées comme « très graves » au sens desdites lignes, Mannesmann reproche à la Commission d’avoir pris en compte leurs effets sur le marché au titre des circonstances aggravantes.

221   La requérante estime avoir déjà démontré à suffisance de droit que les infractions visées aux articles 1er et 2 de la décision attaquée n’étaient pas constituées. Elle demande la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée, à tout le moins à concurrence de la mesure dans laquelle la Commission a estimé que l’infraction visée à l’article 2 de la décision attaquée a eu pour effet d’altérer la concurrence.

222   Lorsqu’elle a fixé le montant de base de l’amende, sans tenir compte de la taille ou du chiffre d’affaires réalisé sur le marché en cause par chacune des entreprises visées, la Commission aurait excédé les limites de son pouvoir d’appréciation. Or, l’équité et le principe de proportionnalité exigeraient que les entreprises ne soient pas mises sur un pied d’égalité, mais que leur comportement soit sanctionné en fonction de leur rôle personnel ou de l’incidence de l’infraction. Une certaine justice « distributive » devrait aussi être garantie aux grandes entreprises, comme l’indique le plafonnement du montant des amendes à 10 % du chiffre d’affaires prévu à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17.

223   La Commission aurait également agi au-delà des limites de son pouvoir d’appréciation en lui infligeant une amende distincte au titre de l’infraction reprochée à Vallourec, alors que Mannesmann aurait pris le contrôle de celle-ci. La Commission aurait dû infliger une amende unique à Mannesmann, en tenant compte des agissements de sa filiale Vallourec. Ne l’ayant pas fait, la Commission aurait enfreint le principe d’égalité de traitement et commis un détournement de pouvoir.

224   La Commission maintient que l’accord dont l’objet est d’assurer le respect des marchés nationaux dans le cadre du club Europe-Japon constitue, par nature, une infraction très grave (considérant 161 de la décision attaquée).

225   Dans la mesure où l’infraction visée à l’article 2 n’a pas donné lieu à l’imposition d’une amende distincte, les griefs relatifs à l’absence d’effets anticoncurrentiels de cette infraction seraient sans pertinence.

226   En outre, la Commission fait valoir que Mannesmann, Vallourec et Dalmine doivent toutes être considérées comme de grandes entreprises [voir recommandation 96/280/CE de la Commission, du 3 avril 1996, concernant la définition des petites et moyennes entreprises (JO L 107, p. 4)]. Or, la limite supérieure absolue pour les amendes prévue par le règlement n° 17 n’obligerait pas la Commission à établir, lors du calcul du montant de base d’une amende, une différenciation entre grandes entreprises.

227   La Commission rappelle que la prise de contrôle de Vallourec par Mannesmann remonte à 1997. Pendant toute la durée de l’infraction, ces deux entreprises étaient indépendantes l’une de l’autre et la Commission leur a donc infligé deux amendes distinctes. Si la Commission devait réduire le montant des amendes en raison de la fusion d’entreprises parties à une entente après la découverte de celle‑ci, l’effet dissuasif des amendes s’en trouverait nettement atténué.

–       Appréciation du Tribunal

228   Il importe de relever tout d’abord que, aux termes de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission peut infliger des amendes de mille euros au moins et d’un million d’euros au plus, ce dernier montant pouvant être porté à 10 % du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction. Pour déterminer le montant de l’amende à l’intérieur de ces limites, ladite disposition prescrit la prise en considération de la gravité et de la durée de l’infraction.

229   Or, contrairement à ce que soutient Mannesmann, ni le règlement n° 17, ni la jurisprudence, ni les lignes directrices pour le calcul des amendes ne prévoient que les amendes doivent être fixées directement en fonction de la taille du marché affecté, ce facteur n’étant qu’un élément pertinent parmi d’autres. En effet, conformément au règlement n° 17, tel qu’interprété par la jurisprudence, l’amende infligée à une entreprise au titre d’une infraction en matière de concurrence doit être proportionnée à l’infraction, appréciée dans son ensemble, en tenant compte, notamment, de la gravité de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T‑83/91, Rec. p. II‑755, point 240, et, par analogie, arrêt Deutsche Bahn/Commission, point 212 supra, point 127). Comme la Cour l’a affirmé au point 120 de son arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 96 supra, il est nécessaire de tenir compte, pour apprécier la gravité d’une infraction, d’un grand nombre d’éléments dont le caractère et l’importance varient selon le type d’infraction en cause et les circonstances particulières de celle-ci (voir aussi, par analogie, arrêt Deutsche Bahn/Commission, précité, point 127).

230   Par ailleurs, il convient de relever que, si la Commission n’a pas expressément invoqué les lignes directrices pour le calcul des amendes dans la décision attaquée, elle a néanmoins déterminé le montant des amendes imposées aux destinataires de la décision attaquée en faisant application de la méthode de calcul qu’elle s’y est imposée (voir point 212 ci-dessus).

231   Or, ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, si la Commission jouit d’une marge d’appréciation pour fixer le montant des amendes, il y a lieu de constater qu’elle ne peut se départir des règles qu’elle s’est elle-même imposées (voir point 212 ci‑dessus et la jurisprudence citée). Ainsi, la Commission doit effectivement tenir compte des termes des lignes directrices en fixant le montant des amendes, en particulier des éléments qui y sont retenus de manière impérative. Cependant, la marge d’appréciation de la Commission et les limites qu’elle y a apportées ne préjugent pas en tout état de cause de l’exercice, par le juge communautaire, de sa compétence de pleine juridiction.

232   Il convient de relever, à cet égard, que, d’après le point 1 A des lignes directrices pour le calcul des amendes, « [l]’évaluation du caractère de gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché lorsqu’il est mesurable et l’étendue du marché géographique concerné ». Or, au considérant 159 de la décision attaquée, la Commission relève qu’elle prend justement en compte ces trois critères pour déterminer la gravité de l’infraction.

233   Toutefois, la Commission s’est appuyée, au considérant 161 de la décision attaquée, essentiellement sur la nature du comportement infractionnel de toutes les entreprises pour fonder sa conclusion selon laquelle l’infraction retenue à l’article1er de la décision attaquée est « très grave ». À cet égard, elle a invoqué la nature gravement anticoncurrentielle et nuisible au bon fonctionnement du marché intérieur de l’accord de partage des marchés sanctionné, le caractère délibéré de l’illégalité commise ainsi que la nature secrète et institutionnalisée du système mis en place pour restreindre la concurrence. La Commission a pris en compte également dans ce même considérant 161 le fait que « les quatre États membres en cause représentent la majorité de la consommation des [tubes] OCTG et des [tuyaux de transport] sans soudure dans la Communauté et dès lors un marché géographique étendu ».

234   En revanche, la Commission a constaté, au considérant 160 de la décision attaquée, que « l’impact concret de l’infraction sur le marché a été limité », étant donné que les deux produits spécifiques couverts par celle-ci, à savoir les tubes OCTG standard et les tuyaux de transport « projet », ne représentaient que 19 % de la consommation communautaire des tubes OCTG et des tuyaux de transport sans soudure et que les tubes soudés pouvaient désormais couvrir une partie de la demande des tubes sans soudure du fait des progrès technologiques.

235   Ainsi, au considérant 162 de la décision attaquée, la Commission, après avoir classé cette infraction dans la catégorie des infractions « très graves » sur la base des facteurs énumérés au considérant 161, a pris en compte la quantité relativement réduite des ventes des produits en question par les destinataires de la décision attaquée dans les quatre États membres concernés (73 millions d’euros par an). Cette référence à la taille du marché affecté correspond à l’appréciation de l’impact limité de l’infraction sur le marché au considérant 160 de la décision attaquée. La Commission a donc décidé d’imposer un montant en fonction de la gravité de 10 millions d’euros seulement. Or, les lignes directrices pour le calcul des amendes prévoient, en principe, un montant « au-delà de 20 millions [d’euros] » pour une infraction relevant de cette catégorie.

236   Il convient d’examiner si l’approche de la Commission exposée ci-dessus est illégale au vu des arguments avancés par Mannesmann pour la critiquer.

237   Il y a lieu d’examiner, d’abord, l’argument de Mannesmann fondé sur la prétendue absence d’effets de l’infraction relevée à l’article 2 de la décision attaquée.

238   À cet égard, la Commission a clairement relevé, aussi bien au considérant 164 de la décision attaquée que devant le Tribunal, qu’elle n’a pas imposé un montant d’amende supplémentaire au titre de cette infraction.

239   Pour sa part, le Tribunal a considéré, dans son arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 102 supra, que, en omettant de prendre en considération l’infraction retenue à l’article 2 de la décision attaquée pour fixer le montant de l’amende infligée aux producteurs européens, la Commission a méconnu le principe général de droit communautaire d’égalité de traitement. Toutefois, la Commission n’ayant pas conclu à ce que le Tribunal révise à la hausse les amendes infligées aux producteurs européens, dans les affaires T-44/00, T-48/00 et T-50/00, le moyen le plus apte de réparer l’inégalité de traitement relevée est de réduire le montant de l’amende infligée à chacune des requérantes japonaises plutôt que d’augmenter le montant des amendes infligées aux trois requérantes européennes (arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 102 supra, points 574 à 579).

240   L’infraction constatée à l’article 2 de la décision attaquée n’ayant été prise en compte aux fins du calcul de l’amende infligée à Mannesmann ni par la Commission ni par le Tribunal, l’argumentation avancée par ladite société à cet égard est fondée sur une prémisse erronée et doit dès lors être rejetée.

241   En ce qui concerne, ensuite, les arguments de Mannesmann relatifs au fait que, selon les lignes directrices pour le calcul des amendes, la Commission est tenue de considérer les effets concrets d’une infraction sur le marché aux fins du calcul de l’amende, force est de constater que cet élément a effectivement été pris en compte dans la décision attaquée en ce qui concerne l’infraction relevée à l’article 1er de la décision attaquée. Il convient de considérer que la réduction du montant fixé en fonction de la gravité à 50 % de la somme minimale retenue habituellement dans le cas d’une infraction « très grave », relevée au point 235 ci‑dessus, reflète de manière adéquate cet impact limité.

242   À cet égard, il y a lieu de rappeler également que les amendes ont pour vocation de remplir une fonction de dissuasion en matière de concurrence (voir, à cet égard, le point 1 A, quatrième alinéa, des lignes directrices pour le calcul des amendes). Ainsi, compte tenu de la grande dimension des entreprises destinataires de la décision attaquée, relevée au considérant 165 de la décision attaquée (voir également points 243 et suivants ci-après), une réduction substantiellement plus importante du montant fixé en fonction de la gravité aurait pu priver les amendes de leur effet dissuasif.

243   Quant à l’argument de Mannesmann aux termes duquel la Commission n’était pas en droit de considérer que les effets de l’infraction retenue à l’article 1er de la décision attaquée sur les marchés en cause constituaient une circonstance aggravante en l’espèce, il suffit de constater que la Commission n’a pas fait état de circonstances aggravantes dans la décision attaquée. Par conséquent, cette argumentation doit être rejetée.

244   En ce qui concerne l’argumentation de Mannesmann selon laquelle la Commission doit tenir compte de la taille de chaque entreprise individuelle ainsi que de l’importance de sa participation à l’infraction, lorsqu’elle fixe le montant de l’amende, il importe de souligner d’abord que la référence à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 à 10 % du chiffre d’affaires mondial, rappelé au point 228 ci-dessus, est exclusivement pertinente pour le calcul de la limite supérieure de l’amende pouvant être infligée par la Commission (voir premier paragraphe des lignes directrices pour le calcul des amendes ainsi que l’arrêt Musique diffusion française e.a./Commission, point 96 supra, point 119) et ne signifie pas qu’il doit exister une relation proportionnelle entre la taille de chaque entreprise et le montant de l’amende qui lui est infligée (voir également point 227 ci-dessus).

245   En outre, il y a lieu de relever que le point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices pour le calcul des amendes, applicables en l’espèce (voir point 230 ci‑dessus), prévoit la possibilité de « pondérer, dans certains cas, les montants déterminés à l’intérieur de chacune des trois catégories [de gravité] afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence ». Selon ledit alinéa, cette approche est appropriée « notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature ».

246   Toutefois, il résulte de l’utilisation de l’expression « dans certains cas » et du terme « notamment » dans les lignes directrices pour le calcul des amendes qu’une pondération en fonction de la taille individuelle des entreprises n’est pas une étape de calcul systématique que la Commission s’est imposée, mais une faculté de souplesse qu’elle s’est donnée dans les affaires qui le nécessitent. Il convient de rappeler, dans ce contexte, la jurisprudence selon laquelle la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation lui permettant de prendre ou de ne pas prendre en considération certains éléments lorsqu’elle fixe le montant des amendes qu’elle entend infliger, en fonction notamment des circonstances de l’espèce (voir, en ce sens, ordonnance de la Cour du 25 mars 1996, SPO e.a./Commission, C‑137/95 P, Rec. p. I-1611, point 54, et arrêts de la Cour Ferriere Nord/Commission, point 108 supra, points 32 et 33 ; du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C-238/99 P, C‑244/99 P, C-245/99 P, C-247/99 P, C‑250/99 P à C-252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I-8375, point 465 ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, KNP BT/Commission, T‑309/94, Rec. p. II‑1007, point 68).

247   Compte tenu des termes du point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices pour le calcul des amendes relevés ci-dessus, il y a lieu de considérer que la Commission a conservé une marge d’appréciation par rapport à l’opportunité d’une pondération des amendes en fonction de la taille de chaque entreprise. Ainsi, la Commission n’est pas tenue, lors de la détermination du montant des amendes, de s’assurer, dans le cas où des amendes sont infligées à plusieurs entreprises impliquées dans une même infraction, que les montants finaux des amendes traduisent une différenciation entre les entreprises concernées quant à leur chiffre d’affaires global (voir, en ce sens, bien que sous pourvoi, arrêts du Tribunal LR AF 1998/Commission, point 216 supra, point 278, et du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T‑213/00, Rec. p. II‑913, point 385).

248   En l’espèce, la Commission a constaté, au considérant 165 de la décision attaquée, que toutes les entreprises destinataires de la décision attaquée étaient de grande dimension, de sorte qu’il n’y avait pas lieu de procéder, à ce titre, à une différenciation entre les montants retenus pour les amendes.

249   À cet égard, la Commission a souligné dans son mémoire en défense, sans être contredite par Mannesmann, que cette dernière n’est pas une petite ou moyenne entreprise. En effet, la recommandation 96/280, applicable au moment de l’adoption de la décision attaquée, précise, notamment, que les entreprises doivent occuper moins de 250 personnes et avoir soit un chiffre d’affaires annuel qui n’excède pas 40 millions d’euros, soit un bilan annuel qui n’excède pas 27 millions d’euros. Dans la recommandation 2003/361/CE de la Commission, du 6 mai 2003, concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises (JO L 124, p. 36), ces deux derniers seuils ont été révisés à la hausse pour être fixés à, respectivement, 50 millions et 43 millions d’euros.

250   Si le Tribunal ne dispose pas de chiffres concernant le nombre de salariés et le bilan de Mannesmann, il y a lieu de constater que le chiffre d’affaires de Mannesmann en 1998, soit 2 321 millions d’euros (voir considérant 13 de la décision attaquée), était plus de quarante fois supérieur à la limite prévue dans les recommandations successives de la Commission par rapport à ce critère. Ainsi, il convient de considérer, sur la base des informations présentées au Tribunal, que la Commission n’a pas commis d’erreur en constatant, au considérant 165 de la décision attaquée, que cette entreprise était de grande dimension.

251   Quant au rôle joué par Mannesmann dans l’infraction, il convient de relever que sa participation à l’accord de partage des marchés résulte de l’engagement qu’elle a donné de ne pas vendre les produits en cause sur d’autres marchés. Chaque producteur a pris le même engagement, à savoir celui de ne pas vendre les tubes OCTG standard et les tuyaux de transport sur le marché domestique de chacun des autres membres du club Europe-Japon. Or, comme il a été relevé au point 233 ci‑dessus, la Commission s’est appuyée principalement sur la nature fortement anticoncurrentielle de cet engagement aux fins de déterminer le caractère « très grave » de l’infraction constatée à l’article 1er de la décision attaquée.

252   Dans la mesure où Mannesmann est le seul membre allemand du club Europe‑Japon, force est de constater que sa présence a suffi pour étendre le champ d’application géographique de l’accord anticoncurrentiel au territoire d’un État membre des Communautés. Du fait de son engagement à ne pas vendre ses tubes sur le marché des trois autres États membres de la Communauté concernés par l’accord, Mannesmann a également contribué à réduire la concurrence actuelle ou potentielle sur ces autres marchés. Par sa présence aux réunions dudit club, elle a adhéré, ou tout au moins a fait croire aux autres participants qu’elle adhérait, en principe au contenu de l’accord anticoncurrentiel qui y était convenu. Or, il découle du dossier, notamment des chiffres repris au tableau figurant au considérant 68 de la décision attaquée, que le partage des marchés prévu par l’entente a été appliqué en pratique, à tout le moins dans une certaine mesure, et que celle-ci a nécessairement eu un impact réel sur les conditions de concurrence existant sur les marchés communautaires. Dès lors, il y a lieu de constater que la participation de Mannesmann à l’infraction a eu un impact non négligeable sur le marché communautaire.

253   Ainsi, la Commission ayant constaté, dans la décision attaquée, que les quatre entreprises japonaises visées étaient de grande dimension (voir point 248 ci‑dessus) et ayant tenu compte de manière globale de l’impact relativement réduit de l’infraction sur les marchés en cause (voir points 235 et 241 ci-dessus), l’argumentation de Mannesmann ne suffit pas à démontrer que la Commission a dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation en l’espèce du fait qu’elle n’a pas fait application du point 1 A, sixième alinéa, des lignes directrices pour le calcul des amendes.

254   Enfin, quant à l’argument de Mannesmann tenant au fait que deux amendes distinctes ont été infligées à elle et à Vallourec malgré la fusion de leurs activités de production de tubes en 1997 (voir considérants 12 et 15 de la décision attaquée), il convient de relever que, en principe, la personne physique ou morale qui dirigeait l’entreprise en cause au moment où l’infraction aux règles communautaires de concurrence a été commise doit répondre de celle-ci, même si, au jour de l’adoption de la décision constatant l’infraction, l’exploitation de l’entreprise a été placée sous la responsabilité d’une autre personne (arrêt Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, point 210 supra, point 57). Tel n’est toutefois pas le cas lorsque la personne sous la responsabilité de laquelle l’exploitation de l’entreprise est désormais placée a déclaré accepter d’être tenue pour responsable des faits reprochés à son prédécesseur (arrêt Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, précité, point 62).

255   Force est de constater que, en l’espèce, Mannesmann est la personne morale qui a dirigé une entreprise ayant participé à l’infraction constatée à l’article 1er de la décision attaquée pendant la période de cette infraction et que Vallourec est la personne morale qui a dirigé, à la même époque, une autre entreprise, indépendante de la première, ayant participé à la même infraction. Or, il ne ressort nullement du dossier que Mannesmann, Vallourec ou l’une de leurs filiales a fait une déclaration de responsabilité en l’espèce. En toute hypothèse, la règle décrite au point précédent ne permet pas de considérer que, dans des circonstances où le déclarant a également participé à l’infraction de manière autonome, une amende unique, dont le montant serait inférieur à la somme des deux amendes qui auraient été infligées à des entreprises autonomes, devrait être infligée au déclarant.

256   Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que les arguments de Mannesmann résumés ci-dessus ne sauraient justifier une réduction du montant de son amende dans la présente procédure.

 Sur la durée

–       Arguments des parties

257   Mannesmann conteste l’appréciation de la Commission quant à la durée de l’infraction. Bien que les réunions du club Europe‑Japon aient commencé en 1977 pour s’achever en 1995, la période infractionnelle retenue serait limitée à cinq années (de 1990 à 1995), en raison des accords d’autolimitation des exportations conclus entre la Commission et les autorités japonaises (considérant 108 de la décision attaquée). Mannesmann reproche à la Commission de ne pas avoir pris en considération la prorogation des accords d’autolimitation jusqu’au 31 décembre 1990, en vertu de l’accord du 28 décembre 1989 conclu entre la Commission et le ministère international du Commerce et de l’Industrie japonais. Il s’ensuit, selon Mannesmann, que le montant de base de l’amende qui lui a été infligée, fixé à dix millions d’euros, ne pouvait être augmenté que de 40 % (10 % par an) en raison de la durée de l’infraction. Ainsi, la durée de l’infraction n’aurait justifié qu’une augmentation du montant de base de quatre millions d’euros. Partant, Mannesmann demande au Tribunal de réduire le montant de l’amende d’un million d’euros.

258   La Commission récuse ces griefs qu’elle estime non fondés. En effet, la requérante n’apporterait nullement la preuve de son assertion selon laquelle les accords d’autolimitation conclus avec le gouvernement japonais auraient duré jusqu’au 31 décembre 1990.

–       Appréciation du Tribunal

259   Il y a lieu de relever d’abord que la Commission a constaté, au considérant 108 de la décision attaquée, qu’elle aurait pu retenir l’existence de l’infraction à partir de 1977, mais qu’elle a choisi de ne pas le faire en raison de l’existence des accords d’autolimitation. Ainsi, à l’article 1er de la décision attaquée, elle n’a retenu l’existence de l’infraction qu’à partir de 1990. Force est de constater que cette démarche constitue une concession faite par la Commission aux destinataires de la décision attaquée.

260   Il importe de relever qu’aucune des parties n’a soutenu devant le Tribunal qu’il y avait lieu de remettre en cause cette concession dans la présente affaire. En conséquence, l’examen du Tribunal dans le cadre de la présente procédure ne doit pas porter sur la légalité ou l’opportunité de ladite concession, mais uniquement sur la question de savoir si la Commission, l’ayant faite de manière expresse dans les motifs de la décision attaquée, l’a correctement appliquée en l’espèce. Il y a lieu de rappeler à cet égard que la Commission doit apporter des preuves précises et concordantes pour fonder la ferme conviction que l’infraction a été commise, dès lors que la charge de la preuve quant à l’existence de l’infraction, et, partant, à sa durée, lui incombe (arrêts de la Cour du 28 mars 1984, CRAM et Rheinzink/Commission, 29/83 et 30/83, Rec. p. 1679, point 20 ; du 31 mars 1993, Ahlström Osakeytiö e.a./Commission, dit « Pâte de bois II », C-89/85, C-104/85, C-114/85, C-116/85, C-117/85 et C-125/85 à C-129/85, Rec. p. I-1307, point 127 ; arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, SIV e.a./Commission, T‑68/89, T‑77/89 et T‑78/89, Rec. p. II-1403, points 193 à 195, 198 à 202, 205 à 210, 220 à 232, 249 à 250 et 322 à 328, et du 6 juillet 2000, Volkswagen/Commission, T‑62/98, Rec. p. II-2707, points 43 et 72).

261   Ainsi, la concession décrite ci-dessus fait de la prétendue cessation des accords d’autolimitation le critère déterminant pour apprécier si l’existence de l’infraction devait être retenue pour l’année 1990. Étant donné qu’il s’agit d’accords conclus, sur le plan international, entre le gouvernement japonais, représenté par le ministère de l’Industrie et du Commerce extérieur, et la Communauté, représentée par la Commission, il y a lieu de constater que cette dernière aurait dû conserver la documentation confirmant la date à laquelle lesdits accords ont pris fin, conformément au principe de bonne administration. Partant, elle aurait dû être en mesure de produire cette documentation devant le Tribunal. Toutefois, la Commission a affirmé devant le Tribunal qu’elle avait cherché dans ses archives mais qu’elle n’était pas en mesure de produire des documents attestant de la date de cessation de ces accords.

262   Si, d’une manière générale, une partie requérante ne peut transférer la charge de la preuve à la partie défenderesse en se prévalant de circonstances qu’elle n’est pas en mesure d’établir, la notion de charge de la preuve ne saurait être appliquée au bénéfice de la Commission en l’espèce en ce qui concerne la date de cessation des accords internationaux qu’elle a conclus. L’incapacité inexplicable de la Commission à produire des éléments de preuve relatifs à une circonstance qui la concerne directement prive le Tribunal de la possibilité de statuer en connaissance de cause en ce qui concerne la date de cessation desdits accords. Il serait contraire au principe de bonne administration de la justice de faire supporter les conséquences de cette incapacité de la Commission aux entreprises destinataires de la décision attaquée, qui, à la différence de l’institution défenderesse, n’étaient pas en mesure d’apporter la preuve qui fait défaut.

263   Dans ces conditions, il y a lieu de considérer, à titre exceptionnel, qu’il incombait à la Commission d’apporter la preuve de cette cessation. Or, force est de constater que la Commission n’a pas apporté la preuve de la date à laquelle les accords d’autolimitation ont pris fin, que ce soit dans la décision attaquée ou devant le Tribunal.

264   En toute hypothèse, les requérantes japonaises ont apporté des éléments de preuve qui attestent de la reconduction des accords d’autolimitation jusqu’au 31 décembre 1990, à tout le moins au niveau japonais, ce qui conforte la thèse de la requérante dans la présente procédure (arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 102 supra, point 345). Il y a lieu de considérer que le Tribunal peut, dans des affaires jointes où toutes les parties ont eu l’occasion de consulter l’ensemble des dossiers, tenir compte d’office des éléments de preuve contenus dans les dossiers des affaires parallèles (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 13 décembre 1990, Nefarma et Bond van Groothandelaren in het Farmaceutische Bedrijf/Commission, T‑113/89, Rec. p. II-797, point 1, et Prodifarma e.a./Commission, T‑116/89, Rec. p. II-843, point 1). Or, en l’espèce, le Tribunal est amené à se prononcer dans le cadre d’affaires jointes aux fins de la procédure orale ayant pour objet une même décision d’infraction et dans lesquelles toutes les parties requérantes ont conclu à ce que soit réformé le montant des amendes qu’elles ont été condamnées à payer. Ainsi, le Tribunal a formellement connaissance, dans la présente affaire, des éléments de preuve produits par les quatre requérantes japonaises.

265   Il y a lieu de relever par ailleurs que Mannesmann demande au Tribunal non seulement d’annuler la décision attaquée en ce qui concerne la date de commencement de l’infraction retenue à son article 1er et, dans cette mesure, la durée de cette infraction, mais, en outre, de réduire, dans l’exercice de la compétence de pleine juridiction attribuée au Tribunal, conformément à l’article 229 CE, par l’article 17 du règlement nº 17, le montant de son amende pour tenir compte de cette réduction de durée. Cette compétence de pleine juridiction a pour conséquence que le Tribunal, lorsqu’il réforme l’acte attaqué en modifiant le montant des amendes infligées par la Commission, doit tenir compte de toutes les circonstances de fait pertinentes (arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 246 supra, point 692). Dans ces conditions et dès lors que toutes les requérantes ont contesté le fait que la Commission a retenu l’infraction à partir du 1er janvier 1990, il ne serait pas approprié que le Tribunal apprécie isolément la situation de chacune des parties requérantes dans les circonstances du cas d’espèce en se limitant aux seuls éléments de fait dont elles ont choisi de faire état pour plaider leur cause et en omettant de tenir compte de ceux que d’autres parties requérantes ou la Commission ont pu invoquer.

266   Par ailleurs, ni Mannesmann ni, a fortiori, la Commission n’ont prétendu que les accords d’autolimitation étaient encore en vigueur en 1991.

267   Dans ces conditions, il convient de considérer, aux fins de la présente procédure, que les accords d’autolimitation, conclus entre la Commission et les autorités japonaises, sont restés en vigueur jusqu’à la fin de l’année 1990.

268   Il résulte de ce qui précède que, à la lumière de la concession faite par la Commission dans la décision attaquée, la durée de l’infraction retenue à l’article 1er de la décision attaquée doit être réduite d’une année. Ainsi, l’article 1er de la décision attaquée doit être annulé dans la mesure où il retient l’existence de l’infraction qu’il reproche à Mannesmann avant le 1er janvier 1991.

269   En ce qui concerne la date à laquelle l’infraction a pris fin, il convient de relever que, à l’audience, en réponse à une question du Tribunal, la Commission a précisé que, dans la décision attaquée, l’année 1995 n’a pas été prise en compte aux fins du calcul du montant des amendes. Mannesmann n’a pas remis en cause cette appréciation quant à la fin de l’infraction devant le Tribunal.

270   Il résulte de ce qui précède que la durée qu’il y a lieu de retenir pour l’infraction relevée à l’article 1er de la décision attaquée est de quatre ans, soit du 1er janvier 1991 au 1er janvier 1995. Dès lors, il y a lieu de réduire le montant de l’amende infligée à Mannesmann pour tenir compte de cette circonstance.

 Sur les prétendues circonstances atténuantes

–       Arguments des parties

271   Mannesmann fait grief à la Commission de ne pas avoir pris en considération certaines circonstances atténuantes qui justifiaient une réduction du montant de l’amende. Certes, la Commission aurait retenu, au titre des circonstances atténuantes, la situation de crise de l’industrie sidérurgique et réduit, à ce titre, le montant de l’amende de 10 %. Toutefois, d’autres circonstances auraient justifié une réduction plus importante du montant de l’amende. Mannesmann invoque en particulier le fait que l’accord visé par l’article 1er de la décision attaquée est demeuré sans effets. En outre, elle rappelle qu’elle a mis fin aux comportements reprochés dès les premières interventions de la Commission. Enfin, Mannesmann relève qu’elle a coopéré dans le cadre de l’enquête menée par la Commission.

272   La Commission rejette ces allégations. Elle estime que le grief pris de l’absence d’effets de l’accord en cause ne peut concerner, au mieux, que le contrat de fourniture qu’elle a conclu avec Corus, qui fait l’objet de l’article 2 de la décision attaquée. Dans la mesure où aucune amende n’a été infligée au titre de cet article, la question des circonstances atténuantes serait dénuée de pertinence. Pour le surplus, les allégations de Mannesmann relatives à sa coopération ne seraient pas suffisamment étayées.

–       Appréciation du Tribunal

273   Il y a lieu de rappeler, d’abord, que, en l’espèce, la Commission a accordé une réduction de 10 % du montant de l’amende au titre d’une circonstance atténuante, à savoir la situation de crise affectant l’industrie sidérurgique à l’époque des faits.

274   Il convient de rappeler, ensuite, que la Commission doit se conformer aux termes de ses propres lignes directrices en fixant le montant des amendes. Toutefois, il n’est pas indiqué dans les lignes directrices pour le calcul des amendes que la Commission doit toujours prendre en compte séparément chacune des circonstances atténuantes énumérées au point 3 de ces lignes. En effet, ledit point 3, intitulé « [c]irconstances atténuantes », prévoit la « diminution du montant de base pour les circonstances atténuantes particulières telles que, par exemple : […] ». Il convient de considérer que si les circonstances énumérées dans la liste figurant au point 3 des lignes directrices sont certainement parmi celles qui peuvent être prises en compte par la Commission dans un cas donné, celle-ci n’est pas obligée d’accorder une réduction supplémentaire à ce titre de manière automatique, dès lors qu’une entreprise avance des éléments de nature à indiquer la présence d’une de ces circonstances. En effet, le caractère adéquat d’une éventuelle réduction de l’amende au titre des circonstances atténuantes doit être apprécié d’un point de vue global en tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes.

275   Il convient de rappeler, en effet, dans ce contexte la jurisprudence antérieure à l’adoption des lignes directrices selon laquelle la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation lui permettant de prendre ou de ne pas prendre en considération certains éléments lorsqu’elle fixe le montant des amendes qu’elle entend infliger, en fonction notamment des circonstances de l’espèce (voir, en ce sens, ordonnance SPO e.a./Commission, point 246 supra, point 54, et arrêts Ferriere Nord/Commission, point 246 supra, points 32 et 33, et Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 246 supra, point 465 ; voir également, en ce sens, arrêt KNP BT/Commission, point 246 supra, point 68). Ainsi, en l’absence d’une indication de nature impérative dans les lignes directrices en ce qui concerne les circonstances atténuantes qui peuvent être prises en compte, il convient de considérer que la Commission a conservé une certaine marge d’appréciation pour apprécier d’une manière globale l’importance d’une éventuelle réduction du montant des amendes au titre des circonstances atténuantes.

276   En toute hypothèse, il y a lieu de relever, en ce qui concerne l’argumentation de Mannesmann selon laquelle l’accord de partage des marchés visé à l’article 1er de la décision attaquée est demeuré sans effets, que, conformément à ce qui a été jugé ci-dessus, tel n’est pas le cas en l’espèce. En revanche, le partage des marchés prévu par l’entente en question a été appliqué en pratique, à tout le moins dans une certaine mesure, et que celle-ci a nécessairement eu un impact réel sur les conditions de concurrence existant sur les marchés communautaires (voir points 251 et suivants ci-dessus). En outre, il convient de rappeler à cet égard que la fixation du montant fixé en fonction de la gravité à 50 % de la somme minimale retenue habituellement dans le cas d’une infraction « très grave », relevée au point 235 ci-dessus, reflète de manière adéquate le fait, reconnu par la Commission elle‑même, que cet impact a été limité (voir également le point 241 ci-dessus).

277   Il y a lieu, dès lors, d’interpréter le deuxième tiret du point 3 des lignes directrices en ce sens que la Commission n’est tenue de reconnaître l’existence d’une circonstance atténuante du fait de l’absence de mise en œuvre d’une entente que si l’entreprise qui invoque cette circonstance peut démontrer qu’elle s’est clairement et de manière considérable opposée à la mise en œuvre de cette entente, au point d’avoir perturbé le fonctionnement même de celle-ci et qu’elle n’a pas adhéré à l’accord en apparence et, de ce fait, incité d’autres entreprises à mettre en oeuvre l’entente en cause. En effet, le fait qu’une entreprise, dont la participation à une concertation avec ses concurrents pour partager les marchés est établie, ne se soit pas comportée sur le marché d’une manière conforme à celle convenue avec ses concurrents ne constitue pas nécessairement un élément devant être pris en compte, en tant que circonstance atténuante, lors de la détermination du montant de l’amende à infliger (arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission, T-327/94, Rec. p. II-1373, point 142).

278   Comme l’a relevé le Tribunal dans son arrêt Ciment, point 42 supra (point 1389), une entreprise qui ne se distancie pas des résultats d’une réunion à laquelle elle a assisté conserve, en principe, « sa pleine responsabilité du fait de sa participation à l’entente ». Il serait trop aisé pour les entreprises de minimiser le risque de devoir payer une lourde amende si elles pouvaient profiter d’une entente illicite et bénéficier ensuite d’une réduction de l’amende au motif qu’elles n’avaient joué qu’un rôle limité dans la mise en œuvre de l’infraction, alors que leur attitude a incité d’autres entreprises à se comporter d’une manière plus nuisible à la concurrence.

279   Il résulte de ce qui précède que, à supposer même que Mannesmann et/ou certains autres des membres du club Europe-Japon n’aient pas respecté pleinement l’accord de partage des marchés, cette circonstance ne justifierait pas l’application du deuxième tiret du point 3 des lignes directrices pour réduire l’amende au titre d’une circonstance atténuante en l’espèce.

280   En ce qui concerne l’argument relatif à la cessation immédiate de l’infraction, il y a lieu de considérer que la « cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission », mentionnée au point 3 des lignes directrices, ne peut logiquement constituer une circonstance atténuante que s’il existe des raisons de supposer que les entreprises en cause ont été incitées à arrêter leurs comportements anticoncurrentiels par les interventions en question. En effet, il apparaît que la finalité de cette disposition est d’encourager les entreprises à cesser leurs comportements anticoncurrentiels immédiatement lorsque la Commission entame une enquête à cet égard.

281   Il résulte de ce qui précède, en particulier, qu’une réduction du montant de l’amende ne saurait être appliquée au titre du point 3 des lignes directrices, concernant la cessation de l’infraction dès les premières vérifications, dans le cas où l’infraction aurait déjà pris fin avant la date des premières interventions de la Commission ou dans le cas où une décision ferme d’y mettre fin aurait déjà été prise par ces entreprises avant cette date. En effet, s’il est certes souhaitable que des entreprises cessent un comportement infractionnel avant que la Commission n’ait à intervenir, il découle de son libellé que le point 3 des lignes directrices vise la situation dans laquelle les entreprises réagissent positivement à une telle intervention en cessant leurs éventuels comportements anticoncurrentiels, l’objectif étant de créer un incitant à ce que les entreprises aient cette réaction. L’application ce cette disposition en faveur d’une entreprise, par la Commission dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation ou par le Tribunal dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, sera particulièrement adéquat dans une situation où le caractère anticoncurrentiel du comportement en cause n’est pas manifeste. Inversement, son application sera moins adaptée, en principe, dans une situation où celui-ci est clairement anticoncurrentiel, à le supposer établi. Force est de constater que, en l’espèce, le caractère anticoncurrentiel de l’accord de partage des marchés sanctionné à l’article 1er de la décision attaquée ne fait pas de doute.

282   En outre, l’application d’une réduction dans les circonstances décrites à la première phrase du point précédent ferait double emploi avec la prise en compte, conformément aux lignes directrices, de la durée des infractions dans le calcul des amendes. Cette prise en compte a précisément pour objectif de sanctionner plus sévèrement les entreprises qui enfreignent les règles en matière de concurrence pendant une période prolongée que celles dont les infractions sont de courte durée. Ainsi, la réduction du montant d’une amende au motif qu’une entreprise a cessé ses comportements infractionnels avant les premières vérifications de la part de la Commission aurait pour effet d’avantager les responsables des infractions de courte durée une deuxième fois.

283   Il y a lieu de relever, en l’espèce, que, dans l’arrêt JFE Engineering e.a./Commission, point 102 supra, le Tribunal a considéré, à la lumière des moyens et arguments avancés par les requérantes dans ces affaires, que l’infraction ne devait pas être retenue à leur encontre après le 1er juillet 1994, dès lors qu’il n’existait aucune preuve de ce qu’une réunion du club Europe-Japon a eu lieu en automne 1994 au Japon conformément à la pratique suivie jusqu’alors. Il ressort de cette circonstance que l’infraction avait probablement cessé ou qu’elle était à tout le moins en cours de cessation au moment où la Commission a procédé à des vérifications les 1er et 2 décembre 1994.

284   Il s’ensuit que le fait que les comportements illicites constitutifs de l’infraction retenue à l’article 1er de la décision attaquée n’ont pas continué après la date des premières inspections effectuées par la Commission ne justifie pas une réduction de l’amende infligée à Mannesmann dans les circonstances du cas d’espèce.

285   Enfin, quant à l’argument de Mannesmann selon lequel sa coopération aurait dû être prise en compte au titre d’une circonstance atténuante, il sera examiné aux points 307 et suivants ci-après dans le cadre du moyen fondé sur la communication sur la coopération.

286   À la lumière de l’ensemble de ce qui précède et compte tenu du fait que la Commission a déjà minoré les amendes en l’espèce pour tenir compte de la circonstance atténuante tenant à la situation de crise économique existant dans le secteur des tubes en acier (voir considérants 168 et 169 de la décision attaquée), il y a lieu de rejeter tous les griefs de Mannesmann tirés de l’absence d’une réduction supplémentaire au titre d’autres circonstances prétendument atténuantes.

 Sur la prétendue coopération de Mannesmann

–       Arguments des parties

287   Mannesmann prétend que la Commission n’a pas respecté la communication sur la coopération. Elle soutient que la Commission a enfreint le principe d’égalité de traitement à son égard.

288   Tout d’abord, elle estime avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire par rapport à Vallourec. À l’instar de cette dernière, elle aurait répondu aux demandes d’informations de la Commission. Elle aurait apporté un concours précieux à la Commission lors de l’enquête (considérants 62, 67, 72 et 170 de la décision attaquée), notamment grâce aux déclarations de M. Becher. De même, Mannesmann, comme Vallourec, n’aurait pas contesté la matérialité des faits qui lui étaient reprochés (considérant 174 de la décision attaquée).

289   Elle rappelle que Vallourec n’a pas fourni de renseignements à la Commission de sa propre initiative, mais a été la première entreprise à faire l’objet de vérifications, en septembre 1996. La Commission aurait effectué des vérifications auprès de Mannesmann en avril 1997. S’il est exact que, chronologiquement, les premières informations dont la Commission a pu disposer émanaient de Vallourec, il n’en demeurerait pas moins que cette circonstance ne tient qu’au choix de la Commission quant à l’ordre retenu pour effectuer ses vérifications auprès des entreprises concernées. La Commission ne saurait tirer d’un tel choix discrétionnaire des conséquences préjudiciables aux entreprises auxquelles elle l’impose, en l’occurrence Mannesmann.

290   Mannesmann formule des critiques comparables à l’égard du traitement accordé à Dalmine (considérant 172 de la décision attaquée). Bien que Mannesmann ait coopéré à l’enquête dans une mesure comparable à celle de Dalmine, la Commission aurait réduit de 20 % l’amende infligée à cette dernière. La Commission ne pourrait justifier une telle différence de traitement au motif que Mannesmann a formé un recours contre une décision de la Commission prise en vertu de l’article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17. En effet, Dalmine a formé un recours similaire, rejeté comme manifestement irrecevable par le Tribunal. En tout état de cause, la Commission ne pourrait tirer aucune conséquence de l’exercice légitime de son droit fondamental aux voies de recours.

291   La Commission précise qu’elle a procédé à une vérification dans les locaux de Mannesmann les 1er et 2 décembre 1994. Dès lors, les griefs relatifs au traitement discriminatoire par rapport à Vallourec seraient dépourvus d’objet.

292   L’attitude de Vallourec ne saurait être comparée à celle de Mannesmann. Vallourec aurait été la seule entreprise à communiquer des éléments substantiels sur l’existence et le contenu de l’entente. Ces éléments auraient facilité la tâche de la Commission quant à la constatation des infractions. Vallourec n’aurait pas contesté la matérialité des faits. Elle aurait ainsi bénéficié d’une réduction de 40 % de l’amende.

293   En revanche, Mannesmann n’aurait pas coopéré à l’enquête. Les déclarations de M. Becher auraient été faites à l’occasion d’une vérification effectuée par la Commission dans les locaux de Mannesmann, en réponse aux questions qui lui étaient posées, et n’auraient fait que confirmer des éléments déjà établis. Tout au long de l’enquête, Mannesmann aurait adopté une attitude ambiguë. Bien qu’elle n’ait pas contesté les faits, elle n’aurait pas exprimé clairement sa position (considérant 174 de la décision attaquée). Elle aurait, par ailleurs, refusé de fournir certains renseignements qui lui ont été demandés au titre de l’article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17. Pour ces raisons, elle n’aurait pas bénéficié d’une réduction de 20 % de l’amende au même titre que Dalmine.

294   À cet égard, le rôle passif d’une entreprise ne justifierait pas une réduction du montant de l’amende au titre de la communication sur la coopération. Pour bénéficier d’une réduction du montant de l’amende, cette communication exigerait en effet qu’une entreprise informe la Commission qu’elle n’entend pas contester la matérialité des faits après avoir pris connaissance des griefs (voir point D 2 de la communication sur la coopération et arrêt Mayr Melnhof/Commission, point 208 supra, point 309).

–       Appréciation du Tribunal

295   Selon une jurisprudence bien établie, la Commission ne saurait, dans le cadre de l’appréciation de la coopération fournie par des entreprises, méconnaître le principe de l’égalité de traitement, principe général du droit communautaire, qui, selon une jurisprudence constante, est violé lorsque des situations comparables sont traitées de manière différente ou que des situations différentes sont traitées de manière identique, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, point 210 supra, point 237, et la jurisprudence citée).

296   Il y a lieu de rappeler également que, pour justifier la réduction du montant d’une amende au titre de la coopération, le comportement d’une entreprise doit faciliter la tâche de la Commission consistant en la constatation et en la répression des infractions aux règles communautaires de la concurrence (arrêt Mayr‑Melnhof/Commission, point208 supra, point 309, et la jurisprudence citée).

297   Il convient de relever, en l’espèce, que les déclarations de M. Verluca, faites en sa qualité de représentant de Vallourec en réponse aux questions posées à cette société par la Commission, sont les éléments de preuve clés du dossier dans la présente affaire.

298   Certes, pour autant que des entreprises fournissent à la Commission, au même stade de la procédure administrative et dans des circonstances analogues, des informations semblables concernant les faits qui leur sont reprochés, les degrés de la coopération fournie par elles doivent être considérés comme comparables (voir, par analogie, arrêt Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, point 210 supra, points 243 et 245).

299   Toutefois, si les réponses aux questions fournies par Mannesmann, notamment la déclaration de M. Becher évoquée au considérant 63 de la décision attaquée, ont été d’une certaine utilité pour la Commission, elles ne font que confirmer, et ce de manière moins précise et explicite, certaines des informations déjà fournies par Vallourec par le biais des déclarations de M. Verluca. En particulier, M. Verluca a relevé que chaque membre du club Europe-Japon était tenu de respecter le marché national de chacun des autres membres de ce club, en précisant que le marché offshore du Royaume-Uni avait un statut particulier, celui-ci étant « semi protégé ». Il a également précisé la durée et le mode de fonctionnement de l’accord de partage des marchés.

300   Force est de constater que M. Verluca ne s’est pas contenté de répondre aux questions posées par la Commission, lors de la première vérification auprès de Vallourec en septembre 1996, par rapport au fonctionnement du club Europe‑Japon et aux Règles fondamentales. En effet, il ressort des déclarations de M. Verluca, appréciées dans leur ensemble, une véritable volonté de coopération effective dans le cadre de l’enquête menée par la Commission. M. Becher a, en revanche, uniquement fait état, en ce qui concerne les Règles fondamentales, de l’exclusion des producteurs japonais des marchés européens et des producteurs européens des marchés japonais, sans fournir plus de détails à cet égard.

301   Il y a lieu de considérer que l’utilité de la déclaration de M. Becher repose exclusivement sur le fait qu’il corrobore, dans une certaine mesure, celles de M. Verluca dont la Commission disposait déjà, et que, par conséquent, cette déclaration n’a pas facilité la tâche de la Commission de manière significative et, partant, suffisante pour justifier une réduction du montant de l’amende au titre de la coopération.

302   Dès lors, il y a lieu de considérer que les informations fournies à la Commission par Mannesmann avant l’envoi de la CG ne sont pas comparables à celles fournies par Vallourec. En toute hypothèse, ces informations ne suffisent pas à justifier une réduction du montant de l’amende infligée au titre de la communication sur la coopération.

303   En ce qui concerne la comparaison avec la coopération de Dalmine, invoquée par Mannesmann, il y a lieu de relever que, pour bénéficier d’une réduction du montant de l’amende au titre de la non-contestation des faits, conformément au point D 2 de la communication sur la coopération, une entreprise doit explicitement informer la Commission de ce qu’elle n’entend pas contester la matérialité des faits, après avoir pris connaissance de la communication des griefs (arrêt Mayr Melnhof/Commission, point 208 supra, point 309). En l’absence d’une telle déclaration expresse, la simple passivité d’une entreprise ne saurait être considérée comme facilitant la tâche de la Commission, dès lors qu’il lui incombe d’établir l’existence de tous les faits dans sa décision finale sans pouvoir invoquer une déclaration de l’entreprise à cette fin.

304   À cet égard, il convient de relever que Dalmine a bénéficié d’une réduction de 20 % justement parce qu’elle a informé la Commission qu’elle ne contestait pas la matérialité des faits sur lesquels celle-ci avait fondé ses accusations (considérants 172 et 173 de la décision attaquée). La circonstance, relevée au considérant 5 de la décision attaquée, selon laquelle Dalmine a refusé de répondre à certaines questions posées par la Commission avant l’envoi de la communication des griefs est sans pertinence dans le présent contexte, dès lors qu’il ressort du point D de la communication sur la coopération que le fait de faire une déclaration de non‑contestation de la matérialité des faits après l’envoi de la communication des griefs justifie une réduction de l’amende de manière autonome, sans égard au comportement de l’entreprise avant l’envoi de ladite communication.

305   En revanche, la Commission a relevé, au considérant 174 de la décision attaquée, que Mannesmann n’a jamais clairement exposé sa position à cet égard. Si Mannesmann souligne qu’elle n’a pas contesté les faits présentés dans la CG, elle ne prétend pas non plus avoir expressément informé la Commission qu’elle ne contestait pas leur matérialité.

306   Dans ces conditions, force est de constater que l’argumentation de Mannesmann ne justifie pas l’application du deuxième tiret du point D 2 de la communication sur la coopération en vue de réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée.

307   Quant à l’argumentation de Mannesmann selon laquelle sa coopération justifie néanmoins une réduction du montant de l’amende au titre des circonstances atténuantes, conformément au point 3 des lignes directrices, il convient de rappeler, ainsi qu’il a été jugé ci-dessus, que la Commission dispose d’une marge d’appréciation en ce qui concerne l’application des circonstances atténuantes. Or, le point 3, sixième tiret, des lignes directrices pour le calcul des amendes prévoit, par exemple, comme circonstance atténuante la « collaboration effective de l’entreprise à la procédure, en dehors du champ d’application de la communication [sur la coopération] ». Dès lors, il est nécessairement question dans ledit sixième tiret, du moins en ce qui concerne les ententes horizontales visées par ladite communication, d’une coopération qui est insuffisante pour justifier une réduction au titre de la communication sur la coopération.

308   Toutefois, il y a lieu de rappeler également que, pour justifier la réduction du montant d’une amende au titre de la coopération, le comportement d’une entreprise doit faciliter la tâche de la Commission consistant en la constatation et en la répression des infractions aux règles communautaires de la concurrence (voir point 296 ci-dessus et la jurisprudence citée). Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que l’hypothèse envisagée par le point 3, sixième tiret, des lignes directrices pour le calcul des amendes est une situation exceptionnelle en ce qui concerne les ententes horizontales visées par ces lignes directrices, étant donné qu’il doit être question d’une coopération « effective » ayant facilité la tâche de la Commission mais qui n’est pas couverte par la communication sur la coopération.

309   En l’espèce, Mannesmann n’a pas démontré que sa coopération a réellement facilité la tâche de la Commission consistant en la constatation et en la répression des infractions (voir points 297 à 306 ci-dessus). Ainsi, il n’ y a aucune raison de considérer que la Commission a dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation en n’accordant pas une réduction du montant de l’amende infligée à Mannesmann au motif que cette dernière aurait coopéré effectivement au cours de l’enquête au sens du point 3, sixième tiret, des lignes directrices.

310   En toute hypothèse, la Commission relève que Mannesmann, loin d’avoir coopéré dans le cadre de son enquête, a même refusé de fournir certaines informations, et ce malgré l’adoption, le 15 mai 1998, d’une décision au titre de l’article 11, paragraphe 5, du règlement n° 17 l’obligeant à les produire. Si Mannesmann a introduit un recours devant le Tribunal visant à l’annulation de cette décision, lequel a été enregistré sous le numéro T‑112/98, elle n’a pas introduit de demande en référé dans le cadre de cette procédure, comme elle aurait pu le faire conformément aux articles 242 CE et 243 CE. La démarche de Mannesmann consistant à contester la légalité de la décision du 15 mai 1998 était, bien évidemment, parfaitement légitime et ne saurait être considérée comme relevant d’une absence de coopération. Toutefois, force est de constater que Mannesmann n’était pas en droit de maintenir son refus de fournir les informations en cause, en l’absence de mesures provisoires suspendant l’application de la décision du 15 mai 1998, et que, en se comportant comme si des mesures provisoires avaient été accordées en sa faveur, alors qu’elle ne les avait même pas demandées, elle ne s’est pas conformée à ses obligations en droit communautaire.

311   En outre, il convient de relever que si Mannesmann a obtenu l’annulation partielle de cette décision dans la mesure où le Tribunal a, par son arrêt Mannesmannröhren-Werke/Commission, point8 supra, annulé certaines des questions faisant l’objet de la décision du 15 mai 1998, il découle de cet arrêt que la plus grande partie des données que Mannesmann a refusé de produire avait été demandée par la Commission de manière légitime. Ledit arrêt du Tribunal a fait l’objet d’un pourvoi formé auprès de la Cour par Mannesmann, enregistré sous le numéro C-190/01. Toutefois, cette affaire a été radiée du registre de la Cour par ordonnance du 4 octobre 2001, Mannesmannröhren-Werke AG/Commission, non publiée au Recueil. À cet égard, il ressort de la référence dans cette ordonnance à l’article 69, paragraphe 5, du règlement de procédure de la Cour, combiné avec l’article 122, troisième alinéa, dudit règlement, que celle-ci a considéré, malgré la mention d’un accord entre les parties dans la demande de radiation initiale de la requérante, que la requérante a simplement retiré son pourvoi et devait, pour cette raison, supporter les dépens afférents à celui-ci.

312   Par conséquent, il résulte de ladite ordonnance que l’arrêt Mannesmannröhren-Werke/Commission, point 8 supra, est devenu définitif. Ainsi, il y a lieu de conclure que, en raison du comportement illégal de Mannesmann, la Commission n’a jamais disposé d’un nombre important de données dont elle avait légalement sollicité la production au stade de la procédure administrative. Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que l’attitude de Mannesmann au stade de la procédure administrative, appréciée dans son ensemble, relève d’un comportement de coopération effective en l’espèce.

313   À la lumière de ce qui précède, les griefs de Mannesmann fondés sur sa prétendue coopération au stade de la procédure administrative doivent être rejetés.

 Sur le calcul de l’amende

314   Il résulte de ce qui précède que le montant de l’amende imposée à Mannesmann doit être minoré pour tenir compte de ce que la durée de l’infraction retenue à l’article 1er de la décision attaquée est fixée, dans la présente affaire, à quatre années plutôt qu’à cinq années.

315   La méthode de calcul du montant des amendes retenue dans les lignes directrices ayant été appliquée, à juste titre, par la Commission, en l’espèce, le Tribunal estime, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, qu’il y a lieu d’appliquer cette méthode également au vu de la conclusion effectuée au point précédent.

316   Ainsi, le montant de base de l’amende est fixé à dix millions d’euros, majoré de 10 % pour chaque année d’infraction, soit de 40 % au total, ce qui aboutit à un chiffre de quatorze millions d’euros. Ce montant doit ensuite être minoré de 10 % au titre des circonstances atténuantes, conformément aux considérants 168 et 169 de la décision attaquée, pour arriver à un montant définitif pour Mannesmann de 12 600 000 euros au lieu de 13 500 000 euros.

 Sur les dépens

317   Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs de conclusions. Chaque partie ayant effectivement succombé sur un ou plusieurs chefs de conclusions en l’espèce, il y a lieu de décider que la requérante et la Commission supporteront chacune leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      L’article 1er, paragraphe 2, de la décision 2003/382/CE de la Commission, du 8 décembre 1999, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE (Affaire IV/E-1/35.860-B – Tubes d’acier sans soudure), est annulé dans la mesure où il retient l’existence de l’infraction reprochée par cette disposition à la requérante avant le 1er janvier 1991.

2)      Le montant de l’amende infligée à la requérante à l’article 4 de la décision 2003/382 est fixé à 12 600 000 euros.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus.

4)      La requérante et la Commission supporteront leurs propres dépens.

Forwood

Pirrung

Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 juillet 2004.

Le greffier

 

       Le président

H. Jung

 

       J. Pirrung

Table des matières

Faits et procédure

Procédure administrative

Produits en cause

Infractions retenues par la Commission dans la décision attaquée

Faits essentiels retenus par la Commission dans la décision attaquée

Dispositif de la décision attaquée

Procédure devant le Tribunal

Conclusions des parties

Sur la demande d’annulation de la décision attaquée

Sur les moyens tirés de vices de procédure

Sur le moyen tiré d’une violation des droits de la défense en ce que la Commission aurait refusé à la requérante l’accès à certains éléments du dossier

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur le caractère prétendument insuffisant du délai de réponse à la CG

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur l’utilisation du document Clé de répartition en tant que pièce à charge

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la prétendue violation des droits de la défense résultant d’une discordance entre la CG et la décision attaquée quant à l’infraction visée à l’article 2 de cette dernière

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur l’existence de l’infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE visée à l’article 1er de la décision attaquée

Sur la prétendue contradiction entre l’article 1er et l’article 2 de la décision attaquée

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur les prétendues défaillances du raisonnement de la Commission concernant l’infraction retenue à l’article 1er de la décision attaquée

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur l’existence de l’infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE visée à l’article 2 de la décision attaquée

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur la demande de réduction du montant de l’amende

Sur les règles régissant le calcul de l’amende

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur la détermination du montant de l’amende infligée à la requérante

Sur la gravité de l’infraction retenue à l’article 1er de la décision attaquée

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la durée

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur les prétendues circonstances atténuantes

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la prétendue coopération de Mannesmann

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur le calcul de l’amende

Sur les dépens


* Langue de procédure : l'allemand.