Language of document : ECLI:EU:T:2010:19

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

20 janvier 2010 (*)

« Référé – Marchés publics – Procédure d’appel d’offres – Rejet d’une offre – Demande de sursis à exécution et de mesures provisoires – Perte d’une chance – Absence de préjudice grave et irréparable – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑443/09 R,

Agriconsulting Europe SA, établie à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes F. Sciaudone, R. Sciaudone et A. Neri, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. A. Bordes et L. Prete, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de mesures provisoires concernant la procédure d’appel d’offres EuropeAid/127054/C/SER/Multi, relative à la prestation de services à court terme exclusivement en faveur de pays tiers bénéficiant de l’aide extérieure de la Commission,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Le 9 mai 2008, la Commission des Communautés européennes a publié un avis de préinformation pour un marché de services concernant un « Multiple Framework contract to recruit short-term services in the exclusive interest of third countries benefiting from European Commission external aid » (contrat-cadre multiple relatif à la prestation de services à court terme exclusivement en faveur de pays tiers bénéficiant de l’aide extérieure de la Commission européenne). Le 4 juillet 2008, elle a publié un avis de marché portant la référence « EuropeAid/127054/C/SER/Multi » et précisant que ledit contrat-cadre multiple était divisé en douze lots.

2        La requérante, Agriconsulting Europe SA, est une société active en matière de conseil de gestion et technique pour des projets de développement international. En tant que chef de file d’un consortium regroupant au total dix sociétés, elle a manifesté son intention de participer à la procédure restreinte concernant ce marché, notamment pour le lot n° 11. Elle a ensuite été invitée par la Commission à soumettre une offre détaillée dans le cadre de l’appel d’offres restreint. L’offre pour le lot n° 11 du contrat-cadre multiple a été soumise dans les délais prévus par l’avis de marché.

3        Par décision du 26 août 2009, la Commission a informé la requérante que, pour le lot n° 11 du contrat-cadre multiple, l’offre soumise par le consortium dont elle était chef de file ne figurait pas parmi les six offres économiquement les plus avantageuses, tout en indiquant que le comité chargé de l’évaluation technique des offres (ci-après le « comité d’évaluation ») avait proposé que le marché soit attribué à d’autres consortiums.

4        Plus précisément, la décision du 26 août 2009 comportait un tableau contenant les notes attribuées, selon les critères établis pour l’évaluation des offres, à la première et à la dernière des offres jugées économiquement les plus avantageuses et celles attribuées à l’offre soumise par le consortium dont la requérante était chef de file. Il résultait de ce tableau que l’écart entre la sixième offre attributaire et celle dudit consortium, classée en septième position, était de 0,36 point.

5        Par lettre du 1er septembre 2009, la requérante a demandé à la Commission des explications concernant la différence entre la note élevée reçue à l’égard du critère « Couverture des secteurs » et la note extrêmement basse obtenue en ce qui concernait le critère « Experts », en faisant valoir que les deux critères étaient liés aux capacités techniques des experts présentés.

6        Par lettre du 15 septembre 2009, la Commission a répondu que le faible résultat obtenu par l’offre à l’égard du critère « Experts » était dû à la circonstance que les curriculums vitae de trois experts sur les 48 figurant dans l’offre soumise par le consortium dont la requérante était chef de file n’avaient pas été pris en compte au motif que les noms de ces mêmes experts apparaissaient également dans plusieurs autres offres, en violation de la déclaration d’exclusivité requise par les dispositions applicables.

7        Le 21 septembre 2009, la requérante a introduit, conformément au point 2.4.15 du Guide pratique des procédures contractuelles dans le cadre des actions extérieures, un recours administratif contre la décision du 26 août 2009, en faisant valoir une erreur manifeste d’appréciation de son offre, une violation de l’obligation de fournir une motivation suffisante dans la décision et une violation de l’obligation de fournir les informations requises sur les voies de recours disponibles.

8        Ayant appris que la Commission avait manifesté son intention de procéder à la signature des premiers contrats avec les consortiums lauréats, la requérante lui a envoyé, le 8 octobre 2009, une lettre par laquelle elle insistait sur la gravité des irrégularités commises par le comité d’évaluation en ce qui concerne l’exclusion de ses experts et la sommait de ne pas procéder à la signature des contrats avec les lauréats présumés de l’appel d’offres en ce qui concerne le lot n° 11 du contrat-cadre multiple.

9        Par lettre du 8 octobre 2009, la Commission a rejeté le recours administratif de la requérante, en confirmant la décision du 26 août 2009. Par un courrier ultérieur du 20 octobre 2009, elle a répondu, par un simple renvoi aux arguments exposés dans sa propre lettre du 8 octobre 2009, à la lettre de la requérante du 8 octobre 2009.

 Procédure et conclusions des parties

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 novembre 2009, la requérante a introduit un recours tendant à obtenir l’annulation de la décision du 26 août 2009 et la réparation du préjudice subi en raison du rejet de son offre.

11      À cette même date, la requérante a, par acte séparé, déposé une demande de procédure accélérée au titre de l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal, qui a été rejetée par décision du Tribunal (quatrième chambre) du 2 décembre 2009.

12      Le 10 novembre 2009, la requérante a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        ordonner le sursis à l’exécution de la décision du 26 août 2009 jusqu’à ce que le Tribunal se prononce sur le recours au principal ;

–        ordonner à la Commission de ne pas procéder à la signature des contrats prévus à la suite de la décision du 26 août 2009 jusqu’à ce que le Tribunal se prononce sur le recours au principal ;

–        dans l’hypothèse où ces contrats seraient déjà signés, ordonner que leur exécution soit suspendue jusqu’à ce que le Tribunal se prononce sur le recours au principal ;

–        en application de l’article 65, sous b) et c), du règlement de procédure, ordonner, premièrement, la présentation par la Commission des procès-verbaux du comité d’évaluation concernant l’évaluation de l’offre soumise par le consortium dont la requérante était chef de file, deuxièmement, la production par ladite institution de toutes les déclarations d’exclusivité signées par les experts concernés et qui auraient été présentées dans le cadre d’offres soumises par d’autres sociétés ainsi que le nom des sociétés qui ont eu recours à ces déclarations, troisièmement, l’indication par la Commission de l’« état d’avancement du marché concerné par la présente affaire » ainsi que des précisions sur les contrats qui ont été signés et sur leur exécution et, quatrièmement, l’audition de l’un des experts, M. P., comme témoin, afin qu’il puisse confirmer le caractère de faux des autres déclarations qui auraient été présentées en son nom ;

–        condamner la Commission aux dépens de la présente instance.

13      Dans ses observations écrites, déposées au greffe du Tribunal le 25 novembre 2009, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les demandes de mesures d’instruction relatives à la production des procès-verbaux du comité d’évaluation et à l’audition d’un témoin ;

–        rejeter la présente demande en référé.

 En droit

14      En vertu des articles 278 TFUE et 279 TFUE, combinés à l’article 256, paragraphe 1, TFUE, le Tribunal peut, s’il considère que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant lui ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

15      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes de mesures provisoires spécifient l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Par conséquent, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts du requérant, qu’ils soient prononcés et produisent leurs effets avant même la décision au principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73, et la jurisprudence citée).

16      De plus, dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit de l’Union ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

17      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

18      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition de l’urgence est remplie.

 Sur l’urgence

 Arguments des parties

19      La requérante fait valoir que, en cas d’annulation de la décision du 26 août 2009 dans le cadre du recours au principal, le dommage subi par elle ne pourrait plus être réparé si les mesures provisoires demandées ne sont pas accordées. En effet, la Commission n’ayant pas suspendu volontairement l’attribution du marché aux six consortiums qui se sont classés en rang utile, la décision sur le recours au principal interviendrait postérieurement à la conclusion des contrats, ou du moins d’une grande partie de ceux-ci. En outre, il serait très peu probable qu’une nouvelle procédure d’appel d’offres soit lancée par la Commission à la suite de l’annulation de la décision du 26 août 2009.

20      Par ailleurs, la requérante, bien qu’elle ait demandé dans le cadre du recours au principal non seulement l’annulation de la décision du 26 août 2009, mais également la réparation du préjudice subi en raison du rejet de son offre, soutient que ledit préjudice ne peut pas être intégralement réparé, en ce qu’il serait difficilement quantifiable, dans son ensemble, dans le cadre d’un recours fondé sur l’article 268 TFUE.

21      À cet égard, la requérante estime qu’elle a perdu une chance particulièrement sérieuse, puisque la prise en compte de M. P. en tant qu’expert lui aurait permis de dépasser le consortium dont l’offre a été classée sixième dans le tableau figurant dans la décision du 26 août 2009, laquelle était seulement supérieure de 0,36 point à celle du consortium dont elle était la chef de file, et invoque la jurisprudence selon laquelle, quoiqu’il s’agisse d’une chance très sérieuse d’obtenir le marché, il serait très difficile, voire impossible, de la quantifier et, par conséquent, d’évaluer avec la précision requise le préjudice résultant de sa perte. Ainsi, le préjudice en cause serait très difficilement réparable par équivalent par le biais de l’octroi de dommages et intérêts (ordonnance du président du Tribunal du 20 juillet 2006, Globe/Commission, T‑114/06 R, Rec. p. II‑2627, points 117, 118 et 127).

22      La requérante fait également valoir que, si les mesures provisoires demandées ne sont pas accordées, elle subira un préjudice grave, dans la mesure où, d’une part, elle sera privée des revenus qu’elle aurait perçus si le marché lui avait été attribué, et, d’autre part, la possibilité de pouvoir faire état d’un contrat obtenu auprès de la Commission dans un marché qui est nouveau pour elle constitue un avantage concurrentiel dont elle aurait pu bénéficier si son offre avait été retenue.

23      Enfin, la requérante soutient que l’urgence dont elle se prévaut doit d’autant plus être prise en considération par le juge des référés que certains arguments de fait et de droit qu’elle a présentés paraissent « particulièrement sérieux ».

24      La Commission rétorque que les arguments invoqués par la requérante au soutien de la demande en référé en ce qui concerne la condition liée à son caractère urgent ne constituent qu’une série d’affirmations générales souvent hypothétiques, parfois erronées et jamais étayées par de solides éléments de preuve.

 Appréciation du juge des référés

25      Il y a lieu de rappeler que le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires. C’est à cette dernière partie qu’il appartient d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au principal sans avoir à subir un préjudice de cette nature (voir ordonnances du président du Tribunal du 15 novembre 2001, Duales System Deutschland/Commission, T‑151/01 R, Rec. p. II‑3295, point 187 ; du 20 septembre 2005, Deloitte Business Advisory/Commission, T‑195/05 R, Rec. p. II‑3485, point 124, et du 25 avril 2008, Vakakis/Commission, T‑41/08 R, non publiée au Recueil, point 52).

26      Lorsque le préjudice dépend de la survenance de plusieurs facteurs, il suffit qu’il apparaisse comme prévisible, avec un degré de probabilité suffisant [ordonnance du président du Tribunal du 16 janvier 2004, Arizona Chemical e.a./Commission, T‑369/03 R, Rec. p. II‑205, point 71 ; voir également, en ce sens, ordonnances de la Cour du 29 juin 1993, Allemagne/Conseil, C‑280/93 R, Rec. p. I‑3667, points 32 à 34, et du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 67]. La partie requérante demeure cependant tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un tel dommage grave et irréparable (voir, en ce sens, ordonnances Arizona Chemical e.a./Commission, précitée, point 72, et HFB e.a./Commission, précitée, point 67).

27      Il convient donc d’examiner si, en l’espèce, la requérante a démontré avec un degré de probabilité suffisant qu’elle subira un préjudice grave et irréparable si les mesures provisoires qu’elle sollicite ne lui sont pas octroyées.

28      S’agissant de la gravité du préjudice invoqué en l’espèce, il importe de rappeler que ce dernier serait subi à l’occasion d’une procédure d’appel d’offres pour l’attribution d’un marché public. Or, une telle procédure a pour objet de permettre à l’autorité concernée de choisir, parmi plusieurs offres concurrentes, celle qui lui paraît la plus conforme aux critères de sélection prédéterminés. L’autorité qui institue une telle procédure dispose, par ailleurs, d’un large pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de la prise de la décision de passer le marché (arrêts du Tribunal du 24 février 2000, ADT Projekt/Commission, T‑145/98, Rec. p. II‑387, point 147 ; du 26 février 2002, Esedra/Commission, T‑169/00, Rec. p. II‑609, point 95, et du 14 février 2006, TEA-CEGOS e.a./Commission, T‑376/05 et T‑383/05, Rec. p. II‑205, point 50).

29      Une entreprise qui participe à une telle procédure n’a, dès lors, jamais la garantie absolue que le marché public lui sera attribué, mais doit toujours tenir compte de l’éventualité de son attribution à un autre soumissionnaire ou à un autre candidat. Dans ces conditions, les conséquences financières négatives pour l’entreprise en question, qui découleraient du rejet de son offre, font, en principe, partie du risque commercial habituel, auquel chaque entreprise active sur le marché doit faire face. Il s’ensuit que la perte d’une chance de se voir attribuer et d’exécuter un marché public en raison du rejet d’une offre d’un soumissionnaire ou d’un candidat lors d’une procédure de passation de marché public ne saurait être regardée comme constitutive, en soi, d’un préjudice grave, indépendamment d’une appréciation concrète de la gravité de l’atteinte spécifique alléguée dans chaque cas d’espèce (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 15 juillet 2008, CLL Centres de langues/Commission, T‑202/08 R, non publiée au Recueil, points 71 et 72, et la jurisprudence citée).

30      En conséquence, c’est à la condition que l’entreprise requérante ait démontré à suffisance de droit qu’elle aurait pu retirer des bénéfices suffisamment significatifs de l’attribution et de l’exécution du marché dans le cadre de la procédure d’appel d’offres que le fait, pour elle, d’avoir perdu une chance de se voir attribuer et d’exécuter ledit marché constituerait un préjudice grave. Par ailleurs, la gravité d’un préjudice d’ordre matériel doit être évaluée au regard, notamment, de la taille de l’entreprise requérante (voir ordonnance du président du Tribunal du 15 juillet 2008, Antwerpse Bouwwerken/Commission, T‑195/08 R, non publiée au Recueil, point 44, et la jurisprudence citée).

31      En l’espèce, force est de constater que la requérante ne produit pas les éléments permettant de considérer, compte tenu en particulier de sa taille, que la perte qu’elle risque de subir serait suffisamment grave pour justifier l’octroi de mesures provisoires. Dès lors, au regard des éléments figurant dans la demande en référé, le juge des référés n’est pas en mesure de considérer que, pour la requérante, la perte d’une chance de percevoir les revenus résultant de l’exécution du marché public en question lui causerait une atteinte spécifique suffisamment grave pour justifier l’octroi de mesures provisoires.

32      S’agissant du caractère irréparable du préjudice découlant de la perte d’une chance, il résulte d’une jurisprudence récente de la Cour que, lorsque le Tribunal accorde des dommages et intérêts sur la base de l’attribution d’une valeur économique au préjudice subi en raison d’un manque à gagner, cette réparation est en principe susceptible de satisfaire à l’exigence, énoncée par la jurisprudence, d’assurer la réparation intégrale du préjudice individuel que la partie concernée a effectivement subi du fait des actes illégaux particuliers dont elle a été victime (arrêt de la Cour du 21 février 2008, Commission/Girardot, C‑348/06 P, Rec. p. I‑833, point 76 ; ordonnance Vakakis/Commission, précitée, point 66).

33      Il en résulte que, dans l’hypothèse où la requérante obtiendrait gain de cause au principal, il pourrait être attribué une valeur économique au préjudice subi en raison de la perte de la chance d’être sélectionnée, valeur économique qui serait susceptible de satisfaire à l’obligation d’entière réparation du dommage individuel effectivement subi. Par conséquent, l’argument de la requérante selon lequel son préjudice serait irréparable au motif qu’il ne serait pas possible de quantifier la perte de la chance de participer à la seconde phase de la procédure de sélection ne saurait être accueilli (voir ordonnance du président du Tribunal du 10 juillet 2009, TerreStar Europe/Commission, T‑196/09 R, non publiée au Recueil, point 72, et la jurisprudence citée).

34      Ainsi, l’ordonnance Globe/Commission, précitée, invoquée par la requérante, doit être considérée comme dépassée à cet égard par la jurisprudence plus récente, dans la mesure où il y avait été jugé que la perte de la chance de se voir attribuer un marché public était très difficile, voire impossible, à quantifier, de sorte que ladite perte pouvait être qualifiée de préjudice irréparable (voir, en ce sens, ordonnance TerreStar Europe/Commission, précitée, point 73).

35      Il s’ensuit que la requérante n’est pas parvenue à établir, avec un degré de probabilité suffisant, que le préjudice invoqué pourrait être qualifié d’irréparable. Elle n’a, notamment, pas démontré qu’elle serait empêchée d’obtenir une compensation financière ultérieure par la voie d’un recours en indemnité, recours qu’elle a, par ailleurs, déjà introduit dans le cadre de l’affaire au principal. En effet, dans la mesure où ce préjudice ne serait pas réparé par la seule annulation de la décision attaquée dans ladite affaire, il serait susceptible d’être réparé dans le cadre des voies de recours prévues par les articles 268 TFUE et 340 TFUE, étant entendu que la seule possibilité de former un recours en indemnité suffit à attester du caractère en principe réparable d’un tel préjudice (voir ordonnance TerreStar Europe/Commission, précitée, point 75, et la jurisprudence citée).

36      En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel l’urgence dont elle se prévaut doit d’autant plus être prise en considération par le juge des référés que certains arguments de fait et de droit qu’elle a présentés paraissent « particulièrement sérieux », il y a lieu d’observer que, quelle que soit la force de ces arguments, la violation éventuelle d’une norme supérieure de droit par un acte ne saurait suffire à établir, par elle-même, la gravité et le caractère irréparable d’un éventuel préjudice causé par cette violation et donc justifier le bien-fondé d’une demande de mesures provisoires. Par conséquent, il ne suffit pas pour la requérante d’alléguer une telle violation pour établir la réunion des conditions de l’urgence, à savoir le caractère grave et irréparable du préjudice qui pourrait découler de cette atteinte. En effet, elle est également tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un tel préjudice (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 8 avril 2008, Chypre/Commission, T‑54/08 R, T‑87/08 R, T‑88/08 R et T‑91/08 R à T‑93/08 R, non publiée au Recueil, points 58 et 59, et la jurisprudence citée).

37      Il ressort de ce qui précède que la présente demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit besoin de vérifier si les autres conditions d’octroi des mesures provisoires sollicitées, notamment celle de l’existence d’un fumus boni juris, sont remplies.

 Sur les mesures d’instruction

38      Il convient de constater que, dans ses observations écrites sur la demande en référé, la Commission a, d’une part, signalé que les contrats avaient déjà été signés avec les consortiums qui se sont vu attribuer le marché et, d’autre part, produit les déclarations d’exclusivité signées par les experts concernés. Les deuxième et troisième mesures d’instruction proposées par la requérante n’ayant donc plus d’objet, il y a lieu de se limiter à l’examen des première et quatrième de ces mesures.

 Arguments des parties

39      La requérante demande au Tribunal d’ordonner la production des procès-verbaux du comité d’évaluation concernant l’évaluation de l’offre soumise par le consortium dont la requérante était le chef de file et d’appeler M. P., un des experts, à témoigner, afin qu’il puisse confirmer le caractère de faux des autres déclarations qui auraient été présentées en son nom.

40      Selon la requérante, la production desdits documents vise à suppléer l’absence de réponse de la Commission concernant les critères utilisés par le comité d’évaluation pour déterminer les notes relatives à la « Couverture des secteurs » et aux « Experts » ainsi que leur éventuelle interdépendance ou influence réciproque, alors que l’audition du témoin proposée est destinée à permettre à celui-ci d’établir si d’autres déclarations présentées par d’autres sociétés participant à l’appel d’offres sont fausses ou constituent des déclarations antérieures à l’établissement de la liste restreinte qui seraient susceptibles d’avoir été utilisées par les autres participants à l’appel d’offres.

41      La Commission considère que les procès-verbaux en cause peuvent être produits dans une version non confidentielle et que l’audition du témoin proposée serait inutile.

 Appréciation du juge des référés


 Conformément à l’article 105, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, le juge des référés apprécie s’il y a lieu d’ordonner l’ouverture d’une instruction.

42      À cet égard, il convient d’observer que la production des procès-verbaux demandés et l’audition du témoin proposée concernent uniquement l’exigence d’un fumus boni juris.

43      Dès lors que la demande de mesures provisoires doit être rejetée en raison de l’absence d’urgence sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les autres conditions d’octroi de pareilles mesures sont remplies, et en particulier la condition d’un fumus boni juris, le juge des référés considère que les mesures proposées par la requérante ne sont pas pertinentes aux fins de la présente demande de mesures provisoires et qu’il n’y a donc pas lieu de les octroyer.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 20 janvier 2010.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’italien.